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Commission d’enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d’exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l’électricité nucléaire, dans le périmètre du mix électrique français et européen, ainsi qu’aux conséquences de la fermeture et du démantèlement de réacteurs nucléaires, notamment de la centrale de Fessenheim

Jeudi 17 avril 2014

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 47

Présidence de M. François Brottes Président

– Thème : Risque nucléaire – Dispositif de crise

Audition de M. Francis Delon, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, et M. Pierre-Franck Chevet, président de l’ASN....

M. le président François Brottes. Pilote de la coordination interministérielle, le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, dont M. Francis Delon est le secrétaire général, a impulsé l’élaboration du Plan national de réponse à un accident nucléaire ou radiologique majeur, qui a été rendu public en février 2014.

Responsable du contrôle et de la sécurité des installations nucléaires, dans son statut d’autorité administrative indépendante, l’ASN, dont M. Pierre-Franck Chevet est le président, a engagé depuis une dizaine d’années des réflexions sur la gestion post-accidentelle dans le cadre du CODIRPA – comité directeur pour la gestion de la phase post-accidentelle d’un accident nucléaire. La catastrophe de Fukushima a quelque peu accéléré le processus.

Alors que, pendant très longtemps, on a affirmé que l’accident nucléaire était impossible, ou presque, le nucléaire est devenu aujourd'hui le secteur le mieux couvert par la prévention. La responsabilité de chacun exige de prendre en considération la question du risque.

Messieurs, comme il faut nous préparer à l’éventualité d’un accident nucléaire, nous souhaitons savoir à quelle échelle se situerait la réponse à un accident nucléaire majeur, en impliquant quels acteurs, sur quelles hypothèses et en poursuivant quels objectifs. La presse se fait l’écho d’exercices de secours auxquels participe la population.

Des réponses apportées dépendent en partie le coût de l’énergie nucléaire, au cœur des préoccupations de notre commission d’enquête. Les bons coûts sont-ils aujourd'hui assumés et pris en charge ?

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(MM. Francis Delon et Pierre-Franck Chevet prêtent serment.)

M. Francis Delon, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale. Avant de vous présenter le plan national de réponse à un accident nucléaire ou radiologique majeur, sur lequel vous avez souhaité m’entendre, et de répondre à vos questions, je souhaite brièvement rappeler les missions du SGDSN et préciser ses responsabilités dans le domaine des usages civils de l’énergie nucléaire.

Comme vous le savez, le SGDSN est un service du Premier ministre, qu’il assiste dans l’exercice de ses responsabilités en matière de défense et de sécurité nationale. Dans le domaine nucléaire, il ne participe pas à la définition de la politique énergétique et n’a de compétence directe ni dans le domaine de la sûreté nucléaire, qui relève de l’Autorité de sûreté nucléaire, ni dans celui des coûts de la filière nucléaire. En revanche, il exerce des compétences de coordination interministérielle en matière de sécurité nucléaire, de lutte contre la prolifération de matière nucléaire et de gestion des crises nucléaires ou radiologiques.

Le SGDSN est en effet chargé de la préparation des pouvoirs publics à la gestion des crises majeures, tant du point de vue de l’organisation gouvernementale que de la planification de la réponse que les pouvoirs publics doivent apporter aux menaces et aux risques majeurs. Cette compétence s’exerce également en matière de gestion de crises nucléaires.

C’est au titre de ces responsabilités que le SGDSN a reçu mandat du Premier ministre, en juillet 2011, pour conduire les travaux de planification de la réponse à un accident nucléaire ou radiologique, survenant en France ou à l’étranger.

La catastrophe de Fukushima Daiichi, en mars 2011, nous a en effet rappelé que l’hypothèse d’un accident nucléaire d’ampleur exceptionnelle, et apparemment improbable, ne pouvait pas être écartée par principe.

Elle a conduit, dans le monde entier, à réexaminer les mesures de sûreté et les dispositifs de gestion de crises nucléaires. De nombreuses initiatives ont été lancées dans le domaine de la sûreté nucléaire, que ce soit en France, dans l’Union européenne ou à l’échelle internationale.

L’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) a établi en septembre 2011 un plan d’action de long terme comprenant plusieurs axes de travail visant à renforcer la sûreté nucléaire. Ce plan inclut notamment la révision de la convention internationale sur la sûreté nucléaire, qui impose aux pays signataires de se conformer à de hauts niveaux d’exigence en matière de sûreté, et le renforcement des textes relatifs aux procédures d’information ou encore à l’assistance en cas d’urgence radiologique. Dans ce cadre, la France s’est engagée en faveur de l’élaboration d’un mécanisme international d’intervention rapide en cas d’accident nucléaire en tout point de la planète et de la création d’un centre international de formation à la gestion d’une crise nucléaire.

En France, le Premier ministre a demandé à l’Autorité de sûreté nucléaire un audit de sûreté des installations nucléaires françaises, appelé évaluations complémentaires de sûreté (ECS), qui a pris en compte des aléas et des contraintes supérieures à celles retenues jusqu’alors.

Je n’irai pas plus loin dans ce domaine, qui relève de l’autorité de M. Chevet, si ce n’est pour relever que certaines prescriptions de l’ASN améliorent non seulement la sûreté, mais également les capacités de gestion de crise de l’exploitant : celles relatives au « noyau dur » des installations qui doivent résister à des conditions extrêmes, le poste de commande et les secours électriques durcis en particulier.

Il en est de même de la prescription visant à créer, pour chaque opérateur, des forces d’action rapide, capables d’assister en quelques heures les équipes d’une installation nucléaire en difficulté et de leur apporter l’expertise technique et, le cas échéant, des moyens d’intervention – énergie, refroidissement…–, leur permettant de conserver ou de reprendre le contrôle d’une installation et de la ramener à un état sûr.

Cette partie relève de la responsabilité de l’exploitant qui est tenu de se conformer aux règles fixées par l’ASN et d’assurer la sûreté de ses installations, mais l’État apporte son concours au déploiement rapide de ces forces d’intervention.

C’est ainsi que l’État finalise une convention avec EDF pour l’assistance par des hélicoptères d’État au déploiement d’urgence de l’équipe de reconnaissance de sa force d’action rapide nucléaire (FARN).

Pour revenir au dispositif national de gestion d’une crise nucléaire, il me paraît utile de rappeler ce que sont les grandes lignes de notre dispositif de réponse.

