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Commission d’enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d’exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l’électricité nucléaire, dans le périmètre du mix électrique français et européen, ainsi qu’aux conséquences de la fermeture et du démantèlement de réacteurs nucléaires, notamment de la centrale de Fessenheim

Jeudi 9 janvier 2014

Séance de 9 h 30

Compte rendu n° 2

Présidence de M. François Brottes Président

– Audition de M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie

L’audition débute à neuf heures cinquante.

M. le président François Brottes. Notre commission d’enquête a souhaité consacrer ses premières auditions à un panorama des travaux récemment effectués sur tout ou partie du sujet sur lequel elle a mandat de se prononcer. Nous avons donc le plaisir d’accueillir M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie (CRE).

Le rapport publié par la CRE en juin dernier ne se limite pas aux coûts de production de l’électricité nucléaire : il traite des coûts totaux d’EDF, non seulement en matière de production mais aussi en matière de commercialisation, domaine où ils ont d’ailleurs considérablement augmenté. Par construction, néanmoins, les informations relatives à la filière nucléaire y tiennent une place essentielle. Lors de la présentation de ce rapport à la Commission des affaires économiques, monsieur le président, vous avez indiqué que nombre des sujets ouverts restaient à préciser.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande au préalable de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Philippe de Ladoucette prête serment.)

M. le président François Brottes. Je vous donne la parole pour un exposé introductif, non sans vous avoir informé que l’enregistrement vidéo de nos échanges sera ultérieurement mis en ligne sur le site de l’Assemblée nationale.

M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie. Comme vous l’avez indiqué, monsieur le président, la CRE a récemment procédé à une évaluation des coûts de l’entreprise EDF.

Permettez-moi tout d’abord de rappeler le cadre dans lequel nous intervenons.

La Commission de régulation de l’énergie s’est vu confier deux missions directement ou indirectement reliées à la question des coûts du nucléaire : la première et la plus ancienne, prévue par la loi du 10 février 2000, porte sur les évolutions des tarifs réglementés de vente d’électricité, sur lesquelles la CRE doit rendre un avis fondé sur la couverture des coûts de production et de commercialisation de l’électricité supportés par EDF ; la seconde, prévue par la loi du 8 décembre 2010, dite « NOME » (nouvelle organisation du marché de l’électricité), concerne spécifiquement les coûts du nucléaire puisqu’il s’agit, dans un premier temps, de donner un avis sur le prix de l’ARENH (accès régulé à l’électricité nucléaire historique) proposé par le Gouvernement puis, dans un second temps, de proposer le prix de l’ARENH en appliquant une méthodologie définie par un décret en Conseil d’État.

En mai 2011, la CRE avait appliqué une méthode de calcul du prix de l’ARENH inspirée des travaux de la commission Champsaur en s’appuyant sur des données de coût du nucléaire fournies par EDF. Cette méthode utilise la valeur nette comptable du parc nucléaire historique comme représentation du montant résiduel des capitaux investis à l’origine dans ce parc : elle traduit la réalité de l’amortissement des capitaux immobilisés, de l’obsolescence des matériels, et tient compte des investissements consentis tout au long de la durée de vie du parc.

Elle s’inscrit dans la continuité de la construction tarifaire actuelle puisque, depuis 2000, la CRE calcule les coûts de production d’EDF à couvrir par les tarifs réglementés de vente en tenant compte des dotations aux amortissements et d’une rémunération normale de la valeur nette comptable.

Au premier semestre 2013, la CRE, en préparation de son analyse tarifaire et dans un souci de transparence des coûts, mais aussi pour répondre à un souhait de la ministre chargée de l’énergie de l’époque, Mme Delphine Batho, a réalisé un exercice inédit dans lequel elle a analysé tant pour le passé, de 2007 à 2012, que pour le futur, de 2013 à 2016, les évolutions de l’ensemble des postes des coûts de production et de commercialisation supportés par EDF. Cette étude portait donc pour une part importante sur les coûts de production nucléaire et apportait une visibilité pluriannuelle éclairée notamment par les contraintes industrielles et techniques de l’entreprise.

Lors de la présentation de ce rapport, j’ai indiqué que nous procéderions à des analyses complémentaires portant notamment sur les coûts de production du nucléaire, en lien avec les missions conférées à la CRE par le code de l’énergie. Nous en sommes à ce stade. Ce que je vous dirai ce matin correspond à ce que nous savons à l’heure actuelle. Nous en saurons plus dans les semaines et les mois qui viennent, puisque nous publierons un nouveau rapport d’ici au mois de juin 2014.

Les informations dont nous disposons n’étant pas tout à fait complètes, je ne pourrai vous livrer ce matin que des orientations. Nous restons bien entendu à la disposition de la commission d’enquête pour lui fournir les éléments complémentaires que nous aurons établis au fil des mois.

M. le président François Brottes. Je vous confirme que nous vous ferons revenir !

M. Philippe de Ladoucette. Je l’avais bien compris, monsieur le président !

S’agissant des coûts du passé, la CRE ne fait que se référer aux travaux de la Cour des comptes, sans y ajouter d’élément particulier.

S’agissant des coûts d’investissement, à l’instar des coûts du passé, il convient de distinguer l’enveloppe globale annuelle de dépenses d’investissement et son mode de répercussion dans les tarifs ou dans le prix de l’ARENH, ce dernier dépendant de la politique d’amortissement choisie et de la rémunération attendue pour ces investissements.

