COMMISSION D’ENQUÊTE
SUR LA FIBROMYALGIE
La séance est ouverte à neuf heures trente
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La commission d’enquête sur la fibromyalgie procède à l’audition du professeur Marcel-Francis Kahn.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Monsieur le professeur, je vous souhaite la bienvenue.
Nous avons décidé de rendre nos auditions publiques ; elles sont donc ouvertes à la presse et retransmises en direct sur un canal de télévision interne, puis consultables en vidéo sur le site internet de l’Assemblée nationale. Avant de vous céder la parole, je vous indique que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Marcel-Francis Kahn prête serment).
M. Marcel-Francis Kahn. Je suis très honoré que vous m’ayez invité à traiter devant vous d’un sujet qui m’a toujours tenu à cœur. Je suis professeur émérite de rhumatologie. Par cet euphémisme courtois il faut entendre que je suis à la retraite, à la nuance près que l’éméritat me confère la possibilité de poursuivre des travaux académiques, ce que je continue de faire, dans l’édition médicale notamment. J’approche de mes 87 ans, mais une santé encore assez bonne me permet de continuer à travailler correctement.
J’ai été amené à m’intéresser à la fibromyalgie au milieu des années 1970. Mon maître, Stanislas de Sèze, qui dirigeait le centre de rhumatologie Viggo-Petersen de l’hôpital Lariboisière, s’apprêtant à prendre sa retraite, j’ai pensé, avec certains de ses collaborateurs, qu’il serait intéressant de recenser les consultations qui avaient été faites au cours de sa dernière année d’activité dans ce centre exemplaire où l’on se consacrait à plein temps aux soins, à l’enseignement et à la recherche. Passant en revue tous les dossiers des malades, nous avons vu défiler sous nos yeux l’ensemble des pathologies habituellement traitées dans un centre de rhumatologie, mais il est aussi apparu un ensemble de quelque 250 patients – des femmes, à une immense majorité – elliptiquement définis comme « polyalgiques ».
Intrigué par cette imprécision diagnostique, j’ai étudié les dossiers de plus près et constaté des appellations et des commentaires variés : « polyalgies » ici, « plaintes de douleurs diffuses » là. J’ai lu aussi, et cela m’a irrité, des appréciations portées sur le psychisme et surtout le comportement des patientes, certaines étant explicitement accusées de se plaindre pour ne pas travailler ou pour obtenir des modifications de leur poste de travail. Ces considérations m’ont paru déplaisantes et déplacées.
Ma curiosité décidément excitée et bien que ce ne soit nullement mon domaine de recherche – je m’intéressais aux maladies inflammatoires systémiques –, j’ai repris la littérature médicale et me suis rendu compte que ces diagnostics fumeux, variables ou simplement absents ne se trouvaient qu’en Europe continentale ; nos confrères anglo-saxons avaient de longue date une connaissance précise de cette pathologie. Dans son Traité de rhumatologie, paru en 1944, Comroe avait déjà consacré un chapitre à la fibrositis, et dans les multiples publications que j’ai recensées figuraient en particulier les articles récents de deux Canadiens qui avaient procédé à des études précises : Harvey Moldofsky s’était intéressé aux troubles du sommeil et à l’influence de la fatigue sur les symptômes, Hugh Smythe à la différenciation des sensations douloureuses chez des patients pour lesquels le diagnostic de fibrositis avait été porté.
Incidemment, le terme fibrositis était malvenu, puisqu’il renvoie, de manière impropre, à une maladie des tissus fibreux qui n’a rien à voir avec la pathologie en cause. Et s’il y a bien myalgie, la douleur musculaire n’est pas au premier plan du tableau clinique. Quand j’ai commencé de publier des articles – qui ont reçu un accueil variable – relatifs à cette pathologie, j’ai proposé la dénomination descriptive de « syndrome polyalgique idiopathique diffus » ou SPID. Elle a fait florès en France mais, faute de traduction anglaise qui lui aurait donné une audience internationale, elle a été abandonnée et le terme « fibromyalgie » s’est finalement imposé dans la littérature internationale.
Les travaux scientifiques se sont progressivement multipliés, et les récolements ont mis en évidence que des milliers de publications avaient été consacrées aux différents aspects de cette pathologie reconnue par l’Organisation mondiale de la santé, qui l’a codifiée dans la classification internationale des maladies. En France, la fibromyalgie a fait l’objet d’une étude tout à fait pertinente de l’Académie de médecine. L’Assurance maladie a d’autre part réuni divers spécialistes, dont j’étais, pour connaître leur opinion sur l’incidence de la fibromyalgie sur le travail.
Depuis cinquante ans maintenant, j’organise la publication de L’Actualité rhumatologique. Les médecins du centre Viggo-Petersen et ceux du service de rhumatologie de l’hôpital Bichat, que j’ai dirigé pendant une vingtaine d’années, y font le point sur l’avancée des connaissances en rhumatologique. Des opinions contradictoires sont toujours exprimées, certains continuant de ne pas croire en l’existence de cette maladie. Comme je m’intéressais à la pathologie rhumatologique liée au travail, j’ai publié dans L’Actualité rhumatologique 2013 une revue générale, aussi complète que possible, des éléments de diagnostic, de pronostic, de physiopathologie, de thérapeutique et de prise en charge de la fibromyalgie.
Je continue de m’intéresser à l’aspect médico-social de la maladie et j’ai beaucoup travaillé, un temps, avec les associations de patients avant de m’en éloigner quand, malgré mes objurgations, elles ont proliféré et commencé à croisé le fer. Je leur ai fait savoir que je travaillerai à nouveau avec elles si elles se regroupaient et s’abstenaient de prendre des positions contradictoires et parfois agressives ; ce n’est pas encore tout à fait le cas.
M. Patrice Carvalho, rapporteur. Vous avez été l’un des premiers à reconnaître le syndrome fibromyalgique en France. Quel accueil vos confrères ont-ils fait à vos travaux, au début des années 1980 ? Le scepticisme demeure-t-il ? Si c’est le cas, comment l’expliquez-vous ?
M. Marcel-Francis Kahn. L’accueil a souvent été favorable car mes articles apportaient un peu de lumière à des praticiens que cette pathologie embarrassait beaucoup. Des confrères s’y sont opposés, certains pour des raisons personnelles – c’est qu’il m’arrive d’exprimer des opinions, politiques ou médicales, assez tranchées… – mais je me souviens aussi avoir lu en 1999 un article écrit par un professeur de médecine interne du centre de la France qui se demandait si la fibromyalgie passerait le siècle… Certains considéraient qu’il s’agissait d’une construction intellectuelle qu’il n’était pas justifié de défendre, y compris dans ses aspects relatifs à la médecine du travail. Selon eux, on parlait, dans le meilleur des cas, d’une affection purement psychosomatique ; leur opinion n’était donc pas très éloignée de celle qui s’exprimait au milieu des années 1970, période pendant laquelle la bonne foi des patientes était durement mise en doute.
M. le rapporteur. N’est-ce pas encore le cas ?
M. Marcel-Francis Kahn. Cela a beaucoup changé, en tout cas chez les médecins. Ayant longtemps travaillé aux États-Unis, je suis membre de sociétés savantes anglaises et américaines et j’ai constaté que, dans la littérature scientifique, ceux qui contestent l’existence du syndrome fibromyalgique ont bien peu d’arguments à faire valoir. La fibromyalgie ne se traduit pas par une lésion : c’est un trouble fonctionnel de la modulation de la douleur. Contrairement à ce que pensait Descartes, la douleur n’est pas un phénomène à l’explication simple mais un processus physiologique d’une extrême complexité qui met en jeu les nerfs périphériques, la moelle épinière et le cerveau ; à chaque étape, des troubles peuvent apparaître. Hugh Smythe a montré que la fibromyalgie était vraisemblablement une pathologie de la fonction douleur. Outre que la compréhension de cette fonction a beaucoup progressé depuis une centaine d’années, on s’aperçoit maintenant que des troubles qui avaient été qualifiés de fonctionnels ne l’étaient pas.
À la fin du XIXe siècle, l’illustre clinicien Jean-Martin Charcot, ayant décrit la transe hypnotique, a été violemment contesté, et son approche considérée comme une fumisterie ; dans Les Morticoles, un ouvrage affreux paru en 1894, Léon Daudet en disait pis que pendre. Charcot avançait que les troubles fonctionnels pour lesquels les données anatomiques manquaient trouveraient une explication à mesure que les connaissances scientifiques progresseraient. Il avait raison : l’imagerie cérébrale enregistre les effets physiologiques, bien réels, de la transe hypnotique. De même, pour la fibromyalgie, alors qu’on ne pouvait, à l’origine, se référer qu’au discours des patients, le seul test physique étant l’existence de points douloureux provoqués ; les tests de la fonction douleur apportent de plus en plus d’éléments de preuve.
M. Alain Ballay. Le syndrome fibromyalgique est souvent considéré comme l’expression d’une souffrance psychosomatique. Pourrait-on la traiter par l’hypnose ?
