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Commission d’enquête relative aux causes du projet de fermeture de l’usine Goodyear d’Amiens-Nord et à ses conséquences économiques, sociales et environnementales et aux enseignements liés au caractère représentatif qu’on peut tirer de ce cas

Mardi 3 septembre 2013

Séance de 15 h 00

Compte rendu n° 3

Présidence de M. Alain Gest Président

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Catherine Charrier, secrétaire (CFE-CGC) du comité central d’entreprise (CCE) de Goodyear Dunlop Tires France

L’audition commence à quinze heures dix.

M. le président Alain Gest. Nous procédons aujourd’hui à la première audition de la commission d’enquête, avec Mme Catherine Charrier, secrétaire (CFE-CGC) du comité central d’entreprise de Goodyear Dunlop Tires France, que je suis heureux d’accueillir. Elle est accompagnée de M. Philippe Jaeger, président de la fédération CFE-CGC de la chimie.

Je souhaite également la bienvenue à M. Jean-Christophe Bouissou, premier vice-président de l’assemblée de la Polynésie française, à qui nous avons le plaisir de permettre d’assister à nos travaux d’aujourd’hui. M. Bouissou effectue, en effet, cette semaine une visite de travail à l’Assemblée nationale. J’espère qu’il pourra assister demain à la session extraordinaire consacrée au débat dans l’hémicycle sur le conflit syrien. Je lui souhaite un travail utile et profitable dans notre assemblée.

Je rappelle que, conformément à notre Règlement, cette audition est ouverte à la presse – presse écrite, ici présente, et presse audiovisuelle, notre réunion étant retransmise en direct et en téléchargement, tant sur le canal interne que sur le portail vidéo de l’Assemblée nationale.

Un compte rendu de nos débats sera établi dans les jours qui suivent notre réunion. Il vous sera soumis, madame, pour vous assurer qu’il correspond exactement aux propos que vous aurez tenus, puis il sera publié sur le site Internet de l’Assemblée nationale.

Conformément aux habitudes de travail des commissions d’enquête, je vous donnerai d’abord la parole, madame Charrier, pour un exposé introductif. Puis notre rapporteure, Mme Pascale Boistard, interviendra pour une première série de questions. Enfin, les autres membres de la commission d’enquête prendront la parole pour un débat approfondi.

Je rappelle qu’un comité central d’entreprise (CCE) est présidé par le chef d’entreprise ou son représentant. Son ordre du jour est arrêté par le chef d’entreprise et son secrétaire, que vous êtes, madame. Le rôle du CCE n’est en principe qu’économique. C’est à ce titre qu’il doit être consulté en cas de licenciement économique ou de restructuration dans l’entreprise.

Sans préjuger des questions qui seront posées par notre rapporteure, nous serions très intéressés de connaître, madame, votre présentation des faits et des causes qui, depuis 2007, ont conduit l’usine d’Amiens-Nord à la situation d’aujourd’hui.

Quel est le rôle du comité central d’entreprise dans le dialogue avec la direction de l’entreprise ?

Quelles sont les raisons qui ont fait diverger les situations respectives des usines d’Amiens-Nord et d’Amiens-Sud ?

Enfin, quelle est votre appréciation sur la situation actuelle et son évolution ?

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vais vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Catherine Charrier prête serment.)

Mme Catherine Charrier, secrétaire (CFE-CGC) du comité central d’entreprise (CCE) de Goodyear Dunlop Tires France. Je suis la secrétaire du comité central d’entreprise de Goodyear Dunlop France – j’ai été élue en avril 2011 et j’exerce mon deuxième mandat – et membre élu du CCE depuis plus de dix ans. J’ai donc suivi ce dossier depuis le début, c’est-à-dire depuis avril 2007.

En tant qu’élue de la CFE-CGC, mon rôle est de défendre les intérêts des salariés, mais notre syndicat, qui est réformateur, est attaché à trouver des solutions par le dialogue, en tenant compte à la fois des intérêts des salariés et de la réalité économique de l’entreprise.

Je ne vais pas vous relater tous les détails de ce dossier – qui est très complexe, unique et empreint de violence. Je me concentrerai sur les étapes essentielles.

L’histoire commence en avril 2007 quand la direction de Goodyear Dunlop décide de créer un complexe industriel réunissant deux usines – Amiens-Nord et Amiens-Sud –, séparées par une rue. C’est pour sauver l’activité de ces deux usines en grande difficulté que la direction propose ce complexe industriel et un plan d’investissement de 52 millions d’euros. En contrepartie, les équipes de production devront passer d’une organisation en 3x8, plus des équipes de week-end, et 31 heures de travail par semaine à un rythme de travail en 4x8 pour 35 heures de travail par semaine. À l’époque, toutes les autres usines du groupe en Europe, en dehors de la France, travaillent sur ce rythme des 4x8.

Les négociations pour le passage à ce nouveau rythme de travail durent à peu près un an. En mars 2008, les syndicats de l’usine d’Amiens-Sud – y compris la CGT, largement majoritaire sur le site – signent l’accord 4x8. La direction de Goodyear avait donné la date du 25 avril 2008 comme date butoir pour la signature à Amiens-Nord. Le 26 avril 2008, la CFE-CGC demande à la direction d’organiser une consultation du personnel d’Amiens-Nord sur ce projet. La question posée est : « Pour préserver votre travail, êtes-vous prêt à passer aux 4x8 ? ». Cette proposition de nouvelle organisation de travail recueille, parmi les 54 % de personnes ayant participé à la consultation, 73 % d’avis favorables.

Au regard de ce résultat, la CFE-CGC d’Amiens-Nord signe l’accord 4x8. Malheureusement, la CGT d’Amiens-Nord et le syndicat SUD du même site dénoncent cet accord. Celui-ci ne peut donc être mis en œuvre dans cette usine.

Ainsi, l’usine d’Amiens-Sud passe aux 4x8. Mais pour l’usine d’Amiens-Nord, c’est le début de la fin : en refusant le passage aux 4x8, elle sort de la logique industrielle de Goodyear.

De son côté, l’usine d’Amiens-Sud bénéficie d’une montée en gamme de sa production de pneumatiques. À ce jour, 46 millions d’euros y ont été investis – soit une large part des 52 millions prévus initialement pour l’ensemble du complexe industriel ! Les salariés de cette usine bénéficient d’un plan d’intéressement, par exemple. L’usine monte en puissance, tandis que celle d’Amiens-Nord se trouve condamnée en sortant d’une logique industrielle.

