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Commission d’enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d’exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l’électricité nucléaire, dans le périmètre du mix électrique français et européen, ainsi qu’aux conséquences de la fermeture et du démantèlement de réacteurs nucléaires, notamment de la centrale de Fessenheim

Mercredi 30 avril 2014

Séance de 15 heures 30

Compte rendu n° 56

Présidence de M. François Brottes Président

– Thème : Coût et commercialisation de l’électricité d’origine nucléaire

Audition de M. Fabien Choné, président de l'ANODE (Association nationale des opérateurs détaillants en énergie).

L’audition commence à quinze heures trente.

M. le président François Brottes. Monsieur Choné, vous êtes président de l’Association des opérateurs détaillants en énergie, qui regroupe les nouveaux entrants – que l’on continue à appeler fournisseurs alternatifs – sur un marché de l’électricité et du gaz désormais concurrentiel.

Depuis l’ouverture du marché, on observe que les tarifs ne cessent d’augmenter. Est-ce un effet de la concurrence elle-même ? Ce qu’a constaté la Commission de régulation de l’électricité (CRE) en analysant les coûts d’EDF, c’est une croissance exponentielle de ses coûts de commercialisation. En effet, alors qu’un opérateur en situation de monopole n’a pas besoin de consentir des efforts commerciaux importants, il n’en est pas de même quand il doit se battre pour conserver ses parts de marché.

Les pouvoirs publics ont tenté de modérer cette hausse, mais ceux-là mêmes qui étaient à l’origine de l’augmentation des coûts de commercialisation, c’est-à-dire les nouveaux entrants, ont attaqué cette décision devant le Conseil d’État. Celui-ci a conclu à la nécessité d’augmenter les tarifs.

Quel est le nombre des nouveaux entrants, sachant que des fusions ont été opérées depuis l’ouverture à la concurrence ?

On peut d’ailleurs juger que le marché n’est pas si ouvert dans la mesure où de nombreux clients ont eu le réflexe d’opter, en matière d’électricité comme de gaz, pour les opérateurs historiques. Des sondages montrent même que certaines personnes n’ont toujours pas compris qu’EDF et GDF étaient désormais deux entreprises différentes.

En ce qui concerne la filière nucléaire, les pouvoirs publics ont choisi de ne pas répartir les centrales existantes entre différents opérateurs – je ne suis d’ailleurs pas sûr que les membres de votre association auraient eu la capacité financière d’investir dans ce type de production –, mais de développer la concurrence en aval, en mettant à la disposition du marché 25 % de la production d’EDF. L’ANODE étant directement concernée par cette disposition, nous aimerions connaître son avis sur l’organisation du marché et son éventuelle évolution.

Nous venons d’auditionner le président d’Exeltium, qui représente les industriels électro-intensifs. Ces derniers connaissent des jours difficiles : alors qu’ils ont investi beaucoup d’argent pour bénéficier d’un tarif particulier, celui-ci est aujourd’hui supérieur à celui de l’ARENH, l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique. Au fond, ils sont comme vous : ils jugent que l’ARENH n’est pas suffisamment élevé. Vous comprenez, bien sûr, que je suis provocateur à dessein, pour vous inciter à réagir.

Nous souhaitons également savoir si le développement de la concurrence peut, selon vous, passer par une tarification de l’accès au réseau.

Par ailleurs, face aux personnes de plus en plus nombreuses qui, de bonne foi, ne parviennent plus à payer leurs factures, une loi issue de la proposition que j’avais déposée a étendu à tous les foyers la trêve hivernale de l’énergie. Or la rumeur prétend que les opérateurs alternatifs ont tendance à abandonner ces « précaires de l’énergie », au point que nous réfléchissons à l’idée d’instituer un fournisseur de dernier recours. La question n’est certes pas directement liée à la filière nucléaire et n’entre donc pas dans le cadre de notre commission d’enquête, mais l’aborder aujourd’hui permettra d’éviter de vous faire revenir plus tard.

Avant de vous laisser la parole, je vous demande, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Fabien Choné prête serment.)

M. Fabien Choné, président de l’Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (ANODE). Avant de répondre à vos questions, permettez-moi de présenter notre association.

L’Association nationale des opérateurs détaillants en énergie regroupe cinq membres : Direct énergie, fruit de la fusion entre la société du même nom et Poweo ; la filiale en France d’ENI, le groupe pétro-gazier historique italien ; Gaz de Paris ; Lampiris ; Planète Oui. Lampiris et Direct énergie sont présents à la fois sur les marchés de l’électricité et du gaz ; d’autres opérateurs ne vendent que du gaz, comme ENI et Gaz de Paris, ou uniquement de l’électricité, comme Planète oui. Ces cinq entreprises alimentent plus de 90 % des consommateurs ayant choisi de quitter les deux opérateurs historiques.

M. le président François Brottes. Cela représente combien de clients ?

M. Fabien Choné. Plus d’un million, ce qui peut, il est vrai, sembler peu par rapport au nombre total de consommateurs.

L’ANODE a été créée pour prendre part aux réflexions menées en 2006 sur la manière de prendre en compte la spécificité de l’énergie nucléaire dans un marché libéralisé. Ces réflexions avaient abouti au vote de la loi relative au secteur de l’énergie, qui a mis en place le tarif réglementé et transitoire d’ajustement au marché (TaRTAM), que l’ARENH, institué par la loi NOME (nouvelle organisation de l’énergie), a finalement remplacé. D’abord créée pour les détaillants en électricité, l’ANODE s’est ensuite élargie au marché du gaz.

