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Commission d’enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d’exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l’électricité nucléaire, dans le périmètre du mix électrique français et européen, ainsi qu’aux conséquences de la fermeture et du démantèlement de réacteurs nucléaires, notamment de la centrale de Fessenheim

Mercredi 26 mars 2014

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 27

Présidence de Mme Marie-Noëlle Battistel
puis de
de M. François Brottes Président

–  Audition de M. Laurent Michel, directeur général de l'Énergie et du climat, et de M. Pierre-Marie Abadie, directeur de l’Énergie (ministère de l’Écologie, du développement durable et de l’énergie)

L’audition débute à dix heures quinze.

Mme Marie-Noëlle Battistel, présidente. Le président Brottes, bloqué dans le train, me demande de vous présenter ses excuses. Il ne saurait tarder à nous rejoindre.

La commission d’enquête arrive au terme de ses auditions consacrées aux coûts de la prolongation du parc nucléaire et du déploiement de la troisième génération de réacteurs. C’est pourquoi elle a souhaité entendre la direction générale de l’énergie et du climat sur cette question qui sera au cœur de la discussion du projet de loi sur la transition énergétique.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relatives aux commissions d’enquête, je vous demande de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

MM. Laurent Michel et Pierre-Marie Abadie prêtent serment.

M. Laurent Michel, directeur général de l’énergie et du climat (ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie). Le devenir du parc de production électrique recouvre des aspects multiples ; il ne saurait être réduit à la comparaison des coûts entre les deux options de la prolongation ou du renouvellement des centrales. Il s’inscrit dans une réflexion sur la politique énergétique et climatique, et sur les conséquences de celle-ci sur l’électricité, au regard notamment de la maîtrise de la demande et du transfert d’usage des énergies fossiles vers l’électricité décarbonée, mais aussi sur la diversification du parc, dans un souci de sûreté et de sécurité de l’approvisionnement. C’est, pour une part, le sens de l’objectif d’abaisser à 50 % la part du nucléaire à l’horizon 2025.

Outre la politique énergétique et climatique, les décisions à venir doivent prendre en compte de nombreux autres critères. En matière de sûreté, des critères généraux doivent être définis pour la prolongation éventuelle des réacteurs, au plan générique, et doublés d’un examen au cas par cas, qui relève de la responsabilité de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Sans vouloir interférer, nous suivons attentivement ce travail déterminant pour les choix futurs. Doit également être examinée la capacité physique à déployer un nouveau parc – qu’il s’agisse de prolongation ou de construction, d’énergie nucléaire ou de renouvelable –, qui soulève des questions réglementaires, d’acceptabilité ou de lissage industriel ; que ce soit pour une prolongation ou pour des constructions nouvelles, il y aura un surcroît d’investissements et de travaux que les graphes retraçant, par exemple, les dates de construction des centrales montrent clairement. Enfin, sur le plan économique, les investissements nécessaires et les coûts opératoires globaux – construction, réseau, stockage – doivent être évalués.

Le lissage dans le temps – et, entre autres, la prolongation des centrales – présente un intérêt économique en ce qu’il permet de développer et d’optimiser des technologies, tant dans le domaine des énergies renouvelables que pour un nouveau parc nucléaire. Dans le cas d’un remplacement de centrale existante par du nouveau nucléaire, cette méthode laisserait le temps d’optimiser le développement et les coûts de l’EPR ou d’autres moyens, ce que la construction simultanée de plusieurs EPR ne permet pas. L’intérêt du lissage pour la transition vaut également pour d’autres options de production.

M. Pierre-Marie Abadie, directeur de l’énergie (ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie). L’approche par les coûts et les investissements doit être replacée dans un contexte général, car elle est un peu réductrice.

Selon le rapport de la Cour des comptes de 2012, qui est en cours d’actualisation, le coût de l’électricité nucléaire historique (y compris les investissements de prolongation) se situe entre 38 euros en 2010 – 43 aujourd’hui – et 50 euros par mégawattheure. Il ne faut pas oublier qu’un coût est une réponse à une question. L’écart de 7 euros avec les coûts avancés à l’époque par EDF s’explique par la méthodologie retenue, qui diffère selon que l’on veut évaluer les coûts comptables, économiques ou de régulation du parc historique. En l’espèce, il est lié à la rémunération des capitaux investis passés et à deux conceptions différentes de la régulation. Avec la méthode Champsaur, on considère ce qui reste à payer ; dans une vision de coût économique, on calcule ce que coûterait la reconstruction du parc dans les conditions de l’époque mais aux coûts actuels. Cette dernière approche n’a pas d’intérêt du point de vue de la régulation.

Selon la méthode Champsaur, le coût moyen, qui intègre la prolongation de la durée de vie, s’établissait en 2011 à 39 euros, dont 25 pour les charges opérationnelles, 8 pour les investissements futurs (maintenance et allongement de la durée de vie) et 6 pour le capital investi. Après Fukushima, ce chiffre a été réévalué à 42 euros pour tenir compte du renchérissement du coût et de l’accélération des investissements auxquels cet événement a conduit.

