COMMISSION D’ENQUÊTE
SUR LA FIBROMYALGIE
La séance est ouverte à neuf heures trente
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La commission d’enquête sur la fibromyalgie procède à l’audition du docteur Isabelle Gremy, directrice des maladies non transmissibles et traumatismes de l’Agence nationale de santé publique.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Je souhaite la bienvenue au docteur Isabelle Grémy.
Nous avons décidé de rendre publiques nos auditions ; celles-ci sont donc ouvertes à la presse et diffusées en direct sur un canal de télévision interne, puis consultables en vidéo sur le site internet de l’Assemblée nationale.
Je rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(Mme Isabelle Grémy prête serment.)
Mme Isabelle Grémy, directrice des maladies non transmissibles et des traumatismes à l’Agence nationale de santé publique (ANSP). Le directeur général de l’Agence nationale de santé publique – que l’on appelle aussi Santé publique France – m’a demandé de le représenter car, dans le cadre de la nouvelle organisation de cette agence, le département des maladies non transmissibles et des traumatismes serait le plus à même de prendre en charge la surveillance de la fibromyalgie.
Dans un premier temps, je souhaite vous expliquer la façon dont nous effectuons la surveillance des maladies non transmissibles. J’aborderai ensuite, en répondant aux questions que vous m’avez adressées, le cas spécifique de la fibromyalgie. Il est important que vous connaissiez le contexte contraint dans lequel nous assurons la surveillance épidémiologique dans de nombreux domaines, depuis la santé périnatale jusqu’aux maladies neurodégénératives
Cette surveillance concerne principalement les cancers, les maladies neuro-cardiovasculaires, le diabète, la santé mentale – avec un volet sur le suicide, puisque nous sommes très impliqués dans l’Observatoire national des suicides mis en place par la ministre des affaires sociales et de la santé. Nous assurons également la surveillance de tout ce qui concerne les traumatismes. S’agissant des cancers, nous assurons la surveillance de vingt-cinq localisations de cancers, et sommes également en charge du dépistage organisé du cancer et de son évaluation. Toutes les informations émanant des cent structures de gestion nous reviennent également.
Le champ de notre surveillance est donc important pour une direction qui compte cinquante personnes, réparties en quatre unités : affections cardio-respiratoires et diabète ; santé mentale, cancer et maladies neurodégénératives ; tabac, alcool et santé périnatale ; traumatismes.
La surveillance épidémiologique est faite de manière à assurer le suivi des maladies chroniques et des traumatismes, ainsi que de leurs déterminants et de leurs complications. Il s'agit pour nous de surveiller la fréquence et la gravité des pathologies, leurs tendances temporelles, les disparités géographiques et socio-démographiques, les déterminants de l'état de santé.
Comme vous le savez, on estime entre 10 et 11 millions le nombre de personnes en affection de longue durée (ALD) actuellement. Nous constatons chaque année 355 000 nouveaux cas de cancer et 148 000 décès des suites de cette maladie. Les maladies cardio-vasculaires sont responsables de 30 % des décès. Le diabète touche 5 % de la population, l'asthme 10 % des enfants et 6 % des adultes. Une personne sur deux est en surpoids, et 17 % de la population est en situation d'obésité. Les troubles neuro-psychiatriques sont la première cause d'invalidité et la quatrième cause d'ALD. Le champ de notre surveillance est donc extrêmement vaste, et encore faut-il y ajouter les décès consécutifs à des traumatismes, au nombre de plus de 30 000.
Il nous est demandé de faire la surveillance épidémiologique de l'ensemble de ces pathologies et de produire des indicateurs fiables, qui rendent compte de l'épidémiologie d'une pathologie chronique et des traumatismes. Ces indicateurs doivent être à la fois réactifs, produits en routine et déclinables au niveau infra-régional, à un niveau géographique correspondant au niveau d'action, puisque nous ne récoltons des données qu'en vue d'actions pour le suivi épidémiologique des plans de santé publique comme le plan cancer 3, le plan national nutrition-santé, le plan maladies neurodégénératives, pour n'en citer que trois parmi ceux qui sont en cours.
Le contexte de notre action est en forte évolution, le big data nous ouvrant l'accès à des bases de données de plus en plus complexes. Nous nous aidons de trois sources de données principales pour la surveillance. En premier lieu, des enquêtes transversales répétées. En deuxième lieu, des dispositifs spécifiques, tels que, par exemple, des registres de morbidité permettant de recenser de façon exhaustive, sur un territoire donné, les cas de cancer. En troisième lieu, les bases de données médico-administratives, qui proviennent pour la plupart de l'assurance maladie : elles n'ont pas été construites à des fins épidémiologiques, mais elles peuvent être utilisées à cette fin, moyennant des validations et une méthode assez complexes. Il s'agit du système national d’information interrégimes de l’assurance maladie (SNIIRAM), qui regroupe le programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI), les ALD et tout ce qui concerne les traitements et les actes médicaux.
L'utilisation de ces trois sources de données nous donne un panorama assez exhaustif des principales pathologies dont le fardeau, en termes de mortalité et de morbidité, est important. Nous privilégions la surveillance des pathologies accessibles à des mesures de santé publique. Il faut que la pathologie retenue puisse faire l'objet d’une prévention – qu'elle soit primaire, secondaire ou tertiaire, qu’elle soit sélective ou universelle – ou d'un plan de santé publique. En général, si les pathologies font l'objet d'un plan de santé publique, c'est qu'il y a matière à les faire évoluer. Ce sont les choix qui ont été faits pour établir les priorités de prévention.
Notre département a été créé en 1999. Pour lancer le plan de surveillance, nous avons eu recours à la méthode Delphi. En regroupant une centaine d'experts, nous avons essayé de définir un plan de développement de notre département et de surveillance. Naturellement, c'est le suivi des grosses pathologies des maladies non transmissibles qui a d'abord été mis en place : diabète, maladies cardiovasculaires, cancer, maladies respiratoires chroniques. La santé périnatale, la santé mentale, les maladies neurodégénératives et des approches par population – santé de l'enfant et santé des personnes âgées – sont venues s'y ajouter dans un second temps.
Telle est la façon dont Santé publique France surveille les maladies non transmissibles.
M. Patrice Carvalho, rapporteur. Quels sont les principaux obstacles à l'amélioration de la surveillance de la fibromyalgie par l'ANSP ?
Mme Isabelle Grémy. Nous ne surveillons pas la fibromyalgie. Notre agence résulte de la fusion de l'Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES), de l'Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS) et de l'Institut national de veille sanitaire (INVS). J'ai demandé si l'INPES avait mis en place des mesures concernant la fibromyalgie ; la réponse est négative, s'agissant de la surveillance comme d'éventuelles actions de prévention à l'égard des professionnels de santé ou des patients atteints de fibromyalgie.
De mon point de vue, les obstacles à cette surveillance sont nombreux.
Le premier est que la fibromyalgie n'a pas de poids de mortalité, et que son poids de morbidité est extrêmement difficile à évaluer, son incidence étant estimée entre 0,5 % et 5 %. Dans le questionnaire que vous m'avez fait parvenir, vous l'évaluez entre 2 % et 5 %, mais j'ai passé en revue la littérature de manière extensive, et j'y ai trouvé une étude extrêmement intéressante : une grande enquête du National Health Intervention Survey des États-Unis, répétée depuis de nombreuses années. En 2012, elle a été consacrée à la fibromyalgie, et il en ressort que, si l’on élimine les faux positifs, la variabilité de la prévalence est beaucoup plus importante : entre 0,5 % et 5 %.
Le deuxième obstacle est que la fibromyalgie est une entité nosologique mal définie. L’évolution des critères de l'American College of Rheumatology – ceux de 1990, puis ceux de 2010, enfin ceux de 2010 modifiés – en est la preuve. De 1990 à 2010, nous sommes passés d'une définition purement musculaire à une définition beaucoup plus large, qui incluait des indicateurs tels que troubles du sommeil, fatigue persistante ou troubles cognitifs. Nous avons donc beaucoup de mal à identifier et à cerner cette entité nosologique.
Une autre étude américaine a comparé les résultats obtenus respectivement sur la base des critères de 1990, de ceux de 2010 et de ceux de 2010 modifiés. Ces derniers permettent de recourir à un questionnaire standardisé sans passer nécessairement par un médecin clinicien, ce qui pourrait être un instrument intéressant pour une enquête transversale. Mais, selon les critères retenus, les résultats donnent une prévalence de 1,7 %, de 1,2 % ou de 5 %.
Il me semble que la fibromyalgie est encore une pathologie en cours de délimitation, en cours d'étiologie. Pour l'instant, ce n'est pas un objet candidat à la surveillance épidémiologique, c'est-à-dire la production d'indicateurs réguliers.
Deux études françaises ont été menées sur la fibromyalgie. Elles aboutissaient à une prévalence de 1,4 %, en se fondant à la fois sur les critères retenus par les Américains et sur le classement des données probantes proposé par le Centre for Evidence Based Medicine (CFEBM) d’Oxford, car la politique de l'Agence nationale de santé publique est de fonder l'épidémiologie sur des données probantes.
Ces éléments expliquent que la fibromyalgie n'ait pas fait l'objet d’une surveillance épidémiologique jusqu'à présent, et qu’elle n’en fera probablement pas l’objet dans un avenir proche. Elle ne répond pas aux critères de fardeau de la maladie et de « préventabilité » - excusez le néologisme ! En revanche, d'autres critères interviennent, et les inquiétudes de la société en font partie. Ce sont des indicateurs qui pourraient être pris en compte dans le cadre d'une surveillance épidémiologique.
Selon nos critères, la précision nosologique n'existe pas encore, et le fardeau est absent. Mon département doit réaliser la surveillance épidémiologique de la préconception jusqu'à l'Alzheimer avec des ressources limitées...
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Pourriez-vous expliquer ce que vous entendez par absence de « fardeau » ?
Mme Isabelle Grémy. Je reconnais que la terminologie est totalement inappropriée. Du point de vue épidémiologique, le fardeau est le poids de morbidité et le poids de mortalité. Il n'y a pas de poids de mortalité dans le cas de la fibromyalgie. Quant au poids de morbidité, il n'est pas connu à ce jour. Le poids de morbidité se mesure par différents indicateurs, notamment les années de vie passées en bonne santé ou la qualité de vie.
Le poids de morbidité de la fibromyalgie est incontestable, et il ne faut absolument pas le nier. Mais, dans l’immédiat, il est préférable d'orienter les efforts vers la recherche thérapeutique, la délimitation, la recherche des causes de la maladie. Pour l'instant, nous n'avons pas de cause identifiée ni de marqueurs biologiques de cette maladie, dont la définition a évolué de manière importante au cours des dernières décennies. Je pense que la fibromyalgie est un sujet pour la recherche, mais il n'y a pas encore beaucoup de recherches en cours, et l’objet n'est donc pas encore accessible à la surveillance épidémiologique.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Au vu des personnes que nous rencontrons et des témoignages qui nous parviennent, je peux vous assurer que cette maladie constitue bien un « fardeau » !
Hier, avec le rapporteur Patrice Carvalho, nous avons visité un centre de la douleur. Nous avons rencontré un groupe de femmes atteintes de fibromyalgie qui suivent un programme d’éducation thérapeutique.
