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Commission d’enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d’exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l’électricité nucléaire, dans le périmètre du mix électrique français et européen, ainsi qu’aux conséquences de la fermeture et du démantèlement de réacteurs nucléaires, notamment de la centrale de Fessenheim

Mercredi 30 avril 2014

Séance de 14 heures 30

Compte rendu n° 55

Présidence de M. François Brottes Président

– Thème : Coût et commercialisation de l’électricité d’origine nucléaire

Audition de M. Jean-Pierre Roncato, président d'Exeltium

L’audition débute à quatorze heures quarante.

M. le président François Brottes. Nous entamons une série d’auditions consacrées à l’accès des industriels à l’électricité nucléaire. Je retrace à grands traits l’historique du dossier.

La première étape a été la mise en place d’Exeltium, qui a mis beaucoup de temps à aboutir. Le législateur s’y est repris à plusieurs fois, car il a fallu convaincre la Commission européenne et les responsables européens compétents en matière de concurrence. Ceux-ci refusaient les notions de contrat à long terme ou d’achat groupé, incompatibles, selon eux, avec une concurrence libre et non faussée, sans voir qu’il n’est guère pratique pour les industriels de changer d’opérateur tous les mois et d’être confrontés à des prix qui varient en permanence ! La Commission a fini par valider le dispositif Exeltium, qui repose sur le principe suivant : en échange de leurs investissements, les industriels obtiennent un accès à l’électricité à un prix donné.

La deuxième étape a été la création, par la loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité (NOME), du dispositif d’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH) – il ne concerne donc pas l’EPR. Ce dispositif contraint l’opérateur EDF, qui détient le monopole de la production d’électricité nucléaire, à mettre 25 % de cette électricité à la disposition du marché. Nous avions le choix entre cette solution et une partition du parc nucléaire français. L’ARENH a été mis en place après de nombreuses discussions, d’abord autour de Paul Champsaur, puis avec la Commission de régulation de l’énergie (CRE). Aujourd’hui, le prix de l’ARENH est sensiblement inférieur à celui négocié par Exeltium, ce qui ne manque pas de susciter des interrogations.

Pouvez-vous, monsieur le président, nous donner votre sentiment sur la réalité et l’intérêt d’Exeltium : le dispositif était-il pertinent ? Le demeure-t-il ? Comment peut-il évoluer ?

En outre, comment voyez-vous l’avenir de la filière nucléaire, notamment en termes de coûts ? Celle-ci devra réinvestir à brève échéance, pour des raisons de sûreté et de sécurité, ou en vue de prolonger, le cas échéant, la durée de vie des réacteurs existants.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Jean-Pierre Roncato prête serment.)

M. Jean-Pierre Roncato, président d’Exeltium. Exeltium est un consortium dont les actionnaires-clients sont des industriels « électro-intensifs » au sens de la loi de finances rectificative de 2005 et de son décret d’application du 3 mai 2006. Il réunit les principaux groupes implantés en France dans des secteurs très sensibles au prix de l’électricité tels que l’acier, l’aluminium, la chimie, les gaz industriels et le papier.

Pour ces industries soumises à la concurrence internationale, l’approvisionnement en électricité est un enjeu de compétitivité majeur : il représente 15 à 50 % de leurs coûts de production. Compte tenu de la durée du cycle d’investissement dans les lignes de production de ces sites industriels – dix ans au minimum –, toute incertitude sur l’évolution du prix de l’électricité obère leur pérennité.

En quelques mots, la genèse d’Exeltium est liée à l’ouverture du marché de l’électricité, dans les années 2000. Les industriels fortement consommateurs d’électricité sont alors confrontés à de graves difficultés conjuguant une spirale de hausse des prix déconnectée des réalités économiques de production et un alignement par le haut des offres de fourniture d’électricité, dans un contexte où il était impossible de contracter à long terme.