Dans le projet de décret relatif au calcul de l’ARENH (accès régulé à l’électricité nucléaire historique), le coût de l’électricité nucléaire a été fixé à 42 euros par mégawattheure pour la période 2011-2025, ce qui correspondrait à 46 euros pour la période 2014-2025, traduisant un effet de rattrapage de 10 % cohérent avec les indications qu’avait pu donner il y a quelque temps le président de la Commission de régulation de l’énergie (CRE). Pour ce calcul, nous avons choisi d’assimiler tous les investissements à des dépenses d’exploitation (OPEX) sans les amortir, par souci de prudence et afin de ne pas avoir à différencier ce qui relève de la maintenance ou de l’allongement de durée de vie ou d’investissements de toute autre nature.

S’il fallait doubler les investissements en faveur de la maintenance et de la prolongation des centrales, le prix actuel du mégawattheure de l’ARENH se verrait renchéri de 10 euros. Il resterait néanmoins dans une fourchette comprise entre 50 et 60 euros, bien au-dessous du prix d’un nouveau mix, qu’il soit nucléaire ou d’une autre nature, que l’on peut situer dans une fourchette de 80 à 100 euros par mégawattheure.

Il est difficile de déterminer ce que serait le coût du nucléaire en série à partir des seuls exemples de têtes de série français, finlandais et britannique – en ayant à l’esprit qu’au Royaume-Uni, les coûts d’ingénierie, de BTP, etc. sont bien plus élevés. On peut néanmoins estimer le coût du nouveau nucléaire entre 80 et 100 euros du mégawattheure. L’ordre de grandeur serait similaire pour les énergies renouvelables, entre 75 et 80 euros pour l’éolien, auxquels il faut ajouter le coût de l’intermittence, et entre 70 et 75 euros pour les centrales à gaz. Les coûts sont donc sensiblement supérieurs à ceux de la simple prolongation.

Je répète que cette vision exclusivement économique et financière est réductrice.

S’agissant du montant des investissements nécessaires, on dispose essentiellement d’ordres de grandeur, étant entendu que le détail dépendra des résultats de la discussion entre EDF et l’ASN. On a quand même de la part d’EDF une vision globalisée du montant des investissements, dont il faut bien voir qu’ils concernent des opérations très différentes : sous l’appellation de « Grand carénage », il y a une part de communication vis-à-vis du tissu de PME à mobiliser et des autres acteurs industriels ; le programme regroupe d’ailleurs des investissements nécessaires à date de 30 ans, d’autres qui sont nécessaires pour prolonger la durée de vie, d’autres enfin qui relèvent plutôt de rénovations variées. Selon l’estimation d’EDF, ces investissements s’élèveraient à 55 milliards d’euros pour la période 2014-2025. Initialement, ils portaient sur la période 2012-2025, ce qui a conduit certains à avancer un coût final de 70 milliards. Dans le cadre de l’exercice de détermination de l’ARENH, la DGEC a aussi utilisé des courbes fournies par EDF. Ces courbes ont plutôt vocation à être un majorant, pour deux raisons : en premier lieu, parce qu’elles prévoient que les investissements porteront sur tous les réacteurs, alors que certains pourraient ne pas être prolongés pour des raisons de sûreté ou de politique énergétique ; en second lieu, il est dans l’intérêt d’EDF de gonfler ce chiffre dans le cadre du calcul de l’ARENH. Dans ce contexte, les investissements de maintenance de toute nature ont été évalués à 3,7 milliards d’euros par an, contre un flux de 1,7 milliard d’euros aujourd’hui.

Les sommes en jeu sont importantes mais doivent être relativisées au regard des investissements habituels. Ce programme constitue un véritable défi industriel : il s’agit de mobiliser et d’organiser tout le tissu industriel avec la visibilité nécessaire. Nous avons encore à mieux comprendre la nature et le calendrier de ces investissements de 3,7 milliards par an ainsi que la rentabilité propre de chaque opération. Certaines opérations ont clairement une rentabilité propre dès lors qu’il y a une stratégie générale de parc et l’on peut accepter des “coûts échoués” sur telle ou telle centrale qui n’est finalement pas prolongée ; il existe des investissements beaucoup plus lourds et qui nécessitent de savoir plus finement quelle est la stratégie palier par palier, voire centrale par centrale.

Au regard des investissements actuels, le montant annoncé ne semble pas insurmontable. En 2013, les comptes d’EDF affichaient pour la France des investissements de 9,3 milliards d’euros – 3,5 pour les activités de réseau, plus de 5 milliards pour les activités non régulées et 1,4 milliard pour Réseau de transport d’électricité (RTE). À l’échelle internationale, les investissements opérationnels du groupe représentent 13,3 milliards. Le plan à moyen terme 2014-2016 prévoit des investissements annuels de 7 milliards pour les activités non régulées, de 3,5 milliards pour les activités de réseaux et de 400 millions pour les activités insulaires, qui couvrent les zones non interconnectées, ainsi qu’un investissement annuel du groupe de 15,7 milliards. Les investissements envisagés sont donc cohérents avec les montants qu’EDF a l’habitude de manier. À titre de comparaison, dans l’éolien, les investissements s’élèvent à 1,5 milliard d’euros par an pour un gigawatt.

