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Commission d’enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d’exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l’électricité nucléaire, dans le périmètre du mix électrique français et européen, ainsi qu’aux conséquences de la fermeture et du démantèlement de réacteurs nucléaires, notamment de la centrale de Fessenheim

Mercredi 2 avril 2014

Séance de 14 heures 30

Compte rendu n° 35

Présidence de M. François Brottes Président

– Thème : Charges futures 2. Stockage des déchets HA/MA-VLAudition de M. Jacques Repussard, directeur général de l'IRSN.

L’audition débute à quatorze heures quarante.

M. le président François Brottes. Après avoir visité hier l’usine de retraitement de La Hague et le chantier de l’EPR à Flamanville, nous examinons aujourd’hui un aspect particulier des charges futures de la filière nucléaire : la gestion des déchets de haute activité. Nous nous intéressons notamment au projet de Centre industriel de stockage géologique (Cigéo). Vous passez parfois, monsieur le directeur général, pour le « Monsieur Plus » en matière d’annonces relatives au chiffrage des coûts. Quoi qu’il en soit, compte tenu de votre expertise et de celle de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), il est important que vous transmettiez le maximum d’informations sur ce sujet à notre commission d’enquête, pour qu’elle puisse mener ses travaux à bonne fin.

Ce matin, j’ai demandé à l’administrateur général du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) si les moyens actuels de stockage en surface – dont nous avons eu un aperçu à La Hague – ne pourraient pas suffire pour les cent ans qui viennent, et s’il était en fin de compte nécessaire de développer le stockage géologique et d’investir massivement dans le projet Cigéo. Il m’a fait une réponse assez vive. Quel est votre avis sur ce point ?

La gestion des déchets constitue un enjeu de sûreté essentiel : il convient de protéger non seulement la population actuelle, mais aussi les générations futures, des conséquences du mode de production d’énergie que nous utilisons. À cet égard, il serait utile que vous précisiez la distinction entre contamination et irradiation.

Fournissant une expertise indépendante et un appui technique aux pouvoirs publics et à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), que nous allons auditionner séparément, l’IRSN a étudié les différentes options en matière de gestion des déchets. Elles sont aujourd’hui connues, mais l’appréciation de leurs coûts respectifs évolue en permanence, presque d’un mois sur l’autre. Cela signifie-t-il que l’on s’est trompé dans les évaluations ? Ou bien dans le cahier des charges ? Ou est-ce parce que l’on ajoute au fil du temps de nouvelles tâches à réaliser ? En tous les cas, le chiffrage semble loin d’être stabilisé. Quelle est votre analyse de la question ?

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Jacques Repussard prête serment.)

M. Jacques Repussard, directeur général de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire. À l’IRSN, nous sommes experts en matière de risques, mais pas d’économie du nucléaire, même si nous travaillons sur certains aspects de ce domaine. Notre mandat ne consiste pas à surveiller l’équilibre des comptes des exploitants nucléaires.

Les déchets de haute activité à vie longue (HA-VL) sont actuellement, en France, le produit du retraitement des combustibles usés. L’inventaire en est connu et peut être anticipé pour les quelques années à venir. Cependant, il conviendra d’y ajouter, à terme, les combustibles usés non retraités qui apparaîtront le jour où la France cessera d’exploiter les réacteurs à eau ou à neutrons rapides : le retraitement de ces combustibles n’ayant plus d’objet, ils devront être stockés tels quels. Leur quantité ne peut pas être déterminée à l’avance, et la question de l’inventaire des déchets demeure donc ouverte. Nous devons faire de la pédagogie sur ce point, qui n’a pas toujours été bien compris.

Pour protéger la population et l’environnement de la toxicité des déchets HA-VL, trois solutions ont été envisagées et encadrées par des lois successives. La première est la transmutation : on espérait – certains espèrent peut-être encore – pouvoir réduire la toxicité des déchets et la durée de cette toxicité en les transformant au sein de réacteurs. La transmutation a fait l’objet de programmes de recherche en France, conduits par le CEA, et dans d’autres pays. La deuxième méthode consiste à entreposer les déchets en surface, dans des installations sûres surveillées par l’homme, comme nous le faisons à La Hague. La troisième option consiste à placer les déchets dans un stockage géologique, c’est-à-dire hors de portée de l’homme, pour des durées infinies ou, tout au moins, suffisamment longues pour que la radioactivité n’atteigne pas la surface.