En 2009, Goodyear annonce sa décision d’arrêter l’activité tourisme à Amiens-Nord. La suppression de 817 postes est annoncée, soit plus de la moitié de l’effectif de l’usine. Goodyear annonce parallèlement son intention de vendre son activité agricole en zone EMEA (Europe, Moyen-Orient, Afrique) et en Amérique latine. En 2005, Goodyear avait déjà vendu ses activités agricoles en Amérique du Nord à un groupe américain, Titan. Depuis plusieurs années, celui-ci avait affiché sa volonté de devenir le numéro un mondial du pneu agricole.

Face au souhait de Goodyear de mettre en vente son activité agricole en Europe, le groupe Titan dit être intéressé et des contacts sont pris.

La suppression de plus de la moitié de l’effectif de l’usine implique des conséquences sur les sous-traitants, la ville et la région. La CGT Goodyear refuse alors catégoriquement l’arrêt de l’activité tourisme et débute une guerre de tranchées judiciaire avec la direction, guerre qui dure toujours. En 2009 et 2010, deux médiations seront demandées par les tribunaux, mais elles n’aboutiront pas.

Le groupe Titan, sous l’égide du ministère du travail, rencontre à plusieurs reprises les syndicats pour exposer son business plan et exprimer sa volonté de pérenniser l’activité agricole sur le site d’Amiens-Nord. La direction du groupe visite l’usine – mais avec difficulté car, deux fois de suite, on a fait brûler des pneus pour l’empêcher d’entrer … L’offre de Titan sur la partie agraire est malheureusement assujettie à la fermeture de la partie tourisme. En décembre 2010, Titan fait une offre d’achat pour l’activité agricole.

Le projet Titan semble fiable : l’entreprise garantit l’emploi pendant deux ans à 537 personnes, soit l’effectif agricole de l’usine ; elle fait d’Amiens son centre de recherche, ainsi que son siège européen et son siège commercial français. Titan a déjà racheté l’activité agricole de Goodyear en Amérique du Nord. Il affiche sa volonté d’être le leader mondial du pneumatique. C’est pourquoi cette offre nous semble fiable. Néanmoins, la CGT de Goodyear refuse d’en entendre parler. Elle conteste même la bonne foi des dirigeants de Titan et leur volonté de développer l’activité agricole à Amiens. Elle exige en outre des garanties d’emploi sur cinq ans, ce que Titan refuse.

En janvier 2012, la CGT, à sa demande, entame des négociations avec la direction de Goodyear pour transformer le plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) de l’activité tourisme en plan de départs volontaires (PDV). Ce PDV, s’il aboutit, permettra de sauver l’activité agricole, que Titan reste toujours prêt à acquérir, et les 537 emplois. La CGT refuse que les autres organisations syndicales travaillent sur ce PDV : elle veut être le seul syndicat à le faire. La CFE-CGC accepte alors d’être écartée des discussions si cela peut permettre de trouver une solution et de sauver les emplois. Mais que personne ne se leurre : l’objectif de ce PDV était bien de vider l’usine dans la partie tourisme pour que Titan puisse acquérir la partie agricole.

En juin 2012, à l’heure des élections législatives, la CGT de Goodyear Dunlop crie victoire : elle a réussi à obtenir quelque chose d’extraordinaire, un PDV. Mais ce dernier n’est prêt à être signé qu’au mois de septembre. Or, en septembre, après neuf mois de discussions, la direction de Goodyear décide de retirer ce projet de PDV tout simplement parce que la CGT de Goodyear refuse plusieurs fois de le signer en usant d’arguties et demande, au final, sept ans de garantie de l’emploi, garantie que ne peut donner un industriel comme Titan.

L’annonce du retrait du PDV est ressentie comme une douche froide à Amiens. Les collaborateurs de l’activité tourisme avaient fondé de grands espoirs dans ce plan : près de 400 personnes avaient exprimé leur volonté de quitter l’usine. Près de 200 seniors pouvaient partir en retraite et 200 autres personnes avaient un projet extérieur. Les montants proposés dans ce plan étaient extrêmement intéressants. Un senior ayant trente-cinq ans d’ancienneté aurait pu obtenir 178 000 euros brut et 65 % de son salaire brut jusqu’au moment de faire valoir ses droits à la retraite. Un salarié ayant vingt-cinq ans d’ancienneté et un projet extérieur aurait pu partir avec 138 000 euros brut et 20 000 euros en cas de reprise d’entreprise, et 65 % du salaire brut pendant dix mois.

Face aux exigences démesurées de la CGT, la direction retire donc son plan de départs volontaires. Titan décide de retirer son offre d’achat puisqu’il ne veut racheter que la partie agricole.

Le 31 janvier 2013, Goodyear annonce la fermeture définitive de l’usine d’Amiens-Nord. C’est l’épilogue d’un gâchis industriel et humain inimaginable. C’est un drame humain. Depuis 2009, le personnel de l’usine d’Amiens-Nord vit avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Les salariés sont désœuvrés, ils ne fabriquent plus de pneus, certains ne travaillent pas plus de deux heures par jour. Ils sont totalement démotivés.

Je ne peux pas parler de ce dossier très complexe sans évoquer ce que je vis personnellement depuis 2007, et particulièrement depuis avril 2011. Je suis insultée, humiliée, maltraitée. J’ai même été menacée de coups par certains éléments de la CGT d’Amiens-Nord. C’est mon lot quotidien : il ne se passe pas une réunion de CCE ou une rencontre sans que je sois insultée et humiliée.

Une poignée de syndicalistes font la loi dans l’usine, menacent, accusent, humilient. Ils ont détruit les locaux des autres organisations syndicales. Si l’on n’est pas d’accord avec eux, c’est l’intimidation, les menaces, voire les coups. L’usine est devenue une zone de non droit, comme le sont aussi nos réunions de CCE. Pendant celles-ci, quelques histrions se permettent de saucissonner, de chanter, de lire L’Équipe : ils n’écoutent pas, chahutent et insultent les autres syndicalistes. Les comptes rendus des réunions de CCE, réalisés par une société extérieure, sont très éclairants à ce sujet : je vous invite à en lire certains pour vous rendre compte de l’ambiance et des conditions dans lesquelles nous essayons de dialoguer.

Vous l’avez compris, la responsabilité syndicale dans cet épouvantable gâchis ne fait pas de doute. Et cela m’attriste d’autant plus que je suis moi-même une syndicaliste et que, depuis 2007, je me bats pour défendre les salariés et l’emploi sur le bassin d’Amiens.

