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Commission d’enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d’exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l’électricité nucléaire, dans le périmètre du mix électrique français et européen, ainsi qu’aux conséquences de la fermeture et du démantèlement de réacteurs nucléaires, notamment de la centrale de Fessenheim

Jeudi 13 février 2014

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 17

Présidence de M. François Brottes Président

– Audition de M. Étienne Dutheil, directeur-adjoint de la Production nucléaire (EDF)

L’audition débute à dix heures quarante.

M. le président François Brottes. Nous avons le plaisir d’accueillir M. Étienne Dutheil, directeur-adjoint de la production nucléaire à EDF.

Nous allons pouvoir confronter vos réponses avec les informations que vient de nous donner le président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), faisant état de défauts assez significatifs dans la maîtrise des arrêts de tranche. Même si la situation s’est notablement améliorée, peut-être nous confirmerez-vous la réduction, pendant une certaine période, de l’effort financier consacré à la gestion des avaries. Autrement dit, un bon compte d’exploitation nécessite-t-il une mauvaise maintenance des centrales ? Si la formule est caricaturale, elle permet d’aller au cœur de nos préoccupations : les coûts de la filière, de son maintien en bon état de fonctionnement et de son éventuelle prolongation.

L’organisation des arrêts de tranche a connu des dérives avec des allongements des durées programmées importants – une vingtaine de jours en moyenne et même plus de vingt-cinq jours en 2012. Les mauvaises langues pourraient en conclure qu’EDF ne maîtrise pas suffisamment le processus industriel, maîtrise qui est la garantie d’une maintenance réussie et performante.

Au moment où le débat sur la transition énergétique bat son plein, où l’on se demande s’il faut prolonger, arrêter ou remplacer les centrales nucléaires, le projet de grand carénage revêt un caractère crucial pour EDF.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Étienne Dutheil prête serment.)

M. Étienne Dutheil, directeur-adjoint de la production nucléaire à EDF. La maintenance des centrales nucléaires en exploitation recouvre à la fois des opérations de maintenance courante et de contrôle des installations, systèmes et matériels, ainsi que le remplacement de gros composants ou des modifications visant à garantir et améliorer régulièrement la sûreté et la disponibilité des installations. Les opérations de maintenance sont effectuées le plus souvent lors des arrêts de tranche, tous les douze à dix-huit mois suivant le type de centrale. En 2012, les dépenses totales d’investissement de maintenance se sont élevées à 2,748 milliards d’euros et le montant des dépenses d’exploitation liées à la sous-traitance à 1,351 milliard d’euros, soit un total de 4,099 milliards d’euros.

L’appel à la sous-traitance pour les opérations de maintenance répond à un triple besoin. Tout d’abord, c’est le moyen de bénéficier des compétences pointues ou rares, acquises et entretenues en permanence, que seuls des constructeurs et des entreprises spécialisées, qui travaillent aussi pour d’autres industriels, peuvent mettre à la disposition d’EDF. Ensuite, la sous-traitance permet de faire face à la forte saisonnalité des arrêts de tranche et donc d’absorber des pics de charge. Pour information, une visite décennale mobilise, à elle seule, plus de 1 500 salariés de différents métiers. Enfin, dans des domaines tels que la logistique ou le nettoyage, la présence permanente sur site de cette main-d’œuvre spécialisée est un gage d’efficacité dans les périodes d’arrêt de tranche.

Dans tous les cas, EDF conserve la maîtrise technique et industrielle des opérations de maintenance confiées aux entreprises prestataires, ce qui lui permet d’actualiser régulièrement sa politique industrielle. C’est ainsi qu’elle a procédé à la réinternalisation partielle de la maintenance de la robinetterie ou des activités de tuyauterie-soudage, en vue de pérenniser ses compétences de maîtrise d’ouvrage.

Le recours à des entreprises prestataires répond à une politique industrielle qui vise à garantir en permanence la performance dans tous les domaines, et non pas à réduire les effectifs d’EDF. Autrement, pourquoi procéderait-elle à 6 000 recrutements par an, dont 2 000 correspondent à des créations nettes d’emploi ? Un tiers des collaborateurs ainsi embauchés est affecté au domaine nucléaire.

EDF a fait le choix de confier à des entreprises prestataires la majeure partie des opérations de maintenance effectuées dans ses centrales depuis plus de vingt ans. Ces entreprises sont aujourd’hui des partenaires et des acteurs essentiels du parc nucléaire français. En 2012, elles ont effectué 32 millions d’heures de travail et mobilisé régulièrement quelque 22 000 salariés. Plus de 19 500 d’entre eux sont intervenus en zone contrôlée, c’est-à-dire dans la partie nucléaire de l’installation. Pour leur part, les salariés d’EDF étaient 27 000 à être directement affectés au domaine nucléaire, dont 20 000 sur les sites de production.

L’ASN procède régulièrement à des inspections externes sur le recours à des entreprises prestataires.