Sur le territoire national, pour chaque installation concernée sont établis des plans d’urgence interne (PUI), sous la responsabilité de l’exploitant, qui visent à ramener une installation accidentée à un état sûr et à éviter que les conséquences ne s’étendent hors du site. De son côté, le préfet élabore et déclenche, le cas échéant, pour chaque installation, un plan particulier d’intervention (PPI) qui prévoit les principales mesures de protection de la population en cas de menace ou de rejet radioactif hors du site. Il s’agit de mesures d’alerte, de mise à l’abri des personnes, de prise de comprimés d’iode, d’éloignement ou d’évacuation des personnes menacées, mesures dont le champ peut s’étendre jusqu’à dix kilomètres de l’installation. Les plans locaux sont complétés par des dispositions générales relevant de la sécurité civile (plans ORSEC).

Mais l’État doit aussi s’organiser quand un accident survient à l’étranger. La catastrophe de Fukushima a justifié l’activation d’une cellule interministérielle de crise, dont le Premier ministre m’avait confié la direction. Des sujets importants comme la sécurité des Français sur place, l’accueil des personnes revenant du Japon, l’assistance éventuelle aux autorités japonaises ou les importations de denrées et de produits japonais ont ainsi pu être traités.

Le retour d’expérience de cette crise a montré la nécessité d’élargir le champ couvert par le dispositif alors en vigueur pour faire face à toutes les situations envisageables et aborder l’ensemble des conséquences d’un accident nucléaire majeur. Cela a conduit le Premier ministre à demander l’élaboration d’un plan national de réponse à un accident nucléaire ou radiologique majeur, destiné à compléter les dispositions existantes et à les mettre en cohérence avec le dispositif général de gestion des crises issu de la réforme de 2012. Ce dispositif est bâti autour d’une cellule interministérielle de crise (CIC), sur laquelle s’appuie le Premier ministre pour assurer le pilotage politique et stratégique de l’action du Gouvernement.

Pour mener à bien ce chantier important, le choix a été fait dès le départ d’élargir le cercle interministériel habituel à l’ensemble des acteurs du nucléaire. Les travaux ont été conduits en très étroite collaboration avec l’Autorité de sûreté nucléaire et l’Autorité de sûreté nucléaire de la défense (ASND). Ils ont fortement mobilisé l’ensemble des acteurs détenteurs de l’expertise nucléaire : l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), appui technique de l’ASN et des ministères, ainsi que les trois exploitants nucléaires majeurs (EDF, le CEA et AREVA). Car une crise nucléaire ne se gère pas sans l’exploitant, sans l’Autorité de sûreté ni sans appui technique. Il est important que chacun des acteurs puisse exercer sa compétence dans son domaine de responsabilité et de façon coordonnée.

Le plan gouvernemental issu de ce travail, piloté par le SGDSN, a été approuvé par le Premier ministre en avril 2013, testé en juin 2013 lors d’un exercice et rendu public en février 2014. Conformément au principe d’information de la population qui prévaut dans le domaine nucléaire, il a été mis en ligne sur le site gouvernemental des risques majeurs et sur celui du SGDSN. Il a fait l’objet d’une présentation au CODIRPA, le 16 avril. Une communication est également prévue devant le Haut comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire, dès que ses membres auront été renouvelés. Sur le plan territorial, les préfets sont invités à informer les commissions locales d’information (CLI). Enfin, le plan a été transmis au groupe de travail post-accidentel de l’Association nationale des comités et commissions locales d’information (ANCCLI) en vue d’une prochaine présentation. Les opérateurs ont, pour leur part, intégré les dispositions du plan dans la formation de leurs responsables de gestion de crise.

Ce plan, qui constitue désormais la référence en matière de gestion de crise nucléaire en France, s’appuie sur les dispositifs existants, comme la chaîne d’alerte spécifique aux crises nucléaires ou les plans particuliers d’intervention. Il les complète en donnant au gouvernement les instruments de pilotage politique et stratégique d’une crise nucléaire majeure.

Le plan traite de l’ensemble des situations d’urgence nucléaire quelle que soit leur origine, en France ou à l’étranger, dès lors qu’elles sont susceptibles d’affecter nos concitoyens ou de perturber gravement la vie du pays.

Le Gouvernement a décidé de traiter, par ce plan, un champ très large d’installations ou de transports. Sont intégrés les accidents pouvant survenir sur les centres nucléaires de production d’électricité, sur les installations du cycle du combustible, dans les laboratoires de recherche, sur les installations de propulsion nucléaire et lors des transports de matière radioactive.

Le plan apporte aussi des avancées significatives. En premier lieu, à l’instar des plans gouvernementaux de la nouvelle génération, construits depuis le début des années 2010, il est conçu comme un outil de compréhension de situations complexes et d’aide à la décision.

Je souligne qu’il s’agit du premier plan français de niveau national traitant d’un ensemble large de situations d’accidents nucléaires ou radiologiques majeurs. Il ne se limite plus au niveau local et au périmètre établi autour du site où l’accident s’est produit. Il prévoit des actions sur un territoire plus large. Il s’applique également à des accidents survenus hors de nos frontières.

Il apporte une réponse à la crise sur le temps long. Il prévoit la conduite de l’action dans la phase d’urgence dès le début de l’alerte et propose une doctrine de prise en charge sanitaire de la population à court, moyen et long termes. Il définit aussi une politique de préparation de la phase post-accidentelle intégrant un objectif de continuité des activités économiques et sociales, en utilisant les travaux du CODIRPA conduits sous l’égide de l’ASN.

Il élargit enfin la participation à la CIC aux autorités de sûreté nucléaire – ASN et ASNDéfense – et, en fonction des besoins, à l’IRSN, au CEA et à l’exploitant concerné.

Le plan comporte deux parties.

La première traite des principes d’organisation et des différentes stratégies de réponse à huit situations de référence. La seconde constitue un guide d’aide à la décision pour chacune des situations ; elle propose des mesures à prendre pour mettre en œuvre les stratégies. Le plan est complété par un recueil de quarante fiches mesures, qui sont des outils opérationnels d’aide à la décision.

Les huit situations de référence auxquelles s’applique le plan sont les suivantes : une situation dite d’incertitude, correspondant à la phase dans laquelle un accident n’est pas encore caractérisé ; trois situations d’accidents survenus sur une installation nucléaire, avec rejets radioactifs, soit immédiats et de plus ou moins courte durée, soit différés et de longue durée ; une situation d’accident survenu au cours d’un transport de matière radioactive ; une situation d’accident survenu en mer, sur un navire à propulsion nucléaire ou transportant des matières nucléaires ou radioactives ; deux situations d’accident à l’étranger, distinguant l’éventualité d’un impact, significatif ou non, sur le territoire national plus ou moins proche – Tchernobyl ou Fukushima, de façon schématique.