Il est étrange d'entendre dire, à propos de ce syndrome, que ce n'est pas une maladie, qu'il faut faire des recherches, alors que nous constatons que des milliers de personnes souffrent de ce syndrome et que les moyens manquent pour les prendre en charge. Il semble qu’il n’y ait pas d'engagement de la part des différents agents pour essayer de mieux surveiller et mieux comprendre la maladie, sans attendre que la recherche ait trouvé quelque chose. Certaines personnes nous disent avoir cherché pendant dix ans, et avoir vécu dix années d'errance médicale.
Nous avons d'ailleurs une question à vous poser sur le coût de ce syndrome. Les personnes que nous avons rencontrées hier ont passé des scanners et des examens multiples, et elles-mêmes nous disaient avoir coûté beaucoup d'argent à la sécurité sociale avant que quelqu'un, enfin, leur dise qu'elles souffraient de fibromyalgie et qu'elles pourraient suivre un programme d'éducation thérapeutique. Et encore ces programmes ne sont-ils pas accessibles à tout le monde, faute de moyens.
En vous écoutant, nous avons l'impression que ce n'est pas demain que Santé publique France s'occupera de cette maladie. Je pense qu'il serait tout de même intéressant de mettre en place une surveillance sur ce sujet. Ne serait-il pas possible de faire des exceptions, même si les données sur l'origine et la définition de la maladie sont manquantes ? Nous avons l'impression qu'elle ne se soigne pas, qu'aucun médicament ne viendra guérir cette maladie.
La commission d'enquête a l'impression que l’on tourne en rond…
Mme Isabelle Grémy. La fibromyalgie est un diagnostic par défaut, que l'on pose lorsque toutes les autres causes ont été éliminées. Elle est donc propice à l'errance médicale. La définition même de la fibromyalgie fait que l'on ne peut poser ce diagnostic qu'après avoir éliminé l'ensemble des autres causes rhumatismales. C'est assez compliqué, je ne sais pas comment faire pour que les problèmes de fibromyalgie soient mieux pris en charge, mais mon propos n'est pas du tout de nier ces problèmes.
Le fait est que nous ne savons pas surveiller une maladie dont la définition est aussi imprécise et dont la prévalence fait l'objet d'une variabilité aussi importante selon les critères retenus. Par exemple, entre la première enquête sur les critères de 1990 et celle réalisée avec les critères de 2010 modifiés, le rapport est passé de treize femmes pour un homme à deux femmes pour un homme.
On ne peut pas repérer la fibromyalgie dans les bases médico-administratives. Elle a un seul code selon la classification internationale des maladies (CIM) : M79.7. J'ai fait une recherche avec ce code dans les bases de données médico-administratives, en diagnostic principal et en diagnostic associé. Sur une trentaine de millions d'hospitalisations annuelles, j'ai trouvé un code de diagnostic de la fibromyalgie dans 15 024 hospitalisations, mais pour seulement 2 000 hospitalisations en diagnostic principal ; dans le reste des cas, c'était un diagnostic associé, qui n'était donc pas la première cause d'hospitalisation.
Dans les bases de données médico-administratives, qui n'ont pas été créées pour l'épidémiologie, tous les professionnels de santé retiennent-ils la même définition de la fibromyalgie ? Tous les actes sont-ils parfaitement codifiés, appréhendés, connus, identifiés ? Je ne le pense pas. Par conséquent, les efforts à faire portent sur la connaissance de la maladie : je ne crois pas avoir eu un seul cours sur la fibromyalgie. Il est vrai que je ne suis plus toute jeune et que cette maladie a été identifiée récemment, mais je ne crois pas qu’il y ait actuellement beaucoup de cours sur elle.
Quand votre commission m’a demandé de travailler sur la fibromyalgie, j’ai pensé qu’il fallait que nous nous penchions sur ce problème, que nous étudiions l’amplitude de la littérature qui existe, l’étendue de la mortalité et de la morbidité, ainsi que le dommage physique et moral impliqué. La question est ouverte. Il y a, à l’évidence, une vraie pathologie et la reconnaissance de cette maladie est en train de progresser rapidement. Votre commission y contribue.
Lorsque nous avons créé notre département, nous avons commencé par les grandes pathologies, puis nous nous sommes intéressés à la santé mentale, aux maladies neurodégénératives, à des approches par populations vulnérables, à la santé des détenus. Il faut avoir conscience de l’énorme éventail de pathologies à surveiller et du peu de ressources dont je dispose. Je ne pense pas qu’il faille commencer par la surveillance épidémiologique, car je doute que l’on puisse fournir des données fiables.
M. Arnaud Viala. Votre réponse et votre argumentation sont compréhensibles, mais aussi perturbantes. Vous dites qu’il faut faire progresser la prise en compte des dommages de tous ordres causés par ce trouble, mais que cela ne peut pas être mis à la charge de votre département car l’état de la science est insuffisamment avancé.
Nous avons du mal à trouver comment faire avancer ce sujet. Selon vous, par où faudrait-il commencer ? Vous dites qu’il faut approfondir la recherche, mais lorsque nous recevons les chercheurs, ils nous disent qu’ils ont besoin d’éléments statistiques et objectifs pour cela. C’est un cercle vicieux, et si personne ne décide de commencer, nous n’allons jamais pouvoir avancer.
Pour que des députés se saisissent d’un tel sujet et décident de la création d’une commission d’enquête, procédure éminemment rare, c’est qu’il suscite un émoi et une large préoccupation. Est-ce que cela alerte vos structures sur la nécessité de repenser votre posture à l’égard de ces troubles ? Que diriez-vous si, parmi ses conclusions, la commission d’enquête demandait formellement à votre département d’inscrire ce trouble parmi vos sujets d’étude ?
Mme Isabelle Grémy. Les principaux critères qui nous font retenir un thème pour la surveillance épidémiologique sont la possibilité d’une prévention et le fardeau en termes de mortalité et de morbidité. D’autres critères peuvent évidemment intervenir, et les inquiétudes de la société – que vous représentez – doivent indéniablement être prises en compte.
Je poserai la question à la direction générale de l’INVS, et nous serons peut-être amenés à en discuter dans le cadre de nos comités d’évaluation interne ou lors du prochain conseil scientifique de l’Agence.
La revue de littérature montre qu’il existe un problème, un véritable fardeau, qui doit être pris en considération. La Haute Autorité de santé (HAS) a commencé à s’y intéresser et a formulé des préconisations. Autant que je sache, ces préconisations ne concernent pas la surveillance épidémiologique ; elles portent sur la prise en charge, l’accompagnement et la reconnaissance des patients, les traitements médicamenteux et non médicamenteux. Si nous sommes officiellement saisis pour exercer une surveillance épidémiologique de la fibromyalgie, nous le ferons. Mais je pense toujours à l’intérêt général global, et il me semble concentrer nos moyens sur un système de surveillance particulier se ferait forcément au détriment d’un autre. Aussi ces décisions doivent-elles être mûrement pesées. Je suis consciente que ma réponse ne vous satisfait pas complètement…
M. Alain Ballay. Vous avez parlé de taux de morbidité et de mortalité. Sachant que la fibromyalgie peut être liée à un syndrome dépressif, avez-vous des données sur le nombre de suicides ou de tentatives de suicide de personnes atteintes de fibromyalgie ?
Par ailleurs, dès lors que vous pensez qu’une étude épidémiologique risque de ne pas faire avancer la prise en charge de ce syndrome, que proposez-vous pour progresser ?
Mme Isabelle Grémy. Pour une bonne surveillance épidémiologique, il faut des instruments de mesure susceptibles d’être utilisés lors d’enquêtes sur la population générale. C’est ce qui a été fait dans la grande enquête réalisée aux États-Unis, qui porte tout de même sur 222 millions de personnes. C’est la plus grande étude qui ait été faite en population générale. Elle montre la grande variabilité du diagnostic clinique et du diagnostic épidémiologique lorsque l’on introduit un questionnaire dans une enquête.
La première étape devrait consister à faire valider la définition et les instruments de mesure. On ne peut pas commencer à faire de la surveillance épidémiologique sans disposer d’un instrument de mesure fiable. À ce jour, un tel instrument n’existe pas ; ce qui existe est très imparfait.
Cet instrument de mesure devra être validé en langue française, et il faudra s’assurer que, lorsqu’il est appliqué à une population, il repère tous les fibromyalgiques sans retenir ceux qui ne le sont pas. Si l’on ne repère pas tous les fibromyalgiques, l’instrument de mesure manque de sensibilité ; s’il retient des non-fibromyalgiques, il manque de spécificité.
Pour la surveillance épidémiologique, il nous faut des instruments calibrés. La surveillance épidémiologique impose de répéter de façon régulière des indicateurs, tant au niveau national que régional. Il faut que la mesure soit fiable, précise, reproductible. Elle ne doit pas varier selon les personnes qui font passer le questionnaire. À l’aune de toute cette série de critères, il n’y a pas encore d’instrument de mesure qui soit au point.
Il n’est pas possible de commencer à faire de la surveillance épidémiologique en un claquement de doigts. Il faut disposer de l’ensemble des instruments et des méthodes qui permettent d’assurer une mesure fiable. Autrement, nous donnerions des chiffres qui ne correspondent pas à la réalité, ce que nous ne pouvons pas nous permettre. Il nous faut donc ces structures qui permettent d’établir un diagnostic épidémiologique fiable, et ce n’est pas le cas aujourd’hui.
Le diagnostic de la fibromyalgie s’est considérablement étendu entre 1990 et 2010, et plus encore avec l’adoption des critères de 2010 modifiés. Il repose sur quarante et un symptômes. Il faut essayer de quantifier les douleurs, d’identifier sur quels points elles portent. D’autres critères sont plutôt d’ordre psychologique : il faut identifier un mal-être dont on ne sait pas s’il est la cause ou la conséquence de la fibromyalgie. Or, il est très important de le savoir pour être en mesure de vous répondre sur le suicide et la dépression. La dépression n’est pas un critère de la fibromyalgie, il s’agit plutôt de choses plus diffuses, comme les troubles du sommeil, des troubles cognitifs, le fait de se réveiller très fatigué et de ressentir une fatigue chronique. Ce sont les syndromes plus psychiques associés à la fibromyalgie, qui font maintenant partie de la définition alors que ce n’était pas le cas auparavant.
Quant à votre question sur les suicides, je suis incapable d’y répondre.
M. Christophe Premat. Vous avez évoqué les données numériques – big data – qui seraient extrêmement complexes à manier. Est-ce que l’accès à ces données permet de croiser les données et de disposer d’une définition plus précise ?
Vous avez parlé de la classification internationale des maladies et du code M79.7. Comment pourrions-nous nous approprier cette définition pour obtenir une définition plus précise de la fibromyalgie ? Est-ce une question de culture méthodologique ?
Enfin, une surveillance épidémiologique impose de disposer d’un instrument de mesure fiable, avec la difficulté que cela induit en termes de moyens et de précision : si l’on isole la maladie, doit-on commencer par isoler un certain nombre de symptômes ? Votre agence se place plutôt sur une surveillance multithématique. Vous dites ne pas disposer des instruments de mesure fiables, et que ce ne sera pas le cas dans les années proches. Quelle serait la meilleure méthode pour avancer dans ce débat ?
