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Commission d’enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d’exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l’électricité nucléaire, dans le périmètre du mix électrique français et européen, ainsi qu’aux conséquences de la fermeture et du démantèlement de réacteurs nucléaires, notamment de la centrale de Fessenheim

Mercredi 30 avril 2014

Séance de 11 heures 

Compte rendu n° 54

Présidence de M. François Brottes Président

– table ronde avec les confédérations syndicales représentatives au plan national (CFDT, CFE-CGC, CFTC, CGT, FO)....

L’audition débute à onze heures vingt-cinq.

M. le président François Brottes. Cette table ronde, qui réunit des confédérations syndicales nationales représentatives, leur permettra de s’exprimer sur les questions nombreuses qu’aborde notre commission d’enquête – tarifs de l’électricité, réacteur EPR, sûreté et sécurité.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(MM. Dominique Olivier, Alexandre Grillat, Francis Orosco et Henri Richard, Mme Marie-Claire Cailletaud, MM. Bernard Devert, Jacky Chorin et Éric Devy prêtent successivement serment.)

M. Dominique Olivier, secrétaire confédéral de la CFDT, chargé du développement durable. La CFDT approuve l’objectif d’une division par quatre des émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2050, et donc celui d’une division par deux des consommations d’énergie finale. La sobriété et l’efficacité énergétiques doivent être les premières priorités des politiques publiques. Nous estimons aussi que le problème central, avant même celui de la place du nucléaire, est constitué par le recours aux énergies fossiles, qui représentent 75 % de l’énergie totale consommée.

S’agissant du nouveau mix énergétique, toutes les études montrent que l’électricité et le gaz ont un avenir assuré : ils seront demain, et pour longtemps, les sources et vecteurs principaux d’énergie. EDF n’est donc pas menacée si elle sait répondre intelligemment aux attentes de la société. Il faudra également accroître le recours aux énergies renouvelables – énergies intermittentes, mais aussi permanentes, comme les énergies marines ou le gaz de biomasse.

Quant au nouveau mix électrique, la CFDT préconise depuis longtemps un moindre recours à l’énergie nucléaire, pour atteindre environ 60 % à l’horizon 2030 ; cela nous paraissait un calendrier plus facile à gérer, plus raisonnable, que celui qui a été fixé par le Gouvernement de 50 % à l’horizon 2025. Nous soutenons néanmoins celui-ci, tout en étant conscients des difficultés techniques et industrielles, mais aussi sociales, qui se poseront.

Il est actuellement question du renouvellement des concessions hydrauliques : nous souhaitons fortement la préservation de ce patrimoine national. Il faut pour cela trouver les solutions juridiques appropriées ; le rapport Battistel-Straumann en a suggéré plusieurs.

Nous sommes depuis plusieurs années défavorables à la construction d’un deuxième réacteur EPR en France. Nous avons néanmoins accepté l’achèvement de la construction du premier ; il faudra tirer les leçons de cette expérience. La plus grande prudence doit être de mise, et il faudra prendre en considération les remarques du président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) sur la question des outils de production énergétique de très grande puissance, et sur les problèmes spécifiques posés en cas d’accident.

Nous estimons bien sûr qu’il faut donner la priorité aux questions de sûreté et de sécurité : cela n’est pas négociable, quels que soient les coûts. Nous sommes également favorables au renforcement des missions et des moyens de l’ASN, de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) et de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA). Ces organismes doivent avoir les moyens de travailler.

S’agissant de la sous-traitance, nous estimons qu’elle doit être encadrée, notamment par une limitation des niveaux et des degrés de recours à la sous-traitance et à la prestation de services. Ce n’est d’ailleurs pas propre au nucléaire : nous avions déjà défendu cette position lorsqu’avait été établi un rapport sur la catastrophe d’AZF. Le problème apparaissait déjà clairement.

Nous souhaitons le renforcement de la filière nucléaire, qui doit être cohérente. Une partie « déconstruction-démantèlement » doit y être clairement identifiée, avec un objectif d’excellence pour la France et l’Europe, et dans un esprit de responsabilité : la France, qui a construit des centrales nucléaires hors de son territoire, doit aider à assurer la sûreté et la sécurité de ces installations, par la réglementation, mais aussi à les déconstruire et à les démanteler.

S’agissant du stockage sécurisé des déchets radioactifs, nous soutenons le projet Cigéo (centre industriel de stockage géologique), tout en attendant certaines précisions essentielles. Nous estimons nécessaire une phase de pilote industriel, avec des colis bien identifiés, et notamment pas de colis bitumeux. Nous estimons aussi qu’une autorisation pour une vingtaine d’années, plus ou moins cinq, est pertinente. Une autorisation pour un siècle d’une activité qui présente de fortes incertitudes ne nous paraît pas judicieuse : une vérification de l’absence de dérives dans les conditions de stockage est nécessaire, en application des principes de précaution et de prévention.

Nous estimons également nécessaire que la gouvernance d’une installation si atypique soit citoyenne et partenariale, sur le modèle des collèges du Conseil national de la transition énergétique (CNTE) – six ou « six plus un », cela reste à discuter. En tout cas, des structures comme les commissions locales d’information (CLI) ne nous paraissent pas suffisantes : elles rassemblent des communes en grand nombre, mais la société civile n’y est pas bien représentée. Pour ne pas multiplier les instances, cette gouvernance pourrait être exercée par une commission permanente du CNTE.

Enfin, nous estimons qu’une réponse sérieuse et circonstanciée doit être apportée au récent rapport de l’agence WISE-Paris sur les coûts de l’éventuelle prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires. Certes, ce rapport a été commandé par Greenpeace, ce qui suffit à le discréditer aux yeux de certains. Mais ce n’est pas notre cas : il est fondé sur des chiffres qui ne sont pas contestés.

M. Alexandre Grillat, secrétaire national « développement durable-énergie-logement-RSE » de la CFE-CGC. En matière de politique énergétique et de nucléaire, la CFE-CGC se veut pragmatique. Un projet de loi portant sur la transition énergétique est attendu très prochainement. Les enjeux en sont multiples, et le nucléaire constitue à notre sens un élément de solution. La transition énergétique devra être responsable, c’est-à-dire prendre en considération à la fois l’emploi, l’investissement en France, le pouvoir d’achat et la compétitivité.

Nous devons répondre à l’urgence climatique. Les derniers rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) sont sans appel : la lutte contre le réchauffement climatique doit être notre priorité, notre combat pour les générations futures. C’est la perspective de la COP21 qui se réunira en décembre 2015. Pour la CFE-CGC, c’est la mise en œuvre d’une stratégie « bas carbone », reposant sur un mix décarboné et diversifié, qui doit être au cœur de la transition énergétique.

La transition énergétique est aussi un enjeu économique : assurer la compétitivité énergétique du pays, c’est non seulement défendre le pouvoir d’achat des Français, mais aussi contribuer à redresser la compétitivité de notre économie – et en particulier celle des industriels électro-intensifs. Cela suppose que la transition énergétique soit la plus rationnelle possible, tant économiquement qu’industriellement, pour être aussi peu coûteuse que possible.

Bâtir une stratégie de sécurité des approvisionnements par la réduction de la consommation de matières premières et de l’importation des énergies fossiles, c’est réduire le déficit commercial du pays et contribuer à son indépendance énergétique. La crise ukrainienne nous rappelle la dimension géopolitique des questions énergétiques : la sécurité des approvisionnements énergétiques est bien un impératif stratégique.

Pour la CFE-CGC, l’impératif industriel de la transition énergétique est tout aussi crucial. Les derniers rebondissements de l’affaire Alstom ont montré l’absence dramatique de politique industrielle de l’Europe, tant dans le domaine de l’énergie que dans celui des transports ferroviaires. Soutenir les industries françaises qui sont des leaders mondiaux grâce à leur expertise technique et technologique, relancer les investissements en France, favoriser l’innovation technologique, développer de nouvelles filières industrielles : c’est ainsi seulement que la transition écologique défendra les emplois d’aujourd’hui et préparera ceux de demain, et les emplois qualifiés, à haute valeur ajoutée, qui permettront à la France de gagner dans la compétition mondiale.

La transition énergétique, c’est aussi une question de service public. En 1946, le service public a été au centre d’une aventure industrielle, sociale et politique qui a offert à la France une énergie sûre, compétitive et abordable, facteur de progrès social et économique. Aujourd’hui, le service public doit être au centre de la transition énergétique.

