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Commission d’enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d’exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l’électricité nucléaire, dans le périmètre du mix électrique français et européen, ainsi qu’aux conséquences de la fermeture et du démantèlement de réacteurs nucléaires, notamment de la centrale de Fessenheim

Mercredi 7 mai 2014

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 61

Présidence de M. François Brottes Président

– Thème : Projet de stockage Cigéo

Audition de Mme Marie-Claude Dupuis, directrice générale, et M. Thibaud Labalette, directeur des programmes (ANDRA).

L’audition débute à dix heures trente.

M. le président François Brottes. On peut dire que cette audition de l’ANDRA, représentée aujourd’hui par Mme Marie-Claude Dupuis, directrice générale, et M. Thibaud Labalette, directeur des programmes, était très attendue. Elle est d’autant plus d’actualité que l’Agence a adopté hier les suites à donner au débat public sur le projet de centre industriel de stockage géologique (Cigéo). Nous venons d’ailleurs d’entendre le responsable de la commission nationale chargée d’organiser ce débat. Ce dernier, qui adopte une stricte neutralité et s’interdit d’avoir un point de vue sur le sujet concerné – ce qui est bien pratique, reconnaissons-le –, a dit de l’ANDRA, pour simplifier, qu’elle informait beaucoup mais pratiquait peu la concertation.

Notre commission d’enquête est sur le point d’achever ses travaux, et elle consacre logiquement ses dernières auditions à la question du traitement des déchets, après avoir examiné tout le cycle de production.

Est-ce le fruit du débat lui-même, qui s’est tenu dans les conditions que l’on sait, ou le résultat d’une réflexion mûrie de la part des experts que vous êtes ? Le conseil d’administration de l’ANDRA a décidé de faire évoluer sur quatre points le projet de centre de stockage en profondeur qui avait été soumis au débat public.

La première évolution est l’intégration d’une phase pilote au démarrage de l’installation. Vous devrez toutefois nous préciser s’il s’agit d’une installation pilote destinée à être abandonnée au moment de l’exploitation industrielle ou plutôt une première tranche du projet Cigéo.

Deuxième évolution, l’exploitation devra être pilotée selon un plan directeur régulièrement révisé. Il semble logique, en effet, de ne pas s’enfermer dans un schéma rigide.

La troisième proposition de l’Agence porte sur le desserrement du calendrier par le découpage du processus de demande d’autorisation de création. On a, en effet, le sentiment – mais peut-être le rapporteur me contredira-t-il sur ce point – qu’il est possible de recourir pendant encore plusieurs dizaines d’années au stockage en subsurface. La pression est donc moins forte et nous disposons de plus de temps pour trouver une solution alternative, que l’on soit ou non favorable au stockage en profondeur. C’est d’autant plus vrai que, s’agissant d’une opération aussi importante, on finit par multiplier les malentendus en voulant précipiter l’allure.

Enfin, la quatrième évolution tend à améliorer l’implication de la société civile dans le dossier. C’est une des interrogations nées du débat public : une telle implication peut-elle s’inscrire dans la durée, à l’instar de l’action menée par les commissions locales d’information (CLI) ?

L’histoire dira si ces aménagements auront permis d’ouvrir la voie à la création d’un site de stockage géologique profond, dont je rappelle qu’il s’agit de la solution de référence retenue par la législation pour la gestion de déchets de haute et moyenne activité à vie longue, en France comme dans de nombreux autres pays. Le Parlement a souhaité que les colis de déchets soient récupérables, dans l’hypothèse où l’on parviendrait à développer une technologie permettant d’en neutraliser la radioactivité. À cet égard, le débat entre récupérabilité et réversibilité n’est pas seulement de nature sémantique, puisqu’il a une incidence sur les coûts.

En tout état de cause, on peut saluer la volonté de l’ANDRA de mieux impliquer le public dans la gouvernance de ce projet. Ce n’est pas facile, compte tenu de la virulence de certains propos, et force est de reconnaître qu’il existe des postes moins exposés que le vôtre, madame Dupuis. Rassurez-vous, nous nous efforcerons, pour notre part, de rester courtois pendant cette audition. La matière est telle que le choix ne doit pas être laissé à la seule appréciation des technostructures, mais doit être effectué à l’issue d’un débat à la fois large et serein. Une chose est sûre : que l’on soit pour ou contre la filière nucléaire, les déchets sont là, et il faut bien en faire quelque chose. Pour cette raison, je pensais que la question du traitement des déchets nucléaires était de celles qui susciteraient le moins de passion. De toute évidence, j’étais bien naïf.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vais maintenant vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Marie-Claude Dupuis et M. Thibaud Labalette prêtent successivement serment.)

Mme Marie-Claude Dupuis, directrice générale de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA). Avant de répondre à vos questions, permettez-moi de rappeler le contexte dans lequel nous travaillons. L’action de l’ANDRA s’inscrit dans un cadre législatif très précis. Elle a pour mission d’assumer le produit de cinquante ans d’industrie nucléaire française, c’est-à-dire plus de 3 000 mètres cubes de déchets de haute activité et plus de 40 000 mètres cubes de déchets de moyenne activité à vie longue. Ils sont certes entreposés en lieu sûr, mais de façon temporaire. Compte tenu de leur durée de vie et de leur dangerosité, il est nécessaire de trouver une solution de long terme.