Cette association a pour objet de promouvoir la création d’un marché libéralisé permettant aux consommateurs de bénéficier des avantages offerts à la fois par le développement de la concurrence et par les spécificités de la politique énergétique française. Nous pensons qu’il est tout à fait possible de conserver un monopole de la production d’énergie nucléaire tout en développant une concurrence efficace, non seulement dans les autres formes de production, mais aussi dans l’activité de fourniture d’électricité.

Je précise que l’ANODE n’a pas vocation à prendre position pour ou contre le nucléaire. Le recours à cette énergie relève d’un choix national de politique énergétique, et c’est dans le respect de ce choix que nous souhaitons pouvoir développer la concurrence.

Comme vous l’avez souligné, monsieur le président, nous ne sommes pas opérateurs dans la production d’énergie nucléaire, ni en France ni à l’étranger. Nous ne pouvons donc vous apporter aucun élément d’information additionnel sur le coût de la filière. Toutefois, l’intitulé de la commission d’enquête mentionne les « divers aspects économiques et financiers » de la « commercialisation de l’électricité nucléaire » : c’est sur ce sujet précis que nous avons souhaité participer à vos travaux.

En ce qui concerne l’organisation du marché, il convient de distinguer clairement la production et la fourniture d’électricité. Même si l’une est en aval de l’autre, ces deux activités sont très différentes et subissent des contraintes spécifiques. Aucune bonne raison ne justifierait que les difficultés que pourrait connaître une de ces activités entravent le développement de la concurrence dans l’autre. En clair, l’existence, en France, d’un monopole sur la production d’électricité nucléaire – que nous n’avons d’ailleurs jamais cherché à remettre en cause – ne doit pas empêcher le jeu d’une concurrence effective et efficace s’agissant de sa fourniture.

À cet égard, nous ne comprenons pas la position d’Alain Bazot, le président de l’UFC-Que Choisir, qui estime nécessaire de faire jouer la concurrence sur le marché de la fourniture de gaz, mais pas sur celui de la fourniture d’électricité, sous prétexte que la production fait l’objet d’un monopole. Nous sommes concurrents d’EDF en tant qu’entreprise commercialisant de l’électricité, pas en tant que producteur – et pour cause : c’est impossible.

À y regarder de plus près, les difficultés d’organisation que connaît le secteur sont toutes liées à l’activité de production, qu’il s’agisse de la sécurité de l’approvisionnement, du mécanisme de capacité, de la spécificité de l’électricité d’origine nucléaire, qui représente 75 % de la production. Comment organiser la concurrence quand un seul opérateur concentre les trois quarts de la production – et même plutôt 90 %, car il dispose de moyens de production autres que les centrales nucléaires ?

En dépit de ces difficultés, qui ne sont pas insurmontables et qui, en tout cas, ne concernent pas le marché de la commercialisation, nous pensons que la concurrence peut se développer. Le monopole de la production nucléaire ne fait pas obstacle à la libéralisation du marché de la fourniture de l’électricité. C’est même dans ce domaine que les consommateurs auront le plus à gagner.

Remarquons que la libéralisation a eu lieu en deux temps : la production a été ouverte à la concurrence dès 1999, tandis que la fourniture l’a été progressivement jusqu’en 2007. L’organisation du marché étant désormais réalisée, le développement de la concurrence dans l’activité de commercialisation de l’électricité peut être une source d’avantages pour le consommateur, et ce, sans aucun risque pour lui : aucun changement de compteur n’est nécessaire et, grâce à la réversibilité, il ne court même pas un risque économique.

Je ne parle pas seulement de modération tarifaire, même si la concurrence nous semble le meilleur moyen de maîtriser les coûts, qui connaissent, en effet, une tendance à la hausse. Vous avez noté, monsieur le président, la forte augmentation des coûts de commercialisation d’EDF. Or, si ma mémoire est bonne, le rapport de la Commission de régulation de l’énergie évalue à seulement 15 % la part de cette augmentation, qui est liée au développement des systèmes d’information rendus nécessaires par l’ouverture à la concurrence. La plus grande partie de la hausse n’a donc rien à voir avec cette dernière. Au contraire, la concurrence a incité les dirigeants d’EDF à mettre en œuvre des plans d’économies susceptibles de réduire les coûts.

M. le président François Brottes. Une des causes de cette augmentation tient à la nécessaire séparation des activités de distribution et de transport à laquelle a dû procéder EDF avant l’ouverture du marché à la concurrence.

M. Fabien Choné. L’effet le plus important de cette séparation pour l’opérateur historique est la multiplication des systèmes d’information. Or c’est bien ce phénomène qui explique la part de l’augmentation des coûts liée à l’ouverture de la concurrence.

Je le répète, la concurrence nous semble le seul vrai vecteur de modération tarifaire. Du reste, ce n’est pas son seul avantage : elle permet également le développement de nouvelles offres, de nouveaux services innovants permettant de consommer moins et mieux. Le montant de la facture d’énergie dépend non seulement du prix, mais aussi du volume consommé. En matière d’électricité, entrent également en ligne de compte les tranches horaires durant lesquelles le prix de l’électricité varie fortement. À condition d’être correctement organisée, la concurrence dans l’activité de commercialisation non seulement ne présente aucun risque pour les consommateurs, mais elle leur est bénéfique, tout en étant pleinement cohérente avec la notion de transition énergétique. En effet, les consommateurs vont devoir modifier, en le rationalisant, leur comportement de consommation. À cet égard, l’émulation entre les compétiteurs est de nature à susciter la création de services innovants, notamment par le déploiement des compteurs intelligents, et donc à favoriser la maîtrise de la demande en énergie. Nous autres, nouveaux entrants, pensons avoir un rôle à jouer dans la construction de ces nouvelles offres et de ces nouveaux services.