Depuis plus de quinze ans, EDF et les entreprises prestataires mènent une action commune pour améliorer la radioprotection des intervenants, stabiliser les emplois, détecter d’éventuelles situations de sous-traitance anormale, améliorer la sûreté et la qualité des interventions ainsi que les conditions de travail et de vie des salariés de ces entreprises. À cet effet, depuis le début de 2013, EDF intègre dans ses appels d’offres et ses marchés le cahier des charges social établi en juillet 2012 par le comité stratégique de la filière nucléaire (CSFN).

Les opérations de maintenance sont soumises à des procédures strictes et à de nombreux contrôles internes et externes, prévus notamment par le droit du travail et l’arrêté du 7 février 2012. Celui-ci fixe les règles générales relatives aux installations nucléaires de base, en particulier en matière de contrôles dosimétriques et de suivi médical.

Un processus rigoureux de sélection des entreprises prestataires permet de s’assurer qu’elles ont les compétences nécessaires pour obtenir la qualification requise pour travailler dans les centrales nucléaires. Cette qualification est décernée sur examen d’un dossier d’aptitude remis par l’entreprise, suivi d’un audit complet de celle-ci.

À la fin de l’année 2013, 810 entreprises prestataires de service de toute taille étaient qualifiées pour effectuer des opérations de maintenance sur les centrales nucléaires d’EDF. Elles soutiennent ainsi la filière nucléaire, qui génère directement 220 000 emplois et dont 60 % des acteurs industriels sont en recherche de collaborateurs. Elles contribuent également au renforcement du tissu industriel français. Bon nombre de ces entreprises interviennent, en effet, dans d’autres secteurs d’activité, comme la pétrochimie ou la papeterie, et trouvent dans la maintenance nucléaire un moyen de consolider leur plan de charge et leurs emplois.

EDF impose à toutes les entreprises prestataires travaillant en zone nucléaire d’avoir obtenu la certification du comité français de certification des entreprises pour la formation et le suivi des personnes travaillant sous rayonnement ionisant (CEFRI). Elle appliquera également, dès le 1er juillet 2015, les dispositions de l’arrêté interministériel du 12 décembre 2013, qui renforce la procédure de certification.

En matière de passation de marchés, EDF relève de la directive européenne 2004-17 portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux, qui a été transposée dans le droit français. À cet égard, elle doit respecter les principes généraux de mise en concurrence avec publicité européenne préalable, d’égalité de traitement des candidats, de transparence des procédures et de non-discrimination.

Le dispositif d’analyse des offres mis en place par EDF exclut toute sélection d’une entreprise qui offrirait des prix moins élevés dus à une prestation technique de mauvaise qualité ou non conforme aux exigences techniques et contractuelles d’EDF ou des prix anormalement bas. La règle de base pour l’attribution des marchés est aujourd’hui la « mieux-disance » : les offres ne sont plus évaluées sur le seul critère du prix, mais également sur ceux du professionnalisme, de la sécurité et de la radioprotection, de la protection de l’environnement, des conditions de travail et de l’environnement social des salariés de l’entreprise. De tels critères peuvent peser jusqu’à 20 % dans l’attribution, notamment sur les marchés à forte composante de main-d’œuvre.

La durée moyenne des marchés de maintenance passés par EDF est aujourd’hui de l’ordre de cinq ans – sept ans pour les marchés de logistique, parfois plus pour les marchés de modification couvrant l’ensemble d’un palier technique. Ces durées longues sont privilégiées pour donner de la visibilité aux entreprises et leur permettre d’investir dans les ressources, les embauches et la formation. EDF s’est d’ailleurs mobilisée au cours de l’année 2013 contre la révision de la directive européenne 2004-17 limitant la durée des marchés à quatre ans.

Au renouvellement de ces marchés, EDF impose désormais aux entreprises « entrantes » la reprise des salariés de l’entreprise « sortante » qui étaient présents de manière permanente sur un site donné pour l’exécution du marché, sur la base du volontariat. Les conditions fixées par EDF pour cette reprise sont définies dans l’appel d’offres : maintien de la rémunération, maintien de l’ancienneté, pas de période d’essai dans la nouvelle entreprise. Cette exigence renforce les dispositions déjà prévues à l’article 10 du cahier des charges social du CSFN.

Six grands groupes français réalisent 50 % du chiffre d’affaires de la maintenance sous-traitée par EDF : Alstom, AREVA, Onet, SPIE, Suez, et VINCI.

Toute sous-traitance doit être déclarée à EDF par l’entreprise prestataire, qui doit répercuter l’intégralité des exigences d’EDF à ses sous-traitants et contrôler les prestations réalisées. Le nombre de niveaux de sous-traitance « en cascade » qui existeraient sur les centrales nucléaires a fait l’objet de nombreuses polémiques. En septembre 2011, EDF a proposé, dans les dossiers d’évaluation complémentaire de sûreté remis à l’ASN, de les limiter à trois pour toutes les opérations de maintenance effectuées sur les centres nucléaires de production d’électricité (CNPE). Cette disposition a été reprise en juillet 2012 par l’ensemble des exploitants nucléaires civils dans le cahier des charges social du CSFN. EDF a décidé de mettre en œuvre de manière volontariste cette disposition dans tous ses appels d’offres dès le 1er juillet 2012, et de l’imposer également de manière rétroactive à tous les marchés en cours ou en négociation à cette date. Ainsi, depuis le 1er juillet 2012, tout titulaire d’un marché signé avec EDF n’est autorisé qu’à deux niveaux de sous-traitance. Précisons que les salariés étrangers ne représentent, quant à eux, que 6 à 7 % des salariés des entreprises prestataires.