Car la transition énergétique, c’est aussi une question de gouvernance – qu’il s’agisse de la gouvernance de la politique énergétique ou celle des énergéticiens. En effet, la crise économique est une crise énergétique qui ne veut pas dire son nom, mais aussi une crise de gouvernance. Croire, comme beaucoup le font, que les marchés constituent le cadre nécessaire à la mise en œuvre de la transition énergétique serait une erreur. Pour financer le mur d’investissements qui est devant nous, il faudra poser la question du taux de rémunération du capital (WACC). EDF, en son temps, n’a pu financer un système électrique unique au monde, sûr et compétitif, que parce qu’il bénéficiait d’un WACC public. Ni la libre concurrence ni la logique boursière – bref, les seules règles du marché – ne semblent, à nos yeux, compatibles avec les enjeux de la transition énergétique.

La transition énergétique ne réussira que si elle suscite l’adhésion des salariés du secteur énergétique français ; elle se fera avec eux, et pas contre eux. La CFE-CGC demande donc aux pouvoirs publics de doter la transition énergétique d’une ambition sociale, en créant un collectif pour l’ensemble des salariés œuvrant à cette transition, comme avait, en 1946, été créé le statut national du personnel des industries électriques et gazières (IEG).

En matière d’énergie, nous devons nous fixer plusieurs objectifs. La priorité doit être donnée à l’efficacité énergétique, passive et active, résidentielle autant qu’industrielle, voire territoriale. Cela pose la question des politiques d’urbanisme, d’habitat et de mobilité. Il faut en particulier mettre en œuvre une politique de transports qui favorise les véhicules propres. Nous devons également réduire notre consommation d’énergies fossiles fortement carbonées et utiliser un mix de production électrique décarboné, peu émetteur de CO2, diversifié et compétitif, c’est-à-dire reposant sur le nucléaire, l’hydraulique et les énergies renouvelables, dans une logique de complémentarité entre ces différentes énergies. Cela suppose que le prix du carbone soit stable et dans la mesure du possible européen.

Nous devons aussi préserver les atouts du système électrique français, dont l’organisation nationale a permis l’optimisation technique et économique – ce qui nous permet de bénéficier de tarifs bas – et la structuration de filières industrielles reconnues mondialement. Une organisation nationale est indispensable tant pour la distribution d’électricité que pour l’hydroélectricité ; l’annonce faite hier d’une organisation régionale pour l’hydroélectricité va à l’encontre d’une optimisation à l’échelle nationale, qui permet de limiter l’inflation des coûts.

Que l’on parle de compétitivité, de filières industrielles, de créations d’emplois, de valorisation internationale, ou de stratégie bas carbone, le nucléaire apporte des solutions. Il doit être au cœur de la transition énergétique.

Cela concerne le nucléaire existant comme le nucléaire futur. Car, si l’on doit comparer les coûts des différentes filières de production d’électricité, c’est au regard des services qu’elles rendent au système électrique dans son ensemble, tant économiquement que techniquement. Une centrale nucléaire est programmable et démarre quand le système électrique en a besoin, alors que les énergies renouvelables sont pour la plupart intermittentes. Pour assurer la sûreté du système électrique, il est donc indispensable de raisonner en termes de complémentarité entre les différentes sources d’énergie.

Qui dit transition dit évolution au fil de l’eau, et non révolution : le parc nucléaire existant nous permet de maîtriser le calendrier et donc de laisser le temps aux nouvelles filières industrielles d’atteindre leur maturité technique et économique, mais aussi de financer cette transition, de l’optimiser, de la rationaliser. Il faut donc prolonger la durée de vie du parc nucléaire existant, et ainsi en faire un atout pour la transition énergétique, dans le respect des prérogatives et des analyses techniques de l’ASN.

Enfin, les centrales nucléaires, fonctionnant en base, sont des infrastructures énergétiques intensément capitalistiques. Un financement de long terme est donc indispensable. Prenons l’exemple britannique : la quasi-faillite de British Energy, à la fin des années 1990, lorsque le parc nucléaire britannique dépendait entièrement du marché, comme la récente signature du « contrat de différence » ont bien montré que le nucléaire a besoin d’un cadre régulé pour s’épanouir. Or ce cadre régulé nous paraît difficilement compatible avec la logique dérégulée de la rémunération du capital introduite par la cotation en bourse des opérateurs. Fourniture en base assurant compétitivité et sûreté du système électrique, le nucléaire peut clairement être assimilé à une activité de service public.

Il ne vous a pas échappé que, depuis 2005, les dividendes servis par EDF – désormais cotée en bourse – ont fortement augmenté, sans que les augmentations tarifaires permettent de prévoir les provisions nécessaires aux investissements massifs qui seront nécessaires à l’avenir. La question du financement de la transition énergétique est donc posée. Or les contraintes sont fortes. Les tarifs ne permettent pas de couvrir les coûts, mais nous voulons aussi lutter contre la précarité énergétique et favoriser la compétitivité. Les opérateurs sont endettés, et les prix de marché sont parfois négatifs, car les règles de jeu européennes n’incitent absolument pas à l’investissement. À notre sens, il est donc indispensable d’inciter à l’investissement, et donc de limiter les dividendes versés par les opérateurs. Cela pose la question de la pertinence de la logique boursière.

Enfin, réussir la transition, c’est optimiser le système électrique. Le modèle national né en 1946 a fait ses preuves : nous appelons de nos vœux son maintien.

M. Francis Orosco, président de la fédération CFTC Chimie-Mines-Textile-Énergie. La CFTC souhaite une réduction de la part du nucléaire ; mais elle reste réaliste : il ne faut pas déstabiliser l’industrie, et notamment les industries électro-intensives dont beaucoup se sont délocalisées ou s’apprêtent à le faire. Il faudrait aussi évoquer le rôle de Bruxelles.

Les coûts bas de l’énergie sont un atout pour l’industrie comme pour le consommateur.

M. Henri Richard, conseiller technique CFTC. Je ne répéterai pas les propos du représentant de la CFE-CGC, car nous partageons l’essentiel de ses analyses.

Nous avons réfléchi à la politique des « Quatre E » : économie, énergie, emploi, écologie. Notre pays doit aujourd’hui prendre des décisions. Nous ne sommes pas opposés par principe à une réduction de la part du nucléaire, mais il faut être réaliste et s’interroger sur le calendrier. Est-il possible de prolonger la durée de vie des centrales ? Comment remplacer l’énergie nucléaire ?

La création d’emplois doit être une priorité : pour cela, il faut créer ou maintenir des filières industrielles capables d’exporter. La filière nucléaire est l’une d’elles. On ne réindustrialisera pas le pays sans une énergie bon marché. Or le nucléaire est une énergie bon marché, abondante, récurrente, et qui permet d’assurer l’indépendance de notre pays – à peu près la seule, si l’on refuse de développer les gaz de schiste.

Si l’écologie est une priorité, si nous voulons nous montrer responsables vis-à-vis des générations futures, alors il faut recourir à une énergie qui émette aussi peu de CO2 que possible : là encore, le nucléaire, qui n’en émet pas, est indispensable à l’équation.

La sûreté des installations, à laquelle nous sommes très attachés, a un coût. Mais on peut atteindre un même niveau de sûreté sans copier pour toutes les centrales existantes ce qui se fait aujourd’hui pour l’EPR – ce serait absolument irréaliste. L’ASN, organisme indépendant, vient de préciser que, à Fessenheim comme à Cattenom, la sûreté était bonne. Au passage, je note que nous nous interrogeons beaucoup sur l’EPR, alors que les Chinois ou les Anglais veulent construire de nouveaux réacteurs EPR…

L’énergie hydraulique, qui n’émet pas non plus de CO2, a été évoquée. Notre parc hydraulique est essentiel à la continuité de fonctionnement de la filière nucléaire, en permettant notamment d’assurer le refroidissement des centrales. On ne peut donc pas gérer l’avenir des concessions hydrauliques sans réfléchir aux conséquences possibles de nos actions pour le parc nucléaire.