Le Parlement s’est emparé du sujet à partir de 1991, avec le vote de la loi relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs. En 2006, il a adopté une nouvelle loi qui assignait à l’ANDRA l’objectif de poursuivre les travaux sur le projet de stockage géologique, et notamment sur l’implantation et la conception des installations. Deux échéances ont été fixées à cette occasion : la présentation en 2015 d’une demande d’autorisation de création et, si celle-ci est délivrée, la mise en service à l’horizon 2025, après qu’ait été adoptée une loi sur les conditions de réversibilité du stockage. Le centre de stockage, le fameux projet Cigéo, serait installé à la limite des départements de la Meuse et de la Haute-Marne. Je dirai deux mots de son état d’avancement technique.

En 2012, nous avons achevé la première étape de la phase de conception industrielle – l’esquisse industrielle – en nous appuyant sur des maîtres d’œuvre externes : les plus grandes sociétés françaises d’ingénierie participent à ce projet, qui exige des compétences en matière de travaux souterrains et de nucléaire. C’est d’ailleurs ce qui fait de Cigéo un projet industriel atypique, y compris en termes de maîtrise des risques et de sûreté.

L’esquisse industrielle a été triplement évaluée en 2013, pendant le déroulement du débat public : par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et son appui technique, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) ; par la Commission nationale d’évaluation relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs (CNE2), instituée par le Parlement et qui réunit de nombreux académiciens ; par une revue d’experts industriels.

M. le président François Brottes. Des experts français ?

Mme Marie-Claude Dupuis. Beaucoup étaient étrangers – des Suisses, des Belges, un Allemand –, et tous de réputation internationale. Je précise que les décisions prises lundi par le conseil d’administration de l’ANDRA donnent suite non seulement au débat public, dont les conclusions ont en effet nourri notre réflexion, mais aussi aux avis exprimés en 2013 par ces évaluateurs institutionnels, auxquels on peut ajouter l’Autorité environnementale, qui a précisé ses attentes en matière d’étude d’impact, ainsi que le Haut comité à la transparence et à l’information sur la sécurité nucléaire (HCTISN), dont les recommandations concernent l’inventaire et le sort des combustibles usés dans le cas où ces derniers deviendraient des déchets.

Le centre de stockage aura plusieurs composantes. Les installations nucléaires de surface permettront d’accueillir les déchets radioactifs, de les contrôler, de les extraire de leur conteneur de transport et de les placer dans les colis de stockage. Ces derniers seront ensuite transportés dans une hotte blindée au travers de puits inclinés appelés descenderies, puis glissés par des robots dans des alvéoles creusées dans l’argile à 500 mètres de profondeur, et recouvertes soit d’acier, soit de béton. En surface, une deuxième zone servira de support aux travaux souterrains, et sera reliée à l’installation souterraine par des puits verticaux.

Ce projet industriel ferait travailler sur place 1 300 à 2 000 personnes pendant la construction, et de 600 à 1 000 personnes en phase d’exploitation, sans parler des emplois indirects.

À la suite du débat public et des avis exprimés par diverses autorités, le conseil d’administration de l’ANDRA a décidé d’adapter son projet en lui apportant quatre modifications qui lui paraissent importantes.

En ce qui concerne la phase industrielle pilote, vivement souhaitée par le public, mais aussi par l’ASN et l’IRSN, il s’agit moins d’un pilote à proprement parler que d’une étape prévue au démarrage de l’installation. Ceux qui suivent attentivement le dossier savent cependant que l’ANDRA avait déjà proposé, au cours du débat public, une montée en puissance progressive du centre de stockage, tranche par tranche, au fur et à mesure des besoins, et prévu d’effectuer des essais dans la première tranche.

Le débat public ayant révélé une demande très forte en faveur d’un passage plus progressif du laboratoire au stockage en vraie grandeur, nous avons été conduits à redimensionner cette première tranche en une vraie phase industrielle pilote. Cela entraîne deux changements importants : nous allons renforcer le programme d’essais et surtout le soumettre à une concertation. En effet, cette phase industrielle pilote sera la première pierre du plan directeur d’exploitation du stockage sur cent ans.

Outre cet aspect technique, cette phase comprend une partie politique : non seulement une concertation sera organisée, mais il reviendra au Gouvernement et au Parlement de définir les modalités de passage de la phase industrielle pilote à la phase d’exploitation courante.

Pour autant, je le répète, il ne s’agit pas d’un pilote puisque, depuis 1991, la France a dépensé, 1,5 milliard d’euros en études et recherches et pour construire le laboratoire souterrain de test. En outre, dès lors que l’on veut tester en vraie grandeur et en conditions réelles le stockage de déchets radioactifs, une installation nucléaire de base (INB), dont la création est soumise à autorisation, est nécessaire pour permettre l’accueil des colis de déchets quel qu’en soit le nombre, avec toutes les conditions de sécurité qu’un tel projet exige : double descenderie, double puits pour assurer la ventilation du chantier, et autres.