L’arrêté « Installation nucléaire de base » (INB) du 7 février 2012 prévoit que l’exploitant exerce une surveillance sur les intervenants extérieurs exécutant des activités importantes pour la protection des intérêts (AIP). La surveillance opérée par EDF répond à ces exigences. Elle permet également, à la fin d’une opération de maintenance, d’établir une évaluation de la prestation, qui constitue un outil à la fois de dialogue avec l’entreprise prestataire et de retour d’information sur la qualification de l’entreprise prestataire.

En matière de formation à la prévention des risques, pour pouvoir travailler en zone nucléaire ou sur des matériels importants pour la sûreté, tout salarié d’une entreprise prestataire doit avoir suivi un cursus de trois, voire quatre, formations obligatoires aux règles de l’assurance qualité, de la sûreté et de la radioprotection. Quelque 750 000 heures de formation ont ainsi été délivrées en 2012 par quatorze organismes.

En matière de radioprotection et de sécurité, EDF a pour politique d’offrir à tous les intervenants, salariés EDF comme salariés d’entreprises prestataires, les mêmes conditions de travail. Les différences d’exposition aux rayonnements ionisants sont liées aux métiers exercés, non au statut des salariés. Chaque intervenant en zone nucléaire doit obligatoirement porter deux dosimètres. Les données provenant du dosimètre électronique fourni par EDF sont collectées en temps réel, à chaque sortie de la zone nucléaire. Tous les résultats des deux mesures de dosimétrie sont collectés par l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Trois portiques successifs constituent une chaîne complète de contrôles pour s’assurer de l’absence de contamination externe des intervenants.

Depuis 2005, la réglementation française fixe la limite de dose reçue par exposition aux rayonnements ionisants à 20 millisieverts sur douze mois glissants pour les travailleurs du nucléaire. La même limite réglementaire a été retenue en Belgique ; elle est de 20 millisieverts  par an en Allemagne et au Royaume-Uni, et de 50 millisieverts  par an aux États-Unis. EDF s’est fixé pour objectif qu’aucun intervenant ne dépasse 16 millisieverts par an, instituant un seuil d’alerte à 14 millisieverts.

En 2013, le seuil de 16 millisieverts n’a pas été dépassé, et seulement huit intervenants ont atteint les 14 millisieverts à un moment de l’année, ce qui a déclenché une procédure de concertation avec l’employeur. La même année, la dose moyenne reçue par les intervenants en zone nucléaire qui ont reçu une dose non nulle était de 1,40 millisievert pour les salariés des entreprises prestataires et de 0,50 millisievert pour les salariés d’EDF. Dans les deux cas, elle a été réduite d’un facteur deux en dix ans. Pour information, la limite d’exposition pour le public est de 1 millisievert par an, un habitant de la région parisienne reçoit 2,5 millisieverts par an, et un scanner peut délivrer une dose de plus de 10 millisieverts.

Les travailleurs intérimaires ou en CDD ne sont pas autorisés à travailler dans les zones orange et rouges, où le débit de dose est le plus élevé. Ils bénéficient également d’une disposition particulière dite de prorata temporis, qui détermine une limite de dose proportionnelle à la durée de leur contrat de travail.

Dans le cadre de sa relation avec les entreprises prestataires, EDF a développé, depuis plus de quinze ans, un partenariat avec les sous-traitants marqué par plusieurs étapes clés. En 1997, une première charte de progrès a été signée avec neuf organisations professionnelles ; une seconde a suivi, en 2004, avec treize autres organisations. Cette charte de progrès et de développement durable porte des engagements, notamment en matière de conditions de travail des salariés des entreprises prestataires. Quoique signée avant la conclusion de l’accord interne EDF de 2006 sur la sous-traitance socialement responsable, elle s’inscrit pleinement dans cet accord.

Une nouvelle et importante évolution a eu lieu en 2012, avec la mise en place du cahier des charges social du CSFN, que tous les exploitants nucléaires doivent intégrer à leurs appels d’offres pour toutes les activités de service et de travaux sur les INB. Ce cahier des charges social a été transmis, le 20 juillet 2012, au Premier ministre, au ministre du redressement productif et au ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, à l’issue de dix réunions d’un groupe de travail spécialement constitué, composé des quatre exploitants nucléaires civils, des organisations syndicales, d’organisations professionnelles, d’entreprises prestataires, de représentants d’administrations et de représentants de l’ASN.