Mme Isabelle Grémy. Vous avez auditionné, je crois, un représentant de la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM). Nous avons accès à leurs bases, et je les ai consultés pour préparer cette audition. Il n’y a pas d’ALD spécifique pour la fibromyalgie. Dans ces bases de données, les personnes fibromyalgiques qui sont en ALD sont classées sous le code 31. En 2013, on en décomptait 185, mais ce chiffre ne correspond probablement pas à la réalité. Il correspond sans doute aux cas les plus sévères, aux patients à qui on a fini par proposer une ALD car on ne savait plus quoi faire pour les prendre en charge. Cela montre aussi que ce code est très peu connu des codificateurs, et que la connaissance même de la maladie est déficiente chez les professionnels de santé.
On peut repérer une maladie dans les bases de données de l’assurance maladie soit par le diagnostic CIM qui accompagne les hospitalisations, soit par les déclarations d’ALD
– mais il n’existe pas d’ALD spécifique à la fibromyalgie –, soit par un acte traceur. Une biopsie de la prostate, par exemple, est un bon indicateur de soupçon de cancer de la prostate. Pour la fibromyalgie, il n’existe pas un tel acte traceur. Dans la base SNIIRAM, les diabétiques sont souvent hospitalisés pour d’autres causes, mais on pourra identifier ceux qui consomment des antidiabétiques oraux ou de l’insuline : par exemple, tous ceux qui auront reçu trois traitements d’antidiabétiques oraux pendant plus de trois mois consécutifs ou qui prennent de l’insuline seront définis comme diabétiques. Nous avons des critères très objectifs dans ce cas.
Mais, actuellement, il est impossible de repérer la fibromyalgie en utilisant les bases médico-administratives. Ce serait la solution la plus commode, et c’est la première chose que j’ai faite en apprenant que je serais auditionnée par votre commission. J’ai interrogé la base PMSI et la base ALD : interroger les autres bases aurait été inutile, car il n’y a pas de médicament ni d’acte médical spécifique à la fibromyalgie.
Dans la CIM10, la codification M79.7 comporte un seul intitulé : « fibromyalgie », et trois sous-intitulés : « fibromyosite », « fibrosite » et « myofibrosite ».
M. le rapporteur. Merci de votre franchise. Même si elle ne nous satisfait pas, elle corrobore ce que nous avons constaté lors des précédentes auditions.
Il a fallu un siècle pour interdire l’amiante, et tout le monde en a utilisé pendant des décennies. Combien de décès du cancer du poumon ont été imputés à d’autres causes avant que l’amiante soit reconnue cancérogène ? Nous sommes peut-être dans la même situation. L’amiante est une fibre, la comparaison n’a pas forcément de sens, mais si l’on ne fait pas de recherches afin d’identifier les causes réelles du problème en discutant avec les gens, on n’avancera jamais.
Sans enquête de votre part, s’il n’y a pas de moyens consacrés à la recherche, il est clair que dans cinquante ans, nous serons dans la même situation.
Mme Isabelle Grémy. Le processus de connaissance et d’appropriation scientifique est un processus lent. Je ne veux pas excuser le fait que nous ne nous occupions pas de la fibromyalgie, mais nous avons constaté la même chose pour le sida et le virus de l’immunodéficience humaine (VIH).
Les interpellations par la société civile affectent les agences, l’ANSP au même titre que les autres. Il s’agit d’un sujet dont il faudra discuter à l’avenir. Mais, encore une fois, il faut absolument l’approfondir au préalable. Nous avons identifié un périmètre nosologique, mais nous n’avons pas de causes identifiées, ni d’étiologie. Il faut commencer par aller à la recherche de ces causes et de ces étiologies.
Je suis d’accord avec vous : il faut que nous nous interrogions sur beaucoup de nouvelles maladies, sur lesquelles la recherche doit progresser.
Dans ce cas précis, il me semble que l’un des premiers éléments qu’il faudrait mettre en place est une recherche autour des causes et des déterminants. Le fait que, parmi les personnes atteintes, il y ait un homme pour treize femmes en 1990 et un homme pour deux femmes aujourd’hui soulève des questions.
Il reste beaucoup de choses à préciser, et le problème des instruments de mesure pour la surveillance épidémiologique à long terme reste entier. Je pense que nous devons étudier cette question de plus près, certainement de façon plus attentive, mais je ne suis pas sûre qu’il faille commencer par la surveillance épidémiologique. L’absence d’instrument de mesure interdit la surveillance épidémiologique, et l’instrument de mesure doit absolument être développé et reconnu pour sa fiabilité. Il faut mettre en place cet instrument de mesure, et c’est plutôt l’affaire des chercheurs.
L’identification des déterminants, c’est-à-dire les facteurs de risque qui aboutissent à cette fibromyalgie, et des étiologies, est aussi du domaine de la recherche. Cela me paraît fondamental.
L’autre chose fondamentale à mes yeux, cette fois en tant que citoyenne et non en tant qu’épidémiologiste, est que soient reconnues la douleur et de la peine de ces patients. C’est indispensable, et la prise en charge doit être adéquate.
L’errance médicale est compliquée à combattre, la fibromyalgie est définie par défaut. Il faut éliminer toutes les autres causes pour conclure à une fibromyalgie. Il est donc compliqué d’éviter l’errance. La fibromyalgie n’est pas un sujet facile.
Puis la commission d’enquête entend Mme Nadine Randon, présidente de l’association FibromyalgieSOS, et Mme Ghyslaine Baron, vice-présidente.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Mes chers collègues, nous allons maintenant procéder à l’audition, ouverte à la presse, de Mme Nadine Randon, présidente de l’association FibromyalgieSOS, et de Mme Ghyslaine Baron, vice-présidente.
Nous avons décidé de rendre nos auditions publiques ; elles sont donc ouvertes à la presse et retransmises en direct sur le site internet de l’Assemblée nationale. Avant de vous céder la parole, je vous indique que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(Mmes Nadine Randon et Ghyslaine Baron prêtent serment.)
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Madame Randon, je vous donne la parole pour un bref exposé, qui précédera un échange sous la forme de questions et de réponses.
Mme Nadine Randon. Âgée de soixante-six ans, j’ai été diagnostiquée fibromyalgique en 2000 ; je présente également un syndrome de Gougerot-Sjögren, et suis atteinte d’une pseudo-polyarthrite rhizomélique (PPR). Souffrant de douleurs et d’une fatigue chronique depuis l’âge de dix ans – des troubles qui ne s’expliquaient pas à l’époque –, c’est en essayant de comprendre ce qu’était la fibromyalgie que j’ai découvert, début 2005, le premier forum et le site de l’association FibromyalgieSOS. Très vite, je me suis engagée dans le combat associatif et je préside depuis 2009 l’association au nom de laquelle je m’exprime devant vous aujourd’hui.
Mme Ghyslaine Baron. Âgée de soixante-sept ans, je suis engagée depuis 2006 au sein de l’association FibromyalgieSOS, dont j’assure actuellement la vice-présidence. Je suis atteinte du syndrome de fibromyalgie, mais aussi du syndrome de Gougerot-Sjögren et du syndrome d’Ehlers-Danlos, qui est une maladie génétique.
Mme Nadine Randon. FibromyalgieSOS est une association de type loi de 1901, fondée en avril 2005 et agréée en 2014 au niveau national par le ministère de la santé. Elle a été créée pour sortir de l’isolement les malades atteints de fibromyalgie et les renseigner au maximum, au moyen d’un forum et d’un site très documenté conçus par l’ancien président : internet permettait d’aider efficacement les malades en manque de renseignements et bien souvent incapables de se déplacer.
En 2008, nous avons mis en place un numéro d’appel unique, avec une permanence téléphonique de grande amplitude, tenue par des bénévoles toutes atteintes de fibromyalgie et formées à l’écoute – cette permanence reçoit environ 1 000 appels par an. Nous organisons des réunions locales et des permanences dans les hôpitaux – bien entendu ouvertes à tout malade, ainsi qu’à sa famille et ses amis, et gratuites. Nous répondons quotidiennement à tous les mails sans distinction.
Nous apportons aide administrative, soutien et écoute à tout malade et à sa famille, que ces personnes adhèrent ou non à notre association. Nous diffusons une newsletter à plus de 6 500 contacts et envoyons très régulièrement des informations à nos adhérents : comptes rendus de toutes les actions, réunions, congrès, conférences, articles médicaux, journaux, etc.
Nous mettons aussi à la disposition de nos adhérents une liste de contacts sur laquelle sont inscrites les coordonnées réduites des adhérents qui ont accepté d’y figurer – bien entendu, il ne s’agit pas du fichier des adhérents, dont les informations sont protégées par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). Cette liste classée par régions et départements favorise les échanges d’informations médicales régionales, ainsi que d’éventuelles rencontres.
Vous l’avez compris, notre but est d’informer, aider et soutenir les malades, mais aussi de faire connaître la fibromyalgie. Pour cela, nous avons également publié un livret d’information, constituant la synthèse de documents médicaux et de recherche ; créé en 2008, mis à jour en 2010 et en 2013, il a été relu et corrigé par le professeur Perrot, du centre d’évaluation et de traitement de la douleur (CETD) rattaché à l’Hôtel-Dieu et à Cochin.
Il est distribué gratuitement à chaque adhérent, ainsi qu’à deux thérapeutes de son choix – car nous savons que nombre de médecins se trouvent démunis devant la fibromyalgie. Dans toute pathologie, mais sans doute encore plus pour la fibromyalgie, la relation patient-médecin est importante : il est donc appréciable que l’un et l’autre puissent engager le dialogue sur la base du même support d’information, ce qui nous est confirmé par les très bons retours qui nous parviennent. Ce livret a été remis à chacun des membres de la commission.
Nous organisons des conférences et participons à des congrès et salons. Depuis 2010, nous tenons notamment un stand au salon des Thermalies. Durant quatre jours, nous renseignons environ mille personnes et avons des contacts avec les établissements thermaux. Nous nous informons sur les nouveaux programmes de cures thermales spécifiques à la fibromyalgie et les informations recueillies sont mises à jour sur notre site et envoyées à nos adhérents, qui disposent ainsi d’informations détaillées et actualisées.
Nous travaillons en étroite collaboration avec les établissements thermaux, mais en complète indépendance vis-à-vis d’eux. Nous avons participé aux groupes de travail sur le programme d’éducation thérapeutique du patient (ETP) pour les cures « fibromyalgie » avec le Conseil national des établissements thermaux (CNETh) et l’Association française pour le développement de l’éducation thérapeutique (AFDET). Nous pourrons approfondir le sujet des cures thermales si vous le désirez car nous avons remarqué, lors des auditions précédentes, que les informations sur ce point semblaient faire défaut.
La prise en charge multidisciplinaire étant recommandée pour la fibromyalgie, nous mettons l’accent sur les cures thermales, mais aussi sur d’autres formes de prise en charge telles que les thérapies cognitivo-comportementales (TCC), la balnéothérapie, l’ostéopathie, l’hypnose, le reconditionnement à l’effort, sans oublier la sophrologie, la relaxation, la méditation, la naturopathie, la nutrition, etc. Certaines de ces thérapies ne sont malheureusement pas remboursées par les caisses primaires d’assurance maladie (CPAM) et les mutuelles ; aussi de nombreux malades ne peuvent-ils y avoir accès faute de moyens financiers. Je précise que de nombreuses structures antidouleur ne proposent pas ces programmes, soit par choix, soit par manque de dotations financières ; nous avons donc négocié avec certains thérapeutes des tarifs préférentiels pour nos adhérents, bien entendu sans en tirer aucun bénéfice : seul compte pour nous de permettre un accès plus facile à ces soins pour les malades.
