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Commission d’enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d’exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l’électricité nucléaire, dans le périmètre du mix électrique français et européen, ainsi qu’aux conséquences de la fermeture et du démantèlement de réacteurs nucléaires, notamment de la centrale de Fessenheim

Jeudi 9 janvier 2014

Séance de 10 h 30

Compte rendu n° 3

Présidence de M. François Brottes Président

– Audition de M. Gilles-Pierre Levy, président de chambre à la Cour des comptes et Mme Michèle Pappalardo, conseiller-maître

L’audition débute à dix heures cinquante-cinq.

M. le président François Brottes. Nous avons le plaisir d’accueillir M. Gilles-Pierre Levy, président de chambre à la Cour des comptes, et Mme Michèle Pappalardo, conseiller maître.

C’est sous votre égide, monsieur, madame, qu’a été élaboré le rapport public thématique sur les coûts de la filière électronucléaire que la Cour des comptes a publié en janvier 2012. Ce rapport, qui a fait grand bruit à l’époque, fait désormais partie des ouvrages de référence pour quiconque s’intéresse à l’économie de la filière nucléaire. Le travail approfondi et précis de la Cour a permis de clarifier nombre de points importants. Cependant, les incertitudes qui subsistent et les hypothèses qui restent à préciser feront l’objet de travaux complémentaires dont nous vous saurons gré de nous tenir informés.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Gilles-Pierre Levy et Mme Michèle Pappalardo prêtent serment.)

M. le président François Brottes. Avant de vous donner la parole pour un exposé introductif, je précise que l’enregistrement de cette audition sera mis à la disposition du public sur le site de l’Assemblée nationale.

M. Gilles-Pierre Levy, président de chambre à la Cour des comptes. Je vous remercie du commentaire que vous avez bien voulu faire sur nos travaux.

Après avoir rappelé le contenu de ce rapport paru il y a deux ans, j’évoquerai les points qui nous paraissent mériter d’être soit actualisés, soit approfondis. La Cour a en effet l’intention de se pencher cette année de nouveau sur plusieurs sujets relatifs au nucléaire.

Notre rapport répondait à une demande formulée par le Premier ministre en mai 2011, après un entretien entre le Président de la République et les représentants de différentes organisations non gouvernementales. Il était demandé à la Cour d’analyser, non pas les seuls coûts affichés par EDF, mais l’ensemble des éléments qui constituent le coût total de production de l’électricité nucléaire en France. L’exercice avait cependant ses limites : il ne s’agissait pas d’étudier les modes de financement, ni le prix de l’électricité incluant les taxes et les coûts de distribution ; l’analyse s’entendait à production nucléaire constante en volume, et le propos n’était pas non plus de comparer cette production avec d’autres énergies.

Le rapport a été élaboré selon les méthodes habituelles de la Cour : collecte de sources, documents et comptes ; application, dans un délai court, du principe de dialogue contradictoire avec les organismes concernés – EDF, AREVA, CEA, ministère de tutelle, etc. – ; collégialité ; mobilisation d’une quinzaine de rapporteurs et d’un comité d’experts de sensibilités diverses, dont quelques étrangers ; nombreuses auditions, notamment des organisations non gouvernementales, des entreprises, des administrations, des syndicats.

La première conclusion que nous avons tirée est qu’il n’existait pas de coûts cachés, même s’il y avait beaucoup à explorer et, à cette fin, nous avons analysé les coûts passés, présents et futurs, les coûts qui se trouvent dans les comptes des exploitants, les coûts supportés par les crédits publics – financement public de la recherche, coûts de la sécurité et de la transparence –, et la prise en compte, explicite ou implicite, du coût des assurances contre les accidents.

Aux yeux de la Cour, le principal facteur de variation des évaluations réside dans la prise en compte du coût du capital. Selon que l’on applique la méthode du coût comptable, qui constate ce qui est déjà amorti, la méthode Champsaur, qui prend en compte la rémunération du capital non encore amorti, ou la méthode du « coût courant économique », qui retient une rémunération à loyer sur la base d’une évaluation de la valeur du capital, avec pour objectif la restitution, à la fin de la vie des centrales, de la valeur initiale actualisée, le coût du mégawattheure (MWh) varie entre 33 et 50 euros, sans compter 1,50 euro de frais publics complémentaires.

La Cour a estimé que le chiffre le plus élevé était celui qui correspondait le mieux à la réalité des coûts en l’état actuel du parc.

En deuxième lieu, elle a mis en exergue les incertitudes relatives à l’évaluation des charges futures.

D’abord en matière de coûts de gestion à long terme des déchets : théoriquement, l’évaluation doit faire l’objet d’une décision en 2015 car, entre le chiffre de 16 milliards d’euros avancé en 2005 et celui, plus récent et fortement contesté par les exploitants, de quelque 36 milliards d’euros, l’écart est de plus du simple au double.

Ensuite en matière de charges de démantèlement. Le sujet est d’autant plus complexe que les quelques centrales déjà démantelées ne sont pas de même type que celles du parc actuel : on ne bénéficie donc pas de l’avantage de série que met en avant EDF en faisant valoir que le démantèlement de cinquante-huit installations de même type coûterait moins cher grâce à l’expérience progressivement acquise.

Nous avons recensé trois méthodes d’évaluation : une méthode « historique » qui ne nous a pas convaincus ; la méthode « Dampierre », fondée sur l’analyse détaillée des opérations de démantèlement d’une centrale type et qui nous est apparue relativement solide, mais dont nous avons jugé qu’elle exigeait d’être approfondie et davantage expertisée ; enfin, les comparaisons internationales. Alors que l’évaluation d’EDF n’est que de 18 milliards d’euros, on arrive, en transposant les études disponibles, à un montant compris entre 20 et 62 milliards d’euros.

