COMMISSION D’ENQUÊTE
SUR LA FIBROMYALGIE
La séance est ouverte à dix heures trente.
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La commission d’enquête sur la fibromyalgie procède à l’audition de Mme Brigitte Merle-Vignau, chargée de communication au Centre national des associations de fibromyalgiques en France (CENAF).
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Je souhaite la bienvenue à Mme Brigitte Merle-Vignau, chargée de communication au Centre national des associations de fibromyalgiques en France (CeNAF).
La Commission a décidé de rendre ses auditions publiques : elles sont ouvertes à la presse, diffusées en direct sur un canal de télévision interne, puis consultables en vidéo sur le site internet de l’Assemblée nationale.
Avant de vous donner la parole, madame, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
Mme Brigitte Merle-Vignau prête serment.
Mme Brigitte Merle-Vignau, chargée de communication au Centre national des associations de fibromyalgiques en France (CeNAF). Créé en 2002, le CeNAF a regroupé jusqu’à huit associations œuvrant en région auprès de malades atteints de fibromyalgie. Le nombre d’associations a diminué parce que la pathologie commence à être connue et que les gens ont tendance à se tourner davantage vers internet, mais aussi parce que les responsables – qui sont aussi des malades – s’épuisent. C’est ainsi que l’une des cinq associations membres du centre vient de s’éteindre pour des raisons de fonctionnement interne.
Le CeNAF synthétise les informations les plus récentes sur le syndrome de fibromyalgie et agit tant auprès du corps médical, lors de congrès et autres colloques, que des pouvoirs publics au niveau national.
Quant aux associations, elles assurent un soutien de proximité à leurs adhérents, sous diverses formes : écoute via une permanence téléphonique ; conseils pour un mieux-être et un mieux-vivre ; diffusion d’informations par des revues internes ; organisation de réunions d’information et de conférences où sont conviés des médecins ; actions de terrain telles que l’information des personnes en recherche de diagnostic et la fourniture de contacts avec les intervenants médicaux et sociaux de leur région. Les propositions varient selon les régions.
Pour ma part, j’appartiens à l’Association des fibromyalgiques Sud Aquitaine (AFSA), qui couvre les Pyrénées-Atlantiques et les Landes. Nous organisons des rencontres mensuelles, appelées groupes d’échanges et de soutien. Les personnes, déjà diagnostiquées ou en recherche de diagnostic, peuvent y parler de leurs difficultés. Nous ne prétendons pas avoir des compétences psychologiques mais nous renseignons les personnes. L’association ne recommande pas de soignants, de médicaments ou de matériels même si les membres peuvent évidemment se transmettre ce type d’informations entre eux. L’AFSA assure une permanence téléphonique et elle organise des activités festives et des rencontres amicales. Nous avons aussi mis en place plusieurs cours de gymnastique et de yoga doux, c’est-à-dire adaptés aux personnes atteintes de fibromyalgie. Les enseignants de ces deux disciplines tiennent compte de nos possibilités pour nous proposer des exercices physiques.
Surtout, nous disons à chacun de nos adhérents que la personne la mieux placée pour l’aider est elle-même. Nous devons nous prendre en charge, ne pas nous laisser abattre par ce mal, ce qui est difficile : nous ressentons les douleurs mais notre entourage ne voit pas cette maladie sans nom qui est taxée de syndrome. Cet état de fait pose des problèmes d’ordre personnel, familial et parfois professionnel. Nous conseillons donc à nos adhérents de se prendre en charge et de se lancer dans une réadaptation à l’effort. Quand on est fibromyalgique, on a de moins en moins envie de bouger. Comme tout fait mal, on se replie sur soi et le moindre effort physique devient trop difficile. Il faut arriver à passer ce cap pour faire un réentraînement à l’effort.
Nous suggérons aussi à nos adhérents de faire des cures qui peuvent avoir un effet bénéfique sur certaines personnes. Les établissements thermaux, dans ma région notamment, ont mis au point un module spécifique pour les fibromyalgiques qui ne peuvent pas suivre une cure de vingt et un jours tellement cela les fatigue. On tient maintenant compte de leur état et on leur propose des cures adaptées mais qui ne seront prise en charge par la sécurité sociale que si leur indication est la rhumatologie.
Nous développons aussi une éducation thérapeutique du patient (ETP), qui peut d’ailleurs être mise en place par des établissements de cures thermales comme celui de Dax, qui le plus proche de l’AFSA. Les patients diagnostiqués doivent dépasser ce diagnostic, souvent posé au bout de plusieurs années d’errance médicale au cours desquelles ils se sont parfois entendu dire que leur mal était peut-être « dans leur tête ». C’est très dur à accepter. Il n’est pas rare que des personnes aient en même temps une fibromyalgie et une dépression. Souffrir à longueur de temps, ça use. On finit d’autant plus par être déprimé que l’entourage ne nous comprend pas, ne nous traite pas comme un malade mais nous donne des conseils du genre : remue-toi, mets-toi un peu de rouge à lèvres, sors !
Il faut arriver à accepter un changement de vie. Tout d’un coup, on ne peut plus faire ce qu’on faisait avant. On était très actif, on l’est beaucoup moins. Je ne vais pas vous décrire les symptômes mais la fatigue est un élément très important. Il est nécessaire de se reposer à plusieurs moments dans la journée. Tout cela varie évidemment selon les personnes, le degré d’atteinte, l’âge.
Les associations du CeNAF font un travail de fond depuis quinze ans, sans trop de médiatisation, car ce qui les intéresse est d’être au contact direct des malades pour les aider. Nous avons néanmoins cherché à dialoguer avec les intervenants médicaux et sociaux. À plusieurs reprises, nous avons fait des démarches auprès du ministère de la santé où nous avons été reçus et bien accueillis par M. Gilles Bignolas et son équipe. Pour ma part, j’y suis allée pour la dernière fois en juillet 2015. Nous sommes écoutés mais nous avons l’impression de ne pas être entendus.
Le CeNAF s’est doté d’un conseil scientifique composé de trois médecins : Francis Blotman, professeur de rhumatologie à l’université de Montpellier ; Philippe Ducamp, ostéopathe et traumatologue du sport, qui s’occupe en particulier des thermes de Dax ; Jean-Luc Poindessous, spécialisé en médecine physique et de réadaptation, chef du service de rééducation fonctionnelle de l’appareil locomoteur au groupement hospitalier intercommunal du Vexin. Ces médecins nous permettent de délivrer des informations médicales valides et d’éviter la dérive constatée sur internet où l’on trouve un peu de tout, pour ne pas dire que l’on frise parfois le charlatanisme. Il y a déjà quelques années, ce conseil scientifique nous a aidés à élaborer la brochure 100 questions sur la fibromyalgie qui en est à sa deuxième édition. Nous sommes en préparation d’un autre ouvrage qui contiendra des informations plus récentes sur la fibromyalgie et sur la mise en place des prises en charge qui apparaissent comme devant être pluridisciplinaires : cures, séances de kinésithérapie, réentraînement à l’effort, médicaments antidouleur.
Pour terminer, je signale que les associations adhèrent au Collectif interassociatif sur la santé (CISS) et que le CeNAF est membre de l’Association française de lutte anti-rhumatismale (AFLAR) et de l’Institut Analgesia.
M. Patrice Carvalho, rapporteur. Si je comprends bien, vous êtes également atteinte de la maladie.
Mme Brigitte Merle-Vignau. Depuis longtemps.
M. le rapporteur. Combien d’adhérents votre association compte-t-elle ?
Mme Brigitte Merle-Vignau. Le CeNAF a compté jusqu’à 800 adhérents et il en a maintenant aux alentours de 600, car certaines associations se tournent vers des structures plus médiatiques.
M. le rapporteur. Recevez-vous des subventions ?
Mme Brigitte Merle-Vignau. Absolument aucune, nous vivons des cotisations des membres. Pour l’AFSA, la cotisation est de 30 euros par mois, un niveau qui tient compte du fait que cette pathologie n’atteint pas forcément des gens très fortunés.
M. le rapporteur. Je ne comprends pas très bien les liens que vous avez avec les centres de cures thermales, dont vous êtes un peu le relais.
