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Commission d’enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d’exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l’électricité nucléaire, dans le périmètre du mix électrique français et européen, ainsi qu’aux conséquences de la fermeture et du démantèlement de réacteurs nucléaires, notamment de la centrale de Fessenheim

Mercredi 26 mars 2014

Séance de 15 heures 30

Compte rendu n° 30

Présidence de M. François Brottes Président

–  Audition de M. Jean-Claude Delalonde, président de l’ANCCLI (Association nationale des comités et commissions locales d’information), M. Jean-Paul Lacote, vice-président de l’ANCCLI et membre de la CLI de Fessenheim et M. Florion Guillaud trésorier de l’ANCCLI et membre de la CLI du Blayais.

L’audition débute à quinze heures cinquante.

M. le président François Brottes. L’Association nationale des comités locaux et commissions locales d’information (ANCCLI) constitue en quelque sorte un club, au sein duquel se sont rassemblés les commissions locales et comités locaux d’information (CLI).

M. Jean-Claude Delalonde, président de l’Association nationale des comités locaux et commissions locales d’information. L’ANCCLI a une existence institutionnelle.

M. le président François Brottes. A-t-elle été créée par la loi ?

M. Jean-Claude Delalonde. Oui.

M. le président François Brottes. Le « cœur de métier », comme l’on dit, de l’ANCCLI consiste à organiser la transparence, le pluralisme et la vigilance citoyenne sur les grandes installations nucléaires en fonctionnement. Le législateur a tenu à ce qu’il existe une CLI par installation. Ces commissions regroupent des personnes très vigilantes en matière de nucléaire, dont beaucoup – vous nous direz si c’est exact – seraient plutôt défavorables à ce mode de production de l’énergie. Elles sont normalement un lieu où l’information doit circuler, dans un domaine dont l’opacité est souvent critiquée. Le législateur a en effet souhaité associer les citoyens au contrôle des centrales, en sus des acteurs traditionnels ayant un intérêt direct à agir. Le travail des CLI est donc complémentaire de celui, technique, de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), à laquelle s’impose également un devoir de transparence, d’intégrité et d’objectivité. Quelles relations entretenez-vous avec cette Autorité ?

Ne pouvant inviter des représentants de toutes les CLI, nous avons adressé notre invitation à l’ANCCLI. Nous vous savons toutefois gré d’être venus à plusieurs, ce qui vous permettra de nous éclairer sur le fonctionnement des CLI et sur les améliorations qui pourraient y être apportées. La présence parmi vous d’un représentant qui se trouve être élu en Allemagne nous permettra d’évoquer aussi le démantèlement des réacteurs dans ce pays.

Conformément aux dispositions de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je dois maintenant vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Jean-Claude Delalonde, M. Jean-Paul Lacote et M. Florion Guillaud prêtent successivement serment.)

M. Jean-Claude Delalonde. Je vous remercie de nous avoir conviés à vos travaux. Nous espérons répondre à vos interrogations et lever certaines incompréhensions quant au rôle et aux missions respectives des CLI et de l’ANCCLI.

L’ANCCLI fédère les 38 CLI qui existent sur le territoire national autour d’un site nucléaire. Créées par une circulaire du Premier ministre, dite circulaire Mauroy, en 1981, les CLI ont été institutionnalisées par la loi du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire. Un décret du 12 mars 2008 a précisé leur organisation ainsi que leur fonctionnement et prévu qu’elles devaient se fédérer. Cette loi et ce décret ont conforté la fédération nationale, qui s’était constituée en 2000.

Il est vrai, monsieur le président, qu’en 2000, l’ANCCLI constituait plutôt un « club » des présidents de CLI. Sur la vingtaine de commissions qui existaient alors, dix avaient considéré que les problèmes génériques qu’elles rencontraient dans leur fonctionnement justifiaient de se doter d’une organisation plus structurée. C’est ainsi qu’a été créée une association loi de 1901 militant pour qu’autour de chaque centrale nucléaire, non seulement une CLI soit effectivement mise en place par arrêté du président du conseil général, comme il était prévu, mais qu’elle dispose d’authentiques moyens de fonctionnement – à l’époque, comme aujourd’hui encore d’ailleurs, toutes fonctionnaient exclusivement avec des bénévoles. Nous n’avons également cessé de demander aux gouvernements successifs que la loi reconnaisse leur existence institutionnelle, ce à quoi nous sommes parvenus, à la satisfaction de toutes les parties. Nous avons aussi défendu, non sans difficulté mais avec succès, la diversité de la représentation au sein des CLI – pro- et anti-nucléaires, élus, représentants des salariés, experts et personnalités qualifiées, représentants du monde économique….