La stratégie de réponse se décline selon les actions et objectifs concomitants suivants : activation de la cellule interministérielle de crise pilotée par le Premier ministre ; recherche du retour à l’état maîtrisé et stable de l’installation ou du transport par l’exploitant ; protection de la population et prise en charge sanitaire en distinguant les effets immédiats des effets différés de l’accident ; communication vers les populations afin de maintenir la confiance et de donner à chacun les consignes précises de comportement.

Lorsque survient un accident nucléaire, la priorité absolue qui s’attache à l’urgence de protéger, secourir et apporter des soins aux personnes pourrait faire perdre de vue d’autres enjeux qui, s’ils ne sont pas convenablement pris en considération dès le début de la crise, risquent de devenir critiques dans le cas d’une crise aux effets prolongés.

Il est ainsi indispensable de prévoir dès le début les moyens d’assurer la meilleure continuité possible de la vie économique et sociale afin de limiter les effets de la crise et de renforcer la résilience du pays.

De même, la dimension européenne et internationale d’un accident nucléaire justifie une coordination entre les pays et les institutions internationales concernés.

Enfin, le plan prévoit une transition de la phase d’urgence vers la gestion post-accidentelle de la crise. Certaines dispositions doivent être anticipées dès la phase d’urgence, comme par exemple la définition d’un zonage provisoire des territoires en fonction de leur contamination présumée et les restrictions associées, ou encore l’anticipation de la durée des mesures de protection ou d’éloignement des populations qui auront été décidées en phase d’urgence.

Si ce nouveau plan constitue une étape importante dans le renforcement de notre capacité à gérer une crise nucléaire, d’autres étapes sont déjà engagées.

D’abord, le plan national doit faire l’objet d’une déclinaison territoriale, sous la conduite du ministère de l’intérieur. La Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises a entamé l’élaboration d’un guide de déclinaison territoriale pour orienter les futurs plans zonaux et départementaux de gestion d’une crise nucléaire majeure. Ce guide devrait être disponible à la fin du semestre. Le plan national comporte l’essentiel des dispositions de mise en œuvre nécessaires. Il ne s’agit donc pas de le dupliquer, encore moins de le refaire, mais de planifier les actions complémentaires spécifiques au niveau zonal – je pense en particulier aux problématiques d’évacuation de populations – et au niveau départemental.

Ensuite, une feuille de route est associée au plan pour accompagner la consolidation de notre dispositif de réponse à ces crises. Je citerai à fin d’illustration quelques-unes de ces actions : la poursuite des travaux du CODIRPA sur la gestion post-accidentelle, sous l’égide de l’ASN, l’actualisation de la directive interministérielle de 2005 sur l’action des pouvoirs publics en cas de situation d’urgence radiologique, le renforcement des systèmes de collecte des données concernant l’état des installations nucléaires en cas de crise, l’environnement et la météorologie ou l’appui de l’État au déploiement de moyens exceptionnels de l’exploitant.

Pour conclure, je souligne que ce nouveau plan traduit l’exigence absolue du Gouvernement en matière de sûreté nucléaire et de protection des populations.

Pierre-Franck Chevet, président de l'ASN. La mission de l’ASN en temps de crise est fondamentalement la même que celle qu’elle assure en temps normal : contrôler l’action des exploitants et informer. Deux autres missions se rajoutent en cas de crise : notifier à l’international, notamment aux pays riverains, les informations dont nous disposons, ainsi qu’à l’Agence internationale de l’énergie atomique ; conseiller le Gouvernement sur les mesures de protection des populations à prendre.

L’exploitant doit mettre en application le plan d’urgence interne, dont il a assuré la maîtrise et qui prévoit des critères précis de déclenchement. Les plans d’urgences sont contrôlés par l’ASN. Les exploitants doivent également avoir prévu des procédures accidentelles préétablies, dont nous contrôlons la tenue. En cas de crise, au titre du contrôle, nous enverrions des inspecteurs sur le site ainsi qu’auprès du préfet directement concerné.

Notre système d’alerte fonctionne en continu. Il est testé tous les mois : nous envoyons un message par surprise à tous les agents et nous vérifions si le taux d’acquittement du signal est correct. Si l’ASN a l’obligation générale d’être présente en cas de besoin, pour des raisons administratives, elle ne dispose pas encore d’un système d’astreintes formalisé permettant de dédommager les agents et d’avoir une plus grande certitude sur leur présence effective. En effet, les textes de la fonction publique omettent l’astreinte dans le cas particulier des autorités indépendantes. Ce problème est en voie de résolution.

Nous testons régulièrement notre organisation et celle des exploitants via des exercices : nous effectuons notamment une dizaine d’exercices nationaux impliquant le centre de crise national de l’ASN.

En cas de crise, les acteurs qui participent à la gestion de l’urgence au plan local, encore appelés « urgentistes », jouent un rôle essentiel – je pense principalement au SAMU et aux pompiers. Michel Bourguignon, commissaire de l’ASN, a initié il y a une dizaine d’années des formations collectives en leur direction : 10 000 urgentistes y ont participé depuis la création de ces formations.

Je voudrais lancer cinq messages.

Le premier vise à prendre en considération le retour d’expérience de la catastrophe de Fukushima, durant laquelle nous avons activé notre cellule de crise pour informer le public. Au bout de deux mois, les agents de l’ASN étaient au bout de leurs forces et ce, alors que l’accident s’était produit au Japon. Imaginez la charge de la gestion d’un accident nucléaire qui se serait produit en France : elle serait encore plus lourde. L’ASN doit pouvoir disposer de renforts rapides, notamment en provenance des pays riverains, auxquels nous avons proposé d’envoyer des agents en vue d’aider nos équipes et de participer avec nous à la gestion de crise. Ce serait un moyen d’instaurer une relation de confiance entre pays riverains concernés par un accident nucléaire se produisant dans l’un d’entre eux.

Le deuxième message concerne l’amélioration de la cohérence des critères au plan européen. En effet, je tiens à rappeler non seulement qu’un accident nucléaire est possible, mais également que, s’il survenait en Europe, son rayon d’impact, s’il était équivalent à celui de Fukushima, soit quatre-vingts kilomètres, recouvrirait simultanément plusieurs pays. Or les critères de gestion de crise utilisés en Europe sont encore très disparates. Lors de la catastrophe de Tchernobyl, les discours publics ont été différents. Si la vision des rejets était identique, en revanche, les critères de gestion de crise étaient différents de chaque côté du Rhin, si bien que les ordres donnés à quelques kilomètres de distance n’étaient pas cohérents, ce qui a nui à la crédibilité de l’action publique. Si des progrès ont été réalisés depuis trente ans, toutefois, les critères de déclenchement des actions de protection des populations – confinement, distribution de pastilles d’iode, évacuation – ne sont pas identiques en Europe. La France a initié une démarche au plan européen en vue d’harmoniser les critères, ce qui n’est pas simple. Il convient encore de progresser en la matière.