Malgré le processus de libéralisation, nous faisons le triste constat que la spécificité nucléaire française a été la cause d’une fermeture du marché aval de la fourniture, et donc d’un faible développement des nouveaux services en matière de M2E – maîtrise de la demande en énergie – et d’efficacité énergétique.

Pour l’expliquer, je reviendrai sur les différentes périodes qu’a connues le marché depuis son ouverture à la concurrence. Avant 2010, nous avons subi pendant une dizaine d’années un effet de ciseau tarifaire : la double contrainte des coûts de production nucléaire tels qu’ils étaient reflétés dans le tarif réglementé de vente et des prix de marché nous empêchait, de facto, de pénétrer le marché sans subir de lourdes pertes. Il a fallu attendre le vote de la loi NOME pour régler ce problème. En effet, le TaRTAM constituait une solution à la fois inefficace, contraire à la réglementation européenne et inadaptée au segment des clients du marché de masse.

M. le président François Brottes. C’est une solution dont je suis coauteur… Mais je reconnais qu’elle a été un peu bricolée.

M. Fabien Choné. Malgré la création, en 2010, de l’ARENH, que nous appelions de nos vœux, nous restons victimes du ciseau tarifaire, dont la loi NOME ne prévoit qu’une résorption progressive jusqu’au 1er janvier 2016. Nous perdons donc encore cinq ans, ce qui est très regrettable. En outre, nous n’avons pas accès à l’énergie nucléaire historique dans des conditions tout à fait équivalentes à celles dont bénéficie EDF en tant qu’entreprise commercialisant de l’électricité. La CRE a d’ailleurs reconnu l’existence, pour les nouveaux entrants, de surcoûts engendrés par les dispositions qui leur sont spécifiquement applicables : présentation d’une garantie bancaire, application d’un plafond faisant peser un risque sur l’accès à cette énergie, pénalités infligées dans le cadre de la clause de prix complémentaire qui sanctionnent toute erreur dans les prévisions. Pour toutes ces raisons, l’article 1er de la loi NOME, qui prévoit, pour l’accès à l’énergie nucléaire historique, une équivalence entre les nouveaux entrants et l’activité de commercialisation d’EDF, n’est pas réellement respecté.

Ce qui nous préoccupe le plus, c’est l’organisation à venir du marché, d’abord pendant la période de régulation de l’ARENH, entre 2015 et 2026, puis au-delà de 2026. Nous sommes, en particulier, inquiets de l’effet sur la concurrence de la construction tarifaire de l’ARENH telle qu’elle est prévue dans le projet de décret mis à la consultation de la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC).

Nous avons effectué une simulation de l’évolution du prix de l’ARENH. Je rappelle que celui-ci a été fixé à 40 euros par mégawattheure pour l’année 2011 et à 42 euros à partir de 2012, dans l’attente de la publication du décret qui donnera à la CRE les moyens de le calculer pour les années à venir. Notre modèle, élaboré à partir des données contenues dans divers rapports et enquêtes, précise la répartition des coûts à prendre en compte dans la construction de l’ARENH : les dépenses courantes d’exploitation – y compris pour l’achat de combustible ; les investissements initiaux à effectuer pendant la période de régulation, c’est-à-dire jusqu’en 2025 ; les provisions destinées à financer le démantèlement des centrales ; le coût du grand carénage, c’est-à-dire de la maintenance lourde des centrales et, le cas échéant, de la prolongation de leur durée de vie ; le coût des travaux de sécurisation du parc réclamés par l’Agence de sûreté nucléaire.

M. le président François Brottes. Il sera peut-être nécessaire de réévaluer le coût de la prolongation de la durée de vie des centrales afin de tenir compte de « l’effet Baupin ».

M. Denis Baupin, rapporteur. Il s’agit moins d’un « effet Baupin » que d’un « effet transparence » !

M. Fabien Choné. Quoi qu’il en soit, nous sommes partis des données disponibles. Nous n’avons pas dû beaucoup nous tromper, puisque notre évaluation rejoint les chiffres avancés ici même par la DGEC : un prix moyen de 42,30 euros de 2011 par mégawattheure pour la période allant de 2011 à 2025, et de 46 euros de 2014 pour la période 2014-2025.

M. le président François Brottes. À lire vos résultats, on pourrait penser que ce prix permettrait de financer quatre fois le coût de prolongation de la durée de vie des centrales.

M. Fabien Choné. Ils sont exprimés en euros courants par mégawattheure.

Si nos estimations rejoignent celles de la DGEC, il n’en est pas de même pour la période postérieure à 2025. Cette année-là, le parc nucléaire aura un âge moyen de quarante ans. Dès lors, par prudence, le projet de décret prévoit de répercuter sur le prix de l’ARENH – et donc, in fine, sur le consommateur, via le tarif réglementé de vente ou les offres libres proposées par les opérateurs nouveaux entrants – la totalité des investissements effectués d’ici à 2025.

En imaginant que le dispositif de l’ARENH soit prolongé pendant dix ans, nous avons cherché à estimer son évolution à partir de 2026, à un moment où la totalité des charges d’investissement, de démantèlement et de sécurisation auront été payées. Nous avons toutefois pris pour hypothèse la nécessité de consacrer à nouveau 20 milliards d’euros de 2010 aux investissements de maintenance lourde. En effet, on évalue à 90 milliards d’euros la totalité des investissements nécessaires sur ce poste d’ici à 2048. Sur cette somme, 55 milliards seront payés pendant la période de régulation ; les 35 milliards restants seraient donc répartis à raison de 20 milliards entre 2026 et 2035, et de 15 milliards entre 2036 et 2048.