Parmi les problèmes rencontrés par les personnes atteintes de fibromyalgie, il y a la mauvaise prise en charge et le scepticisme des médecins, notamment des médecins-conseils. Notre association a vocation à renseigner les malades et à leur faire prendre conscience que les médicaments ne sont pas la panacée, et nous avons été ravies de constater que ce dernier point semblait faire l’objet d’un consensus au cours des auditions précédentes. Nous sommes bien souvent effarées des cocktails de médicaments prescrits : comment se prendre en charge quand on est transformé en zombie ? Comme cela a été dit, ces prescriptions à long terme de médicaments peuvent même aggraver l’état des fibromyalgiques.
Une bonne prise en charge peut éviter la perte de travail, l’invalidité, voire le fauteuil roulant. La fibromyalgie seule ne doit pas mener au fauteuil roulant, car elle ne provoque pas de lésions, mais il arrive que certaines personnes se trouvent réduites à cette extrémité en raison d’autres pathologies ou d’une mauvaise prise en charge. Il est cependant possible de recourir au fauteuil roulant lorsqu’une personne a des difficultés pour rester debout ou pour marcher longtemps, et que cela la gêne dans sa vie sociale – pour accompagner sa famille lors de sorties ou pour visiter des expositions, par exemple. Seulement 1 % des personnes ayant répondu à une enquête que nous avons menée, et dont je parlerai tout à l’heure, utilisent quotidiennement le fauteuil, et 5 % de façon occasionnelle. Quant à la canne et au déambulateur, 17 % ont répondu en faire usage.
La fibromyalgie ne provoquant pas d’inflammation, il est surprenant de constater des prescriptions d’anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) dans 54 % des cas, et de corticoïdes dans 13 % des cas. Dans 9 % des cas, il est prescrit de la kétamine, alors même qu’il n’existe aucune étude démontrant sa supériorité sur un placebo dans le traitement de la fibromyalgie et en dépit des effets secondaires non négligeables que peut avoir cet anesthésiant – hallucinations, changement de personnalité, paranoïa, voire idées suicidaires. Il est très difficile de se sevrer de ce produit classé parmi les stupéfiants et nous avons malheureusement connu, au sein de notre association, un cas de passage à l’acte sous kétamine. Il faut « être acteur de sa maladie » et ne pas attendre le médicament miracle qui n’est malheureusement pas près d’être mis sur le marché.
Il est également important d’arriver à vivre avec une pathologie chronique : c’est, avec le sommeil, la qualité de vie ou les médicaments, l’un des thèmes abordés dans les programmes d’éducation thérapeutique du patient. Au sein de l’association, nous développons notre capacité à participer aux programmes d’ETP, puisque trois de nos bénévoles ont suivi la formation de patients experts, et deux d’entre elles interviennent dans les programmes d’ETP en cure thermale, dont Mme Baron, ici présente.
En ce qui concerne les médecins très « fibrosceptiques », notamment certains médecins-conseils, ils peuvent détruire un malade. Certes, ces médecins-conseils sont là pour étudier un dossier et défendre les intérêts de l’État, mais en principe ils sont aussi – et même avant tout – médecins, et devraient donc être à l’écoute du patient ! Il est totalement aberrant et révoltant que certains puissent se montrer odieux envers des malades, au point de les déstabiliser totalement et de les pousser au suicide, comme cela a malheureusement déjà été le cas.
Le suicide est une blessure qui reste ouverte en permanence au sein de notre association, car ce drame nous a frappés à plusieurs reprises, qu’il soit provoqué par la prise de kétamine, à cause de l’attitude d’un médecin-conseil ou simplement parce que les souffrances physiques et morales ont eu raison de la résistance d’un malade – nous avons connu une personne qui a demandé un suicide assisté en Suisse.
Notre enquête permet d’avancer des chiffres sur la question du suicide. Bien entendu, les chiffres réels sont certainement plus élevés que ceux résultant de notre enquête, puisque seules les personnes ayant survécu à leur tentative de suicide ont pu répondre à notre questionnaire… Quoi qu’il en soit, 20,5 % des répondants déclarent avoir des idées suicidaires peu fréquentes ; ces idées sont fréquentes pour 15,6 % et très fréquentes pour 3,5 %. Par ailleurs, 7,7 % des personnes ayant répondu à notre enquête ont fait au moins une tentative de suicide, contre 5,5 % pour l’ensemble de la population française selon le Baromètre santé 2010.
Le but de FibromyalgieSOS est également d’aider la recherche clinique. Pour ce faire, sous le parrainage de l’Association française de lutte anti-rhumatismale (AFLAR), à laquelle nous sommes affiliés, nous avons mis en ligne une grande enquête ; des scientifiques tels que les professeurs Serge Perrot, Pascale Vergne-Salle, Christian-François Roques, Françoise Laroche, et d’autres médecins nous ont aidés dans l’établissement du questionnaire.
Une partie importante est consacrée à la place du travail chez les fibromyalgiques, une interne en médecine du travail faisant sa thèse de doctorat sur le sujet. Le questionnaire de notre enquête inclut également des items du Questionnaire d’impact de la fibromyalgie (QIF –FIQ en anglais) et du Fibromyalgia rapid screening tool (FiRST). Ces questionnaires proposent une aide au diagnostic pour une prise en charge meilleure et plus précoce, mais aussi en vue d’une utilisation en recherche clinique.
Le QIF a été recommandé par l’Académie de médecine dans son rapport de 2007 et le FiRST a été mis en place en 2010 par les professeurs Serge Perrot et Didier Bouhassira du Cercle d’étude de la douleur en rhumatologie (CEDR). Vous pouvez retrouver ces questionnaires sur notre site web, où ils ont leur place depuis leur création, et nous les mentionnons également dans nos documents d’information.
L’enquête comprenant 423 questions a été mise en ligne par la société Sanoïa, symboliquement lors de la journée mondiale de la fibromyalgie le 12 mai 2014 et jusqu’au 15 septembre 2014 ; en quatre mois, dont deux mois d’été, nous avons recueilli 4 536 réponses dont 4 522 exploitables, ce qui prouve que les personnes atteintes de fibromyalgie sont très désireuses d’apporter leur témoignage afin d’aider la recherche, comme nous l’avons déjà constaté lorsque nous proposons des participations à diverses études.
Cette importante base de données, unique à ce jour en France, intéresse les chercheurs, et des publications scientifiques sont en cours, comme l’a indiqué le professeur Perrot lors de son audition, notamment en ce qui concerne l’impact de la fibromyalgie sur le travail. Ces résultats ont été présentés par FibromyalgieSOS aux Rencontres nationales sur les rhumatismes (RNR) de décembre 2015 ; chaque membre de votre commission a été destinataire de cette présentation qui en fait ressortir les grandes lignes.
La partie « travail » y a été très peu abordée, car elle faisait partie d’une présentation séparée, plus approfondie. Afin de faciliter la lecture de l’analyse et une meilleure diffusion, nous avons élaboré une synthèse des résultats sous la forme d’une collection de trois brochures « Les malades ont la parole », dont un exemplaire a également été remis à chacun d’entre vous. La brochure n° 1 concerne l’épidémiologie, le diagnostic et les symptômes, la brochure n° 2 la prise en charge, la brochure n° 3 les conséquences et répercussions. Ces brochures, offertes à nos adhérents et à deux de leurs thérapeutes s’ils le désirent, ont été distribuées à grande échelle aux établissements thermaux et lors de congrès et de salons. Elles sont aussi envoyées à tout médecin ou scientifique qui en fait la demande ; il en est de même pour l’analyse complète qui vous a été adressée par mail.
Une lettre ouverte a été adressée à tous les députés, présentant la problématique de la fibromyalgie à travers l’enquête de FibromyalgieSOS, et des campagnes de presse ont été lancées, tout ceci dans le but de faire connaître la fibromyalgie et d’informer au maximum sur le vécu des malades. Nous espérons que ces résultats vous aideront à mieux appréhender les problématiques rencontrées par les malades et nous sommes prêtes à répondre à vos questions.
En conclusion, j’aimerais vous faire part d’un témoignage recueilli hier soir sur notre forum, particulièrement révélateur des problèmes que les malades peuvent rencontrer dans leurs relations avec les médecins. Une personne qui venait de consulter son médecin afin de disposer d’un regard neuf sur sa maladie s’est ainsi entendu répondre, lorsqu’elle a évoqué le « cocktail » migraine-dépression-fibromyalgie dont elle souffre, des mots tels que ceux-ci : « cette soi-disant maladie qui n’en est pas une », « si vous aviez un cancer, ça serait différent, c’est une vraie maladie », « sortez, vous oublierez vos douleurs, et si vous avez mal au moins vous saurez pourquoi », « vous vous complaisez dans votre soi-disant état de maladie », « pourquoi avez-vous besoin de la compréhension de votre entourage, vous vous en fichez s’ils ne comprennent pas »… Cela se passe de commentaires, mais la personne concernée nous a confié qu’en rentrant chez elle, elle est restée prostrée un moment avant de connaître un violent sentiment de rage et de dégoût.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Je vous remercie pour cette présentation très complète. Il nous est également arrivé de recevoir des témoignages de ce type. Il semble que la personne dont vous avez relaté l’expérience n’ait pas eu la chance d’avoir affaire à un médecin à l’écoute – fort heureusement, tous les professionnels de santé ne sont pas dans ces dispositions d’esprit.
M. Patrice Carvalho, rapporteur. Votre association est-elle financée uniquement par vos adhérents, ou l’est-elle aussi, directement ou indirectement, par des laboratoires pharmaceutiques ou par des établissements de cures thermales ou des instances représentant leurs intérêts ? Sur ce dernier point, j’ai cru comprendre que vous organisiez de grandes manifestations où interviennent des personnes s’exprimant sur l’intérêt que présentent les cures – ce qui suppose qu’un droit de place vous soit réglé.
Mme Nadine Randon. La politique de FibromyalgieSOS a toujours été d’être indépendante, notamment vis-à-vis des laboratoires pharmaceutiques : elle ne reçoit donc aucun financement de leur part. Aucun médicament n’ayant obtenu d’autorisation de mise sur le marché pour la fibromyalgie en Europe, les laboratoires ne s’intéressent plus à cette maladie et aux associations compétentes en la matière ; ils ne pourraient guère intervenir qu’au titre de la lutte contre la douleur.
En ce qui concerne les établissements thermaux, nous sommes, là aussi, complètement indépendants et neutres. Nous ne privilégions aucun établissement quand nous faisons la liste des établissements présentant un programme « fibromyalgie ».
Mme Ghyslaine Baron. Pour ma part, si j’interviens au sein des établissements thermaux, je le fais toujours à titre gratuit, en demandant uniquement le remboursement de mes frais de transport.
Mme Nadine Randon. Effectivement, alors qu’il avait été proposé à Mme Baron et à une autre personne intervenant au sein des établissements thermaux dans le cadre des ETP d’être indemnisées, nous avons refusé, souhaitant simplement obtenir le remboursement des frais de transport.