Ces trois options ont été explorées et expertisées par l’IRSN. L’installation de La Hague a fait l’objet d’un rapport de sûreté et d’une évaluation des risques. Il en ressort que l’entreposage est une solution bon marché, sûre et pérenne à l’échelle de quelques générations, c’est-à-dire jusqu’à la fin du siècle en cours. Cependant, elle présente un inconvénient majeur du point de vue moral : nous laissons aux générations futures – celles qui viendront après nos petits-enfants – l’entière responsabilité de régler le problème des déchets. En effet, les installations d’entreposage construites en béton à la surface du sol ne dureront pas mille ans. Il conviendra donc d’extraire les déchets – opération coûteuse et probablement non dénuée de risques radiologiques, le bon état des emballages n’étant pas garanti au-delà d’une centaine d’années – et de les placer dans d’autres installations du même type, à moins que l’on n’ait trouvé d’autres solutions d’ici là. Il ne revient pas à l’IRSN de porter des jugements de nature morale ou politique, mais cette option apparaît peu courageuse et ouvre une porte sur l’inconnu : comment nos successeurs plus ou moins lointains traiteront-ils la question ? Cette solution n’est pas donc pas optimale du point de vue de la sûreté.

M. le président François Brottes. Combien de temps cette solution nous laisse-t-elle devant nous ?

M. Jacques Repussard. Jusqu’à la fin du XXIe siècle. Ces installations ont été construites avec des marges confortables pour ce qui est de la résistance aux séismes. Elles sont surveillées régulièrement – je les ai moi-même visitées à nouveau il y a quelques jours – et nous n’avons pas d’inquiétude sur le bien-fondé de leur démonstration de sûreté. Mais elles ont une durée de vie limitée à quelques générations humaines, ce qui ne constitue pas un horizon si éloigné.

S’agissant de la transmutation, les aspects théoriques ont été mis en lumière par les travaux du CEA. Mais, en 2012, à la demande de l’ASN, l’IRSN a rendu un avis négatif sur la faisabilité de cette transformation physique des déchets à l’échelle industrielle, sur la base des conclusions du CEA. Il nous est apparu que la radioprotection des installations que nécessiterait le recours à cette méthode ne pourrait pas être assurée avec les technologies que nous connaissons actuellement, si ce n’est à des coûts prohibitifs. Compte tenu de leur teneur en produits de fission, les matières concernées sont très dangereuses. Et les opérations de retraitement – en réacteur, mais aussi par des moyens chimiques – sont très délicates à mener. Cette solution nous paraît donc hors de portée pour un avenir assez long, pour des raisons tant économiques que tenant à la réglementation en matière de radioprotection.

Quant au stockage géologique, il repose sur l’hypothèse qu’une couche de roche mère – argile, sel ou granite – assurera une protection suffisante pour que la diffusion de radionucléides résultant de la dégradation des colis – inéluctable au fil du temps – se rapproche du « bruit de fond » naturel lorsqu’ils atteindront un environnement accessible à l’homme. Pour que la démonstration de sûreté soit convaincante, nous devons montrer que nous sommes capables de concevoir et de construire des installations pour un tel stockage, ainsi que de choisir des localisations géologiquement stables et présentant des couches de roche mère suffisamment épaisses, au travers desquelles le temps de transfert des radionucléides soit supérieur au nombre de demi-vies nécessaires pour que la radioactivité résiduelle des déchets – y compris celle de composants à vie longue et très mobiles dans l’environnement tels que le chlore 36 – atteigne des niveaux très faibles qui ne gênent pas la vie ordinaire des populations et des écosystèmes en surface.

Au début de l’année 2006, à la demande de l’ASN, l’IRSN a rendu un premier avis sur le stockage géologique. Partant d’un rapport de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), établi à partir des expériences qu’elle a menées à Bure, mais aussi dans d’autres laboratoires, en Suisse ou en Belgique, mais en nous appuyant sur nos propres analyses, car nous disposons de nos propres modèles et de moyens de recherche basés à Tournemire, nous avons validé la démonstration théorique : il nous semble possible de réaliser dans la région de Bure, en utilisant la couche d’argile qui s’y trouve et les méthodes d’emballage et de confinement proposées par l’ANDRA, une installation souterraine qui permette de stocker les déchets suffisamment longtemps pour que la radioactivité résiduelle soit inoffensive lorsqu’elle parviendra à la surface.