L’avenir d’Alstom, qui est aujourd’hui en cause, est au cœur de ces questions. Le Comité stratégique de la filière nucléaire (CSFN) a mené une réflexion sur la construction d’une filière globale française, un « pack France all-inclusive » : Alstom en faisait partie, car il fabrique les turbines. Aujourd’hui, avec EDF, AREVA, mais aussi avec des entreprises de taille moyenne comme Assystem, et donc avec Alstom, nous pouvons vendre toute la gamme, de l’amont à l’aval. Ce sont là des emplois qui ne sont pas faciles à délocaliser. Il faut donc bien réfléchir : pour exporter, il est nécessaire d’affirmer sa confiance dans le produit que l’on veut vendre. Le meilleur vendeur du monde ne pourrait pas vendre un outil que nous-mêmes voulons détruire !

Enfin, il faut évidemment réfléchir à un mix énergétique qui réponde à nos propres préoccupations, mais il faut aussi regarder ce qui se fait à l’étranger ; or, aujourd’hui, même après Fukushima, beaucoup de pays parient sur le nucléaire, notamment le Royaume-Uni, la Russie, les pays du Moyen-Orient, le Japon même…

Nous disposons donc d’une filière qui fonctionne bien, qui crée et qui maintient des emplois techniques et à haute valeur ajoutée. Il serait dommage de l’oublier.

Mme Marie-Claire Cailletaud, membre de la Commission confédérale « Politique industrielle » de la CGT. Pour parler de la place du nucléaire dans le mix électrique, il faut repartir des besoins. C’est le contraire d’une position dogmatique qui voudrait prédéterminer une composition a priori, par exemple 50 % de nucléaire d’ici à 2025. Nous constatons le rôle central joué par l’énergie pour le développement d’un pays et de son industrie. Économiser l’énergie relève du bon sens, mais pas au point de sous-estimer les besoins de développement et la démographie dynamique du pays.

Nous sommes pour des économies d’énergie. Cela concerne en premier lieu deux secteurs : celui des transports, qui représente plus du quart de la consommation d’énergie et qui est également le premier secteur émetteur de gaz à effet de serre, et le résidentiel tertiaire, qui à lui seul consomme de l’ordre de 44 % de l’énergie totale. Nous regrettons le peu de place accordée jusqu’à présent à ces deux enjeux dans la préparation de la loi sur la transition énergétique. La question des transports a été évacuée ; la filière professionnelle et les financements nécessaires à l’isolation du résidentiel tertiaire restent des points durs.

Nous sommes très circonspects sur les annonces de diminution drastique de la consommation d’énergie. Ne nous trompons pas d’enjeu !

Le véritable objectif qu’il ne faut pas perdre de vue est bien celui de la diminution de l’émission de gaz à effet de serre. Si nous voulons répondre à ce défi – ce qui nous permettrait également de diminuer le déficit de notre balance commerciale, dû essentiellement à l’importation de pétrole, pour 55,5 milliards, et de gaz, pour 14 milliards, ainsi que d’améliorer notre indépendance énergétique et notre sécurité d’approvisionnement –, il faudra effectuer des transferts d’usage. Les baisses de la consommation observées ces dernières années ne sont dues qu’aux conséquences de la crise sur l’activité et à la disparition de l’industrie dans nos territoires. Le développement des services est également consommateur d’électricité. Prendre en compte ce double mouvement – économies d’un côté, besoins nouveaux de l’autre – implique que notre consommation d’électricité ne doit pas diminuer dans le futur, bien au contraire.

Dans ce contexte, la fixation a priori de la structure du mix énergétique et la détermination à l’horizon 2030, voire 2040, des proportions respectives des différents types d’énergie n’a pas beaucoup de sens. Nous devons nous donner du temps pour bâtir la meilleure solution possible, celle qui permettra de réduire nos émissions de CO2 à un coût acceptable, tout en préservant l’indépendance nationale et la sécurité d’approvisionnement. Aujourd’hui, aucune technologie ne peut, à elle seule, permettre de relever tous les défis ; le coût de l’énergie et l’indépendance énergétique de notre pays sont deux questions importantes. On ne peut se résigner à une hausse massive du prix de l’énergie, qui aurait des conséquences dommageables pour l’industrie comme pour les ménages. La France fournit une électricité à un prix moyen inférieur à celui de ses voisins européens. En Allemagne, le prix de l’électricité pour les particuliers est supérieur de 80 % au prix français ! Pourtant, l’énergie rentre en moyenne pour plus de 8 % dans le budget des ménages ; c’est beaucoup plus encore pour les ménages modestes. Les taxes qui frappent l’énergie sont lourdes, et elles ne peuvent se cumuler avec une imposition au titre du CO2. Le maintien de choix énergétiques assurant une énergie accessible à tous est une priorité.

Vous l’aurez compris, nous pensons que la filière nucléaire a toute sa place dans le bouquet énergétique de demain. La fermeture de la centrale de Fessenheim serait un non-sens économique, social et environnemental : il faudrait, en effet, produire par d’autres moyens plus coûteux, ou importer ; les emplois perdus ne seraient pas compensés par de nouveaux emplois liés au démantèlement, et ces emplois ne seraient, de toute façon, pas de même nature ; enfin, il y a fort à parier que la substitution ferait appel, dans le meilleur des cas, au cycle combiné gaz et plus probablement aux centrales à charbon des pays voisins, comme l’Allemagne. Nous n’osons pas croire qu’un gouvernement soucieux de sa stratégie industrielle puisse prendre une telle décision.

L’électricité d’origine nucléaire nous protège d’une libéralisation complète et sans limites, du fait du prix modéré et stable de sa production. C’est une bonne chose, quand les tenants de la concurrence veulent faire grimper les prix. Ainsi, il a fallu inventer des subterfuges, comme la loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité (loi NOME). Obliger l’un des producteurs à vendre un quart de sa production à un prix fixé, telle est la concurrence libre et non faussée que l’on nous impose en Europe ! Mais nous vous savons gré, monsieur le président, de vous être battu contre cette loi dans l’hémicycle et nous attendons que votre majorité, maintenant qu’elle en a le pouvoir, revienne sur ce sujet.

Pour nous, il n’y a pas de rente nucléaire. Il existe aujourd’hui un parc de réacteurs qui a été entièrement financé par EDF. Là aussi, il faut tordre le cou aux idées fausses : l’État n’a jamais financé l’installation du parc nucléaire en France ; c’est l’entreprise publique, et elle seule, qui s’en est chargée, en recourant pendant plusieurs années à des emprunts sur les marchés financiers internationaux, sur injonction de l’État. Si elle a bénéficié des acquis de la recherche publique en la matière, elle a en contrepartie subventionné la filière et la recherche elle-même ; par exemple, la filière est le principal financeur du CEA, via les dividendes versés par AREVA. De surcroît, la recherche fondamentale ne peut se cloisonner ; le web est né au CERN, internet au département de la défense américain. Rappelons également que le nucléaire a des applications médicales – nous pourrions ici évoquer la fermeture du réacteur Osiris.

Les marges financières dégagées dans le secteur de l’énergie doivent pouvoir y retourner pour financer le renouvellement de l’appareil productif et pour permettre d’offrir des prix attractifs, qui bénéficieront aux usagers industriels et particuliers, et d’augmenter les salaires.

Permettez-nous d’insister ici sur un sujet central et bien maltraité : celui de la recherche et de l’ingénierie, pour lequel notre pays dispose pourtant de compétences reconnues.

En ce qui concerne les perspectives de structuration de la filière nucléaire, rappelons que, à la suite du moratoire sur la construction de tranches nucléaires en France dans les années 1990-2000, la filière a subi de nombreuses pertes d’emplois et donc de compétences, ainsi que d’importants désinvestissements industriels : la filière dépendait fortement de la sidérurgie et a subi de plein fouet les coupes claires faites dans cette branche ; les investissements industriels ont été gelés, des sites fermés, et les sous-traitants, privés de commandes ont été, pour beaucoup, conduits à se reconvertir ou à disparaître. La forte réduction des effectifs s’est accompagnée d’une énorme perte de compétences. La politique menée alors a été combattue par les salariés et les syndicats CGT des sites menacés ou fermés : ceux-ci ont agi pour défendre leurs emplois et la filière industrielle. En quinze ans, la France avait réussi à dilapider l’avance acquise dans cette technologie.