En ce qui concerne les conférences que nous organisons lors des journées mondiales de la fibromyalgie, durant lesquelles nous proposons à une quinzaine d’établissements thermaux de tenir un stand d’information dans une salle attenante, il est vrai que nous demandons à chacun d’eux une participation financière forfaitaire de 500 euros, ce qui nous permet de compenser très partiellement le coût élevé de la location d’une salle en Île-de-France.
Le fonctionnement de l’association est assuré par les seuls dons et cotisations des adhérents et sympathisants. Les personnes atteintes de fibromyalgie ont bien souvent des revenus modestes, notamment à cause de la perte d’emploi qu’elles ont subie ; nous ne voulons pas que le manque d’argent soit un frein pour adhérer à une association, d’autant que cela permet non seulement de recevoir des informations en grand nombre, mais aussi de se sentir utile et actif.
Aussi, en lieu et place de la cotisation normale de 30 euros par an, valable de date à date, payable si nécessaire en trois fois et déductible des impôts à hauteur de 66 %, nous proposons une cotisation réduite à 10 euros par an, pouvant être payée en deux fois, pour les personnes percevant des revenus équivalents au revenu de solidarité active (RSA) – ce qui représente environ 3 % de nos adhérents.
Comme je vous l’ai dit, tous nos adhérents et deux thérapeutes de leur choix reçoivent un livret d’information et un lot de trois brochures des résultats de l’enquête, ce qui représente un coût non négligeable, sans oublier que les personnes ne disposant pas d’un accès à internet reçoivent toutes les informations par voie postale. Notre budget de fonctionnement est donc assez conséquent.
Nous avons actuellement 1 400 adhérents à jour de cotisations et ce nombre reste en croissance – même si celle-ci est moindre ces deux dernières années –, avec un taux de renouvellement de 70 %, ce qui est très satisfaisant. Il faut croire que, malgré le désintérêt croissant des personnes pour les associations en général et l’émergence des réseaux sociaux, où il arrive souvent que des informations obsolètes circulent, les adhérents savent faire la part des choses et nous disent apprécier recevoir autant d’informations et d’aide. Parmi nos adhérents, environ 11 % n’ont pas accès à internet – ou seulement depuis un téléphone –, mais nous ne les délaissons pas pour autant : toutes les informations leur sont envoyées sur papier.
Je voudrais préciser que notre numéro d’appel unique – un numéro Contact, ex-Indigo – n’est absolument pas surtaxé, contrairement à ce qui est parfois affirmé. Non seulement les appels ne nous rapportent pas d’argent, mais ceux-ci représentent un coût important pour l’association, d’autant que, pour éviter des frais aux personnes – 0,09 euro la minute –, nous leur proposons dès le début de la communication de les rappeler immédiatement. L’un de nos objectifs était d’obtenir un numéro vert dédié à la fibromyalgie mais nous avons dû y renoncer, ce dispositif étant trop onéreux pour nous.
FibromyalgieSOS a perçu jusqu’en mai 2016 une subvention annuelle de 150 euros de la ville de Villeneuve-d’Ascq, où était domicilié le siège social de l’association. Mon déménagement personnel ayant entraîné celui du siège social, nous ne percevons plus cette subvention.
Pour ce qui est de l’enquête lancée le 12 mai 2014, qui représente un coût très important, nous avons reçu des dons de nos adhérents, mais aussi 2 000 euros de l’Association française de lutte anti-rhumatismale (AFLAR), qui a parrainé l’enquête. Nous avons également obtenu 1 000 euros du CNETh, en raison du fait qu’une partie de l’enquête portait sur les cures thermales et en montrait les bénéfices.
M. Arnaud Viala. Vous avez évoqué le fait que le syndrome fibromyalgique s’accompagnait souvent de difficultés sociales. Avez-vous observé un lien entre la situation socioprofessionnelle des personnes et l’apparition des troubles : en d’autres termes, pensez-vous qu’il puisse exister un déterminisme social ?
Par ailleurs, la prise en charge de la fibromyalgie apparaît comme l’un des plus importants problèmes qu’elle pose. Selon vous, par où faut-il commencer ? Est-ce par la recherche scientifique, par la mise en œuvre d’une meilleure prise en charge par la sécurité sociale et les assurances, ou par des enquêtes épidémiologiques plus poussées ?
Mme Ghyslaine Baron. Une fiche étant établie à chaque appel que nous recevons sur notre numéro Contact, nous sommes en mesure de constater que la population touchée est constituée de femmes pour 60 % à 70 % – bien qu’il y ait de plus en plus d’hommes et d’enfants – dont l’activité principale consiste à aider les autres. Ainsi, nous comptabilisons un grand nombre d’enseignants et de personnes du secteur médical et paramédical – je pense notamment au personnel des maisons de retraite. Il s’agit donc majoritairement de personnes donnant beaucoup de leur temps et étant soumises à un important niveau de stress : or, on sait que le stress favorise l’apparition de la fibromyalgie.
Mme Nadine Randon. Si je ne crois pas que le fait de percevoir des revenus peu élevés soit de nature à provoquer une fibromyalgie, il est probable en revanche que les personnes atteintes voient leur état s’aggraver faute de pouvoir bénéficier d’une prise en charge adéquate. Les mères de famille nombreuse, qui constituent un profil que l’on retrouve fréquemment parmi les personnes atteintes, consacrent plus de temps aux autres qu’à elles-mêmes, alors que la fibromyalgie exige que l’on prenne soin de soi. Pour aller mieux, un fibromyalgique devrait apprendre à devenir égoïste : or, d’une part, cela va à l’encontre de son tempérament altruiste, d’autre part, ses conditions de vie ne le lui permettent généralement pas, car il n’y a personne pour le remplacer auprès des autres et pour s’occuper de lui.
Pour ce qui est de la meilleure façon de s’attaquer au problème de la fibromyalgie, je pense que tous les aspects devraient être abordés simultanément. Il faut travailler la prise en charge multidisciplinaire des malades et mieux les informer, mais aussi améliorer la formation des médecins. Parallèlement, les scientifiques doivent continuer à rechercher les causes de la fibromyalgie, car c’est essentiel à la mise au point d’un traitement efficace. L’enquête à laquelle nous avons procédé, qui avait pour but d’aider la recherche clinique – nous n’avons pas la prétention de prendre part à la recherche fondamentale –, était la plus grande enquête épidémiologique en langue française sur le sujet, et ses résultats ont impressionné les professeurs Perrot et Laroche. Une telle étude ne peut que conforter les médecins impliqués à nos côtés dans leurs démarches visant à ce que la fibromyalgie soit prise en charge, et à ce que la recherche clinique et la recherche fondamentale puissent obtenir des crédits.
M. Christophe Premat. La relation que votre association entretient avec les professionnels de santé doit être assez complexe, du fait qu’il n’existe pas de traitement médicamenteux efficace et que vous préconisez donc de recourir à des prises en charge relevant de la médecine alternative, de type ostéopathie, ce qui doit susciter une résistance de la part de certains médecins. J’aimerais connaître votre avis sur ce point, et savoir si vous hiérarchisez les différents traitements que vous suggérez.
Mme Ghyslaine Baron. Nous ne sommes pas médecins, mais nous travaillons en étroite collaboration avec de grands chercheurs, notamment les professeurs Perrot, Laroche, Vergne-Salle, et nous efforçons de les sensibiliser afin que le conseil de l’Ordre des médecins communique largement auprès de ses membres au sujet de la fibromyalgie qui, jusqu’à une période récente, n’avait pas d’existence officielle, les personnes atteintes étant considérées comme des hystériques – une conception qui subsiste malheureusement dans la mentalité de certains médecins.
Lorsque nous avons été reçues au ministère de la santé en 2013, nous avons demandé à ce que le site internet du ministère rappelle qu’une Journée mondiale de la fibromyalgie a lieu chaque année le 12 mai : cette annonce, qui équivaudrait à une forme de reconnaissance, serait de nature à faire prendre conscience aux médecins fibrosceptiques de la réalité de la maladie. Il y a encore un très long chemin à faire en la matière, qui nécessitera des efforts conjoints de la part des pouvoirs publics, des caisses d’assurance maladie et de la Haute Autorité de santé (HAS).
Mme Nadine Randon. Comme je vous l’ai dit, nous adressons des livrets d’information non seulement à nos adhérents, mais à deux médecins de leur choix – nous leur envoyons nous-mêmes cette documentation, accompagnée d’un courrier personnalisé – sous réserve que les médecins concernés soient d’accord : or, il arrive que ceux-ci refusent, affirmant ne pas être intéressés ! Le seul conseil que nous puissions donner à un fibromyalgique dont le médecin est fibrosceptique est de changer de médecin, mais cela n’est pas toujours simple, car avec le phénomène de désertification médicale des zones rurales, certaines personnes ne peuvent trouver aucun autre médecin à proximité de leur domicile : elles se retrouvent donc coincées avec un médecin qui ne veut pas les entendre.
Le rappel sur le site du ministère de la santé de la Journée mondiale de la fibromyalgie pourrait effectivement contribuer à convaincre certains médecins et constituer une forme de reconnaissance pour les malades, mais le ministère nous a fait savoir qu’il souhaitait attendre de connaître les résultats d’une enquête de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) avant de prendre position sur ce sujet.
Nous avions également demandé à ce que soit organisée une campagne d’information dans les médias, à l’instar de ce qui s’est fait en 2013 pour la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA). Or, comme nous l’a fait remarquer le ministère, cela risque d’inciter un grand nombre de personnes à consulter leur médecin traitant afin de savoir si leurs symptômes sont effectivement ceux de la fibromyalgie, alors que la majorité des médecins ne sont pas encore formés : il serait donc contre-productif de lancer une telle campagne avant que le monde médical soit convaincu de l’existence de la fibromyalgie et sache la reconnaître.
M. Jean-Pierre Decool. Mesdames, je vous félicite pour la qualité de vos publications. Dans l’une de celles-ci, vous indiquez que trois molécules ayant bénéficié d’une autorisation de mise sur le marché aux États-Unis pour l’indication de fibromyalgie n’ont pas obtenu l’autorisation de mise sur le marché (AMM) en Europe. Je ne pense pas que notre commission puisse faire venir des spécialistes d’outre-Atlantique afin de les entendre sur ce point, mais il serait intéressant que nous obtenions au moins des témoignages écrits de leur part. À votre connaissance, les trois médicaments dont il est question ont-ils une certaine efficacité contre la fibromyalgie ?
Mme Ghyslaine Baron. Justement non, et c’est bien pourquoi ils n’ont pas obtenu d’AMM pour l’Europe. Ils peuvent même être dangereux pour les patients.
Mme Nadine Randon. Comme cela a été dit lors d’une précédente audition, ces médicaments peuvent avoir certains effets bénéfiques, mais sur très peu de personnes, et si l’on établit le rapport bénéfice-risque, le risque se révèle beaucoup plus important que le bénéfice : peut-être certaines pressions se sont-elles exercées de manière plus importante aux États-Unis, ce qui pourrait expliquer que des AMM aient été délivrées.