La première réponse du gouvernement français, avant la mise en place du tarif réglementé et transitoire d’ajustement au marché (TaRTAM) puis de l’ARENH, a été de réunir, en 2005, une table ronde des producteurs d’électricité français et des sociétés électro-intensives. Exeltium est né de cette table ronde. Dès décembre 2005, la loi de finances rectificative que j’ai citée a défini le cadre juridique et, en mai 2006, Exeltium a été créé par sept sociétés. L’opérateur EDF a été retenu comme partenaire en 2007, au terme d’un appel d’offres européen. Les discussions avec la direction générale de la concurrence en vue de la validation du montage s’étant prolongées jusqu’en 2008, le contrat de partenariat industriel avec EDF n’a été signé qu’à la fin du mois de juillet de la même année.

Lorsqu’est venu le moment de se tourner vers les marchés pour financer le projet, la crise financière venait d’éclater. Faute de pouvoir accéder à des financements suffisants, la décision fut prise de réaliser le projet en deux phases. La phase 1, qui a démarré le 1er mai 2010, porte sur la fourniture de 148 térawattheures (TWh) sur vingt-quatre ans. Toutefois, compte tenu du contexte financier de l’époque, le financement n’a pu être assuré que pour neuf ans et demi. De plus, un refinancement est nécessaire d’ici à la fin de l’année 2014.

M. le président François Brottes. Il convient de préciser que certains des industriels qui ont eu accès au TaRTAM – qui était une solution transitoire, quelque peu bricolée – avaient bénéficié auparavant de tarifs spécifiques pendant de nombreuses années.

M. Jean-Pierre Roncato. Tout à fait.

Compte tenu des difficultés de financement initiales, la phase 2, qui doit porter sur la fourniture de 163 TWh pendant la même période, est en suspens depuis le démarrage de la phase 1. Elle n’a pas encore été relancée. À la fin de l’année 2013, Exeltium a livré au total 25 TWh à une centaine d’usines appartenant à ses vingt-six actionnaires-clients, soit 7,4 TWh en rythme annuel. Ce volume représente entre le tiers et la moitié des besoins des sites concernés.

J’en viens à la philosophie du projet Exeltium. Historiquement, la production électrique et les usines électro-intensives se sont développées en symbiose : les usines se sont implantées à côté des moyens de production existants ou des gisements d’énergie à exploiter, notamment dans les vallées alpines et pyrénéennes. Ainsi, avant la nationalisation de 1946, de nombreux industriels possédaient leurs propres centrales et s’approvisionnaient ainsi à prix coûtant. Après la nationalisation, pour compenser la perte de ces centrales, des tarifs spécifiques ont été mis en place. Prévus pour une longue période, ils sont arrivés à échéance récemment.

Aujourd’hui, alors que la possession de centrales par les industriels électro-intensifs eux-mêmes est révolue en France, les pays qui disposent d’une production électrique compétitive, souvent issue de ressources locales, s’appuient sur ces spécificités pour développer des dispositifs favorables aux industries électro-intensives – l’hydroélectricité au Québec, aux États-Unis, au Brésil, en Norvège et en Russie ; le gaz dans les pays du Golfe ; le charbon en Chine. Telle est également la philosophie du projet Exeltium : s’appuyer sur la spécificité française de notre parc nucléaire historique pour donner aux industries électro-intensives implantées dans notre pays un accès à l’électricité, dans le cadre d’un partenariat associant ces industriels à certains risques d’exploitation – disponibilité et capacité installée du parc –, ainsi qu’au développement de nouvelles capacités, qui devaient être à l’époque une petite série d’EPR.

Comment Exeltium fonctionne-t-il concrètement ? Le consortium se doit de fournir à ses actionnaires-clients de l’électricité à un prix compétitif et prévisible pendant vingt-quatre ans. Il acquiert cette électricité auprès d’EDF sous la forme de plusieurs rubans en « take or pay » – c’est-à-dire d’enlèvements constants – d’une durée de quinze à vingt-quatre ans. En contrepartie, Exeltium a versé à EDF au début du contrat, en mai 2010, une prime fixe initiale, dite « avance en tête », d’un montant de 1,75 milliard d’euros, financée à 90 % par de la dette et à 10 % par les fonds propres apportés par les actionnaires-clients. D’autre part, au fur et à mesure de la livraison d’électricité, Exeltium règle à EDF un prix d’enlèvement proportionnel. Le prix de l’électricité vendue par Exeltium à ses actionnaires-clients est donc constitué principalement de deux composantes : la première vise à rembourser la dette contractée pour payer l’avance en tête à EDF ; la seconde couvre la part proportionnelle du prix négocié avec EDF.