Faire abstraction des réalités techniques et industrielles, c’est s’exposer à faire de mauvais choix. Nous l’avons vécu pour Superphénix, nous le vivons en ce moment pour l’EPR. Nous espérons que l’histoire ne se répétera pas.

Les choix politiques qui ont conduit à des choix coûteux et peu efficients, que les Allemands n’ont au demeurant pas assumés, la désindustrialisation dramatique de notre pays, les pertes de compétence y compris en matière de gestion de grands chantiers, la sous-traitance exacerbée, la dégradation de la qualité de travail du bétonneur sont autant d’éléments qui expliquent les difficultés dans le déroulement du chantier de l’EPR.

Une prise de conscience semble s’être effectuée. Le CSFN pourrait être un lieu de mise en cohérence. Mais constatons quand même que l’État a la main sur les principales entreprises composant cette filière. Nous considérons que la filière nucléaire française doit s’articuler autour du CEA pour la conception des nouvelles filières, et des entreprises EDF, AREVA et Alstom, chacune jouant son rôle dans le développement de projets industriels puis dans l’exploitation des centrales et le cycle du combustible. AREVA a des compétences uniques dans le domaine du cycle du combustible et de la construction de la chaudière nucléaire, comme Alstom pour le groupe turboalternateur. EDF est l’exploitant du parc nucléaire ; il est aussi responsable de la conception d’ensemble des tranches, de leur construction et de leur mise en service industriel puis de leur exploitation en fonctionnement ; enfin, il doit s’efforcer de prévenir les accidents.

La loi rend l’exploitant de la centrale responsable de la sûreté. La CGT considère que le caractère public d’EDF est une condition fondamentale de l’acceptabilité du nucléaire dans notre pays.

Nous proposons également que les projets à l’exportation puissent être portés au travers d’un groupement d’intérêt économique (GIE) entre les entreprises de la filière nucléaire française, afin de prendre en compte tous les cas existants en fonction des pays et des besoins et de tirer les leçons des difficultés rencontrées. L’expertise de l’autorité de sûreté française doit être prise en considération, sans se substituer à celle du pays. La compétence de l’ASN lui permet en effet de disposer d’une audience internationale.

L’État doit continuer de maîtriser la filière, car c’est la condition pour maîtriser les coûts, et permettre des tarifs les plus bas possibles. Redisons-le, l’acceptabilité du nucléaire est en partie due à sa maîtrise publique – c’est un point fondamental pour la CGT. Il est donc impératif d’écarter toutes les privatisations envisagées et l’idée de tout meccano industriel basé sur la concurrence. La proposition de pôle public de l’énergie portée par la CGT prend ici tout son sens, puisqu’elle permet de coordonner et de fédérer toutes les entreprises du secteur, y compris les sous-traitants, afin de mettre en cohérence les compétences et d’utiliser au mieux nos ressources humaines et matérielles. Le pôle public a pour vocation de placer l’usager, le citoyen et les salariés au cœur de son processus de concertation et de décision.

Votre troisième question porte sur les relations entre les grands exploitants nucléaires et leurs prestataires, notamment dans la perspective de la protection des travailleurs face au risque. La CGT s’est toujours impliquée très activement en la matière. En particulier, elle a considéré que la question des FSOH (facteurs sociaux, organisationnels et humains) était au cœur de la sûreté nucléaire. C’est grâce à son intervention – notamment lors d’une rencontre entre le secrétaire général de l’époque, Bernard Thibault, et la ministre alors chargée du dossier, Nathalie Kosciusko-Morizet – que les évaluations complémentaires de sûreté demandées après la catastrophe de Fukushima, qui devaient au départ porter exclusivement sur des aspects techniques, ont été étendues aux questions liées aux facteurs humains, en prenant en considération l’influence décisive des travailleurs en situation de crise comme en situation normale. La CGT se bat depuis longtemps pour la ré-internalisation des activités abusivement sous-traitées, et pour que les milliers d’ouvriers, techniciens, ingénieurs travaillant dans la sous-traitance, souvent hautement qualifiés, puissent bénéficier du même niveau de garanties que les personnels statutaires. Les représentants de la CGT que vous avez auditionnés sur le sujet ont pu développer plus en détail notre position.

S’agissant enfin de la question des relations entre EDF et l’État en matière industrielle et financière, nous estimons que l’État ne joue pas son rôle dans le secteur de l’énergie, où il dispose d’un réel pouvoir. Il ne joue pas son rôle d’actionnaire public dans les entreprises concernées : c’est le cas pour GDF-Suez, avec la non-intervention dans le bradage des actifs historiques de GDF ; c’est le cas pour EDF où les équilibres budgétaires de l’État passent avant toute considération économique et industrielle. Non seulement l’État ne joue pas son rôle de stratège et de planificateur, de pilote de la filière industrielle, mais il se comporte comme le premier actionnaire venu en calant ses exigences sur celles des actionnaires privés minoritaires.

Alors qu’EDF est déjà l’un des premiers contributeurs à l’impôt sur les sociétés, on lui demande de verser de copieux dividendes. N’y a-t-il pas mieux à faire avec ces milliards ? Ne vaudrait-il pas mieux investir dans les réseaux et les équipements, limiter les hausses pour les particuliers, réduire les factures des industries ?

L’économie du secteur énergétique est en plein bouleversement. Les investissements à réaliser pour financer la transition énergétique sont considérables. Il est donc grand temps aujourd’hui de remettre les questions essentielles au centre du débat et de penser vraiment sur le long terme, en contestant la croyance aveugle dans la capacité du marché à envoyer les signaux nécessaires aux investissements. La CGT estime urgent de bousculer de fond en comble les dogmes qui corsètent chaque jour un peu plus le développement énergétique de l’Europe et menacent gravement l’efficacité de nombreux secteurs industriels qui délocalisent un à un pour des lieux plus accueillants.

Nombre d’exemples montrent que les investissements fondés sur une régulation publique ou des contrats de long terme sont les seuls à survivre à la logique de marché.

Plutôt que de s’acharner à offrir aux entreprises de coûteux allégements de cotisations sociales, le gouvernement serait bien inspiré de proposer au pays et aux entreprises un autre pacte, un pacte de sécurité et de compétitivité énergétique qui s’articulerait autour de cinq objectifs : la garantie aux entreprises, et notamment à celles dont les coûts de production dépendent fortement du prix de l’énergie, de prix plus attractifs ; l’assurance pour les usagers de bénéficier d’un tarif réglementé maîtrisé et, pour les précaires énergétiques, de tarifs de première nécessité plus protecteurs et plus efficaces ; le développement de canaux de financement spécifiques des investissements dans les filières énergétiques, dont la filière nucléaire ; la recherche d’une plus grande efficacité des mécanismes de soutien au développement des énergies renouvelables ; la mise en place de mécanismes de financement pour la rénovation énergétique du bâti existant.

Cet effort renouvelé, associé à des coopérations européennes, doit pouvoir s’appuyer sur un pôle public de l’énergie – revendication que la CGT met en avant depuis plusieurs années. Nous sommes également favorables à la mise en place d’une Agence européenne de l’énergie.

M. Jacky Chorin, secrétaire fédéral FO Énergie et mines. La question de l’électricité et de son coût est centrale pour les citoyens – qui pensent à leur pouvoir d’achat, mais aussi à l’emploi, et en particulier, mais pas uniquement, aux risques de délocalisation des entreprises électro-intensives.

Comme nous l’avons déjà indiqué dans plusieurs instances, FO aborde les questions énergétiques avec pragmatisme et sans a priori, en partant du mix électrique actuel, des besoins et des investissements que la nation, à travers ses entreprises nationales, a déjà consentis et qu’il s’agit de valoriser au mieux. Gardons-nous, en cette période délicate économiquement, de toute prise de position hasardeuse.

Dans ce cadre, FO soutient l’usage de l’énergie nucléaire dès lors que plusieurs conditions sont réunies : le respect de règles de sûreté exigeantes ; sa gestion par des entreprises publiques et avec des salariés bénéficiant d’une protection sociale de haut niveau ; sa contribution à la protection du pouvoir d’achat des ménages et à l’emploi dans les entreprises – le prix du kilowattheure doit rester parmi les moins chers d’Europe ; enfin, sa contribution à une réduction de l’émission de CO2, enjeu majeur pour l’avenir de la planète. Notre usage de l’énergie nucléaire fait de la production d’électricité française l’une des moins carbonées d’Europe. Ne boudons pas notre plaisir : la France est en la matière un pays bien plus vertueux que l’Allemagne.

