Accueil > Les commissions d'enquête > Commission d'enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d'exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l'électricité nucléaire > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission d’enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d’exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l’électricité nucléaire, dans le périmètre du mix électrique français et européen, ainsi qu’aux conséquences de la fermeture et du démantèlement de réacteurs nucléaires, notamment de la centrale de Fessenheim

Jeudi 23 janvier 2014

Séance de 9 h 30

Compte rendu n° 8

Présidence de M. François Brottes Président

– Audition de M. Andreas Rüdinger, chercheur « Politiques climatiques et énergétiques » à l’IDDRI (Institut du développement durable et des relations internationales)

L’audition débute à midi trente-cinq.

M. le président François Brottes. Nous avons le plaisir d’accueillir M. Andreas Rüdinger, chercheur en politiques climatiques et énergétiques à l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI).

Notre commission entame ainsi l’étude de la place présente et future de la filière dans différents pays voisins. Nous évoquerons d’abord le cas de l’Allemagne, puis ceux de la Grande-Bretagne et de la Belgique.

Le rapporteur et moi-même avons souhaité organiser ces auditions de manière à permettre l’expression simultanée de deux voix : celle d’un expert, dont nous attendons qu’il décrive de façon aussi objective que possible la situation dans le pays concerné, et celle d’un acteur opérationnel, qui nous dira comment, le cas échéant, il s’adapte aux nouvelles conditions d’exercice de son métier.

Cependant, les interlocuteurs que nous avons sollicités pour représenter le secteur électrique allemand nous ont fait savoir que le gouvernement de leur pays consacrera demain une réunion importante à ce sujet, qui infléchira sans doute la trajectoire et changera la perspective. Ils ont jugé peu opportun de présenter à notre commission des analyses qui risqueraient de devenir sans objet le lendemain même. Nous les entendrons donc plus tard.

M. Rüdinger connaît bien le contexte énergétique allemand et est l’auteur de nombreuses publications sur la transition énergétique

Avant de vous donner la parole, monsieur, je vous demande, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Andreas Rüdinger prête serment.)

M. Andreas Rüdinger, chercheur en politiques climatiques et énergétiques à l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI). Je remercie votre commission de me donner l’occasion de présenter ces travaux de recherche. J’espère qu’ils lui seront utiles.

Cette audition vient à point nommé : non seulement nous avons fêté hier le cinquante et unième anniversaire du traité de l’Élysée, mais beaucoup de choses se passent actuellement en Allemagne concernant la transition énergétique.

Je commencerai par un rappel historique des principales étapes du tournant énergétique allemand et du rôle qu’y joue la sortie du nucléaire. J’aborderai ensuite l’évolution du système électrique allemand dans le contexte, pour le moins turbulent, du marché européen de ces dernières années. Je terminerai par quelques réflexions sur les aspects économiques.

La décision de l’Allemagne de sortir du nucléaire remonte à la coalition SPD-Verts de 1998. Elle trouve sa traduction dans deux textes principaux. Le premier est l’accord passé en 2000 avec les industriels de l’électricité pour poser le principe d’une sortie définitive et pour mettre en œuvre un mécanisme de flexibilité qui permettait aux opérateurs de prolonger certaines centrales au-delà de la durée de vie maximale de trente-deux ans en leur transférant le « productible restant » d’autres centrales, à des fins d’optimisation du parc.

M. le président François Brottes. Que signifie le « productible restant » ?

M. Andreas Rüdinger. En principe, les centrales ne doivent pas dépasser une durée de vie de trente-deux ans. On a cependant souhaité optimiser ce parc vieillissant en donnant la possibilité aux opérateurs exploitant plusieurs centrales d’en fermer une plus tôt et de transférer le quota restant sur une autre centrale pour en prolonger d’autant le fonctionnement au-delà de trente-deux ans.

Dans ce dispositif, la date définitive de sortie dépend en partie des choix réalisés par les opérateurs et ne peut donc être strictement établie. D’après le calendrier fixé en 2002 sur la base de ce mécanisme, il était néanmoins estimé que la sortie serait complète vers 2024.

M. le président François Brottes. J’imagine qu’une autorité indépendante se prononce aussi, à partir de données techniques, sur la prolongation des centrales.

M. Andreas Rüdinger. Il faut bien entendu l’autorisation de l’autorité allemande de sûreté. Mais c’est l’accord politique qui avait posé le principe des trente-deux ans de durée moyenne. Le choix par l’opérateur de transférer le productible d’une centrale à une autre n’équivaut pas à la décision, en France, de prolonger la durée de vie d’une centrale.

Le second grand texte est la réforme de la loi sur le nucléaire menée en 2002, qui confirme l’objectif de sortie complète vers 2024.

Dès le début des années 2000, donc, on parle en Allemagne d’un « tournant énergétique » comprenant trois objectifs globaux : la réduction des émissions de gaz à effet de serre, le développement des énergies renouvelables et l’amélioration de l’efficacité énergétique. Dans cet ensemble, la sortie du nucléaire est un symbole très fort, mais n’est pas le seul enjeu. Je tiens à le préciser, car on lit souvent des articles consacrés au « coût de la sortie du nucléaire » en Allemagne alors qu’il est pratiquement impossible d’isoler un tel élément. L’évaluation économique doit prendre en compte l’ensemble de la transition.

J’en veux pour preuve, d’ailleurs, les décisions prises après 2002. La coalition CDU-FDP formée en 2009 décide par exemple de retarder de douze années en moyenne la sortie du nucléaire, pour une sortie définitive en 2036, mais ne remet pas en cause le principe même de la sortie, eu égard à l’analyse des risques et aux alternatives disponibles. En contrepartie de cette prolongation, le gouvernement allemand demande aux grands électriciens une contribution financière qui emprunte deux circuits : d’une part, pour une recette estimée à 2,3 milliards d’euros sur la base de la production nucléaire de 2009-2010, la taxe sur le combustible nucléaire, toujours en vigueur aujourd’hui et qui fait l’objet de recours juridiques ; d’autre part une contribution exceptionnelle au financement de la transition énergétique, qui est restée dans les limbes puisque la nouvelle réforme de la loi sur le nucléaire, votée à la fin de l’année 2010, a fait l’objet de trois recours devant la Cour constitutionnelle allemande pour vice de procédure – en particulier parce que la chambre haute n’avait pas été saisie.

M. le président François Brottes. De qui les recours émanaient-ils ?

M. Andreas Rüdinger. Le premier a été formulé par la société civile le 3 février 2011. Un deuxième a été déposé le même mois par six Länder et un troisième par des partis d’opposition, le SPD et Les Verts.