Troisième message : il convient de poursuivre les travaux sur la phase post-accidentelle. L’ASN a initié la démarche du CODIRPA en 2005 visant à gérer la crise non pas en phase d’urgence – les vingt-quatre premières heures – mais en phase post-accidentelle, ce qui change la donne. S’il n’est pas difficile, par exemple, d’ordonner le confinement de la population pour vingt-quatre heures, en revanche gérer un même confinement en phase post-accidentelle si les rejets radioactifs doivent se prolonger est plus problématique. Est-il utile d’ordonner un confinement si, après deux ou trois jours, se pose la question de l’alimentation en eau potable des populations concernées ? Les décisions à prendre seront donc différentes selon la durée des rejets. C’est pourquoi nous travaillons à l’heure actuelle, d’une part, sur des hypothèses d’accidents plus graves encore que ceux que nous avions envisagés dans la première phase des travaux et, d’autre part, sur la déclinaison locale de la gestion post-accidentelle. Les mesures à prendre ne seront pas les mêmes selon les territoires : ils dépendront notamment des possibilités d’approvisionnement en eau et plus généralement de l’environnement économique. Il faut travailler au plan local pour décliner le post-accidentel

Quatrième message : il convient de mieux former et informer les populations susceptibles d’être concernées par un accident, notamment en les impliquant davantage dans les exercices, lesquels jouent un rôle important. Les commissions locales d’information (CLI) doivent organiser un plus grand nombre de réunions réellement publiques, c'est-à-dire auxquelles participent non seulement les personnes intéressées mais tous les riverains. Le projet de loi de loi relatif à la transition énergétique pourrait prévoir des dispositions tendant à renforcer l’information des riverains des installations nucléaires.

Cinquième et dernier message : il faut inciter les autorités gouvernementales au plus haut niveau à participer à des exercices. En effet, Fukushima a montré que la cellule de crise n’a pas fonctionné tel que décidé par avance. Le plus haut niveau de l’État a très vite aspiré les centres de crise de chacune des institutions. En cas de crise nucléaire majeure, il est vraisemblable que, très rapidement, l’État se mobilisera au plus haut niveau et que nous serions aspirés par le cabinet du Premier ministre, voire du Président de la République, ce qui n’est pas sans poser des problèmes concrets. Qu’en sera-t-il, par exemple, du centre de crise de l’ASN, qui se réunirait pour prendre des décisions ? En tant que président de l’ASN, il est vraisemblable que je serais demandé à Matignon ou à l’Élysée et que je ne participerais pas à ces réunions. Comment ferais-je alors pour garder la liaison technique avec le centre de crise de l’ASN ? Ce type de questions pratiques se posera pour d’autres responsables d’institutions concernées. Il convient donc que les plus hautes autorités de l’État participent à des exercices afin de se préparer avec nous à la situation telle qu’elle est susceptible de se poser.

M. Denis Baupin, rapporteur. Vos interventions révèlent que, depuis Tchernobyl, nous avons beaucoup progressé sur la compréhension des enjeux, en termes notamment de communication publique ou de relations internationales.

J’observe toutefois comme un décalage entre la démarche du plan national et celle du CODIRPA. En effet, le plan national a été avalisé par le Premier ministre, testé et rendu public avant d’être présenté au CODIRPA, qui était lui-même chargé de préparer la phase post-accidentelle. N’est-il pas étrange que la préparation du plan national n’ait pas donné lieu à une meilleure connexion des deux démarches ?

Par ailleurs, qu’en sera-t-il de la réquisition des personnes dont les services publics auront besoin en cas de crise ? Cette question s’est posée lors de la catastrophe de Fukushima. Ne pourront-elles pas opposer un droit de retrait – je pense par exemple aux chauffeurs de bus réquisitionnés pour évacuer des populations hors de zones contaminées ou potentiellement contaminées ? Des dispositions législatives sont-elles déjà prévues en la matière, visant notamment, comme en cas de conflit armé, à suspendre le droit de retrait durant la période de crise ?

Comment, en outre, assurer la crédibilité de la parole publique en cas d’accident ? Les Français ont gardé en mémoire le mensonge des autorités consistant à prétendre que le nuage de Tchernobyl s’était arrêté aux frontières de notre pays. Il faut prendre en considération le fait que nous vivons désormais à l’heure de Twitter et que les prises de parole pourraient être différentes entre pays riverains. Or les populations doivent avoir confiance dans les ordres qui leur seront donnés, comme rester confinées plutôt que fuir ou ne pas aller chercher les enfants à l’école.

Les PPI – vous les avez évoqués, monsieur Chevet – ne paraissent pas adaptés au retour d’expérience de la catastrophe de Fukushima : la radioactivité ne s’est pas limitée au périmètre défini autour de la centrale. Dans le cadre de la loi en préparation, ne conviendrait-il pas de revoir les périmètres et les dispositifs actuellement définis ? Aujourd'hui en Allemagne, les pastilles d’iode sont distribuées à la population dans un périmètre de cinquante kilomètres contre seulement dix en France. Pourquoi une telle différence ?

Le CODIRPA et le plan national semblent reposer sur deux philosophies différentes s’agissant du retour des populations à moyen terme dans les zones contaminées. C’est un sujet tout sauf théorique puisque le gouvernement japonais incite aujourd'hui les populations à retourner dans des zones jugées inhabitables au regard des critères français de radioactivité. La question est loin d’être anodine, compte tenu de l’objectif du CEA, évoqué lors de son audition, de retour à l’herbe après démantèlement d’installations radioactives et décontamination de sites de recherche.

M. le président François Brottes. « Un monde plus pur après qu’avant le nucléaire »…

M. le rapporteur. N’y a-t-il pas une frustration du CODIRPA par rapport au plan national ? Pourquoi deux appréciations différentes sur la gestion des territoires ?