Je vous remercie de m’avoir convoquée à cette audition car cela me permet – enfin – de m’exprimer sur ce dossier, ce qu’il m’est actuellement extrêmement difficile de faire en tant qu’élue et secrétaire de CCE.

Mme Pascale Boistard, rapporteure. Madame Charrier, je vous remercie de votre témoignage. Nos auditions débutent quelques jours seulement après l’invalidation par le conseil des prud’hommes du licenciement de centaines de salariés d’une usine Continental pour absence de motif économique, et après l’annonce au mois de juillet d’un doublement des bénéfices du groupe Goodyear.

Dans ce contexte, madame, quelle est votre appréciation de la réalité du motif économique dans les procédures de licenciements économiques annoncées par la direction de Goodyear, notamment pour l’usine d’Amiens-Nord ?

Quelles sont les conséquences du passage en 4x8 sur les conditions de travail dans l’usine d’Amiens-Sud (Dunlop) ? Quelle est votre appréciation des conditions de travail des ouvriers de l’usine Goodyear d’Amiens-Nord ?

Que pensez-vous des conditions dans lesquelles a dû travailler le cabinet d’expertise SECAFI, qui a été mandaté par le CCE de Goodyear pour l’assister lors des procédures judiciaires ?

Enfin, plus largement, comment jugez-vous la qualité du dialogue social au sein de l’entreprise, en particulier les liens entre la direction et les représentants des salariés ?

Mme Catherine Charrier. Je n’aborderai pas le dossier Continental, que je ne connais pas suffisamment.

La santé économique de l’entreprise Goodyear n’est pas celle que l’on pourrait croire. Depuis de nombreuses années, le cabinet SECAFI attire l’attention des élus sur la fragilité financière du groupe, en particulier sur un endettement très élevé, à hauteur de 7 milliards de dollars si ma mémoire est bonne, largement plus important que celui de ses principaux concurrents. Si la société se relève un peu, elle part de très loin.

M. le président Alain Gest. Des dividendes ont-ils été distribués ces dernières années ?

Mme Catherine Charrier. De mémoire, la société n’a pas distribué de dividendes depuis 2003. Je parle bien entendu de la société au plan mondial.

Mme la rapporteure. À partir de quelle date la production de l’usine d’Amiens-Nord, pour l’activité agricole et le secteur tourisme, a-t-elle commencé à baisser ?

Mme Catherine Charrier. Du fait de la crise économique, l’ensemble des productions des usines Goodyear en Europe a baissé. De mémoire, les usines sont passées d’une production de 77 millions de pneus il y a une dizaine d’années à quelque 53 millions aujourd’hui. De surcroît, l’usine d’Amiens-Nord fabriquant des pneumatiques à basse valeur ajoutée, qui ne se vendent plus, sa production a davantage baissé.

Mme la rapporteure. C’est en contradiction avec ce que vous avez indiqué dans votre propos liminaire, à savoir qu’Amiens-Nord était l’usine laboratoire en l’Europe pour la création de pneus à haute technologie.

Mme Catherine Charrier. Je ne me souviens pas avoir dit cela. Le projet industriel présenté en 2007 prévoyait une montée en gamme des pneumatiques produits dans les deux usines. Celle d’Amiens-Sud, en signant l’accord des 4x8, a bénéficié des investissements et a vu sa production monter en gamme. L’usine d’Amiens-Nord, en ne signant pas l’accord, est sortie de la logique industrielle de la société et n’a pu fabriquer des pneumatiques à haute valeur ajoutée, production qui lui aurait permis de restaurer sa rentabilité.

M. le président Alain Gest. Le projet prévoyait donc un site pilote dans le cadre d’une réorganisation industrielle en créant un pôle avec les deux usines.

Mme Catherine Charrier. Tout à fait. Concernant l’activité tourisme, on parlait à l’époque de 2 000 emplois pour les deux usines. Il s’agissait d’un beau projet pour la ville et la région.

L’activité tourisme d’Amiens-Nord ne fabrique plus de pneus ; elle perd de l’argent tous les jours – environ 20 millions d’euros pas mois. Économiquement, la situation n’est pas tenable. L’activité agricole en Europe perdait de l’argent ; c’est la raison pour laquelle Goodyear avait décidé de la vendre, et le groupe Titan semblait un acheteur fiable.

L’usine d’Amiens-Sud a quitté l’entité Goodyear Dunlop France depuis 2009 ou 2010 : elle est dorénavant directement rattachée à Goodyear Dunlop Luxembourg. Nous n’avons plus d’informations la concernant puisque nous ne pouvons plus en demander en CCE. Je ne peux donc répondre à votre question sur les conditions de travail dans cette usine.

L’usine d’Amiens-Nord, qui était capable de produire en 2007 environ 20 000 pneus par jour, peine aujourd’hui à en fabriquer 2 000 par jour. Il n’y a pas de travail pour tout le monde toute la journée. Cette situation est psychologiquement très difficile à vivre pour le personnel. En clair, les conditions de travail ne sont pas bonnes.

Un comité central d’entreprise peut se faire assister par un cabinet d’expert afin d’appréhender tous les aspects d’un dossier. Nous avons choisi à la majorité le cabinet SECAFI qui est le cabinet historique du CCE de Goodyear Dunlop France : il connaît très bien la société, qu’il suit depuis de nombreuses années. À ma connaissance, il a eu à sa disposition tous les documents qu’il avait demandés pour faire une étude des motifs économiques du PSE.

Le dialogue social est extrêmement difficile à Goodyear car il est torpillé par le syndicat majoritaire d’Amiens-Nord. Il est impossible de tenir des réunions – de s’y exprimer, d’écouter la direction – car elles sont à chaque fois l’objet d’un chahut organisé. Les tracts de ce syndicat sont extrêmement violents vis-à-vis des autres organisations syndicales. Nous vivons dans un climat d’intimidation et de violence constant. Une des particularités des représentants de la CGT d’Amiens-Nord est d’arriver en réunion et d’en repartir sans avoir pris ou consulté les documents, puis de décréter que la direction n’a pas pu répondre aux questions des élus du personnel. Voilà ce qu’est le dialogue social chez Goodyear : il est extrêmement difficile car il est malheureusement torpillé par certains.

M. le président Alain Gest. En 2009, Goodyear a annoncé un plan de suppression de 817 postes, soit la moitié des effectifs de l’époque, nous avez-vous indiqué.