Ce document vise à mieux encadrer le recours à la sous-traitance sur les installations nucléaires, à garantir le savoir-faire, les compétences et l’expérience des intervenants sur site. Il prend comme critères incontournables la sûreté nucléaire, la radioprotection, la prévention des risques professionnels et la qualité de vie au travail. Il constitue désormais une pièce contractuelle intégrée aux appels d’offres et aux marchés, qui lie l’exploitant nucléaire et l’entreprise prestataire, ce qui lui confère un poids bien plus important que celui d’une charte signée avec des organisations professionnelles.

Le cahier des charges social encadre notamment le recours à l’intérim et limite à trois les niveaux de sous-traitance. La qualification des entreprises inclut désormais l’existence d’une grille des salaires et la prise en compte de l’ancienneté et des qualifications ; des seuils qualitatifs sont aussi fixés pour l’indemnisation des grands déplacements, complétés par des critères de « mieux-disance » renforcés. Tous les exploitants nucléaires se sont engagés à mettre en œuvre ce cahier dès le début de 2013. EDF l’intègre dans ses appels d’offres depuis la fin janvier 2013.

Les dispositions dont je viens de faire état ainsi que leurs résultats font l’objet d’un rapport annuel sur les conditions de recours aux entreprises prestataires sur le parc nucléaire en exploitation. Le rapport annuel 2012 a été transmis, le 16 septembre 2013, au ministre du redressement productif et au ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, ainsi qu’au président de l’ASN et au président du Haut comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire (HCTISN).

M. Denis Baupin, rapporteur. Votre intervention tranche singulièrement avec la précédente. En effet, les rapports de l’ASN mettent en évidence que, par le passé, EDF n’a pas suffisamment anticipé le vieillissement des équipements ni pris en compte le retour d’expérience internationale. En outre, EDF n’identifierait pas assez tôt les équipements importants pour la sûreté. On note également des problèmes d’approvisionnement. L’inspecteur général de sûreté nucléaire et de radioprotection, qui fait partie des personnels d’EDF, relève, dans son rapport de 2012, une augmentation de plus de 40 % du nombre d’événements significatifs de sûreté provenant d’activités de maintenance, dont la dégradation régulière est préoccupante, malgré le volume des interventions pratiquées ces dernières années.

Le président de l’ASN et le président de la commission de régulation de l’énergie (CRE) estiment qu’une partie des problèmes actuels est liée au défaut d’investissement dans les centrales nucléaires pendant une dizaine d’années. Pouvez-vous nous donner une explication ?

Estimez-vous qu’EDF consacre suffisamment de moyens humains aux activités de maintenance, sachant que, selon l’ASN, la moitié des problèmes survenant pendant la maintenance sont dus à EDF, et que l’autre moitié est imputable aux prestataires ? Dans ces conditions, comment envisagez-vous la préparation du grand carénage, qui impliquera des opérations de maintenance de bien plus grande ampleur ?

Enfin, on entend dire que près de 80 % des doses de radiations reçues au sein des centrales nucléaires le sont par les sous-traitants. Confirmez-vous ce chiffre et, en ce cas, comment l’expliquez-vous ?

Dans leur rapport sur l’organisation de la maintenance, les comités locaux d’information (CLI) de la Manche estiment que le recours à autant de sous-traitants dans les centrales peut entraîner une perte de la culture de sûreté au sein de l’entreprise à cause de la rotation des personnels. Partagez-vous ce point de vue ?

M. le président François Brottes. Nous sommes à un moment charnière du travail de notre commission, c’est pourquoi vos réponses, monsieur Dutheil, doivent être le plus précises possible.

M. Étienne Dutheil. Les avaries techniques qui conduisent à incriminer d’éventuels défauts d’investissement concernaient des matériels du secondaire, c’est-à-dire de la partie non-nucléaire de l’installation – alternateurs ou transformateurs. Dans le même temps, EDF consacrait à l’amélioration des éléments de sûreté l’essentiel des moyens alloués aux modifications. Ce sont là deux champs différents.

M. le président François Brottes. Pourrez-vous nous fournir une note sur ce point ?

M. Étienne Dutheil. Tout à fait.

Le sous-investissement dans l’outil de production s’explique par les choix de l’entreprise à l’époque. Aujourd’hui, elle développe un projet industriel qui ouvre des perspectives de fonctionnement dans la durée, ce qui change complètement la donne : elle a donc réinvesti dans ses moyens de production, à la fois pour les fiabiliser et pour s’inscrire dans une perspective de fonctionnement au-delà de quarante ans.

Aujourd’hui, EDF consacre des moyens suffisants à la modernisation de ses installations et à leur maintenance, tant sur le plan humain que sur le plan financier. Nous nous attachons à commencer la mise en œuvre de ce programme de rénovation des gros composants en même temps que nous continuons d’en renforcer la sûreté.

Les effectifs de la division Production nucléaire ont atteint leur plus haut niveau historique : nous sommes plus de 22 000, soit un millier de plus que l’année précédente, la plupart travaillant sur les sites de production, et 1 500 à 2 000 au sein des services centraux.