Monsieur Chevet, vous avez évoqué le fait que les différences de critères entre la France et l’Allemagne subsistent trente ans après Tchernobyl, ce qui est loin d’être rassurant. N’a-t-on pas tiré les leçons, du côté français, du déficit de communication ? Comment de telles différences peuvent-elles subsister à l’heure des directives européennes, qui vont parfois jusqu’à s’occuper de questions de détail, ce dont les citoyens se plaignent ? Le périmètre de distribution des pastilles d’iode aux riverains de Fessenheim est-il différent des deux côtés de la frontière entre la France et l’Allemagne ? Il serait incompréhensible que les riverains ne disposent ni de la même information ni du même niveau de préparation en cas de crise majeure, ce qui nuirait à la crédibilité des mesures actuellement prévues en situation de gestion de crise.

M. Francis Delon. Si l’ASN a été associée dès le début à la préparation du plan national, il a été décidé, s’agissant de la phase post-accidentelle, de réserver la position du CODIRPA, qui est l’organisme dédié à la question : nous discutons actuellement avec lui de certaines dispositions du plan. Il n’y a donc eu de notre part aucune mise à l’écart d’aucun acteur. C’est l’ASN qui était notre interlocuteur : le CODIRPA n’a pas participé directement à nos travaux – à ma connaissance du moins, car je n’ai pas participé à tous les travaux.

En cas de crise, la mobilisation des personnes répond aux dispositions générales de gestion de crise, laquelle gestion est placée sous la responsabilité du préfet. Des personnes pourront être requises si nécessaire : aucun dispositif particulier en la matière n’est prévu en cas de crise nucléaire majeure. Les règles habituelles seront appliquées. Le préfet ajustera les modalités d’action en fonction des nécessités de la gestion de la crise.

S’agissant de la crédibilité de la parole publique, les pouvoirs publics ont tiré les leçons de Tchernobyl : ils avaient alors commis beaucoup d’erreurs, pour ne pas dire plus. C’est du reste dans le cadre de ce retour d’expérience qu’a été décidée la création d’une autorité administrative indépendante, l’ASN. Et c’est l’ASN, appuyée par l’IRSN, qui s’est exprimée sur les conséquences pour la France de la catastrophe de Fukushima. Les pouvoirs publics n’ont pas cherché à tenir un discours différent. La crédibilité de la parole publique repose sur le statut indépendant de l’ASN : c’est la grande différence avec l’époque de Tchernobyl.

S’agissant des PPI, il conviendra certainement de tirer des leçons de Fukushima. Nous avons toutefois refusé, pour des questions de méthode et d’organisation du travail, de le faire dans le cadre du plan national en termes d’élargissement du périmètre ou de modification de certaines règles : c’est dans le cadre de la phase territoriale, dont le ministre de l’intérieur est responsable, que ces questions seront traitées – nous nous y attelons à partir de maintenant.

Il n’existe pas à mes yeux de différence de philosophie entre le CODIRPA et le plan national sur la question du retour des populations dans les zones contaminées. Je le vérifierai toutefois dans le cadre du dialogue que nous entretenons actuellement avec le comité. Sachez en tout cas que les pouvoirs publics n’ont pas l’intention d’inciter les populations à retourner sur des territoires encore contaminés et donc dangereux, cela va sans dire.

Enfin, s’agissant de la gestion de crise au plan européen, M. Chevet a eu raison de plaider pour un rapprochement entre pays riverains des pratiques de gestion de crise. Nous y travaillons dans le cadre de coopérations. Nous sommes en revanche opposés à une gestion de crise pilotée au plan européen. Non seulement ce serait contraire aux compétences propres des États garantis par les traités mais une telle gestion se révélerait, de plus, inefficace, car trop éloignée des territoires. Un tel pilotage européen ne saurait apporter aux populations concernées les réponses immédiates qui s’imposent. Chaque État doit rester maître des règles applicables en matière de gestion crise. Mais il est en même temps indispensable de connaître les dispositifs prévus par les pays voisins et de les coordonner avec les nôtres, pour éviter les effets de bord que vous avez évoqués, monsieur le rapporteur.

Pierre-Franck Chevet. Je confirme que l’ASN a été pleinement associée à l’élaboration du plan national, nous-mêmes portant la vision du moment du CODIRPA. Je rappelle que les travaux actuels de cette instance visent le plan local puisqu’il s’agit désormais de décliner les éléments de doctrine du CODIRPA sur le terrain, au sein des plans accidentels, déclinaison qui ne saurait se faire au plan national, du fait que les réponses à apporter en gestion post-accidentelle doivent être adaptées à la situation locale. Il faut associer toutes les parties pertinentes au plan local à cette phase qui confirmera la cohérence entre CODIRPA et plan national.

S’agissant du droit de retrait, l’emploi de la force publique n’est pas de mon ressort. En revanche, la question se pose pour les sous-traitants et les agents du site. À la suite de Fukushima, nous avons mis en place un groupe de travail sur les facteurs sociaux, organisationnels et humains, dont un des objectifs est de vérifier la façon dont il sera possible de mobiliser tous les acteurs ayant à intervenir sur le site en cas de crise. S’agissant des sous-traitants, nous n’avons pas pour l’heure la garantie juridique qu’en cas de crise les personnels voudront intervenir et nous ignorons dans quelles conditions ils le feraient. Ce groupe de travail, mis en place il y a un an et demi, et qui comprend des juristes, n’a pas encore remis ses conclusions.

M. le président François Brottes. Confirmez-vous, d’après les informations dont vous disposez, le recrutement à Fukushima, relaté ici ou là dans la presse, de personnes sans travail ni ressources et sans compétences particulières pour travailler dans les zones contaminées ?

M. Pierre-Franck Chevet. Des sources indirectes, via notamment l’ambassade, nous le confirment. Je n’ai pas pu constater de visu la véracité de tels faits.

Nous disposons par ailleurs de nos propres réseaux sociaux et nous les testons dans le cadre d’exercices. Si vous connaissez des experts en la matière…

Je confirme l’existence de disparités au plan européen. Nous avons conduit des travaux sur les pastilles d’iode, dans une zone couvrant la Belgique, la France, l’Allemagne et la Suisse. Il faut savoir que les comprimés n’avaient pas auparavant la même posologie : nous nous sommes mis d’accord et ce n’est plus le cas. Les périmètres de distribution ne sont pas les mêmes en Allemagne et en France, c’est vrai, mais il faut savoir que si, en France, la prédistribution de pastilles d’iode se fait dans un rayon de dix kilomètres, des stocks zonaux sont toutefois répartis sur l’ensemble du territoire afin de permettre une distribution d’iodes à l’ensemble de la population sur ordre des pouvoirs publics.

