Accueil > Contrôle, évaluation, information > Les comptes rendus de la commission d'enquête

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission d’enquête sur la fibromyalgie

Mardi 19 juillet 2016

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 09

Présidence de Mme Sylviane Bulteau, Présidente

– Audition, ouverte à la presse, de M. Yves Lévy, président-directeur général de l’INSERM, de Mme Sophie Nicole, coordonnatrice de l’expertise collective fibromyalgie et de M. Laurent Fleury, responsable des expertises collectives

– Audition, ouverte à la presse, du docteur Laurence Juhel-Voog, médecin spécialiste en médecine interne, et du docteur Valérie Hégé, médecin généraliste

– Présences en réunion

COMMISSION D’ENQUÊTE
SUR LA FIBROMYALGIE

La séance est ouverte à neuf heures trente

——fpfp——

La commission d’enquête sur la fibromyalgie procède à l’audition de M. Yves Lévy, président-directeur général de l’INSERM, de Mme Sophie Nicole, coordonnatrice de l’expertise collective fibromyalgie et de M. Laurent Fleury, responsable des expertises collectives.

Mme la présidente Sylviane Bulteau. Nous allons entendre M. Yves Lévy, président-directeur général de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), Mme Sophie Nicole, coordonnatrice de l’expertise collective fibromyalgie et M. Laurent Fleury, responsable des expertises collectives, à qui je souhaite la bienvenue.

Je vous rappelle que nous avons décidé de rendre publiques nos auditions et que, par conséquent, celles-ci sont ouvertes à la presse et rediffusées en direct sur un canal de télévision interne puis consultables en vidéo sur le site internet de l’Assemblée nationale. Je vais passer la parole à M. Yves Lévy pour une intervention liminaire d’une durée maximale de dix minutes, qui précédera notre échange sous forme de questions réponses.

Par ailleurs, l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Yves Lévy, Mme Sophie Nicole et M. Laurent Fleury prêtent successivement serment).

M. Yves Lévy, président-directeur général de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM). Je propose que nous nous mettions d’abord d’accord sur les termes et sur la définition du syndrome fibromyalgique. Je vous livrerai ensuite un aperçu rapide des recherches menées à l’INSERM sur cette question, mais aussi sur les troubles qui lui sont associés, troubles du sommeil et douleurs chroniques. Je vous parlerai enfin des autres actions que nous menons en lien avec les associations de malades, ainsi que des retombées éventuelles de l’expertise collective en cours sur la fibromyalgie et dont nous attendons les résultats.

Nous n’avons pas aujourd’hui de marqueur précis de diagnostic pour le syndrome de la fibromyalgie, caractérisé par des douleurs diffuses, ressenties comme musculaires ou osseuses et qui sont associées à des troubles du sommeil, des troubles fonctionnels, psychologiques et cognitifs, avec une prédominance à l’âge adulte et chez les femmes. J’insiste sur cette absence de biomarqueur, qui est l’un des problèmes gênant aujourd’hui le diagnostic et jetant le trouble dans l’identification de la prévalence. Elle peut ainsi varier selon les études, mais, d’après des études d’échantillonnage, on peut l’estimer à 1,6 % de la population.

L’étiologie n’est donc pas déterminée, mais le stress physique et le stress psychologique constituent des facteurs de risque ; le ressenti individuel est extrêmement important. Cela a souvent pour implication l’errance de diagnostic, la répétition des examens, un risque de surmédicalisation. Malgré les critères mis en place par les associations de rhumatologie, l’on constate que les difficultés de diagnostic restent importantes.

Sur les travaux menés à l’INSERM, j’associerai les douleurs chroniques, les troubles du sommeil et le syndrome fibromyalgique. Aujourd’hui, nous avons à l’INSERM sept unités qui travaillent sur les douleurs chroniques. Un réseau sur les douleurs s’est mis en place. Le 12 mai dernier, un colloque associant médecins, associations de patients et psychologues s’est tenu sur la mise en place de ces réseaux, formulant des recommandations sur la recherche. Je pense qu’il importe de prendre également en compte l’aspect de la douleur chronique. Nous pouvons vous fournir le détail de ces unités et de leur localisation sur le territoire.

Six unités de recherche travaillent sur le sommeil et ses troubles. Elles s’associent parfois avec celles qui travaillent sur les douleurs chroniques, ce qui montre bien l’intrication de ces deux signes objectifs et notables dans la définition du syndrome. Nous avons sept équipes de recherche qui ont publié ou qui mènent des travaux aujourd’hui sur le syndrome fibromyalgique et sur des thématiques proches. Elles ont publié des articles importants au cours des cinq dernières années ; je vais revenir sur ce bilan.

La mise en place de cohortes statistiques de patients sera un élément essentiel pour la définition du syndrome et, peut-être, sur l’identification de biomarqueurs. Beaucoup de ces équipes travaillent en association sur les troubles du sommeil et les douleurs chroniques. Nous pourrons aussi vous fournir le nom des directeurs de ces unités.

Au total, 146 personnes travaillent aujourd’hui dans six unités de recherche de l’INSERM. Cela représente en 2015 une masse salariale d’environ 9,6 millions d’euros, en termes de subventions de l’État ou de ressources propres au niveau de l’INSERM. Je veux citer un centre d’investigation clinique qui mène des essais de traitement sur le syndrome fibromyalgique. Situé à Clermont-Ferrand, il conduit actuellement un essai randomisé en double aveugle, testant une molécule qui est un inhibiteur de la recapture de la sérotonine, dans le traitement de la fibromyalgie. Nous attendons les analyses statistiques. Cette étude importante porte sur le médicament Milnacipran. Voilà nos actions concrètes.

S’agissant des publications, non moins de 490 sont parues au sujet des troubles du sommeil, 520 autres ont porté sur les douleurs chroniques et 82 ont été spécialement consacrées à la fibromyalgie. La bibliométrie couramment pratiquée à l’INSERM a permis de les recenser. Au total, l’INSERM est associée à environ 30 % de ces publications, qui figurent pour certaines dans le premier décile mondial.

Il me paraît important de citer les actions que nous menons en lien avec les associations de patients, notamment les communications destinées au grand public. Un certain nombre de programmes associent les chercheurs aux associations de malades comme les publications de l’INSERM sur la douleur dans des magazines de sciences et santé ou les dossiers d’information que nous mettons à disposition du public.