En troisième lieu, le rapport fournit une estimation de la sensibilité du coût moyen à l’évolution des charges futures, afin de donner une idée des répercussions que pourraient avoir d’éventuelles erreurs ou des changements d’évaluation. Il apparaît que cette sensibilité est relativement faible. Un doublement des charges de démantèlement se traduirait par une hausse de l’ordre de 5 % du coût courant économique. Le doublement du devis de stockage profond aurait une incidence limitée à 1 %. La sensibilité à une diminution d’un point du taux d’actualisation, qui est actuellement d’environ 5 % dont 2 % au titre de l’inflation, est de + 0,8 %. En sens contraire, si le taux d’actualisation augmentait d’un point, le coût annuel diminuerait de 0,6 %.

En quatrième lieu, la Cour a insisté sur l’importance stratégique de la durée effective de fonctionnement des réacteurs. Bien entendu, il ne lui appartient pas de se prononcer sur la part que doit occuper le nucléaire dans le bouquet énergétique français et sur les orientations que le Président de la République a fixées en ce domaine. Elle a simplement constaté que l’âge moyen de nos réacteurs était de vingt-cinq ans en 2010 et que vingt-deux d’entre eux, soit 30 % de la puissance installée, auraient quarante ans avant la fin de 2022. Or il paraît très difficile de remplacer cette capacité à cette date – que ce soit par de nouveaux réacteurs ou par des sources d’énergie renouvelables – sans un effort considérable, étant donné les délais importants que demande l’organisation d’investissements de ce type, et cette situation aurait pour conséquence une augmentation des coûts de maintenance.

En cinquième lieu, une hausse des coûts à court et moyen terme est par conséquent prévisible. Je rappelle que le rapport a été élaboré juste après la catastrophe de Fukushima. Les conclusions de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) ont été connues au début de janvier 2012 et notre rapport a été publié à la fin du même mois. Le travail s’est fait en parallèle et en très bonne entente, mais, du fait de cette concomitance, nous n’avons pas pu exploiter l’intégralité des résultats publiés par l’ASN. Nous avons néanmoins indiqué qu’il fallait s’attendre à une augmentation des investissements annuels, que le coût de l’EPR serait vraisemblablement très supérieur au coût actuel de production, et nous avons posé la question des investissements de remplacement. D’autre part, il nous est apparu que l’engagement d’un programme de recherches sur la quatrième génération supposait des investissements considérables. Le programme d’investissements d’avenir prévoyait dans ce domaine quelque 650 millions d’euros pour un premier réacteur d’essai mais, selon les experts, les ordres de grandeur pour les coûts d’une quatrième génération – si quatrième génération il doit y avoir – seront de plusieurs dizaines de milliards d’euros.

La question des investissements de maintenance nous a semblé cruciale. EDF a plus que doublé ces investissements entre la période 2003-2008, où ils étaient en moyenne de 800 millions d’euros par an, et 2010, où ils s’élevaient à 1,7 milliard. Avant que l’ASN ne demande des équipements supplémentaires, l’entreprise prévoyait de passer à une moyenne annuelle de 3,4 milliards d’euros sur la période 2011-2025, soit un programme de l’ordre de 50 milliards d’euros au total. Après les demandes complémentaires de l’ASN, elle indiquait que ce programme passerait de 50 à 55 milliards, estimant qu’une partie des 10 milliards d’euros d’investissements réclamés par l’Autorité était déjà comprise dans les 50 milliards. Selon ce calcul, les dépenses de maintenance atteindraient une moyenne annuelle de 3,7 milliards d’euros.

Ces dépenses ont un effet sur les coûts immédiats bien plus important que les dépenses futures, dans la mesure où ces dernières sont diminuées par l’actualisation.

Le travail que nous avons effectué il y a deux ans déjà peut être actualisé sur plusieurs points. Je citerai les coûts d’exploitation d’EDF ; les dépenses de recherche – qui ont été stables, pendant cinquante ans, s’établissant à un milliard d’euros par an dont 400 millions financés sur crédits publics, si bien que l’on peut se demander si le but premier n’était pas de remplir les laboratoires de recherche du CEA – ; les coûts de la sécurité et de la transparence ; le démantèlement, pour lequel il reste à examiner la suite donnée à la recommandation de la Cour d’affiner la méthode Dampierre pour le calcul des provisions d’EDF. Il conviendrait également de prendre en compte d’éventuels nouveaux chiffrages, réalisés à l’étranger et en France, et plus généralement les éléments de benchmarking disponibles, en matière de démantèlement, de gestion des combustibles usés et de gestion des déchets radioactifs.

La Cour s’était par ailleurs interrogée sur les provisions destinées aux travaux futurs, considérant qu’une partie en était financée par des actifs dédiés qui n’étaient pas totalement indépendants de l’industrie nucléaire.

Les approfondissements possibles devraient d’abord concerner les coûts de l’EPR, compte tenu de deux éléments nouveaux : la réévaluation à la hausse des chantiers en cours et le contrat passé avec l’industrie britannique, qui prévoit un prix d’achat de l’électricité nucléaire de l’ordre de 112 euros par MWh, soit très au-dessus des 49,50 euros du coût courant économique calculé en 2010, mais également de la fourchette de 70 à 90 euros par MWh annoncée à l’époque – sans que la Cour ait pu la valider.