Mme Brigitte Merle-Vignau. Nous ne sommes pas les démarcheurs des centres de cures. Nous parlons des cures comme d’un mode de traitement qui n’intéresse d’ailleurs pas tout le monde. Pour ma part, je n’en ai pas fait parce que je ne me sens pas capable de recevoir ce genre de soins pendant trois semaines.
M. Arnaud Viala. Quelle est la préoccupation principale de votre association ? S’agit-il pour vous d’accompagner les malades dans le parcours difficile que vous décrivez vers la reconnaissance d’un état pathologique par la société ? Êtes-vous davantage préoccupés par l’aspect médical, l’évolution de la recherche, les traitements, les prises en charge ?
Observez-vous une évolution dans la prise en charge sociétale et médicale de ces troubles ? Considérez-vous, au contraire, que rien ne bouge ? Cette commission d’enquête a été constituée notamment pour que nous puissions évaluer les besoins et les attentes des malades.
Mme Brigitte Merle-Vignau. Si nous voulons être présents auprès des adhérents pour les aider au quotidien, nous n’avons jamais cessé non plus de faire des démarches auprès des services publics et du ministère de la santé afin que cette pathologie soit reconnue. Les malades ont besoin de savoir de quoi ils souffrent, que l’on mette un nom sur cette pathologie et que l’on cesse de dire que c’est un syndrome. Personne ne comprend ce qu’est un syndrome mais tout le monde pense savoir ce qu’est une maladie. En outre, les patients sont dans l’errance médicale – on parle même de nomadisme médical – avant de savoir de quoi ils souffrent. La reconnaissance est importante pour le patient, pour son entourage familial mais aussi professionnel. Dans notre association, nous avons eu des auxiliaires de vie ou des assistantes d’école maternelle dont le travail est physiquement difficile. Nous nous préoccupons bien entendu de la recherche : nous sommes à l’affût de ce qui pourrait déboucher sur une reconnaissance sociale et sur une amélioration de la vie du patient.
Avons-nous l’impression que ça bouge ? Oui, et la création de cette commission d’enquête nous semble en être une preuve. De son côté, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) a lancé une expertise. Pour nous qui œuvrons à l’AFSA depuis 1995 et au CeNAF depuis 2002, cela nous paraît long mais les autres en profiteront.
M. Renaud Gauquelin. Merci d’être venue d’assez loin, madame, pour nous apporter vos lumières.
Avez-vous le sentiment que la prise en charge en affection de longue durée (ALD) concerne un grand nombre de patients atteints de fibromyalgie, que ce soit sous l’aspect rhumatologique, neurologique ou d’un syndrome dépressif grave ? Quel est le pourcentage de vos adhérents en ALD ? Quand ils sont en ALD, au titre de quelle maladie le sont-ils, puisque la fibromyalgie n’est pas reconnue ?
Vous avez parlé de variantes douces de la gymnastique et du yoga, qui sont des alternatives intéressantes aux thérapies médicamenteuses. Vous avez peu évoqué les soins par des kinésithérapeutes spécialisés. Quel est votre avis sur ces kinésithérapeutes qui s’affirment spécialisés dans cette maladie ?
Vous avez évoqué la difficulté au quotidien engendrée sur le plan psychologique par ces douleurs chroniques, le jour et la nuit. Dans votre expérience, avez-vous eu affaire à des conduites suicidaires ?
Mme Brigitte Merle-Vignau. En ce qui concerne la prise en charge en ALD, je ne peux pas vous donner de pourcentage ni pour l’AFSA, qui compte environ quatre-vingts adhérents, ni pour le CeNAF, car nous ne tenons pas de statistiques. Nous ne sommes pas équipés pour ce faire, et ce n’est pas notre objet. Je ne peux donc vous parler que de cas particuliers. À ma connaissance, il y a eu une prise en charge en ALD pour dépression mais pas en rhumatologie et encore moins en fibromyalgie. L’indication de dépression est un moyen d’obtenir une ALD pour une personne qui n’en peut plus, qui a un travail extrêmement difficile. Ce n’est quand même pas satisfaisant, même si on est déprimé.
Existe-t-il des kinésithérapeutes spécialisés ? Il est probable que des kinésithérapeutes s’adaptent aux besoins de leurs patients. À l’AFSA, nous avons essayé de joindre les kinésithérapeutes, en supposant qu’il existait un ordre départemental pour cette profession, mais nous n’avons pas obtenu de réponse. Nous aurions précisément voulu nous entretenir avec eux de ce qui pouvait être fait. Nous avons aussi contacté l’ordre des médecins où il nous a été répondu que notre demande ne relevait pas de cette instance.
Dans mon entourage, je n’ai pas eu connaissance de conduites suicidaires. Moi-même je n’ai pas pensé à me suicider. On souffre. Dans les associations du CeNAF, nous essayons de trouver tout ce qui peut agrémenter notre vie, tout ce qui peut la rendre plus joyeuse malgré nos difficultés. Notre identité n’est pas d’être fibromyalgiques. Nous essayons de donner à nos adhérents l’envie, la force de se réadapter progressivement à l’effort, par exemple en faisant de petites promenades. Un temps, une adhérente avait organisé de petites promenades autour d’un lac, une fois par semaine. Quand nous nous rencontrons, nous essayons de donner un caractère joyeux à nos rencontres. À la fin d’un groupe d’entraide et de soutien, nous partagerons une galette des rois ou autre chose.
Au cours de ces groupes, ceux qui sont déjà diagnostiqués peuvent répondre aux questions des autres et dire ce qu’ils font dans telle ou telle situation. L’un des adhérents, parmi les plus anciens, remplit le rôle d’animateur en donnant la parole aux uns ou aux autres. Quitte à paraître sévère, je dirais que certaines personnes se complaisent dans la plainte. On essaie de les faire sortir de là parce que la plainte n’apporte rien. Il faut chercher le remède principalement en nous : on peut recourir aux traitements, mais il faut aussi cultiver la volonté de s’en sortir. Nous n’avons pas parlé des antidouleurs. Il y a des personnes qui prennent beaucoup de médicaments et d’autres qui n’en prennent pas.
M. le rapporteur. Depuis que j’ai proposé la création de cette commission d’enquête et que j’en suis devenu le rapporteur, des laboratoires pharmaceutiques et des centres de cures m’adressent des messages électroniques pour me vanter leurs mérites. Les associations sont-elles soumises au même lobbying, voire à des propositions de financements particuliers ?
Mme Brigitte Merle-Vignau. Nous ne recevons pas de propositions mirifiques de la part des centres de cures, ce qui est dommage parce que nous pourrions faire des actions de plus grande envergure. En revanche, l’AFSA, comme les autres associations, reçoit les publicités vantant les cures à Barbotan, à Dax ou aux Dômes. Il n’y a pas de tarifs pour les membres d’associations ou pour les fibromyalgiques. Comme je vous le disais précédemment, les modules d’éducation thérapeutique du patient sont comptés en sus des frais de cure.
M. le rapporteur. J’ai du mal à comprendre votre position par rapport à la qualification de syndrome. Est-on malade quand on est atteint de fibromyalgie ? Vous dites que vous ne voulez pas du statut de fibromyalgique, mais quand on est atteint de cécité on a un statut d’aveugle. Souhaitez-vous que la fibromyalgie soit reconnue comme maladie et qu’elle puisse justifier une prise en charge en ALD ? Le terme de syndrome est vague.
Mme Brigitte Merle-Vignau. À qui le dites-vous ! C’est vague. Un syndrome, personne ne sait ce que c’est. Une maladie, tout le monde comprend ce que c’est. Ce n’est pas plus compliqué que ça. Une maladie sera prise en charge mais pas forcément en ALD. Combien de personnes atteintes de fibromyalgie seront-elles prises en charge en ALD ? Je ne pense pas que cela touchera beaucoup de gens mais, dans certains cas, ce serait effectivement une solution.
M. le rapporteur. Vous en connaissez ?
Mme Brigitte Merle-Vignau. Non, puisqu’on ne peut pas être en ALD pour fibromyalgie. Comme je vous le disais précédemment, j’ai connaissance d’un cas d’ALD mais pour dépression sévère.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. En cas de reconnaissance de cette maladie, pourquoi n’y aurait-il que peu d’ALD pour cette indication ? Dans ce que l’on me rapporte, il y a des formes plus ou moins sévères de fibromyalgie. Autre caractéristique frappante : alors qu’elle est très souvent associée à d’autres maladies, la fibromyalgie est citée en premier par les patients, comme si elle prenait le dessus. On peut comprendre aussi que ce soit extrêmement compliqué pour le corps médical de valider une ALD pour ces différentes maladies qui peuvent ne pas entrer du tout dans ce cadre de prise en charge.