Compte tenu de ces éléments, il n’est pas étonnant que l’offensive des opposants au nucléaire se soit déplacée sur la question du coût du nucléaire, qui aurait été selon eux sous-évalué. En réalité, les travaux menés notamment par la Cour des comptes ont fait justice de ces allégations.

Forte de ces observations, FO considère que la question de l’énergie doit être posée dans sa globalité. Dans la mesure où la dépendance aux énergies fossiles est équivalente au déficit commercial de la France et parce qu’elle représente près des deux tiers de l’énergie consommée, il y a un enjeu majeur à décarboner notre économie. Cela va nécessairement se traduire par une augmentation de la part de l’électricité dans le mix énergétique : il faut prévoir des substitutions d’usage, par exemple une utilisation accrue de véhicules électriques. Il faut aussi tenir compte de la croissance naturelle des besoins en électricité, due à certaines utilisations en forte croissance – data centers, par exemple – et à la croissance naturelle de la population. Dans ces conditions, prévoir un volume de part du nucléaire à l’horizon 2025 ne nous paraît pas sérieux. Donner à l’État la possibilité de fermer des installations jugées sûres par une autorité dont l’indépendance n’est pas contestée, à seule fin de respecter un ratio déterminé de façon aussi arbitraire, crée une instabilité juridique préjudiciable non seulement à l’ensemble de la filière, mais à la nation elle-même. Nous nous opposons donc fermement à la décision de fermeture de Fessenheim. Nous considérons au contraire que, sous la réserve notamment que les conditions de sûreté continuent d’être remplies, la prolongation de la durée de vie des centrales est une bonne solution pour le pays.

La question des relations actuelles, notamment financières, entre l’État et EDF, qui est l’une des autres questions posées, démontre, à nos yeux, l’incohérence d’une politique publique qui, d’un côté, maintient EDF dans le monde du CAC 40 avec ce que cela implique en termes d’exigences exorbitantes de versement de dividendes – alors même que d’importants investissements seront bientôt nécessaires – et, de l’autre, prend des décisions qui ont des conséquences très importantes pour ses résultats. La loi NOME oblige EDF à aider ses concurrents à lui prendre des clients, ce qui est pour le moins baroque au regard des règles de la concurrence.

S’agissant des concessions hydrauliques, la ministre a annoncé hier que l’État réfléchit à la création de sociétés d’économie mixte – je note qu’elle n’en avait même pas parlé le matin même en CNTE. Nous y sommes opposés, ainsi qu’à l’introduction de la concurrence : nous continuons à militer pour une prolongation de la durée des concessions.

Ces deux exemples montrent la contradiction entre des politiques pourtant publiques qui exigent des taux de rentabilité exorbitants, et des prises de décisions sans concertation qui affectent l’entreprise.

L’entrée en bourse d’EDF – justement critiquée par l’opposition devenue aujourd’hui majorité – est un échec. Elle rend l’action de l’État envers EDF encore plus illisible pour les salariés qui ne savent plus ce que l’État attend d’eux. Nous demandons donc qu’EDF sorte de la bourse.

S’agissant de la structuration de la filière nucléaire, FO se félicite des travaux menés au sein du CSFN dont elle avait souhaité la création. Ces travaux ont notamment montré la nécessité d’un fort renouvellement de compétences à mener d’ici à 2020 pour quelque 110 000 emplois.

Nous aurions pu aborder de nombreux autres sujets. Nous estimons notamment qu’il est nécessaire d’accroître fortement notre effort de recherche en matière de stockage de l’électricité. Nous aurions également pu parler de l’efficacité énergétique, que nous opposons à la sobriété : pour nous, l’efficacité, à laquelle nous sommes favorables, c’est d’atteindre le même niveau de confort. Mais nous remarquons les difficultés de financement, en particulier en matière de rénovation thermique, sur lesquelles nous butons depuis plusieurs années. Nous aurions encore pu parler de la lutte contre la précarité énergétique.

M. le président François Brottes. S’agissant de la loi NOME, je voudrais rappeler, pour être juste avec la majorité de l’époque, que, en raison des contraintes européennes, la France avait le choix entre une partition du parc nucléaire et la mise à disposition d’une partie de la production d’un monopole public aux concurrents. On peut se demander s’il existait une solution satisfaisante…

M. Jacky Chorin. Fallait-il accepter cette alternative, en refusant de se battre contre la Commission européenne et contre les principes qui fondent son action ?

M. le président François Brottes. En l’occurrence, il s’agissait d’une directive, donc d’une loi, qui s’applique. Bien sûr, on peut changer les lois, perspective à laquelle certains songent actuellement !

M. Denis Baupin, rapporteur. Vous vous êtes exprimés sur l’engagement présidentiel et gouvernemental d’atteindre le mix énergétique à l’horizon 2025. Puisque nous aurons à légiférer sur cet engagement dans les prochains mois, nous aimerions connaître la façon dont se compose, à vos yeux, un mix électrique équilibré.

N’y a-t-il pas une contradiction, dans vos propos, entre l’intérêt du nucléaire pour le prix de l’électricité et l’impact du mur d’investissements sur les coûts ? Avez-vous des évaluations chiffrées à ce sujet ? Toute prolongation de la durée de vie des réacteurs au-delà de quarante ans n’est envisageable, avez-vous précisé, que sous réserve de la décision de l’ASN : s’agit-il d’une précaution oratoire ? Si tant est que cette hypothèse soit crédible, les coûts qu’elle implique ne conduisent-ils pas à s’interroger sur la compétitivité de l’énergie nucléaire ? Si, au contraire, la décision est prise de fermer certains réacteurs, quelles seraient les alternatives ?

Aucun d’entre vous n’a évoqué l’aval du cycle, en d’autres termes le retraitement du MOX. Dans certains pays, cette activité est intégrée dans le cycle de la filière nucléaire ; dans d’autres, elle ne l’est pas. Quelle est votre propre analyse ? Certains, par exemple, prétendent que la poursuite des activités de retraitement n’a de sens que dans l’hypothèse d’une quatrième génération de réacteurs.

Enfin, chaque entreprise dispose de son propre comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Êtes-vous favorables à des CHSCT de site, communs aux salariés d’EDF et des entreprises sous-traitantes ?

M. le président François Brottes. Certains d’entre vous s’opposent à l’idée d’un deuxième EPR, en tout cas avant d’établir un bilan du premier. Est-ce à dire que vos préférences vont vers ATMEA ?

J’ai bien compris vos arguments sur la territorialisation de la gestion des barrages. D’une façon générale, la décentralisation des réseaux suscite de nombreux débats. De votre point de vue, qu’est-ce qui peut et ne peut pas être régionalisé ?

Quant aux tarifs, ils traduisent et couvrent les coûts ; si bien qu’il faut soit que les coûts diminuent, soit que la facture du consommateur augmente. EDF dispose-t-elle, selon vous, de marges de manœuvre pour orienter les coûts à la baisse ? Nous ne parvenons pas à obtenir les détails financiers du grand carénage, dont le coût global s’échelonnerait de 50 à 55 milliards d’euros – un rapport situe même l’addition bien au-delà. Avez-vous des éléments d’information ?

Un débat s’est fait jour aussi, au cours de nos travaux, sur la réversibilité des déchets, par laquelle le législateur entendait la possibilité d’extraire les déchets au cas où une technologie de retraitement apparaît. Quel est votre point de vue ?

Enfin, aucun réacteur n’est éternel – même si d’aucuns n’ont pas la même conception de l’éternité que d’autres… La décision d’arrêter un réacteur ne dépend-elle que de l’ASN ? Des considérations économiques ou financières doivent-elles entrer en jeu ? Il serait bon de dédramatiser le sujet, car nous devrons forcément y faire face un jour, et pas seulement pour Fessenheim.