M. le président François Brottes. Portaient-ils sur cette contribution en tant que telle ?

M. Andreas Rüdinger. Ils portaient sur la réforme dans son ensemble et sur la décision de retarder la sortie de 2024 à 2036.

M. le président François Brottes. En d’autres termes, si l’on n’a pas mis en place la contribution, c’est parce que l’arrangement global n’a pas été validé.

M. Andreas Rüdinger. On a en effet mis en suspens l’application de cette loi dans l’attente de la décision de la Cour constitutionnelle. C’est alors qu’est survenu l’accident nucléaire de Fukushima. Trois jours après, la chancelière Merkel décidait de fermer les huit réacteurs les plus anciens en Allemagne, ceux dont la construction était antérieure à 1980. On a beaucoup parlé en Europe de cette décision, qualifiée d’abrupte et de radicale, mais ces centrales auraient de toute façon dû fermer avant la fin de 2012, en application de l’échéancier initial de sortie du nucléaire. Certes, il y avait là quelque chose de radical, mais on ne peut affirmer que cela n’aurait pas pu être anticipé. Le système allemand était préparé pour répondre à une telle éventualité.

Le nouveau paquet législatif adopté en juin 2011 comportait six textes, dont une nouvelle réforme de la loi sur le nucléaire, un dispositif d’accélération du développement des infrastructures de réseau et des mesures relatives aux pouvoirs des collectivités en matière de transition énergétique. Il a fait l’objet d’un quasi-consensus, puisque 83 % des députés l’ont voté. Seul le Parti de gauche s’y est opposé, mais parce qu’il estimait qu’il fallait mettre en œuvre encore plus rapidement la sortie du nucléaire.

Comment le système électrique allemand a-t-il répondu à ce défi ?

Je veux tout d’abord réfuter l’idée selon laquelle l’arrêt des centrales nucléaires aurait été compensé par une hausse de la production d’électricité à partir de combustible fossile, en particulier de charbon.

M. le président François Brottes. Vous voulez dire que l’Allemagne produit son électricité sans charbon ?

M. Andreas Rüdinger. Non, bien sûr, mais je veux démontrer que la hausse de cette production ne vient pas compenser la réduction de la production d’origine nucléaire.

Entre 2010, dernière année de pleine production nucléaire en Allemagne, et 2013, la part du nucléaire dans le mix énergétique baisse de 43,6 TWh. Elle est presque intégralement compensée, du moins en volume, par l’augmentation de la production renouvelable, qui atteint 42,3 TWh. Dans le même temps, la consommation intérieure d’électricité se réduit de 19 TWh, soit l’équivalent de deux réacteurs nucléaires, et ce en dépit d’un rattrapage économique fort après la crise de 2008 et de trois années successives de croissance en Allemagne. Dès lors, on peut estimer que l’efficacité énergétique connaît, au moins en partie, une amélioration structurelle dans le secteur de l’électricité.

Le solde exportateur net d’électricité de l’Allemagne a également connu une augmentation significative ces trois dernières années, pour atteindre en 2013 un record historique de 33 TWh. Ce n’est d’ailleurs pas forcément une bonne chose.

M. le président François Brottes. La cause en est sans doute la production importante d’énergie « fatale ».

M. Andreas Rüdinger. Non, ou pas uniquement.

Enfin, selon les statistiques de Réseau de transport d’électricité (RTE), l’Allemagne a été exportatrice nette vis-à-vis de la France tous les mois de l’année 2012.

Pour en revenir à l’électricité issue du charbon, cette production a augmenté, en Allemagne, de 9 % entre 2010 et 2013. Je pourrai également, si vous le souhaitez, vous communiquer un bilan de la production d’électricité en Allemagne selon les sources pour les dix dernières années. Cependant, dans le même temps, la production d’électricité thermique à partir d’énergies fossiles – charbon, gaz et fioul cumulés – n’a pas augmenté : elle a même baissé de 2 TWh. Voilà pourquoi je dis que ce n’est pas le charbon qui a compensé le nucléaire : en l’état, et toutes choses égales par ailleurs, il aurait fallu non seulement que la production au charbon augmente, mais que ce soit également le cas de l’ensemble de la production d’électricité à partir d’énergies fossiles.

Ce qui se dessine en arrière-plan est un phénomène plus global – notamment en Europe – de transfert de la production au gaz vers la production au charbon. Les experts de RTE et de la bourse EPEX Spot vous ont déjà décrit le fonctionnement du marché et l’évolution des fondamentaux, avec l’afflux de charbon sur les marchés mondiaux sous l’effet de l’exploitation du gaz de schiste aux États-Unis. Parmi les autres facteurs, la demande chinoise de charbon a été moins forte ; le prix du gaz, du fait de l’indexation sur le prix du pétrole, a augmenté en Europe ; enfin, le prix des certificats d’émission de CO2 a chuté, ce qui a considérablement amélioré le bénéfice procuré par la production au charbon par rapport aux années précédentes. En revanche, la rentabilité de la production au gaz, qui se mesure à partir de la différence entre le prix du gaz à l’achat et le bénéfice que l’on peut tirer de l’électricité vendue sur le marché, n’a pas seulement baissé, elle est devenue négative. Les opérateurs s’exposent donc à perdre de l’argent en produisant de l’électricité à partir de gaz.

Le phénomène, plus ou moins accentué selon le mix électrique des pays, touche l’ensemble de l’Europe. En Allemagne, la production au gaz a diminué de 23,3 TWh entre 2010 et 2013, tandis que la production au charbon augmentait de 23,1 TWh, soit presque le même volume.

M. le président François Brottes. Sans doute faut-il y voir l’effet gaz de schiste.

M. Andreas Rüdinger. Pas uniquement. Une analyse économétrique serait nécessaire, mais elle est très difficile à envisager du fait de l’absence de référentiel, c’est-à-dire de scénario alternatif permettant d’évaluer exactement le poids de chaque facteur. Toujours est-il que le gaz de schiste n’explique pas tout. Son effet sur le prix du charbon aurait pu, en théorie et si nous avions eu la réactivité nécessaire au niveau européen, être compensé par une hausse substantielle du prix des certificats d’émission de CO2. Or ce prix a chuté simultanément, augmentant le différentiel entre charbon et gaz.

L’Europe devrait également peser davantage pour négocier à la baisse les contrats d’approvisionnement en gaz de l’Europe – actuellement gérés de façon bilatérale – dans un contexte d’augmentation de la production mondiale.