Mme Brigitte Merle-Vignau. Effectivement, la fibromyalgie peut se superposer à d’autres maladies. À ce moment-là, il n’y a pas de problème de prise en charge en ALD si ces autres pathologies le permettent.
Il faut savoir que la fibromyalgie se diagnostique par élimination. Les symptômes étant communs à de nombreuses maladies, il faut s’assurer qu’on n’a pas une polyarthrite rhumatoïde, une sclérose en plaques ou une myopathie. Deux de nos membres ont d’abord été cataloguées fibromyalgiques avant de faire l’objet d’un diagnostic différent : l’une est atteinte de myopathie et l’autre d’une sclérose en plaques. Au niveau du diagnostic, il faudrait déjà que les médecins soient plus avertis. Les deux cas que je vous citais remontent à plusieurs années et je pense qu’il est désormais possible d’affiner le diagnostic.
Pourquoi n’y aurait-il pas beaucoup de personnes en ALD pour fibromyalgie ? On rencontre un cas grave de temps en temps, mais les gens qui viennent aux groupes d’échanges et de soutien ne demandent pas à être en ALD. Ils demandent à être soulagés et à être reconnus en tant que malade. Pour prendre mon cas personnel, mon médecin ne croit pas du tout à cette affaire-là. Quand je lui rappelle que je suis fibromyalgique, il me répond : je ne l’oublie pas.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Pourtant, vous avez indiqué que certaines personnes éprouvaient une difficulté à travailler. De nombreux témoignages vont aussi dans ce sens. Quand ils sont atteints par cette maladie, les patients ont entre trente-cinq ans et cinquante ans, c’est-à-dire qu’ils ont l’âge de travailler. Une reconnaissance d’invalidité, donnant lieu au versement d’une allocation aux adultes handicapés (AAH), pourrait améliorer le quotidien de ces personnes. C’est pourquoi je ne comprends pas bien votre discours.
Mme Brigitte Merle-Vignau. Il est évident que la prise en charge en ALD apporterait une amélioration des conditions de vie des personnes les plus atteintes, qui en ont besoin. Cependant, tous les sujets atteints de fibromyalgie ne demandent pas cette prise en charge. C’est ce que je veux dire. Nous ne sommes pas en train de scander : ALD ! ALD ! Nous voulons nous en sortir, et la prise en charge en ALD serait une solution pour certains d’entre nous.
Mme Annie Le Houerou. Pour rester sur cette thématique de la vie professionnelle, ne serait-il pas possible d’envisager un aménagement du temps de travail dès que la maladie est diagnostiquée ? Les mi-temps ou temps partiels thérapeutiques sont actuellement attribués après une longue période d’absence alors qu’un aménagement du temps de travail pourrait permettre à la personne de poursuivre son activité professionnelle sans qu’il y ait eu d’arrêt dans la durée.
Mme Brigitte Merle-Vignau. C’est certainement une très bonne mesure mais qui peut la prononcer ? Le médecin du travail. À quel titre va-t-il prononcer cette mesure qui s’imposera ensuite à l’employeur puisque la fibromyalgie n’existe pas en tant que maladie ?
M. le rapporteur. Lors d’un rassemblement organisé à Paris par l’une des associations, j’ai vu beaucoup de gens se déplacer avec des cannes ou en fauteuil roulant. Si je leur dis d’aller faire du yoga pour aller mieux, ils vont me regarder d’un drôle d’œil. Dans votre association, vous avez peut-être des gens plus valides. Pour ma part, j’ai rencontré des personnes qui s’organisent en fonction du temps qu’il leur faut le matin pour arriver à « dérouiller » leur corps. Vous avez fait allusion à des médicaments. Connaissez-vous des médicaments qui soulagent et qui permettent de mieux vivre ?
Mme Brigitte Merle-Vignau. Si vous voulez des noms de médicament, je sais que certains prennent du Tramadol.
M. le rapporteur. Ce médicament n’est-il pas utilisé pour les anesthésies ?
Mme Brigitte Merle-Vignau. Je ne sais pas, parce que je ne le prends pas. C’est un antidouleur.
Quand vous parlez des gens en fauteuil roulant, vous devez faire allusion au rassemblement du 12 mai au cours duquel des personnes se sont rendues en grand nombre au ministère de la santé. Pour notre part, nous disons à nos adhérents : cette maladie n’est pas mortelle et elle ne mène généralement pas à une invalidité complète, mais il faut se remuer. Je ne nie pas qu’il puisse y avoir des gens en fauteuil roulant. Chez nous, heureusement, nous n’en avons pas. Peut-être n’avons-nous pas de gens assez malades ? Je ne sais pas.
M. le rapporteur. Vous nous avez parlé de personnes qui consomment des médicaments, de l’existence de charlatans qui pourraient préconiser des traitements sans effet. Lors de nos auditions, des médecins ont d’ailleurs critiqué l’automédication. C’est un peu compliqué de laisser les gens en déshérence. Vous avez beaucoup parlé des cures thermales mais pas des centres antidouleur où des médecins pourraient soulager les gens, notamment par le biais de médicaments.
Mme Brigitte Merle-Vignau. J’ai parlé des cures comme j’ai parlé du reste, me semble-t-il. Quelques personnes sont allées dans des centres antidouleur, qui sont débordés et qui ne donnent un rendez-vous qu’après un délai extrêmement long.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Avez-vous une vision nationale, si je puis dire, du traitement des dossiers et de la prise en charge des personnes par les caisses primaires d’assurance maladie ou les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) ? On nous a souvent rapporté que les décisions, par exemple d’accorder ou non une AAH, variaient en fonction des régions et des départements.
Mme Brigitte Merle-Vignau. Je ne peux pas vous dresser un état de lieux puisque nous n’en faisons pas, mais nos adhérents nous apportent des témoignages lors de nos réunions. D’un témoignage à l’autre, nous avons pu constater une disparité de traitement sur le territoire, que nous avions d’ailleurs signalée au ministère. C’est inique. On m’a expliqué que chaque caisse était autonome et libre de ses décisions, ce qui explique qu’un dossier refusé ici sera accepté là. Lorsque nous lui avions dénoncé cette situation, le ministère nous avait expliqué que ce n’était pas de son ressort. Or cela mériterait d’être corrigé, et pour toutes les pathologies parce que j’imagine que la fibromyalgie n’est pas la seule concernée. Il nous paraît anormal qu’en France, les gens ne soient pas tous traités de la même manière par les caisses de sécurité sociale et que celles-ci agissent selon leur bon vouloir ou leurs capacités. Toutes les caisses ne sont peut-être pas dotées de la même façon. Je n’en sais rien.
Mme Annie Le Houerou. Certains adhérents vous indiquent-ils que des médecines alternatives, comme l’acupuncture ou l’homéopathie, pourraient soulager mais ne sont pas remboursées par la sécurité sociale ? Avez-vous des demandes de remboursement de ce type de soins dans vos associations ?
Mme Brigitte Merle-Vignau. Les personnes se font soigner de diverses manières. Pour nous, tout ce qui apporte un soulagement aux maux dont souffre le fibromyalgique est bon à prendre. Cela étant, nous mettons aussi en garde nos adhérents contre les régimes et autres traitements miracles dont internet et la presse généraliste se font régulièrement l’écho. Nous n’avons pas eu de demande particulière sur la prise en charge de traitements par acupuncture. Quant à l’homéopathie, elle est prise en charge comme l’allopathie.
M. le rapporteur. Avez-vous des données sur le temps nécessaire pour qu’une personne finisse par obtenir un diagnostic de fibromyalgie ?
