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Commission d’enquête sur la fibromyalgie

Mardi 28 juin 2016

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 06

Présidence de Mme Sylviane Bulteau, Présidente

– Audition, ouverte à la presse, de M. Dominique Martin, directeur général de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé

– Audition, ouverte à la presse, du docteur Bruno Toussaint, directeur de la rédaction de la revue Prescrire

– Audition, ouverte à la presse, du docteur Michel Varroud-Vial, conseiller médical, du docteur Philippe Magne, conseiller expert, et de M. Gaël Raimbault, adjoint au sous-directeur du pilotage de la performance des acteurs de l’offre de soins, à la Direction générale de l’offre de soins

– Présences en réunion

COMMISSION D’ENQUÊTE
SUR LA FIBROMYALGIE

La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.

——fpfp——

La commission d’enquête sur la fibromyalgie procède à l’audition de M. Dominique Martin, directeur général de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé.

Mme la présidente Sylviane Bulteau. Chers collègues, nous entendons ce matin M. Dominique Martin, directeur général de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, à qui je souhaite la bienvenue.

Je rappelle que nous avons décidé de rendre publiques nos auditions et que, par conséquent, celles-ci sont ouvertes à la presse et rediffusées en direct sur un canal de télévision interne, puis consultables en vidéo sur le site internet de l’Assemblée nationale.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Dominique Martin prête serment.)

M. Dominique Martin, directeur général de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Comme son nom l’indique, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé s’occupe des produits en tant que tels, et non pas des stratégies thérapeutiques.

Je rappellerai quelques éléments simples sur la procédure d’autorisation de mise sur le marché (AMM), pour vous indiquer le cadre dans lequel nous travaillons. Pour bénéficier d’une AMM, un médicament doit d’abord faire l’objet d’essais cliniques. Actuellement, la quasi-totalité des AMM sont des autorisations dites « centralisées », c’est-à-dire prises au plan européen. Il n’y a quasiment aucune autorisation de mise sur le marché prise au plan français, en dehors des génériques. Pour les produits nouveaux, en tout cas, ce sont à peu près uniquement des autorisations centralisées, voire des autorisations dites « en reconnaissance mutuelle ». En outre, qu’elle soit centralisée ou en reconnaissance mutuelle, toute modification de l’AMM passe par le niveau européen. Concrètement, il n’y a donc que peu de perspectives d’un traitement purement national dans l’indication de la fibromyalgie.

À ce jour, aucun médicament n’a été commercialisé en Europe avec la fibromyalgie comme seule indication ou comme indication principale. Plusieurs produits ont fait l’objet d’études d’extension d’AMM au sein de l’Agence européenne du médicament (AEM), dans le cadre d’une commission, le Comité des médicaments à usage humain(CHMP), qui évalue le bénéfice-risque des produits, mais ils ont tous été rejetés, qu’il s’agisse de la duloxétine (ou Cymbalta, son nom de spécialité), un antidépresseur, le 23 octobre 2008, de la prégabaline (ou Lyrica) le 11 août 2009, du milnacipran, autre antidépresseur, le 8 avril 2010, ou de l’oxybate de sodium en 2012.

Pour qu’un produit soit étudié au plan européen, il faut qu’il y ait une demande, en particulier une demande de l’industriel pour l’extension de l’indication. Un pays rapporteur et un pays co-rapporteur sont ensuite nommés : ce sont eux qui font les analyses et les présentent au CHMP, qui, au vu du rapport, émet un avis positif ou négatif. Enfin, c’est la Commission européenne qui se prononce. Si le CHMP émet un avis négatif, la Commission le suit.

Il n’existe donc pas à ce jour, sur le territoire européen, de médicament qui aurait pour indication la fibromyalgie, contrairement à ce qui se passe aux États-Unis.

M. Patrice Carvalho, rapporteur. Monsieur le directeur, le rapport de la Haute Autorité de santé (HAS) relève qu’« on assiste à la diffusion de la notion de fibromyalgie ou de syndrome fibromyalgique dans l’espace public, sous le concept de fabrication de nouvelles maladies sous la pression des industries pharmaceutiques, des lobbies médicaux, des associations de malades et des compagnies d’assurance ». Qu’en pensez-vous ?

M. Dominique Martin. Il est certain que la fibromyalgie est – au minimum – un syndrome qui préoccupe l’ensemble des acteurs que vous venez de mentionner, comme les associations spécialisées, le site Orphanet, portail des maladies rares, ou certains professionnels de santé qui se sont mobilisés autour du sujet. Et l’on peut imaginer assez aisément que, dans cet environnement, les industriels puissent avoir le souhait de développer des produits. Cela étant, il faut éviter les confusions. On reproche parfois à l’industrie pharmaceutique de vouloir couvrir des situations, comme la calvitie, qui ne relèvent pas de pathologies, en les présentant comme des maladies identifiées pour lesquelles il existerait des traitements. En l’occurrence, la situation est tout de même différente : la fibromyalgie est une réalité syndromique incontestable. Je suis directeur général de l’ANSM, mais je suis aussi psychiatre de formation, et j’ai eu à traiter des cas de fibromyalgie, y compris de patients qui étaient en fauteuil roulant.

Certes, on ne sait pas définir la fibromyalgie et en faire une pathologie parfaitement identifiée, on n’en connaît pas les causes, mais il est difficile de nier que des personnes souffrent énormément et que leur autonomie peut être gravement atteinte. Elles présentent des syndromes très invalidants – douleur, très grande fatigue, troubles du sommeil, troubles dépressifs –, qui, dans les cas extrêmes, peuvent les conduire à une quasi-immobilité.

On assiste cependant à une évolution. La fibromyalgie a été reconnue par l’organisation mondiale de la santé (OMS), mais aussi par l’Académie nationale de médecine laquelle n’en a pas fait une pathologie, mais en a reconnu la réalité. Le rapport d’orientation de la HAS reconnaît ce syndrome et sa fréquence puisque sa prévalence est évaluée entre 2 % et 4 % de la population. Ce n’est pas négligeable, même si les situations mineures sont nombreuses et les situations plus graves qui peuvent conduire au fauteuil roulant restent exceptionnelles. Ce syndrome est au moins sociétalement pris en compte dans notre pays, même si l’on n’en a pas encore tiré toutes les conséquences, probablement en raison de la difficulté à en établir les bases, les limites, les contours, comme on sait le faire dans la plupart des pathologies. Il est difficile de le caractériser sur un mode classique, comme on le fait dans la nosographie.

J’ajoute, monsieur le Rapporteur, et sans être ironique, que, s’il y a vraiment une pression de l’industrie pharmaceutique, elle n’a pas encore donné de résultats, puisque, pour les raisons que j’ai évoquées, il n’y a pas, sur le territoire européen, de médicament spécifiquement dédié à la fibromyalgie.

M. le rapporteur. Quelles sont les raisons pour lesquelles aucun médicament n’a pu obtenir d’autorisation de mise sur le marché pour l’indication de fibromyalgie ? Avez-vous reçu et traité de nombreuses demandes ?

M. Dominique Martin. Les demandes qui ont été faites l’ont été au niveau européen. Quatre produits seulement ont fait l’objet d’une demande d’extension d’AMM au plan européen, mais ces demandes ont été rejetées par la commission spécialisée de l’EMA, le CHMP, pour des raisons qui tiennent essentiellement au fait que le bénéfice-risque n’était pas favorable. Aucun élément, dans les essais cliniques présentés dans la demande d’extension de l’AMM, ne militait en faveur de l’efficacité de ces produits, que ce soit l’efficacité immédiate ou, surtout, l’efficacité à long terme. En revanche, ils avaient des effets relativement importants, et des risques d’effets secondaires non négligeables : la prégabaline, un anti-convulsivant, est un médicament majeur ; la duloxétine et le minalcipran sont des antidépresseurs, donc des médicaments qui présentent des risques.