L’intérêt du montage Exeltium est de faire bénéficier les industries électro-intensives de la compétitivité du parc nucléaire historique. En outre, la forte part de dette pour financer l’avance en tête et la déconsolidation de cette dette leur permet de tirer parti d’un effet de levier important, résultant du différentiel entre le coût de la dette d’Exeltium, d’une part, et le coût moyen pondéré du capital d’un producteur d’électricité, d’autre part. Cet effet de levier assure à Exeltium une compétitivité à long terme.

La mise en place d’Exeltium, je le souligne, est un acte volontariste inédit : des groupes mondiaux ont investi 1,75 milliard d’euros en France pour assurer pendant plus de vingt ans la fourniture électrique d’une centaine d’usines, qui emploient 60 000 personnes. C’est un engagement fort en faveur du développement industriel.

Quel peut être l’avenir d’Exeltium à court et moyen terme ? Depuis le démarrage d’Exeltium en 2010, le contexte énergétique a considérablement évolué, tant en France qu’à l’échelle européenne et mondiale. En France, l’ARENH a été mis en place en juillet 2011, avec un prix de 40 euros par mégawattheure (MWh), puis de à 42 euros dès janvier 2012, reflétant en principe le coût de la production du parc nucléaire historique. Le coût total d’Exeltium pour ses actionnaires-clients revient, quant à lui, à environ 50 euros par MWh en 2014. Ce montant inclut différents éléments : le prix contractuel de l’électricité vendue par Exeltium à ses clients ; une provision liée au surcoût du futur EPR de Flamanville versée par les clients, qui découle du partage des risques avec EDF dans le cadre du contrat de partenariat que j’ai évoqué précédemment ; le coût pour les actionnaires de la non-rémunération par Exeltium des fonds propres qu’ils ont apportés. Le principe du montage est, en effet, que tous les éléments doivent être répercutés dans le prix et qu’il n’y ait aucun versement de dividendes.

Or le recours à l’ARENH est moins risqué et ne nécessite aucun apport en capital. En outre, la loi NOME limite l’accès à ce dispositif pour les actionnaires d’Exeltium : elle les oblige à consommer toute l’électricité achetée auprès d’Exeltium avant d’acquérir des quantités dans le cadre de l’ARENH, ce qui crée une réelle distorsion de traitement. Par ailleurs, le prix d’Exeltium reflète pour partie un développement du parc fondé sur la construction d’une petite série d’EPR. L’abandon tacite de cette option au profit d’une prolongation du parc existant, moins coûteuse, handicape donc Exeltium. Enfin, plusieurs décisions vont aggraver directement la dégradation de la compétitivité d’Exeltium : d’une part, la diminution annoncée de la capacité du parc nucléaire historique ; d’autre part, la modification, dès 2015, des règles fiscales applicables aux projets de cette nature, en particulier la fin de la déductibilité totale des intérêts d’emprunt.

Dans le même temps, au-delà de nos frontières, l’évolution du contexte concurrentiel est considérable : les prix du gaz nord-américain, deux à trois fois inférieurs aux prix européens, permettent de produire une électricité à un prix bien moindre qu’en Europe.

M. le président François Brottes. C’est là l’effet de l’exploitation du gaz de schiste ?

M. Jean-Pierre Roncato. Oui.

Grâce à son charbon, la Chine peut, elle aussi, développer d’importantes capacités électro-intensives dans d’excellentes conditions de compétitivité. Par ailleurs, en Europe – tout au moins hors de la France, où le prix de l’ARENH semble constituer à court terme un « plancher de verre » – plusieurs facteurs contribuent également à la faiblesse des prix de marché de l’électricité : une demande atone du fait de la crise ; la baisse du prix du charbon américain importé, induite par l’exploitation du gaz de schiste, qui permet un regain de compétitivité des parcs de centrales au charbon, dans un contexte de bas prix du dioxyde de carbone ; le fort développement de nouvelles capacités de production d’origine renouvelable, qui amènent des quantités toujours plus importantes d’électricité sur le marché.