Nous avons décidé à l’ANCCLI que prévaudrait au sein de l’association le principe « un homme une voix ». Comme les commissions locales, l’Association nationale est composée de quatre collèges, comptant chacun huit membres : un collège des élus, choisis par les CLI ; un collège des associations de défense de l’environnement, regroupant pro- et anti-nucléaires ; un collège des organisations syndicales des salariés des centrales – à l’exclusion de ceux des sous-traitants – et un collège de personnalités qualifiées.

Dans leur diversité, les 32 membres de l’ANCCLI ont toujours réussi à parler d’une seule et même voix. Toutes les orientations préconisées par l’Association depuis 2005 l’ont été à l’unanimité. Jean-Paul Lacote ici présent est bien connu pour ses positions anti-nucléaires. Pour ma part, je n’appartiens à aucun mouvement. J’ai été pendant 34 ans élu politique, comme Florion Guillaud. Quelles que puissent être parfois nos divergences, nous nous accordons toujours sur le rôle et la mission principale, unique même, des CLI et de l’ANCCLI, qui est de tout faire pour garantir la sûreté et la sécurité nucléaires.

M. le président François Brottes. Quel est le budget de l’ANCCLI ?

M. Jean-Claude Delalonde. J’allais y venir. Comme je l’ai dit, les CLI et l’ANCCLI fonctionnent avec des bénévoles. Seuls les élus sont indemnisés pour participer à leurs travaux, pas les membres des associations.

Le législateur avait prévu d’instituer auprès de chaque site Seveso un comité local d’information et de surveillance (CLIS). Ainsi à Dunkerque où, dans un rayon de cinq kilomètres autour de la centrale de Gravelines, dont j’ai présidé la CLI durant treize ans, il existe dix-huit sites Seveso : ce sont autant d’instances qu’il aurait fallu mettre en place, avec chacune les mêmes composantes. Comment de simples bénévoles auraient-ils pu assister aux travaux de dix-huit instances ? La difficulté aurait sans doute été la même pour les élus qui, soit dit au passage, bien qu’indemnisés, ont sans doute été les moins assidus. Nous avons donc mutualisé les moyens humains et les moyens financiers, même si, ou précisément parce que ces derniers étaient quasi nuls.

La circulaire Mauroy de 1981 prévoyait que l’exploitant accorde des moyens financiers aux CLI. Mais aucun cadre précis n’ayant été fixé, ces moyens ne sont pas venus. Nous avons milité, comme je l’ai dit, pour que le législateur fasse le nécessaire. Comme les centrales procuraient de substantielles recettes de taxe professionnelle aux communes, aux structures intercommunales et aux départements, et que le pouvoir de fixer la composition des CLI avait été confié aux présidents de conseils généraux, il a été jugé normal que les départements financent ces commissions. Alors même que la période était plus faste qu’aujourd’hui, il a été difficile d’obtenir à la hauteur souhaitée la contribution de toutes les collectivités concernées. Nous avons alors demandé que la loi permette d’affecter aux CLI et à l’ANCCLI une part du produit de la taxe sur les installations nucléaires de base (INB), dont l’exploitant s’acquitte auprès de l’État et qui représente près de 600 millions d’euros par an. Cette proposition a été reprise par le législateur, puis confirmée dans le décret. Mais, six ans plus tard, force est de constater que ce n’est toujours pas appliqué. La faute à Bercy, nous dit-on ! Celle du ministre ? Non, des services, nous précise-t-on !

En dépit donc des dispositions législatives et réglementaires, les CLI ne disposent toujours pas des moyens financiers nécessaires. Nous avons tenté d’obtenir des crédits par l’intermédiaire de l’Autorité de sûreté nucléaire et de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Et Bercy a en effet confirmé qu’une partie des crédits alloués par l’État à l’ASN – sans préciser toutefois à quelle hauteur – devait financer le fonctionnement de nos commissions et de leur association. Il y a quatre ans, le total de ces crédits ne s’élevait qu’à 300 000 euros pour l’ANCCLI et les 38 CLI. Ayant fait part de notre mécontentement et de notre inquiétude, nous avons réussi à obtenir, sous la majorité précédente, que ce montant soit porté à 600 000 euros par an, puis, après l’alternance, à un million d’euros.

Pour fonctionner convenablement, une CLI devrait en outre disposer au moins d’un local en propre – lorsqu’une commune en met gratuitement un à disposition, cela peut placer les élus en position délicate – et d’un minimum de moyens de secrétariat… à moins d’obtenir, comme c’était le cas pour beaucoup d’entre elles, la mise à disposition de personnels – mais n’est-ce pas là ce qu’on appelle en politique des emplois fictifs ?