M. le président François Brottes. Peut-être pourriez-vous préciser ce qu’est l’ARENH.

M. Philippe de Ladoucette. Le dispositif d’« accès régulé à l’énergie nucléaire historique » institué par la loi NOME contraint l’entreprise EDF à vendre à ses principaux concurrents une partie de sa production nucléaire à un prix déterminé et pour un volume plafonné à 100 TWh par an. Dans la mesure où seul le nucléaire historique est concerné, le prix est calculé sur la production des centrales amorties, pas sur les centrales en construction comme l’EPR.

Pour en revenir aux coûts d’investissement, le lien entre les montants de dépenses que j’exposerai ci-après et le coût de production n’est ni direct ni immédiat.

Le poids des investissements dans le coût de production nucléaire s’est considérablement accru depuis quelques années pour trois raisons principales : la nécessité d’assurer la conformité des équipements des centrales et le déploiement d’un référentiel de sûreté toujours plus exigeant ; le remplacement des gros composants qui arrivent en fin de vie technique (générateurs de vapeur, alternateurs, transformateurs, etc.) ; l’obligation de mettre en œuvre les prescriptions émises par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) à la suite de l’accident de Fukushima.

Premièrement, les investissements liés aux visites décennales et aux autres arrêts de tranche augmentent d’environ 10 % par an depuis 2007. Le contenu des visites se densifie du fait de l’augmentation des contraintes du référentiel de sûreté et la tendance devrait se poursuivre dans le futur, le référentiel de sûreté n’ayant pas vocation à s’alléger. En 2013, ces investissements représentent un montant de l’ordre de 1,1 milliard d’euros. Ils devraient continuer d’augmenter d’environ 14 % par an, l’exploitant disposant de peu de marges de manœuvre pour ces investissements de sûreté.

Deuxièmement, les investissements réalisés dans le cadre du programme de remplacement des gros composants du parc nucléaire ont augmenté de 30 % par an depuis 2007 ; ce programme devrait se poursuivre à un rythme soutenu dans les années à venir. À la fin de 2012, les générateurs de vapeur, principal poste de coût puisqu’ils représentent près des deux tiers de l’ensemble, ont été remplacés dans vingt-deux des cinquante-huit tranches nucléaires. Ces investissements s’élèvent, pour 2013, à 1,2 milliard d’euros. La CRE en anticipe une croissance tendancielle dans les prochaines années de l’ordre de 5 % par an, tendance qui peut cacher de fortes disparités d’une année sur l’autre et qui peut encore largement évoluer dès lors que de nouveaux arbitrages industriels seraient pris par EDF.

Troisièmement, les investissements consécutifs à l’accident nucléaire de Fukushima sont estimés à un peu plus de 10 milliards d’euros en valeur 2010 et devraient s’étaler sur les dix à quinze prochaines années. Les discussions entre EDF et l’ASN portant sur le calendrier de mise en œuvre des préconisations de sûreté de cette dernière – en particulier la mise en place du diesel d’ultime secours et du centre de crise local – sont toujours en cours. Elles auront naturellement un impact sur le calendrier d’engagement des dépenses futures correspondantes. La CRE avait estimé dans son rapport de juin 2013 que ce poste d’investissement représenterait 650 millions d’euros au titre de l’année 2013 et anticipait une accélération de la hausse sur les trois prochaines années. Ce scénario pourrait toutefois se voir modifié en fonction du résultat des discussions avec l’ASN.

Enfin les autres investissements, liés notamment aux mesures de protection de l’environnement, de prévention des incendies et de constitution de pièces de rechange stratégiques, ont augmenté de 17 % par an depuis 2007. Ils représentent 1,2 milliard d’euros en 2013. Ce poste d’investissement comporte également les investissements de maintenance courante et de contrôles planifiés, ces derniers étant désormais immobilisés à compter de 2012 au lieu d’être comptabilisés comme des dépenses courantes.

Plus généralement, EDF a amorcé depuis 2012 un programme de requalification de certaines dépenses d’exploitation en dépenses d’investissement. Ce transfert ne modifie pas le montant total des dépenses annuelles, mais a un impact comptable puisqu’il améliore le résultat de l’entreprise.

En conclusion, en termes de dépenses d’investissement, la hausse moyenne observée sur la période 2007-2012 a été de l’ordre de 16 % par an, traduisant une reprise massive des investissements après une assez longue période de baisse de la fin des années 1990 au milieu des années 2000.

Avant d’aborder la question des coûts d’exploitation, il est nécessaire de dire quelques mots des volumes de production, qui constituent une importante source de variation du coût unitaire. Les années 2000-2010 ont vu se multiplier des avaries génériques sur certains gros composants, comme les générateurs de vapeur ou les turboalternateurs, consécutives d’une baisse sensible des investissements que je viens d’évoquer. Ces avaries ont eu pour conséquence une baisse significative de la production du parc nucléaire et, par voie de conséquence, de sa rentabilité.

Cette situation s’est nettement redressée en 2011 et 2012. Les investissements de maintenance, qui ont repris à un rythme soutenu, commencent à porter leurs fruits et devraient se maintenir à l’avenir compte tenu des niveaux d’investissement que l’entreprise envisage de consentir pour le maintien en condition opérationnelle de son outil de production.