Mme Catherine Charrier. Un peu plus de la moitié, car l’activité tourisme employait 817 personnes, et l’activité agricole 537.

M. le président Alain Gest. Le nombre total de salariés était donc de 1 400 environ. Si je vous en parle c’est que l’on entend dire que, depuis l’engagement des procédures, notamment par le syndicat majoritaire, il n’y a pas eu de suppression de postes dans l’établissement. Or l’effectif est aujourd’hui de 1 150 personnes.

Mme Catherine Charrier. Cela peut s’expliquer par ce que l’on appelle l’attrition naturelle : des gens sont partis à la retraite, d’autres ont quitté l’entreprise pour mener un autre projet. Ainsi, au fil des mois, l’effectif de l’usine d’Amiens-Nord a diminué.

M. le président Alain Gest. Il a diminué de 300 personnes environ, mais sans qu’aucune mesure ne soit prise en ce sens.

Mme Catherine Charrier. Effectivement.

M. le président Alain Gest. Pour en revenir au cabinet SECAFI, quelle a été son appréciation sur la situation et les mesures envisagées par le groupe ?

Mme Catherine Charrier. En étudiant le projet de PSE, SECAFI constate que l’entreprise est dans une situation financière extrêmement difficile. En effet, en raison du poids du remboursement de sa dette, sa capacité d’investissement est inférieure de moitié à celle de ses principaux concurrents, comme Bridgestone et Michelin. De surcroît, depuis deux ans, Goodyear voit son chiffre d’affaires diminuer. Sur ses deux métiers de base – pneumatiques tourisme et poids lourds –, l’entreprise perd des parts de marché. C’est certainement une des raisons pour lesquelles la société a décidé de vendre l’activité agricole, qui n’était pas son cœur de métier et perdait aussi de l’argent.

Le cabinet SECAFI trouve donc une société en mauvaise santé, qui cherche de l’argent pour rembourser une dette considérable – 7 milliards de dollars. Il constate que l’usine d’Amiens-Nord n’a pas reçu d’investissements depuis 2007 en dehors des investissements de sécurité, et qu’elle fabrique des pneus qui ne se vendent plus. Dans un rapport d’une centaine de pages, le cabinet dresse donc le constat d’une situation dramatique dont la seule issue est malheureusement la fermeture de l’usine.

M. Jean-Marc Germain. En n’acceptant pas l’accord des 4x8, les salariés ont refusé le projet industriel de la société, nous avez-vous expliqué. Or j’imagine qu’il existe d’autres formes d’organisation pour augmenter la productivité d’une entreprise. Nous aimerions connaître l’avis des salariés d’Amiens-Sud sur leurs nouvelles conditions de travail. Dire que plus rien n’était possible à cause du refus de l’accord me semble être une logique du tout ou rien qui peut être assimilée à une forme de chantage sur les conditions de travail.

Vous avez souligné que le plan de départs volontaires était souhaité par une grande majorité des salariés de la branche tourisme, mais que la CGT a posé des conditions complémentaires qui vous ont paru anecdotiques, ce qui a entraîné le refus de la direction. Or si ces conditions étaient anecdotiques, d’autres raisons ont certainement fait capoter le plan. Peut-être la société ne souhaitait-elle plus rester sur le site.

Mme Catherine Charrier. Il faut garder à l’esprit que les deux usines avaient un problème de rentabilité. Le projet de complexe industriel visait donc à les faire monter en gamme et à restaurer leur rentabilité. Le travail en 4x8 devait permettre non seulement d’optimiser l’outil de production en permettant de travailler plus de jours par an, soit 350 jours, mais aussi de réaliser des économies en mobilisant moins de personnels – avec une équipe de travail en moins par rapport aux 3x8.

Même si j’ai très peu d’informations sur les conditions de travail à Amiens-Sud, je peux vous vous dire que les syndicats travaillent, depuis la signature de l’accord, à des améliorations de cette nouvelle organisation. Pour la CFE-CGC, la signature de l’accord à Amiens-Nord visait à fixer l’emploi sur le site, à charge pour nous de négocier ensuite avec la direction des améliorations de ce système de travail.

En s’opposant au changement, l’usine d’Amiens-Nord restait finalement dans un système non rentable, ce qui n’était pas envisageable pour la direction. Je pense que c’est la raison pour laquelle la direction a sorti cette usine de sa logique industrielle. Il n’y avait en effet aucune raison que l’usine devienne rentable si rien n’était fait. Les syndicats qui ont dénoncé l’accord 4x8 n’ont pas montré une volonté de changement, contrairement aux syndicats d’Amiens-Sud qui ont souhaité relever le défi pour permettre à l’usine de fabriquer des pneumatiques à haute valeur ajoutée.

Après neuf mois de négociations, en septembre, la direction a retiré son plan de départs volontaires parce que la CGT de Goodyear avait toujours une bonne raison de ne pas signer. Si ma mémoire est bonne, c’est la veille du jour où était prévue la signature que la CGT d’Amiens-Nord a exigé sept ans de garantie de l’emploi pour la partie agricole. Cette exigence était trop importante pour un industriel comme Titan : le PDV ne pouvait pas être signé dans ces conditions.

M. Jean-Marc Germain. Il ne s’agissait alors pas de conditions anecdotiques. La CGT exigeait une garantie de l’emploi en contrepartie de l’effort des salariés. On comprend qu’un syndicat se batte pour cela.

Mme Catherine Charrier. Durant les derniers jours précédant la signature, il y avait toujours une bonne raison pour ne pas signer. Selon moi, la CGT ne voulait plus signer car présenter une exigence à laquelle il était impossible de répondre était une façon de ne pas le faire.

M. le président Alain Gest. Est-il exact qu’une procédure avait déjà été engagée contre la société Titan avant même qu’elle ait pu visiter l’usine qu’elle voulait racheter ?

Mme Catherine Charrier. Oui : on peut considérer qu’elle avait été condamnée avant même d’avoir été entendue.

M. Patrice Carvalho. Le réquisitoire contre la CGT est un peu sévère. En tout cas, j’espère que le cabinet SECAFI sera auditionné.

Vous nous expliquez, madame, que l’objectif des 4x8 est de faire travailler moins de personnels. Or cette organisation fonctionne sur sept jours par semaine. Comment peut-on travailler plus longtemps avec moins de personnels ?