M. le président François Brottes. Il existe aussi des emplois fictifs dans les entreprises !

M. Jean-Claude Delalonde. Je m’en tiens au champ politique car les CLI sont des instances créées par la loi.

M. le président François Brottes. Monsieur le président, nous vous avons laissé le temps d’exprimer vos doléances, comme il était normal. Il est prévu que nous auditionnions de nouveau l’ANCCLI lors d’une prochaine réunion mais, pour l’heure, nous nous intéressons aux problèmes soulevés par l’arrêt définitif d’une centrale. Quel peut être le rôle des CLI durant la phase de démantèlement d’une telle installation ?

M. Jean-Claude Delalonde. Je me contentais de répondre à votre question sur les moyens financiers. Pour les 38 CLI et l’ANCCLI, il faudrait un budget annuel non pas d’un million, mais de cinq millions d’euros.

M. le président François Brottes. Nous ne sommes pas Bercy !

M. Jean-Claude Delalonde. Nous l’avons bien compris depuis longtemps !

J’aborderai maintenant les cinq sujets sur lesquels l’ANCCLI souhaiterait vous fournir des éléments de réflexion : le mix énergétique…

M. le président François Brottes. Ce n’est pas le sujet d’aujourd’hui. Nous en traiterons une autre fois.

M. Jean-Claude Delalonde. Pour nous, le sujet de l’arrêt définitif d’une centrale est aussi lié à ceux du mix énergétique, du coût de la sûreté, des déchets, du démantèlement et du coût d’un accident nucléaire. Ce sont là les cinq points de l’exposé que nous avons préparé…

M. le président François Brottes. Nous ne traitons pas aujourd’hui d’accident nucléaire en phase d’exploitation.

M. Jean-Claude Delalonde. Pour nous, tout est lié et tourne autour de la sûreté. Même le jour où il sera décidé, décision sur laquelle nous n’avons pas à nous prononcer, d’arrêter une centrale puis de la démanteler ou de la sanctuariser, ce n’en sera pas fini des coûts. Que fera-t-on par exemple des déchets ? La part plus ou moins grande du nucléaire dans le mix énergétique n’est pas non plus indifférente sous l’angle du coût. Les CLI et l’ANCCLI s’interrogent sur ces sujets.

Je vais donc aborder rapidement les cinq points évoqués.

M. le président François Brottes. Nous avions invité l’ANCCLI également le 17 avril prochain. Si vous traitez de tout aujourd’hui, nous ne vous réentendrons pas.

M. Jean-Claude Delalonde. Vous en déciderez comme vous le souhaitez.

Sur le mix énergétique, il n’appartient pas à l’ANCCLI de formuler un avis…

M. le président François Brottes. Dans une commission d’enquête, la représentation nationale pose des questions et ceux qu’elle invite doivent y répondre. On n’y expose pas des réponses préparées d’avance à des questions qui n’ont pas encore été posées.

Nous avons organisé nos travaux par journées thématiques et traitons aujourd’hui du démantèlement des centrales. À élargir par trop le champ, le propos devient excessivement général. Comme nous n’ignorons pas que les CLI ont vocation, de par la loi mais aussi de par leur éthique, à s’intéresser à la vie d’une centrale, de ses débuts jusqu’à sa fin et même au-delà, nous vous avons invités une prochaine fois pour traiter des autres aspects. Nous vous demandons aujourd’hui de vous limiter au sujet prévu, faute de quoi l’organisation de nos travaux s’en trouverait perturbée. Voilà pourquoi je suis ferme.

M. Jean-Claude Delalonde. Je ne vous le reproche pas, monsieur le président.

Quelles que soient les décisions futures sur le mix énergétique et sur les autres sujets, qu’on ferme toutes les centrales demain ou qu’on le fasse en dix, quinze ou vingt ans, les problèmes soulevés par le nucléaire perdureront et la sûreté continuera d’être une préoccupation pour la société civile, que nous représentons. Le problème doit être pris très en amont. La seule façon d’éviter les surcoûts consécutifs à un éventuel incident ou accident est de faire de la prévention. La prévention, c’est la sûreté. Pour nous, cela passe, et c’est toute l’originalité du modèle français dont nous ne cessons de vanter les mérites au niveau européen et international, par l’existence d’une autorité de sûreté indépendante et efficace ainsi que d’une structure d’expertise publique hautement compétente – nous les avons avec l’ASN et avec l’IRSN, dont les moyens doivent impérativement être maintenus. Cela suppose également que la société civile soit en mesure d’exercer une vigilance permanente, en liaison avec ces deux instances.