M. le rapporteur. Comment la distribution serait-elle effectuée en cas de crise ?

M. Pierre-Franck Chevet. Selon un document que j’ai sous les yeux, le ministère de la santé a ordonné la fabrication de 110 millions de comprimés en 2011 qui ont été acheminés dans des plates-formes zonales gérées par l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS).

M. Francis Delon. Il existe à l’heure actuelle 130 millions de doses à la disposition des préfets des zones de défense et de sécurité. Sous la responsabilité des préfets, un dispositif spécifique est mis en place dans chaque département et les populations en sont informées. Il n’existe pas de dispositif harmonisé sur le territoire : confiance est faite au terrain pour trouver les solutions les mieux adaptées. Le dispositif peut prévoir des distributions aux populations effectuées dans l’urgence comme des dépôts en pharmacie. Les pouvoirs publics se sont donc organisés pour distribuer des pastilles d’iode au-delà de la zone de dix kilomètres.

M. le président François Brottes. Ce produit se conserve-t-il longtemps ?

M. Francis Delon. Son délai de péremption est de dix ans. C’est un produit très stable.

M. le rapporteur. Comment serait-il possible en cas d’urgence de distribuer rapidement à la population de tout un département ce produit ? Le cas de la population parisienne serait en outre très différent de celui d’une zone rurale. Qui ferait la distribution ?

M. Francis Delon. L’organisation de la distribution est de la responsabilité du préfet. En situation de gestion de crise, ce sont les pouvoirs publics, en l’occurrence le représentant de l’État au niveau territorial, qui exerce ces compétences en liaison étroite avec le préfet de la zone de défense et de sécurité.

Ces stocks ne peuvent pas être disséminés partout sur le territoire. Nous n’avons pas voulu d’un dispositif unique sur l’ensemble du pays, préférant faire confiance aux préfets pour trouver les solutions les mieux adaptées au plan local. En effet, comme vous l’avez souligné, monsieur le rapporteur, il y a de grandes différences entre une grande agglomération et des zones rurales profondes. Nous ne saurions imposer des dispositifs qui s’appliqueraient dans un cas et non dans un autre. Il faut rester près du terrain.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Monsieur Chevet, où se situe la France par rapport aux autres pays européens en matière d’exigence en situation de crise ?

Quel est par ailleurs le travail engagé au plan européen en matière d’harmonisation de la gestion de crise ?

Dans son rapport annuel rendu cette semaine, l’ASN réclame plus d’experts et davantage de pouvoirs, notamment celui d’arrêter des réacteurs en cas de danger et de prendre des sanctions intermédiaires. Estimez-vous ne pas être aujourd'hui en mesure d’assurer efficacement votre mission ou prévoyez-vous une charge de travail croissante du fait du vieillissement des installations ainsi qu’une évolution des exigences dans le contrôle et la prévention ?

M. Jean-Pierre Gorges. Je m’étonne de l’élargissement de l’objet de cette commission d’enquête qui, du coût du nucléaire, est passée à la transition énergétique puis à la gestion de crise. C’est une dérive : nous oublions l’objet de la commission d’enquête.

M. le président François Brottes. Monsieur Gorges, l’objet de la commission d’enquête est de connaître la totalité des coûts relatifs à la filière. Nous nous efforçons d’être exhaustifs.

M. Jean-Pierre Gorges. Alors ne passons pas autant de temps à évoquer la question de la distribution des pastilles d’iodes.

Fukushima, qui a été un malheur d’un côté, peut se révéler une chance de l’autre. La probabilité d’être confronté en même temps à un tremblement de terre, à un raz-de-marée, à la défection d’un système de la centrale nucléaire pour cause externe et à l’explosion d’un réacteur est très faible. Fukushima vous a-t-il permis de revoir vos modèles, qu’il s’agisse de la probabilité d’apparition ou de l’estimation des coûts de tous types engendrés ?

Par ailleurs, lorsque l’ASN fait des recommandations, tente-t-elle de chiffrer l’amélioration de la probabilité d’apparition d’un accident ? Il me paraîtrait important d’accompagner les recommandations d’un calcul de leur influence sur la fiabilité du système global. S’agissant des réacteurs actuels, ceux de la génération III, comment évoluent la probabilité et les coûts déclinés par composantes ? L’ASN a-t-elle mené ces mêmes études dans la perspective de la transition de la génération III vers la génération IV ?

Monsieur Chevet, une commission d’enquête ne s’interdit aucune question. Vous avez été nommé en septembre 2012. Or, à l’Assemblée nationale, plusieurs députés ont été surpris à la fois de votre changement de position vis-à-vis du nucléaire et du fait qu’en mai 2013 vous ayez bénéficié d’une augmentation de 72 % de vos revenus.

Mme Frédérique Massat. Monsieur Chevet, pour vous, les commissions locales d’information doivent organiser un plus grand nombre de réunions publiques : quelle est l’articulation des rôles respectifs de l’ASN et des CLI et quels moyens financiers l’ASN dédie-t-elle aux CLI ?

Pouvez-vous également nous préciser les modifications en matière d’information du public que vous souhaitez voir inscrites dans le futur projet de loi sur la transition énergétique ?

Convient-il, en situation de gestion de crise, de conforter le rôle des CLI en termes d’approche pour éviter notamment tout phénomène de panique ? Comment pourriez-vous les accompagner à cette fin ?

À l’occasion de la sortie de votre rapport, la presse numérique s’est fait l’écho du fait qu’après avoir jugé la situation du nucléaire « globalement assez satisfaisante », vous ayez ajouté, selon certaines sources : « J’aurais eu cette appréciation sur mon bulletin scolaire, je n’aurais pas été fier ». Le contre-effet provoqué par cette remarque était-il voulu ?

M. Michel Sordi. Monsieur Delon, que retenez-vous de l’intrusion de Greenpeace sur le site de Fessenheim ? Quelle est la logique d’intervention du peloton spécialisé de gendarmes mobiles ? A-t-elle été efficace ce jour-là ? Comment expliquer que cinquante-six militants aient pu pénétrer sur le site ?

Le changement de statut juridique des centrales nucléaires, qui avait été annoncé par le précédent ministre chargé de l’écologie, M. Martin, est-il engagé ?

M. Pierre-Franck Chevet. Le rapport annuel de l’ASN a été présenté avant-hier devant l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques (OPECST) avant de faire l’objet d’une conférence de presse le lendemain. Nous avons effectivement jugé, comme l’année précédente, « globalement assez satisfaisante » la situation en 2013 du nucléaire en France. Il s’agit donc d’un jugement positif nuancé. C’est en 2012 que j’avais répondu, à un journaliste me demandant de préciser ce que ce jugement signifiait exactement, que je n’aurais pas aimé lire sur mon bulletin scolaire une telle appréciation, qui correspond à un 12 ou à un 13 sur 20 – j’étais personnellement habitué à de meilleures notes.