Il sera intéressant également d’observer l’évolution des investissements de maintenance par rapport aux chiffres annoncés, maintenant que nous disposons d’un peu de recul par rapport aux travaux consacrés à l’accident de Fukushima.

Il conviendrait enfin de vérifier s’il n’existe pas d’études nouvelles en matière d’externalités et d’intégrer celles qui ont été publiées en matière d’assurances. À ce dernier égard, la Cour avait constaté que les engagements correspondaient à une « petite » catastrophe, mais que la France devait ratifier une convention les portant au double. En revanche, l’estimation des conséquences d’une catastrophe considérable était et reste insuffisante – il est vrai que celles des trois catastrophes majeures qui se sont produites à ce jour, à Three Mile Island, à Tchernobyl et à Fukushima, sont difficiles à évaluer.

Nous ne disposions, lorsque nous avons rédigé notre rapport, que d’une étude réalisée par une petite équipe de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) sur l’hypothèse d’une catastrophe « moyenne », évaluée à 70 milliards d’euros. Aussi avons-nous examiné les conséquences qu’aurait sur le prix de l’électricité la constitution en quarante ans d’une dotation couvrant un tel choc. Cela étant, il serait utile d’analyser les éventuels travaux réalisés à la suite de la catastrophe de Fukushima.

La Cour a prévu de travailler sur toutes ces questions en 2014, en faisant appel, comme de coutume en pareil cas, à des experts extérieurs. Il ne s’agit pas, bien entendu, de chiffrer les objectifs et les conséquences d’un changement de composition du parc, question qui relève du politique. L’idée est plutôt d’approfondir la compréhension d’une partie des données concernant les coûts.

M. Denis Baupin, rapporteur. Le rapport rendu par la Cour des comptes en 2012 marque un progrès notable en matière de transparence. Comme vient de nous le confirmer la Commission de régulation de l’énergie (CRE), il montre que nous sommes dans une période de croissance significative des coûts de la technologie nucléaire, ce qui ne vient pas forcément à l’esprit des gens lorsqu’on leur dit que le parc est censé être amorti. Et les coûts du nucléaire nouveau connaissent, avec l’EPR, une hausse plus importante encore.

Vous avez souligné un point important pour les responsables politiques : il est urgent de prendre des décisions compte tenu de l’âge moyen du parc et des délais nécessaires au remplacement des centrales par d’autres centrales – quoi qu’on en pense par ailleurs –, à la prolongation de leur durée de vie ou à la mise en place d’autres moyens de production. Ce sera d’ailleurs l’objet de la loi sur la transition énergétique.

J’en viens à mes questions.

La Cour met en évidence que l’industrie nucléaire s’est développée en France avec un fort soutien public. Selon ses chiffres, le coût de construction du parc actuellement en exploitation s’élève à environ 96 milliards d’euros, pour un investissement total dans la filière de 188 milliards d’euros, soit du double. Entrent dans ce dernier montant les 55 milliards consacrés à la recherche publique, financée donc par le contribuable, ainsi que la prise en compte des coûts en cas d’accident. Cependant, le coût de la gestion des déchets et des démantèlements apparaît, lui, sinon sous-évalué, du moins insuffisamment évalué.

La Cour ne le relève pas, mais le réseau de transport d’électricité en France s’est structuré en fonction d’un système de production extrêmement centralisé. Lorsqu’on affirme que la transition énergétique entraînera des coûts considérables sur ce poste, on omet de dire que ce réseau a été conçu pour un mode de production bien particulier.

Il s’agit là d’autant d’avantages publics accordés pour le développement de l’industrie nucléaire. Je ne suis pas choqué sur le principe, mais ne conviendrait-il pas, pour comparer les différents modes de production d’électricité, de distinguer pour chacun d’entre eux non seulement son coût de fonctionnement, mais aussi ce qu’il coûte en soutiens publics ? Il faudrait alors, pour comparer le prix des énergies renouvelables à celui du nucléaire, prendre en compte toutes les aides publiques accordées à celui-ci et à celles-là, en plus du coût de production du MWh.

Vous avez fait état d’un coût de 55 milliards d’euros pour les opérations de « grand carénage » en y incluant les évaluations complémentaires de sûreté (ECS). Au moment de l’élaboration du rapport, les informations à ce sujet étaient peu nombreuses. Disposez-vous d’éléments plus précis sur ce que recouvrent ces chiffres ? Le travail que vous mènerez cette année comprendra-t-il une expertise plus approfondie ? Nous avons été un peu surpris d’entendre EDF affirmer, presque au lendemain de la publication de ses préconisations par l’ASN, que les ECS étaient déjà prises en compte et que, sur les dix milliards qu’elles exigeraient, cinq étaient couverts par les investissements déjà prévus, de sorte que la facture totale s’établirait à 55 milliards. Nous en sommes restés à ces chiffres sans disposer de la moindre expertise. La commission d’enquête aura à se pencher sur le sujet mais l’éclairage de la Cour lui serait utile.

Qu’en sera-t-il, par ailleurs, des coûts potentiels à la charge de la collectivité ? Dans un rapport récent consacré au recensement et à la comptabilisation des engagements hors bilan de l’État, la Cour recommande d’inscrire dans le hors bilan des comptes de la France le coût des risques d’accident nucléaire assumé par l’État à la place de l’exploitant. Pourriez-vous nous en dire plus, sachant que les parlementaires peuvent prendre des initiatives en la matière ?

