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Commission d’enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d’exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l’électricité nucléaire, dans le périmètre du mix électrique français et européen, ainsi qu’aux conséquences de la fermeture et du démantèlement de réacteurs nucléaires, notamment de la centrale de Fessenheim

Mercredi 30 avril 2014

Séance de 17 heures 30

Compte rendu n° 58

Présidence de M. François Brottes Président

– Thème : Coût et commercialisation de l’électricité d’origine nucléaire

Audition de M. Philippe de Ladoucette, président de la CRE (Commission de régulation de l'énergie).

L’audition débute à dix-sept heures quarante-cinq.

M. le président François Brottes. Les tarifs de l’électricité ne cessent d’être contestés, les arrêtés tarifaires reconsidérés et même annulés. La nouvelle ministre chargée de l’énergie, qui a trouvé ce dossier sur son bureau à sa prise de fonctions, pense que le dispositif doit être revu. Monsieur le président de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), vous savez la difficulté de l’exercice. Pour connaître quelque peu ces sujets, je pense qu’il est difficile de reconsidérer les tarifs sans reconsidérer les coûts. Dans le rapport sur les coûts qu’elle a publié en juin dernier, la CRE exposait des certitudes mais faisait aussi partd’incertitudes. Le législateur sera sans doute amené à conduire un travail spécifique d’investigation tant cette affaire est parfois inextricable. Elle concerne au plus haut point notre commission d’enquête consacrée aux coûts du nucléaire – ses coûts propres mais aussi comparés à ceux des autres énergies.

Nous avons entendu cet après-midi le président d’Exeltium. Quel regard portez-vous sur les accords qui ont pu être passés entre EDF et ce consortium, qui regroupe des industriels électro-intensifs ? Nous avons également entendu le président de l’Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (ANODE). Celui-ci nous a exposé qu’il était possible, avec un étalement différent dans le temps, de faire baisser de manière significative le prix de l’ARENH (Accès régulé à l’électricité nucléaire historique). Il n’a toutefois pas su nous dire comment le faire sur des bases juridiques correctes. Que pensez-vous des propositions de l’ANODE ?

La régulation tarifaire évoluera nécessairement car, dans les années à venir, il n’y aura plus beaucoup de tarifs réglementés, du moins en théorie. La CRE n’observe pas passivement l’évolution des tarifs, elle peut interagir sur les questions relatives à l’effacement, au marché de capacité, à l’accès à l’électricité nucléaire historique. Autant de dispositifs, accessibles ou non à des compteurs intelligents – cela, c’est encore un autre sujet ! –, sur lesquels elle a son mot à dire. Pourriez-vous nous dresser un état des lieux, essentiellement pour ce qui concerne l’ARENH, sans oublier les coûts de transport et de distribution ? Qui les supporte ? Qui devrait les supporter ?

Chacun sait que les industriels allemands se débrouillent beaucoup mieux que leurs homologues français. Est-ce parce que le régulateur est de meilleure qualité outre-Rhin ? Un benchmarking montre qu’il existe en Allemagne une tolérance qui n’existe pas en France. Je ne ferai pas le procès de la CRE comme je fais parfois celui de l’ARCEP (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes). Nous n’en sommes pas encore à dénombrer trop de victimes dans le secteur de l’énergie, mais cela pourrait arriver.

Aujourd’hui, les consommateurs, industriels et domestiques, commencent à trouver la facture lourde. Jusqu’à présent, on nous assurait que nous avions la chance, en France, de payer notre électricité moins cher qu’ailleurs. Plus personne ne le croit.

Voilà, brossé à grands traits, de manière quelque peu caricaturale, je le concède et vous prie de m’en excuser, l’état de notre réflexion, centrée sur la question des coûts véritables. S’agissant, par exemple, du coût du grand carénage programmé par EDF, son évaluation varie du simple au double, voire plus. Quel est l’avis de la CRE sur le sujet ? Peut-être a-t-elle eu accès, en toute transparence, à des documents lui permettant de certifier les montants avancés par EDF. La Cour des comptes, pour sa part, se fonde sur ce qui lui est dit, sans nécessairement disposer des éléments de preuve. Vous indiquiez dans votre rapport de juin dernier, que j’ai lu avec grande attention, que de nombreux points restaient à expertiser. Le chantier est donc toujours ouvert.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je dois maintenant vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Philippe de Ladoucette prête serment).