M. Marcel-Francis Kahn. Je le pensais, et je mettais beaucoup d’espoir dans cette thérapeutique qui n’est ni médicamenteuse ni physique ; j’ai même dirigé une thèse à ce sujet. On a essayé, et les résultats obtenus n’ont malheureusement pas été probants, ce qui est très décevant. Les études ont concerné peu de patientes mais, pour le moment, les résultats sont plutôt négatifs.
Mme Florence Delaunay. Avez-vous une idée des raisons pour lesquelles la fibromyalgie touche essentiellement les femmes ? Avez-vous connaissance de cas de guérison ou considérez-vous la maladie comme incurable ?
M. Marcel-Francis Kahn. La plupart des travaux scientifiques montrent une prévalence considérable de femmes parmi les malades. J’ai reçu en consultation à l’hôpital Bichat, à Paris, plusieurs centaines de patients qui m’étaient souvent envoyés par des confrères que cette pathologie mettait mal à l’aise ; neuf sur dix étaient des femmes, et la littérature scientifique fait état d’une proportion de 85 à 95 % de femmes parmi les malades. D’autres maladies somatiques, telles la polyarthrite ou le lupus érythémateux systémique, frappent les femmes dans des proportions similaires, sans que l’on en sache non plus la raison.
La dernière recherche que j’ai conduite a consisté à comparer l’arrière-plan psychique des malades fibromyalgiques selon les sexes ; il est apparu que les terrains diffèrent nettement. On trouve chez les femmes un terrain anxio-dépressif, et dans certains cas des crises d’angoisse respiratoire – ce que l’on appelait « tétanie » ou « spasmophilie » et dont on sait maintenant qu’il s’agit également d’une pathologie d’origine centrale. Les hommes ne présentaient pas ces caractéristiques, mais pratiquement tous des troubles obsessionnels compulsifs. Pour expliquer la très forte proportion de femmes souffrant de cette pathologie, l’hypothèse d’une influence hormonale ou biochimique a été avancée, mais rien n’est exactement connu. Aucun travail scientifique n’a mis en cause la considérable prédominance des femmes au nombre des patients fibromyalgiques.
Il est très compliqué de promettre la guérison à une patiente fibromyalgique. Je soulignais dans l’article que j’ai publié dans L’Actualité rhumatologique 2013 combien il est important d’expliquer aux patientes ce dont elles sont atteintes. Elles n’ont pas toujours eu une écoute compatissante et se sont souvent entendu dire que leur maladie était « dans la tête » – mais tout est « dans la tête », à commencer par le visionnage d’un film ou l’écoute d’une musique ! Si on leur a dit que leurs troubles sont d’origine psychique, je leur explique que les travaux les plus récents infirment cette opinion, qu’il s’agit d’une anomalie de la transmission de la douleur et que la pathologie est réelle. Le bon côté de la chose est que je peux leur promettre que la fibromyalgie ne fera jamais d’elles des invalides majeures, qu’elles ne risquent pas de finir paralysées, qu’il n’y a pas de liaison identifiable touchant viscères, muscles ou nerfs et que la situation s’améliorera quand elles avanceront en âge.
La majorité des patientes sont d’âge moyen. Sur l’âge de survenue de la maladie, j’ai une divergence d’appréciation avec certains auteurs, allemands notamment. Un médecin israélien de l’Université de Beer Sheva a fait état de cas de fibromyalgie apparus avant la puberté ; je n’en ai jamais vu ne serait-ce qu’un seul chez les centaines de malades venus consulter. Pour certaines patientes, les troubles avaient commencé entre la puberté et l’âge adulte, mais elles sont peu nombreuses dans ce cas. On admet en général, dans la littérature, que les enfants ne sont pas atteints de ce syndrome, qu’il faut distinguer des « douleurs de croissance ». La fibromyalgie ne se déclare pas non plus chez les individus âgés de plus de soixante-dix ans, autrement dit chez les vieillards, catégorie à laquelle j’appartiens théoriquement, mais chacun sait qu’un vieillard est quelqu’un qui a dix ans de plus que soi… (Sourires). Même si des symptômes épars peuvent apparaître auparavant, le pic très net de l’apparition des symptômes est autour de la ménopause.
Les malades que j’ai suivies très longtemps à l’hôpital Bichat ont pu constater qu’au terme de quinze à vingt ans elles n’étaient pas invalides, que les traitements prescrits avaient eu une certaine efficacité et que leur sort s’était amélioré. Bien entendu, cela ne résolvait pas les problèmes dus à l’incidence de la fibromyalgie sur le travail, la vie familiale et la nécessité d’élever ses enfants. Il m’est aussi arrivé d’expliquer que la pathologie retentit forcément, comme d’autres, sur la vie personnelle, et légitime dans certains cas une approche psychologique ou même psychiatrique. Diriger d’emblée une patiente vers un psychologue ou un psychiatre est catastrophique, mais l’on peut expliquer posément à une patiente qu’il est normal qu’une maladie qui l’invalide, lui pose un problème au travail et un problème de reconnaissance par certains organismes ait un effet anxiogène ou dépressif et que, de même qu’on lui prescrit des antalgiques, elle peut avoir besoin d’un soutien psychologique ou même psychiatrique.
M. le rapporteur. La difficulté tient à la durée nécessaire à l’établissement du diagnostic. Les malades nous disent que l’énoncé du diagnostic change leur vie, parce qu’ils savent enfin qu’ils ne sont pas atteints d’une maladie mortelle. Mais, pour en arriver là, il faut parfois entre dix et quinze ans, faute que le diagnostic soit posé.
M. Marcel-Francis Kahn. Ce problème est en effet difficile, sinon impossible, à résoudre car le manque de médecins traitants se fait sentir un peu partout, y compris à Paris. Cela a une incidence sur le temps que chaque généraliste peut accorder à ses patients. Or, recevoir une patiente fibromyalgique en consultation prend du temps car il faut l’écouter, lui donner des explications et, souvent, les renouveler. À cela s’ajoutant la persistance, catastrophique, d’un certain scepticisme au sujet de la maladie elle-même, le problème demeure irrésolu.
M. Jean-Pierre Decool. Je vous remercie pour votre engagement ; il tranche avec le scepticisme de certains de vos confrères. En l’état de la science, quelles sont les meilleures thérapies allopathiques, homéopathiques ou d’autre nature ? Les données anatomiques ne permettent pas, pour l’instant, de trouver des signes tangibles de ce syndrome. Peut-on penser que les connaissances sont encore insuffisantes et que l’on aura, demain, de nouveaux indicateurs, ou est-ce que la recherche ne peut aller plus loin ?
M. Marcel-Francis Kahn. Certains examens neurophysiologiques assez sophistiqués permettent de démontrer le trouble de la transmission douloureuse mais les réaliser suppose des équipes compétentes. Il est très difficile d’en faire un examen de routine car très peu de laboratoires sont en mesure de le pratiquer. Il en va autrement en Suisse et en Angleterre, mais en France, cela n’intéresse pas beaucoup : un certain snobisme, qui remonte à loin, voulait d’ailleurs qu’il soit plus « noble » pour un neurologue de s’occuper des fonctions cérébrales centrales que des nerfs périphériques. Il y a déjà moyen, par des études neurophysiologiques pointues, d’authentifier le trouble, ou plus exactement les troubles, de transmission de la douleur qui caractérisent la fibromyalgie. Il est en effet à peu près admis maintenant que la fibromyalgie n’est pas une maladie mais un syndrome, dont les déterminants différents rendent l’étude physiologique très difficile.
Vous m’avez interrogé sur la thérapeutique, et j’ai cru entendre le mot « homéopathie ». Sachez que je suis un ennemi juré de l’homéopathie. Selon moi, et Alfred Jarry ne m’en voudra pas, cela relève des Patamédecines ; j’ai d’ailleurs été condamné par le conseil national de l’Ordre des médecins pour avoir dit du mal publiquement de cette discipline. Dans L’Actualité rhumatologique 2013, j’ai fait la revue des articles publiés sur les effets des médecines dites parallèles sur la fibromyalgie : rien n’a jamais été démontré – sinon peut-être pour l’acupuncture, que je ne mets pas dans le même sac car il y a là une réalité physiologique peut-être intéressante.
Médecin, je n’ai jamais eu de conflits d’intérêts, m’étant abstenu, pour des raisons idéologiques, de toutes relations avec l’industrie pharmaceutique, sauf une fois, il y a une quinzaine d’années, lorsque je me suis rendu, à la demande du laboratoire Pierre Fabre, aux Entretiens du Carla ; j’étais défrayé, mais aucuns honoraires ne m’étaient versés. Le laboratoire voulait promouvoir le milnacipran – commercialisé sous le nom d’Ixel en France, où il a l’indication d’antidépresseur – comme traitement spécifique de la fibromyalgie. On m’avait fait parvenir le dossier retraçant le travail expérimental censé prouver son efficacité à ce titre. L’ayant étudié, j’ai dit que l’utilité de cette molécule dans le traitement de la fibromyalgie n’avait pas été démontrée, ce qui a beaucoup déçu le laboratoire ; j’ai assez vite cessé d’être invité aux Entretiens du Carla… Le laboratoire Pierre Fabre a ensuite vendu son brevet aux États-Unis, où le médicament a trouvé une seconde jeunesse sous le nom de Savella. Je précise pour la petite histoire que l’Agence européenne des médicaments a refusé à l’Ixel l’indication « fibromyalgie », et que les publicités pour le Savella qui inondaient les journaux américains ont disparu ces temps-ci. Le Fibromyalgia Network, association qui regroupe la majorité des patients américains atteints de fibromyalgie, est tout à fait sceptique sur l’effet de certains produits prescrits à ses membres.