Commentant ce qui s’est passé au Japon, la Cour relève à quel point l’impréparation législative en matière d’indemnisation et de prise en compte des coûts peut être handicapante lorsque se produit une situation d’urgence et qu’on a autre chose à faire qu’élaborer des lois ! Un pays qui compte un aussi grand nombre d’installations nucléaires que le nôtre se doit donc de mieux anticiper.

Le rapport retient l’évaluation de 70 milliards d’euros pour le coût de ce que vous appelez, dans un quasi-oxymore, une « catastrophe moyenne », mais il cite aussi l’estimation avancée par l’IRSN du coût des catastrophes de Tchernobyl et de Fukushima : entre 600 et 1 000 milliards d’euros, soit le décuple – depuis, cet organisme a publié d’autres chiffres.

M. Bernard Accoyer. À Fukushima, il y a eu un tsunami !

M. le rapporteur. Sachant que les autres modes de production d’énergie sont assurés, une comparaison des coûts exige que l’on établisse le coût de l’assurance du nucléaire. Selon vos chiffres, une assurance à hauteur de 70 milliards provisionnés sur quarante ans induirait un surcoût de 1,41 euro par MWh, soit 3,52 % du coût actuel du nucléaire. Si l’on retient l’hypothèse d’une catastrophe majeure, il faut multiplier ce montant par dix, soit une augmentation de 35 % du coût du MWh !

Je ne dis pas que cette hausse doit forcément être répercutée sur l’usager, je demande seulement de la transparence dans la comparaison entre les énergies. Les Charbonnages de France, nous a dit M. de Ladoucette, s’assuraient eux-mêmes. Mais pas le nucléaire !

Le rapport évoque peu la question du retraitement et de la fabrication du MOX. Pourtant, la Cour aurait légitimité à établir si cette « sous-filière » est efficace d’un point de vue industriel ou si, au contraire, elle est coûteuse pour la collectivité. Le problème est complexe car il exige qu’on considère l’ensemble de la gestion des déchets avant et après retraitement. Votre expertise nous serait précieuse. Certains laissent entendre que le retraitement serait une forme de recyclage, qui améliorerait l’efficacité de notre système. L’assimilation laisse à désirer…

M. Bernard Accoyer. Vous voulez parler de Superphénix ?

M. le rapporteur. Superphénix a coûté 12 milliards à la collectivité. Mais vous avez raison, monsieur Accoyer : derrière tout cela se pose la question de la quatrième génération. Une évaluation générale serait intéressante !

Ma dernière question concerne les provisions pour coûts futurs du nucléaire actuel, c’est-à-dire pour le démantèlement des centrales et pour la gestion des déchets. Certains préconisent que l’on affecte ces montants à des fonds de refinancement ou à des fonds de garantie dans la perspective de la transition énergétique. C’est la position du Fonds mondial pour la nature, le WWF, ainsi que celle de notre collègue Hervé Morin qui a proposé la création, à partir de ces provisions, d’un fonds souverain consacré à la transition énergétique. Qu’en pensez-vous ?

M. Gilles-Pierre Levy. Les 55 milliards de dépenses de recherche n’ont pas été financés uniquement sur fonds publics et, même, la proportion, de 70 % à l’origine, était tombée à 40 % en 2010 – le reste venant des exploitants dont la contribution est ainsi devenue prépondérante. Nous n’avons pas examiné ce qu’il en était pour les autres sources d’énergie, notamment pour les sources d’énergie renouvelables qui bénéficient elles aussi de financements publics.

Notre estimation du coût des investissements à réaliser, également de 55 milliards, mériterait d’être actualisée. À l’époque où nous rédigions notre rapport, EDF avait prévu de doubler le rythme de ses investissements de maintenance, qui contribuent à prolonger la vie des centrales – étant entendu que cette prolongation est autorisée par l’ASN, chaque fois pour une durée de dix ans. Le président de l’ASN, André-Claude Lacoste, avait alors évalué à une dizaine de milliards le coût des mesures complémentaires de sûreté à demander à EDF, mais admettait qu’une partie de celles-ci était comprise dans les investissements ainsi programmés. Le rapport de l’ASN n’ayant été disponible que trois semaines avant la publication du nôtre, nous n’avons pu établir que tel était bien le cas, mais je n’ai pas eu le sentiment de divergences majeures sur ce point entre l’autorité de sûreté et l’entreprise.

Faut-il inscrire dans le hors bilan les charges futures incombant à la collectivité ? Je serai prudent sur ce point dans la mesure où sont en jeu à la fois des considérations comptables et des considérations politiques. La logique conduirait à répondre positivement à la question, mais cela supposerait d’être en mesure d’évaluer ces charges et de vérifier si, en stricte méthode comptable, ces risques peuvent être pris en compte. Comme vous le savez, il existe des charges vraisemblables – charges d’accident ou de procès – qui sont rarement, ou inégalement, provisionnées dans les comptes des entreprises. Décider ce qu’il pourrait en être en l’espèce exigerait un travail technique que nous n’avons pas fait.

Nous n’avons pas évalué le coût d’une catastrophe nucléaire – nous ne saurions du reste pas le faire. Comme je l’ai dit, nous disposions sur le sujet d’une unique étude, conduite par une petite équipe de l’IRSN, qui avançait un montant de 70 milliards. Nous avons repris ce montant pour le cas où il aurait été décidé de constituer un fonds sur quarante années – soit la durée de vie d’une centrale nucléaire telle que fixée à l’époque –, mais nous n’avons pas parlé d’assurance : il serait bien difficile en effet de déterminer la probabilité, sans doute faible – mais non nulle –, à mettre en face d’un risque au coût très élevé.