Ces médicaments sont reconnus, notamment aux États-Unis, dans cette indication de fibromyalgie. J’ai essayé de savoir si les rapporteurs avaient étudié de manière attentive les raisons qui avaient poussé la FDA (Food and Drug Administration) à donner cette autorisation. Je n’ai pas trouvé grand-chose. Certains éléments laissent penser que les rapporteurs ont estimé que l’environnement européen – c’est-à-dire les populations concernées et les stratégies thérapeutiques – était très différent de l’environnement américain, et qu’il n’était pas possible de transférer en Europe ce qui se faisait aux États-Unis. Mais les rapporteurs ont essentiellement examiné les essais cliniques, qui ont révélé un rapport bénéfice-risque défavorable à l’extension de ces indications.

Présidence de Mme Annie Le Houerou, vice-présidente de la Commission d’enquête.

M. Arnaud Viala. En l’état actuel de la connaissance scientifique, considérez-vous que les traitements qui doivent être développés sont des traitements ad hoc, ou qu’il faut ouvrir la délivrance de traitements actuellement existants pour d’autres troubles, afin de s’attaquer à ceux qui sont liés au syndrome de fibromyalgie ?

Selon vous, existe-t-il actuellement une réticence à délivrer des médicaments spécifiques à la fibromyalgie, liée à la non-reconnaissance de ce trouble en tant que maladie ? Peut-être ne souhaite-t-on pas en assumer la charge financière ?

M. Dominique Martin. Pour disposer d’un produit qui serait spécifiquement dédié à la fibromyalgie, il faudrait en avoir une idée plus précise. Dans l’état actuel de nos connaissances, il est difficile d’imaginer un produit spécifiquement créé pour ce syndrome complexe qui combine douleurs, troubles de l’humeur, troubles du sommeil et une grande fatigue.

Ce n’est pas une réponse strictement scientifique, mais c’est une réponse de bon sens, de la part d’un praticien des thérapeutiques et des médicaments. Je ne vois pas comment on pourrait développer un médicament spécifique pour la fibromyalgie sans explication physiopathologique, sinon univoque, du moins suffisamment solide. Les explications liées aux seuils de douleur font aujourd’hui l’objet de controverses scientifiques.

Ma réponse sera très proche en ce qui concerne les extensions d’AMM. La prégabaline ou les antidépresseurs peuvent être efficaces sur certaines expressions de la fibromyalgie. Pourtant, en raison du caractère polymorphique du syndrome, on aurait tort d’étendre l’indication à la fibromyalgie en tant que telle. Un antidépresseur efficace dans une forme de fibromyalgie où domine la dépression sera sans doute moins efficace dans une forme où domine la douleur. Il faut approfondir les recherches pour voir s’il existe une physiopathologie de la fibromyalgie. Lorsque nous comprendrons ses mécanismes, il nous sera plus facile d’identifier les produits qui pourraient répondre à la pathologie.

Il n’y a pas de réticence d’origine financière à utiliser des médicaments avec l’indication de fibromyalgie. Nous sommes face à un refus d’extension de l’indication au niveau de l’EMA, laquelle ne s’est pas intéressée à la question de la prise en charge. Je dispose des trois rapports des pays qui ont étudié ces dossiers et les ont présentés devant le CHMP. Ce dernier, qui n’a pas à tenir compte de préoccupations économiques, qui dépendent de chaque pays, ne s’est prononcé, à partir de données scientifiques, que sur le bénéfice-risque des produits proposés.

On pourrait parler d’une réticence d’origine financière si, après avoir accepté l’extension d’AMM pour l’indication de fibromyalgie, on refusait la prise en charge au niveau de la sécurité sociale, ou s’il y avait une discussion sur le prix. Mais on n’en est pas là puisqu’il n’y a pas d’AMM avec indication totale ou partielle sur la fibromyalgie.

Quoi qu’il en soit, en tant que directeur de l’ANSM et ancien thérapeute, je suis convaincu qu’il faut favoriser une approche globale et graduée de la fibromyalgie, qui soit la moins médicamenteuse possible. C’est d’ailleurs ce qui ressort du rapport d’orientation de la HAS. Je ne dis pas que, dans certaines situations, il n’est pas utile de recourir à un antalgique ou à des benzodiazépines pour aider le patient à dormir. Mais on se trouve face à un tableau assez complexe, avec des symptômes variés, qui réagissent mal à la thérapeutique. Dans le cas de la fibromyalgie, les antalgiques ont peu d’effet sur la douleur, de même que les antidépresseurs sur la dépression.

Cette situation favorise l’errance médicale. Comme les professionnels eux-mêmes sont déroutés, les patients ont tendance à changer de médecin et à multiplier les thérapeutiques, ce qui n’est pas souhaitable. Prendre des thérapeutiques médicamenteuses, par exemple des benzodiazépines, pendant des années, n’est pas une bonne idée, car cela ne sert à rien. Mais si vous avez une pathologie qui ne se traite pas, qui vous angoisse, qui vous rend la vie difficile, vous pouvez rentrer dans un cycle vicieux, d’autant plus que certains de ces produits, qui sont à visée psychotrope, peuvent entraîner des addictions. En fait, il y a beaucoup de danger à prendre ces médicaments, pour des bénéfices très accessoires. Comme l’indique le rapport d’orientation de la HAS, la prise en charge de la fibromyalgie doit être plutôt physique, psychothérapique, sociale, globale, etc. Une aide médicamenteuse peut parfois être utile, mais, en l’état actuel des connaissances et des pratiques, le médicament me paraît être la moins bonne des thérapeutiques connues.

M. Vincent Ledoux. Parmi les causes de ce syndrome, peut-on écarter tout lien avec les adjuvants présents dans les vaccins ? J’ai rencontré cette semaine, dans ma permanence, une femme qui me disait qu’elle avait été vaccinée au cours de sa grossesse et que c’est à ce moment-là qu’étaient apparus des symptômes qui ont conduit à diagnostiquer une fibromyalgie.

Pourquoi certaines prises en charge, comme les thérapies par le froid ou les caissons hyperbare, sont-elles très peu étudiées et très peu reconnues en France, contrairement à ce qui se passe aux États-Unis ? Pourquoi certaines recherches n’ont-elles pas été poursuivies, comme celles du professeur Patrick Cherin et du docteur Gérard Pello ?

Enfin, la patiente de ma circonscription était le pur produit d’une surdose médicamenteuse catastrophique qui avait déclenché chez elle de gros problèmes. Pourquoi continuer à prescrire, par exemple, des morphiniques ?

M. Dominique Martin. Il est très risqué de donner des morphiniques à quelqu’un qui souffre d’une fibromyalgie. C’est une vraie catastrophe ! On donne même parfois des anesthésiques, comme la kétamine, ce qui est particulièrement surprenant. Ces médicaments ont des effets secondaires majeurs, et je doute de leur efficacité.

Par ailleurs, l’ANSM finance actuellement une étude sur le rôle des adjuvants aluminiques, notamment dans la myofasciite à macrophages, assez voisine de la fibromyalgie, caractérisée notamment par une concentration de macrophages au lieu d’injection, et dont les symptômes peuvent être assez proches. Mais il n’y a pas, à ma connaissance, d’études sur les fibromyalgies en général, alors que la myofasciite à macrophages suscite une véritable préoccupation chez certains praticiens

Pour les fibromyalgies en général, on évoque le rôle des traumatismes physiques ou psychiques, mais pas celui des adjuvants de vaccin ou d’autres origines iatrogènes médicamenteuses.

Ce qu’il faut rechercher, surtout, ce sont les traitements adaptés à chaque patient. Dans le cadre d’une prise en charge globale, graduée, il peut être intéressant de faire appel à des techniques un peu innovantes. Mais il y a une limite : le risque est grand que ce type de pathologie, qui n’est pas prise en charge faute de connaissances, entraîne des prises en charge parallèles, voire sectaires, qui pourraient avoir des effets très nocifs pour les patients. On peut cependant essayer des techniques à la fois corporelles et psychothérapiques : psychothérapie cognitive, kinésithérapie, exercice physique et, pourquoi pas, caissons hyperbare. Dès lors que les thérapeutiques classiques sont peu efficaces, il n’est pas anormal de chercher à améliorer autrement la vie quotidienne des patients.