M. le président François Brottes. En résumé : le charbon tue le gaz ; si le charbon a baissé, c’est à cause du gaz de schiste ; nous aurions pu nous défendre, mais nous ne l’avons pas fait.

M. Andreas Rüdinger. On aurait pu trouver une réponse politique.

M. le président François Brottes. Il n’en reste pas moins que le fait générateur de la baisse du prix du charbon est bien l’avènement du gaz de schiste sur le marché mondial.

M. Andreas Rüdinger. Le gaz de schiste joue un rôle important, mais il ne faut pas négliger la faiblesse structurelle de l’ETS (Emissions Trading System). Lorsque l’on a fixé le prix initial de la tonne de CO2 à 25 euros, on tablait sur une hausse des quotas. Or ils se sont totalement effondrés, atteignant un niveau de 3 à 4 euros la tonne l’année dernière.

L’augmentation de la production au charbon, je l’ai dit, n’est pas un phénomène allemand, mais européen. En France, où le parc de production fossile est beaucoup moins important, la production au gaz a diminué de 7,3 TWh entre 2011 et 2012, tandis que le charbon augmentait de 5 TWh. Quant à la Grande-Bretagne, que l’on oppose souvent à l’Allemagne dans ses choix de transition énergétique et que l’on cite en exemple dans la lutte contre le changement climatique, la production au charbon a augmenté de 32 TWh entre 2011 et 2012 – soit beaucoup plus qu’en Allemagne, alors que la consommation est nettement inférieure – et la production au gaz a baissé de 47 TWh. En Espagne, le charbon augmente sur la même période de 11,2 TWh, et le gaz diminue de 12 TWh. Il y a donc eu substitution entre ces deux sources de production en Europe. Le charbon a remplacé le gaz dans l’ordre de mérite des centrales.

M. le président François Brottes. Revenons-en aux chiffres qui, selon vous, montrent que la hausse du renouvelable aurait compensé la baisse de la production nucléaire en Allemagne. Que reflètent-ils ? Ce qui est produit et consommé sur le territoire allemand, ou ce qui est produit en Allemagne sans y être forcément consommé, qu’il s’agisse de l’électricité exportée ou de celle que produisent les éoliennes à des moments où on n’en a pas besoin ? Il faut comparer ce qui est comparable.

M. Andreas Rüdinger. Comme je l’ai bien précisé, ces chiffres traduisent l’évolution du volume de la production totale annuelle entre 2010 et 2013. Pour le reste, il est impossible de détecter l’origine d’un électron sur le réseau. On ne peut donc savoir si l’intégralité de la réduction de la production nucléaire a été compensée par la hausse du renouvelable. Cela dépend des dynamiques sur le marché européen, sachant qu’auparavant une grande partie de l’électricité nucléaire allemande était déjà exportée. Mais, à ce stade, je ne peux donner qu’un bilan statique en volume. Les énergies renouvelables comprennent assurément un facteur de variabilité important, qui demande un effort de flexibilité supplémentaire dans le réseau. L’argument selon lequel ce sont les centrales à charbon qui assurent cette flexibilité ne me semble cependant pas tout à fait fondé. Si tel était le cas, on assisterait à une évolution du facteur de charge de ces centrales : là où elles fonctionnent en base, elles devraient désormais moduler leur production en fonction de la production d’énergie renouvelable intermittente. Il n’en est rien. Dans la période considérée, leur facteur de charge n’a que légèrement augmenté pour des raisons économiques. Produire de l’électricité à partir de charbon en Europe est très rentable et les opérateurs font fonctionner leurs centrales autant qu’ils peuvent, que ce soit pour la consommation intérieure ou pour l’exportation.

M. le président François Brottes. En France, il ne nous reste plus beaucoup de charbon !

M. Andreas Rüdinger. L’Allemagne importe aussi une grande partie de son charbon.

M. le président François Brottes. Avez-vous analysé les courbes de production d’électricité et d’utilisation des différentes sources heure par heure ? RTE propose sur son site une application pour téléphone mobile qui permet de suivre en temps réel d’où vient l’électricité que l’on consomme. C’est le seul moyen de déterminer si une source en compense une autre. Les volumes annuels en disent beaucoup moins.

M. Andreas Rüdinger. J’ai ces chiffres, mais je pense que le fait de disposer du profil de consommation ne permet pas de mener l’évaluation jusqu’au bout. Si, comme c’est le cas en Allemagne, le parc fossile ne s’adapte pas entièrement à la variabilité des énergies renouvelables, doit-on considérer que ce sont les électrons « renouvelables » qui seront exportés ou les électrons « thermiques » ? Quoi qu’il en soit, je maintiens que le parc allemand de centrales à charbon a maintenu, voire augmenté son facteur de charge, et qu’il manque de flexibilité, aujourd’hui et dans les dix prochaines années, pour faire face à cette variabilité. C’est bien pourquoi nous avons besoin de centrales à gaz très performantes, avec un effet de rampe beaucoup plus rapide leur permettant de passer à 50 % de leur capacité de production en dix minutes et à 100 % en vingt minutes, ce qui est impossible pour des centrales à charbon vieilles de vingt ans.

M. le président François Brottes. Quelle est la part du lignite dans la production d’électricité en Allemagne ?

M. Andreas Rüdinger. En 2013, le lignite représentait 162 TWh, soit 26 % de la production totale d’électricité, et la houille 124 TWh, soit 20 %. La part du charbon est donc de 46 %.

La question du charbon est très importante, mais elle l’est pour toute l’Europe et pas seulement pour l’Allemagne. Il faut trouver d’urgence les moyens politiques d’assainir ce marché en augmentant le signal prix des quotas de CO2, afin notamment de structurer les décisions d’investissements futurs et pour instaurer une visibilité qui fait aujourd’hui défaut sur ce marché. On s’attendait à la disparition des capacités des centrales thermiques vieilles et polluantes sous l’effet conjugué de la directive sur les polluants atmosphériques et de la directive ETS. Or cela ne s’est jamais produit. Le parc des centrales à charbon ne s’est pas réduit en Europe. Il n’y a donc pas de place pour d’autres moyens de production décarbonés.