La maîtrise industrielle de nos arrêts de tranche n’ayant pas été conforme au résultat attendu, on peut légitimement se demander comment nous maîtriserons, demain, la charge encore plus importante du grand carénage. Nous avons élaboré un plan d’action en partant d’une idée simple : plus le volume d’activité augmente, plus les activités différentes s’ajoutent et plus elles sont compliquées à gérer. Il dépend des choix de programmation qu’un arrêt de tranche soit complexe ou réalisé de manière fluide.

Traditionnellement, les programmes d’activité étaient définis de façon centralisée pour être ensuite intégrés par les sites pour les arrêts de tranche. Selon cette logique industrielle, EDF avait décidé de rénover chaque année un nombre précis de transformateurs dans les CNPE. Pour faire face à l’accroissement d’activité, il va falloir renverser la logique et permettre aux CNPE de définir eux-mêmes, dans une perspective pluriannuelle et, bien sûr, en lien avec le niveau national, la programmation de leurs activités afin de faciliter la maîtrise industrielle des arrêts de tranche.

Un autre levier très important est le développement des compétences. Les métiers qui concourent à la maîtrise des arrêts de tranche s’apprennent peu à l’école ; aussi avons-nous développé des formations internes. Conjuguées à nos nouveaux recrutements, elles contribuent à renforcer nos compétences et s’inscrivent dans le plan d’action destiné à maîtriser ce volume d’activité croissant, et donc à nous préparer au grand carénage.

S’agissant de la répartition de la dosimétrie, je confirme que 80 % des doses de rayonnements sont reçus par les salariés des entreprises sous-traitantes. Ce chiffre correspond exactement à la répartition des activités entre les salariés des entreprises extérieures et les salariés d’EDF ; l’exposition n’est pas liée au statut des salariés mais à la nature des activités effectuées. Il va de soi que les robinettiers d’EDF qui réalisent des opérations de maintenance sont exposés exactement de la même manière que les employés des entreprises extérieures. Pour les deux types de salariés, nous avons le même souci de réduire autant que possible les doses reçues. Celles-ci ont été divisées par deux en dix ans et représentent aujourd’hui environ 1 millisievert par an, ce qui correspond à l’exposition naturelle. En moyenne, l’exposition naturelle en France est de 2,4 millisieverts par an. La dose moyenne est ici de 1,4 millisievert par an pour les salariés des entreprises extérieures et de 0,5 millisievert par an pour les salariés d’EDF.

M. le président François Brottes. Cela représente quel pourcentage par rapport à la dose tolérable ?

M. Étienne Dutheil. Sur l’ensemble des personnels qui travaillent sur un site, 80 % de la dose est reçue par les salariés des entreprises extérieures et 20 % par les salariés d’EDF. La limite réglementaire est de 20 millisieverts par an, et je rappelle que l’objectif d’EDF est que personne ne reçoive une dose supérieure à 16 millisieverts par an ; des mesures sont prises dès que la dose annuelle reçue atteint 14 millisieverts.

M. le rapporteur. Comment assurez-vous le suivi des personnels d’une centrale à l’autre ?

M. Étienne Dutheil. Le système de suivi de la dose est centralisé. La dosimétrie électronique est collectée par EDF sur le plan national. Nous sommes capables de suivre les doses reçues par les salariés quel que soit l’endroit où ils travaillent. Ces données sont envoyées chaque semaine à l’IRSN.

Je n’ai pas bien compris, monsieur le rapporteur, ce que vous entendiez par le risque de perte de la culture de sûreté. La culture de sûreté est la conscience que chacun doit avoir en permanence des conséquences de ses actes en matière de sûreté nucléaire, ainsi que le définit l’International Nuclear Safety Advisory Group (INSAG).

M. le rapporteur. Le Livre blanc sur la sûreté des installations civiles nucléaires de la Manche, publié par les trois CLI concernés en décembre 2013, rappelle que, selon le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) d’EDF : « La sous-traitance ne participe en rien au développement de la culture de sûreté ; au contraire, elle peut être la source d’un risque de dilution de cette culture. On peut parler d’une perte de compétence des gestes techniques en déléguant systématiquement, comme aujourd’hui, ces travaux à la sous-traitance. Lors des arrêts de tranche, le travail de près de 2 000 personnes de la sous-traitance est parfois contrôlé par une petite dizaine de salariés d’EDF seulement. »

M. Étienne Dutheil. Je ne partage pas l’idée d’un risque de perte de la culture de sûreté. La conscience de la conséquence de son activité sur la sûreté relève de nombreux facteurs, tels que la formation ou le management, mais elle n’est pas liée à la sous-traitance. La question est celle du maintien des compétences à EDF pour maîtriser ces activités. Le processus d’apprentissage des personnels, notamment au démarrage des installations, n’est plus reproductible pour les installations telles qu’elles fonctionnent aujourd’hui.

Il faut avoir présent à l’esprit ce qui est essentiel pour maîtriser une activité de maintenance. Par exemple, afin de déterminer l’état de fonctionnement d’une pompe, deux opérations sont nécessaires : mesurer les vibrations puis les analyser. Les deux activités n’ont pas les mêmes conséquences sur les choix de maintenance ; il est évident que l’analyse implique bien plus de conséquences sur le choix à opérer que la collecte elle-même.