Encore une fois, je ne peux parler que d’expérience. La personne que j’évoquais tout à l’heure a été accueillie dans un service de psychiatrie : nous avions donc une approche plutôt psychiatrique de son cas – ou, du moins, psychothérapique, car elle ne présentait pas de pathologie mentale lourde. Mais elle était arrivée en fauteuil roulant et, au bout de quelques semaines, elle n’y était plus. Nous avons fait un travail assez peu médicamenteux, mais privilégiant la prise en charge, le soutien, la psychothérapie, ce qui lui a radicalement changé la vie.

Je le répète, le traitement médicamenteux est subsidiaire : il faut ne l’utiliser que faute de mieux et pour des durées aussi courtes que possible. Il faut avoir une approche symptomatique : si le patient est majoritairement déprimé, il n’est pas illogique de lui donner des antidépresseurs ; s’il a majoritairement des douleurs, il n’est pas illogique de lui donner des antalgiques. Mais cela ne doit pas être fait de manière systématique, prolongée ou non coordonnée. Il faut éviter que la personne prenne des médicaments non adaptés. Par exemple, il ne me viendrait pas à l’idée de donner des corticoïdes à quelqu’un souffrant d’une fibromyalgie.

M. Gérard Bapt. Vous avez abordé la question des benzodiazépines et des corticoïdes. Qu’en est-il du Subutex ou d’autres dérivés du cannabis ?

M. Dominique Martin. Vous connaissez le système endocannabinoïde, sur lequel agit le cannabis : on peut en effet imaginer des voies de recherche dans ce domaine, mais je n’ai pas vu de propositions allant dans ce sens.

La logique voudrait que l’on accède d’abord à un minimum de compréhension de la physiopathologie, pour pouvoir ensuite chercher les voies neurophysiologiques sur lesquelles agir. Mais nous n’avons pas d’éléments pour décrire la physiopathologie de la fibromyalgie, ou nous n’avons pas détecté une physiopathologie qui serait majoritaire, unique, dans cette pathologie. Certains ont bien émis des hypothèses, mais aucune n’a été vérifiée sur le plan scientifique.

M. Gérard Bapt. Il y a quelquefois des découvertes empiriques.

M. Dominique Martin. Cela peut arriver. La difficulté, c’est que l’on a affaire à un syndrome complexe, difficile à identifier. Il n’y a d’ailleurs pas qu’un symptôme, mais plusieurs. On voit bien que, d’une manière ou d’une autre, il affecte la psyché – douleur, troubles du sommeil, fatigue, etc. Je ne dis pas que l’origine de la fibromyalgie n’est pas organique, mais elle touche à des éléments qui sont clairement de cette nature.

M. le rapporteur. J’observe tout de même que la majorité des malades sont conduits à l’automédication et à prendre n’importe quoi. Vous avez beau dire qu’il ne faut pas prendre des médicaments de façon prolongée, ce sont eux qui décident, puisque les médecins ne leur prescrivent pas de traitements qui les soulagent ou qui les soignent.

M. Dominique Martin. Je ne peux qu’abonder dans votre sens. Du côté des patients, il y a probablement beaucoup d’automédication, notamment avec des antalgiques ou des anti-inflammatoires qui sont relativement accessibles. Mais les praticiens, notamment les médecins généralistes et les rhumatologues, sont assez démunis pour prendre ce syndrome en charge et ne cessent de s’interroger. La création de votre commission d’enquête et les rapports de la HAS ou de l’Académie nationale de médecine montrent que nombreux sont ceux qui réfléchissent à la question. Cependant, aujourd’hui, rien ne permet d’imaginer que nous disposerons, dans les prochaines années, d’un médicament plus efficace.

Il ne faut pas contester la prise en charge de ce syndrome, même si son diagnostic clinique est établi par élimination, et même si l’on n’arrive pas à le décrire classiquement. Il faut ensuite trouver des modes de prise en charge qui ne privilégient pas le médicament. Il faut assurer une prise en charge globale : physique, sociale, d’accompagnement, etc.

M. Vincent Ledoux. A-t-on, dans l’histoire médicale et dans la littérature, l’exemple d’un médicament capable de traiter un syndrome très complexe, fait de pathologies variées ? Pourra-t-on un jour trouver « le » médicament et « le » remède pour traiter celui-ci ?

M. Dominique Martin. Ma compétence en matière de prévision est forcément limitée. J’ai le sentiment que nous sommes loin du but. Je ne vois pas, dans un avenir proche, un médicament qui pourrait permettre une prise en charge thérapeutique du syndrome. Si l’on devait imaginer quelque chose, ce serait de tout faire pour éviter la prise en charge médicamenteuse, ou du moins de ne l’utiliser que si celle est nécessaire, adaptée, pour des durées courtes, de façon à avoir une vision de prise en charge plus globale, graduée, sur le moyen et long terme.

M. Arnaud Viala. Vous parlez de « prise en charge globale et graduée ». Est-ce parce que, selon vous, les causes de ces troubles appartiennent davantage à la sphère psychologique, psychiatrique, psychosomatique, qu’à la sphère physique ?

M. Dominique Martin. Il me paraît incontestable que l’on est dans la sphère psychosomatique. L’avantage du terme « psychosomatique », c’est qu’il renvoie à la psyché comme au corps. Cela dit, je n’ai pas d’idée sur l’étiologie – sur l’origine soit psychique, soit organique de la maladie. Comme vous, je lis la littérature et j’écoute ce qui se dit. Et je pense qu’il y a encore beaucoup à faire pour comprendre le syndrome.

Ce serait une erreur de le réduire à une pathologie psychiatrique, mais aussi d’en ignorer la dimension psychologique, notamment dans sa prise en charge. Quand vous dormez mal et peu, que vous avez mal toute la journée, que vous êtes fatigué du matin au soir, votre vie est effroyable. On ne sait pas si la dépression fait partie du syndrome, ou si elle est la conséquence de conditions de vie particulièrement difficiles. Il y a donc bien une dimension psychologique au problème. L’idée que l’on est dans un environnement psychosomatique me semble pertinente. Quant à l’étiologie, je ne la connais pas.

Mme Annie Le Houerou, présidente. Visiblement, on tâtonne. Vous dites qu’il ne faut pas passer tout de suite à une thérapie médicamenteuse. Mais les antalgiques permettent de soulager les personnes qui souffrent. J’observe d’ailleurs que vous n’avez pas parlé des centres antidouleur.

M. Dominique Martin. Je n’ai pas dit qu’il ne fallait pas du tout utiliser de médicaments, et je vous ferai remarquer que, dans les centres antidouleur, on n’utilise pas uniquement des médicaments. Quoi qu’il en soit, il me semble évident qu’il ne faut pas administrer ces médicaments seuls, mais dans un cadre global. Par ailleurs, leur bénéfice étant très limité et leurs risques non négligeables, il ne faut les utiliser que lorsque l’on n’a pas d’autre solution. Reste que ces médicaments ne sont pas très efficaces. Au bout d’un certain temps, leur bénéfice-risque ne fait que s’aggraver. Une prise prolongée peut même entraîner des problèmes hépatiques.

Encore une fois, ces médicaments doivent être utilisés à bon escient, de manière subsidiaire, dans le cadre d’une prise en charge globale. Dans certains cas, il peut être nécessaire de mettre en place, par exemple, un traitement antidépresseur. J’ajoute que certains antidépresseurs ont aussi une activité antalgique. Je peux citer l’amitriptyline, commercialisée sous le nom de Laroxyl, qui fonctionne dans certains cas.

M. Vincent Ledoux. Je crains que le médicament ne soit aujourd’hui fortement recommandé pour traiter ce type de syndrome. Sur ma page Facebook, quelqu’un écrit : « Je suis dedans depuis six ans : cortisone et morphine, il y a pire, mais c’est dur quand même ». Nombreux sont ceux qui sont traités ainsi en France. Si, comme vous le dites, il est nécessaire de graduer la prise médicamenteuse, n’est-il pas urgent de faire passer un message de précaution mettant en garde contre la délivrance de médicaments ?