Je veux citer, parce que c’est spécifique à l’INSERM, le lien avec les associations de malades. Nous avons aujourd’hui un groupe de réflexion avec elles, créé en 2003. Un partenariat existe avec 487 associations de malades. Les trois quarts d’entre elles participent régulièrement aux différentes actions de l’INSERM. Sur ces associations, onze sont impliquées dans le syndrome fibromyalgique ou le syndrome de fatigue chronique ; elles participent aux missions de l’INSERM dans un certain nombre d’actions, telle la relecture de projets de recherche ou la mise en place de recherches cliniques. Toutes ces associations ont été invitées au colloque et séminaire du 12 mai sur les douleurs chroniques.

M. Patrice Carvalho, rapporteur. Quelle appréciation portez-vous sur l’état de la recherche fondamentale et clinique sur la fibromyalgie dans notre pays par rapport à certains pays, tels que les États-Unis, le Canada ou même ailleurs en Europe. Faute d’autorisation de mise sur le marché européen de médicaments pour cette indication, les laboratoires pharmaceutiques ne semblent pas en faire une priorité. Ne revient-il pas à la recherche publique de prendre l’initiative d’augmenter notre effort de recherche sur l’étiologie et sur la physiopathologie de la fibromyalgie ? Avez-vous financé ou identifié des travaux novateurs récents dans ce domaine ?

M. Yves Lévy. Six ou sept unités de recherche travaillent très spécifiquement dans le domaine de la fibromyalgie, sans compter celles qui travaillent à l’interface, sur les douleurs chroniques ou sur les troubles du sommeil.

Certes, il est toujours possible de faire mieux. Nous entendons l’observation que la recherche n’est peut-être pas à la hauteur de la demande sociétale ou de la demande des patients. Je crois que c’est la difficulté de la définition de ce syndrome. Mais que devons-nous mettre en place ? Nous ne devons pas anticiper sur les conclusions du rapport d’expertise qui pourraient nous stimuler, comme l’ont fait de précédents rapports. Comme je vous l’ai dit, 30 % à 40 % des publications sur le sujet associent l’INSERM. Il faudrait disposer d’une définition plus précise du syndrome pour mettre en place des cohortes de patients, comme l’on commence à le faire, et essayer de l’appréhender avec une approche beaucoup plus large que celle des outils que nous utilisons aujourd’hui. Nous pourrions alors identifier peut-être des biomarqueurs permettant de mesurer tant l’évolution du syndrome chez les patients que les effets d’une intervention thérapeutique éventuelle.

Avant de délivrer des autorisations de mise sur le marché pour des médicaments, il faut prouver la capacité de ces médicaments à améliorer les symptômes. La composante psychique et l’implication du patient dans ces symptômes rendent ces évaluations difficiles. Nous attendons que l’expertise collective nous donne des lignes claires. Je ne sais pas si la France est en retard ou non par rapport à d’autres pays ; je dirais plutôt que les chercheurs sont confrontés partout aux mêmes difficultés pour identifier clairement ces symptômes en dépassant l’hétérogénéité des cas.

Mme la présidente Sylviane Bulteau. En quoi consistent exactement ces expertises ?

M. Yves Lévy. Je vous propose que Laurent Fleury vous explique à quoi correspond une expertise collective de l’INSERM, qui répond à une méthodologie extrêmement précise et désormais éprouvée depuis un certain nombre d’années. Mme Sophie Nicole, chargé de recherche qui a la responsabilité de cette expertise précise, vous en donnera les orientations, en vous exposant ensuite ce qu’il faut en attendre.

M. Laurent Fleury, responsable des expertises collectives. Les expertises collectives de l’INSERM ont été créées il y a vingt-deux ans et nous en sommes à la quatre-vingtième.

Elles répondent à une démarche très précise et s’effectuent en six grandes étapes. Premièrement, nous discutons avec le commanditaire des instructions envisagées et d’un cahier des charges précis, qui sert de base à la convention signée avec lui. Deuxièmement, un fonds documentaire est créé sous la houlette d’un chargé d’expertise et d’une documentaliste ; l’accent est mis sur l’exhaustivité et il comprend rarement moins de mille articles. Troisièmement, un groupe pluridisciplinaire d’experts est constitué, choisis en fonction de leurs publications, sur la base du corpus bibliographique constitué, de leur domaine scientifique, de leur complémentarité et de leur absence de conflit d’intérêt – nous sommes particulièrement vigilants sur ce point ; il arrive qu’ils soient sollicités à l’étranger. Quatrièmement, chaque expert reçoit une partie des articles à examiner et il rédige une partie de l’expertise, qui sera discutée de façon collégiale : c’est ce qu’il est convenu d’appeler une « analyse critique de la littérature », menée au cours de réunions qui ont lieu environ une fois par mois. Cinquièmement, une synthèse est établie, assortie de recommandations ; elle fait entre 80 et 100 pages. Sixièmement, après la mise en page et l’édition qui demandent quelques mois, viennent la publication et la mise à disposition du public.

Pour organiser tout cela, nous avons mis au point un système de gouvernance, en l’occurrence un comité d’orientation stratégique qui regroupe différents acteurs de la santé publique. Chaque expertise collective a son comité de suivi spécifique, qui se réunit deux à trois fois par an et s’assure du bon suivi scientifique. Enfin, l’expertise est coordonnée par le pôle d’expertise collective dont j’ai la responsabilité et qui se compose aujourd’hui de deux documentalistes, de cinq équivalents-temps-plein qui sont des chargés d’expertise comme Sophie Nicole, et de moi-même.

Si l’on fait le bilan de ces expertises, l’on peut dire qu’elles sont en général commandées par les pouvoirs publics. Elles sont destinées à leur permettre de prendre des recommandations ou des actions. L’une des dernières, consacrée en février 2015 à l’activité physique, a inspiré la Caisse nationale des Allocations familiales (CNAF) pour la définition de son référentiel « Équilibre ». L’expertise collective consacrée aux conduites addictives chez les adolescents, leurs usages et leur prévention a de même beaucoup inspiré le plan gouvernemental de lutte contre les drogues de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives 2013-2017.