Notre seule préoccupation est que, quelles que soient les décisions prises par l’État, la sûreté nucléaire demeure dans notre pays à un « haut niveau de standard ». C’est le cas aujourd’hui mais nous craignons que la crise économique ne conduise à rogner sur les moyens alloués à l’ASN et à l’IRSN, ce qui pourrait avoir des conséquences dramatiques non seulement du point de vue environnemental et humain, mais aussi sur les coûts de la filière nucléaire, objet même de votre commission d’enquête.

M. le président François Brottes. Je vous remercie, tout en notant que vous ne nous avez pas dit grand-chose pour l’instant sur le démantèlement.

M. Denis Baupin, rapporteur. Notre commission s’intéresse à l’ensemble de la filière nucléaire, de l’extraction de l’uranium jusqu’au démantèlement des centrales et au traitement des déchets. Aujourd’hui, le président l’a dit, nous traitons de la fermeture des centrales, sujet d’actualité puisque est évoquée et préparée la fermeture de celle de Fessenheim.

Aux premières loges sur le terrain, comment voyez-vous la fermeture d’une centrale ? Comment la préparer et l’accompagner pour qu’elle s’effectue du mieux possible et ne soit pas vécue comme un drame ? Les CLI ont-elles d’ores et déjà engagé une réflexion collective sur le sujet ? Si oui, quels en sont les premiers éléments ?

Assurez-vous un suivi des opérations de fermeture en cours – je pense à celles des réacteurs graphite-gaz, ou encore des centrales de Brennilis et Creys-Malville ? Si oui, quel est votre retour d’expérience ? Quels éléments n’auraient pas été suffisamment pris en compte lors de ces arrêts et démantèlements ? La sûreté, capitale pendant l’exploitation d’une centrale, ne l’est pas moins ensuite puisque le risque ne disparaît pas avec la simple fermeture. Il est donc légitime que les CLI s’intéressent aussi au démantèlement.

Une autre préoccupation, dont je ne sais si elle relève ou non de votre compétence, est l’impact d’une fermeture d’une installation nucléaire sur le tissu économique local. Comment, à votre avis, devrait-elle être anticipée sous cet angle ? Quid de la poursuite de leur activité professionnelle pour les salariés de l’exploitant ? Quid des sous-traitants, pour lesquels l’incidence de la fermeture peut varier selon qu’ils travaillent ou non pour d’autres sites, proches ou non ? Quid des emplois indirects ? En bref, comment faire pour limiter au maximum les inconvénients économiques et sociaux d’une telle décision ?

Quel peut être le rôle particulier de l’ANCCLI, ne serait-ce que sous forme de sensibilisation aux problèmes posés, dans la phase d’accompagnement de l’avant-fermeture et de l’après-fermeture d’une centrale, de façon que cette opération, qui de toute façon interviendra nécessairement un jour, se déroule de la façon la plus fluide possible ?

Dernière question : seuls les salariés d’EDF sont représentés dans les CLI et à l’ANCCLI. Est-ce délibérément que les sous-traitants ont été exclus ? Est-ce parce qu’il aurait été difficile d’assurer leur représentation ? A-t-on essayé de les associer ? Il paraîtrait légitime qu’ils puissent faire part de leurs difficultés propres.

M. le président François Brottes. J’ajoute une question à l’intention de M. Lacote, qui est élu en Allemagne : quelles sont les procédures de concertation prévues pour accompagner la fermeture des réacteurs outre-Rhin ?

M. Jean-Paul Lacote, vice-président de l’ANCCLI et membre de la CLI de Fessenheim. Si, dans la CLI de Fessenheim, le collège des employés ne compte en effet que des syndicalistes d’EDF, celui des personnalités qualifiées comporte des représentants d’entreprises intervenant dans la centrale, parmi lesquelles des sous-traitants. Mais la représentation de ceux-ci est, il est vrai, minime.

À l’ANCCLI, comme à la CLI de Fessenheim, on est, hélas, davantage préoccupé par la prolongation de la durée de vie des centrales que par la problématique du démantèlement. On parle du plan de grand carénage d’EDF, d’utiliser les réacteurs jusqu’à soixante ans… De fermeture, il n’est pas question.