Quand j’exerçais, j’avais sélectionné un dérivé des antidépresseurs tricycliques, le Laroxyl, une solution buvable que l’on peut prescrire à toutes petites doses, en partant d’une goutte le soir pour arriver à trois gouttes si nécessaire. Ce médicament n’est pas toujours très bien toléré mais ses effets secondaires ne sont pas très ennuyeux et c’est le seul qui, avec les antalgiques simples tels que le paracétamol, a un effet chez les fibromyalgiques. Aux États-Unis, on a vanté les bienfaits de médicaments en principe anxiolytiques et antidépresseurs, qui auraient un effet possible dans le traitement de la fibromyalgie ; je n’ai jamais été convaincu de leur efficacité. Cette indication existe aux États-Unis, et pour certaines molécules en France mais, comme le Fibromyalgia Network, je juge les résultats obtenus par ce biais tout à fait insuffisants. Une étude conduite aux États-Unis fait état de la propagande intensive des laboratoires pharmaceutiques en faveur de produits antiépileptiques ou antalgiques qui obtiennent 30 % de résultats relativement favorables, ce qui est très peu. Dans cette indication, ces médicaments n’ont jamais véritablement percé en France.
Selon moi, le traitement de la fibromyalgie est surtout pluridisciplinaire. En dehors du dialogue avec les malades, du traitement médicamenteux et de l’éventuel abord psychothérapeutique, je suis très partisan des méthodes physiques. Des auteurs suisses ont démontré l’efficacité de la rééducation, de la balnéothérapie, des massages et des applications chaudes, toutes méthodes qui présentent en outre l’avantage de montrer aux patientes qu’on les prend au sérieux. La plupart des grandes stations françaises de crénothérapie ont d’ailleurs ajouté la fibromyalgie à leurs indications antirhumatismales. Il en est ainsi de Lamalou-les-Bains, station où Alphonse Daudet soignait les complications de sa syphilis et de son tabès, et où je me suis rendu il y a quelques années lors d’une réunion scientifique de bon niveau sur la fibromyalgie, dont les Actes ont été publiés.
Enfin, j’ai mis en garde contre l’erreur malheureuse consistant à utiliser des antalgiques majeurs, dont les dérivés morphiniques, dans le traitement de la fibromyalgie. On a vanté, à tort selon moi, leur prescription dans le traitement des syndromes rhumatologiques bénins alors que leur maniement requiert la plus grande prudence. On peut utiliser les morphiniques faiblement dosés tels que le Tramadol, mais pas les autres, qui provoquent addiction, épuisement de l’effet et effets secondaires ; la contre-indication est très nette. J’ai fait le point, dans L’Actualité rhumatologique 2013, sur les recommandations internationales ; elles diffèrent aux États-Unis, en Allemagne, en France… J’espère que ces divergences s’aplaniront et que l’on trouvera un médicament présentant plus d’avantages que d’inconvénients ; actuellement, il faut être très prudent dans l’utilisation des médicaments et en particulier des morphiniques.
M. Christophe Premat. Puisque la difficulté du diagnostic, disent de nombreux malades, tient à l’existence de symptômes diffus, ne serait-il pas judicieux d’en revenir à la dénomination descriptive que vous aviez proposée ? Considérez-vous qu’il y ait des causes environnementales, professionnelles et sociales au déclenchement du syndrome ? La collaboration entre spécialistes a-t-elle progressé ?
M. Marcel-Francis Kahn. Plusieurs enquêtes, dont certaines portent sur des jumeaux, ont montré qu’il pouvait y avoir un facteur familial dans l’apparition de la fibromyalgie, mais les résultats obtenus ne sont, statistiquement, pas très convaincants. Il semble qu’il y ait une prédisposition génétique, mais elle n’est pas déterminante.
Reste posée la question des critères de diagnostic. Frederick Wolfe, médecin à Wichita Falls, en a proposé une série en 1990 au Collège américain de rhumatologie, dont je suis membre. J’ai critiqué cette liste dès l’origine dans La Revue du rhumatisme pour diverses raisons : elle ne prenait pas en compte les symptômes de première importance que sont les troubles du sommeil, l’angoisse et la fatigue ; son auteur mélangeait curieusement fibromyalgies « primaires » et « secondaires » ; un des critères retenus était que les symptômes devaient être présents depuis « trois mois au moins », ce qui est un peu court. Mais la démarche était intéressante en ce qu’était reprise la liste de points douloureux à la palpation établie par Hugh Smythe, dont l’accumulation est un test semi-objectif permettant de poser le diagnostic de fibromyalgie.
Ces critères, avalisés par le très puissant Collège américain de rhumatologie, sont toujours très utilisés. Mais, étrangement, Frederick Wolfe a entièrement révisé sa première liste en supprimant les points douloureux à la palpation et les formes secondaires à d’autres pathologies et en ajoutant les troubles du sommeil, la fatigue et les troubles du comportement. Il s’en est suivi une bagarre entre rhumatologues pour savoir laquelle des deux listes utiliser. La plupart des médecins s’en tiennent à la première car elle contient les signes semi-objectifs que sont les points douloureux à la palpation, dont personne ne comprend pourquoi Frederick Wolfe les a supprimés de sa seconde liste. Comme je vous l’ai indiqué, aussi longtemps que l’on n’utilisera pas de manière routinière des tests de neurophysiologie, on devra fonder le diagnostic sur ces tests semi-objectifs, difficiles à affirmer, reconnaître ou éliminer.
L’environnement ne semble pas jouer de rôle dans le déclenchement de la fibromyalgie ; l’exposition à des toxiques, y compris au travail, peut susciter des troubles douloureux, mais aucun ne provoque un tableau qui corresponde exactement à celui de la fibromyalgie. Pour le moment, l’influence de l’environnement sur le développement de la maladie n’est pas avérée.
Un traitement pluridisciplinaire est naturellement souhaitable. On peut l’écrire, mais, en pratique, il est extrêmement difficile à obtenir, sinon quasiment impossible.
Un des points dont j’ai longuement discuté avec les associations de patients et qui explique, ai-je cru comprendre, la création de votre commission d’enquête, est celui de la reconnaissance de la fibromyalgie au travail et pour le remboursement des soins. Depuis vingt ans, les associations de malades m’incitent à demander que la fibromyalgie soit incluse dans la liste des affections de longue durée (ALD). Ma réponse a toujours été ambiguë et si je dois préciser ma position sur la pertinence de cette requête, je vous dirai que mon opinion n’est pas, pour le moment, entièrement positive. Je ne dis pas que la fibromyalgie n’est pas la cause d’une gêne considérable ; elle pourrait d’ailleurs entrer dans le cadre des ALD si elle entraînait une dépression grave. Mais je considère qu’adjoindre le syndrome fibromyalgique en tant que tel à la liste des ALD entraînerait des complications graves, et qu’il faut procéder au cas par cas. Les commissions départementales peuvent être saisies de cas particuliers : elles examinent alors les patients extrêmement handicapés dont des tests montrent qu’ils peuvent entrer à bon droit dans la liste des ALD. Est-ce que cela doit être automatique pour la fibromyalgie ? Ma position à ce sujet est très hésitante, pour ne pas dire plus.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Avez-vous envisagé des explications sociologiques au syndrome fibromyalgique ? Des études ont-elles été conduites sur le milieu d’origine, la profession, le niveau d’éducation, la vie familiale des patientes ? De ce que nous avons entendu ici lors des auditions successives et au centre antidouleur de l’hôpital Cochin, il ressort que les femmes atteintes du syndrome fibromyalgique ont souvent des professions tournées vers les autres, des vies compliquées qui les conduisent à s’occuper de tous, au point qu’un moment vient peut-être où c’est trop. N’est-ce pas alors qu’apparaissent les symptômes ? La physiologie féminine n’étant pas en cause, une étude sociologique permettrait-elle de dire si ces symptômes traduisent une maladie de société ?
Mme Annie Le Houerou. Dans le même esprit, y a-t-il une corrélation entre la prévalence de la maladie et les conditions de vie sociales ? Pour ce qui est de la prise en charge de la maladie une fois qu’elle est diagnostiquée, ne faudrait-il pas favoriser la prévention en allégeant les modalités de travail en cas de crises, de manière que les individus fibromyalgiques parviennent à concilier maladie, vie sociale et vie professionnelle ?