Nous ne sommes pas absolument opposées à ce que ces médicaments soient prescrits : s’ils ont une efficacité chez une personne, cela lui permettra de souffler un peu et peut-être de mettre en place une prise en charge multidisciplinaire. Cela dit, il est très rare que ce soit le cas : ces médicaments étant le plus souvent inefficaces, le médecin prescripteur va être incité à augmenter la dose, ce qui non seulement ne servira à rien, mais aura pour effet de transformer le fibromyalgique – hypersensible dans la majorité des cas – en véritable zombie, incapable de se prendre en charge pour aller suivre des séances de kinésithérapie ou de balnéothérapie qui, elles, pourraient être bénéfiques. Quand ces médicaments sont prescrits, ils doivent l’être à très faible dose et sur une très courte durée, en tout état de cause limitée à un an. Or, on assiste souvent à tout le contraire, à savoir des doses trop importantes de médicaments administrés en cocktails et sur des durées excessives, ce qui donne l’impression que certains médecins jouent aux apprentis sorciers…
M. Gilles Lurton. L’une des activités essentielles de votre association consiste à informer les personnes qui vous contactent, mais aussi à établir un lien avec elles afin de compenser l’absence de réponse de la part du corps médical. J’aimerais savoir ce qu’attendent les associations comme la vôtre : considérez-vous que votre rôle se limite à cette action d’information et d’échange avec les personnes concernées, ou militez-vous activement pour que la fibromyalgie soit reconnue – le cas échéant, au moyen de quelles démarches ? J’aimerais également savoir si vous espérez qu’un médicament soit mis au point prochainement. Pour ma part, je vous avoue qu’il me semble peu probable que l’on découvre un produit agissant sur tous les symptômes de la fibromyalgie, ceux-ci étant extrêmement nombreux – fatigue, douleur, dépression, etc.
Mme Ghyslaine Baron. Il n’existe pas une fibromyalgie, mais des fibromyalgies, et les origines de la maladie sont totalement différentes d’une personne à une autre, ce qui fait que l’on ne peut effectivement espérer un médicament miracle. Il ressort de la brochure n° 2 de notre enquête « Les malades ont la parole », consacrée à la prise en charge de la fibromyalgie, que la prise en charge médicamenteuse a très peu d’efficacité, tandis que les prises en charge multidisciplinaires associant la kinésithérapie, la balnéothérapie – consistant en un acte de kinésithérapie réalisée en bassin aquatique, ce soin est remboursé par la sécurité sociale, contrairement à ce que croient encore trop de personnes –, mais aussi la sophrologie, la relaxation ou les thérapies cognitivo-comportementales (TCC), ont fait leurs preuves.
Malheureusement, certaines techniques de soin ne sont pas prises en charge par la sécurité sociale, c’est pourquoi nous plaidons en faveur de la mise en place d’un forfait annuel, s’appliquant à toutes les techniques dont l’efficacité a été prouvée scientifiquement. Un tel système est d’autant plus justifié que certaines techniques ne nécessitent de recourir à un professionnel que durant quelques heures, le temps pour le patient d’apprendre les techniques de base qui lui permettent ensuite de pratiquer seul et d’obtenir ainsi un soulagement : je pense notamment à l’autohypnose, à la sophrologie ou à la relaxation.
Mme Nadine Randon. Apporter aide, assistance et information aux malades constitue l’objectif principal de notre association, mais nous souhaitons également aider la recherche à progresser, car la pilule miracle, si elle existe, n’est pas pour demain. Nous nous efforçons de faire comprendre aux malades qu’ils ne doivent pas placer tous leurs espoirs dans une solution médicamenteuse, encore moins se laisser envahir par l’impatience et le stress en attendant, mais au contraire accepter le fait que la science n’ait pas encore de réponse à leur proposer, donc apprendre à vivre avec leur fibromyalgie.
Si nous nous battons à notre âge, ce n’est pas dans l’espoir de bénéficier un jour d’un médicament – s’il arrive un jour, nous ne serons plus là pour le voir –, mais pour aider les malades, notamment les enfants, et leur éviter l’errance diagnostique que nous avons nous-mêmes vécue, en faisant connaître la pathologie le plus largement possible. Un diagnostic tardif laisse en effet à la fibromyalgie le temps de s’installer et de faire des dégâts – qui, s’ils ne sont pas irréversibles, nécessiteront une prise en charge. C’est ce qui justifie notre action auprès des médias, mais aussi du ministère, étant précisé, en ce qui concerne ce dernier, que nous ne le considérons pas comme un adversaire : il sait, depuis longtemps, que la fibromyalgie existe. La plus forte résistance à laquelle nous nous heurtons vient des CPAM et, à l’intérieur de celles-ci, de certains médecins-conseils – qui, dans le secret de leur cabinet, agissent en fonction de leurs convictions et peuvent très bien décider de ne pas suivre les consignes données par le directeur de la caisse.
M. le rapporteur. Ce n’est pas une critique de ma part, mais force est de constater que vous êtes très favorables aux prises en charge alternatives – les cures ou la sophrologie, par exemple. Or, cela peut procurer un soulagement aux patients, mais ne soigne pas leur maladie. Dans le monde de l’automobile, l’introduction de l’électronique a multiplié les causes de pannes possibles et considérablement compliqué leur diagnostic. J’ai l’impression que nous en sommes au même point aujourd’hui avec l’organisme humain, et qu’il est essentiel de faire progresser la recherche dans ce domaine. Qu’en pensez-vous ?
Par ailleurs, nous nous sommes rendus hier au centre antidouleur de Cochin, où nous avons rencontré des patients qui nous ont parlé de leurs souffrances et fait part du soulagement qu’ils éprouvent à ce qu’un nom puisse être mis sur leur maladie, mais aussi à pouvoir en parler. Cela confirme ce que vous nous avez dit au sujet de l’importance de voir la fibromyalgie reconnue.
Mme Nadine Randon. Les médecines alternatives complémentaires (MAC) n’ont effectivement pas pour objet de guérir, mais puisqu’il n’existe pas de médicaments efficaces à l’heure actuelle, il ne sert à rien de prendre ceux qui ne le sont pas : cela pourrait même provoquer une intoxication de l’organisme se traduisant par une aggravation de l’état général de la personne concernée. De même que les programmes d’éducation thérapeutique du patient aident les personnes à mieux vivre avec leur maladie – il existe des ETP sur le sommeil, sur la prise de médicaments et bien d’autres thèmes –, les MAC ne sont pas mises en œuvre pour obtenir une guérison mais, dans le meilleur des cas, une rémission des symptômes durant une période souvent limitée à un ou deux jours au départ – ce qui est déjà très appréciable pour les malades –, mais pouvant augmenter avec le temps.
Lorsque j’ai été diagnostiquée, j’ai essayé tous les antidépresseurs jusqu’à en arriver à ne plus pouvoir marcher, passant mon temps prostrée sous la couette, en proie à des idées suicidaires. J’avais alors cinquante ans et, à la perspective de devoir passer le reste de ma vie dans cet état, j’ai réagi un jour en décidant d’entreprendre un sevrage pour arrêter de prendre ces antidépresseurs aussi inutiles que dangereux – je prenais pour dormir des benzodiazépines qui, parmi les psychotropes, constituent l’une des classes de molécules les plus redoutables. Alors même que je ne prenais pas d’antidouleurs de type tramadol, je peux vous assurer que je me porte beaucoup mieux depuis que j’ai abandonné les médicaments pour faire de la balnéothérapie et de la kinésithérapie, ce qui m’a permis de remarcher – en fait, depuis que j’ai cessé d’être en révolte contre ma maladie pour en devenir acteur.
Pour aller mieux lorsqu’on est atteint de fibromyalgie ou d’une autre pathologie chronique, il faut accepter de vivre avec, et c’est en cela que les médecines alternatives complémentaires peuvent aider. La thérapie cognitivo-comportementale (TCC), par exemple – dispensée par un psychiatre comportementaliste, et non un analyste –, se révèle souvent très efficace. Lors d’une précédente audition, un psychiatre vous a d’ailleurs exposé le cas d’une personne qui, à l’issue de quelques semaines d’une prise en charge associant écoute et psychothérapie, a pu se passer du fauteuil roulant où elle se trouvait lors de sa consultation initiale.
Mme Ghyslaine Baron. En matière de médicaments, je suis allée beaucoup plus loin que Mme Randon, puisque j’ai pris jusqu’à 400 milligrammes de tramadol, en association avec bien d’autres choses, et les antidépresseurs m’ont conduite à faire une tentative de suicide, alors même que je n’étais pas dépressive… Il a fallu que je touche le fond pour réagir et décider d’arrêter tout cela.
Pour ce qui est des centres antidouleur, j’assure des permanences tous les mois à l’hôpital de l’Hôtel-Dieu, au sein du service du professeur Perrot, et je peux vous dire que nous ne savons plus où mettre les malades désireux de prendre part à des groupes d’échange, tant ils sont nombreux. Ce que le malade trouve dans un centre antidouleur, c’est d’abord une écoute et des informations de la part du personnel, qui assure souvent une prise en charge multidisciplinaire. La fibromyalgie est, au même titre que le diabète ou l’asthme, une maladie chronique avec laquelle il faut apprendre à vivre.
Mme Nadine Randon. La seule réserve que j’émettrai au sujet des centres antidouleur, c’est que nombre d’entre eux ne mettent pas en place la prise en charge multidisciplinaire que vient d’évoquer Mme Baron, soit parce qu’ils n’y croient pas, soit par manque de moyens financiers. Ils se contentent donc d’administrer des médicaments aux malades, ce qui a pour effet de les transformer en zombies. Ce n’est évidemment pas le cas du service dirigé par le professeur Perrot à Cochin, qui a mis au point un programme d’éducation thérapeutique dit Fibroschool, qui obtient d’excellents résultats.
M. le rapporteur. Les patients que nous avons rencontrés nous ont effectivement confirmé l’importance d’être écoutés.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Je suis assez intriguée par ce que vous avez dit tout à l’heure sur le fait que les fibromyalgiques comprennent une importante proportion de femmes venant de milieux professionnels exigeant un grand investissement sur le plan humain. Je ne sais s’il faut y voir une coïncidence mais, parmi les malades que nous avons rencontrés hier, il se trouvait justement une femme travaillant dans le milieu du handicap, une autre dans l’éducation nationale, une autre encore dans la police – ce qui me conduit à me demander si la fibromyalgie ne pourrait pas résulter d’une forme de burn-out survenant dans l’exercice – surtout chez les femmes – de professions demandant beaucoup d’investissement et une grande empathie.
Mme Ghyslaine Baron. Certes, on peut se poser la question, mais je ne pense pas que ce soit forcément d’ordre professionnel : nous savons en effet que les mères de famille n’exerçant pas d’activité professionnelle au sens strict sont, elles aussi, largement touchées par la fibromyalgie. Le critère déterminant, s’il existe, semble plutôt résider dans le fait de se consacrer aux autres avec dévouement, en s’oubliant soi-même et en faisant preuve d’une générosité et d’une empathie peut-être excessives, en lesquelles on retrouve cette notion d’hypersensibilité qui caractérise les fibromyalgiques, qui les pousse à vouloir aider les autres en dépit de leurs propres fragilités.
M. le rapporteur. Vous évoquez le cas des mères de famille mais, à l’inverse, il est de plus en plus fréquent que, pour des raisons financières, les enfants soient amenés à assumer eux-mêmes la prise en charge au quotidien de leurs parents âgés.
Mme Ghyslaine Baron. C’est exact.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Mesdames, je vous remercie pour vos contributions. Si vous n’avez pas obtenu du ministère l’inscription sur son site de la Journée mondiale de la fibromyalgie, je pense que la création de notre commission d’enquête constitue une forme de reconnaissance du problème auquel se consacre votre association.