Nous assistons ainsi à une inversion complète du rapport entre la France et l’Allemagne en matière de compétitivité des prix de l’électricité : alors que, en 2009, les prix de marché en Allemagne étaient supérieurs au TaRTAM de 30 euros par MWh, ils seront de 35 euros par MWh environ en 2015, à comparer aux 42 euros de l’ARENH et aux 50 euros d’Exeltium.

Enfin, de nombreux États ont mis en place des dispositifs spécifiques permettant d’abaisser encore le montant de la facture pour les industries électro-intensives. Des contrats de long terme à des tarifs très favorables ont été mis en place aux États-Unis et au Canada. D’autres pays, telle l’Allemagne, ont adopté un panel de mesures portant sur diverses composantes du coût de l’électricité : larges exonérations du coût de son transport, lequel représente en moyenne 6 euros par MWh pour les industries électro-intensives françaises ; compensation du coût des émissions indirectes de dioxyde de carbone, soit un peu plus de 3 euros par MWh ; rémunération élevée de l’effacement et de l’interruptibilité. Au total, en 2015, les grandes industries électro-intensives acquitteront en Allemagne une facture inférieure de 35 % à celle qu’elles paieront en France, tout en consommant une électricité plus carbonée.

Dans ces conditions, refonder la compétitivité à court-moyen terme du dispositif Exeltium est devenu une urgence industrielle, en particulier pour certains sites directement menacés à brève échéance. Nous menons, depuis quelques mois, des discussions avec EDF sur un certain nombre d’améliorations. L’objectif est d’adapter ce contrat privé, qui offre certes une compétitivité et une prévisibilité à long terme, aux évolutions violentes du contexte immédiat : compte tenu de la situation économique des industries électro-intensives en France, le long terme apparaît bien lointain, alors que la question posée à court terme peut être celle de la survie !

La solution en négociation consiste à sécuriser une baisse du prix pour les prochaines années et à introduire dans le contrat une souplesse qui permette de l’adapter aux aléas futurs de l’environnement économique. Pour simplifier, il s’agit de créer un « tunnel » autour du prix actuel, avec une modulation à la baisse, dans une certaine limite, lorsque le contexte est déprimé, et une modulation à la hausse, également dans une certaine limite, lorsque la situation économique est plus favorable et que les prix de l’électricité sont revenus à la « normale ». Les discussions avec EDF portent également sur une limitation plus stricte de l’impact pour Exeltium de la matérialisation des risques partagés avec EDF dans le cadre du contrat de partenariat.

Si, comme je l’espère, ces discussions aboutissent rapidement, la philosophie du contrat, validée à l’origine par la Commission européenne, ne sera pas modifiée : il s’agira toujours d’offrir une visibilité à long terme aux industries électro-intensives avec un prix compétitif sur l’ensemble de la période considérée, tout en permettant au producteur de couvrir ses coûts dans la durée. La variabilité introduite devrait permettre d’amortir les soubresauts du contexte économique et concurrentiel, sans remettre en cause l’économie générale du dispositif. Le schéma ainsi redéfini serait donc robuste, tant du point de vue économique que juridique.

En conclusion, malgré les difficultés apparues ces dernières années, Exeltium est un bon dispositif, qui renforce la compétitivité des industries électro-intensives et leur donne de la visibilité. Ce sont là deux éléments prioritaires pour elles. Les correctifs envisagés devraient apporter à Exeltium la souplesse qui lui manquait sans doute à l’origine et lui permettre de s’adapter aux aléas de la conjoncture.