Mme Brigitte Merle-Vignau. Comme je vous l’ai dit, nous n’avons pas de données statistiques et nous n’avons jamais cherché à en établir puisque nous ne sommes pas équipés pour ce faire. En revanche, nous entendons ce que disent les uns et les autres. Il y a vingt ou trente ans, la personne pouvait mettre dix ans à obtenir ce diagnostic. Actuellement, cela peut prendre encore trois, quatre ou cinq ans. Tout dépend du médecin auquel on s’adresse, qui peut être plus ou moins averti. Il peut écouter ou se dire que, décidément, cette pauvre patiente est tout le temps en train de se plaindre. Il y a des médecins qui ne sont pas du tout réceptifs, vraisemblablement parce qu’ils n’ont pas été formés au diagnostic de cette maladie. Ça peut durer longtemps, de radios de ceci et de cela en visites chez le rhumatologue ou chez d’autres spécialistes. Ça se terminait souvent par l’incitation à aller voir un psychologue pour dénouer le problème. C’est vrai que ça aide d’aller voir un psychologue, mais ça ne fait pas tout.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Ce que vous décrivez, nous l’avons beaucoup entendu lors de nos auditions ou lu dans des témoignages. Nous avons auditionné des médecins très à la pointe, qui travaillent notamment dans des centres antidouleur, et ils nous ont fourni un questionnaire tout simple qui permettrait au médecin généraliste de dépister la fibromyalgie en quelques minutes, ce qui éviterait bien des errances au malade et bien des dépenses inutiles à la société. Avez-vous entendu parler de ce questionnaire ? Est-ce que vous pourriez éventuellement populariser la méthode par le biais de vos adhérents, voire auprès des ordres dans les départements ?
Mme Brigitte Merle-Vignau. Je n’ai pas connaissance de ce questionnaire. Les médecins avaient déjà été avertis par un rapport de la Haute autorité de santé (HAS), il y a quelques années. On dirait que seuls les fibromyalgiques l’ont lu. Je me doute que les médecins reçoivent énormément de publications et qu’ils ne peuvent pas tout savoir. Mais ce rapport de la HAS donnait déjà des indications pour déceler la fibromyalgie.
Ce serait une très bonne chose de distribuer ce questionnaire à nos soignants. Quand nous avons une information validée scientifiquement, nous la transmettons à nos adhérents pour qu’ils la communiquent à leur médecin ou à leur kinésithérapeute. Nous leur suggérons de demander à leur médecin l’autorisation de mettre une affichette dans la salle d’attente. Nous pouvons divulguer et diffuser, mais ce n’est pas à nous d’assurer la formation continue des médecins.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Telle n’était pas mon idée. Le monde associatif joue un rôle important dans la défense de ses adhérents et ses propositions peuvent être écoutées, notamment quand il s’agit d’associations comme la vôtre qui disposent d’un collège scientifique, gage de crédibilité. Il peut sembler cohérent que les associations travaillent avec les ordres dans les départements.
Mme Brigitte Merle-Vignau. Comme je vous le disais précédemment, nous avons eu une fin de non-recevoir de l’ordre des médecins des Pyrénées-Atlantiques, et nous n’avons pas eu de réponse de la part de l’instance des kinésithérapeutes qui ne fonctionne pas exactement comme un ordre. Nous avons essayé et nous pouvons recommencer.
M. le rapporteur. La situation n’est pas sans lien avec les déserts médicaux. Les médecins généralistes sont peu nombreux et, par définition, ce ne sont pas des spécialistes de la fibromyalgie. Cette maladie n’est d’ailleurs pas reconnue, d’où la création de cette commission d’enquête. Avant que l’on nous montre ce fameux questionnaire, lors d’une audition, je pensais qu’il n’y avait pas d’outil de diagnostic. Je trouve un peu bizarre que les médecins n’aient pas lancé une campagne de diffusion de cette information.
En l’absence de base concrète, le médecin est tenté de multiplier les analyses et radios en tout genre puisque cette maladie se déplace dans l’organisme. Ces examens sont coûteux et inutiles : cela revient un peu à faire passer une radio de la tête à quelqu’un qui s’est foulé la cheville. Compte tenu des liens que vous avez avec les médecins, il faudrait qu’ils trouvent des pistes plus faciles.
Mme Brigitte Merle-Vignau. Les liens que nous avons avec les médecins sont ceux que nous avons avec nos médecins. Comme nous n’avons pas de moyens de toucher l’ordre, chacun parle avec son soignant, médecin ou kinésithérapeute. Les patients discutent davantage avec leur médecin que par le passé, parce qu’ils s’informent aussi sur internet, mais il est difficile d’aller expliquer à son thérapeute ce qu’est la fibromyalgie. La brochure 100 questions sur la fibromyalgie a été remise à tous nos médecins qui nous ont promis de la regarder. Que vous dire d’autre ? L’errance médicale est peut-être due à un manque de formation des médecins.
Mme Annie Le Houerou. Votre association est-elle représentée dans la plupart des régions ?
Mme Brigitte Merle-Vignau. Le CeNAF est présent en Alsace, en Auvergne, dans le Centre et en Sud Aquitaine. Nous avons perdu récemment notre association de la zone Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon.
M. le rapporteur. Vous n’êtes pas présents en Île-de-France ?
Mme Brigitte Merle-Vignau. Savez-vous ce qu’il faut pour qu’il y ait une association ? La volonté de quelqu’un d’en créer une. Cela ne se trouve pas partout. Le problème – voyez que je ne suis pas toute jeune – est qu’on s’essouffle. Les gens sont très contents d’adhérer à une association quand elle existe, mais ils n’ont pas forcément envie de prendre la relève.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Nous vous remercions, madame, d’être venue apporter votre témoignage, d’autant plus dans les conditions de maladie dont vous nous avez parlé.
Outre un besoin d’écoute et de reconnaissance, votre audition a fait ressortir une certaine coupure entre les malades et le monde médical. Il est important pour nous d’entendre aussi ce discours. Jusqu’à présent, nous n’avons auditionné que le corps médical, c’est-à-dire différents spécialistes de la maladie. Le dialogue avec les associations nous fait entrevoir l’autre côté de la barrière.
Puis la commission entend Mme Carole Robert, présidente de l’association Fibromyalgie France.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Nous accueillons maintenant Mme Carole Robert, présidente de l’association Fibromyalgie France.
Je vous indique que les auditions de la commission d’enquête sont ouvertes à la presse et retransmises en direct sur le site internet de l’Assemblée nationale.
J’ajoute, avant de vous céder la parole, que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(Mme Carole Robert prête serment).
Mme Carole Robert, présidente de l’association Fibromyalgie France. Permettez-moi de me présenter : j’ai soixante-cinq ans et je souffre de douleurs et de fatigue chronique depuis l’adolescence ; diagnostiquée fibromyalgique en 1998 après des décennies d’errance diagnostique, je suis engagée depuis dans ce combat associatif. Souffrant d’autres pathologies entraînant des troubles cognitifs, je vous remercie de comprendre que je lise ce texte devant vous.
Fibromyalgie France est une association de type loi de 1901 créée en 2001 et agréée depuis 2007 au niveau national par le ministère de la santé. C’est sur la base de ces quinze années d’expertise et d’actions menées, dans une démarche non partisane, afin de préserver neutralité et indépendance vis-à-vis des autorités de santé comme du corps médical, que, présidente de cette structure, j’interviendrai au nom de notre équipe de bénévoles, et que je répondrai aux questions de votre commission.
En 1998, lors de notre premier investissement, qui s’effectuait initialement au niveau régional, le diagnostic de fibromyalgie représentait un couperet : « Voilà, vous avez une fibromyalgie, nous ne savons pas ce que c’est, nous n’avons pas de traitement et nous ne savons pas quoi faire pour vous. Essayez d’être bien entouré, vous en aurez besoin ! ». Le déni de nos troubles était médical, social, politique.
Dix-huit ans plus tard, nous constatons, au niveau global, en tant qu’association, un changement certain, même s’il est peu perceptible pour les malades – souvent parce que l’information ne leur parvient pas, faute de moyens adéquats, notamment financiers, pour permettre une diffusion, en direction du grand public comme des différents acteurs, d’informations justes, fondées sur des sources scientifiques fiables et rassemblées par une démarche d’action constructive.
Tout au long de mon intervention, je m’efforcerai de refléter fidèlement la compréhension de la situation des personnes atteintes de fibromyalgie, qui, si elle est complexe, n’est pas toujours ou pas systématiquement liée à l’absence d’écoute et d’adaptation des soins, ou encore à la volonté de ne pas aider ces malades que l’on dit si particuliers.