C’est désormais le passage de la théorie à la pratique qui nous préoccupe. Sur la base de ces premières études, la loi a validé la poursuite des travaux sur le stockage géologique, qui est devenu la solution de référence en France. En vue de construire un centre de stockage, l’ANDRA a été chargée de présenter un dossier technique chiffré – un devis – aux acteurs économiques et une démonstration de sûreté à l’ASN. Le calendrier fixé par la loi prévoit une instruction de la demande d’autorisation en 2015 et une mise en exploitation en 2025. Entre-temps, le législateur devra mener une réflexion complémentaire sur les conditions de la réversibilité.

Cependant, l’ANDRA et l’IRSN ont continué leurs travaux et butent sur plusieurs difficultés, en particulier au regard du calendrier prévu. Premièrement, l’IRSN a estimé à plusieurs reprises, notamment dans des avis officiels transmis à l’ASN en 2010 et en 2012, qu’il ne serait pas possible d’établir une démonstration de sûreté technologique sur laquelle elle puisse se prononcer de manière fondée sans que soient réalisées et testées au préalable des infrastructures grandeur nature. Or le dimensionnement du laboratoire de Bure ne permet pas d’y construire, à l’échelle 1/1, des exemplaires des futures galeries et alvéoles, ni d’expérimenter un début d’exploitation avec des colis chauffants, en utilisant les technologies qui seraient mises en œuvre par la suite. Il s’agit là d’un obstacle majeur : l’ASN sera gênée par l’absence d’avis de l’IRSN. Quant à l’ANDRA, elle reconnaît elle-même qu’elle ne sera pas en mesure d’apporter tous les éléments nécessaires à la démonstration de sûreté sans une expérimentation grandeur nature.

Deuxièmement, l’ANDRA éprouve des difficultés à arrêter les choix technologiques, qui auront eux-mêmes une incidence sur la démonstration de sûreté. D’une part, le dialogue avec les exploitants nucléaires est parfois compliqué. Il existe plusieurs concepts de construction et d’exploitation. Les différentes technologies possibles sont plus ou moins coûteuses et présentent tel ou tel avantage en termes de sûreté, de qualité ou de facilité de réalisation. D’autre part, la conception technologique devra tenir compte des règles fixées par le législateur en matière de réversibilité, règles qui ne sont pas encore connues.

Troisièmement, le débat public organisé par l’ANDRA conformément à la loi a connu certaines péripéties et a clairement montré que l’acceptation du projet par la société n’allait pas de soi, non seulement au niveau local mais aussi au-delà : les acteurs économiques et sociaux de la région ont du mal à en apprécier les coûts et les avantages, et le consensus sur son opportunité est fragile. Cette acceptation ne peut donc être considérée comme acquise à l’avance par la simple application des processus réglementaires usuels. Les responsables politiques et administratifs – Gouvernement, Parlement, ANDRA – doivent tenir compte de cette réalité.

Comme je l’ai indiqué, il ne sera pas possible d’établir d’entrée de jeu une démonstration de sûreté complète. Nous nous orientons donc inévitablement vers un phasage du projet. Dès lors, il nous semblerait judicieux d’associer les citoyens à chacune des étapes qui seront définies. S’agissant du Parlement, nous pourrions envisager trois rendez-vous : sur les conditions de réversibilité – ce débat est déjà prévu par la loi –, sur la validation de l’ouvrage opérationnel grandeur nature et sur l’inventaire final des déchets. De son côté, l’ASN devra trouver des solutions réglementaires.

En ce qui concerne la société elle-même, les pouvoirs publics pourraient encourager un dialogue avec les différents acteurs intéressés par le projet. L’IRSN, dont les experts ont depuis longtemps appris à dialoguer avec le grand public, pourrait y prendre part. Ainsi, elle a expérimenté un dialogue technique transparent sur les déchets HA-VL – dit « dialogue HA-VL » – avec l’Association nationale des comités et commissions locales d’information (ANCCLI) et le comité local d’information et de suivi (CLIS) du laboratoire de Bure qui en est membre. C’était un début d’expertise pluraliste : non seulement nous expliquions le contenu de nos rapports et répondions aux demandes d’éclaircissement, mais nous expertisions aussi certains points à la requête des participants, comme nous pouvons le faire pour l’ASN. Les questions que se pose le grand public peuvent s’écarter des thématiques de sûreté nucléaire au sens strict – certaines ont porté par exemple sur les autres ressources géologiques telles que la géothermie ou les gaz de schiste –, mais elles sont souvent pertinentes et méritent, de notre point de vue, d’être traitées.