Au sein d’EDF, 27 000 personnes travaillent dans le secteur de l’énergie nucléaire à la conduite des installations, dans l’ingénierie et dans les choix de maintenance. Nous avons choisi de maintenir certaines compétences en interne, souvent dans des services qui interviennent dans plusieurs CNPE. Sont concernées la maintenance des groupes motopompes primaires, la maintenance de la robinetterie et les activités de soudage. Il nous est, en effet, apparu utile de compléter les dispositifs d’acquisition des compétences par la réalisation.

Notre politique industrielle prend donc en compte cette dimension de maintien des compétences. Elle n’est pas figée dans le temps : en fonction des retours d’expérience et de l’évolution de nos cartographies des compétences, nous pouvons être amenés à la modifier. La réponse est toujours plurielle, avec des activités qui relèvent de la réalisation et de la formation ainsi que des chantiers-écoles que nous développons. Ceux-ci constituent un levier très intéressant puisque l’on peut y réaliser des gestes en étant déconnecté des contraintes, de sûreté ou autres, liées à l’installation. La maintenance des automatismes – calculateurs, capteurs, contrôle-commande – est très majoritairement, voire intégralement, opérée par des agents EDF.

La situation est assez différente en fonction des domaines, et la préoccupation de l’entretien des compétences est une donnée d’entrée pour notre politique industrielle.

M. Michel Sordi. Les entreprises sous-traitantes se déclarent satisfaites des conditions contractuelles avec EDF, mais connaissez-vous le point de vue des personnels de ces entreprises ?

Le groupe écologiste a récemment soutenu au Parlement européen une proposition, finalement rejetée, consistant à diminuer la durée des marchés relevant des directives sur les marchés publics. Quel est votre point de vue ?

Pouvez-vous donner la position d’EDF sur la part de l’énergie nucléaire dans le mix énergétique d’ici à 2025 ?

Quel rôle le nucléaire joue-t-il dans le respect des engagements de la France au protocole de Kyoto en matière de lutte contre les gaz à effet de serre ?

Aura-t-il un rôle à jouer dans la garantie d’un approvisionnement stable en électricité sur le réseau ?

M. Philippe Baumel. Vous avez rappelé que 80 % des travaux dans les centrales étaient effectués par des entreprises sous-traitantes. Comment cette proportion évoluera-t-elle dans les années à venir ? Envisagez-vous d’autres réinternalisations que la robinetterie ?

Existe-t-il un véritable suivi des radiations que peuvent éventuellement subir les personnels ? A-t-on installé sur chaque site un correspondant référent de la médecine du travail afin de rendre les contrôles encore plus efficients ? Existe-t-il un dossier personnel de chaque intervenant permettant de vérifier les situations au cas par cas ?

Enfin, en ce qui concerne le niveau de formation des intervenants, avez-vous le sentiment que tous les efforts soient faits ? Les formations intermédiaires, de niveau BTS par exemple, intègrent-elles suffisamment les compétences nouvelles permettant de faire face aux nouveaux besoins et aux difficultés constatées sur les chantiers ?

M. Jean-Pierre Gorges.  Le nucléaire est au cœur d’un débat politique, et même idéologique : alors que l’Allemagne a basculé d’un côté, le Royaume-Uni envisage de relancer le nucléaire, les États-Unis le développent et la Chine s’y met. Le risque d’une perte de la culture du risque existe donc bien. Quel est l’état d’esprit d’EDF, et celui des employés qui travaillent sur des dispositifs voués à disparaître, semble-t-il, si le contexte politique actuel perdure ? A-t-on envie d’investir dans des systèmes dépourvus de pérennité ? Peut-on motiver des équipes alors qu’on réfléchit à démonter ultérieurement ce qu’elles sont en train de faire ? Ressentez-vous une ambiance particulière, une atmosphère de travail trop dépendante du politique ?

Les échéances sont, de surcroît, de plus en plus courtes puisque le cycle est ramené à cinq ans ; ainsi, en 2017, des décisions pourraient être prises pour le passage de la génération III à la génération IV, ce qui conduirait à l’accroissement du nombre de personnels.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Le président de l’ASN a relevé un écart de 50 % entre les prévisions et les réalisations des temps d’arrêts de tranche, les deux tiers de cet écart étant liés à une mauvaise planification ou à un défaut de maintenance. Êtes-vous d’accord avec ces chiffres et comment y remédiez-vous ?

M. le rapporteur. Le taux de charge du parc nucléaire français se situe au-dessous de 80 %. À quoi l’attribuez-vous ? Ce taux est-il dû à des difficultés de maintenance ou à une surcapacité ?