M. le président François Brottes. Ne pensez-vous pas que le phénomène a tout de même partie liée avec la décision de réduire le parc nucléaire ? Si l’on instituait une taxe carbone d’un montant plus vertueux, cela ne servirait-il pas les intérêts du nucléaire ? Si l’on ne s’y résout pas, c’est peut-être que l’on est dans une phase de transition où d’autres énergies renouvelables ne sont pas arrivées à maturité. Si l’Allemagne, la France et quelques autres grands pays étaient favorables à une hausse de la taxation des émissions de CO2, l’Europe devrait pouvoir y arriver. Cela ne dépend ni des Américains ni des Chinois !

M. Andreas Rüdinger. En théorie, l’augmentation du coût des émissions de CO2 devrait évidemment avantager le nucléaire, mais tout autant les énergies renouvelables.

Je rappelle que les mesures proposées par le nouveau ministre allemand de l’environnement, M. Sigmar Gabriel, visent à diminuer le surcoût des énergies renouvelables à l’avenir : elles n’affectent pas le surcoût historique, qui s’élève à 23 milliards d’euros au total. Pour diminuer le poids de cette charge historique, il faut d’abord influer sur le prix du marché européen, qui a atteint il y a quatre ans 70 euros le MWh pour retomber aujourd’hui au-dessous de 40 euros. Si ce prix revient à un niveau plus sain, la charge des énergies renouvelables baissera automatiquement, puisqu’elle est calculée sur la différence entre le prix du marché de gros et le tarif d’achat. L’Allemagne aurait tout intérêt, pour ce qui concerne du moins le coût des énergies renouvelables, à un assainissement du marché européen et à un renforcement des quotas de CO2. Mais, bien entendu, ce n’est pas l’intérêt des opérateurs de centrales à charbon.

M. le président François Brottes. Ces opérateurs ont-ils à voir avec la filière nucléaire ?

M. Andreas Rüdinger. Ce sont les mêmes : Vattenfall, qui est détenu par l’État suédois, RWE, EON et EnBW. Tous quatre exploitent à la fois des centrales nucléaires et des centrales thermiques à charbon. RWE possède même le plus grand parc de centrales à charbon d’Europe.

M. le président François Brottes. Mis à part EON, dont le projet de production à partir de la biomasse fait débat, ils sont peu présents en France.

Mais revenons-en à la réduction de la consommation intérieure allemande de 19 TWh. Quelle est la recette d’une telle prouesse ?

M. Andreas Rüdinger. C’est en grande partie une conséquence du signal prix très élevé.

M. le président François Brottes. Pour les particuliers. Les industriels allemands, en revanche, bénéficient de nombreux avantages. Ils ne paient pas le transport de l’électricité, par exemple.

M. Andreas Rüdinger. Ils ont beaucoup d’avantages par rapport aux ménages allemands. Par rapport aux industriels des autres pays, l’analyse mérite d’être approfondie…

Le prix moyen de l’électricité pour les particuliers atteint 26 à 27 centimes par kWh, alors que le tarif réglementé est en moyenne de 14,3 centimes en France. La différence est presque du simple au double. Elle a évidemment un effet sur les comportements, notamment sur les achats d’équipements. Une étude comparative des systèmes énergétiques français et allemand publiée en 2011 par l’IDDRI et l’association Global Chance a montré que la consommation d’électricité « spécifique » – appareils électriques et éclairage, mais pas chauffage et chauffe-eau – par habitant était au même niveau dans les deux pays en 1998.

C’est à cette date que commence le tournant énergétique allemand, avec l’instauration d’une taxe « écologique » sur l’électricité dont les recettes – 6 milliards d’euros par an – sont affectées à l’abaissement des charges sociales sur le travail. L’Allemagne a ensuite connu une augmentation régulière des tarifs de l’électricité, imputable au surcoût des énergies renouvelables à hauteur de 40 % environ, à deux hausses de la TVA, à la hausse d’autres contributions, à une légère hausse des charges de réseau et à une augmentation de la marge bénéficiaire des opérateurs. Lorsque le prix du kilowattheure atteint 27 centimes, on comprend bien que la décision d’acheter un réfrigérateur ou un lave-linge de catégorie « A++ » est plus facile à prendre. Un même équipement se rentabilise en dix ans en France, en cinq ans en Allemagne.

Selon l’étude citée, la consommation des ménages français en électricité spécifique a donc poursuivi sa trajectoire après 1998, tandis que celle des ménages allemands s’est stabilisée, si bien que la seconde est aujourd’hui de 30 % inférieure à la première.

Après la publication de ces résultats, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) a commandé aux cabinets Sowatt et Enerdata une étude qui met en évidence la différence du taux de pénétration d’équipements très performants entre la France et l’Allemagne. On le voit, le signal prix affecte les décisions d’achat des ménages, et l’on peut supposer qu’il a aussi induit des usages plus sobres.

M. le président François Brottes. Cela ne peut expliquer à soi seul les 19 TWh d’économies. Il y a forcément eu des transferts de consommation. On aura remplacé sa cuisinière électrique par une cuisinière au gaz, on se chauffe au bois plutôt qu’à l’électricité, etc. Avez-vous des éléments à ce sujet ?

M. Andreas Rüdinger. Pas directement, car il est très difficile d’isoler les effets de transfert. Il existe des dynamiques d’évolution tendancielle des besoins par énergie, mais certains usages peuvent en effet donner lieu à des substitutions.

M. Denis Baupin, rapporteur. Le groupe de travail « Compétitivité » du débat national sur la transition énergétique a relevé que les dépenses d’énergie du logement – en dépit de débats sur ce que l’on mesurait réellement – représentaient 4,8 % des revenus, aussi bien pour les ménages allemands que pour les ménages français.

Votre présentation, monsieur Rüdinger, montre l’ampleur et la complexité de la transition énergétique. Je ne reviendrai pas sur la question du charbon, au sujet duquel nous partageons tous les mêmes préoccupations : malgré le rôle de ce mode de production sur le dérèglement climatique, les choses ne risquent pas de s’arranger tant que l’on ne mènera pas une politique climatique au niveau européen.

Les sénateurs Jean Desessard et Ladislas Poniatowski, que nous avons entendus, affirment dans leur rapport d’enquête sur « le coût réel de l’électricité afin d’en déterminer l’imputation aux différents agents économiques » que, si le prix de l’électricité en France est parmi les plus bas d’Europe, le montant des factures est en revanche sensiblement le même. Il serait même plus élevé en France qu’en Allemagne. Qu’en pensez-vous ?

Une partie importante de l’électricité renouvelable est produite par l’éolien en mer dans le nord du pays, alors que les besoins de consommation se trouvent surtout dans le Sud. Il semblerait que les projets de ligne d’acheminement entre ces deux secteurs rencontrent des difficultés. Quelle est votre analyse ?