M. Éric Devy, délégué syndical central FO. En l’absence de scénarios sur le niveau de consommation à une échéance donnée, on ne peut se prononcer sur le bon mix. Dans une optique comparative, le coût du combustible doit aussi être pris en compte. Que représenteraient, à titre d’hypothèse, les parts respectives des coûts du gaz, du charbon et du combustible nucléaire dans une centrale de production électrique ? Si, d’autre part, le combustible nucléaire représente 25 % du coût de production de la centrale, mais que l’uranium n’entre dans le coût de ce combustible que pour 10 %, le coût de production n’augmentera pas à proportion du prix de l’uranium. Pour la première fois, des électriciens américains ont fermé des centrales, non parce qu’elles étaient déficientes, mais parce que, compte tenu de l’exploitation du gaz de schiste, elles n’étaient plus rentables. Des chutes de neige, cet hiver, ont fait croître la demande dans certaines régions des États-Unis, et donc le prix de l’électricité, librement fixé par le marché. Bref, sur quel scénario se fonder ? Celui de la décroissance ou celui de l’efficacité ? Pour notre part, nous privilégions le second. Dès lors, la question est de déterminer, à partir des hypothèses retenues, la composition du mix de production de base. Un électricien optera toujours pour la solution la moins chère, donc pour l’hydraulique d’abord, et le nucléaire ensuite.

On peut réfléchir aux alternatives, comme les bioénergies, mais elles nécessitent des filières d’approvisionnement. Confieriez-vous le développement de ces sources d’énergie à l’opérateur national, qui les produit en masse, ou aux collectivités ?

M. le rapporteur. Ce sont vos réponses, non vos questions, qui nous intéressent.

M. Éric Devy. Le nucléaire a d’abord vocation à assurer la production de base. Pourquoi ne pas demander à l’opérateur, pendant les périodes creuses, d’utiliser l’énergie disponible pour procéder à des électrolyses de l’eau, afin de stocker l’hydrogène ainsi obtenu ? Certaines entreprises, dont celle à laquelle j’appartiens, développent du « charbon vert », biomasse allégée – et ce faisant transportable – par l’extraction de son eau, que l’on peut ainsi utiliser dans les centrales à charbon.

M. Jacky Chorin. Le mix optimal est déterminé par les besoins, ainsi qu’on l’a rappelé, mais aussi par la demande, que l’on présume souvent à la baisse dans le débat sur la transition énergétique – sans toujours se demander, d’ailleurs, si l’opinion l’accepterait. En tout état de cause, on fait toujours comme si demande d’électricité et demande d’énergie devaient suivre la même courbe, en omettant les phénomènes de substitution. Il est absurde, à notre sens, de spéculer sur un mix électrique indépendamment du mix énergétique, et sans avoir de vision sur ce que sera la demande d’électricité en 2025. Comme vous l’avez suggéré, monsieur le président, la durée de vie des centrales dépendra des décisions de l’ASN et des arbitrages économiques internes à l’entreprise. Que l’État décide, au nom d’un mix gravé dans le marbre, d’arrêter certains réacteurs aurait peut-être des avantages en termes d’image politique, mais cela nous paraît juridiquement incertain et, pour tout dire, inconstitutionnel. Si l’on envisage le grand carénage, c’est bien parce que l’on estime qu’il permettra de faire fonctionner les centrales pendant une certaine durée.

La décentralisation des réseaux mettrait fin à la péréquation des tarifs, donc au principe républicain de l’égalité de traitement entre les usagers. Certains élus urbains y sont peut-être favorables, mais sans doute pas les élus ruraux. La Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), d’ailleurs, a revu sa position sur le sujet. Veut-on faire prévaloir des principes de service public ou d’autres principes ? Il faut une vision claire.

M. Alexandre Grillat. La logique qui consiste à fixer une date, en l’occurrence 2025 – pourquoi pas 2030 ? –, paraît aléatoire, et en tout cas peu évidente sur le plan économique et industriel. Comme le soulignait M. Chorin, le premier déterminant est la demande d’électricité, qu’il faut en effet découpler de la demande d’énergie, pour peu que la décarbonation reste la priorité. Dans l’objectif de réduire à 50 % la part du nucléaire, il faut bien que le taux se rapporte à quelque chose, en l’occurrence à la demande d’électricité ; si bien qu’assigner un tel objectif sans examiner précisément tous les scénarios – quitte à revoir ceux, un peu orientés, qui avaient été mis sur la table à l’occasion du débat national sur la transition énergétique – paraît peu réaliste.

La réussite de la transition énergétique passe par une bonne gestion du calendrier. Il faut se donner le temps de disposer de filières industrielles matures, aux plans économique et technologique, pour opérer, de manière progressive, la diversification du mix électrique. L’objectif fixé pour 2025 ne répond pas à cette exigence. Notre parc électronucléaire, destiné à la production de base, s’est aussi développé, dans les années soixante-dix à quatre-vingt-dix, pour exporter de l’électricité, au bénéfice de la balance commerciale. En production de base, le stockage de l’électricité est possible avec les stations de transfert d’énergie par pompage, les STEP ; et c’est la complémentarité entre le nucléaire de base et l’hydraulique de pointe qui permet d’assurer la sûreté du système électrique. Mon collègue de la CFTC évoquait l’utilisation de l’eau pour le refroidissement des centrales ; il faut aussi rappeler que les ouvrages hydrauliques de chute permettent, en cas de « black-out », le renvoi de tension vers les centrales nucléaires. Bref, le nucléaire et l’hydraulique sont parfaitement complémentaires.

Le bon mix, à nos yeux, doit d’abord être décarboné ; il dépend de la demande d’électricité, elle-même liée aux effets de substitution ; quant à la date de 2025, elle nous paraît correspondre, je le répète, à un dogme politique plutôt qu’à une réalité économique et industrielle.

Le parc nucléaire n’est pas vieux, mais il vieillit et réclame donc des investissements. Dans la mesure où les tarifs doivent couvrir les coûts, ils ne peuvent qu’augmenter.

M. le président François Brottes. Que faites-vous de l’amortissement ?

M. Alexandre Grillat. Le coût du grand carénage impose, pour réduire la pression sur la facture, de donner la priorité à l’efficacité énergétique.

Par ailleurs, le nucléaire doit être envisagé, non dans l’absolu, mais par comparaison. Il est un moyen de production programmable ; les autres énergies renouvelables, qui lui sont souvent comparées au regard de leur coût, ne rendent pas les mêmes services économiques et techniques au système électrique. Toute comparaison entre les coûts doit être appréciée en fonction des services rendus.

M. le rapporteur. Si l’ASN estime que tel ou tel réacteur doit fermer, quelles sont, à vos yeux, les alternatives prioritaires ?

M. Éric Devy. Pour répondre à votre question sur l’amortissement, monsieur le président, il faut savoir que le coût de remise en fonctionnement de quatre générateurs de vapeur avoisine les 400 millions d’euros, contre plus de 3 milliards pour la construction d’un nouveau générateur. Le générateur peut alors repartir pour vingt à quarante ans, sous réserve des visites décennales de l’ASN. Arrêter une centrale avant le terme possible suppose donc de nouveaux investissements ; on peut alors les consacrer au développement d’une nouvelle génération, par exemple un nouvel EPR – ATMEA 1 n’est pas, me semble-t-il, le modèle privilégié par EDF.

M. le président François Brottes. En l’espèce, je parlais de l’existant.

M. Éric Devy. Une ancienne centrale peut être remplacée par une nouvelle, mais seulement si le site le permet. Un « Flamanville 5 » est impossible – même le 4 sera difficile –, car la centrale est située au pied d’une falaise. Si l’ASN se prononçait pour la fermeture d’une centrale, le remplacement de celle-ci par une autre, ou le choix d’une solution alternative, relèvent d’une décision à la fois économique et politique. Importer du gaz ou du charbon n’est évidemment pas sans effet sur la balance commerciale.

Mme Marie-Claire Cailletaud. Il faudra bien entendu fermer les centrales nucléaires un jour ou l’autre : nous n’avons aucun état d’âme à ce sujet. La fermeture peut intervenir immédiatement si l’ASN le juge nécessaire ; quant à la prolongation, elle doit être envisagée en fonction des investissements : s’ils ne sont pas assez rentables, il faut fermer la centrale. La décision, pour peu qu’elle ait été anticipée pour l’appareil productif comme pour les salariés, ne nous pose en elle-même aucun problème.