Traitant des actifs dédiés, nous ne nous sommes pas penchés sur l’emploi qu’on pourrait en faire ; nous avons seulement examiné, d’une part, si leur montant était à la hauteur du risque actualisé et, d’autre part, s’il s’agissait d’actifs indépendants de l’industrie nucléaire et immédiatement réalisables le jour où serait entreprise une opération de démantèlement ou de stockage des déchets, puisque tel est l’objet auquel ils sont destinés. Nous avons constaté que l’indépendance de certains à l’égard de l’industrie nucléaire pouvait être contestée : autrement dit, si cette industrie venait à connaître de grandes difficultés, leur valeur en serait amoindrie de sorte que nous pourrions ne pas disposer de toutes les sommes nécessaires au moment où nous en aurions besoin – ainsi, quelle garantie offriraient les actions d’AREVA en cas de catastrophe nucléaire ? Par ailleurs, nous nous sommes interrogés sur l’affectation de la moitié des titres de RTE au portefeuille d’actifs dédiés d’EDF, la possibilité de réaliser ces titres apparaissant discutable.

Mme Michèle Pappalardo, conseiller maître à la Cour des comptes. Il est vrai que certains pays ont constitué des fonds véritablement dédiés. Pour notre part, nous nous sommes bornés à vérifier que les textes prévoyant des actifs dédiés étaient convenablement appliqués et à examiner si la rentabilité de ces fonds, telle que nous pouvions la calculer, était suffisante pour maintenir les moyens nécessaires au financement des dépenses de démantèlement et de stockage, mais il reste que le choix fait par la France n’est pas celui de tous les États nucléaires et nous l’avons relevé dans notre rapport.

Pour ce qui est du retraitement et du MOX, la question qui nous était posée portait uniquement sur le coût dans la situation telle qu’elle était à l’époque. Nous n’avons donc pas tenté des comparaisons avec d’autres pays ni cherché à esquisser des scénarios alternatifs – ce dont nous n’aurions pas eu le temps, d’ailleurs, dans le délai qui nous était imparti et ce qui n’est au surplus pas conforme à la vocation de contrôle a posteriori de la Cour. Nous avons seulement relevé qu’en bonne comptabilité, les combustibles usés non retraités devraient être considérés comme des déchets et faire comme tels l’objet de provisions prudentes.

Lorsque nous rédigions notre rapport, nous savions que l’IRSN travaillait à de nouvelles études, mais celles-ci n’ont été publiées qu’une fois notre travail achevé. Nous prévoyons cependant de les regarder de près afin de préciser nos calculs de coûts. En revanche, si nous avons manqué de temps pour exploiter le rapport de l’ASN tirant les conséquences de l’accident de Fukushima, publié à peu près en même temps que le nôtre, celui-ci résultait de travaux menés au cours des quatre ou cinq mois précédents en concertation avec les opérateurs, de sorte que nous avons eu une bonne idée de la répartition des 10 milliards de dépenses exigées par ces mesures de sûreté complémentaires – à peu près à égalité entre des investissements déjà prévus et des investissements à programmer. Cela étant, il ne s’agissait encore que d’un chiffrage grossier et les travaux à réaliser doivent être précisés. Nous comptons donc affiner notre analyse sur le sujet.

M. Bernard Accoyer. Il faut féliciter la Cour pour la façon dont elle s’est acquittée de la commande qui lui avait été adressée, tout en regrettant que celle-ci n’ait couvert qu’une part très restreinte du sujet qui nous occupe. S’il est en effet une question transversale, c’est bien celle du coût de l’énergie dont l’évolution, depuis le premier choc pétrolier, a bouleversé la donne économique et sociale partout sur notre planète. Or, quelle que soit par ailleurs sa qualité, ce rapport se focalise, si on peut le dire ainsi, sur les microbes alors qu’il faudrait considérer toute la personne du malade. De ce fait, il nous manque des éléments de comparaison internationale – cette étude est limitée à la France – et de comparaison avec les autres sources d’énergie.

La décision visionnaire prise de lancer la France des années 1960 dans l’aventure de l’électronucléaire a permis de fait d’anticiper les chocs pétroliers. Nous nous inscrivons à cet égard dans une histoire continue et il eût été bon que la Cour en considère les effets bénéfiques sur notre balance commerciale, sur notre endettement ou sur le niveau de vie de nos concitoyens. En revanche, aujourd’hui, alors que quelque 80 % de notre électricité est fournie par l’énergie nucléaire, diminuer la part de celle-ci au profit de sources d’énergie renouvelables dont ni le coût ni les fragilités n’ont encore été évalués nous condamnerait à augmenter nos importations de combustibles fossiles, comme c’est le cas en Allemagne, et conduirait en tout état de cause à une hausse du prix de cette électricité. Il y avait donc là des éléments à considérer pour l’évaluation financière que nous devons conduire et ces éléments nous font pour l’heure cruellement défaut.

S’agissant d’une question aussi essentielle pour notre souveraineté nationale que le nucléaire en général, n’était-il pas normal qu’une grande part de la recherche soit publique ? L’enjeu de sécurité, y compris militaire, nos intérêts en matière technologique et industrielle, l’équilibre de notre balance commerciale, voire la renommée de notre pays dans le monde le justifiaient, sans parler des possibilités de partenariats internationaux que nous ouvre notre maîtrise de cette filière. Les bénéfices de cette maîtrise reconnue ne méritent-ils pas d’être, eux aussi, évalués et pris en compte ?