On dit que les grands producteurs d’électricité en Allemagne sont en difficulté. La part de production d’énergie renouvelable serait plus le fait de petits producteurs – producteurs locaux, coopératives, mouvements associatifs – que des industriels. Quelles sont les conséquences de cette situation en matière de politique industrielle ?

Vous avez par ailleurs constaté – ce qui ne fait pas débat – que les électro-intensifs allemands ont des avantages clairs par rapport aux ménages. En revanche, vous estimez qu’il faut approfondir la comparaison avec les autres industriels européens. Votre analyse nous serait utile, car les éléments que l’on nous a fournis sur la situation des électro-intensifs français et allemands ne sont pas totalement concluants. L’atténuation de la contribution au service public de l’électricité (CSPE) dont bénéficient les entreprises françaises est-elle comparable aux avantages dont bénéficient les entreprises allemandes ? Le prix final est-il sensiblement le même dans les deux pays ou les Allemands sont-ils avantagés ? Selon que l’on écoute le MEDEF ou d’autres sources, les échos ne sont pas les mêmes.

Le Président de la République a indiqué il y a quelques jours qu’il souhaitait le renforcement de la coopération franco-allemande par un « Airbus de l’énergie ». Parmi les pistes évoquées figuraient les énergies renouvelables et le stockage de l’électricité. Comment cette proposition est-elle accueillie du côté allemand ? Est-elle compatible avec la voie choisie pour la transition énergétique en Allemagne ? Quels pourraient en être les axes prioritaires ?

S’agissant enfin de la centrale de Fessenheim, qui est très proche de l’Allemagne, une étude réalisée par l’Öko-Institut pour le Land de Bade-Wurtemberg fait apparaître que l’installation ne pourrait fonctionner si elle se trouvait de l’autre côté de la frontière, car elle n’est pas conforme au référentiel de sûreté allemand. Ces différences de référentiel à quelques centaines de mètres de distance ont de quoi étonner. Pourriez-vous apporter des précisions ?

M. le président François Brottes. On parle d’une éventuelle agence franco-allemande de la sécurité d’approvisionnement. Ce projet pourrait-il s’intégrer à l’« Airbus de l’énergie » ?

M. Andreas Rüdinger. L’effet économique de la hausse du prix de l’électricité a été très fort en Allemagne. Pourtant, les statistiques officielles françaises et allemandes indiquent exactement les mêmes valeurs : la part des dépenses d’énergie dans le logement – incluant l’électricité – est de 4,8 % des dépenses totales, et elle atteint 8,4 % si l’on y ajoute le carburant et les transports. Mais le niveau des loyers est plus bas en Allemagne, de même, en général, que les prix de l’immobilier.

Peut-être la facture d’un ménage français est-elle plus élevée, monsieur le rapporteur. Encore faudrait-il parvenir à comparer ce qui est comparable, c’est-à-dire extraire la part du chauffage et des chauffe-eau électriques, voire prendre en compte l’électrification supérieure des logements en France – fours électriques, etc. Je ne peux donc me prononcer sur ce sujet et je m’en tiens aux données disponibles : l’effort énergétique des ménages est le même en France et en Allemagne. Il faudrait approfondir les analyses pour déterminer si les Allemands réduisent leur consommation en réaction à l’augmentation de leur facture ou si d’autres facteurs jouent, comme la substitution d’autres énergies non prises en compte.

Le réseau est le talon d’Achille du tournant énergétique allemand, d’où les mesures successives prises en 2011, 2012 et 2013. L’Agence des réseaux évalue le besoin en infrastructures à moyenne et haute tension à 2 600 km de lignes nouvelles, notamment selon un axe nord-sud pour faire face au différentiel croissant entre une production renouvelable majoritairement installée sur les côtes de la mer du Nord et les centres de consommation, notamment industrielle, concentrés dans le Sud, et à 2 500 km de renforcement et d’optimisation de lignes existantes, sachant que les opérateurs de réseau allemands ont adopté le principe NOVA (Netz-Optimierung vor Verstärkung vor Ausbau¸ c’est-à-dire « optimisation du réseau avant de le renforcer et de le développer »). À peine un dixième de ce programme, qui s’échelonne jusqu’en 2022 et est actualisé chaque année, a été réalisé.

M. le président François Brottes. Est-il facile de construire des lignes à haute tension en Allemagne ?

M. Andreas Rüdinger. Les problèmes d’acceptabilité sont les mêmes qu’en France. Peut-être arrive-t-on à les atténuer dès lors que l’on fait passer le message que ces lignes servent avant tout le tournant énergétique et le développement des énergies renouvelables. Cela dit, de nombreux problèmes se posent au niveau local. La réforme de la procédure administrative d’étude d’impact et de consultation fait de l’Agence des réseaux un guichet unique, ce qui devrait en théorie accélérer le processus.

La dernière mesure en date, annoncée par le précédent ministre de l’environnement Peter Altmaier, visait à permettre aux citoyens concernés au niveau local de participer financièrement au développement des réseaux, le rendement de l’investissement dans ces infrastructures étant garanti par l’Agence des réseaux à hauteur de 9 % par an. Cette idée s’inspire du succès rencontré ces dernières années par les projets citoyens en matière de développement des énergies renouvelables.

M. le président François Brottes. L’acceptabilité par l’actionnariat, en somme. Pourquoi ne pas l’envisager aussi pour les centrales nucléaires ? (Sourires.)

M. Andreas Rüdinger. Je doute moi aussi de l’efficacité de ce dispositif. Pour en savoir plus, votre commission pourra contacter l’Agence des réseaux. Le problème se pose également pour le développement de l’éolien en mer : l’installation des câbles a pris un retard considérable.

Pour ce qui est des consommateurs électro-intensifs, je vous renvoie à une étude comparative de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) qui compare les mécanismes qui, en France et en Allemagne, avantagent les industriels. Ainsi, 20 % de la consommation française bénéficie d’un taux privilégié de CSPE, et 20 % de la consommation allemande est partiellement exonérée de la contribution pour le développement des énergies renouvelables. L’analyse intègre le dispositif Exeltium, consortium constitué par les électro-intensifs français pour obtenir des prix à la fois bas et stables sur des périodes allant jusqu’à vingt ans. Elle conclut que les niveaux de prix sont très semblables dans les deux pays. L’avantage relatif de l’un par rapport à l’autre dépend de l’évolution du prix de gros sur le marché européen – je rappelle que ce prix est identique en France et en Allemagne pendant 92 % du temps. Si ce prix dépasse 44 euros le MWh, les électro-intensifs français sont légèrement avantagés. Dans le cas contraire, ce sont les électro-intensifs allemands, qui s’approvisionnent directement sur le marché.