M. le président François Brottes. Vous avez donc anticipé l’effet « Baupin » !

M. Fabien Choné. Peut-être faudra-t-il encore prendre en compte d’autres paramètres. Quoi qu’il en soit, une prolongation de l’ARENH au-delà de 2026 se traduirait par un prix de l’ARENH très significativement inférieur entre 2026 et 2035, et donc par une chute du tarif réglementé de vente. Il est louable de faire preuve de prudence, mais la logique retenue par le projet de décret reviendrait à faire peser la plus grande partie des efforts sur les années 2014 à 2025. Une telle solution ne nous paraît pas très favorable aux consommateurs, dans la mesure où une partie non négligeable des investissements de maintenance lourde à effectuer pendant cette période sont destinés à prolonger la durée de vie des centrales nucléaires.

M. le président François Brottes. Vous proposez donc d’inclure le coût de la construction de l’EPR dans le calcul du prix de l’ARENH.

M. Fabien Choné. Non, d’autant que la loi ne le permet sans doute pas.

M. le président François Brottes. Elle peut être modifiée en ce sens. De fait, quand la nouvelle centrale sera construite, il faudra bien en tenir compte : il serait compliqué d’appliquer un autre prix à l’énergie produite par l’EPR. Inclure cet investissement dans le calcul de l’ARENH serait donc un moyen de lissage.

M. Fabien Choné. Nos simulations ne tiennent pas compte de l’EPR, qui ne concerne qu’un réacteur, contre cinquante-six réacteurs classiques.

M. le président François Brottes. Un seul réacteur, mais qui coûte cher.

M. Fabien Choné. Certes, mais ce coût est pondéré par celui de la production des autres réacteurs. Il est vrai qu’une fois en service, l’EPR produira de l’énergie nucléaire que l’on pourra qualifier d’historique. En tout cas, je le répète, nos simulations ne prennent pas en compte ce que l’on appelle le « nouveau nucléaire ».

Il ne paraît pas raisonnable de se montrer aussi prudent pendant la période de régulation, au risque de faire subir au consommateur une augmentation significative du tarif réglementé de vente. Une telle vision revient à faire payer tout de suite – et au plus mauvais moment, de surcroît – le coût d’investissements qui porteront leurs fruits au-delà de 2025.

Quant à l’autre hypothèse, qui ne verrait prolonger au-delà de cette date ni l’ARENH ni le tarif réglementé de vente, elle nous inquiète encore plus. Cela reviendrait, pour la collectivité, à faire un énorme cadeau à EDF en payant la totalité de sa maintenance et des investissements réalisés pour prolonger la durée de vie de ses centrales, tout en lui laissant l’entière liberté de fixer par la suite la tarification de l’énergie nucléaire correspondante.

M. le président François Brottes. Avez-vous saisi le régulateur de cette hypothèse de travail ?

M. Fabien Choné. Je ne le crois pas, mais nous avons répondu à la consultation de la DGEC.

Nous avons réfléchi à une proposition alternative au projet de la Direction générale, conciliant la volonté de faire preuve de prudence et la nécessité d’une répartition raisonnable des efforts au cours du temps.

Tout d’abord, s’agissant des actifs dédiés au démantèlement des installations nucléaires, il ne nous paraît pas légitime de faire payer pendant la période de régulation les quinze quarantièmes du total, alors qu’une grande partie de ces charges a déjà été couverte par le passé, ni de prévoir une rémunération de ces fonds à un taux de 8,4 %. Nous proposons donc, d’une part, que la méthode de calcul ne prenne en compte que les charges non déjà couvertes auparavant, et, d’autre part, que la répartition de la charge résiduelle soit actualisée au taux objectif de rendement des actifs dédiés, soit environ 5 %.

En ce qui concerne les investissements initiaux, le projet de décret envisage d’en faire payer la totalité pendant la période de régulation. Or une partie de ces investissements – entre 3 et 4 milliards d’euros – porte sur la période suivante. Nous estimons que cette part des investissements non amortis en 2025 ne doit pas être couverte par l’ARENH.

De même, s’agissant du grand carénage, une proportion non négligeable du coût total – lequel atteint 45 milliards d’euros – doit permettre la réalisation d’investissements qui serviront au-delà de la période de régulation. Ne disposant d’aucun chiffre permettant de justifier cette répartition, nous avons pris pour hypothèse de travail que ces investissements, qui devraient être payés après 2025, représentent 15 milliards d’euros.

En revanche, il est hors de question de toucher aux 10 milliards d’euros prévus pour les travaux de sécurisation du parc. Ces travaux doivent être réalisés de toute façon, que la durée de vie des centrales soit ou non prolongée.

Compte tenu de ces choix, nous aboutissons à un prix moyen de l’ARENH sur la période 2011-2025 de 37,90 euros de 2011 par mégawattheure. L’estimation de l’évolution de son prix en euros courants pendant la période de régulation montre que le prix actuel est suffisant pour couvrir l’ensemble des charges jusqu’en 2015.