En revanche, l’investissement pour cette première phase industrielle pilote sera dimensionné au strict nécessaire pour réaliser les tests envisagés. Dans un premier temps, les essais concerneront des colis factices, sans radioactivité. Puis nous testerons le fonctionnement de l’installation en stockant des colis de déchets radioactifs représentatifs de l’ensemble de l’inventaire sur cent ans : des déchets de haute activité et de moyenne activité à vie longue. Ces derniers seraient stockés dans quatre alvéoles sur la cinquantaine prévue. Enfin, un troisième temps serait consacré à tester, de manière très progressive et en concertation avec les parties prenantes, la capacité de l’installation à atteindre les cadences industrielles prévues, c’est-à-dire 3 000 colis primaires par an.

À la fin de l’exploitation industrielle pilote, l’ANDRA remettra un rapport à l’État détaillant les résultats de cette expérience en vraie grandeur.

La deuxième évolution importante est l’adoption d’un plan directeur pour l’exploitation du stockage. Rappelons que la durée de vie de l’exploitation de Cigéo est d’une centaine d’années. Depuis le début, l’Agence est convaincue que les connaissances accumulées au cours des premières années d’exploitation ainsi que celles acquises grâce aux études et recherches, notamment sur les colis de déchets ou sur les alvéoles, vont conduire à une évolution dans la conception du projet. Le plan directeur d’exploitation est donc destiné à prévoir le déroulement du stockage sur la totalité de sa durée de vie, l’ampleur des flux de déchets et le planning prévisionnel de scellement des alvéoles et des ouvrages, la fermeture définitive n’intervenant qu’au bout de cent ans et après autorisation du Parlement.

Ce plan permettra également de définir les conditions dans lesquelles le centre pourra être adapté dans l’hypothèse, par exemple, où les combustibles usés deviendraient, pour des raisons de politique énergétique, des déchets nucléaires. Cigéo est, en effet, conçu pour les déchets d’aujourd’hui, mais il doit pouvoir faire preuve de la flexibilité que nécessiteront ceux de l’avenir. C’est pourquoi nous allons poursuivre les recherches sur le stockage des combustibles ou des MOX usés, bien que celui-ci ne soit pas prévu à l’heure actuelle.

J’en viens au calendrier, peut-être le problème le plus délicat à traiter pour le conseil d’administration de l’Agence. En effet, l’ANDRA s’efforce de respecter la loi, ce qui est la moindre des choses pour un établissement public. La loi de programme votée en 2006 a posé en son article 3 deux jalons, 2015 et 2025, et imposé en même temps le débat public dont les conclusions devaient être prises en compte. En 2006 également, le Parlement a voté une loi relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, dont le décret d’application a été pris en 2007. Cette loi a fait évoluer la réglementation sur l’autorisation des installations nucléaires de base. Dorénavant, le niveau de détail exigé par l’ASN pour de telles demandes d’autorisation est beaucoup plus fin qu’il ne l’était avant 2006, si bien que la demande d’autorisation pour Cigéo ne pourra être finalisée par l’ANDRA qu’en 2017.

Nous proposons donc de remettre, dès 2015, un dossier préliminaire comprenant les trois pièces essentielles de la demande : le projet de plan directeur d’exploitation, le dossier d’orientation de sûreté qui permettra à l’ASN de vérifier que nous sommes proches de la démonstration complète attendue, et un dossier d’options techniques de récupérabilité détaillant les moyens par lesquels l’Agence s’engage à assurer la possibilité de récupérer les colis de déchets pendant cent ans. Et ce n’est qu’en 2017, sur la base des avis et du résultat des études, que nous finaliserons la demande d’autorisation de création.

À plus long terme, un éventuel aménagement du calendrier dépendrait de conditions dont la maîtrise nous échappe : le vote d’une loi sur les conditions de réversibilité, sans lequel le stockage ne saurait être autorisé ; l’autorisation de création du centre ; mais aussi toutes les autorisations administratives nécessaires pour construire les routes, assurer l’alimentation en eau et en électricité, et apporter tous les aménagements adéquats.

Enfin, la quatrième évolution importante concerne l’implication de la société civile dans le projet. Sur ce point, je me permettrai de répondre aux propos du président de la CNDP.

M. le président François Brottes. Je les ai un peu raccourcis. Grosso modo, il nous a dit que vous étiez très forts en communication, mais que cela n’était que de la communication.

M. Denis Baupin, rapporteur. C’est du moins ce que beaucoup de gens pensent, selon lui.

Mme Marie-Claude Dupuis. Encore faut-il savoir qui sont ces gens. L’ANDRA n’agit pas toujours en fanfare, et nombreux sont ceux qui peuvent attester qu’elle a mené une concertation aussitôt après le vote de la loi de 2006, qui lui assignait pour premier objectif de trouver un site d’implantation pour Cigéo.

Jusqu’alors, la région située aux limites de la Meuse et de la Haute-Marne n’avait été sélectionnée que dans un but de recherche, afin d’y construire un laboratoire souterrain destiné à effectuer des essais et à travailler sur la démonstration scientifique de la sûreté à long terme d’un stockage géologique des déchets. Mais le 28 juin 2006, jour où le Parlement a voté la loi, les objectifs assignés à l’ANDRA ont changé complètement de nature : elle devait dorénavant travailler sur un projet industriel, proposer un site précis d’implantation et préparer une demande d’autorisation.