En outre, vous prétendez ne pas connaître l’affaire Continental, mais le président de la fédération de CFE-CGC de la chimie, assis à votre droite, madame, la connaît parfaitement ! Et moi aussi puisqu’elle se déroule dans ma circonscription : après la signature d’un accord visant à pérenniser le site en permettant de travailler sept jours sur sept et de baisser le niveau des rémunérations, il a été décidé de fermer l’usine. Ne me dites pas que la CGT est responsable : il s’agit d’une décision unilatérale de la direction. Vous connaissez la suite sur le plan judiciaire.

Ensuite, vous affirmez ne pas connaître les conditions de travail à Amiens-Sud. Or M. Jaeger a accès à tous les documents ! Vous avez prêté serment de dire toute la vérité : dites-nous concrètement ce qui s’y passe !

Par ailleurs, Goodyear n’est pas la seule entreprise à avoir été impactée par la baisse de l’activité dans la filière automobile ; beaucoup d’entreprises sont touchées. Dans ce contexte, est-il exact de dire que l’on a voulu à tout prix saborder l’usine ?

La baisse d’activité pourrait-elle s’expliquer par des transferts d’activité pendant le plan social ?

Enfin, pensez-vous sincèrement qu’un syndicat soit capable d’entraîner des centaines de personnes, les yeux fermés, vers la fermeture d’un site ?

Mme Catherine Charrier. Je n’ai pas fait un réquisitoire contre la CGT : j’ai dénoncé les agissements de quelques personnes qui se réclament de ce syndicat. Néanmoins, je considère que la CGT d’Amiens-Nord est responsable de l’échec des négociations avec Titan, qui n’a ainsi pas pu racheter la partie agricole et sauver 537 emplois.

Je ne travaille pas chez Continental : je ne souhaite pas faire de commentaire sur l’actualité.

En outre, j’ai dit qu’en tant que CCE nous n’avions pas d’information sur l’usine d’Amiens-Sud dans la mesure où elle ne fait pas partie du périmètre français. Elle n’est donc pas abordée en réunion de CCE. Cela étant dit, ce serait mentir de dire que les 4x8 se sont mis en place d’une façon idéale. Des aménagements ont lieu et sont négociés avec les syndicats de l’usine pour améliorer cette nouvelle organisation de travail. Comme je vous l’ai dit, l’usine Amiens-Sud a bénéficié de 46 millions d’euros d’investissements et elle fabrique dorénavant des pneus à haute valeur ajoutée. Par conséquent, elle va de mieux en mieux.

Les éléments que nous avons demandés à la direction et qui nous ont été communiqués en CCE démontrent qu’il n’y a pas eu de délocalisation, c’est-à-dire de transfert de production d’Amiens vers d’autres usines du groupe en Europe. Autrement dit, tous les pneumatiques qui ne sont plus fabriqués à Amiens ne sont plus fabriqués du tout. L’usine produisait des dimensions de pneumatiques qui n’équipent plus les voitures. En effet, auparavant, les voitures étaient équipées de pneus en 13 ou 14 pouces ; aujourd’hui, les voitures d’entrée de gamme sont équipées en 15, 16 ou 17 pouces. Les pneus que fabriquait Amiens ne se vendent plus, et le peu qui sont fabriqués restent stockés.

Le système d’organisation d’horaires de travail est un dossier extrêmement technique et compliqué que j’avoue ne pas maîtriser. Il était prévu des équipes 4x8 et des sous-équipes 4x8. Néanmoins, le projet de complexe industriel prévoyait, au fur et à mesure de la mise en place de la nouvelle organisation, une diminution du personnel sans licenciement sur plusieurs années. Les 4x8, je l’ai dit, nécessitaient moins de personnels que les 3x8 plus les équipes de week-end.

M. le président Alain Gest. Vous avez parlé d’une augmentation du nombre d’heures.

Mme Catherine Charrier. La nouvelle organisation prévoyait que le personnel devait passer de 32 heures de travail par semaine à 35 heures avec davantage de jours travaillés dans l’année.

M. Patrice Carvalho. Il s’agissait donc d’une remise en cause des acquis sociaux.

Mme Catherine Charrier. Le projet a été présenté en avril 2007 et la signature d’Amiens-Sud a eu lieu en mars 2008, soit après un an de négociations sur le projet 4x8, avec des groupes de travail et des experts qui ont accompagné les organisations syndicales.

M. Patrice Carvalho. Le projet prévoyait la pérennisation du site, mais à quel prix !

Mme Catherine Charrier. Effectivement, avec une organisation en 4x8, le personnel pouvait travailler en semaine et le week-end. Mais la négociation, qui a duré un an, a permis de prévoir des compensations salariales. Les syndicats d’Amiens-Sud ont signé cet accord.

Mme Barbara Pompili. Le cabinet SECAFI a manqué d’information sur certains sujets, notamment sur la situation économique de Goodyear, avez-vous dit. Estimez-vous avoir eu une information claire et suffisante sur une telle situation ?

Vous avez indiqué avoir peu d’éléments sur les conséquences du passage aux 4x8 à Amiens-Sud avant de nous annoncer que l’usine allait de mieux en mieux. N’est-ce pas contradictoire ?

L’usine d’Amiens-Nord n’était pas rentable avant 2007, avez-vous souligné. Quelles y étaient alors les conditions de travail et l’usine bénéficiait-elle d’investissements suffisants ?

Pouvez-vous nous donner votre analyse sur les jugements qui ont annulé plusieurs décisions pour défaut de procédure et qui semblent aller dans le sens de la CGT ?

Selon la presse, un huissier aurait constaté sur le site la présence de pneus fabriqués en Amérique du Sud. Que pouvez-vous nous dire sur cette affaire ?

J’ai entendu dire que le projet de SCOP proposé par la CGT  avait été soumis à la direction, qui l’a rejeté. Le cabinet SECAFI a-t-il été saisi de ce projet ?

La CFE-CGC pense-t-elle possible de trouver un repreneur autre que Titan ?

Enfin, est-il exact que le cabinet qui sera potentiellement chargé du reclassement des salariés, si la fermeture se confirme, fait partie du même groupe que le cabinet SECAFI – le groupe Alpha ? Comment cette décision a-t-elle été accueillie par le CCE ?

Mme Catherine Charrier. Je ne pense pas avoir dit que le cabinet SECAFI manquait d’informations. Au contraire, j’ai dit qu’il avait eu toutes les informations nécessaires pour rendre son rapport.

Mme Barbara Pompili. Il me semble que, depuis, le CHSCT du site a mandaté un autre cabinet, CIDECOS, afin de rendre un avis motivé sur le projet de fermeture. Apparemment, ce cabinet estime ne pas disposer d’éléments suffisants.