Les participants à l’expertise collective consacrée aux pesticides ont été entendus par la Commission supérieure des maladies professionnelles en agriculture. Les données de l’expertise ont beaucoup contribué à la reconnaissance de la maladie de Parkinson comme maladie professionnelle dans ce secteur. Nous pourrions vous fournir une liste complète d’exemples. Nous avons le sentiment que ces expertises sont en définitive prises en compte et reconnues, qu’elles servent à quelque chose.

Mme Sophie Nicole, coordonnatrice de l’expertise collective fibromyalgie. Généticienne humaine de formation, je suis chargée de recherches à l’INSERM, spécialisée dans les maladies neurologiques. Je ne travaille pas moi-même sur le syndrome fibromyalgique ni sur des douleurs chroniques, mais je dirige des recherches sur des maladies neuromusculaires rares. Dans ce cadre, je travaille depuis de nombreuses années avec des neurologues et des associations de patients. C’est pourquoi j’ai partagé mes activités entre mon action de chercheur à l’Institut du cerveau et de la moelle épinière à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière et le pôle d’expertise collective où je coordonne la recherche sur le syndrome fibromyalgique.

Son cahier des charges a été défini avec la Direction générale de la santé dans le courant de l’année 2015. Nous avons décidé de mettre l’accent sur la physiopathologie du syndrome fibromyalgique, sur les outils et les échelles d’évaluation de la douleur et de la fatigue, qui sont notamment très pertinents pour évaluer les essais thérapeutiques ; nous avons également voulu analyser les syndromes fibromyalgiques pédiatriques. Ce cahier des charges a été défini de telle sorte qu’il ne soit pas trop redondant avec le rapport d’orientation de la Haute Autorité de santé de 2010, qui s’était concentré sur l’aspect clinique.

Par rapport au déroulement que vous a décrit mon collègue Laurent Fleury, nous nous situons entre la deuxième et la troisième étape. Nous réalisons en ce moment le fonds documentaire avec une documentaliste. Pour ce faire, nous interrogeons des bases de données qui recensent les publications scientifiques en y entrant comme termes de recherches les mots-clé de fibromyalgie, de prévalence, de diagnostic différentiel, de génétique, de modèles expérimentaux… Nous avons choisi de restreindre notre interrogation aux dix dernières années pour être au dernier état de l’art. Cela a déjà fourni plus de 1 300 documents. Cela représente une somme énorme à analyser, alors même que nous n’avons pas terminé la constitution du fonds : seulement la moitié des bases de données ont été interrogées ; au niveau international, sur ces cinq dernières années, 3 452 publications scientifiques ont traité des syndromes fibromyalgiques. Nous devons déjà disséquer les résumés de ces publications, pour savoir lesquelles seront retenues dans le cadre de l’expertise.

Nous avons déjà élaboré un programme scientifique qui reste provisoire. Il faudra l’affiner en fonction du fonds documentaire final.

Les cinq parties essentielles seront : enjeux sociétaux, économiques et individuels autour du syndrome fibromyalgique à l’étranger et en France ; connaissances médicales actuelles ; physiopathologie du syndrome fibromyalgique ; prise en charge médicale ; syndrome fibromyalgique juvénile et comparaison avec celui des adultes. Chacun de ces thèmes se divisera en plusieurs questions. On a identifié les treize disciplines scientifiques qui se retrouveront dans le groupe d’experts et dont la présence permettra de couvrir l’ensemble des sujets.

En plus de l’élaboration du fonds documentaire avec la mission « Associations, recherche et société », on a contacté les vingt-deux associations de patients françaises que l’on a recensées. Nous les avons invitées à une réunion d’information sur l’expertise collective, tenue le 12 mai dernier. Nous avons mis en place un comité de suivi pour l’expertise et nous souhaitons que deux associations représentent leurs homologues au sein de ce comité. Les associations ne participeront pas aux travaux du groupe d’experts, mais celui-ci les auditionnera pour prendre en compte leurs attentes.

Mme la présidente Sylviane Bulteau. Nous vous remercions pour vos propos, qui montrent l’importance du travail qu’aura à accomplir le groupe d’experts. Quand celui-ci rendra-t-il ses conclusions ?

M. Yves Lévy. Le processus sera extrêmement long, car le groupe produira une analyse exhaustive de la situation et formulera des recommandations, qui seront publiées au début de l’année 2018, donc probablement pas au même moment que le rapport de votre commission.

Mme la présidente Sylviane Bulteau. On peut le comprendre, l’ampleur et les objectifs de vos travaux diffèrent des nôtres !

M. Arnaud Viala. Le travail que vous entreprenez équivaut à une thèse de doctorat de troisième cycle, si ce n’est son caractère collectif et pluridisciplinaire. Quelles applications concrètes peut-on espérer de ce travail théorique, conceptuel et documentaire ? Outre son intérêt pour le traitement médical, notre commission espère que cette étude augmentera la reconnaissance sociétale et financière des conséquences des troubles liés à la fibromyalgie. Les auditions de la commission d’enquête montrent la nécessité de cette expertise, car il s’avère indispensable de regrouper les résultats des recherches conduites de manière dispersée. Quelles avancées concrètes peuvent en attendre les patients ? Quels décideurs ou instances pourront mettre en œuvre les conclusions de vos travaux ?

M. Yves Lévy. Il ne s’agit pas d’un travail de recherche fondamentale, mais d’une étude visant à dresser un état des lieux des connaissances nationales et internationales dans tous les domaines touchant à cette maladie. Les demandes des associations seront prises en compte, et des recommandations seront avancées. Plusieurs expertises collectives ont servi, conformément aux missions et au statut de l’INSERM, d’aide à la décision publique. Nous ne pouvons pas anticiper la prise en compte par les responsables publics des conclusions de cette expertise, mais nos recommandations les éclaireront probablement ; certaines ont d’ailleurs été reprises, par le passé, dans des lois, comme celle du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé. L’expertise collective portant sur la reproduction et l’environnement, qui répondait à une saisine du ministère de la santé en 2011, a contribué à l’évolution de la réglementation et à la prise de décisions concernant le bisphénol. Toutes les expertises contiennent des recommandations que les décideurs publics peuvent prendre en compte.