M. le président François Brottes. Même à Fessenheim ?

M. Jean-Paul Lacote. Il est interdit d’en parler à la CLI.

M. le président François Brottes. Qui l’interdit ?

M. Jean-Paul Lacote. Le président de la CLI. On parle de sûreté, pas de fermeture.

M. Jean-Claude Delalonde. Une dizaine de CLI existent depuis 1981…

M. Jean-Paul Lacote. Même depuis 1977 pour celle de Fessenheim !

M. Jean-Claude Delalonde. Instituées par la loi, ces commissions doivent respecter le rôle et les missions que leur a dévolus le législateur. De même que la loi de 2006 et le décret de 2008 disposent très précisément que c’est le président du conseil général qui arrête leur composition et désigne leur président, ils leur ont assigné un cahier des charges bien précis. Ni le démantèlement des centrales, ni les problèmes pouvant en résulter sur le tissu économique local, ni la sous-traitance n’entrent dans le champ de leurs compétences telles qu’elles sont aujourd’hui définies.

Les CLI ne sont vraiment en ordre de marche sur l’ensemble du territoire national que depuis 2011 – le décret de 2008 n’est entré en application qu’après les élections cantonales de cette année-là. Conformément aux dispositions voulues par le législateur comme à leur règlement intérieur, les CLI n’ont pas à traiter du démantèlement ni des problèmes économiques. Elles commencent néanmoins d’en parler, notamment depuis 2012, date où il a été pour la première fois officiellement question de la fermeture et du démantèlement de certaines centrales ainsi que d’un nouveau mix énergétique. Mais cela outrepasse clairement leur rôle et leurs missions.

M. le président François Brottes. À La Hague par exemple, où coexistent un site en exploitation et un autre en démantèlement, la CLI ne se préoccupe pas du tout du démantèlement ?

M. Jean-Claude Delalonde. Nous commençons d’en parler car nous avons pris conscience qu’une évolution importante se dessine. Le vieillissement des centrales et la prolongation de leur durée de vie ont longtemps été des sujets tabous, sur lesquels on nous disait plutôt « Circulez, il n’y a rien à voir ! », puisque notre mission se limitait à la sûreté du fonctionnement actuel des centrales.

S’agissant de la composition des CLI, la loi prévoit que ce sont des salariés d’EDF qui siègent au collège des salariés. Pour le reste, beaucoup d’associations souhaitent être représentées dans les CLI. Le choix s’opère à la discrétion du président du conseil général, qui décide seul lesquelles seront représentées.

Un mot supplémentaire sur la représentation des institutions représentatives du personnel. Il a été refusé qu’elle soit confiée aux comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, les CHSCT, comme nous l’aurions souhaité. Ce sont les centrales syndicales nationales qui siègent à la CLI. Les syndicats des centrales nucléaires pensent pourtant que, notamment en cas de conflit sur un site, il serait plus pertinent que ce soit eux qui siègent plutôt que des représentants extérieurs. La loi, délibérément ou non imprécise, conduit à certains blocages. Il serait donc bienvenu de revoir ces points à l’occasion d’une prochaine réforme. Les CLI, et encore moins l’ANCCLI qui n’existe que par délégation de celles-ci, ne peuvent s’autosaisir de certains sujets. Ni la loi ni le décret ni leur règlement intérieur ne prévoient qu’elles traitent de démantèlement. Seules quelques-unes d’entre elles commencent de le faire. La représentation nationale s’interrogeant sur le sujet, nous estimons que nous devons nous aussi y travailler. Mais cela est très récent.

M. Jean-Paul Lacote. Sur des démantèlements en cours, par exemple à Chooz, des informations remontent à l’ANCCLI car nous les récupérons auprès de collègues des CLI locales, mais cela se fait de manière informelle et non thématisée.

Quel pourrait être le rôle de l’ANCCLI en phase de fermeture d’une centrale ? Comme nous le constatons depuis deux ans à la CLI de Fessenheim, et il risque d’en être de même ailleurs, seuls les représentants des associations de protection de l’environnement font des propositions. Ceux des trois autres collèges, qu’il s’agisse des élus, des salariés ou de la majorité des personnalités qualifiées, refusent toujours d’en parler. J’ai, pour ma part, rencontré les trois délégués interministériels successifs à la fermeture de la centrale, notamment récemment M. Malerba, mais nous sommes les seuls à avancer des propositions.

M. Florion Guillaud, trésorier de l’ANCCLI et membre de la CLI du Blayais. Je ne m’exprime pas ici au nom de la CLI dont je suis membre ni de l’ANCCLI. Je vous donne seulement le sentiment d’un élu d’un territoire sur lequel se trouve une centrale. La centrale du Blayais rapporte environ 20 millions d’euros par an aux collectivités concernées, ce qui est colossal. La communauté de communes où elle est implantée, qui ne compte que 12 500 habitants, perçoit une redevance importante. Pour présider une association d’insertion sur ce territoire, je sais aussi le poids de la centrale en matière d’emploi. Je puis vous dire qu’aucun élu local, hormis ceux qui ont fait en la matière un choix politique radical, ne sera jamais favorable au démantèlement de la centrale. C’est donc à un autre échelon qu’il faut rechercher des personnes disposées à aborder sereinement le sujet.