M. Laurent Michel. Certains points en rapport avec les investissements méritent encore d’être approfondis. Le grand carénage traduit la vision d’EDF de la prolongation de la durée de vie des centrales. Ces prévisions ne garantissent pas l’acceptation générique et au cas par cas de l’ASN ni, par conséquent, l’émergence de besoins supplémentaires.

Les prévisions d’investissement dans la filière nucléaire intègrent des constantes de temps – huit ans pour un projet de générateur de vapeur ; huit à dix ans pour les moyens de production lourds et de transport. Pour les premiers parcs éoliens offshore, l’appel d’offres a été lancé en 2011 pour une mise en service à partir de 2018. Pour une grand projet de ligne de transport, la durée du projet est également de 8 à 10 ans, en ordre de grandeur. Le besoin d’anticipation industrielle et politique est donc important.

La maturité des technologies et les limites physiques, par exemple des gisements, sont d’autres paramètres qu’il ne faut pas négliger. Pour l’éolien terrestre, qui est la source d’électricité la plus mature et la moins chère, l’augmentation annuelle de capacité, tombée à 800 mégawatts, remonte, et l’on parviendra rapidement à 1 200 mégawatts grâce aux mesures de simplification et de clarification du cadre financier. Toutefois, on plafonnera assez vite autour de 1,5 gigawatt par an, faute de gisements, les meilleurs étant déjà exploités par les premiers parcs éoliens. Il faudra donc attendre l’obsolescence de ce dernier, vers 2025-2030, pour le remplacer par des machines nouvelles. Le rythme de construction de nouveaux EPR se heurtera de la même façon à des limites physiques.

Tout comme la prolongation des centrales, ce temps pourrait permettre d’optimiser et de développer les technologies, y compris de stockage. Pour l’éolien offshore, les deux premiers appels d’offres portaient sur une capacité de production de 3 gigawatts. En 2014, commence la recherche d’un site pour l’implantation d’un nouveau parc pour lequel on espère une diminution des coûts grâce au retour d’expérience. Mais la nouvelle frontière, c’est l’éolien flottant que la régularité des vents rend, selon ses promoteurs, moins cher malgré une plus grande distance de raccordement. Dans quelques années, des fermes pilotes seront installées, suivies par des parcs commerciaux.

Cette dimension temporelle de la transition énergétique, nous avons proposé au ministre de l’appréhender en dotant l’État d’outils adaptés. D’abord, la stratégie nationale bas carbone fixerait pour toutes les énergies et les émissions de gaz à effet de serre des objectifs sur quinze ans, révisés tous les cinq ans, et définirait des politiques publiques consacrées. Ensuite, une programmation pluriannuelle de l’énergie, sur une période de cinq ans, rassemblerait et compléterait les programmations existantes (électricité, gaz, chaleur) mais comporterait aussi des volets relatifs aux énergies renouvelables et à l’efficacité énergétique. Notre proposition a été soumise à la commission spécialisée du Conseil national de la transition écologique. Les deux outils envisagés, qui seraient présentés au Parlement et révisés périodiquement – c’est important –, seraient un gage de visibilité pour les pouvoirs publics et les investisseurs.

M. Pierre-Marie Abadie. Le temps est une donnée importante, à la fois pour l’émergence de nouvelles technologies et le franchissement des ruptures technologiques, mais aussi pour le renouvellement du parc, qu’il soit nucléaire ou pas. Selon la durée de vie choisie pour chaque centrale, suivant le nombre qu’on envisage de mener à 40 ans, à 50 ans ou à 60 ans, le lissage sera plus ou moins important : si elles s’arrêtent toutes à quarante ans, c’est un grand mur d’investissements qui se dressera devant nous ; en les prolongeant toutes jusqu’à cinquante ans, on ne fera que repousser le mur de dix ans. En revanche, si la durée de vie varie selon les centrales, jusqu’à soixante ans pour certaines, les investissements s’en trouveront lissés, ce qui emportera des conséquences visibles sur leur niveau.

M. le président François Brottes. Si vous deviez conseiller un gouvernement, je crois comprendre de votre insistance sur la dimension temporelle que vous marquez votre préférence pour la prolongation des réacteurs qui peuvent l’être.

M. Laurent Michel. Dans un premier temps, il faut se fixer un cap et une ambition globale, dont la déclinaison électrique repose sur la maîtrise de la demande et le transfert d’usage des énergies fossiles carbonées vers l’électricité décarbonée, pas seulement d’ailleurs au travers de la voiture électrique, à l’horizon 2025-2030. D’un côté, la maîtrise de la demande commence à porter ses fruits puisqu’on observe une déconnexion entre croissance et évolution de la consommation d’électricité ; de l’autre, le transfert d’usage entre énergies est un facteur de hausse.

Dans un deuxième temps, il faut se doter des outils opérationnels permettant de définir le mix énergétique souhaité.