En revanche, c’est désormais l’ampleur des travaux à conduire lors des arrêts de tranche dans le cadre des opérations de grand carénage – avec la poursuite des opérations de remplacement de gros composants, le renforcement des référentiels de sûreté et le déploiement des mesures faisant suite à l’accident nucléaire de Fukushima – qui devrait devenir à l’avenir le facteur limitant de la disponibilité du parc.

Je rappelle qu’une baisse de 5 TWh de la production nucléaire occasionne une augmentation des coûts de l’ordre de 50 centimes d’euro par MWh.

J’en viens maintenant aux coûts d’exploitation.

Les charges d’exploitation sont inhérentes à la production. Elles correspondent aux charges auxquelles l’entreprise doit faire face chaque année et comportent plusieurs composantes que je vais successivement examiner.

La composante « coût du combustible », tout d’abord, recouvre plusieurs éléments.

D’abord le coût du combustible lui-même, consommé pour produire les TWh de l’année. Il est valorisé au coût moyen du stock de combustible et reflète la stratégie pluriannuelle d’approvisionnement en uranium d’EDF, avec un décalage dans le temps compte tenu du temps de passage du combustible en réacteur. La période 2010-2012 a vu arriver à échéance un certain nombre de contrats d’approvisionnement à des prix inférieurs aux prix de marché, avec des conséquences à la hausse sur le coût amont du combustible. Cette tendance va vraisemblablement se poursuivre dans le futur étant donné la hausse des coûts d’approvisionnement d’uranium.

Ensuite le coût de traitement aval, qui correspond aux dotations aux provisions pour les prestations de l’aval du cycle. Une révision des coûts de stockage ou de démantèlement – par exemple la révision du devis du stockage profond de Bure – aurait des répercussions sur ce poste.

Au total, le coût du combustible, qui a été de l’ordre de 5 euros par MWh en 2013, devrait vraisemblablement avoisiner les 7 euros par MWh en 2015. Pour donner un ordre de grandeur, je rappelle que le prix de l’ARENH est aujourd’hui de 42 euros par MWh.

La composante « charges de personnel » est en forte augmentation – près de 6 % par an sur les cinq dernières années –, sous l’action combinée, d’une part, du renforcement et de la densification du programme de maintenance, qui entraîne une augmentation structurelle des embauches pour absorber la charge de travail, et, d’autre part, du renouvellement des compétences : les pyramides des âges de l’industrie nucléaire sont actuellement très déséquilibrées, avec un départ en inactivité massif d’un personnel essentiellement recruté dans les années 1970-1980. Afin de maintenir un niveau de compétence compatible avec les exigences de l’Autorité de sûreté, et compte tenu des durées de formation très longues dans les métiers du nucléaire, il est nécessaire de procéder à une anticipation du tuilage avec du personnel jeune sur une longue durée.

L’augmentation des salaires – due à la hausse du salaire de base et à la professionnalisation croissante des effectifs – et l’évolution des charges sociales ont également joué un rôle significatif dans l’augmentation de ce poste de coût, qui représente en 2013 un peu moins de 7,50 euros par MWh.

La tendance haussière devrait se poursuivre jusqu’en 2015, pour se stabiliser ensuite, une fois résorbée la problématique du renouvellement des compétences.

La composante « achat de prestations de maintenance » concerne à la fois les dépenses d’exploitation, de maintenance des centrales et de déconstruction. Une part significative de ces dépenses a été requalifiée en investissement, comme je l’ai indiqué. Toutefois, pour des raisons de compréhension et de cohérence avec les données historiques, les éléments d’appréciation que je donne ici ne tiennent pas compte de cet effet comptable.

La composante hors déconstruction, qui représente 2,4 milliards d’euros en 2013, est essentiellement composée de dépenses de prestations de main-d’œuvre et constitue donc une approximation des dépenses de sous-traitance. Elle a significativement augmenté depuis 2007, de 6,5 % par an, sous le double effet de l’augmentation du volume de maintenance en lien avec l’augmentation des investissements dans le parc nucléaire – pour deux tiers de la hausse – et du prix des prestations – pour le tiers restant. Cette hausse devrait vraisemblablement se poursuivre à l’avenir dans les mêmes proportions, même si une partie de la dépense vient désormais augmenter l’enveloppe de dépenses d’investissement.

Au total, hors requalification comptable, ce poste pèse environ 7 euros par MWh.

Le dernier poste du coût d’exploitation, sur lequel je ne m’étendrai pas, recouvre les impôts et taxes, dont le poids est de l’ordre de 3 à 4 euros par MWh.

Bien que la CRE n’ait pas de compétence particulière en la matière, je veux également aborder la question des coûts de démantèlement, de retraitement et de stockage à long terme des déchets

L’article 20 de la loi du 28 juin 2006 de programme relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs impose à tout exploitant d’une installation nucléaire de base l’obligation de couvrir les charges futures nucléaires par un portefeuille d’actifs dédiés. Le niveau des actifs est donc directement lié au montant actualisé des charges futures, soit le niveau provisionné au bilan de l’exploitant. Le temps vient affecter, dans un régime normal, les provisions et les actifs dédiés en augmentant le niveau des charges futures chaque année par le jeu de la désactualisation, tout en augmentant en parallèle le niveau des actifs dédiés par leur propre rendement. Le niveau du taux d’actualisation est réglementé pour en assurer une estimation prudente. L’opérateur constitue son portefeuille d’actifs dédiés pour que le taux de rendement attendu corresponde au taux d’actualisation, dans le respect des textes réglementaires.