Mme Catherine Charrier. Le tribunal d’instance de Lyon a rendu un jugement concernant le cabinet CIDECOS. À ma connaissance, la direction a fourni l’ensemble des informations qui ont été demandées par le cabinet CIDECOS. Je le répète : SECAFI a obtenu toutes les informations nécessaires pour rendre un rapport documenté. De son côté, le CCE a entamé un processus de consultation sur le projet de PSE depuis le 31 janvier – il a tenu à ce jour huit réunions. Et il n’y a pas une seule demande d’information, même détaillée, qui n’ait obtenu une réponse de la part de la direction.

Comme je l’ai dit, la situation de l’usine Amiens-Sud s’améliore, mais les organisations syndicales et la direction ont encore besoin de travailler pour améliorer la nouvelle organisation du travail. Ils avancent donc à petit pas.

Mme Barbara Pompili. L’usine est-elle rentable ?

Mme Catherine Charrier. C’est une usine, et non une entité économique. Le CCE de Goodyear Dunlop France n’a pas d’information la concernant puisque cette usine ne fait pas partie de notre périmètre.

Mme la rapporteure. Depuis quand n’en fait-elle plus partie ?

Mme Catherine Charrier. Depuis 2009 ou 2010.

Mme la rapporteure. Si vous avez des documents à ce sujet, nous sommes preneurs car il nous semble très intéressant de connaître l’avis des représentants des salariés sur le transfert de l’activité vers une autre entité.

Mme Catherine Charrier. Des réunions du CCE se sont tenues lorsque l’usine d’Amiens-Sud a quitté l’entité Goodyear Dunlop France. Les minutes de ces réunions devraient pouvoir être mises à votre disposition.

Avant 2007, l’usine d’Amiens-Nord n’était pas rentable et les conditions de travail de l’époque peuvent être considérées comme normales pour une usine fabriquant des pneumatiques – ce n’est pas un laboratoire pharmaceutique… Ce n’est pas le même environnement de travail. Néanmoins, l’usine avait déjà d’un déficit d’investissement. Ce serait mentir de dire le contraire.

M. le président Alain Gest. Quelle en est la raison selon vous ? Cela relevait-t-il d’une stratégie ou cela était-il dû à l’endettement de l’entreprise ?

Mme Catherine Charrier. À l’époque, l’entreprise avait déjà des difficultés financières. Et j’imagine que, puisqu’elle avait des choix stratégiques à faire en matière d’investissements dans ses usines, elle avait préféré des usines dans des pays où le climat et le dialogue social étaient beaucoup plus faciles. Le climat et le dialogue social étaient déjà difficiles à Amiens avant le projet de complexe industriel.

M. Patrice Carvalho. Qu’entendez-vous par « plus faciles » ?

Mme Catherine Charrier. La législation française est plus contraignante, par exemple pour les entrepreneurs, que celle d’autres pays.

Mme la rapporteure. D’après vous, un choix stratégique a été fait, à ce moment-là et avant, pour amener une partie de cette activité ailleurs – vous avez même dit : hors de France.

Mme Catherine Charrier. Je n’ai pas dit cela : j’ai dit que l’usine d’Amiens-Nord souffrait d’un manque d’investissements. Mais ce n’est pas pour cela que des pneus ont été fabriqués ailleurs.

Mme la rapporteure. Pour reprendre votre propos, l’usine avait un manque d’investissements, le droit du travail en France était plus contraignant et elle a fait un choix stratégique pour aller dans des pays où les contraintes sont moins importantes. J’en conclus qu’un choix stratégique a été fait de développer l’activité ailleurs que dans l’usine d’Amiens-Nord.

Mme Catherine Charrier. À présent, je peux vous suivre. L’usine d’Amiens- Nord fabriquait des pneus à faible valeur ajoutée, alors que d’autres usines en Europe fabriquaient des pneus à plus forte valeur ajoutée avant 2007. Et la rentabilité de l’usine était mauvaise. Pour ces deux raisons, il fallait qu’elle fabrique des pneus à plus haute valeur ajoutée. Voilà pourquoi le projet de complexe industriel semblait une bonne chose pour la CFE-CGC : une grosse usine avec 2 000 emplois aurait permis au site d’Amiens de revenir dans la course en tête. À charge pour nous ensuite d’accompagner les salariés dans le changement et d’améliorer l’organisation des 4x8. Pour nous, l’accord des 4x8 devait être signé car il était synonyme d’investissements et de pneus à haute valeur ajoutée. Nous n’avons donc pas compris que le syndicat majoritaire d’Amiens-Nord s’y oppose, d’autant qu’il l’avait accepté à Amiens-Sud.

Mme la rapporteure. L’acceptation d’Amiens-Sud et le refus d’Amiens-Nord sont intervenus après un vote des salariés. Dans l’objectif du projet ambitieux de complexe industriel, la direction avait-elle préparé un grand plan de formation pour former les salariés des deux entreprises à cette haute technologie du pneu ?

Mme Catherine Charrier. À Amiens-Nord, la CFE-CGC a signé l’accord à la suite d’une consultation du personnel lequel a souhaité, à 73 %, passer au 4x8 pour conserver son emploi.

C’est la CGT d’Amiens-Sud qui a signé l’accord 4x8 dans cette usine. Immédiatement, les représentants CGT d’Amiens-Sud ont été « sortis » de la CGT par leur centrale. Ils ont fondé un syndicat, l’UNSA. Depuis cette date, la CGT n’existe plus à Amiens-Sud : c’est l’UNSA qui est le syndicat majoritaire.

Pendant l’année de négociation entre les organisations syndicales, entre 2007 et 2008, des groupes de travail ont été mis en place pour informer le personnel sur l’organisation du travail en 4x8. Un numéro vert a été créé pour permettre au personnel de poser des questions en toute confidentialité ; des documents pédagogiques ont été préparés pour lui expliquer les conséquences du changement d’organisation et répondre aux questions qu’il pouvait se poser à l’époque.

Mme la rapporteure. De quand date le dernier plan de formation proposé par la direction pour les deux usines ?

Mme Catherine Charrier. Le plan de formation est un exercice annuel dans toutes les entreprises.

Mme la rapporteure. À l’époque, répondait-il au souhait de la direction de développer des pneus à haute technologie ?

Mme Catherine Charrier. N’étant pas membre du CE d’Amiens-Nord, je ne peux répondre à votre question concernant cette usine. Pour Amiens-Sud, je vous ferai la même réponse que tout à l’heure : cette usine étant sortie du périmètre de la France, il ne m’est pas possible de vous répondre.