M. Dominique Martin. Ce message doit circuler, en effet. Je trouve surprenant qu’on prescrive des corticoïdes en cas de fibromyalgie. Il y a là un sérieux problème de bénéfice-risque. Le rapport d’orientation de la HAS stipule bien que le médicament ne doit pas être privilégié, et j’approuve cette conclusion. J’insisterai toutefois, en tant que directeur général de l’ANSM, sur les conséquences de certaines stratégies thérapeutiques compliquées et de certaines dérives comme celles dont vous venez de parler : un bénéfice-risque défavorable, et des effets secondaires qui viennent s’ajouter au syndrome de fibromyalgie lui-même. Si un patient prend des benzodiazépines à forte dose parce qu’il ne dort pas, il n’est guère surprenant qu’il soit fatigué dans la journée. Il faut donc être très prudent. Le médicament ne doit être utilisé que par défaut, et à bon escient.

Mme Annie Le Houerou, président. Monsieur le directeur général, je vous remercie.

Puis la Commission d’enquête entend M. Bruno Toussaint, médecin, directeur de la revue Prescrire.

Mme Annie Le Houerou, présidente. Chers collègues, nous allons maintenant procéder à l’audition, ouverte à la presse, de M. Bruno Toussaint, médecin et directeur de la revue Prescrire.

Nous avons décidé de rendre nos auditions publiques ; elles sont donc ouvertes à la presse et retransmises en direct sur le site internet de l’Assemblée nationale. Avant de vous céder la parole, je vous indique que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Bruno Toussaint prête serment).

M. Bruno Toussaint. Pour commencer, je précise que, comme toutes les personnes collaborant à la revue Prescrire, je n’ai aucun lien d’intérêt avec l’industrie pharmaceutique ni avec aucune entreprise du domaine de la santé. Notre revue, faite pour et par des professionnels de la santé, est largement consacrée aux médicaments, puisque ceux-ci constituent une part importante des traitements prescrits par les médecins, et fonctionne sans aucune subvention ni publicité – elle n’est financée que par ses abonnements.

L’un des problèmes auxquels sont confrontés les médecins et les pharmaciens est l’arrivée de nouveaux médicaments, que les laboratoires décrivent souvent parés de toutes les vertus. L’information disponible sur les médicaments étant largement soumise à l’influence des firmes pharmaceutiques, il importe de pouvoir disposer d’un regard critique, capable de faire contrepoids à l’information officielle, historiquement faible. Par ailleurs, les effets indésirables des médicaments paraissent souvent un peu négligés, en particulier en ce qui concerne les nouveaux produits.

Au cours des années 2000, nous avons vu les firmes pharmaceutiques constituer des dossiers d’autorisation de mise sur le marché pour plusieurs médicaments destinés au marché de la fibromyalgie. Nous avons alors pensé qu’il serait utile aux abonnés de Prescrire de faire le point sur cette maladie et ses traitements, en particulier sur les nouveaux médicaments qui étaient annoncés. En 2008, nous avons publié une synthèse de quelques pages sur ce thème, d’où il ressortait qu’il y avait peu à attendre des médicaments pour ce syndrome. Les antalgiques classiques sont peu efficaces et ont des effets indésirables. Quant aux autres médicaments – des antidépresseurs et des anticonvulsivants, ou antiépileptiques –, ils apparaissaient soit peu évalués, soit ayant peu d’efficacité, mais produisant des effets indésirables – ceci ayant été déterminé au terme d’études effectuées sur quelques semaines ou quelques mois seulement, alors que la fibromyalgie est un problème de santé chronique.

Si certains de ces médicaments ont été autorisés aux États-Unis et au Canada, aucun ne l’a été en Europe, ce qui nous a semblé raisonnable compte tenu de leur dossier d’évaluation. En vue de cette audition, j’ai cherché à faire le point à partir d’autres synthèses méthodiques – en l’occurrence celles du réseau Cochrane – et, ce faisant, j’ai eu l’impression que l’évaluation plutôt médiocre faite dans les années 2000 se confirmait : les médicaments étudiés, qui sont souvent des psychotropes, ne sont pas efficaces, ou le sont très peu, pour soulager les symptômes de la fibromyalgie, alors qu’ils ont des effets indésirables importants et sans doute encore sous-estimés – dans ce domaine, la connaissance progresse lentement.

M. Patrice Carvalho, rapporteur. Le rapport de la Haute Autorité de santé (HAS) de juillet 2010 relève que l’« on assiste à la diffusion de la notion de fibromyalgie ou de syndrome fibromyalgique dans l’espace public, sous le concept de fabrication de nouvelles maladies sous la pression des industries pharmaceutiques, des lobbies médicaux, des associations de malades et des compagnies d’assurance ». Qu’en pensez-vous ?

M. Bruno Toussaint. L’affirmation que vous avez citée semble cohérente avec nos propres constatations des années 2000, à savoir la mise au point de plusieurs médicaments dont aucun n’a finalement été autorisé en France. La fabrication de maladie correspond à un phénomène connu, que l’on voit à l’œuvre dans de nombreux domaines. Si nous n’avons pas cherché à enquêter sur cette dimension du problème en ce qui concerne la fibromyalgie, force est de constater que nous n’avons pas assisté, depuis le début des années 2010, au dépôt d’une seule demande de mise sur le marché d’un médicament lui étant destiné, et nous n’avons pas l’impression qu’il y ait actuellement une pression particulière dans ce domaine. Cela dit, le concept de fabrication de maladie correspond à une réalité et est d’ailleurs à l’œuvre dans plusieurs domaines, que ce soit celui du cholestérol ou du syndrome métabolique, par exemple.

M. le rapporteur. Comment améliorer le diagnostic précoce de ce syndrome et éviter des situations d’errance médicale, dramatiques pour les malades ?

M. Bruno Toussaint. La revue Prescrire n’a pas vraiment étudié cet aspect du problème. Il nous semble que, en l’absence de traitement satisfaisant, il n’est pas urgent de faire un diagnostic précoce, puisqu’il n’y a pas vraiment de solution à proposer aux patients. Les critères de diagnostic étant discutables, ils ne sont sans doute pas très bien connus de tous les professionnels de santé, qui ont beaucoup à faire, et les traitements sont globalement décevants, voire contre-productifs : l’errance médicale n’a donc rien de surprenant. Malheureusement, nous n’avons pas de propositions à formuler pour accélérer le diagnostic de la fibromyalgie et réduire l’errance médicale, tout au plus pouvons-nous souligner l’importance d’une information indépendante et fiable en ce qui concerne les maladies et leurs traitements – précisément ce à quoi travaille Prescrire.

Une partie de l’errance est peut-être liée au fait que l’intérêt des médicaments est souvent surestimé, tandis que leurs effets nocifs sont sous-estimés : de ce fait, nombre de médecins qui se sentent démunis essayent tel ou tel médicament, alors que l’évaluation qui en a été faite a déjà montré qu’il n’y a pas grand-chose de bon à en attendre.

M. le rapporteur. Malheureusement, l’errance médicale se traduit également par une tendance des malades concernés à pratiquer l’automédication, ce qui pose souvent des problèmes de dosage.

Quelles sont les raisons pour lesquelles aucun médicament n’a pu obtenir d’autorisation de mise sur le marché pour l’indication fibromyalgie ? Qu’en est-il à l’étranger, notamment dans les autres pays de l’Union européenne, aux États-Unis et au Canada – qui semblent en avance sur notre pays de ce point de vue ?

M. Bruno Toussaint. Je rappelle que les médicaments sont des objets inanimés, et que ce ne sont donc pas eux qui obtiennent les autorisations de mise sur le marché, mais des firmes pharmaceutiques qui déposent des demandes en ce sens. Ces demandes sont examinées par les autorités de santé selon des modalités différant selon les pays, pour aboutir à une décision d’autorisation ou de refus de mise sur le marché. Les dossiers d’évaluation des médicaments que les laboratoires ont tenté de mettre sur le marché au début des années 2000 montraient, chez environ 10 % des personnes, une efficacité nulle ou faible ; dans le second cas, le médicament ne semblait agir que sur certains symptômes – par exemple les douleurs, mais non la fatigue ; le sommeil, mais non la qualité de vie. Les études n’ont duré que quelques semaines, parfois quelques mois, mais n’ont jamais donné lieu à des essais comparatifs rigoureux au long cours, ce qui était pourtant indispensable étant donné le caractère chronique de la maladie. Les effets nocifs étaient, quant à eux, plutôt sous-estimés. Globalement, ces médicaments semblaient donc soulager très partiellement environ une personne sur dix, et c’est dans la même proportion que certains utilisateurs étaient obligés d’arrêter le traitement du fait de ses effets indésirables.