Auparavant, l’IRSN avait également créé des instances de dialogue et d’expertise pluraliste sur des sujets sensibles, tels que l’impact local sur la santé publique de l’activité de l’usine de La Hague ou d’anciennes mines d’uranium dans le Limousin. Elles s’étaient révélées être des mécanismes puissants, non pas pour faire émerger le consensus – les différents participants conservent généralement leur opinion –, mais pour détendre l’atmosphère. Les connaissances qui résultent de tels dialogues acquièrent souvent une valeur supérieure à celles qui émanent uniquement de l’État. Cette méthode de travail pourrait renforcer l’acceptabilité du projet Cigéo, ce qui est indispensable s’il doit être mené à bien.

S’agissant des coûts, il n’est pas raisonnable de vouloir connaître le montant de la facture tout de suite : il est nécessaire de passer au préalable par une phase pilote, qui permettra d’affiner les choix technologiques, lesquels auront une incidence sur ce montant.

Pour ce qui est des effets de la radioactivité, on parle de contamination lorsque la source radioactive a été absorbée par le corps humain. Grâce à ses mécanismes de nettoyage naturels, le corps évacue progressivement les polluants. Mais certains éléments, tel le plutonium, ont une « demi-vie biologique » particulièrement longue. L’IRSN dispose de moyens d’expertise biomédicale qui permettent de mesurer la contamination des personnes qui ont absorbé une source radioactive et d’en déduire un facteur de risque. Dans la vie courante, les Français ne sont guère exposés qu’à deux sources de contamination : le radon, gaz qui existe dans l’air à l’état naturel, et les radionucléides d’origine médicale, s’ils sont amenés à subir des examens tels que des scintigraphies. Dans ce dernier cas, les éléments injectés ont une durée de vie très courte et sont entièrement éliminés par le corps au bout de deux ou trois jours.

On parle d’irradiation lorsque la source radioactive est extérieure. Nous baignons tous dans une radioactivité de faible niveau qui provient du rayonnement gamma du sol et des étoiles, mais qui ne gêne nullement la vie. En revanche, si l’on se rapproche d’une source radioactive, l’énergie reçue par le corps croît rapidement, de manière inversement proportionnelle au carré de la distance à la source. Les personnes qui ont manipulé à mains nues des sources radioactives – utilisées pour la gammagraphie, par exemple – sont ainsi victimes de brûlures très graves.

En résumé, si un individu est soumis à une radioactivité relativement importante mais diffuse, qu’elle soit de source interne ou externe, il risque de développer un cancer. S’il est exposé à des rayonnements très intenses, il risque des brûlures très graves lorsque l’irradiation demeure localisée, sinon la mort par arrêt des principales fonctions biologiques – destruction du système nerveux central ou du système digestif.

M. le président François Brottes. Je me fais l’avocat du diable : est-ce à dire qu’il vaudrait mieux envoyer les déchets sur orbite plutôt que de les enfouir, afin d’augmenter la distance à la source ?

M. Jacques Repussard. La distance serait en effet tout à fait satisfaisante, mais il serait alors nécessaire de soumettre l’utilisation des lanceurs à l’autorisation de l’ASN. Or celle-ci n’en délivrerait probablement aucune, tant les risques de retombées à la surface de la terre sont élevés.

M. le président François Brottes. Le Comité stratégique de la filière nucléaire (CSFN) estime que l’encadrement juridique des opérations de démantèlement est trop calqué sur celui qui est applicable en période d’exploitation, ce qui entrave ces opérations. Il conviendrait, selon lui, de revoir les procédures. Quel est votre avis sur ce point ?

M. Jacques Repussard. D’une manière générale, l’IRSN est favorable à ce que les règles juridiques tiennent compte de l’état de l’art de la science. Le principe de précaution ne doit jouer que lorsque les scientifiques ne peuvent pas apporter de réponse. Les observations du CSFN sont assez fondées : dans un réacteur électronucléaire, les éléments restant après le retrait du combustible et de la cuve, puis après le démontage du circuit primaire, présentent des niveaux de radioactivité très faibles. À ce moment-là, la qualification d’installation nucléaire de base (INB) ne se justifie plus complètement, même si je n’imagine pas qu’elle soit supprimée. Outre les INB, il existe des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) nucléaires. Tel est le cas de certains laboratoires de l’IRSN, dans lesquels nous manipulons des éléments radioactifs. Ils ne sont contrôlés par l’ASN que pour ce qui a trait à la détention de la source radioactive. Pour le reste, ils sont soumis aux règles habituelles en matière de protection de l’environnement et au code du travail. Il conviendra d’étudier la question que vous soulevez, car il y a là un enjeu de compétitivité pour les opérations de démantèlement.