Cependant, le prix de l’électricité n’est qu’une des composantes de la facture des industries électro-intensives. Dans ce contexte, il est essentiel que les réflexions engagées depuis deux ans aboutissent. Il conviendrait notamment de fixer une rémunération attractive des effacements et de l’interruptibilité industriels, en échange du service économique rendu par les grands consommateurs de base à l’équilibre du système électrique. Il apparaît également nécessaire de créer un dispositif ad hoc pour prendre en charge une partie du coût du transport ; là encore, la consommation en base profite à l’équilibre du réseau, sans exiger le surdimensionnement qu’impliquent des consommations plus fluctuantes. S’agissant de la contribution au service public de l’électricité (CSPE), il est important de maintenir des plafonds adaptés aux industries électro-intensives et conformes aux lignes directrices de la Commission européenne. Enfin, d’une manière générale, il faut éviter que les modifications successives du régime fiscal applicable à des projets tels qu’Exeltium ne viennent compromettre leur équilibre économique délicat.

M. le président François Brottes. Merci, monsieur le président. Ce sujet mériterait une commission d’enquête à lui seul !

Quel était, à l’origine, le besoin en électricité des entreprises qui ont créé Exeltium ? Ce volume est-il toujours le même ou a-t-il baissé ?

M. Jean-Pierre Roncato. À l’origine, il était prévu qu’Exeltium fournisse 311 TWh : 148 font actuellement l’objet de la phase 1, et 163 devaient faire l’objet de la phase 2. La crise a certainement détruit une partie de cette demande. Cependant, les 311 TWh ne représentaient, à l’époque, que les deux tiers environ des besoins des clients d’Exeltium. Aujourd’hui, nous estimons qu’Exeltium couvre entre un tiers et la moitié de leurs besoins. Il pourrait donc fournir à l’avenir non pas le double des quantités qu’il livre actuellement, comme cela était envisagé à l’origine, mais 50 à 60 % de plus.

M. Denis Baupin, rapporteur. Pouvez-vous préciser en quoi consistent la phase 2 et la renégociation que vous devez mener d’ici à la fin de l’année 2014 ?

M. Jean-Pierre Roncato. Le financement de la phase 1 n’a pu être assuré que pour neuf ans et demi, en partie à cause de l’exigence de la Commission européenne de laisser aux clients d’Exeltium la possibilité d’exercer un droit de sortie au bout de dix, quinze et vingt ans. Le montage financier du projet s’en est trouvé fragilisé : dans le contexte difficile de l’époque, les banques n’ont accepté de le financer que jusqu’à la première de ces échéances. Pour éviter tout problème avant le terme de leur financement en 2019, elles ont posé un certain nombre de conditions qui nous obligent à refinancer 1,75 milliard d’euros d’ici à la fin de l’année 2014.

Quant à la phase 2, elle n’a fait l’objet d’aucun accord à ce stade.

M. le rapporteur. Quand doit-elle commencer ?

M. Jean-Pierre Roncato. Elle pourrait commencer dès qu’on le souhaite. Comme je l’ai indiqué, les besoins des clients sont supérieurs aux quantités que leur fournit actuellement Exeltium. Si nous aboutissons à un accord favorable avec EDF dans le cadre de la phase 1, nous nous interrogerons alors sur la suite : lançons-nous une phase 2 ou bien cherchons-nous une autre solution ?

M. le rapporteur. La France est censée avoir ouvert son marché de l’électricité, mais les dispositifs mis en place se révèlent dérogatoires et complexes. Il est néanmoins tout à fait justifié de protéger les industries électro-intensives.

L’opérateur EDF a été retenu au terme d’un appel d’offres européen dans un certain contexte. Compte tenu des renégociations en cours et de vos réflexions sur une phase 2, le contrat avec EDF est-il susceptible de prendre fin ? À quelle date ? Envisagez-vous un nouvel appel d’offres ?

Comment le contrat que vous avez signé avec EDF s’articule-t-il avec l’ARENH ? Si l’ARENH avait existé préalablement, auriez-vous mis en place Exeltium ? Les deux dispositifs sont-ils complémentaires ?