La commission procède enfin à l’audition de M. Christophe Donchez, président du collectif Fibro’Actions, de M. Nicolas Vignali, vice-président, et de M. Olivier Masson, secrétaire.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Messieurs, je vous souhaite la bienvenue. Nous avons décidé de rendre nos auditions publiques ; elles sont donc ouvertes à la presse et retransmises en direct sur le site internet de l’Assemblée nationale. Avant de vous céder la parole en vos qualités respectives de président, vice-président et secrétaire du collectif Fibro’actions, je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(MM. Christophe Donchez, Nicolas Vignali et Olivier Masson prêtent serment).
M. Christophe Donchez, président du collectif Fibro’Actions. Je laisserai à Olivier Masson le soin de vous décrire l’impact de la fibromyalgie sur les patients qui en souffrent, et je me limiterai dans un premier temps à vous dire que le collectif, créé en 2015, rassemble dix-sept associations partenaires et compte environ 1 200 membres. Nous avons pour seul financement les cotisations de nos membres et le produit de la vente de notre magazine bimestriel.
M. Olivier Masson, secrétaire du collectif Fibro’Actions. Parce que la pathologie se définit par éliminations successives, les patients atteints de fibromyalgie connaissent une errance diagnostique assez longue. Ce temps, qui a son importance puisqu’il permet de ne pas passer à côté de maladies beaucoup plus graves, va diminuant ; il est désormais de cinq à six ans en moyenne. Il peut y avoir des approches diagnostiques par l’absurde : des médecins prescrivent des médicaments « pour voir », affinant ensuite leur diagnostic selon que les médicaments prescrits ont eu un effet ou n’en ont pas eu. J’ai du mal à cautionner de telles pratiques.
Le temps nécessaire à la détermination du diagnostic peut être relativement serein pour les malades car, sur le plan administratif, ils ont tous leurs droits, mais les difficultés commencent lorsque le diagnostic est posé. À ce moment, les malades sont soumis à une loterie, leur sort dépendant des avis sur la maladie – sinon des croyances – des médecins auxquels ils ont affaire, et de leurs critères d’évaluation. Pour les médecins-conseil de l’assurance maladie, nous ne sommes pas « malades » : nous avons un « syndrome ». Cela pose un grave problème. Il en va de même pour les médecins des assurances complémentaires. Avec les médecins du travail et ceux des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), les choses, en général, se passent mieux car ils se fondent sur un handicap défini.
Ce flou artistique a pour conséquence une propension à faire valoir le diagnostic de syndrome dépressif, stratégie de contournement qui donne droit à un congé de longue durée et à une meilleure prise en charge que celle à laquelle peuvent prétendre les malades fibromyalgiques, sans que nous comprenions pourquoi. Cette pratique a été confirmée par certains des médecins que vous avez auditionnés. Des chiffres que nous avons rassemblés, il ressort que 95 % au moins des malades fibromyalgiques pris en charge le sont parce qu’ils sont déclarés dépressifs, le syndrome fibromyalgique étant considéré associé à la dépression. Il semble que nul ne soit pris en charge pour la fibromyalgie seule.
Le fait que, tels des balles de ping-pong, les malades soient renvoyés de médecin en médecin aux positionnements différents a parfois un effet tragique. Le recensement du suicide chez les fibromyalgiques échappe à la statistique, mais les données que nous avons rassemblées dans nos associations font apparaître un taux annuel de 2,5 pour mille – tentatives de suicide et suicides confondus. Pour mémoire, la prévalence du suicide est de 17,5 pour 100 000 individus dans la population générale en France.
Lorsqu’un patient fibromyalgique a la chance d’avoir une activité professionnelle, il doit entreprendre un nouveau parcours du combattant pour obtenir que cette activité soit adaptée à son état. Les travaux physiques sont d’évidence hors de sa portée, mais la difficulté n’est pas moins grande pour les travaux intellectuels car, sans que l’on sache si c’est à cause de la maladie ou parce qu’ils sont en permanence souffrants et épuisés, les malades atteints de fibromyalgie éprouvent les plus grandes difficultés à se concentrer. Outre cela, leur état varie au cours de la journée. Les employeurs doivent donc faire preuve d’une extrême souplesse ; on comprendra qu’ils préfèrent avoir affaire à un salarié atteint d’un handicap consolidé plutôt qu’à un salarié fibromyalgique dont l’affection est bel et bien consolidée mais dont les manifestations quotidiennes sont fluctuantes. La seule adaptation proposée est bien souvent le travail à temps partiel ; cela entraîne une perte de revenus qui n’est pas acceptable par tous les malades.
L’instant où le diagnostic de fibromyalgie est posé est donc un moment de grand soulagement mais aussi celui où les ennuis commencent. Ainsi, beaucoup d’assurances locatives considèrent la fibromyalgie comme une cause d’exclusion – alors même que la maladie n’est pas reconnue ! Mais, souvent les assureurs sont des précurseurs... La plupart des assurances considèrent que la fibromyalgie ne donne pas droit à compensation en cas d’arrêt de travail de longue durée ; c’est aussi le cas pour la dépression. Il est paradoxal qu’un malade soit couvert par son assurance jusqu’au jour où le diagnostic est porté, et qu’après cela il ne le soit plus.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Les compagnies d’assurance auprès desquelles on souscrit un contrat pour acheter un bien immobilier reconnaissent-elles également la fibromyalgie pour une maladie alors que l’assurance maladie elle-même ne la reconnaît pas en tant que telle ?
M. Olivier Masson. Nous devons toujours mentionner ces troubles dans les questionnaires de santé, sous peine d’être déchus de nos droits.
Dans son rapport d’orientation sur le syndrome fibromyalgique de l’adulte, la Haute Autorité de santé (HAS) recommande aux malades de tout faire pour conserver une activité professionnelle. Or nos adhérents nous disent que le travail est pour eux une source de difficultés supplémentaires et un frein majeur à l’accès aux soins non médicaux, ceux qui, en général, leur conviennent le mieux. Qu’il s’agisse de kinésithérapie, de sophrologie, de séances chez un psychologue ou un hypno-thérapeute, chaque séance est longue de près d’une heure. Si l’on a aussi une vie de famille et une activité professionnelle, on ne se soigne plus, et la situation peut devenir critique.
La fibromyalgie a une incidence notable sur les finances de tous les malades. Non seulement les soins non médicamenteux sont coûteux en ressources comme ils le sont en temps, non seulement le travail à temps partiel entraîne une perte de revenus, mais bien des malades doivent abandonner leur emploi, se retrouvant au chômage. La fibromyalgie est source d’une paupérisation criante. Elle a d’autre part un impact marqué sur la vie de famille, la vie de couple et la vie sociale, a fortiori si l’on travaille à temps plein. C’est mon cas : c’est une grande chance, mais c’est au prix de difficultés supplémentaires dans ma vie privée et pour l’accès aux soins.
Les médecins expriment parfois des injonctions de reprise d’activité physique de manière vexante. Outre que la prescription « il faut vous remettre au sport » ne vaut pas pour tous les malades, tout dépend du sport envisagé et de la manière dont il est pratiqué. La natation et les autres sports d’eau mais aussi, paradoxalement, la musculation, apportent des bénéfices réels s’ils sont pratiqués en douceur, mais 95 % des sports doivent être écartés. De plus, le temps qu’il faut consacrer à ces activités et leur financement compliquent les choses.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. La très forte proportion de femmes parmi les malades a été soulignée plusieurs fois devant nous. Nous avons entendu plusieurs représentantes d’associations, et le point de vue de malades hommes sur les implications psycho-sociales de cette maladie invisible vue nous intéresse tout autant.
M. Patrice Carvalho, rapporteur. Comment, selon vous, mieux diffuser auprès des médecins généralistes des méthodes de diagnostic et de traitement de la fibromyalgie ?
M. Nicolas Vignali, vice-président du collectif Fibro’Actions. Lorsque nous avons été reçus par la cellule d’écoute du Conseil national de l’Ordre des médecins, en décembre 2015, voici ce qui nous a été dit : « C’est une sorte de déni de la part des médecins. Il ne faut pas essayer de faire connaître la maladie mais combattre ce déni. Le médecin a horreur de l’échec : ce n’est pas la connaissance de la maladie qui est en cause, c’est son déni, et les médecins vont même jusqu’à simuler la méconnaissance. » Et encore : « C’est une responsabilité énorme pour le médecin de coller l’étiquette de fibromyalgie à un patient, car cela signifie maladie non curable et très difficile » Mais aussi : « Le médecin évite de pêcher par excès. Il est difficile pour un médecin de diagnostiquer une fibromyalgie – contrairement à une spondylarthrite ankylosante, pour laquelle il y a des marqueurs ; cela peut aussi contribuer à nier la maladie. »
Non seulement les généralistes n’osent pas prononcer le diagnostic, mais certains, nous a-t-il été dit clairement, ne veulent pas de nous dans leur patientèle car recevoir un fibromyalgique suppose de lui consacrer une quarantaine de minutes quand une consultation « ordinaire » dure entre sept et huit minutes en moyenne. Le temps étant de l’argent, ces médecins font tout pour que nous partions et, en nous disant que nous ne sommes pas malades, ils sont certains que nous ne reviendrons pas, si bien que nous errons de généraliste en généraliste. Pour ma part, j’en ai consulté vingt-deux pour avoir un diagnostic ; les quatre derniers ont confirmé le pré-diagnostic que j’avais établi en faisant mes propres recherches sur Internet. On comprend que, dans l’intervalle, n’importe qui puisse entrer en dépression… De nombreux médecins ne veulent surtout pas nous prendre en charge parce qu’ils ne savent comment nous aider et qu’ils ne supportent pas d’être en échec. Il est plus facile de soigner une gastro-entérite ou une grippe qu’un patient fibromyalgique, et cela prend moins longtemps : il y faudra des années, et les résultats ne seront pas excellents.
Au moins faudrait-il que les médecins généralistes qui ne veulent pas de nous nous dirigent vers un centre anti-douleur mais ils ne le font pas systématiquement, soit qu’ils ignorent leur existence, soit qu’ils sachent que certains sont en passe de fermer ou que la faiblesse de leur budget ne leur permet pas de proposer la prise en charge pluridisciplinaire qui, au moins, fonctionne un peu, mais seulement un traitement médicamenteux.
Une fois le diagnostic posé, nous nous trouvons donc à nouveau en errance. L’injonction principale s’apparente à un « débrouillez-vous », quand on ne s’entend pas dire que la fibromyalgie n’existe pas et que tout est « dans notre tête ». Renvoyer ainsi la « faute » de son état à un malade dont la vie est chamboulée et qui n’a vraiment pas besoin de cette épreuve supplémentaire me paraît douteux sur le plan déontologique.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Le défaut de sensibilisation de la médecine de premier recours à la fibromyalgie est mentionné répétitivement depuis le début de nos travaux et nous en tiendrons compte dans notre rapport, mais je nuancerai votre propos. Je suis députée d’une circonscription de Vendée. Le département connaît une désertification médicale telle que les généralistes en exercice sont débordés, et l’on comprend qu’ils ne puissent consacrer trois quarts d’heure à un patient. On ne peut donc leur jeter la pierre ; la situation que vous décrivez s’explique par un problème général de formation des médecins et d’organisation des soins qui relève du législateur et de l’exécutif.