Par hypothèse, on remplacerait une centrale par ce qui se fait de mieux au moment considéré. Toute solution doit être appréciée en fonction de trois critères, dont aucun ne doit manquer : le critère social, le critère environnemental et le critère économique. C’est pourquoi il nous paraît impossible de fixer a priori les pourcentages des composants d’un mix électrique ou énergétique. Ces mix dépendent de beaucoup de facteurs, à commencer par le financement de la recherche, qui à nos yeux reste à un niveau très insuffisant. Un stockage massif de l’électricité à moindre coût, par exemple, ferait changer de paradigme.

Tout le monde parle d’efficacité énergétique, mais nul n’est capable de dire à quel rythme pourront être mises en œuvre les actions qui s’y rapportent. La facture de la rénovation thermique des logements, mesure annoncée par le Président de la République, se situe dans une fourchette de 10 à 15 milliards d’euros par an. Où trouver cet argent ? Personne ne le sait. Comment affirmer que l’on pourra isoler de 500 000 à 1 million de logements par an, alors que 100 000 seulement ont pu l’être dans le cadre du Grenelle ? Le mix doit évoluer en fonction des deux critères que sont la réponse aux besoins et la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

M. Alexandre Grillat. La fermeture d’une centrale sera anticipée dans la mesure du possible ; c’est l’opérateur qui devra y faire face, que cette décision vienne de l’ASN ou qu’il l’ait prise lui-même, au vu d’investissements jugés non rentables. Son choix dépendra alors de multiples facteurs, tous appréciés à l’instant t : sécurisation du portefeuille de clients, meilleure technologie disponible, signal prix donné à l’échelle française ou européenne, coûts des différentes technologies, prix du carbone.

M. le rapporteur. Il y a une légère contradiction entre le vœu d’une gestion publique et celui de s’en remettre au marché. L’idée est de définir une stratégie énergétique ; pour ce faire, nous aimerions connaître les pistes préconisées par vos organisations respectives.

M. Alexandre Grillat. J’évoquais seulement le scénario de fermeture d’une centrale. Pour la CFE-CGC, le mix doit être le plus diversifié et le plus équilibré possible, en fonction de la maturité des technologies à l’instant t. La fixation a priori d’un chiffre – 50 % – à une échéance donnée est contraire à la réalité industrielle et économique du secteur.

M. Henri Richard. Tout repose sur les « Quatre E » : économie, énergie, emploi et énergie. L’objectif de réduire à 50 % la part du nucléaire à l’horizon 2025 n’a pas de sens, car il implique des décisions arbitraires, indépendantes des avis de l’ASN et de l’état réel des installations. La composition du mix, d’ici à 2025, 2030 ou 2040, suppose de réfléchir en termes d’économie, d’emploi et d’investissements ; cela relève, en somme, de la gestion prévisionnelle des moyens de production. Il faut aussi s’interroger sur l’électricité et ses usages futurs. Comment développer les véhicules électriques sans électricité nucléaire ? On n’entend pas brûler du pétrole, j’imagine, pour produire de l’électricité… Alimenter des véhicules décarbonés par des unités qui émettent du CO2 n’aurait aucun sens. Si les autorités politiques entendent, par exemple, développer les transports en commun dans les villes – tramways, métros ou bus électriques –, bref, réduire les émissions de CO2, il faut bien qu’elles prennent des décisions pragmatiques.

Notre vision de l’écologie est rationnelle et globale. Importer des matières premières pour produire de l’énergie, par exemple, génère de la pollution à cause du transport. Le mix énergétique doit tenir compte de plusieurs critères, parmi lesquels l’emploi. On ne peut prendre une décision qui nous engage sur quarante ans en se fondant seulement sur le coût, quand bien même, au regard de ce facteur, telle ou telle solution apparaît plus avantageuse que le nucléaire à un moment donné. La filière nucléaire fut créée, dans les années soixante-dix et quatre-vingt, pour lever des incertitudes sur les coûts à long terme, créer des emplois et assurer l’indépendance énergétique. Il revient au politique de décider si nous continuons ou non dans cette voie. Fixer l’objectif de 50 % de nucléaire en 2025 n’est ni réaliste ni rationnel ; et la France, aujourd’hui, n’a pas les moyens de ne pas être rationnelle.

J’en viens au rapport coût/investissements. Par définition, l’ASN ne dira jamais, car il y va de son indépendance, qu’elle n’envisage pas l’hypothèse d’une fermeture de centrale ; en revanche, elle peut conditionner la prolongation à des investissements et à l’optimisation de systèmes de sûreté. L’hypothèse d’une durée de quarante ans suppose que l’on en reste aux modèles en construction, comme l’EPR ou ATMEA ; celle d’une durée de soixante ans – pas irréaliste au vu des tranches de 1 300 mégawatts, voire de 900 – implique le passage à une nouvelle génération de réacteurs.

Vous avez également évoqué l’aval. On impose aujourd’hui à l’opérateur de mettre de l’argent en réserve pour faire face aux futurs démantèlements. On peut y voir une sécurité, mais les 10 milliards d’euros bloqués en vue d’un démantèlement hypothétique dans trente ans ne seraient-ils pas mieux utilisés dans la recherche de solutions innovantes, en matière de démantèlement, justement, ou de retraitement des déchets ? Alors que l’État, dit-on, n’a pas les moyens d’investir dans la recherche, la Russie consacre des sommes considérables à la conception de centrales intégrant le retraitement. S’agissant des déchets, monsieur le président, la réversibilité passe par des méthodes de retraitement nouvelles ; d’où la nécessité de la recherche et développement.

Mme Marie-Claire Cailletaud. L’augmentation des coûts tient à plusieurs facteurs. Les énergies renouvelables sont assurément des voies d’avenir, mais la façon dont on les développe en France génère des bulles spéculatives. Le torchage du gaz ou l’eau non turbinée – au profit des énergies fatales et du photovoltaïque venu d’Allemagne – sont autant de gâchis qui tirent les coûts à la hausse. Obliger les entreprises à filialiser certaines activités, touchant par exemple aux systèmes d’information, a un coût qui, au final, se répercute sur les prix. La déréglementation désoptimise le système, et des voix commencent à s’élever pour la dénoncer, au niveau européen et parmi les industriels. Le temps est donc venu de faire une pause et d’en dresser le bilan ; pour notre part, nous estimons qu’elle a détruit des emplois et augmenté les coûts : le Gouvernement français doit aller porter ce message à Bruxelles, comme il aurait dû le faire à l’époque de la loi NOME. C’est au nom de la même logique que nous sommes, nous aussi, résolument opposés à la privatisation des concessions hydrauliques. Une autre politique est possible, pour développer des coopérations industrielles au niveau européen et une stratégie industrielle en France.

M. Alexandre Grillat. La maîtrise du calendrier est indispensable. Nous sommes convaincus que le nucléaire aura toujours sa place au sein du mix électrique à l’horizon 2050, mais avec la quatrième génération de réacteurs.

Quant à la décentralisation des réseaux, la CFE-CGC estime que l’échelon local a toute sa pertinence dans certains domaines, tels que les énergies thermiques renouvelables – biomasse, réseaux de chaleur ou chaufferies au bois –, même si cela pose la question de la disponibilité des ressources et des conflits d’usage. De même, les politiques de mobilité, d’habitat ou d’urbanisme visant à l’efficacité énergétique, ou encore la « consom’action », n’ont de sens qu’à l’échelon local. En revanche, la dimension nationale est nécessaire pour la péréquation des tarifs de l’électricité, socle républicain et garantie d’égalité entre les territoires, et pour l’optimisation technique et économique, grâce à laquelle les coûts peuvent être contenus. Bien entendu, cela n’empêche pas d’améliorer la concertation entre opérateurs nationaux et acteurs locaux, dans les domaines de l’électricité et du gaz, afin de répondre au mieux aux besoins des territoires.

Quant à la régionalisation des réseaux hydrauliques, nous estimons, nous aussi, qu’elle serait un non-sens économique et industriel.

M. Francis Orosco. L’Allemagne, que l’on cite en exemple, a été obligée de rouvrir ses centrales à charbon après avoir renoncé au nucléaire. Comme l’ont souligné mes collègues, le nucléaire a toute sa place dans l’industrie. Nous sommes également en phase sur la fermeture de certaines centrales ; d’où la nécessité de mettre en route l’EPR, qui pourrait en remplacer une ou deux.