Puisque vous avez évoqué les réacteurs de quatrième génération, monsieur le rapporteur, je rappellerai que la France avait pris une avance technologique décisive en matière de surgénération, se dotant d’un surgénérateur expérimental. On a malheureusement décidé de démanteler celui-ci au prétexte qu’il n’était pas raccordé au réseau, comme si le fait était anormal ! On s’est ainsi privé du moyen de progresser dans le traitement des déchets radioactifs.

Je respecte votre engagement anti-nucléaire, monsieur Baupin, mais la bonne information de notre commission d’enquête et, à travers elle, de nos compatriotes commande de ne pas s’en tenir à des considérations financières. Et si, dans ce domaine comme d’ailleurs dans bien d’autres, y compris du fait de la nature, une catastrophe est toujours possible, on ne peut par exemple faire abstraction de ce que serait le réchauffement climatique si la France et d’autres pays n’avaient pas depuis de longues années recouru à l’énergie nucléaire. Nos travaux gagneraient donc à être élargis à bien des éléments.

M. Christian Bataille. Notre rapporteur, qui est un habile homme, ne se contente pas de poser des questions : il avance aussi des affirmations… dont nous pourrions longuement disputer si nous en avions le temps. Je relèverai simplement que le retraitement ne se limite pas à un coût : c’est aussi un progrès qui permet de réduire le volume des déchets – les États-Unis, qui ont abandonné cette voie de recherche après les années soixante-dix, croulent maintenant sous des montagnes de combustible usé ! Cependant, eux ont une chance que nous n’avons pas : celle de disposer d’un vaste territoire sur lequel entreposer ces déchets. D’autre part, avec le MOX, nous bénéficions d’un combustible exceptionnel qui permet de réutiliser le plutonium dans la moitié de nos réacteurs, nous évitant des achats massifs d’uranium. Mais ce mélange n’a d’avenir que si nous développons une quatrième génération de réacteurs, dont la raison d’être est précisément de permettre la réutilisation du combustible usé sur plusieurs cycles. En ce sens, c’est une réponse à la pénurie d’énergie d’origine nationale et il serait très dommage de ne pas exploiter les avancées réalisées en la matière grâce au CEA.

Monsieur Levy, il y a quelques années, s’agissant des fonds dédiés, Claude Birraux et moi-même avions rédigé pour le compte de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) une étude qui nous avait conduits à avancer une proposition, finalement écartée par le rapporteur de la loi de 2006. Pour dire les choses comme elles sont, EDF avait collecté des fonds auprès des industriels et des consommateurs mais, à travers elle, c’était l’État, avec lequel elle se confondait à l’époque, qui agissait. La question qui se pose aujourd’hui est de savoir s’il est légitime que des entreprises – EDF, mais aussi AREVA et le CEA – détiennent des fonds destinés à couvrir le coût du démantèlement des centrales et du traitement des déchets radioactifs, d’autant que ces sommes sont ensevelies dans leurs comptes car on a jugé qu’il serait malvenu de laisser dormir cet argent. En demander la restitution mettrait certes EDF en difficulté et l’idée provoque l’émoi de sa direction, de sorte que l’État n’aborde plus le sujet qu’avec beaucoup de précautions, mais il serait tout de même plus sain de rattacher progressivement ces fonds à la Caisse des dépôts et consignations. Qu’en pense la Cour des comptes ?

M. Jean-Pierre Gorges. Attention à ne pas truquer les chiffres, monsieur le rapporteur ! Lorsqu’on entreprend d’intégrer la prise en compte des risques dans l’évaluation des coûts de la filière nucléaire, il ne faut pas comprendre n’importe quoi dans cette notion. On estime à quelque 700 milliards le coût d’une catastrophe comme celle de Fukushima, qui résultait à la fois d’un tremblement de terre, d’un tsunami et d’une mauvaise conception de la centrale. Mais quel serait le coût de la rupture du barrage de Sainte-Croix si elle se soldait par une submersion de la vallée faisant 500 000 morts ? Allez-vous le prendre en compte pour comparer les énergies nucléaire et hydraulique, comme la cohérence l’exigerait ? Si ce n’est pas le cas, nous n’avancerons jamais. Toute activité comporte des risques : quand vous prenez le volant, la probabilité que vous écrasiez vingt personnes n’est pas nulle. Je souhaite donc que nous soyons très précis sur ces questions.

J’ai apprécié l’intervention de notre collègue Christian Bataille. Je n’en dirai pas autant, monsieur Levy, de votre remarque à propos de la cinquantaine de milliards consacrés à la recherche : ce milliard par an, avez-vous dit, aurait permis d’occuper les chercheurs du CEA. Sous-entendiez-vous que cette dépense n’avait pas lieu d’être, ou au contraire qu’elle était insuffisante ? Pour ma part, je pense que si nous avions davantage investi dans la recherche nucléaire, nous n’en serions plus aujourd’hui à l’EPR, mais déjà à la quatrième génération de réacteurs et nous aurions avancé dans le traitement des déchets – car ce sont deux technologies différentes même si, en 2007, deux candidats à l’élection présidentielle les confondaient ! Le général de Gaulle a su anticiper mais, ensuite, l’effort de recherche n’a pas été poursuivi comme il aurait fallu, de sorte que le premier choc pétrolier nous a condamnés durablement au déficit budgétaire. Il importe aujourd’hui de reprendre cet effort. Or, en mettant l’accent sur les coûts de la filière, on peut en arriver à accréditer bien des idées erronées. Le fait que le nucléaire soit l’énergie la moins chère gêne ? On insiste alors sur sa dangerosité pour conclure que c’est en fait la plus chère, bien que l’histoire n’ait rien démontré de tel, même en prenant en compte Three Mile Island et Tchernobyl – étant entendu qu’il est encore trop tôt pour mesurer les effets exacts de Fukushima.