Dès lors, nous avons entrepris un travail énorme sur le terrain, rendant visite aux acteurs locaux – élus, entreprises, associations, institutions…

M. le président François Brottes. À l’époque, trois ou quatre sites étaient envisagés, dont l’un situé en Corrèze.

Mme Marie-Claude Dupuis. Cela, c’était avant le choix du site pour le laboratoire souterrain. Une fois ce choix effectué, l’engagement avait été pris de ne jamais y placer de déchets radioactifs ; il était donc exclu de transformer le laboratoire en centre de stockage. Néanmoins, pour des raisons de sûreté à long terme, il fallait rester dans la couche d’argile, qui présente d’excellentes qualités de confinement. Une zone de 250 kilomètres carrés a donc été identifiée en Meuse pour accueillir en profondeur des déchets radioactifs. Or un projet industriel aussi ambitieux ne comprend pas que des implantations souterraines : il a fallu sélectionner également une zone en surface, dans un milieu rural comprenant des terres cultivées et des forêts. La concertation a alors été engagée pour trouver le lieu où l’on dérangerait le moins, celui qui permettrait d’accéder à la couche argileuse tout en préservant la qualité de vie et les activités en surface. Nous avons accompli un important travail de terrain – dont beaucoup se souviendront – avant de proposer une implantation.

Il est vrai que ce travail a surtout concerné les élus locaux ; les propos du président de la CNDP faisaient donc peut-être référence à la société civile. C’est oublier que le Parlement avait confié au Comité local d’information et de suivi (CLIS) dédié à Cigéo un rôle important d’information et de concertation. Et il a accompli un gros travail en ce domaine. Bien entendu, cela n’a pas empêché l’ANDRA de mener ses propres actions de concertation. Avant même l’organisation du débat public, mes équipes avaient affrété un minibus afin de présenter, avec l’accord des maires, le projet Cigéo dans toutes les communes concernées. Souvent, cette présentation avait lieu le jour du marché. Or, en dehors du maire venu nous remercier de notre venue et de quelques personnes intéressées, nous n’avons eu que très peu de visiteurs. Nos échanges avec le CLIS de Bure révèlent d’ailleurs qu’il rencontre les mêmes difficultés.

Avant de recourir à ce minibus, nous avions organisé des réunions d’information et d’échanges dans toutes les communes de la zone Meuse-Haute-Marne : elles n’ont attiré au plus qu’une dizaine de personnes. Même en allant au-devant du public, il s’est avéré extrêmement difficile de l’intéresser.

En revanche, les journées « portes ouvertes » organisées au laboratoire de Bure sont un succès. Ces visites sont l’occasion d’un véritable échange avec les populations.

On ne peut donc pas affirmer que l’ANDRA ne fait que communiquer. Elle ne se contente pas de confectionner des dossiers de presse, mais réalise un travail considérable sur le terrain. Nous écoutons beaucoup, et le produit de cette écoute, au-delà même du bilan du débat public, est ce qui nourrit notre projet au quotidien.

J’en viens à la question de la réversibilité qui, selon moi, aurait pu constituer le cœur du débat public. Nos propositions sur ce sujet n’ont pas toujours été comprises, les quiproquos sur les notions de réversibilité et de récupérabilité contribuant à la confusion. C’est pourquoi le conseil d’administration s’est attaché à reformuler les choses dans sa décision.

Notre analyse est que la réversibilité comprend deux dimensions.

La première, qui répond à une demande forte, est d’ordre technique. Elle consiste à prévoir la possibilité, pour les générations futures, de retirer les colis de déchets. De fait, l’ANDRA s’engage à dimensionner les installations Cigéo de façon à permettre ce retrait pendant cent ans, avec des épaisseurs d’acier et de béton suffisantes, des robots capables de fonctionner dans les deux sens, etc.

La seconde composante est plus politique. Selon nous, la réversibilité se définit comme la capacité à offrir à la génération suivante un choix : soit opter pour le stockage en scellant les alvéoles, soit retirer les déchets. Cigéo permet ce choix, notamment parce que notre projet est flexible et sa mise en place très progressive.

En attendant le vote d’une loi sur les conditions de réversibilité, nous avons donc tenté de traduire cette notion avec nos propres mots et d’élaborer des propositions sur ce sujet.

Avant tout, le projet Cigéo intégrera, dès sa conception, la possibilité de récupérer les colis de déchets pendant les cent ans que durera la période d’exploitation, garantissant aux générations futures la possibilité de faire un choix.

Au-delà de la réversibilité ou de la récupérabilité, le vrai choix porte sur la fermeture plus ou moins progressive des alvéoles et des ouvrages de stockage. Afin de rassurer tout le monde, je me dois de préciser qu’aucune alvéole ne sera scellée pendant la phase industrielle pilote. Cela ne signifie pas, bien entendu, qu’elles resteront ouvertes à tous les vents. Les alvéoles pour les déchets de moyenne activité à vie longue, qui prendront la forme de tunnels de 400 mètres de longueur et de 9 mètres de diamètre, seront closes par des portes blindées pouvant être rouvertes. Pour assurer la sûreté à long terme – un million d’années –, le scellement définitif sera obtenu par des ouvrages en béton de 30 à 40 mètres associés à de la bentonite.

Pour résumer, pendant la phase industrielle pilote, les alvéoles seront fermées par des portes blindées pouvant être ouvertes : la réversibilité sera assurée à 100 %. Et l’ANDRA s’engage à n’envisager un calendrier de fermeture qu’à l’issue de cette phase. Même à ce moment, nous disposerons encore d’un choix et de temps pour le faire.