Mme Sophie Nicole. Le groupe d’experts ne comprendra pas que des chercheurs fondamentaux comme les neurobiologistes et accueillera des neurologues et des pharmacologues, qui voient les patients régulièrement et qui effectuent des essais cliniques en France sur des douleurs chroniques et sur des syndromes fibromyalgiques. Ils pourront faire état de leurs connaissances factuelles et émettre des recommandations visant à améliorer la prise en charge des patients. Cette expertise ne traitera pas que de recherche fondamentale et se penchera également sur la recherche translationnelle, qui représente le point fort de l’INSERM.

M. Frédéric Reiss. Je suis heureux de constater que l’INSERM prend la fibromyalgie très au sérieux avec la constitution de sept équipes. On évalue à 2,4 % la part de la population française atteinte de cette maladie, soit environ 1,5 million de personnes, ce qui est considérable. Les femmes s’avèrent beaucoup plus touchées par la fibromyalgie que les hommes, notamment celles âgées de trente à cinquante ans. Vos études confirment-elles ce constat et parviennent-elles à l’expliquer ?

Je suis élu dans un département, le Bas-Rhin, où la maladie de Lyme est répandue, comme dans l’ensemble de l’Est de la France. Lorsque la maladie de Lyme n’est pas traitée, les patients développent souvent une fibromyalgie, maladie neuromusculaire ayant pu être générée par une piqûre de tique non soignée dans le passé. Des travaux de recherche sur le passage de la maladie de Lyme à la fibromyalgie sont-ils conduits actuellement, sachant que les médecins généralistes n’ont pas toujours les bons réflexes pour diagnostiquer ces affections ?

M. Yves Lévy. Il n’y a pas aujourd’hui d’explications physiopathologiques claires expliquant la plus grande prévalence de la maladie chez les femmes. Il faudrait en effet étudier cette question, mais on se heurterait encore à l’absence de biomarqueurs et de diagnostics précis pour élaborer une classification fine. Il n’en reste pas moins vrai que les études d’échantillonnage montrent que cette maladie affecte davantage les femmes, et cela ressortira très probablement de l’expertise que nous conduisons.

On n’a pas établi aujourd’hui de relation claire et précise entre un événement déclencheur ou la maladie de Lyme et la fibromyalgie, même si les symptômes peuvent être communs. La non-spécificité des symptômes et les interactions entre plusieurs pathologies – dont on connaît les causes pour certaines, comme la maladie de Lyme – posent problème. Voilà pourquoi, il ne faut pas se limiter à la seule fibromyalgie et se pencher sur les douleurs chroniques et les troubles du sommeil. L’absence de signes spécifiques et de marqueurs particuliers de la maladie pourrait ouvrir des champs plus larges en matière d’étiologie. Aujourd’hui, nous n’avons pas pu établir de lien direct entre la maladie de Lyme et la fibromyalgie. L’INSERM travaille sur ce sujet et remettra à la direction générale de la santé (DGS) à la fin du mois de juillet une première piste d’orientation sur la recherche portant sur la maladie de Lyme ; ce document dressera le bilan des études portant sur cette pathologie et avancera des propositions de recherche au ministère de la santé.

M. Arnaud Viala. Lorsque l’INSERM est saisi d’une demande d’étude, la lettre de commande suggère-t-elle un résultat attendu ? Est-ce que l’on a ainsi voulu que vous démontriez que le bisphénol devait être interdit ? 

M. Yves Lévy. Non.

M. Arnaud Viala. Comment la commande sur la fibromyalgie a-t-elle été formulée ?

M. Yves Lévy. La DGS a adressé une lettre de saisine, qui comportait un cahier des charges des objectifs de la mission. La lettre ne se contente pas de commander une expertise, elle fixe des orientations.

M. Laurent Fleury. On s’accorde tout d’abord sur les objectifs généraux de la commande, cette première phase pouvant durer plusieurs mois. Ensuite, les chercheurs décident de la nature des travaux et, spécificité de ces expertises, écrivent eux-mêmes leurs chapitres. Nous n’assurons qu’un rôle de coordination et les laissons libres, alors que d’autres agences s’approprient les données des experts auxquels elles font appel. Nos chercheurs sont très attachés à leur liberté, et il serait difficile – et non souhaitable – de les influencer.

Mme la présidente Sylviane Bulteau. Pourrions-nous avoir connaissance du cahier des charges ?

M. Laurent Fleury. Bien sûr !

Mme la présidente Sylviane Bulteau. Intégrez-vous au collège d’experts des personnes qui n’évoluent pas dans le domaine de la recherche médicale, mais qui traitent les conséquences sociales de ce syndrome ? En effet, cette maladie a des effets importants sur la vie quotidienne, familiale, professionnelle et conjugale.

Lors des auditions de la commission d’enquête, on nous a beaucoup parlé de la formation des médecins généralistes, de l’existence de médecins fibro-sceptiques et de l’errance médicale vécue par des patients que l’on n’écoute pas. Ces derniers vivent des moments très difficiles, et cette situation génère en outre un coût élevé, induit par le remboursement de nombreux examens médicaux. Recommanderez-vous d’améliorer la formation des étudiants en médecine dans ce domaine ?

Mme Sophie Nicole. Un économiste de la santé et un sociologue siégeront dans le collège d’experts, afin d’analyser le sujet que vous pointez, madame la présidente. On ajuste l’expertise en fonction des questions qui ont émergé au fil des auditions de votre commission.

Un médecin généraliste ou un interne en médecine feront également partie du collège où ils analyseront la littérature qui se développera, je l’espère, sur les difficultés de prise en charge des syndromes fibromyalgiques par les médecins généralistes dues à leur méconnaissance de cette pathologie.

M. Yves Lévy. Parmi les cinq axes d’expertise, l’une des premières questions transversales porte sur les conséquences d’un syndrome fibromyalgique sur la qualité de vie du patient et de ses proches.

M. le rapporteur. Comment s’effectue la prise en charge financière de ces recherches ?

M. Yves Lévy. Les unités conduisant ces travaux reçoivent un budget récurrent de l’INSERM, et comme les chercheurs appartiennent à l’Institut, leurs salaires sont compris dans son budget. On transmet des projets à l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui constitue leur première source de financement, mais qui les sélectionne très sévèrement.

Il n’existe pas de budget dédié à une recherche spécifique sur la fibromyalgie à l’INSERM, et probablement pas non plus à l’échelle gouvernementale.