M. Marcel-Francis Kahn. Il est évident que les conditions de vie, de travail et familiales ont une influence ; cela m’a frappé au cours de mes consultations même si, ayant uniquement exercé comme praticien hospitalier, sans jamais donner de consultations privées, ma patientèle s’en est trouvée sélectionnée d’office puisque je ne voyais pas le milieu social qui ne vient pas à l’hôpital hors d’une consultation privée. J’ai publié dans L’Actualité rhumatologique 2011 un article assez long qui portait sur les pathologies rhumatologiques liées au travail ; la fibromyalgie en fait partie. La maladie a un volet social incontestable, mais le dire ne suffit pas à apporter une solution facile. Que faire quand une femme travaille à la chaîne ? Que faire quand une femme dépèce des poissons dans le froid, avec des gestes répétitifs, à une cadence imposée ? Tout cela favorise grandement l’apparition des symptômes. Les solutions sont incontestablement d’ordre médico-social mais je suis bien en peine d’en dire plus.
Des espoirs thérapeutiques résident peut-être dans des moyens différents des prescriptions actuelles, médicamenteuses ou de rééducation : les méthodes agissant sur l’intégration de la douleur. Ainsi, le professeur Serge Perrot, qui exerce à l’Hôtel-Dieu, à Paris, se sert de la stimulation magnétique transcrânienne, déjà utilisée par les psychiatres à la place des électrochocs.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Je vous remercie, monsieur le professeur, pour ces éclaircissements apportés avec passion, conviction et humour.
Puis la commission d’enquête entend le professeur Christian Roques, président du conseil scientifique de l’Association française pour la recherche thermale, et M. Claude-Eugène Bouvier, délégué général du Conseil national des établissements thermaux.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Nous poursuivons nos travaux avec l’audition du professeur Christian Roques, président du conseil scientifique de l’Association française pour la recherche thermale (AFRETH), et de M. Claude-Eugène Bouvier, délégué général du Conseil national des établissements thermaux (CNETh). Je vous souhaite la bienvenue, messieurs.
Je rappelle que notre commission d’enquête a décidé de rendre ses auditions publiques. Par conséquent, celles-ci sont ouvertes à la presse et rediffusées en direct sur un canal de télévision interne, puis consultables en vidéo sur le site internet de l’Assemblée nationale.
Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je vous demande de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Christian Roques et M. Claude-Eugène Bouvier prêtent serment.)
M. Christian Roques, président du conseil scientifique de l’Association française pour la recherche thermale. J’interviens ici en ma qualité de président du conseil scientifique de l’AFRETH. Je suis par ailleurs professeur émérite des universités en médecine physique et de réadaptation à l’université de Toulouse et membre correspondant de l’Académie nationale de médecine. Je précise que je préside le conseil scientifique de l’AFRETH à titre bénévole. Je ne suis ni salarié ni actionnaire d’un établissement thermal. Je n’ai aucun lien de subordination avec une structure représentative du thermalisme.
L’AFRETH a été créée en octobre 2004, avec l’objectif de promouvoir des recherches destinées à évaluer le service médical rendu par les cures thermales, à l’initiative de trois organismes : le CNETh, syndicat patronal ; l’Association nationale des maires de communes thermales, regroupement d’élus ; la Fédération thermale et climatique française, branche nationale de la Fédération mondiale du thermalisme et du climatisme, organisme reconnu par l’Organisation mondiale de la santé au titre des médecines traditionnelles et complémentaires.
L’AFRETH est gérée par deux comités : un conseil d’administration, au sein duquel siègent les représentants des organismes créateurs et qui prend les décisions de financement des études qui lui sont présentées par le conseil scientifique ; ledit conseil scientifique, composé d’une dizaine de personnalités indépendantes et reconnues – des universitaires, un médecin thermal, un représentant de l’échelon médical de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés –, qui gère, en amont, tout le volet scientifique.
L’AFRETH fonctionne sur la base d’appels à projets scientifiques annuels. À ce jour, onze appels à projets ont été réalisés, et un douzième est en cours. Ils ont permis d’engager une enveloppe de 12 millions d’euros consacrée à la recherche. Au total, 122 projets nous ont été soumis ; 79 ont été déclarés éligibles ; 63 ont été validés par le conseil scientifique. Le conseil d’administration a décidé d’apporter un soutien financier à 43 de ces 63 projets validés sur le plan scientifique. À ce stade, quinze articles ont été publiés, dans des revues de langue anglaise avec comité de lecture et à facteur d’impact. Neuf de ces articles concernent le service médical rendu par la cure thermale dans des domaines tels que l’arthrose du genou, le surpoids et l’obésité, le syndrome métabolique, le trouble d’anxiété généralisé, l’insuffisance veineuse chronique ou les suites de cancers. Vingt-six études sont en cours, à des stades divers – mise en place, réalisation, exploitation des données, écriture, publication.
S’agissant de la prise en charge thermale de la fibromyalgie, deux essais contrôlés randomisés sont en cours. Ils conforteront les données de la littérature scientifique internationale dans le domaine de la balnéation thermale, qui sont, il faut le dire, assez modestes : j’ai identifié une vingtaine de références d’études publiées dans des revues en langue anglaise à facteur d’impact – c’est-à-dire avec un haut niveau de qualité scientifique. Parmi celles-ci, six peuvent être retenues comme représentatives de la prise en charge thermale telle qu’elle est réalisée en France. Cela contraste avec l’importance de la recherche thérapeutique concernant la fibromyalgie : dans la base de données la plus traditionnellement utilisée en médecine, on identifie plus de 5 000 références de publications relatives à ce domaine.
M. Claude-Eugène Bouvier, délégué général du Conseil national des établissements thermaux. Le CNETh est le syndicat professionnel des entreprises thermales françaises. Il représente 106 des 110 établissements thermaux de notre pays. Comme tout syndicat professionnel, il est l’interlocuteur des autorités de tutelle, qui sont, pour le thermalisme, à la fois l’État, au travers du ministère de la santé et des agences régionales de santé (ARS), et l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (UNCAM), qui réunit les trois régimes de l’assurance maladie.
Nous vous remercions de nous permettre de nous exprimer dans le cadre de vos travaux. Il nous semble légitime que les représentants de la médecine thermale soient entendus et participent au débat, dans la mesure où nombre de patients atteints de fibromyalgie privilégient cette médecine et où celle-ci constitue une solution médicalement et économiquement pertinente. À cet égard, je rappelle que la Haute Autorité de santé (HAS) a reconnu l’intérêt de la balnéologie dans ses recommandations de 2010. De même, dans des recommandations émises en 2006, la Ligue européenne contre le rhumatisme (EULAR) a reconnu l’intérêt de la balnéologie en eau chaude – pas spécifiquement du thermalisme – et lui a attribué le plus haut grade parmi les techniques non pharmacologiques. L’EULAR a également reconnu l’intérêt des techniques adjuvantes à la balnéologie qui peuvent être déployées dans les établissements thermaux, à savoir les programmes d’exercices physiques, la relaxation, la réadaptation et le soutien psychologique.
Le thermalisme est l’utilisation à des fins thérapeutiques de l’eau minérale et de ses dérivés, les boues thermales et les gaz thermaux, sur le lieu d’émergence de ces eaux.
La cure thermale est indiquée dans la prise en charge de maladies chroniques, qui représentent 63 % des dépenses de l’assurance maladie. C’est le cœur d’activité des établissements thermaux, qui prennent en charge à ce titre 563 000 curistes par an – chiffre très significatif –, dans le cadre de douze orientations thérapeutiques. Précisons que la fibromyalgie n’est pas identifiée comme l’une de ces douze orientations. Quelque 78 % des curistes viennent en cure pour traiter essentiellement des pathologies liées à l’appareil locomoteur.
Le format de la cure thermale est nécessairement de dix-huit jours. C’est une démarche médicale, qui fait l’objet d’une prescription et qui est suivie, pendant toute sa durée, par un médecin thermal.
Rappelons aussi qu’il s’agit d’une médecine sociale, dans la mesure où de nombreux curistes sont issus des classes moyennes : 15 % d’entre eux ont des ressources inférieures au plafond de la sécurité sociale ; environ 3 % sont bénéficiaires soit de la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C), soit de l’aide au paiement d’une complémentaire santé (ACS). D’autre part, 23 % des curistes bénéficient d’une prise en charge à 100 %, dont 20 % pour une affection de longue durée (ALD).
On entend parfois dire que la médecine thermale coûte cher. Je vais sans doute vous surprendre en accréditant cette assertion : elle coûte effectivement cher, mais elle coûte cher au curiste. On constate que l’investissement personnel du curiste représente 70 à 75 % des coûts engagés dans le cadre de la cure thermale.
À l’échelle macroéconomique, le budget des cures thermales représente 0,15 % des dépenses de l’assurance maladie.
M. Patrice Carvalho, rapporteur. Quel est le coût moyen d’une cure ?
M. Claude-Eugène Bouvier. Le tarif moyen d’une cure est d’environ 560 euros pour ce qui est des prestations liées aux soins. L’assurance maladie intervenant à hauteur de 65 %, le coût pour la collectivité est de l’ordre de 300 à 350 euros.
M. le rapporteur. Quel est le coût pour le malade ?
M. Claude-Eugène Bouvier. Il est en moyenne de 1 600 euros, lorsque l’on inclut l’ensemble des postes : le déplacement, l’hébergement sur place, les autres frais liés au séjour, les honoraires médicaux. C’est donc une dépense assez importante.