Avec cette stratégie, on peut penser que la prolongation d’une partie du parc – sans faire le pari, déraisonnable aujourd’hui, d’aller au-delà de soixante ans, et si les conditions de sûreté sont réunies et validées par l’ASN –, pourrait offrir à la fois souplesse économique et élasticité dans le temps. Une incertitude demeure néanmoins sur la capacité de certaines centrales de satisfaire aux exigences de sûreté ainsi que sur la volonté de l’exploitant de supporter ou non les coûts imposés par ces dernières.

M. le président François Brottes. Échangez-vous avec l’ASN sur ces questions ?

M. Laurent Michel. Nous échangeons régulièrement avec l’ASN sur le processus de discussion avec EDF, mais aussi sur d’autres sujets comme la gestion des déchets, le démantèlement ou le retraitement. En revanche, il ne nous appartient pas de juger les options choisies par l’ASN.

M. Pierre-Marie Abadie. La compétence de la direction générale de l’énergie et du climat se limite aux aspects économiques et techniques. Il y a d’autres enjeux à prendre en compte.

Le temps est un enjeu essentiel, notamment au regard de la transformation du système – les réseaux, la production – et de la technologie. L’ANCRE (Alliance nationale de coordination de la recherche pour l’énergie) a travaillé sur les aspects technologiques des scénarios de la transition énergétique pour en mettre en évidence les ruptures. Or il s’agit d’un travail de technologues qui n’a pas encore permis d’identifier suffisamment les moments charnière, les « go-no go », ces moments auxquels nous serons sûrs de disposer des technologies qui permettront de franchir certaines étapes.

La prolongation de toutes les centrales pose évidemment des questions de sûreté mais aussi d’adaptation aux besoins. Si les énergies renouvelables se développent au rythme de 1 gigawatt d’éolien et 1 gigawatt de photovoltaïque par an, à l’horizon 2030, certaines centrales nucléaires ne seront plus nécessaires pour couvrir les besoins. La réponse n’est pas dans le tout ou rien.

La décision de prolongation ne s’appuie pas uniquement sur la conformité technique d’une centrale ; la marge de robustesse du système électrique entre également en ligne de compte. Devoir fermer une centrale au risque de déséquilibrer le système serait, en effet, une décision impossible pour l’ASN. Comme les centrales sont toutes très similaires, un défaut pourrait s’avérer systémique et affecter plusieurs centrales. Cette question de la marge de robustesse et de sécurité du système, soulevée par la Cour des comptes, est à ce jour insuffisamment documentée.

M. Laurent Michel. La gestion du temps est paradoxale puisqu’il faut décider rapidement d’un cap pour tenir compte des contraintes longues de l’industrie, quel que soit le mix. La prolongation n’est pas un moyen de repousser la décision, elle peut, au contraire, aider à mettre en œuvre la stratégie. Il importe que le cap et les outils soient arrêtés dès maintenant, car les murs sont bien devant nous.

M. Denis Baupin, rapporteur. Votre audition est sans doute l’une des plus importantes pour notre commission. Vous portez une double casquette puisque vous êtes à la fois les agents qui doivent aider l’État à définir sa stratégie en synthétisant les préoccupations des uns et des autres – et l’on a vraiment besoin de disposer d’un tel lieu –, et les représentants de celui-ci au sein d’EDF qui produit 100 % de l’électricité nucléaire en France.

Pouvez-vous nous éclairer sur la stratégie de l’État au sein d’EDF ? Comment, en qualité d’actionnaire majoritaire à 85 %, concilie-t-il le besoin de dividendes en ces temps de disette budgétaire et son rôle de pilotage d’une politique énergétique ?

La définition du grand carénage manque de clarté. Nous attendons toujours un document d’EDF sur ce sujet. Êtes-vous en mesure – alors que l’ASN nous a dit ne pas l’être – de nous préciser le périmètre de ce programme ? On évoque les chiffres de 55 milliards d’euros jusqu’en 2025, tout en sachant que les coûts s’étaleront au-delà, ce qui n’était pas clair il y a encore quelque temps. Quel ordre de grandeur devons-nous retenir ?

S’agissant de la prolongation du parc existant – que je dissocie du grand carénage qui n’est qu’une condition nécessaire –, le référentiel de sûreté renforcée pour la prolongation que l’ASN souhaite voir appliqué ne sera pas connu avant 2018-2019. EDF, sans qu’on puisse le lui reprocher, n’est donc pas en mesure de savoir ce que seront les coûts liés aux exigences de sécurité renforcée. Nous venons d’auditionner l’agence WISE-Paris qui a réalisé une étude sur les coûts de la prolongation. Quel est votre avis sur cette étude ? Quelle est votre évaluation des coûts ?

Avant d’analyser au cas par cas chaque centrale, l’ASN doit déterminer dans un premier temps une orientation générale de la prolongation en termes de sûreté, celle-ci ne manquant pas d’avoir des répercussions financières et devant aussi être analysée en termes de rentabilité.