Quand un dossier ne montre rien de probant ni dans un sens ni dans un autre, les autorités de santé peuvent prendre des décisions variables. C’est ce qui explique que les médicaments visant la fibromyalgie ont été autorisés dans certains pays et pas dans d’autres, selon que les autorités concernées ont privilégié la protection des patients ou préféré mettre les produits sur le marché en attendant de voir ce qui allait se passer. La même chose s’était produite avec le Mediator, autorisé en France, mais pas en Belgique, bien que le dossier présenté eût été identique dans les deux pays. De même, le rimonabant, commercialisé sous la marque Acomplia en Europe, n’a pas été autorisé aux États-Unis ; il a finalement été retiré en Europe lorsqu’on a considéré qu’il était plus toxique qu’utile – ce qui, selon nous, ressortait déjà de son dossier initial.

M. le rapporteur. Quels sont les médicaments les plus prescrits aux patients souffrant de fibromyalgie ? Quels sont leurs effets secondaires et leurs effets iatrogènes ? Certains des médicaments relèvent-ils du champ de la pharmacovigilance pour détournement d’usage ?

M. Bruno Toussaint. La revue Prescrire ne dispose pas de moyens particuliers pour étudier les consommations de médicaments. Le rapport d’orientation de la HAS auquel vous faisiez allusion présentait des données relatives aux ventes de médicaments qui étaient sans doute fiables, et la situation ne semble pas avoir évolué depuis. Étant donné le peu d’efficacité des solutions dont ils disposent, il est probable que les patients et les soignants sont conduits à tâtonner en essayant plusieurs médicaments, auxquels chacun réagit en fonction de sa sensibilité personnelle, qui le conduit à trouver tel ou tel médicament un peu plus efficace ou un peu moins nocif qu’un autre.

Les médicaments prescrits sont d’abord les antalgiques classiques – le paracétamol, les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) et les opioïdes plus ou moins forts –, dont aucun n’est vraiment satisfaisant ; au demeurant, même s’ils étaient efficaces, ces antidouleurs ne constitueraient que des médicaments palliatifs.

On a également recours à certains antidépresseurs et certains anticonvulsivants. L’évaluation des antidépresseurs de la famille des inhibiteurs de la recapture de la sérotonine – des antidépresseurs classiques, très prescrits – a mis en évidence des effets indésirables, mais pas d’efficacité. Pour ce qui est des inhibiteurs de la noradrénaline – la duloxétine et le milnacipran, autorisés aux États-Unis –, le dossier d’évaluation fait apparaître une efficacité minime et limitée à certains symptômes de la maladie, ainsi que des effets indésirables, et cette appréciation datant du début des années 2000 est restée inchangée à ce jour.

Parmi les anticonvulsivants, on trouve la prégabaline, qui présente une petite efficacité sur la douleur et peut-être également sur le sommeil. Les autres médicaments ont manifestement été peu évalués ou, lorsqu’ils l’ont été, n’ont semblé présenter aucun intérêt.

Pour ce qui est de la toxicité de ces différents médicaments, on observe lorsqu’ils sont prescrits dans le cas d’une fibromyalgie les mêmes effets que dans d’autres situations. Le paracétamol, antalgique de première intention, est d’une efficacité modeste, mais réelle, et ses effets indésirables sont très acceptables du moment que l’on ne dépasse pas le maximum recommandé, à savoir trois à quatre grammes par jour chez l’adulte ; au-delà, le paracétamol présente une toxicité pour le foie qui devient rapidement très sérieuse.

Parmi les anti-inflammatoires non stéroïdiens, quelques-uns émergent du lot en présentant une toxicité digestive et cardiovasculaire plutôt moindre – c’est le cas de l’ibuprofène ou du naproxène à dose raisonnable. À l’inverse, certains sont plus dangereux que les autres : je pense aux coxibs, apparus dans les années 2000 – le rofécoxib a ainsi été retiré du marché, de même que le nimésulide, en raison de sa toxicité hépatique. La nocivité de ces médicaments peut consister en une toxicité digestive ou cardiovasculaire, en un risque d’insuffisance rénale ou des problèmes cutanés – des risques survenant peu fréquemment, mais qui finissent par toucher un grand nombre de patients quand les médicaments sont pris de façon chronique.

Les antidépresseurs ont des effets cardiovasculaires – antiagrégants ou hypertenseurs, notamment – et peuvent provoquer des réactions allergiques. Ils ont évidemment de nombreux effets neuropsychiques et peuvent provoquer une certaine dépendance qui doit inciter à les prescrire avec retenue, car une proportion notable de patients ressent, lors de l’arrêt du traitement, un syndrome de sevrage pouvant conduire à reprendre le traitement en dépit de son inefficacité.

Si la prégabaline est un anticonvulsivant plutôt mieux toléré que d’autres, elle peut tout de même provoquer des effets neuropsychiques, des œdèmes et des prises de poids. Je précise que l’énumération des effets indésirables des médicaments à laquelle je procède n’a rien d’exhaustif : pour connaître la liste complète de ces effets, il est nécessaire de consulter la fiche détaillant les caractéristiques des médicaments concernés, ou leur notice d’utilisation. Enfin, il faut être conscient de la faiblesse de l’évaluation des effets au long cours de ces médicaments pour les personnes qui seraient amenées à les prendre durant plusieurs années. Il n’est pas impossible que la médication de la fibromyalgie nous réserve de mauvaises surprises dans les années qui viennent, avec la révélation d’effets ne survenant qu’au long cours.

M. Jean-Pierre Decool. Le diagnostic de la fibromyalgie est extrêmement difficile à établir, notamment en raison du fait que l’on ne dispose pas pour cela de marqueurs physiques : ni les analyses de sang ni l’imagerie médicale ne permettent de détecter le moindre élément probant. On entend parfois dire à propos de telle ou telle maladie qu’il faudra encore cinq ou dix années de recherches pour acquérir les connaissances qui permettront de la combattre efficacement. En tant que médecin et directeur de publication, vous disposez assurément d’une vue prospective : puisqu’il semble que l’on n’ait pas encore épuisé toutes les ressources de la recherche scientifique, disposez-vous d’éléments vous permettant d’espérer que l’on identifie des marqueurs de la fibromyalgie dans les années à venir ?

M. Bruno Toussaint. J’espère que toutes les pistes de recherche ne sont pas épuisées, ou que d’autres seront prochainement découvertes. La prospective est un exercice difficile que les rédacteurs de Prescrire pratiquent peu : nous nous attachons plutôt à observer l’état du marché du médicament et les actualités en matière d’effets nocifs.

Comme vous, nous avons constaté qu’il n’existe pas de test fiable en biologie ou en imagerie médicale de nature à permettre d’établir un diagnostic simple de la plupart des cas de fibromyalgie. Pour autant, ce syndrome est une réalité, c’est pourquoi il faut continuer à chercher. Nous finirons sans doute par trouver une explication – au moins à une partie des cas – et à mettre au point des tests paracliniques permettant d’établir un diagnostic et éventuellement d’évaluer l’effet des traitements, mais je n’ai aucune idée du temps que cela prendra.

Mme Annie Le Houerou, présidente. Y a-t-il des alternatives aux médicaments, puisque ceux-ci ne semblent pas être efficaces sur l’ensemble de la maladie ? On peut notamment s’interroger au sujet des cures.