Madame Pompili, aucun PSE n’a été annulé par la justice : ils ont été suspendus. La justice a demandé à la société des compléments d’information.

Dans son dernier rapport, le cabinet SECAFI prend acte que Goodyear sous-traite quelques productions de pneumatiques agricoles auprès de deux manufacturiers, Allianz et Anlas, et indique que cela correspond à environ 5 000 pneumatiques par an sur un total de 500 000 pneumatiques agricoles vendus en Europe. Le nombre de pneus sous-traités est donc dérisoire. Par ailleurs, on parle de 163 pneus Titan trouvés dans l’usine d’Amiens-Nord, madame. On ne peut donc pas parler d’une production qui déferle sur l’Europe. Enfin, il faut savoir que Goodyear se doit de proposer une gamme complète de pneumatiques ; or, comme elle ne fabrique pas certains pneumatiques de dimension très spécifique ou pour des applications spéciales, elle les importe pour répondre à la demande particulière de certains clients.

La CGT a présenté le projet de SCOP à la direction, mais ni au CCE ni au cabinet SECAFI.

Mme Barbara Pompili. L’avez-vous demandé ?

Mme Catherine Charrier. Je dispose d’une copie de ce projet que, dans un tract, la CFE-CGC a qualifié de « farce » car il trompait le personnel. Rappelez-vous : Titan proposait de racheter l’activité agricole de Goodyear en Europe, c’est-à-dire non seulement de fabriquer des pneumatiques, mais aussi d’assurer, en amont, la recherche et développement et l’industrialisation et, en aval, la commercialisation des pneumatiques. Le projet de SCOP présenté par la CGT prévoyait uniquement la fabrication des pneumatiques : Goodyear continuait la recherche et développement et l’industrialisation, et était chargé de vendre les pneus. Autrement dit, il s’agissait d’une sous-traitance de fabrication. En outre, si le plan comptable faisait apparaître que le projet de SCOP était rentable, celui-ci ne prévoyait pas l’achat des matières premières et indiquait un prix de vente largement surestimé, de 20 %. Or en prévoyant un achat des matières premières et un vrai prix de vente, cette fabrication devait perdre autant d’argent que Goodyear en perdait auparavant. Pour ma part, j’ai donc considéré ce projet comme un effet d’annonce. D’ailleurs, à ma connaissance, le personnel de l’usine d’Amiens-Nord n’y a pas adhéré.

Mme Barbara Pompili. Pourquoi n’avez-vous pas jugé bon de saisir un cabinet indépendant pour expertiser le projet ?

Mme Catherine Charrier. Il ne nous a paru nécessaire d’analyser ce projet de SCOP qui, en réalité, n’en était pas un. Le cabinet SECAFI, avec qui j’en ai discuté, a eu exactement la même analyse que nous et que la direction : ce projet n’était pas viable.

Au début de cette année, le cabinet de M. Montebourg a mandaté l’Agence française pour les investissements internationaux (AFII) pour trouver des repreneurs. Aucun repreneur fiable ne s’est présenté.

M. le président Alain Gest. Cela sous-entend que certains repreneurs sont, selon vous, peu fiables.

Mme Catherine Charrier. Pour moi, un repreneur fiable doit garantir l’emploi, non pas sept ans, mais deux ans par exemple, comme pouvait le faire le groupe Titan. Un repreneur fiable ne traîne pas derrière lui une réputation d’acheteur d’usines pour ensuite les démanteler et les vendre. Malheureusement, aucun industriel ne s’est manifesté.

Au cours d’une réunion de CCE en février ou mars, le cabinet SECAFI a été désigné expert du CCE sur ce dossier. Quelque temps auparavant, la direction de Goodyear Dunlop avait choisi les cabinets SODIE et SEMAPHORES – qui font partie du groupe Alpha, comme le cabinet SECAFI – pour l’assister dans le reclassement des salariés et la revitalisation du bassin d’Amiens. Tous ces cabinets ont pignon sur rue. En fait, c’est tout naturellement que le CCE de Goodyear Dunlop a désigné son expert historique : SECAFI connaît parfaitement la société. Je ne préjuge pas de la raison pour laquelle la direction a choisi ces cabinets du groupe Alpha.

Mme Clotilde Valter. Certes, il n’y a pas eu de délocalisation au sens strict, mais l’entreprise a fait le choix stratégique de ne pas adapter le site d’Amiens à la demande du marché et à la nouvelle taille des pneus. Or si le site ne satisfait pas le marché actuel, la production se fera ailleurs qu’en Europe.

Mme Catherine Charrier. C’est bien ce que j’ai voulu dire en disant que l’usine d’Amiens-Nord sortait de la stratégie industrielle de Goodyear en ne signant pas l’accord des 4x8. Faute de signature, l’entreprise a décidé de ne pas investir et donc de ne pas mettre en production à Amiens-Nord des pneus à haute valeur ajoutée, contrairement à Amiens-Sud.

M. Jean-Marc Germain. C’est du chantage.

Mme Barbara Pompili. L’entreprise n’investissait-elle déjà plus ?

Mme Catherine Charrier. Oui, le déficit d’investissement existait déjà.

Mme Clotilde Valter. Il faudrait savoir quand a commencé la baisse des investissements et quand la production a été réorientée vers un autre type de pneus fabriqués ailleurs. En effet, une baisse antérieure du niveau des investissements signifie qu’on anticipait la condamnation du site ; sinon, il faut nous en expliquer la raison.

Mme Catherine Charrier. Selon moi, le manque d’investissements à Amiens-Nord ne signifiait pas la condamnation anticipée de l’usine. L’entreprise avait déjà des difficultés financières, et ses usines avaient un déficit d’investissements.

Vous parlez de chantage. Mais pourquoi confier à l’usine d’Amiens-Nord, qui ne veut pas passer aux 4x8, la production de pneumatiques à haute valeur ajoutée, alors qu’Amiens-Sud accepte l’accord pour pouvoir le faire ?

M. Jean-Claude Buisine. Vous nous avez indiqué que les conditions du plan de départs volontaires vous semblaient favorables. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur la manière dont ce PDV a été négocié ? Quels ont été les rapports de force ?

Mme Catherine Charrier. Comme je l’ai indiqué dans mon propos liminaire, ce plan de départs volontaires a été négocié exclusivement par la CGT qui a refusé que les autres organisations syndicales interviennent. La CFE-CGC a accepté l’inacceptable – être tenue à l’écart – dans l’intérêt du personnel : pour permettre la signature de ce plan.