M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie. De tous les sujets que votre commission d’enquête doit embrasser, seule une partie concerne la CRE. Je commencerai par celui du prix de l’électricité payé par les industriels français et de leur situation comparée à celle de leurs homologues allemands. Pour faire bénéficier les industriels allemands d’avantages spécifiques, l’autorité de régulation allemande peut s’appuyer sur un support législatif, lequel fait aujourd’hui défaut en France. Pour autant, comme nous ne sommes pas du tout insensibles à la situation de nos entreprises électro-intensives, nous avons décidé hier, je vous l’indique ici en avant-première, d’abaisser pour elles d’environ 50 % le TURPE (tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité) pour l’année à venir, sous certaines conditions de volume de consommation.

M. le président François Brottes. Ce n’est pas là une nouvelle anecdotique.

M. Philippe de Ladoucette. J’en suis tout à fait conscient. Toutefois, il s’agit d’une mesure « à un coup ». Pour la suite, si le Gouvernement ou le législateur estime nécessaire de soutenir la compétitivité des entreprises électro-intensives en France, une loi sera nécessaire, précisant les niveaux de consommation à partir desquels telle ou telle réduction pourra être accordée sur le TURPE. Sans faire du benchmarking avec l’Allemagne, nous avons souhaité faire un geste à l’égard de ces entreprises qui connaissent une situation difficile.

Vous avez mentionné l’envolée des tarifs de l’électricité depuis l’ouverture du marché. Il faut tout de même rappeler qu’en dépit des augmentations successives, certes sensibles pour le consommateur, de 2002 à 2014, l’évolution du prix de l’électricité reste inférieure de 3 % à l’inflation. Les augmentations tarifaires qui ont eu lieu ne sont pas aussi importantes qu’elles peuvent en donner l’impression. Pour le gaz, sur la même période, la hausse est de 40 % en euros constants.

Comment pourraient évoluer les coûts à l’avenir ? Il est important d’en avoir une idée puisque les tarifs doivent être fixés de façon à couvrir ces coûts. Dans notre rapport de juin dernier, pour la première fois, nous avions fait un tour d’horizon approfondi du sujet. Nous approfondissons encore certains sujets importants dans le rapport que nous préparons actuellement et que nous ne devrions, hélas ! pas pouvoir remettre avant que votre commission d’enquête n’ait terminé ses travaux, EDF, très sollicitée, notamment par la Cour des comptes et peut-être par vous-mêmes, ayant pris du retard pour nous communiquer les informations nécessaires. Cela ne nous empêchera pas de vous fournir de premiers éléments, non écrits et non encore définitifs, qui vous apporteront un éclairage complémentaire.

Pour des raisons conjoncturelles, l’année 2013 ayant été plus froide en moyenne que les années précédentes, le TURPE n’augmentera pas cette année, et même diminuera. Une année plus froide signifie, en effet, plus de consommation d’énergie, donc plus de recettes que prévu. La diminution, au 1er août, du TURPE aura une incidence positive sur l’ensemble des tarifs. Cela sera encore plus sensible lorsque les tarifs réglementés seront, comme la loi NOME (nouvelle organisation du marché de l’électricité) dispose qu’ils le sont au plus tard le 1er janvier 2016, construits par empilement du prix de l’ARENH, du complément de 20 % pris sur le marché de gros, du coût du marché de capacité, des coûts commerciaux, du TURPE et enfin, comme il est dit, « d’une rémunération normale » – sur ce dernier point, nous ne savons pas vraiment ce qu’a voulu dire le législateur.