Nous nous retrouvons sur l’intérêt d’une stratégie lissée et non pas d’une durée de vie butoir pour tous les réacteurs. Selon vous, combien de réacteurs doivent être prolongés pour tenir l’engagement du Président de la République de passer à 50 % de nucléaire à l’horizon 2025 ?

Quant à la robustesse du système de production électrique, nous devons éviter qu’un défaut commun à toutes les centrales oblige l’ASN à choisir entre s’accommoder de ce défaut, donc d’une sûreté dégradée, ou arrêter des réacteurs, ce qui ne manquerait pas de poser des problèmes d’approvisionnement. Que conviendrait-il de faire pour atténuer la vulnérabilité de notre système ?

D’après vous, il est difficile d’évaluer les conséquences de l’effet de série sur les nouveaux réacteurs comme l’EPR. EDF affirme travailler avec Areva sur un « EPR light », au design revu, avec de moindres contraintes entraînant de moindres coûts. À quel horizon et à quel coût cette version pourrait-elle être réalisée, sachant qu’il faudrait à nouveau en passer par le processus de tête de série ? Dans l’hypothèse d’école où l’on construirait de nouveaux réacteurs, faudrait-il privilégier la reproduction des EPR existants ou le développement de l’« EPR light » ?

On sait qu’EDF connaît déjà des difficultés dans le domaine de la maintenance. Quelles que soient les hypothèses, l’évolution du parc nucléaire suppose des chantiers de grande envergure sur les cinquante-huit réacteurs – cinquante-six si l’on prend en compte l’arrêt de Fessenheim, sur laquelle, de toute façon, devront être réalisés les travaux consécutifs aux évaluations complémentaires de sûreté. L’entreprise et ses sous-traitants ont-ils la capacité d’assumer de tels chantiers ?

M. le président François Brottes. Est-il pertinent d’entreprendre le grand carénage si la prolongation n’est pas garantie ?

Dans le chemin vers les 50 %, quelle appréciation portez-vous sur l’évolution de la consommation ? Outre le transfert d’usage, on pointe les effets des hivers doux et de la désindustrialisation. Il importe également de prendre en considération les liens avec nos voisins, suisses, italiens, espagnols, allemands, etc. tant du point de vue des besoins que dans la réflexion sur la robustesse du système.

Mme Frédérique Massat. L’ASN a fait état des incertitudes sur le fonctionnement des centrales au-delà de quarante ans, tout en annonçant qu’elle prendrait une position définitive aux alentours de 2018-2019. Aujourd’hui, près de la moitié des réacteurs a plus de trente ans, ce qui laisse peu de temps avant de parvenir aux quarante ans. Je m’inquiète donc des délais annoncés par l’ASN.

Le rapport de WISE-Paris met en doute la capacité financière et industrielle d’EDF à mener à bien les chantiers de prolongation. Disposez-vous d’éléments précis sur ce point ?

Mme Marie-Noëlle Battistel. Dans la perspective de la vente de nouveaux réacteurs EPR, EDF annonce des effets de série de l’ordre de 25 % du coût. Qu’en pensez-vous ?

M. Pierre-Marie Abadie. Je suis commissaire du Gouvernement auprès d’EDF et non plus administrateur. Nous avons proposé ce changement du positionnement de la DGEC au sein du conseil d’administration il y a deux ans, afin de lever toute ambiguïté et de distinguer l’intérêt public, celui des actionnaires et celui de l’entreprise.

Alors que le conseil d’administration a vocation à défendre les intérêts de l’entreprise, les intérêts de l’État sont multiples : il est à la fois actionnaire, régulateur – puisqu’il fixe les tarifs réglementés – et responsable de la politique énergétique, qui doit voir une évolution du mix énergétique. C’est la raison pour laquelle la présence du commissaire du Gouvernement est nécessaire pour expliciter les orientations générales de politique publique.

Le Gouvernement doit concilier l’intérêt des consommateurs, la sécurité de l’approvisionnement à long terme et les enjeux de la transition énergétique. À cet égard, la hausse substantielle des tarifs en 2013-2014 avait pour objet de prendre acte des investissements importants à réaliser dans l’ensemble du système électrique (production, transport et distribution) et de leurs conséquences sur les coûts de l’entreprise. Elle constitue un exemple d’arbitrage du Gouvernement entre l’intérêt immédiat des consommateurs de payer le moins possible et l’intérêt de la collectivité de consacrer les investissements nécessaires à la transition énergétique et à la sécurisation de l’approvisionnement. Il en va de même de la décision courageuse de remettre de l’ordre dans la contribution au service public de l’électricité (CSPE) et de résorber la dette de l’État auprès d’EDF. La CSPE est un élément essentiel du soutien au développement des énergies renouvelables.

M. le président François Brottes. Vous considérez qu’elle est en ordre aujourd’hui ?

M. Pierre-Marie Abadie. La CSPE est en ordre sur le plan financier. Les mesures d’évolution sous le plafond de 3 euros de la contribution et l’engagement de résorption de la dette à l’horizon 2018 peuvent être tenus avec les prévisions de consommation dont nous disposons. La dette s’élève à 5 milliards d’euros.