La CLI, dont la mission unique porte sur la sûreté et la transparence, pourrait a priori considérer que le démantèlement ne la concerne pas. Cette position n’est pas tenable, toutefois. En effet, le démantèlement aura un coût – je ne cite aucun montant car aucun de ceux qui circulent actuellement n’est avéré. Qui assumera ce coût ? L’industriel, dit-on. Soit, mais à la lecture de son bilan, tâche ingrate à laquelle je me suis livré, on s’aperçoit qu’EDF n’aurait pas les moyens de fermer simultanément plusieurs centrales. Au vu des provisions et du résultat net de l’entreprise, et à condition encore que l’État n’ait pas besoin qu’elle lui verse de dividendes, l’entreprise a assurément les moyens de fermer une centrale, peut-être deux, mais pas davantage.

M. le président François Brottes. Vous exprimez là un avis personnel ?

M. Florion Guillaud. Tout à fait.

M. le rapporteur. Bien que n’étant pas réputé défenseur d’EDF, je souligne que l’entreprise a constitué des provisions de plusieurs milliards d’euros pour faire face au démantèlement des centrales.

M. Florion Guillaud. Figurent à son bilan 62 475 millions d’euros de « provisions pour risques ». J’imagine que celles-ci ne sont pas destinées seulement aux démantèlements mais aussi à la couverture d’éventuels incidents – ne parlons pas d’accident nucléaire, car elles seraient alors notoirement insuffisantes. Comment, pendant dix, quinze ou vingt-cinq ans, EDF trouvera-t-elle les ressources nécessaires pour couvrir le coût de la fermeture de ses centrales ? Voilà la question.

Je suis, pour ma part, convaincu que, sur la pente actuelle, on se contentera dans quelques années de sanctuariser les sites, d’en interdire l’accès et d’y démanteler les équipements qui présentent le plus de risques radioactifs et ceux qui sont les plus faciles à neutraliser.

M. le président François Brottes. C’est votre avis personnel. Il faut dépassionner le débat : toute centrale fermera un jour. Par ailleurs, une fermeture n’implique pas qu’il n’y aura plus de centrale nucléaire sur le site. Il serait puéril de refuser d’évoquer le sujet. J’ai cependant bien compris que, dans la mesure où celui-ci ne fait pas partie des missions des CLI ni de l’ANCCLI, elles n’en traitent pas en tant que tel. Comment cela se passe-t-il en Allemagne ?

M. Jean-Paul Lacote. Après la catastrophe de Fukushima, le gouvernement de Mme Merkel a décidé d’un plan de sortie du nucléaire, assorti d’un échéancier précis.

M. le président François Brottes. Des comités citoyens de suivi sont-ils saisis au niveau local ?

M. Jean-Paul Lacote. Il n’existe pas en Allemagne d’équivalent des CLI. Les commissions locales d’information, ou d’information et de surveillance, qui existent dans notre pays sont uniques en Europe. Outre-Rhin, ce sont les associations de protection de la nature et de l’environnement qui remplissent ce rôle. Mais il leur est plus facile d’accéder à l’information qu’en France.

M. le rapporteur. Vos remarques, messieurs, nous seront utiles pour faire évoluer le rôle des CLI dans la future loi.

Nous ne vous demandons pas si les CLI seraient favorables ou défavorables à une fermeture de centrale qui n’aurait pas été programmée. Nous comprenons très bien qu’il existe des opinions et des intérêts divergents. Mais, inévitablement, toute centrale nucléaire fermera un jour. Une centrale peut même avoir à le faire du jour au lendemain si l’ASN juge que les conditions de sûreté ne sont plus réunies, ou dans un délai très court si EDF décide, par exemple dans un contexte de surproduction d’électricité, qu’il n’est plus rentable d’exploiter autant d’installations qu’aujourd’hui. Cela peut aussi arriver parce que, dans le cadre de la politique énergétique nationale, l’État aura décidé de fermer certaines unités. C’est d’ailleurs déjà la question qui se pose pour Fessenheim.