Dans le contexte de concurrence avec des pays où la production d’électricité est favorisée par différentes sources d’énergie locales, que pourrait faire, selon vous, le législateur dans le cadre de la loi sur la transition énergétique pour mieux protéger les entreprises énergo-intensives ? Lors du débat sur la transition énergétique, j’ai présidé le groupe de travail sur la compétitivité des entreprises. D’après un rapport du Conseil d’analyse économique, l’augmentation des prix de l’énergie pourrait être un facteur de compétitivité, dans la mesure où il inciterait les entreprises à réaliser des économies d’énergie. Cependant, les entreprises énergo-intensives seraient directement pénalisées par une telle augmentation, et il convient donc de les protéger au moyen de tarifs encadrés privilégiés ou d’autres formes d’aide qui ont été évoquées au cours des débats. Nous devons néanmoins veiller à ce que le signal prix incite à une meilleure performance énergétique. Quelle est votre analyse sur ce point ?

M. Jean-Pierre Roncato. Exeltium a consulté seize entreprises européennes dans le cadre de l’appel d’offres qu’il a lancé en 2007. La capacité à fournir une électricité produite à partir de sources d’énergie non carbonées était, pour nous, un critère déterminant. Il est vite apparu que très peu d’entreprises satisfaisaient à cette exigence, et le choix s’est porté sur l’opérateur EDF, avec lequel nous avons signé un contrat à long terme, portant sur une période de vingt-quatre ans.

Quant aux discussions en cours avec EDF sur les aménagements que nous souhaitons, elles correspondent à des réunions et à des remises à plat régulières prévues dans le cadre du contrat. Au vu de mon expérience des contrats de long terme, il est illusoire de penser qu’un contrat, même très bien construit à l’origine, puisse anticiper tous les événements qui se produisent dans la vie réelle. J’espère que les discussions actuelles vont aboutir dans un avenir proche. Je ne conçois pas qu’elles se soldent par une rupture du contrat et un arrêt de la phase 1 – cela signifierait que les partenaires dressent un constat d’échec. D’ailleurs, ce ne sont certainement pas les dernières négociations qui auront lieu entre les partenaires au cours de la vie du contrat. Il est indispensable de garder la possibilité de discuter afin d’adapter le contrat aux aléas et aux évolutions du contexte. Je n’envisage donc pas de nouvelle consultation ni de nouvel appel d’offres concernant la phase 1.

Quelles sont les solutions envisageables pour répondre aux besoins des industries électro-intensives non couverts par Exeltium ? Que se serait-il passé si la mise en place d’Exeltium avait pris encore davantage de temps et que l’ARENH avait été créé avant qu’il voie le jour ? Les industries électro-intensives se soucient non seulement du niveau du prix de l’électricité à un moment donné, mais aussi de la prévisibilité – et, si possible, de la stabilité – de ce prix à long terme. Or le montage Exeltium présente des caractéristiques qu’on ne retrouve pas dans l’ARENH : d’une part, la durée ; d’autre part, l’effet de levier que j’ai décrit, qui permet de lisser le prix et de lui donner une certaine stabilité dans le temps. L’ARENH a une durée plus limitée qu’Exeltium, et certaines incertitudes demeurent quant à son évolution. Il permet aux industriels de compléter à court terme la couverture de leurs besoins, mais ne répond pas à leur problématique de long terme.

D’une manière générale, les pays industriels adoptent deux types de mesures pour apporter de la sécurité et de la stabilité à leurs industries électro-intensives. Premièrement, des mesures dites patrimoniales, qui consistent à leur donner un accès, dans des conditions privilégiées, à une source d’énergie particulière, qui est disponible à un prix compétitif : l’hydroélectricité au Québec notamment ; le charbon ou le gaz dans les pays qui en produisent. Exeltium rentre dans cette catégorie : il donne un accès privilégié au parc nucléaire historique tel qu’il a été bâti en France.

Deuxièmement, les États peuvent prendre un panel de mesures complémentaires afin de réduire la facture d’électricité, en jouant sur les différents maillons de la chaîne de valeur, ce que font l’Allemagne et d’autres pays. Il est ainsi possible d’agir sur le coût du transport, de rémunérer les services que rendent les industries électro-intensives grâce à la régularité de leur fonctionnement – par exemple en matière d’interruptibilité et d’effacement – ou encore de ne pas imputer certaines charges, comme la CSPE en France ou l’EEG-Umlage en Allemagne, aux industries électro-intensives, en les répartissant de manière inégale entre les différents segments de consommation. Ces mesures apportent des réponses moins pérennes que les dispositifs de nature patrimoniale.