Mme la présidente Sylviane Bulteau. Nous vous remercions d’avoir répondu à nos questions et nous suivrons avec attention, comme tous ceux qui attendent des réponses, les résultats de vos travaux.

Puis la commission d’enquête entend le docteur Laurence Juhel-Voog, médecin spécialiste en médecine interne, et le docteur Valérie Hégé, médecin généraliste.

Mme la présidente Sylviane Bulteau. Nous allons entendre à présent le docteur Laurence Juhel-Voog, accompagnée du docteur Valérie Hégé, à qui je souhaite la bienvenue.

Je vous rappelle que nous avons décidé de rendre publiques nos auditions et que, par conséquent, celles-ci sont ouvertes à la presse et diffusées en direct sur un canal de télévision interne, puis consultables en vidéo sur le site internet de l’Assemblée nationale.

Je vais passer la parole au docteur Juhel-Voog, pour une intervention liminaire d’une durée maximale de dix minutes, qui précédera notre échange sous forme de questions réponses.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires imposant aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, je vous invite donc, mesdames, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(Mmes Laurence Juhel-Voog et Valérie Hégé prêtent successivement serment.)

Mme Laurence Juhel-Voog. Nous sommes heureuses de venir vous présenter notre travail sur la fibromyalgie, maladie à laquelle nous nous sommes particulièrement attachées depuis plusieurs années dans notre pratique et que nous avons cherché à mieux comprendre pour tenter de trouver une prise en charge efficace.

Le docteur Valérie Hégé, généraliste près de Nice, m’accompagne, car nous travaillons ensemble sur cette maladie. Je suis pour ma part salariée d’une clinique privée du Mans, où nous avons développé une prise en charge particulière.

Nos travaux portent sur un aspect de la fibromyalgie jusqu’alors peu abordé lors de vos auditions, à savoir les signes digestifs de cette maladie, largement sous-estimés, sachant que l’on compte entre 30 et 70 % de patients qui présentent un syndrome de l’intestin irritable, c’est-à-dire une association de ballonnements, diarrhées, douleurs abdominales ou alternance de diarrhées et de constipation. Ce sont des symptômes largement banalisés mais cependant beaucoup plus fréquents et beaucoup plus sévères chez les patients atteints de cette maladie que dans la population générale, où le taux de prévalence oscille entre 10 et 20 %.

Dans ces conditions, une étude de 2004, réalisée par une équipe californienne, a mis en évidence, grâce à des tests respiratoires, que 100 % des patients fibromyalgiques testés présentaient une pullulation microbienne dans l’intestin, en particulier dans la première partie de l’intestin, alors que les bactéries se logent normalement dans le colon. Par ailleurs, cette étude a fait apparaître que, plus les patients produisaient de gaz, plus leurs douleurs étaient importantes, et pas uniquement au niveau abdominal.

Puisque tous les malades étaient touchés, nous nous sommes donc interrogées sur le fait de savoir si cette anomalie digestive n’était pas un marqueur de la maladie, voire son primum movens.

Nous avons par ailleurs essayé de comprendre pourquoi le fait de produire beaucoup de gaz pouvait avoir un lien avec la douleur. Il se trouve que ce lien n’est pas forcément lié à la surproduction d’hydrogène ou de méthane par les bactéries mais probablement à un gaz toxique, le sulfure d’hydrogène – celui qui, parmi les gaz digestifs ne sent pas très bon. C’est notamment celui tue les sangliers sur les plages de Bretagne quand se produit une fermentation sous les algues vertes. Ce gaz est en particulier bien connu des médecins du travail car certaines professions y sont exposées, or il ralentit la production d’énergie par nos cellules, ce qui pourrait sans doute expliquer la grande fatigabilité des fibromyalgiques.

Comme le résume la fiche de l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS), la toxicité aiguë du sulfure d’hydrogène, lorsqu’on est intoxiqué par voie externe, touche le système nerveux et le système cardio-respiratoire, pouvant aller jusqu’à entraîner la mort.

Parmi les symptômes de toxicité chronique, on retrouve des symptômes très fréquents dans la fibromyalgie – fatigue, maux de tête, troubles du sommeil, baisse de la libido, troubles de la mémoire ainsi que troubles digestifs, le sulfure d’hydrogène étant très agressif pour le tube digestif –, d’où le lien que nous avons établi.

Si la douleur ne fait pas partie des symptômes de la toxicité chronique de ce gaz, de très nombreuses études tendent à montrer depuis une quinzaine d’années que certaines de nos cellules, notamment nos neurones, produisent ce gaz en infime quantité, avec des effets bénéfiques sur l’organisme. Orientées vers la recherche de pistes thérapeutiques, ces études ont notamment prouvé que le sulfure d’hydrogène agissait sur la douleur par l’intermédiaire des canaux calciques des neurones et avait donc une influence sur le système nerveux. On a également constaté que l’injection de sulfure d’hydrogène à des animaux induisait une hyperalgie.

Tout cela nous a donc confortées dans nos recherches et nous avons réfléchi à la manière de soulager nos patients en leur faisant produire moins de gaz.

On peut parvenir à ce résultat en diminuant le nombre de bactéries grâce aux antibiotiques, notamment la Rifaximine, utilisée aux États-Unis dans cette indication, ce qui n’est pas le cas en France ; on constate alors que les patients vont mieux.

On peut également utiliser des probiotiques pour modifier la flore intestinale.

Enfin, une équipe australienne de l’université de Melbourne travaille sur un régime pauvre en sucres fermentescibles, dans la mesure où les bactéries produisent le gaz à partir de ce que nous mangeons. Sont ici visés le lactose, ou sucre du lait, qu’une personne sur deux n’est pas capable d’assimiler et qui donc fermente, mais également, selon cette étude australienne qui considère que le blé fermente, le gluten.

Nous avons donc proposé à nos patients des régimes sans aliments fermentescibles, puis sans lait et enfin sans gluten. En ce qui concerne ce dernier, force a été de constater que, si, globalement, ces régimes amélioraient l’état digestif des patients, seul un arrêt total du gluten permettait une diminution des douleurs somatiques.