L’Autorité environnementale nous a invités à travailler, pendant la phase industrielle pilote, sur trois scénarios d’exploitation et de fermeture du stockage. Les évaluateurs – ASN, IRSN, CNE2 – préconisent d’effectuer le scellement le plus tôt possible, afin d’assurer la sûreté passive, tandis que la société civile tend à vouloir le plus possible retarder ce moment, afin de laisser les choix ouverts. Nous allons approfondir ces deux scénarios, ainsi qu’un troisième, intermédiaire, qui consisterait à fermer les alvéoles par quartiers compte tenu de la nécessité de les surveiller.

Tout cela sera inscrit dans le plan directeur, qui identifiera les points de décision. L’ANDRA, en effet, n’a pas l’intention d’exploiter le centre en cachette : elle présentera en 2015 les différents scénarios d’exploitation possible, puis le point sera fait après la phase industrielle pilote.

Par ailleurs, trois engagements forts ont été pris par le conseil d’administration. Le premier consiste à garantir la sûreté avant tout, un objectif qui reste la priorité absolue pour l’Agence. Le deuxième, à veiller à la bonne insertion du projet dans le territoire qu’il doit contribuer à développer. Nous avons notamment l’intention de demander une labellisation de type « grand chantier », susceptible de structurer le dialogue entre l’État, les collectivités territoriales, l’ANDRA et les autres entreprises de la filière nucléaire. Une telle intention rejoint d’ailleurs la proposition faite par certains de créer une zone d’intérêt national. Dans les deux cas, il s’agit de tenir compte du fait que Cigéo est plus qu’un simple projet industriel, un projet d’intérêt national qui doit être traité de manière spécifique. Enfin, le troisième engagement est de veiller à la maîtrise des coûts et de réduire les dépenses sans pour autant transiger sur la sûreté et la sécurité.

Cela m’amène à la question du chiffrage du coût du projet. Les derniers éléments rendus publics sur ce sujet sont contenus dans le rapport de la Cour des comptes, qui a d’ailleurs bien souligné la difficulté de l’exercice. La seule estimation officielle a été publiée en 2005 par le ministère de l’énergie, mais les travaux sur ce chiffrage se poursuivent.

J’insiste sur le caractère inédit de l’exercice assigné à l’ANDRA, qui n’est demandé à aucun industriel : chiffrer un coût complet, comprenant non seulement l’investissement initial correspondant à la phase industrielle pilote, mais aussi le coût de l’exploitation de l’installation pendant plus de cent ans, de sa fermeture, du démantèlement des installations de surface, etc. Or non seulement une telle estimation dépend de toutes sortes de paramètres techniques, mais elle ne peut être réalisée qu’à partir d’hypothèses de travail. Quelle sera, par exemple, la fiscalité applicable à Cigéo en 2020, année où le projet pourrait être autorisé ? Que dire alors sur une période de cent ans ? Sur de telles questions, nous attendons les hypothèses de l’État.

M. le président François Brottes. Vous semblez, en tout cas, tenir pour acquis qu’il existera toujours une fiscalité.

Mme Marie-Claude Dupuis. En effet. D’ailleurs, en ce qui concerne le stockage proprement dit, le dispositif législatif existe : lors de la réforme de la taxe professionnelle, une taxe de stockage a été créée par le Parlement, dont il reste à fixer les coefficients. Pour ce qui est de l’impôt foncier, le calcul de l’assiette, s’agissant d’une installation nucléaire souterraine comprenant également une emprise en surface, va constituer un exercice inédit pour les services de Bercy.

Le ministère chargé de l’énergie nous a demandé de lui remettre un chiffrage à l’été 2014. La loi est très claire : ce n’est qu’une fois en possession de ce document et après avoir consulté les producteurs et l’ASN que le ministère arrête et rend public son chiffrage. Dans l’attente, l’ANDRA a interdiction de communiquer sur ce sujet.

Par ailleurs, l’Agence ne remettra pas un seul chiffre, car proposer des chiffres bruts cumulés sur cent ans n’a aucun sens d’un point de vue comptable. EDF, AREVA et le CEA doivent prendre en compte le rythme des dépenses et les taux d’actualisation afin de les intégrer dans leurs comptes. Le dossier de chiffrage que nous remettrons à l’État comprendra donc le montant clairement identifié de l’investissement initial, correspondant à la phase industrielle pilote, et un calendrier de dépenses annuelles. Il proposera également des hypothèses de travail sur le volume de déchets.

En effet, le chiffrage doit être effectué sur l’ensemble de l’inventaire prévisionnel des déchets à stocker dans le centre. Nous souhaitons que cet inventaire soit fixé par arrêté ministériel, si possible dès 2015. Cela faciliterait la finalisation de la demande d’autorisation.

Nous connaissons déjà le volume des déchets produits depuis cinquante ans. Mais s’agissant de ceux qui proviendront du parc nucléaire en exploitation, le volume à prendre en compte n’est pas le même selon que la durée de vie des centrales est portée à quarante, cinquante ou soixante ans. Certes, le projet Cigéo est suffisamment flexible pour qu’il ne soit pas nécessaire de connaître exactement le nombre de réacteurs en fonctionnement. Il n’en demeure pas moins que l’inventaire des déchets a été une des importantes questions abordées pendant le débat public. Nous avons tout fait pour clarifier les choses en indiquant les conséquences pour Cigéo de chacun des scénarios de politique énergétique. Mais nous attendons aussi du ministre chargé de l’énergie qu’il prenne une décision à propos de l’inventaire, comme le prévoit d’ailleurs le décret publié en 2013 sur le plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs.