Le calage du niveau légal des actifs dédiés sur le niveau des provisions a donc pour effet de répercuter toute modification du niveau des provisions sur le niveau des actifs dédiés à constituer. En d’autres termes, toute révision du devis de démantèlement aura pour conséquence l’obligation pour EDF de constituer des actifs dédiés supplémentaires.

À ce jour, sur la base du devis actuel, le niveau des actifs dédiés spécifié par la loi a été atteint par EDF, notamment par l’intégration à ce portefeuille de la moitié du capital de RTE (Réseau de transport d’électricité) et de la créance d’État concernant la CSPE (contribution au service public de l’électricité).

La Cour des comptes s’étant livrée dans son rapport à une analyse très détaillée des dépenses liées au démantèlement et à la gestion à long terme des déchets nucléaires, je n’irai pas plus loin sur ce sujet.

Enfin, si l’on appliquait la méthode que nous avions proposée dans le cadre de notre avis de mai 2011 – et sans préjuger des décisions du Gouvernement dans le décret à venir définissant les modalités de calcul de l’ARENH –, le montant de l’ARENH serait supérieur d’environ 10 % à celui qui est en vigueur aujourd’hui.

M. le président François Brottes. Cette annonce d’une hausse de 10 % de l’ARENH ne manquera pas d’être relevée par les acteurs intéressés.

Les tarifs réglementés de vente de l’électricité sont fixés pour couvrir les coûts de production du fournisseur historique. La CRE, qui est en quelque sorte le principal gendarme dans ce domaine, les élabore en lien avec le Gouvernement mais il est devenu habituel qu’ils soient contestés. Le Conseil d’État a même annulé certains arrêtés tarifaires. Le moins que l’on puisse dire est que le dispositif n’est pas d’une grande clarté pour le non-initié !

M. Denis Baupin, rapporteur. Votre intervention, monsieur le président de Ladoucette, confirme ce que le rapport de la CRE avait mis en exergue : nous sommes dans une période d’augmentation significative des coûts de fonctionnement des centrales nucléaires. Il convenait de le rappeler : derrière la notion comptable d’« amortissement » du parc nucléaire, qui laisse à penser que le système continue de fonctionner sans encombre, on s’aperçoit que le parc coûte de plus en plus cher.

Peut-on parler, au sujet de la longue période de baisse des investissements que vous avez mentionnée et qui s’est traduite par des avaries génériques, de sous-investissement ? Le coût de la production nucléaire n’a-t-il pas été maintenu à un niveau artificiellement bas, ce que nous payons maintenant au prix fort ?

Le taux de disponibilité des centrales n’a cessé de baisser, passant en dessous des 80 % en 2013 alors que le président d’EDF avait fixé un objectif de 85 %. On invoque des opérations de maintenance plus longues que prévu, ce qui dénote les difficultés de l’entreprise à gérer ses périodes d’investissement. La situation, selon vous, s’est redressée. Pourriez-vous étayer cette affirmation que les chiffres ne démontrent pas ? Quelles sont les conséquences de la baisse de la disponibilité sur les coûts ? Comme vous l’avez souligné, une diminution des recettes pèsera aussi sur la rentabilité du parc industriel.

S’agissant des investissements à venir, vous avez évoqué les opérations de grand carénage prévues par EDF pour prolonger la durée de vie des centrales jusqu’à quarante ans mais vous n’avez pas cité de chiffre. On a parlé de 50 milliards d’euros. Faites-vous la même évaluation ? Faut-il ajouter à ce montant les 10 milliards d’investissements que représentent les opérations complémentaires de sûreté décidées après Fukushima ? Quel pourrait être le montant total après que l’Autorité de sûreté nucléaire aura fixé un référentiel de sûreté pour une éventuelle prolongation de centrales au-delà de quarante ans ?

La sous-traitance dans le domaine nucléaire, souvent évoquée par l’ASN, atteint parfois huit niveaux successifs. Les conséquences sur la sécurité des personnes et la sûreté des équipements peuvent être préoccupantes. Avez-vous étudié cette sous-traitance – étant entendu que le renouvellement de personnel que vous évoquez ne concerne sans doute qu’EDF – et sa traduction en matière de coûts ? L’entreprise en tire à l’évidence un gain, mais peut-être subit-elle aussi des conséquences négatives : il est souvent rapporté que des incidents survenant dans les centrales sont dus à l’insuffisance de la formation des personnels.

En matière de sécurité des installations, la presse s’est largement fait l’écho de la facilité avec laquelle des militants de Greenpeace ont pu pénétrer dans plusieurs centrales. Des programmes de renforcement de la sécurité ont été annoncés – conformément, du reste, à l’objectif poursuivi par l’association. Quel sera leur coût ?

Enfin, au-delà de l’évolution tarifaire de l’ARENH que vous avez évoquée, je relève que le Gouvernement n’a pas totalement suivi les préconisations que vous formuliez dans votre dernier rapport concernant la hausse des tarifs réglementés appliqués aux consommateurs : il a retenu une hausse de deux fois 5 % et souhaite un plafonnement plus important à l’avenir. Quelles seraient, pour l’entreprise EDF, les conséquences d’un plafonnement plus sévère que celui que vous recommandez ?