M. Bruno Toussaint. Le manque d’efficacité des médicaments incite effectivement les patients à se tourner vers d’autres formes de traitement. En général, l’évaluation des traitements non médicamenteux est de plus faible niveau de preuve que celle des médicaments, ce qui fait qu’une grande incertitude règne dans ce domaine. En 2008, nous avions constaté que l’acupuncture et certaines formes d’exercice physique pouvaient peut-être apporter une certaine aide aux personnes souffrant de fibromyalgie. Je n’ai malheureusement pas été en mesure de mettre à jour notre base documentaire en vue de cette audition, mais, à ma connaissance, il n’existe pas de traitement alternatif présentant un niveau d’efficacité notable. Je ne suis pas non plus en mesure de vous répondre avec précision au sujet des cures.

Mme Annie Le Houerou, présidente. Notre Rapporteur a cité tout à l’heure le rapport d’orientation de la HAS évoquant « le concept de fabrication de nouvelles maladies sous la pression des industries pharmaceutiques, des lobbies médicaux, des associations de malades et des compagnies d’assurance ». Or il n’existe pas actuellement de médicament efficace contre les effets de la fibromyalgie. Comment peut-on expliquer cela ? Est-ce lié au fait que l’on n’entreprend pas suffisamment de recherches dans ce domaine, l’industrie pharmaceutique n’escomptant pas tirer de bénéfices substantiels de la mise au point d’un médicament adapté ?

M. Bruno Toussaint. Il existe des affections pour lesquelles il n’y a pas de réponse médicale satisfaisante, et la fibromyalgie en fait partie. Pour ce qui est du concept de fabrication de maladie, je dois préciser qu’il est rare qu’une maladie soit entièrement inventée : le plus souvent, on part de quelque chose dont le cadre se trouve ensuite largement étendu afin d’élargir le marché des médicaments qui pourraient être proposés.

Nous n’avons pas l’impression que la fibromyalgie donne lieu à des pressions importantes. Certes, il serait tentant pour les firmes pharmaceutiques de voir s’ouvrir le marché d’une maladie chronique pour laquelle elles pourraient proposer des médicaments palliatifs. Ainsi ont-elles réussi à créer un marché ciblant le cholestérol, le diabète et l’asthme, pour lesquels elles proposent des traitements à visée uniquement suspensive : les médicaments palliatifs ne guérissent rien, mais constituent pour elles des rentes très intéressantes. Dans le cas de la fibromyalgie, les psychotropes essayés se sont révélés très décevants, et les antidépresseurs sont rarement efficaces.

Actuellement, plutôt que de s’intéresser au traitement des affections chroniques, les firmes cherchent des niches dans lesquelles elles peuvent vendre très cher certains médicaments : on voit apparaître, par exemple, des médicaments anticancéreux ciblant précisément certains types de cancers, touchant tel ou tel organe ou survenant dans telle ou telle situation, et vendus à des prix astronomiques. C’est également le cas pour l’hépatite C, pour laquelle il existe des médicaments présentant une certaine efficacité pour un ou des génotypes donnés.

La préférence accordée aux stratégies de ce type explique la faiblesse des efforts consacrés à la recherche visant les maladies chroniques telles que la fibromyalgie – d’autant que, si les prix très élevés pratiqués au sein des niches lucratives que j’ai décrites bénéficient d’une certaine acceptation sociale, cela n’est pas le cas pour les maladies chroniques.

Mme Annie Le Houerou, présidente. Pouvez-vous développer un peu ce que vous nous avez dit au sujet des traitements alternatifs, notamment des cures ?

M. Bruno Toussaint. Il ressortait de notre synthèse méthodique de 2008 que l’acupuncture et certaines modalités d’exercice physique étaient susceptibles d’apporter un certain soulagement aux personnes souffrant de fibromyalgie, mais il ne semble pas que des découvertes aient été faites dans ce domaine au cours des dernières années. Cela ne signifie pas pour autant qu’aucune solution n’existe dans ce domaine, et sans doute faut-il continuer à chercher.

D’une manière générale, l’évaluation des interventions non médicamenteuses est souvent beaucoup moins étoffée que celle des médicaments, ce qui s’explique par le fait que l’essentiel du financement de la recherche portant sur les traitements provient des firmes pharmaceutiques. Par ailleurs, si la recherche clinique de traitements coûte souvent beaucoup moins cher que ce qu’affirment les laboratoires, elle a tout de même un coût, expliquant également leur réticence – mais nous abordons là un autre débat, celui du financement de la recherche médicale, qui dépasse le cadre de la fibromyalgie.

Mme Annie Le Houerou, présidente. Au nom de notre commission, je vous remercie pour votre intervention.

La commission d’enquête sur la fibromyalgie procède enfin à l’audition du Dr Michel Varroud-Vial, conseiller médical, du Dr Philippe Magne, conseiller expert, et de M. Gaël Raimbault, adjoint au sous-directeur du pilotage de la performance des acteurs de l’offre de soins à la Direction générale de l’offre de soins.

Mme Annie Le Houerou, présidente. Messieurs, je vous souhaite la bienvenue. Nous avons décidé de rendre nos auditions publiques ; elles sont donc ouvertes à la presse et retransmises sur le site internet de l’Assemblée nationale. Avant de vous céder la parole, je vous indique que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Michel Varroud-Vial, M. Philippe Magne et M. Gaël Raimbault prêtent serment.)

M. Michel Varroud-Vial, conseiller médical à la Direction générale de l’offre de soins (DGOS). Je vous dirai la vision qu’a la DGOS de l’organisation de l’offre de soins pour la fibromyalgie, maladie caractérisée par des douleurs diffuses chroniques accompagnées d’une fatigue souvent intense et de troubles du sommeil, fréquemment associées à une anxiété ou une dépression. Elle a été reconnue en 1992 par l’Organisation mondiale de la santé comme une maladie rhumatismale, puis, en 2006, comme une entité nosologique indépendante à laquelle a été attribué un code spécifique de la classification internationale des maladies. La prise en charge globale de la fibromyalgie a fait l’objet de recommandations internationales en 2007, et en juillet 2010 d’un rapport d’orientation – recensement des connaissances plutôt que recommandations à proprement parler – de la Haute Autorité de santé (HAS).

Les mesures visant à organiser la prise en charge de ce syndrome doivent satisfaire trois objectifs. Le premier est le repérage du syndrome lors des soins primaires. Il est rendu difficile par l’absence de symptômes spécifiques et par une prévalence peu élevée en médecine générale : selon les données du panel Thales/Cegedim de 2008, qui est le dernier disponible, les médecins généralistes posent le diagnostic de fibromyalgie pour trois patients par an, soit 0,2 % de leur activité, contre 2 % pour les rhumatologues libéraux. Cela montre à quel point il est nécessaire, pour ne pas laisser des personnes atteintes de fibromyalgie non reconnues, de former et d’outiller les professionnels de santé.

Le second enjeu est celui du diagnostic positif, qui inclut nécessairement un temps de diagnostic différentiel avec des maladies aux expressions cliniques voisines. Cela suppose d’orienter les patients vers les services de médecine interne ou de rhumatologie ou vers les rhumatologues libéraux ayant une expertise sur ce plan.

Le troisième enjeu est celui d’une prise en charge thérapeutique spécifique, qui nous paraît devoir être multidisciplinaire. Le traitement pharmacologique de la douleur peut être engagé au mieux dans les structures d’étude et de prise en charge de la douleur chronique (SDC) qui, selon deux enquêtes convergentes de ce qui était alors la Direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins – devenue la DGOS – et de la HAS, consacrent 11 % de leur activité aux patients pour lesquels le diagnostic de fibromyalgie a été porté. Mais à ce traitement doivent être associés les traitements non pharmacologiques que sont les soins psychologiques et les médecines complémentaires dites aussi médecines alternatives. Cela implique la coopération entre soignants, particulièrement entre médecins généralistes et SDC, et l’utilisation raisonnée des médecines complémentaires ; le professeur Jean Sibilia, vice-président de la conférence des doyens des facultés de médecine, avec qui je me suis entretenu en préparant cette audition, nous a indiqué projeter la création d’un observatoire des médecines complémentaires, ce qui permettrait de progresser sur ce plan.