Depuis deux ans, les études sur les effets du régime sans gluten sur la fibromyalgie se multiplient. Les Espagnols ont notamment découvert que les malades souffrant d’une maladie cœliaque, c’est-à-dire d’une vraie maladie auto-immune liée au gluten, associée à une fibromyalgie, constataient, sous l’effet du régime sans gluten, non seulement un recul de la maladie cœliaque mais aussi une diminution des symptômes liés à leur fibromyalgie. Ils ont donc élargi leur étude à des malades souffrant uniquement de fibromyalgie, à qui ils ont appliqué un régime sans gluten. Une première étude a montré une amélioration de 30 % de tous les scores – fatigue, qualité de vie, douleurs – ce qui est beaucoup pour cette maladie ; une seconde a fait apparaître une disparition des douleurs dans 75 % des cas.

Cela nous a donc encouragées à persister dans la prise en charge que nous proposions à nos patients, à savoir une vérification préalable de l’absence de maladie cœliaque, puis un régime strict sans sucres fermentescibles, dans lequel l’on tente, au bout d’un certain temps de réintroduire le lactose, ce que certains patients tolèrent à petite dose. Avec ce régime, nous perdons de vue certains de nos patients, parce qu’ils vont mieux, tandis que pour d’autres, c’est plus long, car la maladie est très installée. Par ailleurs, le traitement est compliqué par le fait qu’il implique de revoir la totalité des ordonnances, les médicaments comprenant du gluten et du lactose.

M. Patrice Carvalho, rapporteur. Comment expliquez-vous que l’hypothèse de dysfonctionnements du microbiote comme origine de la fibromyalgie n’ait pas été étudiée jusqu’à présent, alors que le syndrome a été mis en évidence depuis des décennies ?

Mme Laurence Juhel-Voog. Les troubles digestifs sont assez banalisés non seulement dans la population mais également chez les médecins, à qui l’on a enseigné que le syndrome de l’intestin irritable n’était pas grave.

Lorsqu’un patient souffre d’un grave symptôme digestif, il consulte un gastro-entérologue pour éliminer une maladie inflammatoire ou toute autre maladie sérieuse. Si ces hypothèses sont écartées, le symptôme a tendance à être minimisé et, du coup, un malade ne mentionnera pas forcément spontanément ce type de symptômes.

D’autre part, la fibromyalgie est une maladie « globale », alors que la médecine a tendance à appréhender le malade morceau par morceau, à travers un prisme hyperspécialisé. Dans le cas de la fibromyalgie, cela peut, par exemple conduire un malade chez une succession de spécialistes. Notre idée, au contraire, est d’appréhender les symptômes avec recul pour trouver une cause qui puisse les expliquer dans leur totalité.

Il y a aussi le fait que la définition de la fibromyalgie selon les critères définis en 1990 et qui n’ont été modifiés qu’en 2010, ne s’appuyait que sur la douleur. Si l’on prend désormais en compte les autres symptômes ce n’était pas le cas à l’époque où nous avons appris la médecine, et où la fibromyalgie ne faisait d’ailleurs pas partie de nos enseignements.

Actuellement, de très nombreuses études portent sur le microbiote, notamment dans le cadre des maladies neurodégénératives ou de l’autisme, mais sans résultats probants pour l’instant en ce qui concerne la fibromyalgie. Il nous a néanmoins semblé que nous disposions de suffisamment d’arguments pour proposer à nos patients la prise en charge que je vous ai exposée, même si elle n’est pas parfaite.

J’insiste enfin sur la forte réticence des patients comme des médecins à supprimer le gluten et surtout le lait de l’alimentation, notamment à cause des messages contradictoires dont font l’objet ces deux composants. Pourtant, sans qu’il soit question de donner de faux espoirs aux patients, on constate une amélioration de leur état en supprimant le lactose et le gluten. Ça marche.

Mme la présidente Sylviane Bulteau. La fibromyalgie est-elle selon vous une maladie du monde occidental, où se multiplient aujourd’hui les messages de prévention contre le lactose et le gluten ? Dans les pays ayant des cultures culinaires et des modes de transformation des aliments différents, comme les pays d’Afrique noire ou d’Asie, la population est-elle atteinte par cette maladie ?

Mme Laurence Juhel-Voog. La fibromyalgie est en effet une maladie qui touche les populations occidentales, et je n’ai pas connaissance qu’elle ait été décrite dans les pays en voie de développement. Des études ont d’ailleurs montré que le microbiote des enfants africains ou asiatiques était différent de celui des enfants occidentaux, ce qui veut dire que l’on n’a pas affaire aux mêmes bactéries.

J’ajoute que nous voyons souvent en consultation des malades originaires d’Asie ou d’Afrique et qui, à leur arrivée en France, changent radicalement leur mode d’alimentation et développent de gros troubles digestifs.

Mme Valérie Hégé. J’ai parmi mes patients atteints de fibromyalgie une Française qui a épousé un Tunisien. Guère convaincue par le régime, elle n’arrivait pas à s’y tenir jusqu’à un long séjour qu’elle a effectué en Tunisie, durant lequel elle s’est sentie beaucoup mieux. En effet, les produits laitiers et le pain sont pratiquement absents de l’alimentation d’Afrique du Nord, et j’ai plusieurs patients d’origine maghrébine qui ont développé des symptômes de fibromyalgie à leur arrivée en France. Il faut savoir en effet que l’intolérance au lactose est beaucoup plus importante en Afrique du Nord que chez nous et augmente au fur et à mesure que l’on descend dans le continent, pour toucher de 80 à 90 % de la population en Afrique noire. Sans doute cela mériterait-il d’être mieux étudié statistiquement, pour étayer nos observations.

M. Arnaud Viala. Je vous écoute avec beaucoup d’attention car vous proposez une piste de solution immédiatement applicable pour les patients, ce qui n’a pas été fréquent lors des auditions auxquelles j’ai participé.

J’aurais deux questions à vous poser.

De nombreux spécialistes auditionnés ont fait le lien entre un choc émotionnel et la survenue des troubles. Comment articulez-vous cette observation avec la cause nutritionnelle que vous évoquez ?

La fibromyalgie est presque systématiquement associée au syndrome dépressif, sans que l’on sache d’ailleurs très bien distinguer la cause de l’effet. Si la dépression n’est qu’une conséquence, elle disparaîtra si l’on guérit la fibromyalgie par l’alimentation. Avez-vous travaillé sur l’hypothèse où la dépression serait la cause de la fibromyalgie ?