Si nous souhaitions que l’expertise de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), que nous avions demandée depuis une dizaine d’années, soit publiée avant toute autre initiative publique, afin de disposer de recommandations, nous pensons néanmoins que cette commission d’enquête parlementaire permettra in fine de décrire la réalité actuelle de la vie en France avec une fibromyalgie.
Classée en rhumatologie, cette maladie concerne à 90 % des femmes. On peut toutefois penser que les chiffres d’hommes atteints sont quelque peu sous-estimés, pour des raisons socio-culturelles – les médecins pensent qu’il s’agit d’une pathologie exclusivement féminine, l’homme en parle tardivement, etc.
Quant à la fibromyalgie chez l’enfant, elle serait estimée à 6 % de la population des moins de quinze ans, ce pourcentage étant probablement également sous-estimé car leur recensement est compliqué. Ceci mérite débat et les conclusions de l’expertise de l’INSERM pourront sans aucun doute apporter un éclairage scientifique.
Maladie de la douleur chronique, la fibromyalgie envahit le corps et l’esprit. C’est une prison sans murs, mais dont on ne s’échappe pas. Elle isole, et il est difficile, de l’extérieur, de s’imaginer ce que cela représente. Autant, dans l’imaginaire des personnes, il est assez aisé de comprendre la souffrance d’un migraineux ou d’un lombalgique, autant se mettre à la place d’un malade qui a des douleurs dans tout le corps, des douleurs qui se déplacent dans l’espace et dans le temps et, qui plus est, changent d’intensité, est inimaginable. Surtout s’il paraît avoir bonne mine… Cela semble impossible, exagéré, voire inventé !
Mais nous plaindrions-nous de douleurs imaginaires pendant des décennies, sachant que nous n’en retirons aucun avantage social et que cet état douloureux chronique nous enferme dans un évitement de tout – activités physiques ou intellectuelles, fêtes, activités sociales, voire familiales, car tout cela crée du bruit, du stress, de la fatigue ?
Nous ne mourons pas, certes, mais nous ne vivons pas non plus.
Longtemps nous avons été, sans aucun doute, les parents pauvres de la médecine et nos espoirs n’ont commencé à se concrétiser que lorsque la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades a reconnu le soulagement de la douleur comme un droit fondamental.
Comme vous le savez, la fibromyalgie est reconnue au niveau mondial par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) depuis 1992, cette reconnaissance ayant été suivie au niveau européen par l’adoption d’une résolution du Parlement européen action à laquelle nous avons activement participé, puisque nous avons été auditionnés à Bruxelles en tant que représentants de 14 millions de fibromyalgiques.
Au niveau national, en 2007, un rapport d’experts de l’Académie nationale de médecine, a présenté des recommandations qui, il faut bien le constater, n’ont pas été – comment dire ? – spontanément suivies d’effet.
Plus tard, en 2010, nous avons été relecteurs du rapport d’experts de la Haute Autorité de Santé (HAS) sur la fibromyalgie de l’adulte et avons pu largement faire part de nos remarques à l’équipe de cette agence indépendante. Il est à noter que nous avions demandé que la partie concernant la fibromyalgie de l’enfant soit retirée du rapport. En effet, le paragraphe qui lui était consacré était trop succinct, réducteur et enfermant. Nous avons souhaité alors que la fibromyalgie de l’enfant fasse l’objet d’une future expertise collective de l’INSERM, ce qui est donc le cas.
Le rapport de la HAS a marqué un tournant indéniable dans les relations que nous pouvions avoir avec le corps médical et les institutions, alors que, dans le même temps, la fibromyalgie, maladie non rare, était incluse dans le Plan douleur et le Plan qualité de vie des personnes atteintes de maladies chroniques.
Si actuellement le diagnostic est posé de plus en plus précocement, cela n’entraîne pas malheureusement toujours une prise en charge précoce adaptée. D’ailleurs, même dans ce cas, il faut compter avec les échecs thérapeutiques, qui sont fréquents – ce qui est déroutant car, finalement, c’est la fibromyalgie qui résiste au traitement !
On se trouve alors dans une configuration complexe : le corps médical qui dispose d’une pharmacopée traditionnelle de prise en charge de la douleur, des patients à qui l’on dit qu’il n’y a pas de médicaments disposant d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) pour la fibromyalgie, des patients qui résistent aux traitements usuels proposés par des professionnels de santé impuissants à les aider. On tourne en rond et la frustration réciproque grandit !
En outre, on doit mettre l’accent sur le fait que les soins de proximité sont à privilégier, en raison de la perte directe du bénéfice du soin dès lors qu’il y a déplacement. Autrement dit, il y a les chanceux – relativement – qui peuvent disposer dans leur environnement de soins et de soutien, qu’il soit médical ou social, et d’autres moins chanceux qui vont abandonner les soins et s’isoler.
De plus, le malade fibromyalgique connaît souvent très mal ses droits, notamment concernant le handicap, la reconnaissance en qualité de travailleur handicapé (RQTH) et l’invalidité. Il doit atteindre un état de sédentarité important pour les faire valoir. Ceci est injuste ! Il faut insister sur cette méconnaissance par les malades de leurs droits mais aussi des aides qui peuvent leur être proposées.
La méconnaissance des conséquences de la fibromyalgie sur la vie familiale, sociale et professionnelle, ainsi que la perte d’autonomie et de qualité de vie qu’elle entraîne, sont aussi à l’origine de ce regard négatif sur ce handicap dit « invisible ».
Il est alors aisé de s’imaginer les difficultés des malades pour se maintenir dans l’emploi ! Il n’est pas étonnant que, d’après notre enquête, 60 % des fibromyalgiques interrogés craignent de perdre leur emploi dans les deux ans en raison de leur état de santé.
S’ajoute une difficulté supplémentaire : trop de médecins ne sont toujours pas persuadés de l’existence de ce syndrome pourtant bien réel. Ce sont les « fibrosceptiques », moins nombreux depuis la publication du rapport de la HAS, mais dont les propos dévastateurs peuvent avoir des conséquences dramatiques. Malgré les différents rapports d’experts, ils n’y croient pas et disent : « Vous avez une fibromyalgie, moi je n’y crois pas, débrouillez-vous avec ! » Ces professionnels du médical ou du social existeront toujours, même lorsque l’on aura trouvé le marqueur parfait et pu évaluer sur des dizaines de milliers de malades la sévérité de la fibromyalgie. Ils manquent d’empathie et de compassion – cette vertu par laquelle un individu est porté à percevoir ou ressentir la souffrance d’autrui et poussé à y remédier. Ils ajoutent de la souffrance morale à la douleur physique.
Depuis 1998, de nombreuses associations, devenues expertes de leur maladie, que ce soit au niveau national, régional ou départemental, ont largement contribué, à des niveaux différents, à améliorer la connaissance par les malades fibromyalgiques de leur pathologie.
La prise en charge de la fibromyalgie devrait être inscrite dans le cadre d’un parcours de soins, voire d’un parcours de vie, et être coordonnée au sein d’une équipe de soins de proximité ; ce serait la garantie d’une santé améliorée : un tel système permettrait la préservation de la qualité de vie et d’autonomie de ces malades chroniques. L’inscription de la douleur dans la récente loi Santé de janvier 2016 devrait représenter un espoir en ce sens.
De plus, pour aider les malades à conserver une certaine dynamique, il est primordial de veiller à leur donner les informations justes, de leur apporter de l’espoir fondé sur une réalité, et de ne pas les entraîner dans un scepticisme néfaste.
Mais vous savez très bien, mesdames et messieurs les députés, que seul un travail de fond et de longue haleine, moins valorisant en apparence, peut jeter les racines d’un changement progressif pour toutes et pour tous. C’est dans cette perspective que nous agissons.
À titre personnel, j’ajouterai qu’après quinze ans de ce combat, convaincue de la réalité et de la sévérité de nos troubles, je me permets de dire qu’un jour on nous demandera pardon.
M. Patrice Carvalho, rapporteur. Combien d’adhérents compte votre association ?
Mme Carole Robert. Environ 870 – nous en perdons tous les ans, car les gens préfèrent aujourd’hui aller sur internet et rejoindre des structures qui ne coûtent rien…
M. le rapporteur. Quelles sont vos sources de financement ? Recevez-vous des subventions ?
Mme Carole Robert. Non, nous ne recevons aucune subvention ; nous vivons grâce au montant des adhésions et des dons. Nous ne recevons pas non plus de subvention des laboratoires – ils ne sont guère intéressés par une maladie pour laquelle aucun médicament ne dispose d’AMM. En 2015, nous avons reçu d’un laboratoire un don exceptionnel de 1 000 euros, mais seulement parce que nous avions élargi notre champ d’intervention à la douleur chronique.