M. Étienne Dutheil. Chaque année depuis 2005, nous réalisons, en partenariat avec le centre de recherche en gestion de l’école Polytechnique, une enquête anonyme de satisfaction auprès des salariés des entreprises prestataires. Environ 10 % des salariés des entreprises sous-traitantes répondent. Les résultats sont fournis site par site et concernent la qualité de l’hébergement, les temps d’attente et autres. En 2012-2013, quelque 90 % des personnes interrogées se sont dites satisfaites de leurs conditions de travail dans les centrales, contre 83 % en 2009. On peut également percevoir cette satisfaction quand on rencontre ces personnels sur les chantiers. Cela n’exclut pas, sur une population de 20 000 personnes, qu’il puisse y avoir des difficultés avec l’employeur.

C’est bien le fait de travailler dans la durée qui donne sens à la relation contractuelle avec les entreprises prestataires : celles-ci n’investissent dans le développement des compétences que si elles disposent de visibilité et de lisibilité. La durée est aussi un moyen de créer un climat de confiance qui permet un dialogue franc et une meilleure évaluation des besoins pour améliorer la qualité des prestations. C’est pourquoi nous privilégions les contrats de longue durée, de cinq à sept ans. À cet égard, la disposition de la directive européenne 2004-17 visant à réduire cette durée à quatre ans était, selon nous, très contre-productive. Nous sommes donc heureux que ce projet n’ait pas abouti, car il aurait mis à mal l’esprit même du cahier des charges social du CSFN.

EDF n’a pas de position sur le mix énergétique ; nous mettons en œuvre celui décidé par les pouvoirs publics, si tant est qu’ils veulent bien nous confier le soin de produire l’électricité. Reste que la production d’électricité d’origine nucléaire joue un rôle positif dans la maîtrise des émissions de dioxyde de carbone puisque le process n’en émet pas lui-même et que les activités annexes n’en émettent que fort peu si on les compare aux moyens de production à base d’énergies fossiles ou de bois.

Le choix de l’énergie nucléaire avait été dicté par des nécessités d’indépendance énergétique et de compétitivité économique. L’outil de production nucléaire est, en effet, un facteur très fort de stabilité de l’approvisionnement en électricité puisqu’il permet de disposer de visibilité sur la capacité à produire mais aussi sur les coûts.

La part d’activité confiée aux sous-traitants n’a pas évolué depuis quinze ou vingt ans. La politique de « faire » ou « faire faire » est ajustée, et j’ai déjà évoqué la réinternalisation des activités de maintenance en matière de robinetterie dans lesquelles nous employons 200 à 250 robinettiers. Nous suivons un processus identique de réinternalisation pour les activités de soudage, notamment à des fins de maintien des compétences. Il est important de disposer de capacités internes avec un haut niveau d’entraînement et susceptibles d’être rapidement déployées dans un CNPE. D’autres évolutions sont possibles, dans la mesure où la politique du « faire » ou « faire faire » n’est pas dogmatique et qu’elle est régulièrement révisée. Nous envisageons d’étendre le champ d’action des équipes chargées de la maintenance des groupes turbo-alternateurs et des motopompes primaires vers la maintenance de machines auxiliaires. Ainsi, si les grands équilibres restent stables – avec la proportion déjà évoquée de 80 % de sous-traitants –, la situation peut évoluer concernant des segments particuliers.

Par ailleurs, le suivi individuel de la dosimétrie des intervenants garantit la traçabilité des doses reçues au cours de toute intervention sur une INB quelle qu’elle soit. La proposition de l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques de mettre en place un correspondant référent de la médecine du travail pour chaque site n’a pas connu de suite. En revanche, dans le cadre de la réflexion menée sur le cahier des charges social, le CSFN a proposé de limiter le nombre des services inter-entreprises qui assurent le suivi médical des salariés des entreprises extérieures, de manière à pérenniser les compétences de ces services médicaux dans un contexte où le recrutement de médecins du travail est difficile. En outre, la diminution du nombre d’opérateurs facilitera la traçabilité et le traitement de la dosimétrie. Aujourd’hui, pour les salariés des entreprises sous-traitantes, le suivi médical est assuré soit, lorsqu’ils en ont les compétences, par des services inter-entreprises qui prennent également en compte le suivi médical renforcé au titre des rayonnements ionisants, soit par le service autonome d’une centrale.

En matière de formation des personnels, EDF recrute, tout comme le secteur du nucléaire dans son ensemble. Certaines initiatives communes entre EDF, les entreprises et l’éducation nationale ou les collectivités territoriales pour ce qui est de l’apprentissage, répondent en partie au réel besoin de développer des formations donnant un accès plus facile à nos métiers. Des formations de type baccalauréat professionnel, BTS et Bac+3 ont ainsi été développées en logistique nucléaire – qui inclut la radioprotection – et en robinetterie. En général, les jeunes qui sortent de ces formations trouvent un emploi avant même d’obtenir leur diplôme.

Il est difficile de maintenir la culture de la sûreté dans un contexte d’incertitude. Néanmoins, il faut vivre avec les débats qui animent la société et garder le cap : notre priorité et devoir d’exploitant est de garantir la sûreté, et de faire notre métier le mieux possible. EDF applique les décisions prises en dehors du groupe la concernant, mais, en interne, elle s’efforce d’avoir une vision claire : celle-ci est aujourd’hui incarnée par le projet industriel de l’entreprise, qui fait sens pour les salariés, et qui vise à permettre de fonctionner au-delà de quarante ans en toute sûreté.