Nous avons également estimé l’effet de notre proposition alternative sur l’évolution de l’ARENH pendant la période régulatoire et post-régulatoire, dans l’hypothèse où le mécanisme serait prolongé pour dix ans. Dans ce schéma, l’ARENH devrait couvrir après 2025 une partie des investissements initiaux, et la part consacrée à la maintenance lourde serait plus importante, dans la mesure où il faudrait financer les investissements non pris en compte pendant la période précédente. Le résultat est une évolution régulière du prix de l’ARENH au cours des vingt ans à venir : l’augmentation du tarif réglementé de vente ne dépasserait donc pas l’inflation. Au contraire, la prudence excessive manifestée par la DGEC dans son projet de décret reviendrait à faire payer par le consommateur, sur une durée très courte et à un moment où la situation économique est difficile, la plus grande partie des investissements nécessaires.

Vous l’aurez compris, notre proposition aurait pour effet d’éviter de rémunérer plus qu’il n’est nécessaire l’opérateur historique pendant la période de régulation. En effet, une tarification lui permettant de réaliser un bénéfice excessif serait contraire à la décision prise le 12 mai 2009 par la Commission européenne, qui a mis fin aux procédures intentées contre le TaRTAM et les tarifs réglementés. Par ailleurs, nous estimons qu’un tel choix aurait un impact très négatif pour le consommateur pendant la période de régulation, et par la suite, qu’il pourrait avoir un effet inquiétant sur la concurrence. C’est pourquoi nous demandons que le calcul du prix de l’ARENH pendant la période de régulation ne prenne en compte que les investissements qui porteront leurs fruits pendant cette période – même si nous ne savons pas quelle part exacte ils représentent dans le total.

Dans la mesure où le prix actuel de l’ARENH suffit à couvrir les coûts de production, nous proposons qu’il ne subisse aucune évolution avant la fin de l’année 2015. Il nous paraît, en effet, raisonnable d’en maintenir le niveau pendant la construction des tarifs réglementés par empilement des coûts, telle qu’elle est prévue par la loi NOME. En outre, il est nécessaire d’organiser au préalable la convergence des tarifs jaune et vert, qui doivent disparaître le 31 décembre 2015.

Tel est le message principal que nous souhaitons faire passer : l’importance de la production d’électricité nucléaire en France ne doit plus justifier implicitement que l’on fasse obstacle à l’ouverture du marché de la fourniture. Ce n’est pas dans l’intérêt du consommateur ni conforme à l’objectif de transition énergétique, alors que le déploiement de Linky doit nous conduire à proposer de nouvelles offres. C’est pourquoi nous demandons que le projet de décret soit modifié pour tenir compte de nos propositions.

M. le président François Brottes. Pour résumer, vous avez d’abord jugé que le tarif réglementé, trop bas, ne permettait pas le libre jeu de la concurrence, ce qui vous a conduit à engager une procédure contentieuse. Aujourd’hui, comme pour vous faire pardonner, vous estimez que l’on peut maîtriser le prix de l’électricité à condition d’étaler autrement les charges prises en compte pour le calcul de l’ARENH.

M. Fabien Choné. C’est tout à fait cela, même si notre but n’est pas de nous faire pardonner.

Deux choix sont possibles pour déterminer une politique tarifaire : couvrir les coûts ou ne pas les couvrir. Ne pas les couvrir peut avoir deux conséquences : soit on ne réalise pas les investissements nécessaires, ce qui, s’agissant d’un parc de production d’énergie nucléaire, nous ferait courir à la catastrophe ; soit on fait payer la différence par le contribuable. C’est ce qui est arrivé en Espagne, où le « déficit tarifaire » atteint 30 milliards d’euros, un montant tel que l’État a été obligé de le titriser sur les marchés financiers et d’en faire porter le poids sur le contribuable espagnol. Une telle solution ne peut pas être satisfaisante : faire payer par le contribuable une partie de la facture adressée au consommateur, c’est envoyer un mauvais signal économique.

M. le président François Brottes. C’est ce qui a failli nous arriver pour la contribution au service public de l’électricité (CSPE).

M. Fabien Choné. C’est même peut-être déjà arrivé, puisqu’EDF réclame 5 milliards d’euros d’arriérés correspondant aux charges de service public non compensées par la CSPE. Qui va payer ? Les consommateurs ou les contribuables ? Nous ne le savons pas. D’ailleurs, même si on fait appel aux consommateurs, ce sont ceux de demain qui rembourseront une dette du passé.

M. le président François Brottes. Cela peut se défendre, dans la mesure où il s’agit de financer le développement des énergies du futur. En tout état de cause, ce sont bien les consommateurs qui régleront l’ardoise, ne serait-ce que via les dividendes que l’État reçoit d’EDF.

M. Fabien Choné. C’est l’engagement qui a été pris, mais faute d’une modification du montant de la CSPE pour les années à venir, rien ne vient le confirmer aujourd’hui.

En Espagne, l’effort pèse sur le contribuable, ce qui perturbe la transmission d’un signal économique au consommateur et n’incite pas à réaliser des investissements en matière de rénovation thermique et d’efficacité énergétique. En outre, un tarif qui ne permet pas de couvrir les coûts a pour effet d’asphyxier la concurrence. C’est bien pourquoi nous avons été contraints, pour survivre, de nous défendre et d’engager une procédure contentieuse. Croyez-moi, cela ne nous amuse pas du tout.

En dehors de la part de 15 % sur les coûts de commercialisation que j’évoquais tout à l’heure, aucune des hausses de coût ayant un retentissement sur le tarif réglementé – qu’il s’agisse des réseaux, du parc de production nucléaire, des énergies renouvelables ou des autres moyens de production – n’a quoi que ce soit à voir avec le développement de la concurrence. Nous ne pouvons pas accepter que l’on fasse un tel lien. C’est, au contraire, quand on observe une hausse des coûts et des prix que l’on a intérêt à développer la concurrence, qui seule permettra la modération tarifaire – pour éviter toute ambiguïté, je parle bien de modération tarifaire et non de baisse des prix.