De ces enjeux multiples découle la nécessité de mobiliser les acteurs à ces différents niveaux et d’organiser leur coordination plutôt que de créer une filière spécifique de la fibromyalgie. Cela correspond à la préconisation de la HAS visant à organiser une prise en charge précoce et graduée, reprise à l’article 68 de la loi de modernisation de notre système de santé du 26 janvier 2016 qui ajoute aux missions du médecin généraliste de premier recours celle « d’administrer et coordonner les soins visant à soulager la douleur », précisant que, « en cas de nécessité, le médecin traitant assure le lien avec les structures spécialisées dans la prise en charge de la douleur ».

M. Patrice Carvalho, rapporteur. Quel est l’état de la recherche française sur la fibromyalgie ? Quels programmes sont actuellement financés sur crédits publics, quel est leur objet et à quel montant les estimez-vous ?

M. Gaël Raimbault, adjoint au sous-directeur du pilotage de la performance des acteurs de l’offre de soins à la Direction générale de l’offre de soins. Pour les équipes françaises, la recherche sur la fibromyalgie s’exerce dans le domaine psychosomatique, qui a fait l’objet d’une littérature internationale assez abondante, et dans celui des sciences « dures », où les publications sont plus rares. Un seul des programmes hospitaliers de recherche clinique (PHRC) financés par la DGOS depuis 2010 est centré sur la fibromyalgie. Intitulé « Impact d’un programme d’entraînement spécifique sur la neuro-modulation des douleurs chez les sujets fibromyalgiques » et promu par le centre hospitalier universitaire de Brest depuis 2013, ce projet avance à un rythme correct puisqu’il a dépassé 50 % des inclusions prévues. Plus largement, trente-cinq PHRC sont en cours qui portent sur la douleur chronique ou la douleur rebelle, pour un financement total de quelque 7, 5 millions d’euros. Enfin, la recherche bibliographique des publications relatives à la fibromyalgie en France met à jour huit articles depuis 2014, dont trois sont consacrés à la validation d’outils de repérage de la fibromyalgie en médecine générale ou en rhumatologie.

M. le rapporteur. Comment assurer une prise en charge harmonisée du syndrome sur l’ensemble du territoire ?

M. Michel Varroud-Vial. Nous pouvons vous dire les cinq leviers à disposition de la DGOS à cet effet. C’est d’abord le développement professionnel continu. Il y a aussi le développement des équipes de soins primaires réglé par l’article 64 de la loi du 26 janvier 2016, ainsi que les possibilités permises par la mise en place des communautés professionnelles territoriales de santé, prévue à l’article 65 de la même loi, et des plateformes territoriales d’appui, prévues à l’article 74. Ces dispositions concernent principalement la médecine ambulatoire, mais l’article 108 de la loi nous donne, avec les groupements hospitaliers de territoire, un autre levier qui peut être utilisé dans les projets médicaux hospitaliers. Projets et coopérations peuvent donc voir le jour pour répondre aux enjeux précédemment évoqués. Le cinquième levier est plus directement à la main de la DGOS : ce sont la labellisation selon un cahier des charges et le suivi des SDC financées par une mission d’intérêt général. Nous avons publié le 13 mai 2016 une instruction relative au renouvellement de ces structures.

En appui des soins délivrés en ville et à la demande du médecin traitant, la prise en charge des différentes douleurs chroniques est réalisée par un réseau de 260 SDC, structures spécialisées pluriprofessionnelles polyvalentes. L’éventualité de consacrer certaines de ces structures au traitement de types déterminés de syndromes douloureux pour lesquels l’errance thérapeutique est rapportée a été évoquée par un groupe de travail réuni le 3 juillet 2014 sous l’égide de la DGOS, qui associait des professionnels, des représentants de la Société française d’étude et de traitement de la douleur (SFETD) et Mme Carole Robert, présidente de l’association Fibromyalgie France. Ce groupe de travail a conclu que les SDC devaient rester polyvalentes, et qu’il était préférable d’élargir leurs compétences en leur demandant de s’engager dans la recherche et l’enseignement et de disposer d’une masse critique. Le cahier des charges régissant le renouvellement du dispositif national des SDC tient compte de ces dispositions nouvelles ; j’ai rappelé la circulaire du 13 mai 2016 diffusée à cet objet.

Mme Annie Le Houerou, présidente. Vous avez évoqué l’errance diagnostique dont sont victimes certains patients et le rôle crucial du médecin généraliste dans la coordination des soins. Nous avons constaté la tendance à des prescriptions multiples de traitements médicamenteux dont l’efficacité n’est pas avérée, mais dont les effets iatrogènes sont possibles. Il est donc peu surprenant que la pathologie s’accompagne souvent d’un syndrome dépressif dont on ne sait s’il s’explique par la difficile prise en charge de la maladie. La formation des médecins n’est-elle pas en cause ?

M. Michel Varroud-Vial. L’errance diagnostique s’explique par le fait qu’en dépit des importants progrès réalisés, notamment grâce aux associations, les généralistes sont encore peu au fait d’une maladie dont la faible prévalence fait obstacle à un diagnostic précoce. Le diagnostic relevant exclusivement de l’examen clinique, il est indispensable que les médecins disposent d’une formation adéquate et d’un outil simple de dépistage clinique. L’errance thérapeutique peut en effet conduire à la prescription de molécules antidépressives ou antalgiques aux effets iatrogènes possibles, d’autant que les malades, faute d’un nom donné à l’affection dont ils souffrent, consultent de multiples spécialistes. L’efficacité thérapeutique suppose, je l’ai dit d’emblée, un partenariat renforcé entre médecins généralistes, spécialistes et SDC, car la prise en charge pharmacologique ne suffit pas. La prise en charge psychologique est souvent très importante et le recours aux « médecines complémentaires » doit probablement être promu. Cette coopération thérapeutique pourra éviter des traitements lourds qui ne font pas toujours la preuve de leur efficacité.

M. Gaël Raimbault. La préoccupation que vous exprimez, madame la présidente, vaut pour toutes les maladies rares. C’est pourquoi il était nécessaire d’inscrire les médecins généralistes dans un système de prise en charge graduée et dans un environnement dans lequel ils peuvent disposer de ressources. C’est un axe majeur de la politique du ministère de la santé, conscient que l’on ne répondra jamais à ces questions par la seule formation individuelle. Parce qu’il y a trop à savoir, il faut construire des filières très diffusantes, y compris en médecine de ville, de manière que les généralistes disposent des outils d’appui qui leur sont nécessaires dès la première prise en charge des patients.

M. Arnaud Viala. Les auditions s’enchaînent et nos frustrations persistent. Alors que le constat est unanimement partagé – il faut parfaire la formation des médecins, la méthodologie du diagnostic, la prise en charge globale des malades et le traitement –, quels verrous empêchent la prise en charge, la reconnaissance de la maladie et son traitement ? Manque-t-il une commande politique ? En ce sens, l’existence de cette commission d’enquête sera-t-elle perçue comme un premier niveau de prise en charge devant conduire à une décision politique pour permettre d’améliorer la reconnaissance sociétale et peut-être financière de la fibromyalgie ?

M. Gaël Raimbault. Il y a, me semble-t-il, deux niveaux de réponse à votre question. La première difficulté tient à ce que la fibromyalgie étant rarement rencontrée, les généralistes ne s’orientent pas spontanément vers ce diagnostic ; il faut donc les former aux symptômes de la maladie et parvenir à ce qu’ils travaillent davantage en réseau. Il y a une volonté politique forte en ce sens, qui trouve sa traduction dans la stratégie nationale de santé, définie pour que les professionnels de santé accèdent aux ressources dont ils ont besoin.

Plus largement, une place a été faite depuis la fin des années 1990 à la prise en charge de la douleur dans l’organisation des soins et les 260 SDC forment un maillage assez dense sur le territoire français. La question est de savoir comment faire pour que les généralistes leur adressent les patients qui se trouveraient bien de les consulter. Il est important de faire comprendre que le traitement des patients fibromyalgiques est pris au sérieux ; cependant, plutôt que d’afficher que l’on fait de la fibromyalgie une priorité nationale alors qu’elle demeurera une pathologie assez rare, mieux vaut privilégier le travail souterrain qu’est l’organisation de la filière de soins selon les modalités décrites.