M. le président François Brottes. Il faut aussi poser la question du tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE). Les industries allemandes ne paient pas le transport de l’électricité.

M. Andreas Rüdinger. Elles le paient peu, ce qui est un problème en soi. Tout dépend de la frontière que l’on pose entre avantage relatif et avantage indu. Si l’on considère que, par nature, les Allemands devraient payer plus cher leur électricité, le niveau de prix similaire qu’acquittent aujourd’hui les industriels allemands et français est un avantage indu. C’est une position qui se défend. La Commission européenne venant d’engager une procédure contre l’Allemagne pour établir si les dispositifs de soutien aux énergies renouvelables constituent des aides d’État, je pense que nous aurons bientôt des éclairages sur ces questions.

M. le président François Brottes. Des industriels électro-intensifs français nous ont affirmé que la différence de prix était de 7 à 13 % par rapport à leurs concurrents allemands. Les Länder ont-ils un rôle d’atténuation des prix ?

M. Andreas Rüdinger. Non. Le pouvoir politique intervient au niveau national via les dispositifs d’exonération. Les Länder n’ont aucun moyen d’influer sur les prix. Pour le reste, comment reconstruire un coût relatif et tirer des conclusions globales quant à la compétitivité des industriels, sachant que les entreprises allemandes s’approvisionnent individuellement sur le marché ou, de plus en plus, produisent leur propre électricité ? Auditionné l’année dernière dans le cadre du débat national français sur la transition énergétique, le ministre allemand de l’environnement Peter Altmaier a remarqué que les industriels électro-intensifs français et allemands se reprochaient mutuellement les avantages qui leur sont accordés. Une analyse claire et objective de la question est difficile !

M. le président François Brottes. La France débat avec l’Union européenne du tarif réglementé et des concessions hydrauliques, l’Allemagne des aides d’État aux énergies renouvelables ou du TURPE. Si chaque pays va au bout de ces contentieux et les perd, la donne s’en trouvera-t-elle significativement modifiée pour les consommateurs ?

M. Andreas Rüdinger. Les contextes sont différents. Une remise en cause des tarifs réglementés pourrait affecter les petites entreprises et les ménages français. Dans le cas de l’Allemagne, le plus probable est que la Commission considérera que les conditions d’éligibilité aux différents mécanismes d’exonération sont trop larges. La presse s’en est d’ailleurs fait l’écho : l’année dernière, on s’est aperçu que des terrains de golf ou des boucheries, nullement soumis à la concurrence internationale, bénéficiaient de ces avantages du fait de l’abaissement du seuil de 100 GWh à l’origine à 1 GWh aujourd’hui, ce qui a contribué à dégrader l’image du dispositif aux yeux de la population. La Commission demandera sans doute que l’on revoie, non pas le mécanisme lui-même, mais les conditions d’éligibilité, afin de les harmoniser avec celles qui prévalent dans l’ETS, où les États peuvent justifier dans certaines conditions d’une compensation du surcoût lié au prix des émissions de CO2 en faveur des industriels non producteurs d’électricité.

M. le président François Brottes. Ce mécanisme ne rencontre pas un grand succès.

M. Andreas Rüdinger. On n’en sait rien, dans la mesure où le prix des quotas ne l’a jamais déclenché. Le principe en est assez simple : on a défini les conditions d’éligibilité en fonction de l’exposition des entreprises à la concurrence internationale et de l’intensité de leur consommation énergétique par rapport à la valeur ajoutée, puis on a défini des benchmarks se référant aux émissions de CO2 des entreprises européennes les plus performantes secteur par secteur, de manière à favoriser les industries les moins polluantes. Ce dispositif qui retient les critères de l’exposition à la concurrence internationale, d’intensité énergétique et de performance énergétique, est aisément transposable aux exonérations liées au prix de l’électricité en Allemagne.

Vous pourrez recueillir directement l’avis des producteurs allemands d’électricité si vous les auditionnez par la suite. Je crois que la faiblesse du prix de marché fait que la situation est assez désastreuse pour les grands opérateurs, d’autant que certains d’entre eux
– notamment EON – ont massivement investi dans les centrales à gaz et ont perdu, avec la fermeture des centrales nucléaires, des actifs à forte rentabilité. Il faut ajouter qu’ils ont refusé pendant longtemps de prendre au sérieux les décisions du tournant énergétique. Jusqu’en 2006, ils ont soutenu des recours devant les instances européennes, arguant que le dispositif de tarif d’achat violait les règles du marché. Ils se sont donc battus contre le développement des énergies renouvelables sans y prendre part. Tout en restant ultra-dominants sur le marché de la production d’électricité, dont ils conservent 75 %, les quatre grands électriciens n’ont construit que 6 % des 60 GW – l’équivalent de la puissance du parc nucléaire français – de capacité électrique renouvelable installée en Allemagne entre 2000 et 2010. Pendant ce temps, les petits producteurs, notamment les projets citoyens, ont connu un fort essor. La moitié de la capacité renouvelable est détenue par des propriétaires privés, qu’il s’agisse du citoyen qui s’engage financièrement via une coopérative ou du boulanger qui décide d’installer des panneaux photovoltaïques sur son toit.

M. le président François Brottes. Finalement, il serait logique qu’il en aille de même pour les réseaux.

M. Andreas Rüdinger. Cela a en effet grandement contribué à faire accepter les coûts de la transition énergétique. Sans cette forme d’appropriation citoyenne, l’opposition à la charge du renouvelable aurait été beaucoup plus forte. Le citoyen n’est plus seulement payeur, il est également bénéficiaire d’un processus auquel il participe activement.

Pour en venir à l’« Airbus de l’énergie », l’idée n’est pas nouvelle. L’année dernière, à l’occasion de la célébration du cinquantenaire du traité de l’Élysée, le ministre Peter Altmeier avait fait une annonce similaire dans un entretien accordé au Monde. Savoir si cela est réaliste est une autre question. Existe-t-il une volonté politique et économique de construire une entreprise comparable à Airbus, dont la gestation a tout de même duré plusieurs décennies ? Une telle démarche est-elle pertinente dans le secteur des énergies renouvelables ? Je rappelle qu’un projet associant les plus grands centres de recherche allemands, français et suisses sur le photovoltaïque – Fraunhofer, Institut national de l’énergie solaire et Centre suisse d’électronique et de microtechnique – est actuellement en cours pour étudier la possibilité de créer un grand pôle de recherche et d’industrie commun à ces trois pays. L’objectif est de réaliser des économies d’échelle dans un centre de production de panneaux photovoltaïques de taille suffisante pour rivaliser avec la concurrence chinoise, mais également d’accélérer le transfert entre la recherche et l’industrie.