Sans se sentir en porte-à-faux par rapport à ses convictions, chacun peut comprendre que mieux vaut accompagner une telle opération. S’il est trop difficile encore à Fessenheim d’évoquer le sujet, le jour où la décision sera vraiment prise d’engager la fermeture de la centrale, il serait judicieux d’y réfléchir pour que cela se passe du mieux possible. Nous conduisons pour notre part une réflexion globale, indépendamment de tel ou tel site, sur l’accompagnement qu’exigent ces opérations.

Quant à la possibilité ou non de couvrir le coût de celles-ci, c’est un autre sujet, même s’il n’est pas sans liens. On pourrait en effet imaginer d’arrêter des centrales même si on ne disposait pas des sommes nécessaires à leur démantèlement. L’une des tâches de notre commission d’enquête est précisément de savoir si les provisions constituées par EDF sont suffisantes. Contrairement à ce que vous affirmez, aux termes mêmes de la loi, l’entreprise doit en avoir constitué suffisamment pour démanteler l’ensemble de ses réacteurs. Imaginons que l’ASN décèle un défaut générique sur plusieurs d’entre eux : il faudrait bien que l’opérateur les ferme et les démantèle sans délai, c’est de sa responsabilité. Je respecte votre point de vue, monsieur Guillaud, mais, je le répète, la loi exige que les provisions de l’entreprise soient à la fois suffisantes et facilement mobilisables, des instances sont chargées de vérifier qu’il en est bien ainsi et il me paraît dès lors exagéré de soutenir qu’EDF n’aurait les moyens de ne démanteler que deux centrales.

M. Florion Guillaud. À côté d’une provision pour risques de 62 475 millions d’euros, figure dans les comptes une autre provision de 83 355 millions, sans précision quant à sa destination mais peut-être constituée dans cette perspective. Il ne faudrait pas que les provisions exigées d’EDF, ce qui n’est probablement que normal, la conduisent à réduire les dépenses de sûreté sur les centrales en exploitation.

M. le président François Brottes. Ces questions importantes, l’ANCCLI les a-t-elle posées à l’ASN ? Si oui, quelles réponses vous a-t-on apportées ?

M. Jean-Claude Delalonde. Même si cela ne fait pas partie de nos missions, nous en discutons bien évidemment entre nous. Je ne peux parler que de la CLI où je siège, mais je constate avec mes collègues de l’ANCCLI que les interrogations sont partout les mêmes et que nous n’avons pas de réponse. On nous dit que ce n’est pas de notre ressort.

M. le président François Brottes. Est-ce là ce que vous répond l’ASN ?

M. Jean-Claude Delalonde. Pour travailler sur le terrain avec les délégués régionaux de l’ASN à la vérification du bon fonctionnement des centrales, nous savons que l’Autorité est très préoccupée. Elle a fait part de ses inquiétudes devant votre commission, si je ne me trompe, et insisté sur la nécessité de garantir les moyens. Faut-il développer une politique assurantielle ? Faut-il constituer des provisions ? La sûreté et la sécurité en phase de démantèlement passent-elles par ces provisions, en espérant que celles-ci n’auront pas à être entamées suite à un accident en phase d’exploitation ? Ne vaudrait-il pas mieux consacrer les crédits à la sûreté au quotidien, et donc à la prévention ? Si le problème de la fermeture et du démantèlement n’est pas pris en compte très en amont et si l’horizon de ces fermetures demeure lointain, sans calendrier précis ni acte fort, le risque est que la sûreté en pâtisse. Surtout dans le contexte actuel de rareté des crédits, les sommes provisionnées auraient peut-être été mieux utilisées à réaliser des évaluations complémentaires de sûreté (ECS) de façon que, si la durée de vie des réacteurs est prolongée, ce soit dans de bonnes conditions.

Oui, nous nous interrogeons et l’ASN fait de même, mais son président et son directeur général sont tributaires des décisions de l’État et ne peuvent que soumettre des idées. M. Repussard avait été critiqué pour les annonces qu’il avait faites dans un rapport de 2007 ; M. Chevet l’est à son tour lorsqu’il suggère de taxer davantage l’exploitant pour garantir la sûreté. Nous partageons ces inquiétudes et nous les relayons, mais la décision n’appartient pas à ceux que nous représentons.

J’en viens à votre question concernant les incidences sur le tissu économique local. Jamais, à la CLI de Gravelines, nous n’avons abordé la question du démantèlement parce qu’elle ne se posait pas. Mais comme nul ne sait si cette centrale ne sera pas l’une des six suivantes à subir un jour le sort de Fessenheim, il serait intéressant d’y réfléchir aujourd’hui. Jusqu’à présent, les syndicats s’y refusent. Nous essayons de leur faire entendre qu’il ne nous appartient pas de nous prononcer sur une éventuelle décision de démantèlement, mais de préparer le terrain de façon qu’une telle décision, si elle devait intervenir, se transforme en opportunité économique. Nous avons fait remonter nos positions au conseil régional du Nord-Pas-de-Calais qui a décidé, il y a deux mois seulement, d’entamer une réflexion stratégique à dix ans. Le développement économique étant l’une des compétences des régions, j’espère que d’autres conseils régionaux feront de même.