M. le président François Brottes. Pourriez-vous, à notre demande, formuler quelques préconisations en la matière d’ici à la fin de nos travaux ? Notre objectif est que les opérations de démantèlement puissent être réalisées dans les meilleures conditions et dans les délais les plus brefs.

M. Jacques Repussard. Nous pourrons vous remettre une fiche succincte.

Les opérations de démantèlement constituent une des phases de l’exploitation des INB. À ce titre, elles sont soumises au contrôle de l’ASN : la législation prévoit que l’exploitant fournit un dossier de sûreté pour chacune de ces phases. Ce mécanisme est globalement satisfaisant et je n’imagine pas qu’il soit remplacé par un autre.

En revanche, il serait intéressant qu’un dialogue s’engage à terme entre les experts de l’IRSN, ceux des exploitants nucléaires et les représentants de l’ASN sur le bon niveau de contrôle lors des opérations de démantèlement. Si nous parvenons à une compréhension mutuelle, nous pourrons optimiser les procédures.

M. Denis Baupin, rapporteur. Alors même que la France a lancé son programme nucléaire il y a quarante ans et que certains envisagent de construire de nouvelles installations, nous n’avons toujours pas d’idée précise sur la manière dont nous allons gérer les déchets, ni sur le coût que cela représentera. Il y a là, en effet, un vrai problème moral : nous laissons la facture aux générations futures – d’abord à nos propres enfants. Je suis très surpris que la filière nucléaire s’affranchisse à ce point de certaines règles, ce qui apparaîtrait irresponsable dans beaucoup d’autres domaines industriels, en tout cas au bout de tant d’années de fonctionnement. D’autant que nous devons absolument traiter la question des provisions : comment faire payer correctement aux consommateurs le coût de la production d’électricité et de ses conséquences si nous ne sommes pas en mesure d’évaluer les charges futures induites par la gestion des déchets ? Même si les études réalisées à ce stade tendent à montrer que leur impact sur le prix du kilowattheure ne serait pas si important, nous ne pouvons faire l’économie de cette interrogation.

S’agissant de l’inventaire, les représentants d’AREVA nous ont indiqué que, selon leurs estimations, le coût du stockage des déchets sans retraitement et celui de l’ensemble de la filière du retraitement – y compris la production de combustible MOX – étaient à peu près équivalents. Faites-vous la même évaluation ? Il s’agit d’un élément important à prendre à compte dans nos choix de politique énergétique, qu’ils soient faits par nous dans les mois et les années qui viennent ou par d’autres ultérieurement. À un moment donné, la décision d’arrêter le retraitement finira par être prise. Quel en sera l’impact en termes de coûts sur la gestion des déchets ?

Concernant la sûreté du projet Cigéo, j’ai été étonné par certaines déclarations des membres de la Commission nationale d’évaluation des recherches et études relatives à la gestion des matières et déchets radioactifs (CNE2) lorsqu’ils ont été auditionnés par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques : ils doutaient de notre capacité à construire des alvéoles qui tiennent suffisamment longtemps pour que l’on puisse récupérer les déchets dans un siècle ; en outre, ils s’interrogeaient sur le comportement de certains déchets ou mélanges de déchets de moyenne activité à vie longue (MA-VL) – en particulier des bitumes – en cas d’incendie. Le président de la CNE2 a même évoqué le risque qu’une « grosse fumée noire » s’échappe du site de Cigéo, ce qui pourrait, selon lui, inquiéter la population. En effet, pour reprendre vos termes, cela ne renforcerait guère l’acceptabilité du projet !

Compte tenu de la nécessité d’établir une démonstration de sûreté dans de bonnes conditions, convient-il, selon vous, de revoir le calendrier, et donc de modifier la loi qui l’a fixé ?

Si l’idée de réaliser un démonstrateur industriel à l’échelle 1/1 pour le stockage géologique est retenue – elle est également ressortie du débat public –, ne devrions-nous pas en construire un deuxième pour le stockage en subsurface ? Cela nous permettrait de disposer d’une solution de repli au cas où le projet Cigéo ne pourrait pas être mené à bien, notamment si nous ne parvenions pas à établir une démonstration de sûreté convaincante. Et une telle installation pourrait durer plus longtemps – quelques siècles – que celle qui existe actuellement à La Hague.