J’ajoute que les laboratoires sont tenus de déclarer à la HAS une somme forfaitaire d’environ 60 euros par personne lorsque les membres d’associations participent aux formations proposées par les laboratoires : ce n’est pas de l’argent que nous touchons.
M. le rapporteur. Vous vous êtes montrée dure, dans la presse, avec notre commission d’enquête, estimant qu’elle venait « soit trop tôt, soit trop tard ». Pourtant, ce n’est pas la première commission d’enquête consacrée à une maladie… Nous voulons nous faire les porte-parole des citoyens qui font appel à nous.
Mme Carole Robert. Nous n’avons jamais dit que nous étions contre cette commission d’enquête ! Nous avons été contrariés par le calendrier : nous aurions préféré qu’elle vienne après l’expertise tant attendue de l’INSERM, qui fera des recommandations.
Nous avons choisi la forme de la lettre ouverte, que nous avons envoyée à l’Agence France-Presse (AFP), pour vous alerter rapidement, car nous avions peur que nos courriers ne soient noyés dans les centaines que vous devez recevoir. Par la suite, les médias nous ont contactés car ils nous connaissent bien.
Les termes de la résolution nous paraissent par ailleurs assez éloignés des revendications dont nous pouvons faire état.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Je n’ai pas suivi cette polémique, je l’avoue, mais notre commission ne part d’aucune idée toute faite ! Nous entendons des acteurs très divers. Pour ma part, c’est depuis que je suis députée que j’ai entendu parler de la fibromyalgie ; j’ai été sensibilisée à ce problème par une association.
Vous ne devez pas être effrayée du parallélisme avec les travaux de l’INSERM ; notre commission espère faire des propositions qui pourront être intégrées au projet de loi de financement de la sécurité sociale, discuté à l’automne, et c’est pourquoi nous rendrons nos travaux au mois de septembre. Si d’autres travaux sont publiés en même temps, tant mieux !
Mme Carole Robert. J’ai précisé qu’in fine cette commission d’enquête permettrait d’établir un état des lieux et de clarifier certains points. Nous avons suivi de près vos travaux et nous avons eu le temps de réfléchir.
Malgré les avancées, qui sont réelles depuis quinze ans ; nous avons l’impression que l’information n’arrive pas, nulle part.
M. Jean-Pierre Decool. Madame Carole Robert, vous menez votre action dans la durée ; mais il y a longtemps aussi que des parlementaires se sont penchés sur ce problème. Nous avons fait de petits pas. Je me réjouis pour ma part de la création de cette commission d’enquête, qui pose cette fois la question avec force.
Vous remuez ciel et terre depuis longtemps, et peu d’avancées ont été réalisées, quels que soient les gouvernements en place.
Mme Carole Robert. Je ne dirais pas cela.
M. Jean-Pierre Decool. Notre pays ne semble en tout cas pas voir la fibromyalgie comme les autres pays du monde. À quoi attribuez-vous cette cécité française ? Sommes-nous trop cartésiens ? J’ai été, vous le savez, plutôt fibrosceptique dans un premier temps, mais j’ai été très touché – et convaincu – par le témoignage du médecin de Bernard Thévenet. Quand, dans un pays, 2 millions de personnes présentent les mêmes symptômes, on ne peut plus penser qu’il ne se passe rien !
Y a-t-il là un problème de formation des médecins, un problème de génération ? Faut-il mettre en place une formation continue consacrée spécifiquement à ce que je considère comme une maladie ?
Il faudrait sans doute harmoniser la façon dont la maladie est reconnue par les différentes caisses primaires d’assurance maladie (CPAM).
Mme Carole Robert. Le déni est social, médical, général. Nous avons l’impression qu’on nous refuse le droit d’exister. Quand quelqu’un souffre de troubles obsessionnels compulsifs (TOC), on l’envoie chez un psychiatre, on s’occupe de lui – on ne lui dit pas de se débrouiller avec ses problèmes ! Nous, nous sommes classés en rhumatologie, mais on nous dit que tout est dans la tête – et on ne sait pas nous soulager.
Nous ne nous expliquons absolument pas cette omerta. Lorsque, avec M. Serge Perrot et M. Bruno Halioua, j’ai écrit le livre La fibromyalgie. Une si longue route, M. Halioua, qui écrit beaucoup sur l’histoire de la médecine, m’avait dit qu’il n’avait jamais rencontré de maladie qui entraîne un tel rejet du patient, une telle volonté de ne pas entendre les troubles. Sans doute le fait que les fibromyalgiques soient des femmes à 90 % n’aide-t-il pas…
Il y a pléthore d’articles de presse sur la fibromyalgie, et malgré tout les gens ont l’impression que l’on n’en parle pas.
Quelqu’un qui a mal, partout, tout le temps, qui s’enferme, qui n’a plus l’énergie de s’occuper de ses enfants, est traité comme s’il prenait un prétexte pour ne rien faire. Cette maladie est extrêmement invalidante, mais nous n’arrivons pas à en faire la preuve de façon objective : « Moi aussi, j’ai mal », nous disent les gens. Nous sommes dans l’inimaginable : comment une personne peut-elle vivre avec des douleurs continues, une fatigue chronique, un sommeil non réparateur ? Comment peut-on ne pas tenir debout pendant une demi-heure, comment peut-on arriver au travail en étant déjà fatigué ? Il y a de plus des troubles cognitifs associés : on écrit un texte très approfondi, de façon très compétente, mais d’un coup on ne sait plus si l’on est lundi ou mardi… Et les médicaments aggravent les troubles.
Il est aisé, si l’on se plaint à son médecin d’avoir mal un jour ici, le lendemain là, et le troisième de mal dormir, de penser à un trouble psychique. Mais même si c’était le cas, pourquoi ne s’occupe-t-on pas de nous ? Pourquoi ce rejet ?
Et puis il ne faut pas être trop souriante, trop maquillée, avoir trop bonne mine : on perdrait toute crédibilité. Mais si l’on a l’air misérable, on est encore moins crédible… On ne fait jamais ce qu’il faut !
Mme Annie Le Houerou. Quelles sont précisément les revendications de votre association, sur la reconnaissance de la maladie ou la formation des médecins par exemple ? Demandez-vous une prise en charge spécifique – par l’ostéopathie, l’acupuncture, les cures thermales…?
La prise en charge par les CPAM est-elle homogène sur l’ensemble du territoire ?
Mme Carole Robert. Nous avions exprimé nos demandes en 2001, dans un rapport adressé à M. Bernard Kouchner, alors ministre de la santé. À cette époque, nous étions vraiment maltraités.
Depuis, nous avons appris qu’il fallait donner du temps au temps en construisant des partenariats, notamment avec le corps médical. Peu à peu, nous sommes arrivés à participer à la formation des médecins – je suis moi-même intervenue à deux reprises en sixième année, et j’interviens régulièrement dans le diplôme universitaire « Douleurs aiguës et chroniques » qui accueille des médecins, mais aussi d’autres professionnels de santé, pharmaciens par exemple. Les médecins que nous touchons de cette façon répercutent notre parole.
Nous participons à des congrès et à la réalisation d’enquêtes, notamment avec la Société française d’étude et traitement de la douleur (SFETD).
C’est un travail de fourmi que nous avons dû mener. Après le rapport d’orientation de la HAS, nous avons pu dire que nous existions, que nous avions des idées et que nous voulions les faire connaître.
Je souligne que le premier centre de rééducation fonctionnelle dédié à la douleur chronique ouvrira en 2018, à la suite d’un travail mené avec notre association en 2010. Ce centre appuiera cette prise en charge spécifique sur un projet structuré d’éducation thérapeutique du patient (ETP) et d’une prise en charge non médicamenteuse.
M. Gilles Lurton. Vous parliez d’avancées. Quelles sont-elles ?
Mme Carole Robert. En 2001, lors de la création de l’association, nous avons été reçus partout – à la présidence du Sénat, au ministère de la santé, à la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM)… Nous avons mis quelques mois à comprendre que c’était le signe que cette maladie était inconnue, et l’intérêt que nous suscitions venait du fait que nous apportions des informations nouvelles. Plus tard, ce fut plus compliqué ; en 2003, notre rapport à M. Bernard Kouchner n’a pas été suivi d’effet.