S’agissant du travail d’estimation qui doit aboutir à l’été 2014, …

M. le président François Brottes. J’espère que vous êtes venue avec quelques vivres, parce que nous ne vous laisserons pas sortir d’ici sans avoir obtenu un chiffre !

Mme Marie-Claude Dupuis. Ce chiffre, pourtant, je ne l’ai pas encore, car le travail n’est pas terminé.

Il s’agit d’abord d’un travail technique. C’est bien pour cette raison que le ministère nous a demandé de finaliser le chiffrage après le débat public, afin de tenir compte de ses conclusions. On ne peut pas, tout à la fois, reprocher à l’ANDRA d’ignorer le débat public et lui demander un chiffre avant la fin de celui-ci.

Par ailleurs, le ministère nous a chargés d’approfondir les pistes d’optimisation technico-économiques identifiées l’année dernière : choix de modalités de creusement, longueur ou diamètre des alvéoles… Ces éléments ont un impact sur le coût du stockage, pas nécessairement sur la sûreté. Mais avant d’en tenir compte pour le chiffrage, il convient de vérifier quelles sont les hypothèses techniquement et industriellement valables. Nous venons de recevoir les résultats des études d’ingénierie sur cette question. Cela étant, les échanges avec les producteurs ont bien avancé et sont désormais apaisés ; nous sommes sortis des polémiques sur les coûts ou les solutions techniques.

Aujourd’hui, nous en sommes à l’estimation des effectifs prévisionnels, en équivalents temps plein, nécessaires pour exploiter une telle installation pendant cent ans – y compris les chargés de communication, les pompiers ou les gardiens.

Il nous reste à finaliser le dossier de chiffrage complet en y intégrant ces données. Nous rendrons notre copie cet été, comme nous l’a demandé le ministère.

Je ne peux donc pas vous donner de chiffre parce que je ne le connais pas encore.

M. le président François Brottes. Vous avez dit que vous ne désapprouviez pas l’estimation de la Cour des comptes.

Mme Marie-Claude Dupuis. Ce rapport de la Cour a été publié en 2012. Depuis, nous lui avons transmis l’état de notre travail, et elle doit vous en remettre la copie. Mais la loi précise bien que l’ANDRA ne rend pas public le résultat du chiffrage.

M. le président François Brottes. Il ne s’agit pas de le rendre public, mais d’informer une commission d’enquête parlementaire !

Mme Marie-Claude Dupuis. Si vous voulez que je donne à la commission d’enquête les éléments à ma disposition…

M. le président François Brottes. Il faut vous inviter à huis clos ?

Mme Marie-Claude Dupuis. Non, nous avons tout donné à la Cour des comptes qui va vous rendre un rapport.

M. le président François Brottes. Vous ne pouvez pas nous donner moins d’informations !

Mme Marie-Claude Dupuis. J’ai juré de dire la vérité, et je la dis : ce chiffre, je ne l’ai pas.

M. le président François Brottes. Il est certain que si vous ne dites rien, vous ne pouvez pas mentir !

Mme Marie-Claude Dupuis. Je le répète, le travail n’est pas terminé. Ce que nous avons donné à la Cour des comptes, c’est l’état des lieux : quelles sont les pistes d’optimisation sur lesquelles nous travaillons, les enjeux, etc.

M. le rapporteur. Les responsables actuels de l’ANDRA ne sont pas responsables de toutes les décisions prises depuis cinquante ans ; il n’empêche que certaines questions restent en suspens, que nous devons poser à l’Agence parce que les autres acteurs de la filière nucléaire n’y ont pas répondu.

Le conseil d’administration de l’ANDRA a reconnu que le projet Cigéo n’était pas mûr. On voit, là encore, un exemple des comportements irresponsables qu’a dénoncés hier un collègue UMP de la commission du développement durable, en parlant de ceux qui, il y a plusieurs dizaines d’années, ont développé une filière sans savoir ce que l’on ferait de ses déchets. Nous devons donc nous montrer à la hauteur du défi et trouver des réponses.

J’aimerais d’abord savoir comment l’ANDRA compte traduire une préoccupation exprimée aussi bien par l’ASN et l’IRSN que par la CNE et le débat public : la nécessité de se donner le temps d’expérimenter avant de prendre une décision. À la façon dont vous présentez les choses, on a l’impression que la décision est déjà prise : l’ANDRA va certes continuer à expérimenter et rendra compte de ses résultats au bout d’une dizaine d’années mais, de toute façon, Cigéo sera construit.

Vous avez rappelé vous-même que 1,5 milliard d’euros a déjà été consacré à la construction d’un laboratoire à Bure. Plutôt que de prendre maintenant la décision de réaliser un site d’enfouissement, ne vaudrait-il pas mieux effectuer des tests dans ce laboratoire et recueillir ainsi, en profitant d’une installation existante – même s’il faudrait probablement l’aménager et en changer le statut –, le maximum d’éléments pour un coût limité ?