M. le président François Brottes. En matière de sécurité au sens large, il faut distinguer les dépenses liées à la sécurisation des sites, les dépenses de sûreté destinées à prévenir les incidents techniques en renouvelant certains équipements, et les dépenses dites « post-Fukushima », qui concernent la gestion de crise en cas de défaillance, avec, par exemple, les générateurs permettant de maintenir une alimentation électrique. Il faut bien dissocier les problèmes, même si, au bout du compte, on obtient une addition !

M. Philippe de Ladoucette. Certaines questions excèdent sans doute la compétence de la CRE.

On a pu constater en effet, monsieur le rapporteur, entre la fin des années 1990 et le milieu des années 2000, une baisse des investissements par rapport à la période précédente et un sous-investissement par rapport à la période suivante. Mais c’était également le cas des investissements dans les réseaux, notamment de distribution.

Quant à savoir s’il s’agissait d’un moyen pour diminuer le coût du nucléaire, je ne peux porter aucun jugement. La CRE ne peut que faire le constat factuel du manque d’investissement dans cette période ; elle n’a pas de compétence pour en juger les causes.

Le débat sur le taux de disponibilité des centrales françaises est ancien. Il fut un temps où ce taux était de 82 ou 83 %, très inférieur à celui des centrales américaines ou belges, par exemple, qui tournent en général à 90 %. La raison en est connue : contrairement à ce qui se passe à l’étranger, nous n’utilisons pas seulement nos centrales en base mais aussi en semi-base. Néanmoins, nous sommes actuellement en dessous de 80 %. J’ai exposé ce qui explique les problématiques de maintenance présente et future, mais c’est l’entreprise elle-même qui est la plus compétente pour répondre aux questions sur le taux de disponibilité. La CRE se contente de constater.

M. le président François Brottes. Il est tout de même possible de distinguer entre indisponibilité choisie et indisponibilité subie. Avez-vous des éléments à ce sujet ?

M. Philippe de Ladoucette. Je pourrai vous les transmettre. La CRE ayant aussi pour mission de surveiller le marché de gros, elle se doit de déterminer, à chaque arrêt intempestif, s’il n’y a pas suspicion de rétention de production. Toute modification du programme des arrêts du fait d’un incident ou d’un événement non prévu nous amène à demander des explications à l’opérateur, et celui-ci nous les donne. Cela dit, notre activité de surveillance des marchés n’a jamais mis en évidence une volonté de manipulation du marché de la part d’EDF de ce point de vue-là, depuis cinq ou six ans que nous exerçons cette compétence et que nous consacrons un rapport annuel à ce sujet.

M. le rapporteur. Autrement dit, l’augmentation des arrêts fortuits, très significative en 2013 par rapport à 2012, n’est pas liée à une volonté de l’entreprise mais bien à des incidents intervenus dans les centrales.

M. Philippe de Ladoucette. Il y a moins d’arrêts fortuits aujourd’hui et plus d’arrêts programmés. Les avaries que l’on a constatées sont la conséquence d’un manque d’investissements durant la période que j’ai évoquée.

Concernant le grand carénage, nous ne disposons pas d’autres chiffres que ceux qu’EDF a communiqués, à savoir 55 milliards d’euros d’ici à 2025, les 10 milliards des mesures post-Fukushima étant inclus dans ce montant. Il se peut que nous ayons des données complémentaires dans les semaines ou les mois qui viennent.

Par ailleurs, les coûts de maintenance – 2,4 milliards d’euros en 2013 – sont essentiellement constitués de dépenses de prestation de main-d’œuvre. Le montant indiqué est donc une approximation des dépenses de sous-traitance. J’ai indiqué que ce poste avait significativement augmenté depuis 2007 – de l’ordre de 6,5 % par an – sous le double effet de l’augmentation du volume de maintenance et du prix des prestations. Son coût est d’environ 7 euros par MWh.

Je n’ai pas d’éléments particuliers, en revanche, au sujet des évolutions en matière de sécurité des installations et des coûts qui en résulteront. Comme je l’ai dit, nous sommes en train d’approfondir les chiffres avec EDF. Si nous avons des éléments nouveaux, nous vous les communiquerons.

Pour ce qui est de l’évolution future du prix de l’ARENH, monsieur le président, permettez-moi de rétablir la teneur exacte de mes propos : ce que j’ai dit est que, si l’on devait recalculer le prix de l’ARENH aujourd’hui selon la même méthode que celle que nous avons appliquée en 2011, le résultat serait, toutes choses égales par ailleurs, une hausse de l’ordre de 10 %. Rien ne dit que le décret conservera cette méthode et je ne fais aucune prévision sur le prix futur de l’ARENH.

La loi NOME prévoit également que la construction des tarifs réglementés sera modifiée à partir du 1er janvier 2016 au plus tard et se fera alors par empilement, la première brique de cet empilement étant le prix de l’ARENH auquel s’ajouteraient le complément de 20 % – que l’on trouverait peut-être sur le marché, peut-être autrement –, les coûts de commercialisation, le coût du marché de capacités et l’acheminement. Ce nouveau dispositif devrait être, sinon tout à fait lisible, du moins plus compréhensible.

Ainsi, après l’annonce faite par le Gouvernement de la hausse pour 2014, il reste une inconnue pour 2015 mais la construction des tarifs pour 2016 sera assez claire. J’ignore – sinon par des « fuites » parues dans la presse – quelles sont les intentions du Gouvernement. Je pense qu’il attendra de connaître précisément la nature des besoins, notamment de couverture, et la réalité des coûts.