Il existe trois modalités d’accueil et de prise en charge des curistes atteints de fibromyalgie dans les établissements thermaux. La première est la cure thermale standardisée de trois semaines telle que je viens de la décrire. La fibromyalgie peut être prise en charge dans le cadre de trois orientations thérapeutiques : la rhumatologie, dans quatre-vingt-cinq stations thermales ; la neurologie, dans trois stations ; les affections psychosomatiques, dans cinq stations. Selon le mode d’expression du syndrome fibromyalgique, c’est-à-dire selon que prédominent la douleur ou bien les problèmes psychosomatiques – dépression, anxiété, troubles du sommeil, voire tendances suicidaires –, le patient sera dirigé vers un établissement agréé pour l’une de ces trois orientations.
Second mode de prise en charge de la fibromyalgie : les forfaits créés par certains établissements thermaux, en dehors de la prise en charge par l’assurance maladie. Ces forfaits associent en général des soins thermaux et des techniques éducatives. Ces ateliers d’apprentissage sont proposés, en plus des soins thermaux, à un tarif qui oscille entre 100 et 250 euros. Ils sont donc à la charge du curiste.
Troisième modalité de prise en charge : l’éducation thérapeutique du patient. Le CNETh a élaboré, en coopération avec les associations de patients, un programme d’éducation thérapeutique, désormais proposé dans quatre stations thermales. Dans la mesure où ces programmes ne bénéficient d’aucune prise en charge institutionnelle, ils sont entièrement financés par le curiste ou par l’établissement thermal.
M. le rapporteur. Je tiens tout d’abord à vous féliciter : alors que la fibromyalgie est contestée par certains médecins des hôpitaux, par de nombreux médecins libéraux et, surtout, par les médecins de la sécurité sociale, les médecins thermaux sont tous d’accord pour dire qu’il s’agit d’une vraie maladie, qu’il faut la soigner et qu’il faut faire venir les patients dans les stations thermales. Le thermalisme est le seul domaine où je n’ai pas trouvé d’opposition.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Il y a aussi celui des assurances.
M. le rapporteur. C’est juste.
Disposez-vous d’une évaluation du nombre de patients souffrant de fibromyalgie qui suivent une cure thermale dans vos établissements ? Quelle proportion des curistes pris en charge dans le cadre de l’orientation « rhumatologie » représentent-ils ? Nombre des malades qui ont suivi des cures nous ont dit que cela leur avait fait beaucoup de bien.
M. Claude-Eugène Bouvier. Nous le confirmons.
Lorsque l’on s’intéresse à la « prévalence » de la fibromyalgie dans les établissements thermaux, il faut distinguer, d’une part, les malades atteints de fibromyalgie et, d’autre part, les patients pris en charge en tant que tels. Il s’agit de deux notions bien différentes : certains patients atteints de fibromyalgie sont traités dans les stations thermales non pas au titre de la fibromyalgie, mais au titre de l’une des manifestations du syndrome, par exemple la dépression. Chaque année, 12 000 à 15 000 patients atteints de fibromyalgie, diagnostiqués comme tels par un médecin ou, parfois, autodiagnostiqués – l’étude de l’association FibromyalgieSOS a révélé l’existence de cette pratique –, sont pris en charge dans les établissements thermaux. Ils représentant 2,8 % des curistes français, proportion légèrement inférieure à celle qu’avait estimée l’EULAR en 2006, qui était de l’ordre de 4,4 %.
M. le rapporteur. Pouvez-vous nous décrire les dispositifs ou soins particulièrement adaptés aux patients souffrant de fibromyalgie lors d’une cure thermale ? Sont-ils différents de ceux que les établissements proposent pour l’ensemble des curistes relevant de l’orientation « rhumatologie » ? En quoi diffèrent-ils de ceux qui sont proposés dans les centres de balnéothérapie ?
M. Christian Roques. Dans le cadre des cures rhumatologiques, on propose aux patients atteints de fibromyalgie des soins adaptés à leur tolérance, qui est inférieure à celle des rhumatisants traditionnels, en particulier à celles des sujets porteurs d’arthrose, qui représentent l’essentiel des curistes rhumatologiques.
Il y a quatre ans, nous avons organisé au niveau national une réflexion à laquelle ont participé des médecins, des professionnels de santé, des représentants des établissements thermaux et des représentants d’associations de patients. À l’issue de ces quelque dix jours de travail en commun, nous avons, d’une part, optimisé le bouquet de soins hydrothermaux et, d’autre part, construit un programme d’éducation thérapeutique, qui est actuellement en place dans un certain nombre de régions, après avoir été validé par les ARS concernées.
Les soins hydrothermaux proprement dits ne diffèrent pas fondamentalement de ceux qui sont délivrés habituellement dans le cadre d’une cure rhumatologique : il s’agit de bains individuels, d’applications de boues, de massages, d’exercices collectifs de mobilisation en piscine d’eau minérale sous la direction d’un masseur-kinésithérapeute diplômé d’État. Les différences peuvent porter sur la température des produits – eau minérale ou boues –, la durée des soins et la pression exercée lors des massages. Sur les patients atteints de fibromyalgie, on ne réalise que des massages très superficiels ou « effleurages » destinés à activer les récepteurs cutanés de la sensibilité non douloureuse, lesquels bloquent l’entrée des influx douloureux au niveau de la moelle épinière. C’est ce qu’on appelle le « contrôle des portes ». A contrario, en rhumatologie, compte tenu de l’importance des contractures musculaires, on réalise très souvent des massages profonds qui visent à faire travailler les muscles. Un patient atteint de fibromyalgie ne tolérerait pas de tels massages. Il va de soi qu’on ne le traite pas comme un joueur de rugby ! La plupart du temps, les soins hydrothermaux sont complétés par des activités physiques adaptées et assortis de recommandations diététiques.
De la même manière, dans les établissements thermaux qui traitent les problèmes neurologiques ou les affections psychosomatiques, la température des bains et la durée des soins sont adaptés aux patients atteints de fibromyalgie. S’agissant plus spécifiquement des patients pour lesquels les troubles relationnels sont au premier plan du tableau clinique et qui sont pris en charge dans les établissements agréés pour l’orientation « affections psychosomatiques », la pression des douches – qui ont une grande importance dans le traitement de ces affections – est modulée pour rester à des niveaux relativement faibles, afin d’éviter de réveiller la douleur. Rappelons que les points douloureux provoqués par la fibromyalgie sont diagnostiqués lorsque le patient réagit à une pression de 4 bars, c’est-à-dire à la pression qui fait apparaître une ligne blanche au niveau du doigt.
Pour faire simple, il s’agit donc des soins habituels, mais « taillés sur mesure » de manière globale pour la population des patients atteints de fibromyalgie et adaptés très spécifiquement à la personne concernée, lors de la première consultation, qui vise à prescrire les soins, et de la consultation de suivi, qui a lieu en général une dizaine de jours après le début de la cure.
Les différences entre la cure thermale et la balnéothérapie conventionnelle sont de plusieurs ordres.
Premièrement, l’offre de soins proposée dans le cadre d’une cure thermale, en particulier d’une cure rhumatologique, est plus riche que celle que l’on peut faire en médecine ambulatoire, notamment en médecine de ville. Pour trouver une offre qui s’en approche, il faut s’adresser à des structures hospitalières publiques ou à des centres de rééducation fonctionnelle disposant de plateaux techniques lourds.
Deuxièmement, on n’a pas nécessairement la possibilité d’accéder, près de chez soi, à des structures techniques aussi lourdes, d’autant que celles-ci ont essentiellement vocation à être utilisées soit par des polytraumatisés graves, soit par des patients présentant des lésions neurologiques, en particulier par des hémiplégiques vasculaires – on compte 75 000 nouveaux cas d’hémiplégie vasculaire chaque année en France. Les perspectives de retrouver une autonomie optimale sont liées à une rééducation précoce, multidisciplinaire et intensive, qui ne peut être dispensée que dans ce type de structures. L’accès aux soins est plus confortable dans un établissement thermal, dans lequel tous les soins sont regroupés et qui se trouve, par définition, à proximité des patients.
Troisièmement, la cure thermale revêt plusieurs dimensions thérapeutiques différentes. On parle d’ailleurs d’ « intervention thérapeutique complexe ». Les soins hydrothermaux, eux-mêmes multiples, ont la particularité d’agir de manière diffuse sur le corps, à la différence des techniques de kinésithérapie ou de physiothérapie conventionnelle, qui sont plus souvent segmentaires. En outre, le séjour thermal s’accompagne d’un changement de cadre de vie et, le cas échéant, d’un changement de climat. A contrario, lorsque l’on reste au domicile familial, les possibilités de repos sont beaucoup plus restreintes, en particulier pour les femmes, car il leur est difficile de se soustraire à un minimum de tâches domestiques.