Mme Valérie Hégé. À force d’observer mes patients, je vois la fibromyalgie comme une maladie plurifactorielle. Des troubles anxio-dépressifs sont souvent au premier plan, mais pas toujours. Les aspects psychologiques font partie des facteurs de risque de cette maladie, un peu comme l’hypertension, le cholestérol, l’obésité, la sédentarité et le sexe masculin pour l’infarctus. Plus les facteurs de risque sont nombreux, plus la personne risque de développer cette pathologie.

Depuis des décennies, on s’est beaucoup concentré sur le côté psychologique de la fibromyalgie, qui est indéniable sans être toujours présent. Est-il cause ou conséquence ? Pour ma part, je constate que ce facteur n’est pas toujours présent. Cela explique que la prise en charge psychothérapeutique, même si elle est indispensable pour certains patients, n’a jamais guéri personne parce qu’il faut traiter les deux, le corps et la psyché. Une fois en confiance, mes patients répondent à mes questions et j’ai pu observer que nombre d’entre eux ont vécu des choses difficiles, des violences physiques ou sexuelles dans l’enfance, des harcèlements. Mais ce n’est pas toujours le cas. La prise en charge psychothérapeutique est très importante pour une forte proportion de patients. Il faut prendre en charge tous les aspects de cette maladie plurifactorielle. Je ne saurais en dire plus.

Mme Laurence Juhel-Voog. L’étiologie de la dépression a donné lieu à de nombreuses hypothèses et à des arguments assez scientifiques qui mériteraient d’être étudiés plus en détail. Certains patients sont atteints de dépressions extrêmement sévères. Pour nous, l’aspect nutritionnel est inclus dans une prise en charge globale. Les patients passent à la machine de stimulation magnétique transcrânienne, puis ils sont suivis par leur algologue, psychiatre, psychologue, etc. La prise en charge nutritionnelle s’ajoute à tout cela. J’ai tendance à dire aux patients de prendre tout ce qui améliore leur état et leur fait du bien, que ce soit l’hypnose, la balnéothérapie ou autres. Pas à pas, nous y arrivons.

Quand les patients vont mieux, grâce à notre régime, il arrive qu’ils fassent une erreur sur le plan nutritionnel. Il est frappant de constater alors qu’ils rechutent et que les symptômes de fibromyalgie – douleur, fatigue et aussi dépression – reviennent. C’est particulièrement vrai quand l’erreur concerne le gluten, sans que je puisse vous donner d’explication. Certains patients sont plus fragiles que d’autres. Si l’on reste dans l’hypothèse des gaz, il se trouve que ce sulfure d’hydrogène, à dose importante, a un effet sur les neurones : il inhibe un peu l’influx nerveux par le biais de canaux potassiques et calciques, et il a également un effet sur les voies sérotoninergiques et sur les neuromédiateurs. Le lien se situe-t-il à ce niveau ? C’est peut-être là qu’il faut chercher mais nous ne pouvons pas en dire davantage.

M. Arnaud Viala. Vous partez de l’hypothèse que ce gaz repart dans le sang via la paroi du côlon ?

Mme Laurence Juhel-Voog. En fait, le sulfure d’hydrogène est bien connu par les cas d’intoxication répertoriés dans certains milieux professionnels. Étant très lipophile, ce gaz traverse les parois cellulaires sans avoir besoin de quoi que ce soit. Pour notre part, nous admettons qu’il va diffuser partout dans le corps s’il est produit en excès au niveau de l’intestin. Rien ne va le déranger ; il va aller dans tous les organes ; il peut perturber les neurones.

Mme Valérie Hégé. S’il existe un aspect psychologique dans la dépression, n’oublions pas que le cerveau, le siège de nos pensées, est un organe. Dès lors, on peut comprendre qu’un dérèglement puisse produire des dépressions. Nous connaissons notamment les effets de la sérotonine et d’autres neurotransmetteurs. L’une de mes patientes, dont l’état s’était amélioré grâce au régime, m’a dit qu’elle avait des angoisses dès qu’elle reprenait du gluten. Je ne saurais pas expliquer ce phénomène en détail mais, en écoutant les patients, on apprend beaucoup de choses.

M. Arnaud Viala. Pour mesurer l’effet placebo, avez-vous testé votre régime sur des enfants suffisamment jeunes pour qu’ils ne puissent pas en objectiver les conséquences sur leur état général ?

Mme Laurence Juhel-Voog. Pour ma part, je l’ai testé sur deux ou trois enfants. La fibromyalgie de l’enfant existe, en effet, même si elle n’est pas très fréquente. Les médecins hésitent beaucoup à poser ce diagnostic, à mettre en quelque sorte une étiquette sur l’enfant. Quelques enfants, dont l’un est âgé de trois ans et demi, vont beaucoup mieux. Pour le plus jeune, on peut déjà écarter l’effet placebo.

M. le rapporteur. Parmi les personnes auditionnées, vous êtes les seules à dire que la maladie peut avoir des causes alimentaires. Dans votre clinique du Mans, comment procédez-vous ?

Mme Laurence Juhel-Voog. Ce régime serait une mode mais, alors qu’il est compliqué à suivre, certains s’y astreignent et se sentent mieux, comme vous pourrez le constater à la lecture des témoignages sur les réseaux sociaux. Nous avons eu des surprises en consultant internet. Les patients vont chercher ce qui peut améliorer leur état, et ce régime est aussi proposé par des naturopathes et des homéopathes.

Au Mans, je travaille dans une clinique privée. Je vois les patients lors d’une consultation qui est longue, je tiens à le souligner. Si l’on veut améliorer la prise en charge de patients, il faut valoriser cette consultation qui prend du temps alors qu’elle est remboursée sur la base de 23 euros comme les autres. Parfois, les patients n’ont plus de suivi parce qu’ils ont vu trop de monde et qu’ils n’en peuvent plus. Quand ils ont un vrai suivi, ils ont souvent fait les nombreux examens qui sont indispensables pour éliminer d’autres causes possibles : rhumatisme inflammatoire, maladies auto-immunes, etc. On refait le point sur ces examens, les radiographies, les bilans biologiques et les traitements essayés. Souvent, tout a été essayé. Quelques patients, minoritaires, ont été soulagés par des médicaments qu’ils vont continuer à prendre.