Mme Marie-Noëlle Battistel. En vue de faire face aux charges de démantèlement et de gestion des déchets radioactifs, EDF, AREVA et le CEA ont constitué des provisions couvertes par des actifs dédiés. Une baisse du taux d’actualisation applicable aux provisions ne peut qu’entraîner une dégradation du résultat de ces entreprises. En avez-vous étudié l’effet, à la fois dans l’hypothèse où l’on s’en tiendrait aux échéances actuellement fixées et dans celle où l’on prolongerait la durée de vie des centrales ?

M. le rapporteur. Notre collègue Christian Bataille a raison : cette commission d’enquête doit se pencher sur la question du retraitement et sur celle des centrales de quatrième génération. Quelles que soient mes convictions, j’estime en effet qu’on ne peut éluder ces sujets et nous devrons donc y consacrer des auditions.

En réponse à MM. Accoyer et Gorges, je maintiens – en tant qu’écologiste, mais ce devrait être le point de vue de tous – que nous ne pouvons faire l’économie de nous prémunir contre tous les risques. Pour reprendre l’exemple de l’automobile, les conducteurs ne sont-ils pas obligés de souscrire une assurance, et ne demande-t-on pas aux constructeurs de fabriquer des véhicules de plus en plus sûrs ? Il est dès lors normal de chercher à calculer le coût des assurances nécessaires pour toutes les activités du domaine nucléaire. Ce n’est au reste pas un hasard s’il existe une Autorité de sûreté nucléaire, mais pas d’Autorité de sûreté de l’automobile : c’est que les risques sont bien plus importants dans ce secteur industriel…

M. Jean-Pierre Gorges. Il y a plus de morts sur les routes que du fait d’accidents nucléaires !

M. le rapporteur. En France, mais n’oubliez pas Tchernobyl et Fukushima ! D’autre part, les présidents successifs de l’ASN, André-Claude Lacoste et Pierre-Franck Chevet, n’ont pas exclu la possibilité d’une catastrophe nucléaire majeure dans notre pays ; nous devons donc essayer d’en évaluer le coût et le prendre en compte pour comparer entre elles les différentes sources d’énergie. L’écroulement d’une éolienne et un accident dans une centrale ne font pas exactement les mêmes dégâts ! Plutôt que de faire semblant de nier les risques, nous gagnerions à en prendre la mesure aussi précisément que possible.

M. Jean-Pierre Gorges. En les pondérant par la probabilité !

M. le président François Brottes. Lorsqu’on veut réduire le nombre des accidents de la route, on y met des radars et le risque diminue…

La commission Champsaur, dont j’étais membre, a eu de longues discussions à propos de la méthode du « coût courant économique ». L’amortissement étant fonction de la durée d’exploitation des installations, la question de la prolongation ou non de la durée de vie des centrales est décisive mais, comme l’a relevé la Cour dans la synthèse de son rapport, nous nous heurtons à cet égard à un mur qu’il sera difficile de franchir. Peut-être même est-il trop tard pour prendre une décision.

S’agissant de la technologie de quatrième génération, avez-vous écouté d’autres voix que celle du CEA ? Est-ce d’ailleurs, de ce que vous avez pu en percevoir, une véritable quatrième génération, ou seulement une troisième génération bis, un EPR amélioré ?

M. Christian Bataille. Il y a tout de même ASTRID (Advanced Sodium Technological Reactor for Industrial Demonstration) !

M. le président François Brottes. Il s’agit d’un programme de recherche sans prototype à ce stade. C’est une des voies de la quatrième génération : il en existe d’autres.

Il faut garder à l’esprit que l’EPR de Flamanville est un prototype, que par ailleurs le cahier des charges évolue en fonction de la réglementation et que tout cela influe sur les coûts et sur les délais de construction – sans parler des incidents imputables à un certain amateurisme. Cependant, ce réacteur devant être plus sûr que les précédents et produire moins de déchets, on pourrait attendre que ces surcoûts de fabrication soient compensés par un moindre coût d’exploitation : ne pourriez-vous examiner ce point dans le travail complémentaire que vous allez réaliser ?

M. Gilles-Pierre Levy. Avant de répondre à toutes ces questions, je veux rappeler que la tâche de la Cour n’est que de dresser des constats factuels, d’approfondir les données obtenues, et non d’effectuer des simulations, et que notre rapport n’avait pas pour objet de comparer l’énergie nucléaire et les autres énergies. Cela étant, nous avons produit cet été un autre rapport consacré à la politique de développement des énergies renouvelables et, à la demande d’une commission d’enquête du Sénat, Michèle Pappalardo a conduit en 2012 un travail sur les évolutions prévisibles de la contribution au service public de l’électricité (CSPE).

Le rapport que nous avons remis il y a deux ans maintenant visait à répondre à une question implicite : y a-t-il des coûts cachés de l’électricité nucléaire ? Toutefois, il est vrai que nous n’avons pas pris en compte les externalités – impact sur l’emploi, sur l’environnement, sur la balance des paiements, etc. –, non qu’elles n’existent pas, mais parce que leur évaluation pose des problèmes économiques compliqués. Et si nous avons fait état d’un faible niveau d’émission de CO2, nous ne nous sommes pas engagés dans une comparaison sur ce point avec les sources d’énergie alternatives.