Au total, nous avons été reçus dix-huit fois dans les ministères.
La situation a changé, mais ce n’est pas une question de couleur politique du Gouvernement : nous avons eu simplement la chance de frapper aux bonnes portes. Nous avons trouvé des interlocuteurs qui écoutent, qui comprennent, et qui ont validé notre demande d’expertise collective.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Vos interlocuteurs sont des fonctionnaires du ministère de la santé.
Mme Carole Robert. Oui.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Nous entendons fréquemment parler d’une certaine injustice territoriale : les caisses primaires et les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) ne semblent pas traiter la fibromyalgie de la même façon dans tous les départements. Avez-vous une vision d’ensemble de ce problème ?
Mme Carole Robert. Votre question porte, je crois, à la fois sur les médicaments, le handicap et l’invalidité.
Concernant la prise en charge des traitements par la sécurité sociale, la règle est la même pour tous les assurés en France. Ainsi un fibromyalgique ne devrait pas se voir refuser des soins de kinésithérapie, des cures thermales, ou une rééducation fonctionnelle à l’effort… Toutefois, comme pour tous les autres malades en France, ces soins ne sont pris en charge à 100 % que si le malade relève d’une affection de longue durée (ALD).
Sont exclus, comme pour toute autre pathologie, les soins non médicamenteux non remboursés. Depuis peu, certains soins non remboursés peuvent néanmoins faire l’objet d’une prise en charge forfaitaire par certaines mutuelles, selon des critères qui leur sont propres. Nous ne disposons pas, en un temps de préparation si restreint, de précisions quant à la prise en charge par les assurances complémentaires de la fibromyalgie. Nous savons toutefois que les forfaits proposés sont de courte durée, alors qu’il s’agit d’une maladie chronique rebelle aux traitements et qui nécessite des soins prolongés.
En vue de cette audition, nous avons réalisé un sondage rapide au cours des quinze derniers jours : nous avons reçu soixante-dix réponses, qui font état de refus portant essentiellement sur des soins non médicamenteux – hypnose, yoga, sophrologie, phytothérapie, naturopathie… – qui ne sont pas pris en charge par la sécurité sociale.
S’agissant du handicap et de l’invalidité, nous ne disposons pas de statistiques suffisamment élaborées et fiables pour répondre avec justesse à la question de l’égalité des chances d’une région à l’autre pour les fibromyalgiques. Pour mener une telle étude, il faudrait probablement recueillir la réponse d’un même nombre de malades par département et s’assurer de la validité du diagnostic, ce qui serait difficile. Une étude de grande envergure devrait respecter des règles non contestables. Peut-être peut-on imaginer que le futur rapport de l’INSERM apportera des réponses fiables à cette question récurrente.
En ce qui concerne plus particulièrement la reconnaissance du handicap, le directeur général de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) avait été saisi avant 2009 par le ministère de la santé : il devait établir un guide destiné aux MDPH, afin que la prise en charge des formes les plus invalidantes soit la même sur l’ensemble du territoire. Nous fondions beaucoup d’espoir sur cette démarche. Malheureusement, ce guide n’a pas été produit, aux motifs que « la situation de handicap ne conduit pas systématiquement à une compensation et s’examine sur les conséquences des altérations de fonction d’une personne donnée dans un environnement donné, ce qui varie d’un patient à un autre avec une même maladie ».
En 2013, une équipe de chercheurs de l’INSERM, mandatés par la CNSA, a fait appel à notre expertise en vue de construire un outil d’information sur le handicap. Les points de vue auraient dû être collectés auprès des médecins experts et professionnels du handicap. Ce travail aurait permis d’évaluer les problèmes rencontrés par les fibromyalgiques sous forme d’une liste de difficultés, qui préciserait leur sévérité et leur fréquence. Cet outil était également destiné aux médecins experts.
Nous ne savons pas où en est cet outil, et nous le regrettons. Nous y avons travaillé, et il serait vraiment utile. Il est urgent de construire un référentiel destiné aux médecins experts ; c’est une demande légitime de la part des malades fibromyalgiques les plus atteints. À l’évidence, il serait utile d’achever ce travail d’experts commencé en 2013, qui permettrait en outre aux malades de faire reconnaître leur handicap pour obtenir le statut de travailleur handicapé et bénéficier d’aménagement de postes pour se maintenir dans l’emploi.
M. Arnaud Viala. Vous avez appris la patience, disiez-vous. Qu’attendez-vous concrètement de cette commission d’enquête ?
Mme Carole Robert. Ce n’est pas une question facile. Je parle souvent de justesse. Beaucoup d’informations qui arrivent aux fibromyalgiques ne reflètent pas la réalité. Ces malades qui vont si mal, qui sont rejetés, méritent de recevoir une information adaptée, juste.
L’exemple du 100 % est révélateur. Les malades que nous avons au téléphone commencent toujours par nous dire qu’ils veulent être pris en charge à 100 %. Mais je leur réponds : « Etes-vous coûteux ? Faites-vous une avance de plus de vingt euros ? » Si ce n’est pas le cas, et le plus souvent ce n’est pas le cas, alors ils ne peuvent pas obtenir cette fameuse prise en charge à 100 %. Au cours des quinze derniers jours, nous avons fait une enquête rapide : beaucoup de patients pensent que le 100 % permet un remboursement de tous les soins – kinésithérapie, cures thermales, sophrologie, massages... Mais non ! Être remboursé à 100 %, cela ne veut pas dire que l’on ne paiera plus rien.
Les fibromyalgiques s’épuisent pourtant à demander cette prise en charge, qui leur paraît apporter une reconnaissance de la maladie. Mais cela n’entraînera pas une reconnaissance du handicap ou de l’invalidité. C’est là un vrai problème d’information. Si certains malades pensent que ne pas être pris en charge à 100 % veut dire qu’ils ne sont pas reconnus comme malades, qu’ils n’ont droit à rien, alors c’est dramatique. Il faut leur dire la vérité.
C’est vrai aussi avec les médicaments. Les médecins sont pressés, et oublient toujours de dire qu’un antidépresseur à toute petite dose agit sur la douleur, et que c’est pour cela que l’on en prescrit aux fibromyalgiques. Comme cela n’est pas expliqué, les gens pensent qu’on les croit fous… Là encore, il y a un besoin d’information juste.
Tout le monde peut faire des erreurs, moi la première ! Je comprends que cette commission d’enquête nous permettra, in fine, d’établir un état des lieux et de décrire la réalité telle qu’elle est aujourd’hui.
Présidence de Mme Annie Le Houerou.
M. Gilles Lurton. Je ne comprends pas le lien entre le fait d’être un malade « coûteux » et la prise en charge à 100 % – celle-ci est liée, me semble-t-il, à un état pathologique, et non au coût des médicaments.
Mme Carole Robert. Une circulaire du 8 octobre 2009 établit différents critères pour la prise en charge au titre d’une ALD : la pathologie doit être grave et évolutive, mais les soins doivent également être particulièrement coûteux. Ces critères sont sévères. La fibromyalgie rentre rarement dans ce cadre.
De plus, il y a beaucoup d’échecs thérapeutiques chez les fibromyalgiques : les soins, de kinésithérapie par exemple, peuvent aggraver la situation s’ils ne sont pas parfaitement adaptés ; on parle aussi de « fibrofog » : c’est une forme de confusion mentale, souvent liée à la prise de médicaments.
Être coûteux, c’est aller à l’hôpital, faire des séances de kinésithérapie pendant de très longs mois, prendre des médicaments à long terme… La circulaire est extrêmement précise.
M. le rapporteur. Pouvez-vous nous parler de l’errance médicale avant le diagnostic ? Disposez-vous de statistiques sur cette question ?
Mme Carole Robert. J’ai commencé à ressentir des douleurs à quinze ans, après un problème infectieux grave ; mais à l’époque on ne se plaignait pas. J’ai été dispensée de sport au baccalauréat : on constatait donc bien des douleurs, mais on n’en savait pas grand-chose. J’ai continué ma vie sans comprendre pourquoi j’étais si fatiguée ; à trente-trois ans, j’ai eu mon premier enfant et je ne me suis pas relevée. Mes troubles étaient tels que l’on a pensé à une sclérose en plaques.