M. le président François Brottes. Il vous a laissé le soin de déterminer cette « rémunération normale » !

M. Philippe de Ladoucette. Nous attendons d’être saisis du projet de décret, qui est à la consultation. Au passage, la proposition que vous a présentée cet après-midi le représentant de l’ANODE a été communiquée à la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC), mais pas à la CRE. Tant que nous ne connaissons pas le contenu exact du projet de décret, quelques arbitrages restant à rendre, nous pouvons difficilement dire quel sera le prix de l’ARENH au 1er janvier 2015. Dès le décret connu, nous rendrons un avis et calculerons ce prix, vraisemblablement fin septembre début octobre.

Un autre décret est nécessaire, déterminant comment se constituera véritablement l’empilement. Je ne sais pas s’il sera pris dans les semaines ou les mois qui viennent, mais c’est indispensable pour stabiliser la mécanique permettant de calculer les tarifs par empilement à partir de l’ARENH.

M. le président François Brottes. Cette nouvelle modalité de calcul est-elle très différente de ce qui se pratiquait avec la prise en compte des coûts ?

M. Philippe de Ladoucette. Oui. Il existe aujourd’hui une sorte de schizophrénie autour des tarifs réglementés. En même temps que l’on a conservé ces tarifs, on a confié à la CRE la responsabilité de déterminer le coût de l’acheminement – transport et distribution. La logique aurait voulu que ce coût soit obligatoirement répercuté sur le tarif et qu’on y ajoute les coûts de production. En fait, les gouvernements successifs ont toujours proposé à la CRE une évolution globale des tarifs bleu, jaune et vert sans distinction ni clé de répartition entre coûts de production et coûts d’acheminement. Une hausse de 2 %, par exemple, était censée couvrir l’augmentation des coûts d’acheminement mais elle ne couvrait en aucune manière celle des coûts de production. En revanche, lorsque les tarifs seront élaborés par empilement, on pourra identifier précisément ce qui correspond à chaque élément de l’édifice, à la base duquel il y aura le prix de l’ARENH. Ce qui peut faire une différence, c’est le complément de 20 %, qui est un sujet assez sensible.

M. le président François Brottes. Très sensible même !

M. Philippe de Ladoucette. Si nous avons bien compris l’intention du législateur dans la loi NOME, ces 20 % pouvaient être pris sur le marché. J’ai le sentiment que, à l’époque, le législateur n’a envisagé que le contexte d’un marché haussier. Or le marché n’est pas haussier. La question est de savoir si, dans un autre contexte, ce complément de 20 % permettrait toujours de couvrir les coûts comptables d’EDF, sur la base desquels les tarifs réglementés ont été fixés jusqu’à aujourd’hui.

M. le président François Brottes. Avec l’empilement, la référence n’est donc plus nécessairement les coûts comptables.

M. Philippe de Ladoucette. Tout à fait. Nous ne faisons qu’appliquer les textes. Il pourra y avoir une divergence entre les coûts comptables et les prix de marché.

M. le président François Brottes. Ne pourrait-on pas faire un parallèle avec le gaz ? Lorsqu’on a révisé les modalités de calcul des tarifs du gaz, on a donné plus de place aux prix du marché, qui étaient plus bas que ceux des contrats d’approvisionnement à long terme.

M. Philippe de Ladoucette. Ce n’est pas la même chose. L’indexation du prix du gaz sur celui du pétrole n’est pas une décision de l’entreprise, mais des fournisseurs avec lesquels elle doit négocier. Cela correspond donc bien à un coût réel, c’est ce que nous vérifions en ce moment. Il y aura probablement une évolution aussi en ce domaine.

Si le marché est baissier, cela ne pose pas de problème pour la contestabilité en concurrence. En revanche, si même avec le complément de 20 % pris sur le marché, les coûts n’étaient plus couverts et que les fournisseurs alternatifs, nouveaux entrants, ne pouvaient pas contester les tarifs, se poserait un problème de concurrence. Cette difficulté est, pour l’instant, théorique, mais elle pourrait se présenter un jour, sans compter le problème pour EDF de continuer à investir. On n’en est pas là aujourd’hui, mais ce problème risque d’advenir dans les mois ou les années à venir.