Nous avons établi la liste de grands dossiers sans précédents à ouvrir dans les prochaines années : les suites de Fukushima, l’éventuelle prolongation de la durée de vie des réacteurs nucléaires, le chantier de l’EPR à Flamanville, le radon – une question trop rarement évoquée alors qu’elle concerne trente et un départements français – et, enfin, le domaine médical. La somme de tous ces dossiers représente pour l’ASN une charge croissante. Or, compte tenu de l’état des finances publiques, je ne vois pas comment l’État pourra nous assurer les moyens supplémentaires dont nous avons besoin dans la forme actuelle de notre financement. Nous avions déjà souligné, dans l’avis que nous avions rendu l’année dernière sur notre budget, le problème posé par le financement pérenne et durable de l’ASN et de l’ISRN, avec lequel nous avons travaillé pour estimer la charge à venir, tout en tenant compte des efforts d’efficacité que nous devons faire en interne. L’ASN et l’ISRN emploient chacun 500 personnes : or nous estimons avoir encore besoin de 150 à 200 personnes supplémentaires.

Je tiens à rappeler que mon salaire est composé d’une partie indiciaire, fixée par la loi, et de primes, fixées par un décret puis un arrêté publiés au Journal officiel. Il est donc public. Les primes ont été augmentées pour me permettre de conserver le niveau de salaire qui était le mien lorsque j’étais directeur général de l’énergie et du climat. Mon salaire est désormais dans la moyenne de celui des présidents d’autorités comparables.

La France possède les outils nécessaires au calcul de probabilité des accidents graves : nous pouvons donc quantifier les gains de sûreté apportés par les améliorations que nous demandons. Toutefois, ce n’est pas ce calcul qui nous a guidés dans le passage de la génération II à la génération III et qui nous guidera dans celui à la génération IV. Les objectifs de génération III visent à écarter la contamination à long terme des territoires en évitant le relargage de radionucléide à vie longue, relargage qui, au Japon, rend inhabitable durant plusieurs dizaines d’années la zone dite d’exclusion qui fait quelque vingt kilomètres.

Les réacteurs de génération II ne sont pas encore dimensionnés à cette fin, contrairement aux réacteurs de génération III, comme l’ont montré les suites de Fukushima en France. C’est mon successeur qui définira les objectifs de génération IV – je ne suis nommé que pour six ans : toutefois, nous avons clairement souligné que génération IV était une appellation trompeuse qui ne recouvrait en soi aucune amélioration de sûreté, à la différence de génération II et de génération III qui désignent des niveaux de sûreté. Les générateurs de génération IV ont vocation à entrer en service entre 2040 et 2050 : or, d’ici là, de nouvelles exigences d’amélioration de niveau de sûreté auront été vraisemblablement formulées par rapport à la génération actuelle. Ce n’est pas en termes de probabilité que nous raisonnons. Après Fukushima, nous avons cherché à définir les besoins prioritaires qu’il convenait d’assurer pour éviter une catastrophe similaire. Or le premier d’entre eux est l’alimentation en eau du réacteur, laquelle suppose l’existence de pompes elles-mêmes alimentées en électricité. Il est donc nécessaire de prévoir à la fois des moteurs diesel et des puits supplémentaires : tel est le noyau dur de la sûreté à garantir. Une telle approche ne repose en rien sur un rapport coût-bénéfice, qui est une approche moins lisible et pertinente. Des dispositions provisoires ont été prises – sources d’eau d’appoint, pompes d’appoint et moteurs diesel –, l’année 2013 ayant été consacrée à préparer le schéma du système définitif. Une fois que celui-ci aura été arrêté, il sera de la responsabilité des exploitants de proposer des plans et de les mettre en œuvre sur les sites. Le plein déploiement de ces systèmes définitifs devrait être effectué en 2018. Il faudra une dizaine d’années pour tirer totalement les leçons de Fukushima.

Les CLI nous sollicitent pour obtenir des financements : nous leur versons quelque 1 million d’euros par an à leur demande sans intervenir sur le contenu de leur action ou l’opportunité de leur demande, qui doit évidemment être conforme à leur mission. Il est vrai que les dispositions de la loi de 2006 permettant de lever au bénéfice des CLI une partie de la taxe « installation nucléaire de base » (INB) ne sont pas entrées en vigueur, ce qui laisse évidemment en suspens la question de leur financement. Les CLI qui fonctionnent bien sont celles qui ont les moyens de disposer d’un permanent, qui fait vivre de vrais débats. Si nous participons aux séances de travail organisées par les CLI, nous regrettons en revanche qu’elles n’organisent pas davantage de réunions publiques – je l’ai déjà souligné – sur les questions de sûreté. Je leur ai déjà passé le message mais il leur appartient de le mettre en application : je n’ai pas autorité sur elles.

Quant aux dispositions à prendre pour renforcer l’information, il s’agirait simplement d’inscrire dans la loi l’obligation de mettre à jour et de diffuser auprès des riverains les informations pertinentes sur la gestion de crise.

M. Francis Delon. Je tiens à rappeler, à propos de l’intrusion de militants de Greenpeace sur le site de Fessenheim, qu’il convient d’assurer non seulement la sûreté des centrales mais également leur sécurité contre les agressions extérieures, en évitant notamment qu’un commando terroriste ne pénètre dans une centrale et ne porte atteinte à la sûreté du réacteur. À cette fin, le choix a été fait d’une défense en profondeur qui s’appuie à la fois sur des dispositifs de protection passifs – barrières et clôtures – et des personnels capables de répondre à une telle agression – ce sont des gendarmes dans les centrales d’EDF et d’autres personnels de sécurité sur les sites du CEA et d’AREVA.

S’agissant de Greenpeace, soixante militants sont arrivés au petit matin : ils ont arraché un portail à l’aide d’un camion, tout en menant une opération de diversion sur un autre point du site. Ils ont ensuite déployé une banderole. Le peloton de gendarmerie a parfaitement réagi. Je tiens à rappeler que, n’étant que six, ils ne pouvaient pas bloquer l’avancée de soixante militants. Par ailleurs, il n’était pas question pour eux de faire usage de leurs armes contre les militants de Greenpeace. Le peloton a donc fait le choix de protéger la sûreté du réacteur, ce qu’il a fait. Greenpeace a atteint son objectif médiatique sans réussir toutefois à démontrer que la sécurité des centrales n’était pas bien assurée. En effet, les gendarmes ou les personnels de sécurité des centrales ne réagissent pas de la même manière à l’égard de manifestants qu’à l’égard de personnes suspectées de vouloir porter atteinte à la sûreté du réacteur. Les militants de Greenpeace sont suffisamment responsables pour ne pas être suspectés de vouloir porter atteinte à la sûreté du réacteur et donc des populations. La réaction des services d’ordre a donc été proportionnée.