Pour ce qui est des fonds dédiés, ce que nous avons cherché à déterminer, c’est s’ils étaient suffisants, convenablement isolés, constitués d’actifs indépendants de l’industrie nucléaire et suffisamment diversifiés. Nous avons constaté que ces actifs couvraient seulement 78 % des provisions actualisées et qu’y figuraient des titres d’activités de la filière, dont la réalisation serait donc affectée par un accident nucléaire. Peut-on isoler ces titres ? Nous n’avons pas étudié ce point, mais je serais tenté de répondre par l’affirmative tout en notant qu’il en résulterait pour les entreprises détentrices une moindre valeur de leur action, sauf attribution d’une compensation.

M. Christian Bataille. Il ne faut pas seulement réfléchir à l’emploi qui pourrait être fait de ces fonds dans l’hypothèse d’une catastrophe : n’oublions pas qu’ils doivent notamment servir à la réalisation du centre industriel de stockage géologique (Cigéo).

M. Gilles-Pierre Levy. Pour l’instant, ils sont uniquement prévus pour couvrir les dépenses de démantèlement et de stockage des déchets, soit des dépenses certaines. Nous avons, à titre exploratoire en quelque sorte, étudié l’hypothèse d’un fonds destiné à faire face à une catastrophe – nous avons estimé qu’il devrait être doté de 70 milliards d’euros sur quarante ans –, mais rien de tel n’existe pour l’heure.

Je me suis probablement mal exprimé en ce qui concerne les dépenses de recherche. Nous avons simplement été frappés par la constance des budgets qui y ont été consacrés 55 années durant. Cette constance se justifie : il faut du temps pour constituer des équipes et celles-ci ne peuvent être renouvelées en un seul coup, ce qui permettrait de relâcher l’effort ensuite. En revanche, comme je l’ai dit, nous avons constaté que la part financée par des crédits publics, majoritaire au début de la période, est aujourd’hui devenue minoritaire, tombant à quelque 40 %. Est-ce trop ou trop peu ? Nous n’avons émis aucun jugement sur ce point, notre seule préoccupation étant, je le répète, de déterminer si nous devions ou non prendre en compte dans les coûts de l’électricité nucléaire les dépenses de recherche publique et de sécurité. Nous avons par ailleurs constaté, même si les deux choses n’ont aucun lien, que les montants en cause équivalaient approximativement à ceux de la taxe sur les installations nucléaires de base.

Il est incontestable qu’une modification du taux d’actualisation aurait un impact sur le montant des provisions à constituer, et donc sur le résultat comptable des entreprises.

S’agissant de la durée d’exploitation, nous avons constaté que si nous devions, à consommation d’électricité à peu près identique, substituer d’ici à 2025 à vingt-deux de nos réacteurs actuels soit des EPR, soit des sources d’énergie renouvelables, il y faudrait un effort financier très important et qu’en tout état de cause, sauf cas de force majeure, nous n’y réussirions probablement pas, sachant que la construction d’une centrale demande environ dix ans.

M. Christian Bataille. Voire quinze ans !

M. Gilles-Pierre Levy. La Cour ne dispose d’aucune expertise en ce qui concerne la quatrième génération. Nous avons simplement écouté les experts du CEA, qui nous ont expliqué que l’EPR n’était rien de plus qu’un réacteur actuel plus puissant et plus sûr et que cette nouvelle génération représentait par rapport à lui un saut technologique, moyennant quoi on pourrait désormais brûler du plutonium. Cela étant, vous avez entièrement raison, monsieur le président : s’agissant de l’EPR, il faut considérer l’ensemble des coûts.

Mme Michèle Pappalardo. Ceux qui calculent ces coûts nous disent que, par construction, le coût d’exploitation de ces réacteurs devrait être plus faible que celui des précédents. La Cour ne peut pour l’instant que prendre acte de leurs explications, en attendant d’en vérifier la véracité lorsqu’un premier EPR fonctionnera.

M. le rapporteur. Il faut préciser que les coûts de l’EPR sont appréciés sur une durée d’exploitation de soixante ans, avec un taux de disponibilité de 90 %, alors que ceux des réacteurs actuels sont calculés sur une durée de vingt-cinq ans, avec un taux de fonctionnement de 80 %. Mais les contrats signés avec les Britanniques fournissent une évaluation du coût réel, garanti pendant trente-cinq ans, excédant notablement le coût de l’éolien, par exemple.

M. le président François Brottes. La Cour pense-t-elle être en mesure de nous fournir des éléments complémentaires avant la conclusion de nos travaux ?

M. Gilles-Pierre Levy. Nous aurons en tout état de cause travaillé et nous pourrons faire devant vous au moins un point d’étape.

M. le président François Brottes. Nous ne manquerons donc pas de vous solliciter. Je vous remercie.

L’audition s’achève à midi dix.

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Membres présents ou excusés

Commission d’enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d’exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l’électricité nucléaire, dans le périmètre du mix électrique français et européen, ainsi qu’aux conséquences de la fermeture et du démantèlement de réacteurs nucléaires, notamment de la centrale de Fessenheim

Réunion du jeudi 9 janvier 2014 à 10 h 30

Présents. - M. Bernard Accoyer, M. Christian Bataille, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Philippe Baumel, M. Denis Baupin, M. Yves Blein, M. François Brottes, Mme Sabine Buis, M. Jean-Louis Costes, M. Jean-Pierre Gorges, M. Jacques Krabal, Mme Sylvie Pichot, M. Patrice Prat, M. Stéphane Travert, Mme Clotilde Valter

Excusés. - M. Damien Abad, M. Patrice Carvalho, M. Hervé Gaymard, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, M. Michel Sordi

NB : le document mis à la disposition de la commission est accessible en fin de la version pdf