Quatrièmement, il y a l’apport analgésique propre de l’élément minéral. Nous disposons d’un certain nombre d’études, toutes effectuées dans le domaine de la rhumatologie, qui ont consisté à comparer des groupes de patients de manière scientifiquement valable – c’est-à-dire en tirant les patients au sort. Il s’est agi de comparer, d’une part, des patients traités par des bains d’eau minérale et des patients traités par des bains d’eau de réseau et, d’autre part, des patients recevant des applications de boues thermominérales, appelées « péloïdes », et des patients recevant des applications de paquets chauds ou de boues neutres.
Dans le domaine de la fibromyalgie, une étude a permis de comparer un groupe de patients bénéficiant de la balnéothérapie thermale à un groupe témoin traité par hydrothérapie à l’eau de réseau. En termes d’action sur la douleur, les résultats ont été les suivants : avant le début du traitement, les patients des deux groupes avaient évalué en moyenne leur douleur à un niveau quasi identique, respectivement 72 et 71 sur une échelle de 100 ; au bout de trois mois, les patients du premier groupe ont évalué en moyenne leur douleur à 29, contre 42 pour le second groupe. La différence est donc significative.
Nous disposons de données plus riches dans le domaine de la lombalgie : la balnéation en eau minérale réduit la douleur de 24 points en moyenne, contre 8,5 points pour la balnéation en eau de réseau.
Dans le domaine de l’arthrose du genou, la diminution de la douleur est en moyenne de 20 points en cas d’applications de péloïdes, contre 4 points en cas d’applications de paquets chauds.
Donc, dans les soins hydrothermaux, il semble qu’il y ait, en plus des caractéristiques physiques – chaleur, immersion –, une certaine dimension apportée par la minéralité. Cela peut, au demeurant, se comprendre, sachant que la perméabilité de la peau est accrue tant par la balnéation que par les applications de boues.
Enfin, j’insiste sur la question du coût, évoquée précédemment par M. Bouvier. Ainsi que je l’ai indiqué, seuls des centres de rééducation ou des services de rééducation de centres hospitaliers publics équipés de plateaux techniques lourds sont capables de délivrer des soins comparables à ceux qu’offrent les établissements thermaux. Or le coût moyen d’une journée en hospitalisation de jour dans de tels centres ou services varie de 70 à 100 euros – sachant que les soins sont généralement concentrés sur une demi-journée. Précisons toutefois que ces chiffres sont un peu anciens, la notion de prix de journée étant devenue plus floue avec les modifications de la tarification hospitalière. Le coût de la cure thermale s’établit, quant à lui, à environ 35 euros par jour. La différence de coût est donc très grande entre les deux types de prestation, en tout cas pour l’assurance maladie.
Mme Annie Le Houerou. Pouvez-vous revenir de manière plus détaillée sur la question des coûts ?
Vous avez évalué entre 12 000 et 15 000 par an le nombre de patients fréquentant vos établissements dont la fibromyalgie a été diagnostiquée. Pouvez-vous nous donner des éléments précis ou des chiffres concernant la nature de leur prise en charge ? Viennent-ils tous en cure sur prescription d’un médecin ou non ? Sont-ils pris en charge dans le cadre d’une ALD ou non ? Viennent-ils sur leur temps de congé ou bien dans le cadre d’un arrêt de travail ?
M. Claude-Eugène Bouvier. Le forfait moyen pour les soins thermaux est de l’ordre de 560 euros. L’assurance maladie prenant en charge 65 % de ce forfait, le coût pour la collectivité est de l’ordre de 350 euros. Le solde est à la charge du curiste ou de sa complémentaire santé lorsqu’il en a une.
M. le rapporteur. Il s’agit de la partie constituée par les soins.
M. Claude-Eugène Bouvier. Oui. Par ailleurs, il y a un forfait de « surveillance thermale » : au cours de la cure, le médecin thermal donne trois consultations et facture un forfait global de 80 euros, sur lequel l’assurance maladie intervient à hauteur de 70 %.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Sans doute convient-il de préciser que c’est pour la durée de la dure.
M. Claude-Eugène Bouvier. En effet.
Rappelons les caractéristiques de la cure : sa durée est nécessairement de dix-huit jours de soins, répartis sur vingt et un jours de séjour, et elle est toujours prescrite par un médecin, généraliste ou spécialiste. Quelque 20 % des curistes atteints de fibromyalgie sont pris en charge dans le cadre d’une ALD, sans que nous soyons en mesure de distinguer entre ALD 30, ALD 31 et ALD 32. Un début de réponse figure cependant dans l’étude réalisée par FibromyalgieSOS : 43 % des patients bénéficiant d’une prise en charge dans le cadre d’une ALD le seraient au titre d’une ALD 30, un peu plus de 33 % au titre d’une ALD 31, et pratiquement aucun au titre d’une ALD 32, c’est-à-dire d’une polypathologie.
M. Christophe Premat. Vous avez indiqué que la fibromyalgie ne figurait pas parmi les douze orientations pathologiques pour lesquels les établissements thermaux sont agréés. Est-ce dû tout simplement à l’absence de consensus sur le diagnostic ou aux priorités des établissements ?
Vos établissements accueillent-ils des patients étrangers en cure ? Comment appréhende-t-on les pathologies de ce type dans d’autres pays ?
M. Christian Roques. Il existe douze orientations thérapeutiques générales : rhumatologie, voies respiratoires, affections du tube digestif et troubles du métabolisme, phlébologie, maladies cardio-artérielles, etc. À chacune de ces orientations sont associées un certain nombre d’indications thérapeutiques qui correspondent à telle ou telle pathologie. Lorsque la fibromyalgie se manifeste de manière prépondérante par des troubles musculo-squelettiques, elle peut être prise en charge dans le cadre d’une cure rhumatologique. Lorsqu’elle se traduit avant tout par des troubles relationnels, elle peut l’être dans le cadre du traitement des affections psychosomatiques.
En outre, la fibromyalgie étant souvent associé à des troubles fonctionnels somatiques tels que le syndrome du côlon irritable ou la dyspepsie gastrique, il est vraisemblable que, compte tenu de la prépondérance de tels symptômes digestifs, un certain nombre de malades atteints de fibromyalgie, diagnostiqués comme tels ou non, bénéficient d’une cure thermale digestive. Cependant, nous n’avons pas de chiffre à vous donner sur ce point. En tout cas, les études montrent que les cures thermales permettent une amélioration très significative de l’état de santé des patients atteints de dyspepsie gastrique, du syndrome du côlon irritable ou de certaines gênes fonctionnelles respiratoires.
M. Claude-Eugène Bouvier. Actuellement, les établissements thermaux français accueillent très peu de patients étrangers dans le cadre d’une cure thermale de trois semaines. Bien sûr, un certain nombre d’étrangers bénéficient de prestations de bien-être dans nos stations, hors circuit thermal. Les choses évolueront peut-être avec la mise en œuvre de la directive européenne sur les soins de santé transfrontaliers, qui va permettre les transferts de curistes d’un pays à l’autre. De ce point de vue, la France aura certainement une carte à jouer, le thermalisme français étant reconnu, à l’échelle européenne, voire mondiale, comme l’un des plus efficients et des plus stricts en matière de réglementation et de contrôles. Il y a donc fort à parier que les patients étrangers qui souhaitent suivre une cure thermale hors de leurs frontières privilégieront notre pays plutôt qu’un autre.
Mme Florence Delaunay. Le thermalisme est un moteur économique majeur, notamment en Aquitaine, en particulier sur le territoire de l’agglomération dacquoise. Le cluster thermal aquitain AQUI O Thermes accompagne le dynamisme du secteur. Le programme d’éducation thérapeutique que vous avez évoqué y est dispensé depuis 2013. L’AFRETh a validé la mise en place d’un essai clinique pour évaluer l’efficacité de ce programme en cure thermale standardisée chez les patients atteints de fibromyalgie. Pouvez-vous nous en dire plus sur la démarche, sur ses résultats et sur les préconisations qui en découlent ?
M. Christian Roques. Je ne peux vous donner d’indications ni sur les résultats ni sur les préconisations, car l’étude est encore en cours.
Ainsi que je l’ai évoqué précédemment, ce programme d’éducation thérapeutique, intitulé Fibr’eaux, a été construit au niveau national en partenariat avec les associations de patients. Il a été mis en place dans plusieurs régions, notamment en Aquitaine, après avoir été validé par les ARS compétentes. Son objectif est de permettre au patient qui souffre d’un certain nombre de handicaps – c’est le public que nous avons choisi –, d’améliorer ses activités, c’est-à-dire ce qu’il fait sans sa vie quotidienne, et sa participation, c’est-à-dire son implication dans les diverses dimensions de sa vie, qu’il s’agisse de sa vie familiale, professionnelle ou sociale.
Ce programme fait effectivement l’objet d’une évaluation scientifique dans le cadre d’un essai contrôlé randomisé, appelé FIETT, mené dans une dizaine d’établissements thermaux du cluster AQUI O Thermes. Au total, 152 patients doivent être enrôlés dans le cadre de cet essai – ce nombre a été calculé pour pouvoir valider des résultats scientifiquement pertinents. Tous ces patients bénéficient d’une cure thermale standardisée, selon les principes que j’ai exposés précédemment. Les uns, tirés au sort, suivent le programme d’éducation thérapeutique pendant la cure. Les autres ne bénéficient que des soins hydrothermaux ; il leur est proposé de bénéficier du programme d’éducation thérapeutique l’année suivante, dès lors qu’ils ne participeront plus à cette étude, dans laquelle ils jouent le rôle de groupe témoin.