Nous préférerions de beaucoup nous développer dans un marché baissier, car la situation actuelle donne de la matière aux sophismes de nos contradicteurs. Néanmoins, dans un marché haussier, la concurrence ne peut que bénéficier aux consommateurs, à condition de la laisser jouer et de cesser d’invoquer, implicitement ou non, la spécificité nucléaire pour empêcher son développement dans l’activité de commercialisation. Non seulement la concurrence peut entraîner des gains – certes modestes – en termes de modération tarifaire, mais surtout elle peut permettre aux consommateurs de consommer moins et mieux, et d’absorber ainsi l’augmentation des prix.

M. le président François Brottes. J’imagine que vous avez réfléchi à la manière de faire accepter l’approche différente que vous proposez en matière de calcul du coût du nucléaire.

Dans ce domaine, toutes les décisions ne relèvent pas de l’opérateur historique ; le législateur, entre autres, a aussi son mot à dire, notamment en ce qui concerne la gestion des déchets ou le coût du démantèlement. Nous sommes ainsi régulièrement amenés à nous poser la question de savoir si les provisions qui sont constituées sont suffisantes ou non.

En suggérant d’étaler autrement les investissements, vous proposez une approche innovante, ce qui donne tout son intérêt à cette audition. Je suis plutôt d’accord avec votre souci d’éviter une augmentation excessive du tarif suivie d’une chute brutale. Mais qu’en est-il de la faisabilité technico-juridique de votre proposition ?

M. Fabien Choné. Le fait de considérer, pour l’établissement du prix de l’ARENH, les investissements visant à prolonger la durée de vie du parc nucléaire comme des OPEX, c’est-à-dire des charges opérationnelles, constitue déjà une forme d’inventivité économique et financière ouvrant la voie à de nombreuses hypothèses. Le problème réside dans la faisabilité financière : l’opérateur historique de production nucléaire a-t-il la capacité financière de réaliser tous ces investissements, sachant que sa dette est supposée ne pas augmenter ? Nous n’avons pas fait le calcul, mais tout laisse penser que c’est envisageable. Pour autant, je le répète, nous ne disposons d’aucune donnée permettant de déterminer quelle est la part respective des investissements en matière de maintenance lourde qui porteront leurs fruits avant et après 2025. La répartition que nous avons retenue – 30 milliards pendant la période de régulation, 15 milliards après – est une simple hypothèse de travail proposée à titre d’illustration.

M. le rapporteur. Vos simulations sont construites à partir d’une vision très continuiste, ce que je peux comprendre. Toutefois, comment prenez-vous en compte l’engagement du Président de la République, confirmé dans la déclaration de politique générale du nouveau Premier ministre, de réduire à 50 % la part du nucléaire dans la production d’électricité en 2025 ? Quel que soit le nombre exact de réacteurs devant être fermés pour l’atteindre – la DGEC l’a évalué à une vingtaine –, un tel objectif ne peut qu’entraîner une modification significative de vos prévisions. En effet, les coûts d’investissements liés à la prolongation de la durée de vie des centrales ne seraient pas les mêmes en cas de réduction du parc.

De même, vos simulations ne tiennent pas compte de l’EPR, et prennent donc pour hypothèse la prolongation de la durée de vie des réacteurs existants. Or l’Autorité de sûreté nucléaire a précisé qu’une prolongation au-delà de quarante ans impliquerait l’élaboration d’un référentiel de sûreté spécifique, comparable en exigence à celui qui s’applique à la troisième génération. On sait que les réacteurs n’auront pas tous la capacité d’y répondre, ne serait-ce que parce qu’une enceinte de confinement s’use avec le temps – en particulier la cuve du réacteur, sous l’effet du bombardement neuronique – et qu’elle ne peut être remplacée. Il existe donc des risques de fractures, comme on l’a vu en Belgique.

Dès lors, le coût de la mise à niveau, en termes de sûreté, des réacteurs pourrait se révéler suffisamment important pour compromettre leur compétitivité, au point de conduire l’opérateur à renoncer à prolonger leur durée de vie alors même qu’il aurait été autorisé à le faire par l’Autorité de sûreté. Tous ces paramètres sont de nature à modifier la donne et rendent difficile toute projection à long terme. Ne peuvent-ils pas bouleverser vos scénarios ?

Vous avez parlé, dans un premier temps, de compteurs intelligents, puis cité dans un deuxième temps le cas de Linky. Selon vous, Linky est-il un compteur intelligent ? D’aucuns préfèrent l’expression de « compteur communicant ». Cet outil vous semble-t-il constituer une réponse en termes de maîtrise de l’énergie ?

Enfin, étant, comme moi, membre du Conseil supérieur de l’énergie, vous avez participé aux débats sur les tarifs d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE). J’aimerais connaître votre avis sur l’utilisation des réseaux : qui doit payer pour leur entretien ? Il s’agit d’un des éléments clés de la transition énergétique, au sujet duquel vous avez d’ailleurs formulé des propositions à plusieurs reprises.

M. Fabien Choné. La part d’électricité produite par le nucléaire ne peut s’apprécier que par rapport au reste de la production. Nous jugeons pertinent de favoriser un transfert d’usage vers l’électricité – en particulier pour alimenter des véhicules –, dès lors que ce transfert permet le développement des énergies renouvelables. Il n’aurait évidemment pas de sens de développer les véhicules électriques si leurs batteries sont rechargées avec de l’électricité produite à partir de fioul. La France pourrait relever le défi de la stratégie bas carbone en recourant massivement aux énergies renouvelables, notamment électriques. Dans cette hypothèse, le maintien du parc nucléaire existant ne serait pas incompatible avec la règle des 50 %, du moins en termes de puissance installée.