Après cette première visite, les patients viennent faire un test respiratoire. Ils prennent un sucre à jeun et ils soufflent dans une petite machine pendant trois ou quatre heures. S’ils se mettent à produire de l’hydrogène très rapidement, c’est le signe d’une pullulation microbienne digestive. À ce moment-là, ils ont droit à une petite cure d’antibiotiques. On leur prescrit ensuite un probiotique, des vitamines et des compléments alimentaires car ces pullulations s’assortissent de grosses carences, notamment en vitamines liposolubles. Ils voient la diététicienne pour qu’ils aient une alimentation équilibrée et un apport calcique suffisant puisqu’ils arrêtent complètement les produits laitiers et le gluten. On leur explique qu’ils vont devoir suivre ce régime pendant quelques mois. Le seul moyen d’en mesurer l’efficacité est de le suivre au départ de manière très rigoureuse. Comme les ordonnances sont très longues, on met le pharmacien d’officine dans la boucle : pour chaque médicament, il faut trouver un équivalent qui n’a pas d’excipient problématique.

Ensuite, je suis les patients en consultation. Quand ils vont mieux, je leur dis de ne revenir me voir qu’en cas de besoin. Il y a des patients que je ne revois pas ou qui reviennent seulement au bout d’un an parce qu’ils ont un coup de pompe. Ces derniers temps, j’en ai revu plusieurs comme ça, qui avaient passé une bonne année. Cela m’a encouragée. Ce sont les patients qui prennent l’initiative de revenir.

Au passage, je tiens à souligner que vous n’avez pas beaucoup parlé de la stimulation magnétique transcrânienne. C’est dommage parce que ce n’est pas mal comme technique.

M. le rapporteur. Quelqu’un nous en a parlé.

Mme Laurence Juhel-Voog. Le professeur Kahn, il me semble. Certains centres recourent depuis dix ans à cette technique qui peut avoir des effets intéressants : diminution de la fatigue et des troubles du sommeil, amélioration de l’aspect fonctionnel, atténuation de la douleur. Comme nous cherchons à associer les prises en charges pour améliorer plus rapidement l’état des malades, nous l’utilisons aussi depuis peu.

Sur le caisson hyperbare, que vous avez évoqué, une étude a été publiée l’an dernier en Israël. J’ai proposé que l’une de mes patientes, atteinte d’une fibromyalgie extrêmement sévère, puisse bénéficier de cette méthode. Sa dépression s’était atténuée grâce au régime mais elle continuait à ressentir de fortes douleurs. Un mois après la fin des séances en caisson hyperbare, elle avait retrouvé le sourire. Je ne l’avais jamais vue sourire. C’est seulement une personne mais je me dis qu’il y a peut-être là quelque chose à creuser.

M. le rapporteur. Il n’est pas évident de supprimer les laitages, les fromages, les plats cuisinés à base de lait et tout le gluten. Cela représente un éventail très large de produits alimentaires. Même s’il existe des produits de substitution, ce régime est très contraignant. Étant un malade du sucre, je peux témoigner du fait qu’il est difficile de supprimer un aliment.

Mme Laurence Juhel-Voog. En fait, les patients reprennent leur alimentation et leur santé en main, très désireux de pouvoir faire quelque chose pour aller mieux. On leur propose un régime qui peut marcher s’ils le suivent bien. Ils se lancent. Ils cuisinent à l’huile d’olive des produits non transformés, c'est-à-dire de la viande, des légumes, etc.

Mme la présidente Sylviane Bulteau. C’est le fameux régime crétois !

Mme Laurence Juhel-Voog. Exactement. Lors des consultations, quand je les interroge sur leur nourriture, je constate qu’ils ont une alimentation très équilibrée. Ils mangent beaucoup plus de fruits et de légumes, beaucoup moins de biscuits et de graisses ; ils font leur pain eux-mêmes. Et ils se sentent mieux.

M. le rapporteur. Sans pain ni fromage ?

Mme Laurence Juhel-Voog. La suppression du fromage est très dure à vivre pour certains patients. Quelques-uns peuvent remanger un peu de fromage de chèvre, qui contient peu de lactose. En médecine générale, la mise en place de ce régime est très compliquée ; elle réclame beaucoup de temps et d’énergie.

M. le rapporteur. Vos travaux ont-ils reçu un accueil attentif de la part de la communauté scientifique et de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) ?

Mme Laurence Juhel-Voog. Nous avons peu de réactions de la part de la communauté scientifique car nous n’avons encore rien publié. Nous voudrions faire une première publication sur des cas cliniques. Nous sommes aussi en train de mettre au point une étude clinique pour démontrer l’efficacité de la méthode en comparant deux groupes de patients, l’un traité et l’autre non. Notre technique n’étant pas dangereuse, nous avons pu la mettre en application sans attendre. Quant à l’accueil des praticiens, il est assez mitigé. Leur réticence vis-à-vis de ce régime s’explique par le manque d’études.

Comme vous le verrez dans les documents que je vous ai remis, des équipes espagnoles travaillent depuis deux ans sur l’association gluten et fibromyalgie. Ils obtiennent des résultats qui ne sont constatés avec aucun médicament : 75 % des patients n’ont plus de douleurs. Une équipe italienne travaille sur ce qu’on appelle la sensibilité au gluten non cœliaque (SGNC). Le phénomène touche des personnes qui se sentent mieux dès qu’elles arrêtent de consommer du gluten, alors qu’elles ne sont ni allergiques au blé ni malades cœliaques. Un groupe de travail s’intéresse au sujet depuis 2012, et l’équipe italienne a fait une grande étude multicentrique afin d’évaluer les symptômes liés à la SGNC. Les patients présentent des symptômes digestifs – des ballonnements dans 87 % des cas. Ils décrivent aussi beaucoup de symptômes qui n’ont rien à voir avec le tube digestif : douleurs, fatigue, troubles du sommeil.

Mme la présidente Sylviane Bulteau. Il me reste à vous remercier d’avoir participé à nos travaux.

La séance est levée à onze heures.

——fpfp——

Présences en réunion

Réunion du mardi 19 juillet 2016 à 9 heures 30

Présents. – M. Frédéric Reiss, M. Arnaud Viala

Excusés. – M. Jean-Pierre Decool, Mme Florence Delaunay