M. Jacques Repussard. Comme je l’ai indiqué, l’IRSN n’est pas chargée d’expertiser les coûts des installations nucléaires. Nous observons simplement que le coût final des installations construites peut représenter jusqu’à trois fois le coût initialement prévu. Cela se produit assez couramment dans la filière nucléaire, de même que, probablement, dans d’autres domaines industriels. Cela dit, ce ne sont pas là des coûts infinis ou non maîtrisables. D’autre part, nous ne reportons pas de si lourdes charges sur les générations futures : des provisions sont intégrées dans le coût de l’électricité payée actuellement par le consommateur. Reste à savoir si elles sont suffisantes.

M. le rapporteur. S’il s’avère, dans cinquante ans, que nous n’avons pas suffisamment provisionné pour la gestion des déchets que nous sommes en train de produire ou que nous avons produits depuis quarante ans, il s’agira bien d’un report de charges sur les générations futures.

M. Jacques Repussard. En effet.

Pour ce qui est des autres industries, elles n’ont le plus souvent jamais provisionné pour la gestion de leurs déchets. Ainsi de l’industrie du carbone, qui a rejeté ses effluents dans l’atmosphère et est en partie responsable du réchauffement climatique. La filière nucléaire est finalement l’une des seules à qui l’on a imposé de confiner ses déchets et qui a su le faire. De ce fait, ils sont entreposés dans un petit nombre d’endroits bien déterminés et connus de la société. Jusque-là, l’humanité avait l’habitude de déverser ses déchets dans les fleuves, les mers, le sol ou l’atmosphère, sans plus s’en soucier. L’industrie nucléaire a fait de même à ses débuts, mais, depuis cinquante ans, la gestion des déchets radioactifs est très encadrée, en tout cas en France et dans les autres pays industrialisés. Dès lors, nous sommes confrontés à une difficulté nouvelle, notre société manquant de références : quels principes faire prévaloir ? Que faire de ces déchets ? Qui doit payer ?

S’agissant de l’inventaire, les représentants d’AREVA ont raison : le coût du stockage des combustibles usés n’est pas très différent de celui du retraitement. Celui-ci n’aurait pas d’intérêt s’il s’agissait simplement de stocker les déchets. Et il ne serait pas rentable si nous n’avions pas l’ambition de développer une autre filière nucléaire.

M. le rapporteur. En d’autres termes, en l’absence d’une quatrième génération de réacteurs, cela ne vaudrait pas la peine de continuer à retraiter les déchets.

M. Jacques Repussard. Le retraitement des combustibles usés n’a de sens économique que si l’on réutilise les matières qui en sont issues.

M. le président François Brottes. Il ne permet donc pas de réduire la quantité de déchets ? Ou alors à un coût trop élevé ?

M. Jacques Repussard. Il s’agit en effet d’une technique très coûteuse de séparation des déchets, qui n’a de sens que si elle est utilisée dans le cadre d’une politique énergétique telle que celle qui a été mise en place en France. D’autres pays envisagent d’ailleurs de stocker directement les combustibles usés sans les retraiter.

En ce qui concerne la sûreté du projet Cigéo, certaines des interrogations des membres de la CNE2 sont aussi les nôtres. En particulier, nous ne sommes pas en mesure de dire s’il sera possible de retirer les colis de leurs alvéoles dans un siècle. Ce délai est-il raisonnable ? Il convient de tester plusieurs manières de construire les alvéoles. D’où la nécessité d’une phase pilote : nous devons accepter l’idée que l’ouvrage soit réalisé en plusieurs étapes et fasse donc l’objet d’autorisations successives.

M. le président François Brottes. Existe-t-il des outils de simulation qui permettent de prévoir le comportement de l’ouvrage au cours du temps ?

M. Jacques Repussard. Oui. Si la couche de béton n’est pas assez épaisse, l’ouvrage finira par s’écrouler sous la pression de la roche, qui se déforme naturellement. Mais nous devons aussi prendre en compte des contraintes de coût et de densification de l’espace. Il y a donc des choix technologiques à faire. Des tests en vraie grandeur sont nécessaires pour arrêter la conception des alvéoles, déterminer l’épaisseur de la couche de béton et d’acier, calculer correctement l’interaction avec la roche. C’est indispensable si l’on souhaite que le stockage soit réversible pendant plusieurs dizaines d’années, voire un siècle. Mais si l’on fixe ce délai à 3 000 ans, ce sera évidemment une autre histoire.

M. le président François Brottes. Une phase de tests dont la durée dépasserait celle d’une génération ne serait plus vraiment une phase de tests.

M. Jacques Repussard. Nous estimons qu’une phase de tests de l’ordre de quinze ans devrait suffire pour disposer d’assurances raisonnables quant à notre capacité à récupérer les déchets pendant les cinquante à soixante-dix années suivantes.