M. le rapporteur. Cela impliquerait une augmentation d’environ 50 % de la consommation électrique d’ici à 2025 !

M. Fabien Choné. Je triche un peu, je le reconnais, en parlant non d’énergie, mais de puissance installée. Celle-ci atteint aujourd’hui à peu près 100 000 mégawatts, dont 63 % viennent de l’industrie nucléaire. En développant significativement la puissance des énergies renouvelables et en organisant des transferts d’usage, on peut parvenir à un seuil de 50 % tout en allant dans le sens de la transition énergétique. C’est moins vrai quand on raisonne en termes d’énergie : la part du nucléaire atteint alors 75, voire 78 %.

Vous m’avez demandé ce qui se passerait si les coûts de maintenance lourde des centrales s’avéraient finalement bien supérieurs à ce qui était prévu, au point de devoir envisager de fermer des installations plutôt que d’en prolonger la durée de vie. Je le reconnais, nos simulations ne tiennent pas compte de telles hypothèses, pour la simple raison que nous ne disposons d’aucun élément permettant de les modéliser. Nos projections sont fondées sur des hypothèses simples : nous avons prolongé – peut-être de façon abusive – au-delà de 2025 la courbe retraçant l’évolution du prix de l’ARENH, afin d’envisager ce qui pourrait se passer à long terme.

M. le rapporteur. La question n’est pas que purement théorique. Vous envisagez de reporter au-delà de 2025 la prise en compte par l’ARENH de certains coûts. Une réduction de la taille du parc serait de nature à modifier significativement vos propositions, quel que soit l’avis que l’on peut avoir sur leur contenu.

M. Fabien Choné. Le problème est que le projet de décret raisonne à partir d’un âge moyen du parc – comme si toutes les centrales avaient quarante ans en 2025. Selon cette vision, pour faire preuve de prudence, il faut que toutes les charges soient payées avant, comme si l’on envisageait que tout puisse s’arrêter à cette date. En outre, le projet considère comme charges opérationnelles des dépenses qui sont en fait des investissements susceptibles d’être amortis.

Il serait préférable de raisonner tranche par tranche, ce qui permettrait de lisser l’effet d’éventuelles modifications du parc. Si l’on doit arrêter le fonctionnement d’une tranche parce que sa sécurisation coûterait beaucoup plus cher que ce qu’elle est susceptible de rapporter, cela aurait évidemment une incidence sur l’évolution du prix de l’ARENH, mais pas un effet brutal. Or le projet de décret ne repose pas sur un tel raisonnement : il conduit à faire payer tous les investissements avant 2025, même ceux réalisés en 2024 pour les années 2026 et suivantes. Nous ne remettons pas en cause ce raisonnement, mais nous appelons à ne prendre en considération, pendant la période de régulation, que les investissements destinés à porter leurs fruits pendant cette même période. Dans le cas contraire, l’ARENH baissera de façon très importante après 2025, ce qui rendra disproportionnés les efforts réclamés avant cette date aux consommateurs. Non seulement cela ne permet pas de lisser l’effort, mais le risque est que la différence ne soit pas rétrocédée aux Français, faute d’un cadre suffisamment concurrentiel.

En ce qui concerne l’EPR, la loi NOME prévoit la possibilité, pour les nouveaux entrants, et même pour les industriels, de participer au développement du nucléaire nouveau, une disposition à laquelle nous sommes favorables. Nous serons attentifs aux conclusions du rapport sur le sujet que le Gouvernement doit remettre au Parlement avant 2015. En effet, il nous paraît difficile de négocier nous-mêmes avec EDF les modalités de cette participation ; celle-ci devra être organisée par la puissance publique.

Je ne sais pas si j’ai qualifié Linky de « compteur intelligent ». De fait, il n’est pas si intelligent que cela, et est essentiellement communiquant. Néanmoins, il reste, de notre point de vue, éminemment utile pour développer les nouvelles offres et les nouveaux services que j’ai évoqués tout à l’heure. En revanche, nous regrettons que les spécificités de ce compteur soient issues du cahier des charges rédigé en 2007 par la CRE, alors que, depuis, la loi NOME a créé le mécanisme de capacité et l’ARENH, deux dispositifs spécifiques à la France qui sont très intéressants.

M. le président François Brottes. L’effacement a été ajouté après.

M. Fabien Choné. L’effacement existait déjà en 2007, mais il est vrai que vous touchez là un point sensible.

Quoi qu’il en soit, les 30 millions de compteurs Linky qui vont être installés chez les consommateurs ne prévoient pas de mesurer les consommations qui donnent droit à l’ARENH ou au mécanisme de capacité. En conséquence, pour les 20 millions de consommateurs ayant souscrit des tarifs réglementés de base, la mesure des droits à l’ARENH et de l’obligation de capacité continuera à passer par un profilage agrégeant les comportements de ces consommateurs. En d’autres termes, on ne saura pas différencier un consommateur se chauffant avec des radiateurs électriques d’un autre, et on leur attribuera exactement les mêmes obligations de capacité, ce qui est regrettable. Il aurait été plus efficace que Linky enregistre spécifiquement les obligations de capacité, d’une part, et les droits à l’ARENH, d’autre part, de façon à ce que cette information puisse être utilisée par les fournisseurs – soit celui du client, soit un autre fournisseur désireux de proposer une offre à ce dernier – de manière à optimiser la consommation. Il est trop tard pour modifier les 3 millions de compteurs déjà installés, mais il est impératif que les autres puissent mesurer ces deux niveaux de consommation, même s’ils ne sont pas pris en compte par la tarification du fournisseur en titre.