M. Yves Blein. Comment évolueront les amortissements compte tenu des investissements à venir ? Quelles sont les durées d’amortissement prises en compte dans la fixation du tarif de l’ARENH ? Quel pourcentage – au même titre, par exemple, que le combustible – représentent-elles dans le coût par MWh ?

M. Bernard Accoyer. Je souhaite que nos auditions permettent d’établir un panorama plus exhaustif. Le rapporteur cible ses questions en fonction d’une arrière-pensée précise, qu’il partage avec les membres de son groupe : la remise en cause de l’énergie nucléaire elle-même. Étant donné cette position de parti pris, il serait utile que notre commission d’enquête dispose d’éléments comparatifs.

Je serais donc heureux que le président de Ladoucette nous éclaire sur les coûts respectifs de l’électricité d’origine éolienne, solaire, hydraulique, etc. Je ne doute pas qu’il a des chiffres à ce sujet, comme il en a sur ces points essentiels que sont la sécurité en général et la sécurité des approvisionnements.

En outre, quelles seraient les conséquences – y compris financières – si la France en venait à ne plus respecter ses objectifs en matière de rejets de gaz à effet de serre ? Quelle perspective tracer si, comme certains le souhaitent, on procédait à un démantèlement du parc nucléaire plus important que celui de la centrale de Fessenheim ?

M. Jean-Pierre Gorges. La France se fait une spécialité, chaque fois que survient un accident, de tout transformer. Pourriez-vous, à cet égard, détailler les opérations prévues à la suite de l’accident de Fukushima ?

Notre commission d’enquête étant consacrée aux coûts, nous devons pouvoir établir des comparaisons. Dans la plupart des modes de production d’électricité, le dispositif comprend la source d’énergie en amont – chaudière, etc. –, une turbine, des générateurs et un système de distribution. Existe-t-il une analyse détaillée des coûts par type de production ? Même si le terme fait peur à tout le monde, une centrale nucléaire, par exemple, n’est pas très différente d’une centrale thermique : il existe dans l’un et l’autre cas une chaudière, une turbine et des générateurs, à tel point qu’une grande partie de la fabrication est la même. Et l’on voit aujourd’hui refleurir des centrales thermiques au fioul – plutôt en France – et au charbon – surtout en Allemagne. La partie mécanique constituée par les turbines et les générateurs n’a rien à voir avec le nucléaire. Peut-être un défaut d’entretien est-il le moyen de masquer des coûts : quoi qu’il en soit, j’aimerais que la commission d’enquête parvienne à obtenir un état analytique des coûts. S’agissant des centrales thermiques, il faut comptabiliser l’ensemble comprenant l’extraction du combustible, son acheminement, ainsi que tous les coûts afférents à la pollution provoquée par les installations.

Il ne serait pas inutile, d’ailleurs, que nous disposions de schémas explicitant les composantes des systèmes de production. On verrait ainsi que tous les dispositifs, y compris les éoliennes, ont des éléments communs. Si nous ne réalisons pas ce travail d’analyse, nous ne parviendrons à rien. Nous risquons au contraire d’« enfumer » les gens.

M. Philippe de Ladoucette. Ce ne sont pas là des questions simples. Les travaux de la CRE – qui dispose d’une large expertise en ce domaine puisqu’elle fait la plupart des appels d’offres – ont néanmoins permis d’établir des éléments d’évaluation du coût de développement des énergies renouvelables. Ainsi, le tarif d’achat de l’éolien terrestre est aujourd’hui de l’ordre de 80 euros par MWh, celui de l’éolien en mer de 200 euros. Pour les installations photovoltaïques au sol avec dispositif de suivi de la courbe du soleil, le tarif des parcs les moins chers est d’environ 95 euros par MWh dans le dernier appel d’offres que la CRE est en train d’instruire. Pour les petites installations résidentielles, les tarifs actuels sont d’environ 150 euros par MWh s’agissant de la technologie standard d’intégration simplifiée et de 300 euros s’agissant de l’intégré au bâti. Le tarif de l’électricité produite à partir de la biomasse varie entre 130 et 180 euros par MWh en fonction de la technologie. Pour la cogénération – fonctionnement en « chaleur fatale » –, le tarif est de 130 euros par MWh. Il est de l’ordre de 60 euros par MWh pour les petits ouvrages hydrauliques. Quant à l’électricité produite par les centrales thermiques, son prix est public et facile à trouver.

M. le président François Brottes. Parle-t-on ici des mégawattheures produits ou des mégawattheures consommés ?

M. Philippe de Ladoucette. Il s’agit des mégawattheures produits.

S’agissant des conséquences du non-respect des objectifs de rejets de gaz à effet de serre, monsieur Accoyer, les textes n’établissent pas encore très clairement les sanctions. Vous trouverez certainement plus compétent que moi pour répondre à cette question.

Pour ce qui est des opérations « post-Fukushima », c’est à l’Autorité de sûreté nucléaire qu’il revient de déterminer la nature précise et le calendrier – mais non le montant – des investissements à réaliser. Le calendrier est d’ailleurs en cours de discussion entre EDF et l’ASN, pour déterminer si l’échéance sera de dix ou de quinze ans. Je ne peux donc aller plus loin que ce que je vous ai indiqué tout à l’heure.