L’élaboration des tarifs par empilement ne signifie donc pas nécessairement leur envolée. Elle peut aussi être un élément de maîtrise de leur évolution.

M. le président François Brottes. Comment seront prises en compte les fluctuations des prix de marché, et avec quelle périodicité ?

M. Philippe de Ladoucette. Environ tous les ans.

M. le président François Brottes. Même si les prix fluctuent mensuellement ?

M. Philippe de Ladoucette. On prendra une moyenne annuelle, pas le prix de marché au jour le jour, afin de conférer une certaine stabilité.

M. Denis Baupin, rapporteur. Les avantages dont bénéficient les électro-intensifs allemands sont aujourd’hui attaqués par la Commission européenne. La diminution du TURPE pour les électro-intensifs français, que la CRE s’apprête à décider, comme vous venez de nous l’annoncer, est-elle tout à fait solide sur le plan juridique ?

Autre question importante au regard de la transition énergétique : prend-on ou non en compte les timbres d’injection dans le calcul du TURPE, de façon à inciter au rapprochement entre producteur et consommateur ? Vous paraît-il pertinent d’introduire ce critère dans le calcul du TURPE ? L’ANODE nous a indiqué que des résultats avaient pu être obtenus aux États-Unis par ce biais et des économies significatives ainsi réalisées.

La CRE attend le décret pour fixer le prix de l’ARENH. Lorsque nous vous avions auditionné au début de nos travaux, vous nous aviez indiqué que, vu la façon dont avait été fixé le prix de 42 euros par mégawattheure (MWh), on serait plutôt aujourd’hui à 10 % au-dessus, soit environ à 46 euros. Dans le même temps, EDF dit que ce devrait être 54 euros, et l’ANODE, 37 euros. Entre 37 et 54 euros, l’écart est de 50 %. Vu le volume de mégawattheures en jeu, l’écart peut finir par représenter une somme rondelette ! Pourriez-vous revenir sur ce point ?

La CRE a-t-elle été plus chanceuse que nous ? A-t-elle pu se faire une idée de ce que recouvrent les opérations de grand carénage? Nous n’avons eu, pour notre part, que des réponses générales de la part d’EDF, n’offrant pas une vision complète de la situation. L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) ne le sait pas non plus, ni les syndicats d’EDF, que nous avons auditionnés ce matin. Votre éclairage nous serait très utile, car ce programme d’investissements ne sera pas sans impact sur les coûts de l’électricité.

M. le président François Brottes. Quel est votre avis sur les conclusions du rapport commandé par Greenpeace au cabinet Wise ? Qui dit la vérité ?

M. le rapporteur. Le cabinet Wise a essayé d’évaluer ce que coûterait la prolongation de la durée de vie des réacteurs nucléaires en les portant au niveau de sûreté de la troisième génération, que l’ASN dit être l’objectif si leur durée de vie est prolongée.

M. Philippe de Ladoucette. Nous n’avons pas ce rapport.

M. le président François Brottes. Nous vous le transmettrons.

M. le rapporteur. Ma dernière question porte sur le marché de l’électricité. Pas une seule des personnalités que nous avons auditionnées jusqu’à présent n’a jugé qu’il fonctionne bien ni n’incite aux investissements vertueux. Le représentant d’EDF que nous entendions avant vous disait que, globalement, les seuls à pouvoir s’en sortir étaient ceux qui produisaient de l’électricité à partir du charbon, ce qui n’est quand même pas ce qu’il faut souhaiter vu les dérèglements climatiques déjà observés. Le groupe Magritte des patrons de l’énergie, constitué autour de GDF-Suez, fait lui aussi le constat que ce marché, dont les règles ont été conçues à une certaine époque, dysfonctionne aujourd’hui. Le consensus semble général. Quel est le sentiment de la CRE ? Ne serait-il pas temps de se doter d’outils de régulation du marché incitant à l’efficacité énergétique, au développement des énergies renouvelables et à la réduction des émissions de gaz à effet de serre au lieu, comme aujourd’hui, que le marché n’aille à l’encontre de tous les efforts faits en ces domaines ? Que proposeriez-vous en ce sens ?