Pourquoi vous signer dès aujourd’hui une sorte de chèque en blanc, alors que dans cinq à dix ans, selon votre calendrier – mais l’IRSN parlait plutôt de quinze ans –, le Parlement sera, de toute façon, amené à prendre une décision, comme il en a d’ailleurs toujours été de sa responsabilité en matière de déchets nucléaires, en se fondant sur les résultats de l’expérimentation ? J’ai le sentiment que la façon dont l’ANDRA traduit la préoccupation soulevée n’est pas complètement neutre.

Dès lors que nous ne sommes pas sûrs de réaliser le centre de stockage souterrain, il faut élaborer un plan B, envisager d’autres solutions. La première loi sur les déchets avait identifié trois pistes : la transmutation, le stockage en subsurface et l’enfouissement. Le président a eu raison de souligner que ce dernier constitue la solution de référence, mais il faut envisager l’hypothèse qu’il pourrait ne pas aboutir, par exemple en raison d’un conflit entre réversibilité et sûreté. Je trouve dommage que l’ANDRA ne profite pas du temps qui lui est laissé pour aller plus loin dans la recherche sur le stockage en subsurface. Dans le cas où cette solution s’avérerait finalement la seule réalisable, l’Agence serait ainsi bien mieux préparée qu’elle ne l’est aujourd’hui.

J’en viens à certaines questions posées dans le cadre du débat public. Qu’en est-il de la cohabitation, pendant un siècle et sur un même site, de deux installations nucléaires de base ? Tout ne se passera pas en profondeur : pour entreposer les déchets nucléaires, il est prévu, si j’ai bonne mémoire, de construire en surface des hangars de 300 mètres de côté et de 30 mètres de haut – hangars qu’il faudra d’ailleurs démanteler à la fin. Sur le plan logistique, le système est-il au point ? Au vu des éléments que l’on peut recueillir ici ou là, on peut en douter.

J’ai été frappé que l’IRSN ne souhaite pas voir stocker les déchets bitumineux dans Cigéo au cours des premières années d’exploitation. Lors de son audition par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques (OPECST), M. Duplessy, le président de la CNE2, a souligné le risque, a-t-il dit, « qu’une grosse fumée noire provienne du site de stockage Cigéo par les puits qui y auront été creusés. Un tel incident inquiéterait considérablement la population, même s’il est techniquement possible d’y faire face. » Il recommande d’éviter de stocker ensemble des déchets de différents types, ce qui pourrait poser des problèmes en cas d’incendie.

Je pensais, naïvement, que ce genre de question ne pouvait plus se poser, que l’on avait sérié et réglé les problèmes posés par le stockage de différents types de déchets. Or le rapport publié il y a deux semaines par l’ASN montre qu’un certain nombre de déchets entreposés à La Hague peuvent être considérés comme mal conditionnés. Si l’existence de divers modes de gestion des déchets n’a rien d’illogique, considérant la succession, au cours de l’histoire, de plusieurs générations de réacteurs et de différentes technologies, il importe d’en tenir compte pour assurer la sûreté des installations.

Cela m’amène naturellement à la question de l’inventaire. L’ASN a besoin de connaître ce qui sera placé dans le centre de stockage avant même de prendre une décision sur son autorisation ; pour votre part, vous dites espérer une décision de l’État sur ce sujet avant 2015. Or une loi sur la transition énergétique doit être bientôt adoptée, qui pourrait avoir des conséquences significatives sur cette question.

Auditionnés dans le cadre de la commission d’enquête, certains interlocuteurs d’EDF ou d’AREVA nous ont ainsi appris qu’il ne coûterait pas plus cher de stocker directement les combustibles dits « usés », sans passer par le cycle de retraitement et de fabrication du MOX. Du point de vue du coût, les deux options semblent donc équivalentes. En revanche, le coût ne serait pas le même pour Cigéo, puisque la surface des installations du centre devrait passer de 15 à 25 kilomètres carrés pour pouvoir stocker le combustible usé. C’est un changement d’échelle significatif. Dès lors, comment pouvez-vous estimer les coûts du projet en 2014 avant même de connaître l’inventaire ? Allez-vous chiffrer les différentes options possibles ?

J’ai été stupéfait que l’on ne puisse pas savoir, pendant le débat public, comment seront acheminés vers le futur centre les centaines de milliers de colis qu’il doit accueillir. Seront-ils transportés par route ou par rail ? Je n’ai pas eu le temps de prendre connaissance en détail des informations communiquées hier par l’ANDRA, mais j’ai cru comprendre que Cigéo serait raccordé au réseau ferré. Cela signifie-t-il que tous les déchets arriveront par le rail ?

En ce qui concerne la réversibilité, j’ai bien noté que le communiqué de l’ANDRA mentionne explicitement la possibilité de récupérer les colis de déchets. Cela lève toute ambiguïté. Certains propos laissaient, en effet, entendre que réversibilité et récupérabilité n’étaient pas équivalentes.

S’agissant de la gouvernance, le débat public a fait apparaître la difficulté de débattre de façon sereine. Je rappelle, pour éviter toute confusion, ce qu’a toujours affirmé ma formation politique : nous tenions à ce que le débat public puisse se tenir dans de bonnes conditions, parce qu’il relève du fonctionnement normal de la démocratie. Sur ce point, nous étions en désaccord avec d’autres personnes qui partagent pourtant des convictions communes avec nous.