La durée d’amortissement comptable des centrales nucléaires, monsieur Blein, a déjà été portée de trente à quarante ans en 2003. Cette disposition s’est accompagnée, dans les années qui ont suivi, d’autorisations techniques délivrées par l’ASN tranche nucléaire par tranche nucléaire. Aujourd’hui, la durée d’exploitation prévue est de quarante ans pour l’ensemble du parc. Le passage de trente à quarante ans d’exploitation a nécessité la réalisation de plusieurs investissements, notamment des investissements de sûreté mais pas uniquement.

La durée de vie industrielle d’un générateur en exploitation, par exemple, est de trente ans, ce qui correspond à la durée de fonctionnement prévue initialement pour une centrale nucléaire. Au-delà de trente ans, les conditions d’extraction de chaleur du circuit primaire vers le circuit secondaire deviennent de plus en plus délicates, jusqu’à altérer significativement la production de la centrale – d’où l’avarie générique observée sur les générateurs de vapeur dans les années 2000-2010, qui a très fortement affecté la disponibilité du parc nucléaire dans cette période. Ces avaries sont susceptibles de poser une problématique de sûreté nucléaire, puisque le générateur de vapeur est à la jonction entre le circuit primaire, qui extrait la chaleur du combustible, et le circuit secondaire de puissance, qui alimente le turboalternateur et produit l’énergie.

Il s’agit donc d’un poste majeur du coût du programme d’investissement « grand carénage » dans la perspective d’une prolongation à cinquante ou soixante ans. À ce jour, je le répète, vingt-deux des cinquante-huit tranches nucléaires ont été équipées de générateurs de vapeur neufs. Mais on peut également dire que ce remplacement pourrait déjà se justifier pour une prolongation à quarante ans, sachant que l’âge moyen du parc est aujourd’hui de vingt-huit ans seulement.

Je suis bien conscient de ne pas avoir répondu à l’ensemble de votre question, monsieur Blein. Sur ce sujet complexe, le mieux est que vous interrogiez directement l’entreprise EDF.

M. le rapporteur. Pour en revenir à la question de M. Accoyer, la France a pris des engagements tant en matière d’émissions de gaz à effet de serre qu’en matière de production d’énergie renouvelable. Je pense que le niveau de sanction serait le même si nous ne tenions pas les engagements du paquet énergie climat, adopté sous la présidence de M. Sarkozy et durant la présidence française de l’Union européenne.

Pourriez-vous, monsieur de Ladoucette, compléter votre réponse en fournissant une évaluation du coût du MWh produit par l’EPR de Flamanville, y compris au regard des accords récents passés par EDF en Grande-Bretagne pour produire le même type de réacteur – moyennant une garantie de trente-cinq ans, ce qui est phénoménal ?

Par ailleurs, quel poids représente l’assurance dans les comptes d’EDF et dans le prix du MWh produit par les centrales nucléaires, vu l’évaluation du coût des accidents ? Toutes les autres énergies sont, à ma connaissance, assurées. J’imagine que c’est également le cas, en proportion, concernant le nucléaire.

M. Philippe de Ladoucette. Nous n’avons pas encore fait d’évaluation très précise des coûts de l’électricité de l’EPR pour deux raisons. Premièrement, ce réacteur n’étant pas en exploitation, il n’entre pas dans le calcul de la couverture des coûts des tarifs réglementés ; autrement dit, les tarifs réglementés ne paient pas l’EPR. Deuxièmement, l’ARENH ne concerne par définition que le nucléaire historique. Nous devrions cependant disposer d’éléments complémentaires – que nous vous communiquerons – avant la remise de notre rapport au mois de juin.

D’autre part, seuls les coûts des assurances payées par EDF sont pris en compte dans les coûts de production. Dans la mesure où l’État assure aujourd’hui gratuitement une partie du risque responsabilité civile en cas d’accident, les montants sont faibles.

M. le rapporteur. Cela méritait d’être dit…

M. le président François Brottes. L’État est souvent son propre assureur. Cela n’est pas inhérent au nucléaire.

M. le rapporteur. Sauf erreur de ma part, EDF n’est pas une entreprise d’État.

Cela étant, je ne vois pas d’inconvénient à ce que l’État prenne en charge une partie des coûts des différentes énergies, pour peu que l’on fasse la comparaison. Nous interrogerons tout à l’heure la Cour des comptes sur la part des coûts pris en charge par la collectivité et non par l’exploitant.

M. Philippe de Ladoucette. L’entreprise Charbonnages de France, que j’ai présidée, était son propre assureur en cas d’accident.

M. le président François Brottes. J’en reviens à la question de l’amortissement. Vous avez évoqué les actifs destinés à couvrir le démantèlement et le sujet des déchets. Cela étant, la modification de la durée d’exploitation d’une centrale change la donne quant à la prise en charge des coûts d’amortissement. Même s’il y a des investissements nouveaux, les investissements d’origine ne courent pas de la même façon. La CRE a forcément réalisé des simulations.

M. Philippe de Ladoucette. Elle en a réalisé une pour l’évolution des tarifs réglementés : nous avons estimé dans notre rapport que la prolongation de la durée de vie comptable des centrales nucléaires faisait baisser le besoin d’augmentation des tarifs réglementés de 2,6 points.