En ce qui concerne la biomasse, la centrale de Gardanne, par exemple, possède une tranche au charbon de 600 mégawatts. Il y a bien d’autres projets, qu’il faut mettre en œuvre, car, pour se réindustrialiser, selon l’objectif annoncé par le Président de la République, la France aura besoin d’énergie. Celle dont nous disposons aujourd’hui suffit au regard de la dimension de notre appareil industriel, mais, si celui-ci se développe, nous aurons besoin du nucléaire.

La CFTC soutient, par ailleurs, l’idée de CHSCT de site, car ce n’est pas à l’échelle nationale ou régionale que les problèmes des salariés peuvent être vraiment pris en compte.

Il est difficile de se faire un avis sur la fermeture de sites en l’absence d’alternative réelle. Le démantèlement de Creys-Malville, suite à sa fermeture anticipée, s’est avéré et s’avère encore très coûteux.

Je suis sceptique en ce qui concerne la décentralisation des réseaux : seule une politique nationale est en mesure de garantir les coûts de l’énergie et de préserver notre industrie. Je suis également en phase avec mes collègues sur les concessions hydrauliques, qui doivent rester dans le giron public si nous voulons conserver la maîtrise en ce domaine.

M. Henri Richard. Remplacer le nucléaire par des énergies fossiles aurait aussi, ne l’oublions pas, un impact sanitaire, et donc un coût. Notre vision sur le mix, je le répète, est donc globale.

La construction d’un deuxième EPR n’est, à nos yeux, pas un tabou ; au reste, si l’on envisage d’en construire hors de nos frontières, c’est bien que l’on croit au projet. La priorité, cependant, reste de trouver les moyens de prolonger la vie des réacteurs actuels, pour une durée de quarante à soixante ans.

Sur l’aval, les investissements en recherche et développement pourraient apporter une solution au problème de la réversibilité des déchets, comme je l’ai dit.

Nous sommes favorables aux CHSCT de site. Sur la prise en compte de la sous-traitance, des travaux ont été menés au sein du CSFN, avec le GT1 ; une réunion s’est d’ailleurs tenue hier sur le sujet.

La CFTC soutient le lancement d’une quatrième génération de réacteurs à un horizon de vingt ou trente ans. ATMEA est un projet commun à AREVA et Mitsubishi Heavy Industries ; GDF Suez voulait en être le premier constructeur sur le territoire, mais le législateur l’a refusé, estimant que ce devait être EDF.

Cette dernière développe actuellement un autre projet, en partenariat avec la Chine ; d’aucuns s’y opposent, estimant qu’il implique un transfert de technologie et d’ingénierie. Cependant, aujourd’hui, seules la Russie, la Corée du Sud, la Chine et la France construisent des réacteurs nucléaires. La Russie et la Corée du Sud le font avec d’autres technologies, si bien que notre pays a, depuis l’époque du général de Gaulle, noué une alliance avec la Chine, désormais premier constructeur mondial. Il faut donc choisir entre laisser la Chine assurer seule sa production ou l’y aider, en récupérant une part du marché. Certes, les modèles construits dans le cadre de ce partenariat concurrencent l’EPR, mais ils peuvent répondre aux besoins d’un certain nombre de pays qui ne possèdent pas les réseaux adaptés à l’EPR, dont la capacité atteint 1 700 mégawatts.

Les réseaux, si l’on ne désoptimise pas le système, doivent rester nationaux, voire européens – et il faudra bien, un jour, surmonter la contradiction entre la demande croissante d’énergie et le refus d’accueillir des lignes à très haute tension, transfrontalières. C’est à cette condition que pourra être préservée la péréquation tarifaire, indispensable dans ce pays rural qu’est restée la France.

Le coût du grand carénage devrait osciller entre 50 et 55 milliards d’euros ; si votre commission d’enquête ne peut obtenir plus de détails auprès d’EDF, ce ne sont pas les syndicats qui le pourront. En tout état de cause, cet investissement sera étalé sur une trentaine d’années : ce n’est donc pas lui, à mon sens, qui pèsera le plus sur les coûts ; quant aux frais d’entretien, ils sont planifiés à l’avance. En réalité, l’augmentation du prix de l’électricité tient surtout aux subventions allouées aux énergies renouvelables.

S’agissant de la réversibilité des déchets, le projet d’enfouissement prévoit une exhumation possible. Cela dit, à l’échelle de temps considérée, cent ans, il est difficile de faire des pronostics sur les futures évolutions technologiques et institutionnelles. L’une des voies les plus sûres, je le répète, est d’investir dans la recherche et dans la quatrième génération de réacteurs.

M. Jacky Chorin. Le coût induit par la mise en concurrence et la désoptimisation n’a jamais été calculé ; il est pourtant considérable, et sera plus élevé encore si l’hydraulique tombe aux mains du secteur privé. Contrairement à ce qu’on a longtemps fait croire, la concurrence ne fait pas baisser les prix, bien au contraire : elle les fait monter.

Sur le grand carénage, je ne suis pas en mesure de documenter le chiffre avancé par EDF, mais j’imagine que les représentants de l’État qui siègent dans les comités d’audit, eux, le peuvent. Quoi qu’il en soit, on ne peut apprécier les coûts qu’en comparant ce qui est comparable. J’ai dit l’importance que revêt à mes yeux la recherche sur le stockage de l’électricité ; reste que les énergies intermittentes ne peuvent être comparées, en termes de coût, à l’énergie nucléaire. Dans le cadre de sa transition énergétique, l’Allemagne a programmé la construction de 3 800 kilomètres de lignes à haute tension, mais rien n’a été fait l’an dernier. Le grand carénage ne nécessite de construire aucune ligne nouvelle, contrairement aux énergies renouvelables. Les gens, par exemple, accepteraient-ils de voir passer, non loin de chez eux, des lignes à très haute tension, nécessaires à la conduction de l’électricité produite par l’éolien offshore ? Je n’en suis pas sûr. Aussi abordons-nous ces sujets avec pragmatisme.

Mme Marie-Claire Cailletaud. Si l’on considère, comme nous, que le nucléaire est une énergie d’avenir, il faut d’ores et déjà réfléchir au lancement de la quatrième génération, qui fournirait à notre pays de l’énergie pour plusieurs milliers d’années.

Le débat sur la transition énergétique avait déjà mis sur la table la question de la décentralisation. Dans des domaines tels que l’efficacité énergétique, il convient de rapprocher les centres de décision des citoyens, des salariés et des usagers ; mais le secteur de l’énergie doit relever du cadre national afin de garantir la péréquation tarifaire et l’égalité territoriale. L’idée d’accorder aux régions une autonomie sur certains volets de ce secteur suscite chez nous la plus vive inquiétude. Nous nous sommes aperçus, lors de réunions avec des élus au plus haut niveau, que les réalités techniques et économiques, ou encore la contribution au service public de l’électricité (CSPE), étaient ignorées au profit de visions pour le moins idylliques.

M. Alexandre Grillat. Nous souhaitons que les pouvoirs publics abordent les sujets avec réalisme et pragmatisme, qu’il s’agisse de la prolongation du parc, des fermetures anticipées sur décision de l’ASN, de la comparaison entre les coûts du nucléaire et des énergies renouvelables, de la place du nucléaire dans le mix, de la valorisation à l’export ou de la sous-traitance socialement responsable : la sûreté des approvisionnements doit être l’alpha et l’oméga de la réflexion, car elle détermine la compétitivité de l’électricité et, surtout, sa disponibilité à tout moment.

M. le président François Brottes. L’équilibre du réseau est un effet un élément essentiel : il faut le rappeler, car ce n’est pas évident pour tous.

M. Henri Richard. La Russie, je le répète, a pris beaucoup d’avance sur la France en matière de recherche et développement, et pour la conception de la quatrième génération.

L’énergie d’origine hydraulique, enfin, est impérative pour la sûreté du système. Il faut y veiller, notamment dans le cadre du dossier Alstom, puisque cette entreprise produit des turbines.

M. le président François Brottes. Madame, messieurs, je vous remercie.

L’audition s’achève à treize heures trente-cinq.

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Membres présents ou excusés

Commission d'enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d'exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l'électricité nucléaire

Réunion du mercredi 30 avril 2014 à 11 h 15

Présents. - M. Bernard Accoyer, M. Denis Baupin, M. François Brottes, M. Claude de Ganay, Mme Clotilde Valter

Excusés. – Mme Sylvie Pichot, M. Stéphane Travert