Comme tous les programmes d’éducation thérapeutique, le programme Fibr’eaux répond à un cahier des charges organisationnel extrêmement strict. Il comprend, d’une part, des entretiens individuels entre le patient et la personne qui le suit. Lors d’un premier entretien, au début du programme, on établit avec le patient un diagnostic éducatif partagé, dans lequel ses besoins éducatifs sont identifiés. Au cours d’un deuxième entretien, pendant le programme ou à l’issue de celui-ci, on lui propose des objectifs concrets à mettre en œuvre après le retour à son domicile. Lors d’un troisième entretien, téléphonique – la plupart des curistes vivent loin des établissements thermaux –, on détermine si le patient a pu mettre en œuvre ses objectifs et comment il les a atteints, et on identifie ce qu’il y a lieu de modifier.
Le programme comprend, d’autre part, plusieurs ateliers. Certains ateliers sont proposés à tous les patients. Ils portent, respectivement, sur la connaissance et la compréhension de la maladie, sur la gestion de la douleur et du stress, sur le sommeil et sur l’activité physique. Il y a, en outre, deux ateliers optionnels : l’un portant sur le traitement, en particulier sur le traitement médicamenteux, pour ceux qui ont besoin de renforcer leurs connaissances dans ce domaine ; l’autre, intitulé « vivre avec sa maladie » ou « ma maladie, les autres et moi », qui vise à aider le patient à gérer les problèmes relationnels que peut créer cette maladie généralement mal perçue et mal comprise dans son entourage professionnel, familial ou social.
Comme tout programme d’éducation thérapeutique, le programme Fibr’eaux doit faire l’objet d’une évaluation systématique, d’une part d’une auto-évaluation annuelle – évaluation, essentiellement, de la file de patients et de la manière dont se sont déroulés les ateliers –, d’autre part d’une évaluation quadriennale, destinée aux ARS, dans laquelle on doit reprendre tous ces éléments, mais aussi déterminer dans quelle mesure les patients ont atteint les objectifs éducatifs qui leur avaient été assignés.
Cependant, il s’agit là d’une évaluation de type médico-administrative. Pour démontrer le bien-fondé de la prise en charge dans le cadre de ce type de programme, il faut procéder à une évaluation scientifique du service médical rendu. En l’espèce, ainsi que je l’ai indiqué, nous avons choisi l’essai contrôlé randomisé, qui permet de comparer un traitement à un autre, avec tirage au sort des patients.
Quels sont les critères qui ont été retenus dans le cadre de cet essai FIETT ? Le critère de jugement principal est la qualité de vie – c’est l’élément sur lequel on s’est basé pour calculer l’effectif qu’il convient d’enrôler pour avoir une puissance statistique suffisante. La qualité de vie est appréciée au moyen du questionnaire d’impact de la fibromyalgie (QIF), questionnaire spécifique à cette maladie, d’origine anglo-saxonne, qui a été validé en français. Lorsque le patient a amélioré sa qualité de vie de 14 % au regard de ses réponses à ce questionnaire, cela signifie qu’il a transformé sa qualité de vie. Ce repère permet d’établir la pertinence du résultat clinique. Il y a, en outre, des critères de jugement secondaires : l’intensité de la douleur ; le soulagement de la douleur ; la peur du mouvement, mesurée au moyen de l’échelle TAMPA ; la fonction des membres inférieurs, mesurée par l’index WOMAC ; les troubles de l’humeur, l’anxiété et la dépression ; le sommeil, apprécié au moyen de l’échelle d’Epworth ; la fatigue, mesurée au moyen de l’échelle de Pichot. Il s’agit donc d’une évaluation multidisciplinaire.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. L’éducation thérapeutique est effectivement une option intéressante pour les patients souffrant de fibromyalgie. C’est probablement une piste à développer. Lors de notre déplacement à l’hôpital Cochin dans le service du professeur Serge Perrot, nous avons discuté avec des personnes qui participaient à un atelier de cette nature. On voit que la pluridisciplinarité est une dimension importante des soins qui peuvent être apportés aux malades. Nous serons attentifs aux résultats du programme Fibr’eaux. Une prise en charge analogue se fait dans les centres antidouleur.
M. Christian Roques. Les programmes d’éducation thérapeutique tels qu’ils sont mis en œuvre en milieu thermal ne diffèrent en rien, sur le plan de la conception, de ceux qui sont mis en œuvre dans les centres antidouleur. En revanche, en milieu thermal, ces programmes bénéficient de la dynamique thérapeutique propre à la cure.
D’abord, la cure thermale implique une démarche active du patient, qui doit régler un certain nombre de problèmes pour partir de chez lui pendant trois semaines. Ensuite, les soins hydrothermaux étant dispensés sur une demi-journée, les curistes disposent de temps. Non seulement ils ont besoin de ce temps pour se reposer, car les soins sont relativement fatigants – nous ne sommes plus au XIXe siècle, lorsque l’on buvait un verre d’eau minérale en levant le petit doigt ! –, mais ils peuvent aussi, s’ils le souhaitent, consacrer une partie de ce temps à quelque chose qui leur apporte un « plus » du point de vue sanitaire, à plus forte raison s’agissant d’une maladie telle que la fibromyalgie.
Enfin, le programme d’éducation thérapeutique est plus facilement accessible au patient lorsqu’il suit une cure, car ce programme lui est proposé sur place, que lorsqu’il reste chez lui et doit se rendre dans un centre antidouleur, ce qui peut être lourd, coûteux et compliqué. Les ressources humaines sont, elles aussi, sur place, avec la multidisciplinarité que vous avez évoquée, madame la présidente. En outre, la station thermale est la plupart du temps un espace aménagé pour l’activité physique, avec, souvent, des parcours de marche calibrés. Il est beaucoup plus facile de marcher ou de bouger dans une station thermale que dans une grande ville.
Telles sont les spécificités de l’éducation thérapeutique en milieu thermal, qui la rendent plus accessible au patient, mais aussi, probablement, plus efficiente, car elle s’inscrit dans une démarche où le patient se consacre uniquement à sa santé, celle-ci n’étant plus seulement une préoccupation qui s’ajoute à celles de la vie quotidienne.
M. Gilles Lurton. L’objectif d’une cure thermale est d’améliorer l’état de santé du patient. Disposez-vous d’études ou d’indications sur l’amélioration de la santé des patients atteints de fibromyalgie à la suite des cures thermales qu’ils ont suivies ? Est-il nécessaire pour eux de procéder à la répétition de ces cures à une échéance prédéterminée ?
M. Christian Roques. Ainsi que je l’ai évoqué précédemment, on peut faire fond sur les résultats de six études de haut niveau scientifique publiées dans des revues de langue anglaise avec comité de lecture et à facteur d’impact.
Les cures apportent d’abord une amélioration en ce qui concerne la douleur. Cette amélioration est manifeste au troisième mois ou au sixième mois, délais après lesquels les patients sont généralement évalués. Selon l’une des études, elle se poursuit au neuvième mois, ce que nous avons aussi observé chez des patients souffrant d’une arthrose du genou. Elle porte à la fois sur la douleur spontanée et sur la douleur à la pression : le nombre de sites douloureux à la pression diminue chez les curistes.
On constate aussi une amélioration en ce qui concerne la fatigue chronique – de 18 à 30 % au troisième mois, de 42 % au neuvième mois –, l’anxiété – de 32 % au premier mois, de 34 % au sixième mois, de 46 % au neuvième mois – et la dépression – de 31 % au troisième mois, de 51 % au sixième mois, de 18 % au neuvième mois.
L’amélioration porte également sur les troubles du sommeil, tant dans leur expression clinique que dans leur expression neurophysiologique – il s’agit alors d’enregistrer le fonctionnement cérébral pendant le sommeil.
De même, on note une amélioration en ce qui concerne les troubles fonctionnels somatiques. Elle est d’environ 30 % tant pour le syndrome du côlon irritable – selon deux études – que pour la dyspepsie gastrique – selon une étude.
Une autre étude a montré une amélioration de la fonction respiratoire : au sixième mois, l’essoufflement des patients est diminué de 58 %, et leur capacité respiratoire augmentée de 36 %
Enfin, la qualité de vie a pu être évaluée tant au moyen du questionnaire spécifique à la fibromyalgie que j’ai évoqué précédemment – l’amélioration est de l’ordre de 30 %, sachant que le seuil à partir duquel le changement est significatif dans la vie du patient est de 14 % – qu’au moyen de questionnaires génériques utilisés pour toutes sortes de déficiences
– l’amélioration observée est alors d’environ 20 %. Quant à la satisfaction de vie, que l’on peut mesurer avec une échelle visuelle analogique (EVA), elle est améliorée de 30 % au sixième mois.