En revanche, des améliorations substantielles restent à apporter en matière de gouvernance afin d’assurer la pérennité de cet outil, qui est pertinent puisqu’il permet de faire payer par le système électrique son propre développement. C’est l’une des forces du système énergétique que d’avoir réussi à financer son évolution par ses propres moyens, contrairement aux infrastructures, par exemple.

On se focalise sur EDF, mais elle ne sera pas le seul acteur du système électrique, ni dans la production ni dans les autres domaines – l’effacement, la demande, les services aux consommateurs. De nombreux autres acteurs énergétiques, comme GDF Suez, mais aussi les effaceurs et les agrégateurs ou encore des opérateurs de télécoms ou d’internet, auront un rôle important à jouer entre les petits opérateurs et le système électrique. Il est très important que ces vecteurs d’innovation puissent intervenir dans le secteur énergétique : il ne faut pas se limiter aux gros opérateurs même s’ils sont incontournables.

M. Laurent Michel. De nombreuses études cherchent à évaluer les tendances de la consommation électrique. Certaines suggèrent que la croissance de la consommation électrique équivaut à la croissance économique minorée de 2 %, grâce aux efforts actuels et à venir d’économies d’énergie. Selon une étude de RTE, avec une croissance de 1,8 % par an d’ici à 2030, la croissance de la consommation électrique pourrait être de 0,4 % en raison des transferts d’usage. En 2011, la consommation, hors auto-consommation du secteur de l’énergie, était de 422 térawattheures. On peut envisager de passer à 440 ou 465 en tenant compte d’importantes économies d’énergie, de l’ordre de 120 térawattheures, dans le secteur tertiaire et l’industrie, mais aussi d’une augmentation de la consommation du fait des technologies de l’information et de la communication et des transferts d’usage.

Nous travaillons surtout sur des scénarios d’évolution modérée de la demande électrique, y compris après transferts d’usage. Compte tenu des besoins d’approvisionnement français et européen ainsi que du développement des énergies renouvelables, on s’achemine vers un doublement des capacités d’interconnexion aux frontières afin de passer de 10 gigawatts à 20-25 gigawatts à l’horizon 2025-2030.

Quant au nombre de réacteurs à prolonger ou à fermer, on peut l’estimer en fonction d’hypothèses de développement et de demande de nouveaux moyens de production. Actuellement, la capacité des installations nucléaires est de 63 gigawatts. Dans l’hypothèse d’une part du nucléaire de 50 % en 2025, les besoins seraient de 36 à 43 gigawatts, ce qui correspond, indépendamment des problèmes de sûreté, à un « non besoin » d’une vingtaine de réacteurs.

S’agissant de la déconnexion entre le grand carénage et la prolongation, on sait que certains investissements ont été faits ou restent à faire pour le passage de trente à quarante ans pour les réacteurs les plus jeunes. Or de tels investissements ne se conçoivent bien qu’avec un amortissement sur vingt à trente ans. Dans ces conditions, ne vaudrait-il pas mieux arrêter certaines centrales à trente ans et ne pas y entreprendre de travaux, et en prolonger d’autres directement à cinquante voire soixante ans, à condition que l’ASN l’autorise ?

M. le président François Brottes. Ce que vous venez dire change significativement la donne. Entre un grand carénage incontournable mais qui ne garantit pas la prolongation et la non prise en compte dans le grand carénage des centrales appelées à être fermées, la hauteur du mur des investissements est grandement modifiée. Ce n’est pas un point de détail !

M. Laurent Michel. Le volume et le calendrier du mur pour le nucléaire ancien sont certes modifiés, mais les investissements devront être redirigés vers les énergies renouvelables ou le nouveau nucléaire, dont les coûts en investissement sont également très lourds.

M. Pierre-Marie Abadie. La distinction entre le grand carénage et la prolongation de durée de vie est un peu théorique. Il est difficile de déterminer ce qui relève précisément de l’un ou de l’autre.

M. le président François Brottes. La prolongation a besoin du grand carénage, c’est indéniable.

M. Pierre-Marie Abadie. Absolument.

M. le rapporteur. En d’autres termes, le grand carénage est une condition nécessaire mais pas suffisante.

M. Pierre-Marie Abadie. Le grand carénage est en quelque sorte une marque commerciale. Il a vocation à sensibiliser les acteurs de la filière à la dimension industrielle du projet sur lequel il faut collectivement s’organiser ; il vise donc à fédérer le tissu des fournisseurs. L’analyse fine des besoins d’investissement – ceux qui doivent être faits dans tous les cas et pour lesquels, dans une stratégie de parc, on peut se permettre d’accepter des coûts échoués, et ceux qui dépendent de la possibilité de prolonger la durée de vie, appréciée au niveau de chaque centrale – n’a pas été faite. Cette distinction entre les deux catégories d’investissements doit rester en arrière-plan de toutes les analyses relative au passage éventuel des centrales à une durée de vie de 50 ans : l’essentiel n’est pas dans le fait de savoir si toutes les centrales passent à 50 ans mais si, globalement, le parc peut avoir un horizon de durée de vie qui justifie que l’exploitant y fasse des investissements, quitte à ce que certaines centrales s’arrêtent à 40 ans, d’autres à 50 ans et d’autres à 60 ans. Il reviendra ensuite à l’exploitant d’assumer son risque industriel sur l’ensemble du parc et de définir en conséquence ce qu’il accepte d’investir sur l’intégralité de son outil de production et ce qu’il réserve aux seules centrales dont il aura la quasi-certitude qu’elles seront autorisées à être prolongées. EDF n’en est pas encore là.