Ce diagnostic de sclérose en plaques probable a duré treize ans ; je suis rentrée en France, et après plusieurs années, en 1998, on m’a parlé de fibromyalgie.
Mais, je le disais, ce diagnostic n’entraîne pas forcément une prise en charge. C’est d’un sentiment d’injustice puissant qu’est née l’association : je trouvais incroyable ce diagnostic d’une maladie que personne ne connaissait ni ne semblait vouloir traiter, et qui de plus provoquait un rejet ! Avec la sclérose en plaques, j’éveillais la compassion ; avec la fibromyalgie, j’éveillais la suspicion. En 1998, nous étions vraiment très mal traités, dans les conférences, les congrès, partout.
Les seuls traitements adaptés que j’aie pu réussir à mettre en place sont des soins non médicamenteux : il faut apprendre à gérer la douleur, la fatigue, le stress. C’est le but de l’éducation thérapeutique du patient. J’ai ainsi mis en place des ateliers, dans un hôpital ; en six semaines, les effets se font sentir. Bien sûr, il ne suffit pas de danser pour aller bien, mais bouger sert à détourner l’esprit de la douleur. Il faut retrouver – c’est fondamental chez les douloureux – une forme de plaisir : lorsqu’on perd le plaisir, on ne peut plus s’éveiller à la vie autour de soi. Ces techniques sont maintenant bien connues du corps médical. Malheureusement, les projets d’éducation thérapeutique du patient sont encore trop rares.
Le diagnostic est aujourd’hui posé beaucoup plus tôt, voire trop tôt parfois. Les statistiques globales sont faussées par les malades de ma génération, qui ont souvent attendu vingt ou trente ans, voire plus, un diagnostic. Pour les personnes récemment diagnostiquées, 50 % ont obtenu un diagnostic en trois ans, dont 25 % en moins d’un an. Ceci constitue incontestablement à ce sujet une nette amélioration de la situation.
Sur cette question du diagnostic précoce et de la prise en charge de la fibromyalgie, nous avons été entendus par le Haut Conseil de la santé publique (HCSP). Nous avons fait un rapport, qui comporte huit propositions. Le diagnostic précoce permet théoriquement une prise en charge précoce, ce qui permet au malade chronique de mieux gérer sa maladie. Un travail est en cours sur le diagnostic précoce des maladies chroniques ; il devrait être publié en 2017.
Nous avons également travaillé à un outil destiné à permettre aux médecins généralistes de poser un diagnostic plus rapidement. Auparavant, le diagnostic était la plupart du temps posé par des rhumatologues ; aujourd’hui, il l’est à 40 % par des généralistes, et à 53 % par les rhumatologues. On a pendant longtemps utilisé des critères très incomplets – les fameux dix-huit points de pression douloureux. Il existe maintenant des critères, plus étendus et mieux maîtrisés par les généralistes.
Encore une fois, le diagnostic, même précoce, n’entraîne pas nécessairement une prise en charge adaptée.
M. le rapporteur. Selon vous, la douleur est-elle bien prise en charge ? Les patients sont-ils orientés vers des centres spécialisés dans le traitement de la douleur ?
Mme Carole Robert. La fibromyalgie figure dans le répertoire des pathologies douloureuses prises en charge dans les centres d’étude et de traitement de la douleur (CETD), conformément aux instructions du ministère de la santé de mai 2011 – cela remonte d’ailleurs à 1998. Des programmes d’éducation thérapeutique du patient validés par les agences régionales de santé (ARS) se mettent en place dans ces centres ; mais ils sont encore rares. La liste d’attente est hélas longue et les spécialistes, bien que formés spécifiquement à la prise en charge de la douleur chronique résistante aux traitements usuels, se trouvent souvent démunis face à la douleur fibromyalgique, proposant – sans doute pour aider le patient – des traitements médicamenteux encore trop souvent voués à l’échec ou aggravant les troubles cognitifs et de la concentration.
En raison des délais d’attente, de leur capacité d’accueil et de leurs moyens financiers, ces centres ne peuvent accueillir qu’un faible nombre de malades fibromyalgiques ; la plupart d’entre eux, ne disposent pas de financements suffisants pour proposer aux patients des traitements non médicamenteux, pourtant reconnus pour leur efficacité sur la gestion de la douleur.
Concernant la possibilité de raccourcir le temps d’attente en fonction de la sévérité des cas, nous apportons notre expérience de patients au projet de « coupe-file » de l’hôpital Cochin. Nous participons aussi à un groupe d’experts pour l’évaluation de la douleur chronique.
Malheureusement, les médecins généralistes, malgré les recommandations professionnelles, ne dirigent pas toujours les malades diagnostiqués fibromyalgiques vers une structure d’évaluation et de prise en charge de la douleur chronique, en raison semble-t-il d’une méconnaissance de la compétence de ces structures dans la fibromyalgie, mais aussi parce qu’ils croient que le caractère « non grave » de cette pathologie ne permet pas aux patients d’être admis dans les centres anti-douleur.
Nous réalisons une enquête sur le comportement des fibromyalgiques vis-à-vis des médicaments, des CETD et de l’éducation thérapeutique. Nous en présenterons les résultats lors du congrès de la SFETD en novembre prochain. Nous disposerons alors d’éléments concrets et chiffrés – nous attendons un millier de réponses environ – que nous vous transmettrons, car nous posons ces questions : le patient a-t-il été envoyé vers un centre anti-douleur, et sinon, pourquoi ?
Il faut aussi parler de l’espoir que représente pour nous la récente inscription de la douleur dans la nouvelle loi de modernisation de notre système de santé. Nous avions été auditionnés par Mme Bernadette Laclais et M. Gérard Bapt. L’article 92 de cette loi prévoit des « projets d’accompagnement », et nous commençons à réfléchir à un projet pilote ; la loi aborde par ailleurs la prévention de la douleur, donne un rôle central au médecin généraliste et souligne la nécessité d’équipes de soins dédiées au soulagement de la douleur. Tout cela est pour nous capital.
Mme Annie Le Houerou, présidente. Avez-vous d’autres observations à faire ?
Mme Carole Robert. J’aimerais dire quelques mots en conclusion.
Reconnaître et prendre en charge rapidement la douleur du fibromyalgique, ainsi que la fatigue et les autres troubles associés, éviterait le risque important de chronicité, les écueils d’une prise en charge médicamenteuse, une errance médicale et de nombreux examens coûteux, une perte d’emploi pour des patients en activité, des conséquences psycho-sociales importantes…
La réalisation d’un référentiel destiné aux médecins-conseils et aux médecins experts est hautement nécessaire. Reprendre l’outil d’information sur le handicap du fibromyalgique auquel nous avions participé à la demande de la CNSA serait une étape importante.
Il faudrait consacrer plus d’heures, dans les cursus des professions médicales, paramédicales et sociales, à la prise en charge de la douleur, et donner toute leur place aux spécialités de médecine interne et d’étude de la douleur. Il faudrait également mener des actions de sensibilisation des médecins-conseils et des médecins du travail.
À la suite de la loi de modernisation de notre système de santé, il faut donner les moyens aux centres d’étude et de traitement de la douleur de réaliser leurs objectifs, tant auprès des adultes que des enfants. Il faut également renforcer les missions du médecin généraliste, à qui il incombera de coordonner les soins avec les structures spécialisées, et créer des équipes de professionnels de santé afin de permettre une prise en charge décloisonnée grâce au partage de données sur le patient – sans oublier d’intégrer les patients et les associations dans la construction de programme d’éducation thérapeutique spécifiquement consacrés à la douleur.
Je vous remercie.
Mme Annie Le Houerou, présidente. Merci d’être venue nous rencontrer. Vous pouvez, si vous le désirez, nous apporter des compléments d’information par écrit.
La séance est levée à midi vingt-cinq.
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Présences en réunion
Réunion du mardi 14 juin 2016 à 10 heures 30
Présents. – Mme Sylviane Bulteau, M. Patrice Carvalho, M. Jean-Pierre Decool, M. Renaud Gauquelin, M. Jean Grellier, M. Vincent Ledoux, Mme Annie Le Houerou, M. Gilles Lurton, M. Arnaud Viala
Excusé. – M. Denis Jacquat