Mme Annie Le Houerou, présidente. Il est singulier d’entendre qualifier de « rare » une affection qui touche, selon les estimations, de 2 % à 4 % de la population.

M. Gilles Lurton. C’est également un sujet d’étonnement pour moi. Peut-on vraiment dire qu’une maladie est rare tout en expliquant que les médecins généralistes ne savent pas toujours la reconnaître ? Dans nos circonscriptions, nombreux sont ceux qui se plaignent de souffrir de cette maladie et de ne pas être pris en charge comme ils le souhaiteraient. Il faudrait pour commencer définir la pathologie.

M. Michel Varroud-Vial. Gaël Raimbault a qualifié la fibromyalgie de « maladie rare », car telle est la réalité dans la patientèle des médecins généralistes qui, selon les seules données dont nous disposons, portent chacun ce diagnostic trois fois l’an. C’est tout à fait disproportionné par rapport aux enquêtes épidémiologiques menées à l’échelle internationale, qui font état d’une prévalence de 2 % à 3 %. Nous en déduisons comme vous que le diagnostic n’est pas fait pour de nombreux patients. La difficulté tient à ce que la pathologie est perçue comme assez peu fréquente par les généralistes, mais beaucoup plus par les rhumatologues libéraux, et c’est une préoccupation quotidienne pour les centres de la douleur. L’obstacle à la prise en charge vaut pour tous les problèmes de santé dont la perception est inégale selon le niveau de soin.

Il en va autrement, par exemple, pour le diabète de type 2, dont un généraliste diagnostique cinquante cas par an. La difficulté que vous soulignez tient à la répartition « en entonnoir » du diagnostic selon le niveau de soin. De plus, la fibromyalgie, n’étant pas considérée comme une maladie rare, ne bénéficie pas de cette filière de prise en charge spécifique. Plusieurs verrous doivent sauter : le faire-savoir, la formation, l’outillage, la coopération, l’ouverture des centres de la douleur. Et, comme toujours en de tels cas, il faut hiérarchiser les actions nécessaires. Il est probable que la préparation de cette audition nous a permis d’y réfléchir davantage.

M. Gaël Raimbault. Peut-être la prise de conscience par les professionnels de santé de ce que les symptômes fibromyalgiques doivent être pris en charge sérieusement n’est-elle pas encore suffisamment ancrée dans les esprits, et pour cela une expression politique peut être utile, mais elle ne permettra pas en soi d’aboutir au maillage et à la prise en charge coordonnée souhaitables.

M. Frédéric Reiss. Pour certaines maladies rares, le diagnostic est certain ; pour la fibromyalgie, l’incertitude est complète. La prise en charge médicamenteuse ne suffit pas, avez-vous dit, mettant l’accent sur l’apport des « médecines complémentaires ». Pourriez-vous nous dire à quels types de soins vous faites allusion et si l’on obtient par ce biais des résultats avérés par une évaluation scientifique ?

M. Michel Varroud-Vial. L’effet de ces thérapies pour les patients est indéniable, particulièrement pour ce qui est du reconditionnement à l’effort. Ces méthodes qui vont de la réadaptation physique aux cures thermales sont les plus efficaces. Mais, faute d’études et de classification de ces types de médecine, dire que l’on en a la preuve scientifique serait s’avancer. C’est pourquoi l’initiative prise par la conférence des doyens de créer un observatoire des médecines complémentaires est fondamentale ; cela permettra de rationaliser l’usage et de l’évaluer. Ce serait certainement un progrès pour de nombreux patients fibromyalgiques.

M. Jean-Pierre Decool. Comment estimer le nombre de patients atteints des mêmes symptômes alors que tous ne consultent pas ? Une corrélation est-elle possible entre fibromyalgie et myopathies ? Si tel est le cas, peut-on envisager de faire cause commune en menant des recherches sous l’égide de l’Association française contre les myopathies ?

M. Michel Varroud-Vial. La fibromyalgie n’est pas un dérèglement musculaire ou neuropathique ; c’est une maladie du contrôle central de la douleur, ce qui la différencie nettement des myopathies. On note néanmoins la présence fréquente de symptômes de l’inflammation musculaire et des études ont évalué les effets du reconditionnement à l’effort sur ces syndromes biologiques d’inflammation aspécifiques, mais qui peuvent diminuer à la reprise de l’effort ; là encore, le cadre étiologique n’est pas clair. Les troubles du sommeil sont présents dans 90 % des cas, ce qui est très important, mais non spécifique ; anxiété, douleur, troubles de l’articulé dentaire, hypotension, dépression sont très inégalement répartis. On observe aussi une très nette prévalence de la maladie dans la population féminine, ce qui ne permet pas de tirer quelque conclusion que ce soit.

M. le rapporteur. Comment sont financés les centres antidouleur et quelle a été l’évolution de leur financement depuis 2012 ? Sont-ils répartis de manière équilibrée sur le territoire ? Sont-ils en mesure de répondre à la demande ? Comment font-ils face à la baisse de leurs moyens humains ?

M. Philippe Magne, conseiller expert à la Direction générale de l’offre de soins. Il existe environ 260 structures labellisées SDC en France. Ce sont pour moitié des consultations pluriprofessionnelles et pour moitié des centres, mais l’appel à candidatures de ces structures pour 2017, lancé le 13 mai dernier, prévoit une répartition à terme d’environ deux tiers de consultations et un tiers de centres. Les centres sont tenus de réaliser au moins une réunion mensuelle de concertation pluridisciplinaire pour les cas complexes, et ils ont une mission de recherche et/ou d’enseignement : soit la responsabilité pédagogique d’un diplôme universitaire sur la douleur, soit une activité de recherche formalisée par des publications référencées.

Dans chaque région, il doit exister au moins un centre polyvalent et un centre pédiatrique. Pour les prises en charge hors hospitalisations, les SDC sont financées, outre le remboursement des consultations externes par l’assurance maladie, par une dotation de mission d’intérêt général de 61 millions d’euros en tout. Ce montant a été stable ces dernières années, après qu’une revalorisation importante a eu lieu dans le cadre du plan national d’amélioration de la prise en charge de la douleur 2006-2010. Cette dotation permet de prendre en charge des frais de structure au-dessus d’une certaine masse critique et la DGOS s’est attachée à en préserver le montant en dépit du plan d’économies de l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM). Le financement est indexé sur l’activité de chaque SDC puis régionalisé ; les agences régionales de santé sont libres de l’affectation définitive des financements entre les structures, qu’elles peuvent éventuellement moduler en fonction de critères de qualité.

La couverture nationale est satisfaisante. L’activité des SDC augmentant
– l’accroissement a été de 15 % entre 2013 et 2015 –, il est prévu de revoir la modélisation de leur financement et de le rationaliser. Plusieurs mesures ont été prises dans ce cadre. Je citerai l’inscription des SDC dans le suivi de la statistique annuelle des établissements de santé de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, pour permettre le suivi des effectifs et des activités, et le lancement, prévu à l’automne 2016, d’une enquête sur l’activité externe des SDC qui visera à déterminer son coût rapporté au nombre d’équivalents temps plein financés.

L’objectif de la labellisation est que le délai d’attente en première consultation dans un centre de la douleur soit inférieur à un mois, délai concevable pour des maladies chroniques ; selon une étude de la SFETD, ce délai est actuellement compris entre deux et huit mois. Enfin, je n’ai pas connaissance d’une diminution des effectifs des SDC, mais les deux outils mentionnés permettront de suivre l’affectation des personnels dans ces structures en fonction de l’activité enregistrée.

Mme Annie Le Houerou, présidente. Messieurs, je vous remercie.

La séance est levée à douze heures cinq.

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Présences en réunion

Réunion du mardi 28 juin 2016 à 9 heures 30

Présents. – M. Gérard Bapt, Mme Sylviane Bulteau, M. Patrice Carvalho, Mme Marie-Françoise Clergeau, M. Jean-Pierre Decool, Mme Florence Delaunay, M. Vincent Ledoux, Mme Annie Le Houerou, M. Gilles Lurton, M. Frédéric Reiss, M. Arnaud Viala