Si la volonté de renforcer la coopération franco-allemande dans le secteur de l’énergie a été saluée par le gouvernement allemand, la référence au symbole que constitue Airbus a néanmoins suscité quelques critiques, puisque ce sont principalement des PME qui sont actives dans le secteur des énergies renouvelables en Allemagne et que l’on y considère l’intervention de la puissance publique de manière plus circonspecte. Le tissu économique allemand semble un peu réticent à l’idée d’un « Airbus » des énergies renouvelables.

M. le président François Brottes. Airbus n’en est pas moins une entreprise performante.

M. Andreas Rüdinger. Je pense que le projet est réalisable et que ce serait un symbole fort de la coopération franco-allemande, laquelle est déjà étroite. L’année dernière, l’Office franco-allemand des énergies renouvelables a augmenté significativement ses activités et élargi son champ d’action. L’Allemagne nourrissait même le projet de transformer le site de Fessenheim en laboratoire franco-allemand de la transition énergétique. Je rappelle que la centrale appartient à EDF, mais aussi à l’allemand EnBW et à des groupes suisses. En cas de fermeture, la transformation en pôle de recherche ou en pôle industriel permettrait de sauvegarder l’emploi et constituerait un symbole fort. Le ministre de l’environnement, du climat et de l’énergie du Land de Bade-Wurtemberg, M. Untersteller, a activement soutenu le projet auprès de responsables publics français.

Quant à l’étude de l’Öko-Institut que vous mentionnez, monsieur le rapporteur, je ne peux pas la commenter, car je ne l’ai pas lue et ne suis pas expert en sûreté nucléaire.

S’agissant enfin du projet d’agence franco-allemande de la sécurité d’approvisionnement, monsieur le président, il faudrait d’abord savoir s’il concerne uniquement l’électricité ou toutes les énergies. En soi, c’est une avancée souhaitable qui pourrait par la suite prendre une dimension plus européenne, en commençant par le Benelux.

Mme Frédérique Massat. L’Allemagne détient le record européen d’émissions de CO2, avec 728 millions de tonnes rejetées en 2012 contre 472 millions pour la Grande-Bretagne, 366 millions pour l’Italie et 332 millions pour la France. La politique de transition énergétique s’accompagne-t-elle d’une politique de réduction des émissions de CO2 ?

Qu’en est-il du développement des véhicules électriques en Allemagne ?

En matière de réseau, applique-t-on des règles d’automaticité de raccordement du producteur ou existe-t-il des délais ?

Mme Sabine Buis. Hier, la Commission européenne a annoncé un nouveau cadre pour le paquet énergie-climat. Comment analysez-vous les conséquences de ce nouveau dispositif qu’il faudra décliner au niveau national ? Contribuera-t-il à la réussite, que nous souhaitons tous, de la vingt et unième conférence sur le changement climatique que la France accueillera en 2015 ?

M. le président François Brottes. La technique du véhicule à hydrogène semble être arrivée à maturité en Allemagne. Quel est votre avis sur ses qualités et ses défauts, y compris au regard des émissions de CO2 ?

M. Andreas Rüdinger. L’Allemagne a toujours été et reste le premier émetteur de CO2 en Europe. Mais il faut également se référer au bilan tous GES (gaz à effet de serre) par habitant. Pour le seul CO2, les émissions atteignent 5,6 tonnes par habitant en France et 9 pour l’Allemagne ; si on intègre tous les GES, on passe à 11,2 tonnes en Allemagne et à près de 9 tonnes en France. L’écart se réduit considérablement. En France, le CO2 ne représente que les deux tiers des émissions de GES ; du fait de l’élevage, le méthane a une part importante.

M. le président François Brottes. Et vous être plus nombreux que nous…

M. Andreas Rüdinger. Plus pour longtemps ! (Sourires.)

Par ailleurs, l’Allemagne mène des politiques sur le climat, du reste beaucoup plus affirmées au niveau local qu’au niveau national, où la question de l’électricité et des énergies renouvelables occulte souvent, dans le débat politique, d’autres domaines tout aussi importants pour la transition énergétique comme le transport et le bâtiment. Les villes allemandes sont très impliquées dans la Convention des maires. Environ un tiers des bassins de vie font partie d’une association de collectivités qui vise une transition énergétique beaucoup plus forte et un taux de pénétration des renouvelables beaucoup plus élevé. Il existe également un projet pilote de « villes libres de CO2 » à bilan d’émission neutre.

On peut cependant regretter l’absence de nouvelles mesures au niveau national pour traiter de la question du charbon. La Grande-Bretagne a proposé pour sa part de mettre en place un standard national de performance en matière d’émissions, ce qui revient à imposer la régulation la plus dure possible au secteur de l’électricité : à un moment donné, on n’autorisera plus les centrales qui dépassent un certain seuil d’émissions par kilowattheure produit. On a d’ailleurs envisagé la même chose aux États-Unis pour les nouvelles centrales.

En Allemagne, certains partis d’opposition réclament une loi sur le climat et des budgets spécifiques. La question du climat fait clairement partie du tournant énergétique, mais elle pourrait être mieux valorisée dans le contexte politique actuel.

Cela dit, l’Allemagne s’est toujours fixé des objectifs ambitieux au plan européen. Son objectif de réduction de 40 % des émissions de CO2 à l’horizon 2020 – contre 20 % pour la France et pour l’Europe – est le plus fort de tous les pays.

M. le président François Brottes. Cela reste des objectifs.

M. Andreas Rüdinger. Certes, mais l’Allemagne avait tout de même atteint, à la fin de 2012, une réduction de 26 % par rapport à 1990. Pour l’instant, la trajectoire est tenable. Elle le sera moins si l’on ne trouve pas une solution à la question du marché électrique européen et de l’ETS.

Le véhicule électrique fait partie des choix politiques allemands, avec un objectif de 1 million de véhicules en circulation en 2020. Les chiffres actuels sont très faibles – quelques dizaines de milliers de véhicules vendus. Dans le contexte de crise, les industriels se soucient surtout du présent et veillent à ce que les objectifs européens d’émissions des véhicules traditionnels n’augmentent pas trop. Je pense qu’il y a une opportunité de coopération franco-allemande renforcée dans le domaine du véhicule propre, où nous avons beaucoup d’expertise à partager.