S’agissant de la France, il existe d’autres idées sur le moyen de fournir aux industries électro-intensives les quantités supplémentaires dont elles ont besoin. En particulier, la question d’un recours à l’hydroélectricité mérite d’être posée, mais cela sort de mon champ de compétence.

M. le président François Brottes. Justement, dans l’hypothèse où un nouveau barrage serait construit en France, seriez-vous prêts à co-investir dans ce projet, comme vous le faites dans l’EPR ? Par ailleurs, si des sociétés d’économie mixte étaient constituées pour gérer certaines concessions, pourriez-vous participer à leur capital, dans une approche analogue à celle d’Exeltium – investissements en échange d’un accès à long terme à un tarif privilégié ? Certains membres d’Exeltium ont déjà donné leur réponse sur ce point.

M. Jean-Pierre Roncato. Avec Exeltium, les industriels ont montré qu’ils étaient prêts à investir des sommes considérables pour sécuriser un approvisionnement en électricité à long terme à un prix compétitif. Le cas échéant, je n’exclus pas qu’ils prennent une décision collective de même nature dans le cadre d’un autre montage, mais je ne peux pas me prononcer en leur nom. Les dispositifs du type Exeltium apportent, en effet, une réponse adéquate en termes de stabilité et de prévisibilité. Néanmoins, il reste à voir si le coût de l’investissement et le coût de la production correspondante seraient compatibles avec les besoins des industriels. Quant à savoir s’il convient d’utiliser le dispositif existant ou d’en créer un nouveau, c’est une autre question.

M. le président François Brottes. Nos amis allemands – qui s’affranchissent parfois de règles auxquelles nous semblons très attachés – sont dans le collimateur de la Commission européenne parce qu’ils exonèrent certains de leurs industriels du coût de transport de l’électricité. Avez-vous des observations à faire sur ce point ? Pensez-vous que la situation va évoluer ou que les Allemands vont laisser passer l’orage et continuer à appliquer ces mesures, de manière à ce que leurs industriels bénéficient d’un prix de l’électricité inférieur de 35 % à celui qui est pratiqué en France ?

M. Jean-Pierre Roncato. Je réponds non pas en ma qualité de président d’Exeltium, mais à titre personnel, au vu des informations disponibles sur le sujet. Il semble que les Allemands envisagent de remplacer l’exonération totale des coûts de transport de l’électricité par des mesures qui permettent aux industriels de réduire ces coûts de manière très substantielle. Cependant, le résultat ne sera sans doute pas très différent : les entreprises qui achètent leur électricité en Allemagne continueront à bénéficier en la matière d’un avantage très important par rapport à celles qui le font en France.

M. le rapporteur. Les entreprises pour lesquelles vous travaillez envisagent-elles ou réalisent-elles des investissements qui visent à diminuer leur consommation d’énergie ? Cela peut être un autre moyen de réduire la facture.

M. Jean-Pierre Roncato. J’ai été précédemment responsable d’un centre d’expertise sur les consommations industrielles, qui aidait les entreprises à améliorer leur performance énergétique. Au vu de mon expérience, les industries fortement consommatrices d’énergie, que ce soit le gaz ou l’électricité, ont déjà envisagé toutes les solutions possibles en la matière et ont effectué, depuis de nombreuses années, les efforts nécessaires pour s’adapter. Pour elles, c’était une question vitale, l’énergie constituant une composante essentielle de leurs coûts de production. Paradoxalement, les gisements d’économie se trouvent plutôt chez les entreprises faiblement consommatrices ou pour qui l’énergie ne représente pas une part importante du prix de revient.

M. le président François Brottes. Je vous remercie, monsieur le président.

L’audition s’achève à quinze heures vingt-cinq.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d'exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l'électricité nucléaire

Réunion du mercredi 30 avril 2014 à 14 h 30

Présents. - M. Denis Baupin, M. François Brottes, M. Jean-Louis Costes

Excusés. - Mme Sylvie Pichot, M. Stéphane Travert