Une telle intrusion permet de vérifier d’éventuels dysfonctionnements ou insuffisances dans les dispositifs de protection ou les procédures utilisées. Il est toujours possible de faire mieux en matière de protection, ce que nous avons demandé aux opérateurs. Il faut avoir à l’esprit que pour EDF déployer des dispositifs performants en termes de détection ou de protection se chiffre en centaines de millions d’euros. Telle est la conséquence de ce genre d’action.

Quant au risque pénal encouru à l’heure actuelle par les personnes qui pénètrent illégalement dans une centrale, c’est la violation de domicile : les sanctions sont donc faibles. C’est la raison pour laquelle le précédent ministre de l’écologie a considéré comme nécessaire de modifier le régime juridique des centrales nucléaires. Le travail est en cours et est très avancé. J’espère qu’il aboutira prochainement, apportant une réponse pénale plus adaptée à la gravité de l’infraction commise. Les militants de Greenpeace peuvent en effet, même de manière involontaire, mettre en danger la sûreté de la centrale. Au surplus, tout le dispositif de sécurité est perturbé par de telles actions et Greenpeace ne peut pas savoir si, dans ses rangs, ne s’est pas infiltrée une personne malintentionnée désireuse de profiter du fait que les gendarmes, qui appliquent une réponse proportionnée à l’agression, n’utiliseront pas leurs armes, ce dont personne ne leur fera grief.

M. le président François Brottes. Personne n’est pas à l’abri de « faux Greenpeace ».

M. Francis Delon. En effet, monsieur le président : que se passera-t-il si parmi les militants se trouve un « faux Greenpeace » ? De telles actions menées sur les centrales sont irresponsables car elles compliquent considérablement la vie de ceux qui sont chargés d’assurer la sécurité et qui doivent faire le tri entre les « vrais Greenpeace » et les « faux Greenpeace ».

Le risque que prend Greenpeace est d’endormir la vigilance des forces de sécurité, qui pourraient se trouver confronter à une intrusion d’une tout autre nature.

M. le président François Brottes. Il avait été évoqué pour La Hague un dispositif de protection contre les attaques aériennes. Il semblerait que les dispositifs précédents aient été levés. Un dispositif semblable existe-t-il pour les centrales nucléaires ?

M. Francis Delon. La question portant sur un sujet classifié, je ne peux vous répondre, monsieur le président.

M. Jean-Pierre Gorges. Alors que le moindre jeune qui vole une mobylette se retrouve dans une situation inextricable, je n’arrive pas à comprendre qu’on fasse preuve d’une telle tolérance à l’égard des militants de Greenpeace. Est-ce normal, alors même que leurs actions dévalorisent dans l’opinion publique l’image des centrales nucléaires, notamment en termes de sécurité et, à travers elles, l’image du pays ? Aujourd'hui, je n’ai guère envie d’aller au Japon, alors que je suis favorable à l’énergie nucléaire. Je voterai le changement de statut des centrales.

M. le rapporteur. Je ne suis pas le porte-parole de Greenpeace même si je soutiens les actions de l’organisation.

M. Gorges, est-il normal qu’un vice-président de l’Assemblée nationale se coiffe d’un bonnet rouge alors que des manifestants incendient des radars, qui sont des éléments de sécurité routière, ou démontent des portiques ? Votre organisation politique aurait dû tenir le même discours que vous aujourd'hui.

M. Jean-Pierre Gorges. Je suis d’accord avec vous.

M. le rapporteur. Les militants de Greenpeace n’ont rien incendié ni rien cassé, ils conduisent leurs actions à visage découvert et passent en justice. Ceux qui ont pénétré sur le site de Fessenheim ont passé de nombreuses heures en garde à vue et seront condamnés en fonction du droit existant. Si celui-ci évolue, ils prendront leurs responsabilités. Ils ne jouissent d’aucune impunité. Je connais beaucoup de ces militants, qui ont été condamnés : ils assument leur action qu’ils estiment légitime pour attirer l’attention.

Du reste, leur objectif à Fessenheim n’était pas de dénoncer les problèmes de sécurité de la centrale mais de sûreté – leur communication a failli sur ce point –, parce qu’ils estiment que c’est la centrale la moins sûre.

Toutefois, les problèmes que vous avez soulevés se posent effectivement, monsieur Delon.

M. le président François Brottes. Le découpage des responsabilités entre sûreté et sécurité, la première étant du ressort du ministère de l’énergie et l’autre du ministère de l’intérieur, est-il toujours pertinent ? Un tel découpage ne risque-t-il pas de créer des zones intermédiaires non gérées ?

M. Francis Delon. Je suis partial dans cette affaire puisque je m’occupe de la sécurité.

Le dispositif actuel fonctionne bien. Les affaires de sécurité réclament des moyens classiques, appliqués au nucléaire, de maintien de l’ordre et de protection : il n’est pas anormal qu’ils soient traités selon la voie normale.

M. le président François Brottes. Toutefois, s’il est vrai que 80 % des risques potentiels sont dus à des événements extérieurs à la centrale, le problème reste entier. L’ASN s’en est déjà émue, n’est-ce pas, monsieur Chevet ?

M. Pierre-Franck Chevet. Dans la situation actuelle, la coordination entre nos services est bonne. Je constate toutefois que mes homologues étrangers sont le plus souvent également chargés des problèmes de sécurité sans avoir toutefois le pouvoir de déclencher l’action des forces publiques.

M. Francis Delon. Il serait difficile de confier le maintien de l’ordre à une autorité indépendante.

L’audition s’achève à douze heures.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d'exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l'électricité nucléaire

Réunion du jeudi 17 avril 2014 à 10 h 15

Présents. - M. Bernard Accoyer, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Denis Baupin, M. François Brottes, M. Claude de Ganay, M. Jean-Pierre Gorges, Mme Frédérique Massat, M. Michel Sordi, M. Stéphane Travert, Mme Clotilde Valter

Excusés. - M. Damien Abad, Mme Sylvie Pichot, M. Franck Reynier