Pour en venir aux véhicules à hydrogène, je crois que l’euphorie suscitée par cette technique il y a quinze ans est retombée. Alors que tous les grands constructeurs menaient des projets dans ce domaine, ils se tournent maintenant vers les hybrides et les véhicules électriques. L’hydrogène présente des difficultés techniques et des risques du fait de sa compression dans les réservoirs et de la nécessité de développer des stations spécifiques. La piste n’est donc pas entièrement poursuivie, même s’il existe des projets : on prévoit par exemple que les véhicules qui circuleront dans le nouvel aéroport de Berlin seront à hydrogène ; c’est le français Air Liquide qui a la charge du projet.

S’agissant du raccordement au réseau des producteurs d’énergie renouvelable, je vous renvoie à l’Office franco-allemand des énergies renouvelables, qui a consacré plusieurs études au sujet et dispose de tous les chiffres. La procédure est légèrement différente en Allemagne et le partage des coûts est, pour l’instant, plus favorable à l’installateur qu’en France. Le délai au-delà duquel une absence de réponse de l’administration vaut autorisation est également plus court.

Comme vous l’avez indiqué, madame Buis, la Commission européenne a fait des premières annonces au sujet du paquet énergie-climat pour 2030. En première analyse, il me semble que la proposition représente la limite basse des ambitions disponibles en Europe. On peut l’attribuer à une stratégie politique de la Commission, qui voudrait, en ne plaçant pas la barre trop haut, arriver directement à un consensus.

Au-delà, une grande hésitation est perceptible dans la politique européenne, d’autant que la mise en œuvre du paquet 2020 se heurte à de grandes difficultés. Sur le plan économique, on ne sait pas comment réagir au problème des prix de l’énergie. Sur le plan politique, le débat s’est cristallisé sur une question trop restreinte à mon sens : faut-il fixer un seul objectif ou trois ? Le choix des mécanismes que l’on met en œuvre ou que l’on renforce a parfois plus d’utilité que la définition d’objectifs. La Commission n’aborde pas vraiment cet aspect.

Cela dit, il s’agit là de premières propositions qui seront négociées au Conseil européen. On peut s’attendre à des évolutions. En matière d’énergies renouvelables, une coalition d’États, dont la France, s’est engagée pour des objectifs contraignants. En l’état, les annonces d’hier ne sont pas assez ambitieuses si l’on veut démontrer une réelle volonté politique avant la Conférence sur le changement climatique qui se tiendra à Paris en 2015. L’objectif interne de réduction de 40 % des émissions de GES à l’horizon 2030 n’est pas suffisant, en soi, pour restaurer le signal prix de l’ETS, loin de là ! La Commission n’apporte de réponse concrète ni à la question de l’assainissement du marché ni à celle, centrale, de l’efficacité énergétique.

Or l’efficacité énergétique reste le premier potentiel en Europe. En France et en Allemagne, pays pourtant très performants sur le plan industriel et économique, on constate des gisements d’économies de 50 % et plus dans le bâtiment. C’est dire l’étendue du potentiel dans les autres États !

M. le président François Brottes. Certains annoncent une baisse du prix du pétrole de 20 à 30 % dans les deux ou trois prochaines années. Cette hypothèse est-elle crédible ? Arrangera-t-elle les affaires de ceux qui veulent un mix différent ?

M. Andreas Rüdinger. J’avoue ne pas avoir d’avis complet sur la question. Les scénarios de l’Agence internationale de l’énergie ou de l’OCDE n’ont pas, jusqu’à présent, intégré cette éventualité.

Structurellement, je ne crois pas que les fondamentaux qui définissent le marché du pétrole aient beaucoup changé avec l’apparition des huiles de schiste.

M. Patrice Prat. À la lumière de votre analyse du cas allemand et de ce que vous nous avez dit sur la difficulté à déterminer le coût de la sortie du nucléaire, quels paramètres devrions-nous retenir pour évaluer un tel coût en France et quels obstacles devrions-nous surmonter pour réussir cette sortie ?

M. Andreas Rüdinger. En premier lieu, je vous renvoie aux travaux du Débat national sur la transition énergétique, notamment ceux des groupes de travail « Mix et scénarios énergétiques » et « Coûts et financement ». Un plan français de sortie du nucléaire serait un défi très important, car le secteur de l’énergie est incertain à un horizon de trente ou quarante ans. Les scénarios montrant la faisabilité technique d’une telle sortie existent néanmoins. Le Débat national a permis de commencer différents exercices d’évaluation économique de ces scénarios. Ces documents, qui sont disponibles, montrent que cela peut marcher, sachant que les incertitudes pèsent de toute façon, quel que soit le mix énergétique.

À mon sens, le premier enjeu d’un tel objectif est l’effort de maîtrise de la demande énergétique. Pour le reste, le potentiel naturel de la France en matière de vent, de biomasse, d’hydraulique et d’ensoleillement est supérieur à celui de l’Allemagne. Le pays détient toutes les clés de la réussite. De même, le réseau à très haute tension est mieux structuré en France qu’en Allemagne. Si l’on associe une politique de réduction progressive du nucléaire à une planification du développement des énergies renouvelables et à une valorisation des points d’accès au réseau qui se libèrent, le potentiel est considérable.

À ce propos, l’ADEME a lancé une étude visant à modéliser un système électrique alimenté à presque 100 % par les énergies renouvelables en 2050 en France. Il s’agit non seulement d’une évaluation technique, mais aussi d’une évaluation économique.

M. le président François Brottes. Au nom de l’ensemble de la commission d’enquête, je vous remercie pour la clarté de vos réponses.

L’audition s’achève à treize heures vingt.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d'exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l'électricité nucléaire

Réunion du jeudi 23 janvier 2014 à 9 h 30

Présents. – Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Denis Baupin, M. Yves Blein, M. François Brottes, Mme Sabine Buis, Mme Sandrine Hurel, Mme Frédérique Massat, M. Patrice Prat, M. Michel Sordi

Excusés. - M. Damien Abad, M. Bernard Accoyer, M. Philippe Baumel, M. Jean-Pierre Gorges, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, M. Jacques Krabal, Mme Sylvie Pichot, M. Franck Reynier, M. Stéphane Travert, Mme Clotilde Valter

NB : le document mis à la disposition de la commission est accessible en fin de la version pdf.