M. Philippe de Ladoucette. Je l’ai dit, la décision que nous nous apprêtons à prendre concernant les électro-intensifs ne vaudra que pour cette année. Pour une parfaite sécurité juridique ultérieure, une loi sera nécessaire. Nous ne savons pas où en sont exactement les discussions entre l’Allemagne et la Commission européenne sur l’exonération du paiement de l’acheminement pour certaines entreprises – nous savons seulement où elles en sont pour ce qui concerne l’équivalent de notre CSPE (contribution au service public de l’électricité). Certains éléments laissent penser que la Commission pourrait accepter le principe d’une exonération. Si tel était le cas, je ne vois alors pas pourquoi nous ne pourrions pas, si le Gouvernement et le législateur le souhaitaient, mettre en place un dispositif équivalent en France. Mais un support législatif est indispensable. Le régulateur ne peut pas prendre seul une telle décision à long terme.

Pour ce qui est du timbre d’injection, sujet récurrent, le principal objectif est de donner un signal de localisation aux producteurs. Nous en avons beaucoup discuté lors de la définition du TURPE 4. S’agissant de la distribution, nous avons décidé d’attendre un retour d’expérience des schémas régionaux de raccordement au réseau des énergies renouvelables (S3REnR) afin d’éviter de donner des doubles signaux. Pour ce qui concerne le transport, nous estimons que le sujet doit être discuté au niveau européen, car cela pourrait avoir un effet contre-productif sur les interconnexions. Là aussi, comme sur le marché de capacité, nous estimons nécessaire une approche européenne. Nous serons certainement amenés à reparler de tous ces sujets lors de la fixation du TURPE 5.

Le marché de l’électricité ne fonctionne pas, dites-vous. Comment s’en étonner ? Les gouvernements nationaux et la Commission européenne ont mis en place, d’un côté, un marché intérieur de l’énergie qui fonctionne à peu près, et, d’un autre côté, une politique climatique, sans jamais s’interroger sur la coordination des deux. Lorsque la direction Climat de la Commission a présenté ses orientations aux autorités de régulation, elle a jugé ennuyeux de les engager alors que le marché ne fonctionnait pas encore très bien. Les deux directions, Climat et Énergie, de la Commission ont avancé parallèlement, chacune de son côté promouvant un système qui n’était pas véritablement coordonné avec l’autre : d’un côté, on mettait en place un marché, d’un autre côté, on incitait au développement des énergies renouvelables par le biais de subventions. Or, sans coordination, un système de marché et un système subventionné ne peuvent pas cohabiter sans aboutir à des dysfonctionnements. Et ce qui devait arriver est arrivé : le marché s’est bloqué et de mauvais signaux ont été adressés. Je ne porte pas de jugement de valeur, je ne dis pas que l’un est mieux que l’autre. Je déplore simplement un manque de coordination. Du fait de cette incohérence, plusieurs centrales à gaz ont, par exemple, été fermées parce qu’elles n’étaient plus rentables. À qui la faute ? Sans doute à un manque de vision globale de la part de la Commission européenne et des gouvernements nationaux qui n’ont pas perçu qu’en promouvant les deux ensemble, cela poserait un problème.

Le marché intérieur de l’énergie fonctionne. Le commissaire européen à l’énergie avait souhaité qu’il soit achevé en 2014 par le biais de l’interconnexion des réseaux. C’est en train de se faire, et tout sera bouclé, avec un peu de retard, en 2015, non que l’on ait réalisé assez d’interconnexions, mais parce qu’ont été créés tous les codes de réseau nécessaires, aussi bien pour le gaz que pour l’électricité, à tous les niveaux. D’ici à un an, toute la structure nécessaire à l’existence d’un véritable marché sera en place. Mais il faut, par ailleurs, que les décideurs politiques au niveau européen clarifient leurs positions et sachent ce qu’ils veulent vraiment. Ce n’est pas un problème de marché, mais de décision politique.