J’ai très peu d’éléments sur la façon dont celui-ci a été négocié. Au cours de la négociation, une ou deux présentations intermédiaires de ce PDV ont été faites en CCE où des montants nous ont été présentés. Pourquoi ce PDV a-t-il échoué ? Pour une raison que j’ignore, d’un seul coup la CGT n’a plus voulu le signer. À l’époque, elle a argué du fait qu’il s’agissait d’un PSE déguisé puisque les gens partaient de l’usine. Il ne faut pas se leurrer : tout le monde savait depuis le début – et la CGT la première – que l’objectif était de vider l’usine.

M. Patrice Carvalho. Le plan de formation est discuté en premier lieu au CCE. Je suis donc surpris de vous entendre dire aussi peu de choses sur la formation. Au surplus, votre voisin de droite a accès au plan de formation d’Amiens-Sud.

Les fédérations patronales organisent des réunions, publient des chiffres sur la formation, l’économie, les investissements. J’ai donc du mal à croire que vous ne sachiez pas ce qui se passe ailleurs !

Je voudrais également connaître le rapport de forces au CCE, c’est-à-dire le poids des différents syndicats et la part de chaque catégorie socioprofessionnelle. Êtes-vous cadre ou agent de maîtrise, madame ?

Mme Catherine Charrier. Je suis cadre, monsieur.

Vous me demandez des chiffres très détaillés : je ne les ai pas en tête.

M. le président Alain Gest. Pourrez-vous nous les fournir ?

Mme Catherine Charrier. Bien entendu.

Mme la rapporteure. Un courrier vous parviendra dans les prochains jours, madame, pour dresser la liste des documents que vous voudrez bien nous faire parvenir.

M. le président Alain Gest. Dans la mesure où M. Jeager n’a pas prêté serment, nous ne pouvons lui donner la parole, mais nous vous adresserons un courrier reprenant les questions formulées.

Mme Catherine Charrier. S’agissant de la formation, je n’ai pas en tête les documents et les informations.

M. Patrice Carvalho. Mais vous les avez eus en CCE.

Mme Catherine Charrier. Bien sûr, nous avons le plan de formation tous les ans.

M. le président Alain Gest. Nous pourrons donc demander que nous soient communiqués les plans de formation en question.

M. Jean-Marc Germain. En dehors de vos fonctions syndicales, quelles fonctions exercez-vous chez Goodyear ?

Mme Catherine Charrier. Je travaille au service des relations publiques de Goodyear Dunlop France depuis trente-trois ans. Je suis la collaboratrice la plus directe de la directrice des relations « presse et public ».

M. le président Alain Gest. Combien de personnes se sont exprimées lors de la consultation qui a fait l’objet d’un vote largement favorable ? De quelle manière l’accord a-t-il été dénoncé ?

Mme Catherine Charrier. À l’initiative de la CFE-CGC, une consultation du personnel d’Amiens-Nord a été organisée en 2008 : 54 % du personnel y a répondu. Sur ces 54 %, 73 % ont donné un avis favorable.

M. le président Alain Gest. On peut donc estimer que 40 % environ du personnel a donné un avis favorable.

Les personnes n’ayant pas participé à la consultation se sont-elles abstenues suite à un mot d’ordre ?

Mme Catherine Charrier. Oui. La CGT d’Amiens-Nord a demandé le boycott de la consultation, a volé et détruit le matériel de vote, a intimidé les personnes qui ont tenté d’organiser cette consultation. Celle-ci s’est tenue en dehors de l’usine. Le délégué syndical central de la CFE-CGC de l’époque, M. Marc Jonet, au moment de proclamer les résultats sur les marches de l’inspection du travail d’Amiens, a été frappé par un membre de la CGT d’Amiens-Nord devant les caméras de télévision. Cela vous donne une idée de l’intimidation que pouvaient déjà subir à cette époque ceux qui étaient en désaccord avec la CGT.

Forte de ce résultat – 73 % d’avis favorables –, la CFE-CGC a signé l’accord. Or un accord peut être frappé d’opposition par le syndicat majoritaire : c’est ce qu’a fait la CGT.

M. Patrice Carvalho. N’y a-t-il que la CGT et la CFE-CGC à Amiens Nord ?

Mme Catherine Charrier. Il y a également SUD.

M. le président Alain Gest. Nous auditionnerons ce syndicat la semaine prochaine.

M. Patrice Carvalho. Selon les médias, il est plus violent que la CGT.

Mme Catherine Charrier. Pas sur le site d’Amiens, monsieur.

Mme la rapporteure. Des élections professionnelles ont eu lieu dernièrement. Pouvez-vous nous en donner les résultats en termes de participation et de représentation des différents syndicats à Amiens-Nord ?

Mme Catherine Charrier. Je ne me souviens pas de tous les chiffres. Néanmoins, de mémoire, la CGT a obtenu 86 % des suffrages sur le site d’Amiens-Nord. Elle reste donc le syndicat largement majoritaire.

Mme la rapporteure. Et le taux de participation ?

Mme Catherine Charrier. Je ne peux pas vous le dire.

M. le président Alain Gest. Ces données nous intéressent, car le site a connu des évolutions au cours de six dernières années en termes de représentation des syndicats.

Je vous remercie, madame Charrier, d’avoir ouvert notre série d’auditions sur la fermeture de l’usine Goodyear d’Amiens-Nord. Je remercie également le président de la CFE-CGC chimie de sa présence. Nous lui adresserons les questions auxquelles il n’a pas été en mesure de répondre devant notre commission.

Mme Catherine Charrier. Encore une fois, je tiens à vous remercier de m’avoir permis de m’exprimer.

L’audition s’achève à seize heures cinquante-cinq.

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Membres présents ou excusés

Commission d'enquête relative aux causes du projet de fermeture de l'usine Goodyear d'Amiens-Nord, et à ses conséquences économiques, sociales et environnementales et aux enseignements liés au caractère représentatif qu'on peut tirer de ce cas

Réunion du mardi 3 septembre 2013 à 15 heures

Présents. - Mme Pascale Boistard, M. Jean-Claude Buisine, M. Patrice Carvalho, M. Jean-Marc Germain, M. Alain Gest, M. Christophe Léonard, M. Philippe Noguès, Mme Barbara Pompili, Mme Clotilde Valter

Excusés. - Mme Arlette Grosskost, M. Bernard Lesterlin, Mme Véronique Louwagie