M. le président François Brottes. Autrement dit, les évolutions tarifaires indiquées intègrent une prolongation de la durée de vie des centrales…

M. Philippe de Ladoucette. Non. Nous avions une hypothèse avec prolongation et une hypothèse sans prolongation. Dans les avis que nous avons formulés à l’intention du Gouvernement, nous nous en sommes tenus à la seconde.

M. le président François Brottes. Que dit la trajectoire actuelle ?

M. Philippe de Ladoucette. Elle ne prend pas en compte les prolongations.

M. le rapporteur. Il est évidemment plus rentable d’amortir un équipement sur cinquante ans que sur quarante ans, à ceci près que les générateurs de vapeurs ont été construits pour trente ans. Une fois cet âge atteint, les avaries se sont multipliées, ce qui n’a pas été sans conséquences sur la sûreté. Sachant que certains éléments des centrales nucléaires, telles la cuve ou l’enceinte de confinement, ne peuvent être modifiés, la prolongation du fonctionnement est certes plus rentable sur le plan comptable, mais cela peut se révéler beaucoup moins intéressant si les avaries se multiplient en accroissant les risques. Ce n’est un hasard si l’avis de l’ASN est requis avant toute prolongation !

Compte tenu de ces incertitudes, estimez-vous raisonnable d’amortir des équipements dont rien ne garantit qu’ils tiendront au-delà de quarante ans ?

M. le président François Brottes. Je ne suis pas sûr que vous puissiez répondre précisément à cette question, monsieur de Ladoucette !

M. Philippe de Ladoucette. En effet ! Si la CRE devait émettre un avis sur le sujet, elle le ferait en formation collégiale. Mais je ne vois pas sur quoi elle pourrait se fonder : elle n’a pas assez de compétences.

M. le président François Brottes. En effet, le régulateur fait des comptes et des comparaisons mais il ne peut se substituer ni à l’ASN, ni à l’IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire), ni à l’entreprise elle-même.

M. Jean-Pierre Gorges. J’ai fait dans ma ville une expérience similaire : l’installation de chauffage urbain, prévue pour cinquante ans, présente des signes d’usure au bout de quarante ans. Les nouvelles installations intégreront cette dimension. Lorsque les dispositifs technologiques sont conçus pour cette durée, il y a des ingénieurs pour réfléchir aux évolutions. Les cuves et les chaudières évolueront, de même que les avions ou les voitures évoluent. Tout bouge ! Il n’est pas du tout objectif de critiquer un système en le figeant au moment où il a été inventé. Si, au contraire, on continue d’investir dans la filière, il y a de grandes chances pour que les techniques s’améliorent. On le voit en médecine, en informatique, dans tous les secteurs de la technologie. Je ne comprends pas l’intervention du rapporteur !

M. le rapporteur. L’objectif de notre commission d’enquête est précisément d’établir un état des lieux afin que d’éventuelles prolongations se fassent dans la transparence en matière de coûts et de risques. Mon but est d’obtenir les informations et non de considérer par avance, comme le font certains, qu’il serait facile et simple de poursuivre. Il est important d’éclairer les parlementaires avant l’ouverture du débat sur la transition énergétique. Nous devons savoir à quoi il faut s’attendre s’il est décidé de prolonger certains réacteurs.

M. Jean-Pierre Gorges. C’est pourquoi j’en appelle à une approche plus analytique. Beaucoup de gens pensent que le panache qui s’échappe des centrales nucléaires est de la fumée et non de la vapeur d’eau ! Il est important d’expliquer que le dispositif est en fait très proche de celui d’une centrale thermique, avec de nombreux composants communs. Le principe de base est très simple et certains éléments s’améliorent, même s’il faut peut-être continuer de travailler sur une partie d’entre eux. Il est faux de dire qu’au bout de trente ans tout se fissure ! Les techniques progressent. Le revêtement du bassin des piscines, par exemple, est maintenant en inox alors qu’il était auparavant en carrelage. Bref, toute une partie des infrastructures peut continuer de vivre trente ou quarante ans, voire beaucoup plus.

M. le président François Brottes. Il est normal et utile que le débat s’engage entre les membres de la commission, de manière à identifier quelle définition chacun d’entre nous met derrière les mots.

M. Yves Blein. Connaît-on la part du poste que représente l’amortissement dans les coûts de revient des différents modes de production d’énergie ?

M. Philippe de Ladoucette. Oui. Je vous transmettrai les chiffres.

M. le président François Brottes. Je vous remercie, monsieur le président, et vous donne d’ores et déjà rendez-vous pour une deuxième audition.

L’audition s’achève à dix heures cinquante.

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Membres présents ou excusés

Commission d’enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d’exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l’électricité nucléaire, dans le périmètre du mix électrique français et européen, ainsi qu’aux conséquences de la fermeture et du démantèlement de réacteurs nucléaires, notamment de la centrale de Fessenheim

Réunion du jeudi 9 janvier 2014 à 9 h 30

Présents. - M. Bernard Accoyer, M. Christian Bataille, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Philippe Baumel, M. Denis Baupin, M. Yves Blein, M. François Brottes, Mme Sabine Buis, M. Jean-Louis Costes, M. Jean-Pierre Gorges, M. Jacques Krabal, Mme Sylvie Pichot, M. Patrice Prat, M. Stéphane Travert, Mme Clotilde Valter

Excusés. - M. Damien Abad, M. Patrice Carvalho, M. Hervé Gaymard, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, M. Michel Sordi