D’autre part, l’IRSN et l’ANDRA sont en train d’étudier les risques en exploitation dans la perspective de la démonstration de sûreté. Le risque d’incendie est celui sur lequel nous nous interrogeons le plus. De notre point de vue, pendant la phase pilote, il ne sera pas souhaitable de stocker des emballages contenant des éléments combustibles, en particulier du bitume.

M. le rapporteur. Et après la phase pilote ?

M. Jacques Repussard. Il faudra les inclure dans la démonstration de sûreté et déterminer quelle technologie employer pour les traiter. S’il apparaît qu’il n’y a aucune solution satisfaisante en profondeur, il sera sans doute nécessaire de les reconditionner en surface. Mais j’extrapole : ce dossier n’est pas encore mûr.

S’agissant du calendrier, un rendez-vous est déjà prévu : une nouvelle loi doit intervenir pour fixer les conditions de la réversibilité.

M. le rapporteur. Oui, mais seulement une fois que l’ANDRA aura remis son dossier.

M. Jacques Repussard. Justement, il nous semblerait raisonnable que l’ANDRA puisse proposer un dossier sur la base d’une contrainte législative connue et non à venir. Il serait donc légitime que le Parlement revienne sur la loi de 2006, définisse ses attentes en matière de réversibilité et pose le principe d’un phasage du projet Cigéo, à charge pour l’ANDRA, l’IRSN et l’ASN de mettre en œuvre chacune des étapes ainsi définies.

D’autre part, le Parlement devrait aussi s’intéresser à l’interaction avec le public. La question de l’acceptabilité est importante : le projet Cigéo est unique, symbolique, et aura des conséquences pour tous les habitants du pays pendant une très longue durée. Le Parlement pourrait décider de la présentation qui en sera faite à la société et fixer un cadre pour le débat avec les citoyens lors de chacune des phases.

M. le président François Brottes. C’est loin d’être simple. Avez-vous une recette en la matière ?

M. Jacques Repussard. J’ai cité l’exemple des dialogues auxquels a participé l’IRSN. Il est ressorti du débat public que les citoyens sont demandeurs d’informations précises et d’une expertise pluraliste. Il y a, dans la société, de nombreux ingénieurs, qui ne travaillent pas dans les organismes en relation avec le nucléaire mais qui s’intéressent à ces sujets, ont des connaissances scientifiques, sont capables de comprendre et de poser des questions pertinentes, telles que celles qu’avaient formulées des collectifs de citoyens à propos de la géothermie. Avec raison, ils étaient allés consulter les dossiers, y avaient trouvé des failles et avaient demandé des réponses.

Soit on ne répond pas à ces questions et l’on risque de créer une insatisfaction qui s’exprimera de manière politique ; soit on accepte de les considérer comme des questions « adultes », qui méritent réponse, auquel cas ce dialogue doit se dérouler dans un cadre reconnu. Certes, il n’y a pas nécessairement besoin d’une loi : nous avions répondu aux interrogations suscitées par les incidents qui s’étaient produits à La Hague il y a une vingtaine d’années sans qu’aucun texte législatif soit adopté à cette fin. Néanmoins, la loi pourrait utilement donner quelques indications sur la manière de procéder. L’IRSN est prêt à participer à un tel dialogue. S’agissant du projet Cigéo, des instances existent déjà, en particulier le CLIS du laboratoire de Bure.

Entre autres points, il conviendrait de trancher une question de droit : l’IRSN est-il autorisé à diffuser des dossiers établis par l’ANDRA ? Quelles limites se fixe-t-on en la matière ? Dans le cadre du débat public sur l’EPR, EDF avait dû signer une convention avec la CLI pour pouvoir lui remettre des dossiers comportant des informations confidentielles relatives à la sécurité. Le législateur pourrait encadrer cette forme de démocratie directe, en en fixant les grands principes. Cela apporterait de la sérénité au débat sur ces sujets sensibles, et qui vont le demeurer.