M. le président François Brottes. Je dénonce depuis longtemps ce manque de cohérence. Lorsque nous transposons les directives, nous transposons surtout ce qui a trait à la concurrence et à l’organisation du marché, assez peu le reste pour lequel on se contente de déclarations d’intention, donc non normatives. On n’analyse pas assez non plus l’impact d’un côté de ce qu’on exige de l’autre côté. La Commission européenne  marche certes « à côté de ses pompes », mais les parlements nationaux, eux non plus, ne font pas d’effort de mise en cohérence. La réflexion demeure cloisonnée. Or, plus on avance, plus la logique de l’un s’éloigne de celle de l’autre.

Je vous remercie, monsieur le président de la CRE, de confirmer ce que je dis moi-même depuis longtemps. Que préconiseriez-vous pour que, au moins à l’échelle nationale, nous puissions rendre le tout plus cohérent ? Les contradictions sont devenues telles que les dysfonctionnements qui en découlent atteignent des proportions non négligeables, qu’il s’agisse de la fermeture de centrales thermiques à gaz ou des pertes d’énergie fatale. Le prix presque nul du quota de carbone fait qu’on ne peut rien réguler sur ce terrain-là, et les événements suivent leur cours sans qu’on ait prise sur eux. Nous serions vraiment preneurs de préconisations utiles sur le plan juridique.

M. Philippe de Ladoucette. Je reviens à la question du rapporteur sur l’ARENH. Lors de ma première audition par votre commission, j’avais dit que si l’on appliquait aujourd’hui la même méthode que celle que nous avions proposée dans le cadre de notre avis de 2011, le prix de l’ARENH serait supérieur d’environ 10 % à ce qu’il est. Mais d’après ce que l’on sait du décret en préparation, certaines modalités de calcul seraient revues. Quand j’évoquais 10 % de plus, c’était toutes choses égales par ailleurs. Attendons les derniers arbitrages et le texte définitif. Tout sera-t-il verrouillé ou la CRE disposera-t-elle de quelques marges de manœuvre sur certaines options ? Nous ne savons pas, par exemple, à quel rythme, plus ou moins rapide, les investissements seront pris en compte. Cela sera-t-il défini dans le décret ou laissé pour une part à notre appréciation ?

Pour ce qui est du grand carénage, j’avais cru comprendre qu’EDF n’utilisait plus cette dénomination.

M. le président François Brottes. Nous pouvons vous confirmer qu’elle est encore employée.

M. Philippe de Ladoucette. Je suis quelque peu embarrassé pour vous répondre. Nous n’y verrons clair que lorsque nous aurons terminé notre rapport. Cela ne nous empêchera pas de vous communiquer des éléments auparavant.

M. le président François Brottes. Je craignais que vous ne disiez que vous n’y verriez clair que lorsque le grand carénage serait terminé !

M. Philippe de Ladoucette. Notre rapport ira plus vite que le grand carénage. Cela dit, vous n’avez pas complètement tort, monsieur le président, comme toute prévision, elle comporte des incertitudes. Nous attendons encore certains éléments de la part d’EDF.

M. le président François Brottes. Même si votre rapport n’est pas achevé, merci de nous communiquer tous les éléments que vous aurez à votre disposition, car nous sommes, nous, tenus de remettre le nôtre dans un délai fixé par la Constitution et que nous ne pouvons allonger.

Monsieur le président, nous vous remercions.

L’audition s’achève à dix-huit heures vingt-cinq.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d'exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l'électricité nucléaire

Réunion du mercredi 30 avril 2014 à 17 h 30

Présents. - M. Denis Baupin, M. François Brottes, M. Jean-Louis Costes

Excusés. – Mme Sylvie Pichot, M. Stéphane Travert