Mme Battistel m’a interrogé sur les arrêts de tranche dont la réalisation ne coïncidait pas avec les prévisions. La vie d’une tranche nucléaire se divise en deux parties : l’arrêt de tranche – assimilable à un arrêt technique –, pendant lequel on renouvelle une partie du combustible et on réalise des opérations de contrôle et de maintenance ; le cycle de production, qui se poursuit jusqu’à l’épuisement du combustible et un nouvel arrêt de tranche. En 2013, la disponibilité des centrales durant le cycle de production a été en moyenne de 97,4 %, et de 99 % pour plus de la moitié des tranches. C’est dire si la fiabilité de redémarrage après arrêt est élevée ; elle a progressé ces dernières années. Le niveau de disponibilité des tranches en marche est comparable à celui qu’on trouve chez les autres exploitants internationaux parmi les meilleurs.

Reste le problème de la durée des arrêts, due en particulier à la priorité accordée à la sûreté. Le redémarrage d’une tranche ne peut avoir lieu qu’après la mise en œuvre d’un programme d’essais et de contrôles très rigoureux ; tant que le dernier contrôle n’est pas satisfaisant, la centrale ne redémarre pas. Il n’y a aucune impasse possible sur l’ensemble des critères – et il y en a beaucoup. Le tout est donc d’y parvenir du premier coup. Or les programmes d’activité sont parfois trop ambitieux ou bien sont construits de telle manière que les difficultés rencontrées conduisent à une prolongation de l’arrêt. C’est pourquoi il est important de reprendre la main localement sur une programmation des opérations optimisée et mieux répartie.

M. le rapporteur s’est étonné du taux de disponibilité, un peu inférieur à 80 %. Il faut prendre en compte à la fois l’excellente fiabilité des tranches une fois remises en service, et la durée des arrêts supérieures aux prévisions et qui explique le taux de charge.

M. le président François Brottes. Concernant ces arrêts, quelle comparaison peut-on établir avec les autres pays ?

M. Étienne Dutheil. Les méthodes permettant de réussir un arrêt de tranche sont à peu près les mêmes partout. Dans ce domaine, les performances d’EDF sont en retrait par rapport à celles des meilleurs exploitants, notamment américains. En revanche, pour ce qui concerne les tranches en marche, la fiabilité du parc français est à peu près la même que celle du parc américain.

Les écarts de performance sur les arrêts de tranche ont deux origines. L’une est structurelle : des différences de règles d’exploitation entre les deux pays jouent sur environ 6 % de la disponibilité annuelle, ce qui est assez considérable. Néanmoins, abstraction faite de cet écart, il reste un différentiel de 4 à 5 % entre les meilleurs résultats obtenus par les tranches américaines et celles d’EDF. L’autre cause est donc que, objectivement, nous avons des progrès à accomplir, et c’est bien le sens de notre projet industriel.

Pour illustrer mon propos, la salle des machines d’une centrale est équipée du groupe turbo-alternateur, d’un pont roulant qui sert à la manutention des pièces et d’un réservoir d’eau utile au circuit d’alimentation des générateurs de vapeur. Conformément à la réglementation, si une épreuve hydraulique de ce gros réservoir doit être effectuée, le pont de la salle des machines ne peut plus être utilisé. Programmer des travaux importants sur le groupe turbo-alternateur l’année même où devra être opérée l’épreuve hydraulique est donc une mauvaise idée. Cet exemple est évident et connu, mais il est plus facile de construire un programme d’arrêt pour de grosses opérations que pour les petites, qu’il faut prévoir très en amont. Cela exige que la décision de mise en œuvre des stratégies de maintenance soit davantage décentralisée.

M. Michel Sordi. À Fessenheim, dans ma circonscription, les ingénieurs qui pilotent les réacteurs s’entraînent en permanence sur un simulateur ; mais il y a aussi des salles de formation équipées de tuyauteries, de pompes, de contacteurs, où les techniciens se rodent à respecter les procédures.

M. Étienne Dutheil. Il s’agit des chantiers-écoles dont je parlais tout à l’heure.

M. le président François Brottes. Merci, monsieur Dutheil. Nous ferons éventuellement de nouveau appel à vous ou à un autre représentant de Production nucléaire d’EDF.

L’audition s’achève à onze heures cinquante-cinq.

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Membres présents ou excusés

Commission d'enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d'exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l'électricité nucléaire

Réunion du jeudi 13 février 2014 à 10 heures

Présents. - M. Bernard Accoyer, M. Christian Bataille, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Philippe Baumel, M. Denis Baupin, M. François Brottes, Mme Sabine Buis, Mme Françoise Dubois, M. Claude de Ganay, M. Jean-Pierre Gorges, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, M. Hervé Mariton, Mme Frédérique Massat, M. Michel Sordi, M. Stéphane Travert, Mme Clotilde Valter

Excusé. - Mme Sylvie Pichot