M. le président François Brottes. Qui peut faire ce travail d’analyse ?

M. Laurent Michel. Une fois que le cap général est fixé, le travail de documentation sur les possibilités de prolongation de chaque centrale ne peut être le fait que de l’opérateur qui connaît la situation de chaque installation. L’avis de l’ASN sur la sûreté sera également décisif. Nous aurons à travailler pendant plusieurs années avec EDF afin d’améliorer nos connaissances et de pouvoir conseiller le Gouvernement sur la programmation pluriannuelle de l’énergie et sur la pertinence de la prolongation.

M. le président François Brottes. Ce travail pourrait-il être fait par un autre que l’opérateur qui, on peut le comprendre tout en le regrettant, obéit à sa propre logique d’exploitation ? L’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire saurait-il le faire ? Les services de l’État n’ont probablement pas les moyens de mener ce travail considérable sur toutes les hypothèses.

M. Laurent Michel. Les données essentielles ne peuvent provenir que de l’opérateur. Quant à l’État, il doit se doter d’outils d’expertise. Nous réfléchissons actuellement à un mécanisme qui obligerait EDF à fournir des éléments, à charge pour les pouvoirs publics d’expertiser et de contre-expertiser afin d’examiner les options en matière de sûreté mais aussi en matière économique.

La loi sur la transition énergétique peut être l’occasion de réfléchir sur la méthode de documentation.

La réduction de la vulnérabilité du système est une question importante qui ne peut être résolue d’un coup de baguette magique. On peut jouer sur plusieurs paramètres. L’objectif de 50 % en 2025 apporte déjà une partie de la réponse en obligeant à sortir de la monotechnologie. L’interconnexion est un autre paramètre important. On doit aussi travailler sur la gestion de la pointe, qui est un aspect majeur de la sécurité de l’approvisionnement, par exemple avec le développement de l’effacement. On peut également limiter les risques d’un incident générique qui affecterait toutes les composantes du système en diversifiant le parc nucléaire. Du reste, cette diversification est déjà engagée avec des centrales par paliers de 900 et 1 300 mégawatts comprenant eux-mêmes des sous-paliers, ainsi qu’avec l’EPR.

M. le président François Brottes. Quel est votre avis sur « l’EPR light » évoqué par le rapporteur ?

M. Laurent Michel. Il y a deux sujets à bien différencier. EDF et Areva travaillent sur l’optimisation de l’EPR actuel à partir des retours d’expérience. Les entreprises évoquent un gain de 20 à 30 %, assez commun sur le plan industriel pour des gros outils, qui permettrait d’abaisser le coût de 8 à 6 milliards d’euros. Parallèlement, un autre projet porte sur un EPR de même puissance mais avec des caractéristiques physiques moins lourdes.

M. Pierre-Marie Abadie. L’évolution de l’EPR passe par différents étages.

Premier étage, EDF peut s’appuyer sur les retours d’expérience d’Olkiluoto et de Flamanville pour améliorer l’EPR qu’il entend construire à Hinkley Point, au Royaume-Uni. Cela a permis de dégager des gains, qui ont cependant été amoindris par un coût du BTP plus élevé au Royaume-Uni, les exigences britanniques spécifiques ainsi que des particularités du site ayant même renchéri le coût final.

Deuxième étage, EDF peut travailler à un EPR optimisé, mais avec le même design. Il faut savoir que les EPR de Flamanville et d’Olkiluoto ont été construits sans que le design détaillé soit connu. C’est comme cela que les précédentes centrales ont été construites, mais EDF et AREVA avaient mal mesuré le changement que représentait le design de l’EPR. Le génie civil des deux EPR européens est d’une très grande complexité. Le design pour la construction peut être simplifié grâce à la collaboration avec les opérateurs du BTP, par exemple sur le ferraillage.

Troisième étage, EDF et Areva travaillent sur une optimisation de l’EPR à certification constante, sans changement majeur mais en tirant les leçons des chantiers précédents. Cette démarche est donc très intéressante en termes de délais.

Dernier étage, il est possible de travailler sur des options un peu différentes, par exemple sur les concepts de sûreté relatifs à la cuve, ce qui nécessite une nouvelle certification et verrait donc le jour à un horizon plus lointain.

L’EPR s’est heurté à plusieurs difficultés : il a été construit sans disposer du design détaillé, par des entreprises qui avaient perdu l’habitude de construire – c’est la grande différence avec le chantier de Taishan en Chine.