S’agissant des réseaux, nous regrettons qu’en France, comme un peu partout en Europe, les charges liées à leur accès ne soient imputées qu’au consommateur. C’est une aberration économique : une nouvelle fois, on n’envoie pas les signaux-prix permettant d’optimiser le réseau. La rationalité voudrait que les charges de réseau pèsent sur ceux qui en sont à l’origine. Or les producteurs ne participent pas au financement de ces charges. Même les pertes par effet Joule ne sont pas prises en compte. Si elles l’étaient, et si l’effet des producteurs sur les charges de réseaux faisait l’objet d’une tarification, on pourrait optimiser le réseau.

M. le président François Brottes. Ne serait-ce pas une façon de remettre en cause la péréquation de la perte en ligne ?

M. Fabien Choné. Non, parce qu’il est toujours possible de conserver une péréquation tarifaire au niveau du timbre de soutirage. Aujourd’hui, tout est payé par le consommateur dans le cadre d’une péréquation. En conséquence, il n’est pas possible d’envoyer un signal-prix selon des critères géographiques. C’est normal : on ne peut pas inciter les Marseillais à s’installer à Lille sous prétexte que le coût de production de l’énergie y est moins élevé. En revanche, si un producteur préfère, faute de signal-prix correspondant à l’injection dans le réseau, démarrer la centrale située à Lille plutôt que celle de Marseille et transporter l’électricité à travers tout le territoire, avec toutes les pertes par effet Joule que cela implique, il va à l’encontre d’une optimisation du système électrique.

M. le président François Brottes. Les 2 milliards de pertes en ligne annuelles ont fait l’objet d’un long débat au sein de la commission Champsaur. Qui, du transporteur, du distributeur, du producteur ou du client, doit payer ? La question reste entière.

M. Fabien Choné. Elle a d’ailleurs un lien avec le thème de cette commission d’enquête. Le fait de ne pas facturer au producteur l’accès au réseau entraîne une distorsion entre le producteur d’énergie nucléaire, très centralisé, et les producteurs d’énergies renouvelables, très décentralisés. En pratique, le premier crée beaucoup plus de charges de réseaux que les seconds.

M. le président François Brottes. Si on ne tient pas compte de l’intermittence !

M. Fabien Choné. Le mécanisme de capacité, s’il fonctionne – ce dont on peut douter –, devrait répondre en partie au problème de l’intermittence.

La construction de la ligne électrique Cotentin-Maine, par exemple, sera payée par l’ensemble des consommateurs, y compris ceux dont l’offre comprend une énergie d’origine 100 % renouvelable. Le système actuel ne donne aucun moyen de comparer les coûts de réseau de la production nucléaire à ceux des productions d’énergies renouvelables décentralisées. On parle souvent de « parité réseau » à propos de ces dernières, mais l’expression nous paraît galvaudée. Une véritable parité imposerait, pour pouvoir comparer les coûts de production, d’imputer sur les producteurs les charges dont ils sont responsables, et notamment les charges de réseau.

M. le président François Brottes. Un tel raisonnement reste très théorique. Il serait valable s’il existait un réseau par type d’énergie, ce qui serait pour le moins compliqué.

M. Fabien Choné. La tarification nodale d’accès au réseau des producteurs existe dans d’autres pays, notamment les États-Unis, et permet d’optimiser le réseau.

M. le président François Brottes. Les États-Unis n’offrent pas le meilleur exemple en ce qui concerne le fonctionnement des réseaux d’électricité.

M. Fabien Choné. Ils ont pourtant, grâce à cette forme de tarification, divisé par deux ou trois les pertes par effet Joule sur le réseau.

M. le président François Brottes. En matière de continuité du service, ils sont moins bons que nous.

M. Fabien Choné. Je ne cherche pas à faire l’apologie du système adopté aux États-Unis : je ne parlais que de la tarification de l’accès au réseau des producteurs.

D’ailleurs, l’agence qui regroupe les régulateurs européens a publié, la semaine dernière, un avis sur le règlement de l’Union européenne prévoyant un encadrement de la tarification de l’accès au réseau par les producteurs : elle juge légitime la création de timbres d’injection pour financer les pertes, les services auxiliaires et le développement du réseau.

Je terminerai, monsieur le président, avec votre question sur la trêve hivernale. Je ne crois pas que les clients des membres de l’ANODE aient pu souffrir d’une forme quelconque de délaissement. Cette rumeur est infondée.

Cela étant, nous apprécions l’extension, par la loi Brottes, du champ des bénéficiaires des tarifs sociaux, car le phénomène de précarité énergétique tend à s’aggraver. Face à l’augmentation des coûts de production de l’énergie, et donc des prix, la bonne solution est de protéger ceux qui en ont vraiment besoin, et d’envoyer les bons signaux économiques à tous les autres.

M. le président François Brottes. Ce sera le mot de la fin. Je vous remercie.

L’audition s’achève à seize heures trente-cinq.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d'exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l'électricité nucléaire

Réunion du mercredi 30 avril 2014 à 15 h 30

Présents. - M. Denis Baupin, M. François Brottes, M. Jean-Louis Costes

Excusés. – Mme Sylvie Pichot, M. Stéphane Travert

NB : le document mis à la disposition de la commission est accessible en fin de version pdf.