Pour résumer, ces études montrent l’impact des cures thermales sur les diverses dimensions de la fibromyalgie : la douleur, la dimension somatique, les troubles de l’humeur, la fatigue et, in fine, la qualité de vie, qui est la résultante de toutes les autres.
M. Frédéric Reiss. Ma question porte sur la géographie des établissements thermaux français. Certaines stations thermales soignent-elles davantage de patients atteints de fibromyalgie que d’autres ? Certaines stations sont-elles plus spécialisées que d’autres dans la prise en charge de ces patients ? On sait, par exemple, qu’il y a plus de cas de maladie de Lyme dans l’est de la France que dans les autres régions. La maladie de Lyme pourrait d’ailleurs être à l’origine de certaines fibromyalgies.
M. Christian Roques. Je n’ai rien lu de très significatif concernant la distribution géographique de la fibromyalgie.
Les stations thermales exploitent les ressources thermominérales sur le lieu de leur jaillissement. Leur situation est donc déterminée par l’hydrogéologie de notre pays : elles se trouvent essentiellement dans les massifs montagneux et, éventuellement, dans les piémonts. Dès lors, elles sont assez mal réparties sur le territoire français : elles sont concentrées dans le massif pyrénéen et son piémont, le massif central, les Alpes et les Vosges. On ne trouve que deux stations thermales au nord d’une ligne qui va de la côte basque jusqu’à l’Alsace : une en Normandie et une dans le département du Nord, à Saint-Amand-les-Eaux. Cela pose un problème d’accès. Cette inégalité territoriale est le fait non pas de l’homme, mais de l’hydrogéologie.
J’en viens à votre question sur la spécialisation des stations thermales dans la prise en charge de la fibromyalgie Le terme « spécialisation » est peut-être un peu excessif, car la prise en charge des patients atteints de fibromyalgie ne diffère pas fondamentalement de la prise en charge des autres patients. Simplement, il faut vouloir s’occuper de ces patients en prenant en compte leurs spécificités, qui sont très prégnantes. Si l’on ne respecte pas leurs besoins spécifiques, la cure va mal se passer : si l’on pratique sur un patient atteint de fibromyalgie un massage plutôt destiné à un sportif, si on lui fait prendre des bains trop chauds ou si on lui applique des boues trop chaudes, il ne le tolérera pas. Toute station rhumatologique a théoriquement les moyens de prendre en charge un patient atteint de fibromyalgie. Il faut simplement que l’équipe humaine – la direction de l’établissement, les médecins, les soignants – ait reçu l’information nécessaire concernant la fibromyalgie et s’inscrive dans une dynamique. Si l’on observe les choses de l’extérieur – je ne suis pas exploitant thermal –, on se rend compte que certaines stations thermales se sont plus impliquées dans ce domaine, intellectuellement et humainement, que d’autres.
M. Claude-Eugène Bouvier. Vingt-quatre établissements thermaux ont mis au point et proposent, en sus des soins de rhumatologie, des forfaits adaptés aux patients atteints de fibromyalgie.
Il est difficile pour nous d’apprécier le gradient géographique, mais gardons à l’esprit que, en moyenne, 70 % des curistes soignés dans une station thermale donnée viennent de l’extérieur du département et qu’une grande proportion d’entre eux viennent de l’extérieur de la région. Ce n’est pas sans conséquence : cela ne facilite pas l’attribution de financements par les ARS aux stations thermales, en particulier au titre du fonds d’intervention régional (FIR), pour les programmes d’éducation thérapeutique du patient. C’est une vraie difficulté pour nous. Fort heureusement, quelques ARS commencent à mesurer l’intérêt de ces programmes. Tel est notamment le cas de l’ARS d’Aquitaine, qui a marqué un soutien très affirmé à ce que nous proposons dans les stations thermales.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. On nous a souvent dit que de nombreux médecins étaient « fibrosceptiques ». Les prescriptions de cures dans les stations thermales qui prennent en charge les patients atteints de fibromyalgie viennent-elles toujours des mêmes médecins, notamment de ceux qui se sont penchés sur la question ou ont organisé des ateliers thérapeutiques dans un centre antidouleur ? Disposez-vous de statistiques sur ces prescriptions ou d’indications sur leur répartition géographique ?
M. Claude-Eugène Bouvier. À ce stade, nous n’avons pas étudié ce point. Nous ne disposons pas d’analyse sur la répartition géographique. Je peux seulement vous dire que 80 % des prescriptions de cures émanent de médecins généralistes. Les spécialistes interviennent peu dans la prescription.
M. Christian Roques. Je souscris tout à fait à ce que vient de dire M. Bouvier.
En France, environ 150 000 médecins ont une activité clinique, et plus de 500 000 cures thermales sont prescrites chaque année. Cela signifie qu’il y a certainement quelques médecins, notamment des spécialistes, qui ne prescrivent pas de cure, mais qu’il ne doit pas y avoir beaucoup de généralistes qui n’en prescrivent jamais. En revanche, ce qui peut varier, c’est l’intérêt avec lequel les médecins prescrivent ces cures, surtout s’agissant d’une maladie qui se heurte encore, malheureusement, ainsi que vous l’avez fort justement relevé, madame la présidente, à un certain scepticisme du corps médical, même si celui-ci tend à beaucoup se réduire.
Pour répondre à la question de M. Lurton, la prescription d’une première cure est suivie, huit fois sur dix, de la prescription d’autres cures. On estime que les patients suivent en moyenne quatre à cinq cures, le taux de renouvellement étant inférieur à 20 % par an. Cela montre bien que la cure thermale ne guérit pas la maladie ; elle n’en a d’ailleurs pas la prétention. En effet, les cures visent à traiter des maladies chroniques. S’agissant de la fibromyalgie, la multiplicité des mécanismes à l’œuvre et des facteurs en jeu, à commencer par les facteurs génétiques dont on commence à mesurer toute l’importance, rend peu pertinente l’idée que l’on puisse identifier un remède permettant de guérir la maladie de manière globale, compte tenu du niveau de connaissances qui est le nôtre à l’heure actuelle. Certes, celui-ci ne cesse de s’enrichir, et peut-être va-t-on mettre le doigt, demain, sur un élément essentiel, mais je ne suis malheureusement pas en mesure de le prédire.
Dans le cas de la fibromyalgie et de toutes les autres maladies chroniques, on cherche à permettre aux gens de trouver un équilibre avec leur maladie, de vivre avec elle, de la gérer au quotidien. Dès lors, il est nécessaire de combiner plusieurs moyens. De ce point de vue, la cure thermale est un moyen pertinent pour permettre l’utilisation optimale d’autres moyens qui sont, eux, potentiellement plus agressifs pour la santé des patients – je pense en particulier aux traitements médicamenteux. Pour traiter la fibromyalgie, au-delà des analgésiques simples, on recourt essentiellement à des médicaments à visée psychotrope, en particulier à des antidépresseurs et à des anticomitiaux. Or le taux de patients répondeurs à ces traitements est relativement limité – 30 à 40 %, 50 % au mieux –, et ces médicaments exposent à des risques d’effets secondaires qui sont loin d’être négligeables. Dès lors, on se trouve dans une situation extrêmement douloureuse : les gens ont mal, et on leur donne de telles médications. Notons que le risque d’effets secondaires est d’autant plus faible que les doses utilisées sont elles-mêmes faibles. D’où l’intérêt de la cure thermale.
Lorsque les patients ont perçu une amélioration de leur état de santé à l’issue d’une cure, ils en font la plupart du temps une autre, s’ils en ont la capacité sociale. Rappelons en effet que, sauf dans le cas d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, qui donne droit à un congé maladie, la cure thermale se fait dans le cadre des congés annuels.
M. le rapporteur. Cela n’a pas toujours été le cas.
M. Christian Roques. Cela a toujours été le cas en droit, mais pas nécessairement dans la pratique. Actuellement, il n’y a pratiquement plus de cures thermales effectuées dans le cadre d’un arrêt maladie simple. Mais il est exact, monsieur le rapporteur, que la situation était tout à fait différente il y a trente, quarante ou cinquante ans.
Pour une femme jeune qui a une vie professionnelle et familiale, il n’est pas facile de s’extraire de cette vie pendant trois semaines pour se soigner, même si c’est évidemment souhaitable. Néanmoins, les patientes qui vont en cure et constatent une amélioration de leur état clinique souhaitent généralement renouveler la cure.
Dans le cas d’une infection des sinus, l’oto-rhino-laryngologiste dira probablement à son patient que ce n’est pas la peine de continuer les cures si ses sinus ne sont pas désinfectés au bout de quatre cures. Dans le cas de la fibromyalgie, la situation est tout à fait différente.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Merci beaucoup, messieurs, d’avoir participé à nos travaux.
La séance est levée à onze heures quarante-cinq.
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Présences en réunion
Réunion du mardi 12 juillet 2016 à 9 heures 30
Présents. – M. Bernard Accoyer, M. Alain Ballay, Mme Sylviane Bulteau, M. Patrice Carvalho, M. Jean-Pierre Decool, Mme Florence Delaunay, Mme Annie Le Houerou, M. Gilles Lurton, M. Christophe Premat, M. Frédéric Reiss
Excusé. – M. Arnaud Viala