J’en viens à l’opportunité de réaliser un deuxième démonstrateur industriel à l’échelle 1/1 pour le stockage en subsurface. Il existe actuellement deux modèles possibles pour la gestion des déchets. L’un est le stockage géologique, pour lequel nous avons besoin d’une phase pilote. Une fois celle-ci terminée, les galeries ainsi réalisées seront, sous réserve de validation, intégrées à l’installation finale. Tel n’est pas le cas du laboratoire de Bure, qui ne sera pas, lui, relié au site de stockage. L’autre modèle est l’entreposage en surface, pour lequel nous disposons déjà d’un démonstrateur, à La Hague. Le stockage en subsurface – par exemple à vingt mètres sous le sol – n’apporterait rien, sinon des ennuis. En effet, le concept même d’entreposage repose sur la surveillance par l’homme : nous ne pouvons pas nous permettre d’oublier les déchets entreposés, ne serait-ce qu’en raison de l’érosion. Telle est d’ailleurs la principale difficulté de la démonstration de sûreté pour le stockage géologique : nous ne pouvons pas faire l’impasse sur le fait que, à long terme, peut-être, les hommes ne sauront plus ce que sont les déchets, ni quelles sont les technologies qui permettent de s’en occuper correctement. Il s’agit d’une question grave : si tel devait être le cas, non seulement nous léguerions le problème aux générations futures, mais nous dresserions sciemment un obstacle devant elles.

M. le rapporteur. Comme vous l’avez rappelé, la première loi sur les déchets prévoyait trois axes de recherche. Il n’est donc pas absurde d’envisager un stockage en subsurface, notamment si le projet de stockage géologique n’aboutissait pas ou si nous ne réunissions pas un consensus suffisant pour le réaliser. Nous devons choisir entre plusieurs options qui présentent, chacune, des avantages et des inconvénients. Si nous nous donnons quinze ans pour construire un démonstrateur pour le stockage géologique, nous pourrions très bien continuer à travailler également sur le stockage en subsurface. Nous aurions ainsi une alternative, au cas où l’une des deux solutions ne fonctionnerait pas.

M. Jacques Repussard. Ma remarque ne visait nullement à porter un jugement de fond sur aucune des trois options. La loi Bataille a été adoptée il y a un certain temps déjà, et ces trois solutions ont été étudiées. S’agissant de l’entreposage, le réaliser en subsurface n’apporterait qu’un bénéfice très faible au regard du risque majeur que cela ferait courir : celui d’un oubli de l’installation. Mais il n’appartient pas à l’IRSN d’en juger : en tant qu’organe technique de l’État, l’institut instruira les dossiers qu’on lui demandera de traiter. Pour le reste, nous répondons à toutes les questions qui nous sont posées, qu’elles le soient par les députés, par les journalistes ou par les citoyens. Il s’agit là d’une règle du jeu plutôt saine.

Mme Frédérique Massat. Selon vous, l’examen du projet de loi sur la transition énergétique, qui est annoncé pour le mois de juin, pourrait-il être l’occasion de préciser les conditions de la réversibilité ou de définir les nouvelles méthodes de gouvernance que vous avez évoquées ?

M. Jacques Repussard. En principe, en application de la loi de 2006, l’ANDRA doit proposer, pour 2015, un dossier de faisabilité incluant une démonstration de sûreté, en vue d’obtenir une autorisation pour construire les installations de Cigéo. Ensuite, sur la base de ces propositions et au vu de ce qu’il est possible ou non de faire sur le plan technique, le législateur doit arrêter une position sur la réversibilité. Tel est le cadre fixé initialement et toujours en vigueur. Or, compte tenu des difficultés rencontrées pour établir une démonstration de sûreté convaincante d’ici à 2015, il nous semblerait préférable qu’une loi soit adoptée plus tôt que prévu, c’est-à-dire entre maintenant et 2015, pour fixer les orientations politiques que devra respecter le projet Cigéo. Il s’agirait, d’une part, de préciser les conditions de la réversibilité – nous en savons probablement assez aujourd’hui pour nourrir un débat législatif sur ce sujet – et, d’autre part, d’instaurer un phasage du projet. Le Parlement pourrait également aborder la question de la réception de ce projet par la société. Le projet de loi sur la transition énergétique peut constituer un véhicule législatif à cette fin, mais il ne m’appartient pas de me prononcer sur ce point.

M. le président François Brottes. La loi de 2006 ne nous impose pas de revenir dès le mois de juin sur ces questions. Je vous remercie, monsieur le directeur général.

L’audition s’achève à quinze heures quarante-cinq.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d'exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l'électricité nucléaire

Réunion du mercredi 2 avril 2014 à 14 h 30

Présents. - Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Denis Baupin, M. François Brottes, Mme Sandrine Hurel, Mme Frédérique Massat

Excusés. - Mme Françoise Dubois, M. Jean-Pierre Gorges, Mme Sylvie Pichot

NB : le document mis à la disposition de la commission est accessible en fin de la version pdf