Nous sommes pugnaces et, même si cela ne fait pas partie des missions des CLI, nous souhaitons traiter du sujet, car au-delà, c’est de la sûreté et de son coût qu’il s’agit. Il faut de la lisibilité, que ce soit en phase d’exploitation, de prolongation de la durée de vie, de démantèlement ou de sanctuarisation. À titre personnel, je pense qu’il vaudrait mieux affecter des moyens à la sûreté que de constituer des provisions coûteuses, dont on ne sait pas exactement à quoi elles serviront demain – à supposer qu’elles n’aient pas été consommées entre-temps en raison d’un accident. En effet, les sommes affectées aux provisions ne le seront pas à la sûreté au jour le jour pour prolonger, s’il le faut, la durée de vie des centrales, en attendant de les arrêter.

M. le président François Brottes. Selon vous, l’ASN pourrait « faire des impasses », se contenter d’aménagements approximatifs et, pour des raisons budgétaires, abaisser ses exigences. Ce n’est pas notre sentiment. Il ne nous semble pas qu’elle fasse de concessions, son pouvoir de sanction pouvant aller jusqu’à exiger la fermeture d’une centrale.

M. Jean-Claude Delalonde. Nous souhaiterions que s’impose aux niveaux européen et international le modèle français, tout à fait original, avec un IRSN fort et avec une ASN réputée pour sa compétence, pour son sérieux et pour son indépendance. Seulement, je le sais pour en être administrateur, l’IRSN a vu son budget diminuer de 10 %.

M. le président François Brottes. Je parlais de l’ASN. L’IRSN n’adresse pas d’injonctions et n’est pas totalement indépendant. Chacune de ces deux instances a son propre rôle.

M. Jean-Claude Delalonde. Si le budget de l’ASN devient par trop contraint et si l’Autorité ne peut plus demain se permettre d’en retrancher le million d’euros qu’il lui a été demandé d’allouer aux CLI et à l’ANCCLI, celles-ci peuvent fort bien disparaître. Et si notre budget devait retomber à 600 000 euros, nous serions obligés de limiter fortement notre action, ce qui amoindrirait inévitablement les capacités de réaction de la société civile. Nous comptons donc sur l’État et sur le législateur pour que l’ASN et l’IRSN continuent d’exercer comme aujourd’hui leurs missions de manière satisfaisante. Mais les décisions budgétaires prises nous inquiètent.

M. le président François Brottes. Si l’ASN poursuit son travail comme aujourd’hui, on peut donc considérer que la sûreté est garantie ?

M. Jean-Claude Delalonde. Je ne suis pas membre de l’ASN et ne sais donc pas si elle est satisfaite de sa situation. J’espère que tout ce qu’elle dit est vrai, qu’elle dispose des moyens suffisant à l’ensemble de ses tâches et qu’elle est bien indépendante, comme prévu dans les textes. Si toutes ces conditions sont réunies, il n’y a aucune raison d’être mécontent ni inquiet.

Si la crise, qui perdure, impose des économies, qu’on ne les fasse surtout pas sur le dos de l’ASN ni de l’IRSN ni de l’ANCCLI ni des CLI ! Et ce, quelles que soient les dispositions de la future loi sur la transition énergétique, que celle-ci prévoie ou non la fermeture ou le démantèlement d’une ou plusieurs centrales. Il ne nous appartient pas, en effet, de remettre en question les décisions du législateur mais celui-ci doit garder à l’esprit qu’il est de sa responsabilité de nous donner le minimum de moyens nécessaires pour que nous puissions accomplir dans de bonnes conditions notre travail de bénévoles.

M. le président François Brottes. Messieurs, nous vous remercions pour vos interventions passionnées. À ce stade, nous maintenons l’invitation qui vous a été adressée également pour le 17 avril.

L’audition s’achève à dix-sept heures.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d'exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l'électricité nucléaire

Réunion du mercredi 26 mars 2014 à 15 h 45

Présents. – Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Denis Baupin, M. François Brottes, Mme Sandrine Hurel, Mme Frédérique Massat

Excusés. – Mme Françoise Dubois, Mme Sylvie Pichot, M. Franck Reynier, M. Stéphane Travert