Le gain tiré de l’effet de série – ou du retour d’expérience – serait de l’ordre de 25 à 30 %, similaire à celui qui a été constaté sur les paliers précédents. L’effet de série n’est d’ailleurs pas produit par l’industrialisation de la construction mais par la non-reproduction des erreurs passées. Ainsi, l’absence de retard dans le calendrier des travaux induit-elle un gain mécanique.

M. Laurent Michel. S’agissant de vos inquiétudes sur le calendrier de l’ASN, madame Massat, sachez que le processus en cours est jalonné et que des échanges avec l’exploitant ont lieu régulièrement. Si des éléments négatifs importants touchant à la prolongation devaient apparaître, ils seraient révélés bien avant 2018. Nous échangeons régulièrement avec l’ASN sur l’avancée du processus. Les premières orientations devraient être connues en 2015.

M. Pierre-Marie Abadie. Il faut garder à l’esprit que le travail entrepris par l’ASN est progressif.

La question de la prolongation des centrales n’est pas univoque. Aux États-Unis, on sait que le parc peut être prolongé car, en matière de sûreté, l’approche consiste à maintenir le niveau de sûreté défini pour la centrale. L’exemple américain montre qu’à sûreté constante, les centrales peuvent être prolongées. Or l’ASN s’en tient à une logique différente qui consiste à rechercher l’amélioration de la sûreté. À cette fin, elle entretient avec l’opérateur un dialogue sur les améliorations à apporter. Il ne faudra donc pas attendre 2018 pour découvrir ce que contiendrait la boîte noire de la prolongation. En 2015, l’ASN devrait déjà prendre des positions de principe.

S’agissant de la capacité industrielle et financière d’EDF d’assumer la prolongation, il suffit que les opérations soient préparées et menées au bon moment, comme doit l’être tout projet industriel. Quant au financement, ce n’est pas une question de possibilité mais de profitabilité des investissements – s’ils peuvent être rémunérés, les financements seront trouvés. Au cas où la dette serait trop importante, il faudrait recourir aux fonds propres en augmentant le capital ou en sollicitant des co-investisseurs. L’EPR d’Hinkley Point est financé par de la dette, des fonds propres et des co-investisseurs. En France, des centrales ont déjà fait l’objet de co-investissements par le passé. De surcroît, la loi NOME permet aux consommateurs industriels souhaitant avoir des contrats à long terme d’investir. Des fonds d’investissement peuvent également être intéressés par les niveaux de rémunération garantis par de telles infrastructures lourdes.

M. le président François Brottes. Si vous deviez conseiller un gouvernement qui décidait de la fermeture de certains réacteurs, par lesquels faudrait-il commencer ?

M. Laurent Michel. Je suppose que vous attendez une autre réponse que Fessenheim…

Dès lors que le cap est fixé d’une maîtrise de la demande couplée à la diversification du mix électrique, l’élaboration d’une programmation pluriannuelle de l’énergie permet de dessiner l’évolution du parc nucléaire. Toutefois, il faut ensuite disposer de mécanismes obligeant l’opérateur à échanger avec le Gouvernement afin de définir une vision globale et tracer un chemin pour l’arrêt à trente, quarante ou cinquante ans de la vingtaine de réacteurs qui pourraient devenir non nécessaires. C’est en confrontant le point de vue de l’exploitant et les objectifs de l’État, sous réserve que les centrales répondent aux exigences de sûreté, qu’on peut aboutir à un plan de prolongation ou de fermeture.

La discussion doit également impliquer RTE, car les fermetures ont des conséquences sur la soutenabilité du réseau.

Le plan doit être le résultat d’une interaction. Il n’est pas souhaitable que les grandes orientations stratégiques soient définies par l’entreprise ou l’administration seule.

M. Pierre-Marie Abadie. L’administration n’est pas en mesure de synthétiser l’ensemble des données techniques, même si elle dispose d’une capacité d’expertise lui permettant d’apprécier les différents critères : coûts d’investissement, conditions de sûreté, conséquences sur le réseau et redéploiement nécessaire des moyens de production, effets sur le mox et le cycle fermé. Cadencer les fermetures ne se résumerait pas à définir un calendrier ; de nombreux autres critères entrent en ligne de compte.

M. le président François Brottes. Je retiens un point essentiel : l’opérateur ne peut pas décider seul puisque la décision naît de l’interaction entre les différents paramètres. On ne peut pas dire : « on ferme et on verra après ».

M. Pierre-Marie Abadie. Cela dépend du nombre de centrales. Mais dès lors que celui-ci n’est pas marginal, la question se pose.

M. Laurent Michel. De la même manière, on ne peut pas se contenter d’attendre de développer les énergies renouvelables pour décider de l’avenir du parc nucléaire. L’anticipation est essentielle.

M. le président François Brottes. Merci de votre contribution.

L’audition se termine à onze heures trente-cinq.

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Membres présents ou excusés

Commission d'enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d'exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l'électricité nucléaire

Réunion du mercredi 26 mars 2014 à 10 heures

Présents. – Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Denis Baupin, M. François Brottes, Mme Sandrine Hurel, Mme Frédérique Massat

Excusés. – Mme Françoise Dubois, Mme Sylvie Pichot, M. Franck Reynier, M. Stéphane Travert