M. Christophe Donchez. La HAS, autorité publique la mieux à même de préconiser de bonnes pratiques médicales, nous a dit de la manière la plus claire qu’elle ne pourrait émettre de recommandations relatives à la fibromyalgie tant que la recherche n’aurait pas progressé. Il faut donc aussi pousser les recherches, sans quoi on tournera en rond de nombreuses années encore.
M. le rapporteur. Comment se comportent les médecins-conseil de l’assurance maladie une fois posé le diagnostic de fibromyalgie ?
M. Christophe Donchez. Les relations entre malades et médecins-conseil sont bien souvent conflictuelles. Les rendez-vous ont lieu dans des conditions choquantes pour les malades ; au terme de six mois, en outre, il est mis fin aux indemnités journalières et le salarié est invité à retourner travailler alors que, bien souvent, ce n’est pas possible.
M. Nicolas Vignali. Le déroulement de ces rendez-vous est plus que choquant : il est traumatisant, et certains procédés devraient valoir radiation immédiate pour manquement aux règles déontologiques. Que dire d’un médecin-conseil qui se permet d’accueillir une patiente en l’enjoignant de courir dans le couloir et qui l’accuse de simulation au motif qu’elle sourit et qu’elle porte un joli chemisier, ce qui, selon lui, ne se concevrait pas si elle était aussi mal en point qu’elle le prétend ? Que dire de ceux qui n’auscultent pas les patients, faute morale du point de vue du Conseil de l’Ordre ? En réalité, les médecins-conseil considèrent que la fibromyalgie n’existe pas pour la raison qu’aucun code ne lui est attribué dans les logiciels mis à leur disposition. Je le sais de source sûre pour avoir travaillé auprès de médecins-conseil : le code M79.7, qui est celui de la fibromyalgie dans la classification internationale des maladies CIM10, n’apparaît pas dans les deux logiciels de l’assurance maladie qui répertorient les maladies. Pour moi, cette exclusion est un choix délibéré.
M. Olivier Masson. L’absence de codage est intéressante sur le plan symbolique car elle montre que non seulement notre handicap est invisible mais aussi que personne ne souhaite en connaître l’existence. Faute de codage CIM10, nous n’apparaissons dans aucune statistique. Depuis qu’ils fonctionnent sous le régime de la tarification à l’activité (T2A), les hôpitaux généraux sont dotés d’une enveloppe de ressources définie en fonction des pathologies qu’ils soignent. La fibromyalgie n’étant pas codée, elle n’a pas d’enveloppe, et il faut trouver un financement alternatif. Puisque l’on nous dit que notre maladie est « dans notre tête » et que la psychiatrie ne relève pas de la T2A, on peut imaginer que soit utilisée pour la fibromyalgie l’enveloppe allouée aux activités thérapeutiques intersectorielles en psychiatrie. Mais, ayant recherché ce qu’il en était dans le département de l’Oise, qui compte quelque 850 000 habitants, je me suis rendu compte qu’un seul diagnostic de fibromyalgie a été posé en cinq ans. Ainsi, les patients fibromyalgiques ne sont pas répertoriés dans ce cadre non plus. Où sommes-nous donc ? Nous nous sentons bien seuls.
M. Jean-Pierre Decool. Quelles devraient être, à votre sens, les deux priorités d’action à mettre en exergue ?
M. Nicolas Vignali. Il est difficile de faire un choix, mais il faut en premier lieu renforcer la formation des médecins, de manière qu’ils cessent de nous prendre pour des fous – certains utilisent ce terme – et s’intéressent à la fibromyalgie, dont il a été démontré à l’étranger par une imagerie médicale particulière qu’il ne s’agit pas d’une forme de dépression. De nombreuses études ont été menées au Brésil et au Canada ; en France, aucune. Or, la situation est si éprouvante pour les malades qui n’en peuvent plus de ne pas voir leur pathologie reconnue et prise en charge que certains se suicident ou tentent de le faire ; une de nos adhérentes est partie en Suisse demander un suicide assisté. Des enfants sont déjà en fauteuil roulant alors qu’ils n’ont que dix ans. Il est urgent d’agir, au moins pour eux.
M. Christophe Donchez. Au moins faudrait-il faire progresser la recherche fondamentale, sans laquelle il n’y aura pas de recommandations, et une prise en charge décente des malades par les organismes concernés.
M. Gilles Lurton. Vous avez fait état d’un procédé d’imagerie médicale révélateur de la fibromyalgie. De quoi s’agit-il précisément ?
M. Nicolas Vignali. Je ne suis pas médecin, mais je sais qu’il s’agit d’une technique d’imagerie à infrarouges qui permet de visualiser la réaction à des stimulations douloureuses ; appliquée d’une part à des personnes dépressives qui ne souffrent pas et d’autre part à des fibromyalgiques non dépressifs, elle a mis en évidence que les zones du cerveau activées lors de ces stimuli diffèrent nettement. On peut certes être fibromyalgique et dépressif – quoi de plus logique ? – mais la fibromyalgie n’est pas une dépression déguisée, contrairement à ce que certains médecins se permettent d’affirmer sans preuves.
M. le rapporteur. La fibromyalgie doit-elle être prise en charge en tant qu’affection de longue durée ?
M. Christophe Donchez. Certaines affections de longue durée (ALD) sont « exonérantes », d’autres sont « non exonérantes ». L’ALD non exonérante permet que l’indemnisation des arrêts de travail soit prolongée au-delà de six mois, ce qui n’est pas négligeable pour nous car, habituellement, dans ce laps de temps, le diagnostic n’est pas fait ni le traitement établi. Or, sauf en cas de polypathologie, elle nous est refusée, sans raison apparente. L’option de l’ALD exonérante est écartée car il est avancé que le critère de « soins coûteux » n’est pas rempli, ce qui est exact pour les traitements médicaux. Dans son rapport de 2006, la HAS avançait l’idée intéressante d’intégrer dans les protocoles de traitement de certaines maladies chroniques des types de médecine non prises en charge par l’assurance maladie, mais cette recommandation est restée sans suite.
M. Olivier Masson. Tous les médicaments qui nous sont prescrits le sont pour leurs effets annexes – ainsi, les antidépresseurs le sont pour leur effet antalgique. Cela signifie que les traitements, qu’ils soient efficaces ou qu’ils ne le soient pas, sont dispensés hors autorisation de mise sur le marché (AMM), ce qui donne aux malades fibromyalgiques le désagréable sentiment de servir de cobayes. Obtenir la prise en charge de la fibromyalgie au titre de l’ALD 31 dite « hors liste », n’est pas notre objectif premier puisque les soins efficaces étant, paradoxalement, hors du circuit classique, restent à notre charge.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Sans doute ce coût effraye-t-il l’assurance maladie et la communauté médicale. Nous l’avons constaté hier en visitant un centre antidouleur, renforcer l’éducation thérapeutique du patient suppose du personnel de santé en nombre suffisant et cela coûte. Il en va de même pour le « sport santé » ; un service de ce type a été créé au sein d’une clinique dans ma commune, et ce sont les patients qui financent leurs soins. Au fil des auditions se dessine l’hypothèse d’instaurer un forfait pour soins pluridisciplinaires ; qu’en pensez-vous ?
M. Nicolas Vignali. Il faut en effet une prise en charge pluridisciplinaire, puisqu’il faut à la fois soigner les conséquences de la maladie et donc la psyché, et réadapter les malades à l’effort de manière encadrée et à un rythme raisonnable. C’est une bonne idée, mais est-ce réalisable au moment où les robinets se ferment ?
M. Olivier Masson. Une séance de sophrologie étant facturée 50 euros, et sachant le prix d’un abonnement à un club de sport, un forfait pour soins pluridisciplinaires aurait un intérêt réel pour les malades dont les revenus sont faibles.
M. Christophe Donchez. L’allocation mensuelle d’adulte handicapé étant de 800 euros au mieux, un forfait complémentaire pour soins par des médecines alternatives serait une bonne chose.
M. Christophe Premat. Au Danemark et en Suède, une somme forfaitaire, comprise entre 50 et 150 euros, est systématiquement remboursée aux salariés qui s’abonnent à un club de sport, parce que l’on considère que c’est bon pour la santé mentale. Peut-être serait-il préférable de s’orienter vers une solution de ce type, car je ne suis pas convaincu que la réforme portant modernisation de notre système de santé prévue pour s’appliquer en 2017 intègre une prise en charge spécifique par l’assurance maladie. Prévenir les troubles au travail permettrait de retrouver une harmonie. D’autre part, la généralisation du tiers payant permettra de faire une partie du chemin vers la reconnaissance et la prise en charge de la maladie, soit dans le cadre d’une ALD, soit comme polypathologie. Qu’en pensez-vous ?
M. Christophe Donchez. En l’état actuel de la réglementation, l’obtention d’une ALD n’a que peu d’impact pour les malades puisque les traitements médicamenteux sont peu efficaces. Ce qui serait intéressant pour nous, c’est que l’assurance maladie intègre dans les protocoles de soin les médecines alternatives qui nous sont utiles, acceptant ainsi que leur coût nous soit remboursé.
M. Nicolas Vignali. Nous ouvrons des antennes un peu partout en France pour sortir les malades de l’isolement dans lequel les maintient une douleur constante. Ils se rencontrent, ils se parlent et on les croit, ce qui, souvent, n’est pas le cas, y compris dans leur entourage familial – singulièrement quand le mari accompagnant son épouse à une consultation entend le médecin lui dire qu’elle est atteinte d’une maladie imaginaire. Ces incompréhensions sont souvent source de divorce et d’éclatement de la famille. Dans nos antennes, nous demandons à des intervenants divers, sophrologues ou hypno-thérapeutes, de venir. À titre gracieux ou pour une somme modique, ils dispensent des cours collectifs une fois par mois et ces soins, même s’ils n’aboutissent pas à des guérisons complètes, donnent des résultats. En d’autres termes, nous faisons ce que l’assurance maladie ne fait pas.
M. le rapporteur. Vous paraît-il pertinent de prévoir un volet consacré à la fibromyalgie dans le cadre du diagnostic territorial partagé prévu par la loi de modernisation de notre système de santé ?
M. Nicolas Vignali. C’est primordial et urgent. Tous les médecins disent que les malades atteints de fibromyalgie sont de plus en plus nombreux. Il faut s’occuper d’eux comme il faut s’occuper de ceux qui souffrent de la maladie de Lyme et tenir compte de ces pathologies dans la réforme à venir. Or, nous en sommes exclus de fait, faute que la fibromyalgie soit codifiée par l’Assurance maladie. Nous sommes pourtant 3 millions de personnes en France – et 14 millions en Europe – dont la maladie, donc, n’existe pas, sinon pour les assureurs…
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Messieurs, je vous remercie pour votre contribution à nos travaux.
La séance est levée à midi quinze.
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Présences en réunion
Réunion du mardi 5 juillet 2016 à 9 heures 30
Présents. – M. Alain Ballay, M. Gérard Bapt, Mme Sylviane Bulteau, M. Patrice Carvalho, M. Jean-Pierre Decool, M. Gilles Lurton, M. Christophe Premat, M. Arnaud Viala
Excusée. – Mme Florence Delaunay