Quoi qu’il en soit, l’ASN a souligné que de gros progrès devaient être accomplis en matière de gouvernance et qu’il fallait se montrer exemplaire en termes de transparence. Or, sur cet aspect, les décisions du conseil d’administration de l’ANDRA me semblent un peu légères. On ne peut pas parler d’un saut qualitatif majeur de nature, sinon à mettre tout le monde d’accord – ce qui ne semble pas un objectif atteignable –, du moins à mettre fin, chez les uns, au sentiment que l’on cache tout, et, chez les autres, à l’idée que tout ce que l’on pourra proposer se heurtera à la même opposition.

À propos du calendrier, si je comprends bien, votre proposition revient à modifier la loi. Cela paraît d’ailleurs logique, et l’ASN ne dit pas autre chose. Concrètement, quelle forme prendrait cette modification ?

En ce qui concerne les coûts, vous insistez sur la difficulté à évaluer, sur cent ans, l’ensemble des postes. C’est vrai, mais cela s’explique aisément : l’enfouissement des déchets nucléaires, contrairement à l’exploitation d’une autoroute, par exemple, ne génère aucun revenu ; ce n’est pas une activité rentable. Il est donc nécessaire d’estimer ce qu’elle va coûter pendant toute la durée de son fonctionnement, et de ne pas se tromper, faute de quoi les générations futures devront payer à notre place – ou plus exactement à la place de notre génération, des précédentes et de toutes celles qui profiteront des centrales – pour des déchets que nous aurons produits.

Vous affirmez que vous ne connaissez pas ce coût, mais peut-être pouvez-vous nous dire, à quelques semaines de l’échéance, de quelle estimation il est le plus proche : 15 milliards d’euros, comme l’affirme EDF, ou 36 milliards ? Pour calculer le coût du kilowattheure, nous avons, en effet, besoin d’évaluer correctement le montant des provisions destinées à financer la gestion des déchets radioactifs.

M. le président François Brottes. Vous parlez du coût du kilowattheure sur cent ans.

M. le rapporteur. Non, je parle du kilowattheure que nous payons aujourd’hui, correspondant aux déchets que nous produisons.

M. le président François Brottes. Il est vrai que cette question fait débat entre nous. L’investissement et l’exploitation sont deux choses différentes. Il faut distinguer les déchets d’aujourd’hui de ceux produits demain, dans l’hypothèse où la filière continuerait de fonctionner. Il est difficilement imaginable de faire payer ces derniers par la génération actuelle.

M. le rapporteur. Sur ce point, je suis d’accord. Quoi qu’il en soit, nous devons au moins contribuer à hauteur du volume de déchets que nous produisons. Il faut donc que les provisions soient suffisantes, ce qui exige une évaluation juste du coût.

M. Michel Sordi. Merci, madame, pour votre intervention, que j’ai trouvée très claire. M. Baupin se préoccupe de l’héritage que nous laisserons à nos enfants, mais je suis convaincu que l’arrêt de l’industrie nucléaire entraînerait la relance des centrales thermiques, émettrices de CO2, et aggraverait donc le réchauffement climatique. Or, contribuer à la montée des températures, ce n’est pas laisser un meilleur héritage.

Personnellement, je fais confiance à nos entrepreneurs, à nos ingénieurs et aux responsables tels que vous. Si les colis sont transportés par train, je n’ai pas besoin de savoir combien les convois comporteront de wagons, ni s’ils seront tractés par une locomotive électrique ou diesel. Je ne partage pas la tendance à la suspicion manifestée par certains.

Pouvez-vous préciser la nature des déchets à haute activité ou à moyenne activité qui seront stockés dans le centre ? Je ne dispose pas, en effet, des connaissances techniques accumulées par le président et le rapporteur.

Au sujet du scellement des cellules, que doit-on entendre par « le plus rapidement possible » ? Faut-il qu’il intervienne dans six mois, cinq ans, dix ans ?

Quelles seront les retombées financières du centre sur les collectivités locales –communes, communauté de communes, départements, région ?

J’ai cru comprendre que les réacteurs de la quatrième génération permettraient de réutiliser les déchets – qui ne seraient donc plus des déchets. Est-ce vraiment le cas ?

Mme Marie-Claude Dupuis. Que le conseil d’administration de l’ANDRA reconnaisse que le projet n’est pas mûr ne signifie pas que l’on ne sait pas où on va. Quand ce même conseil d’administration décide de poursuivre le projet, il prend la seule décision qu’il peut prendre à son niveau, c’est-à-dire celle de poursuivre les études pour préparer la demande d’autorisation de création. Dans la délibération, nous avons veillé à rappeler systématiquement que toute nouvelle étape du projet – notamment la décision de le construire – était soumise à l’obtention des autorisations nécessaires.

Il en est de même s’agissant de notre capacité à proposer une démonstration complète de sûreté en 2017 : nous savons où nous allons. L’ASN et l’IRSN admettent eux-mêmes – la dernière fois, c’était dans un courrier de novembre 2013 – que nous sommes sur la bonne voie, que les questions sont bien identifiées et que nous sommes en train de les résoudre. De son côté, la CNE2, dans son rapport de 2013, affirme également que notre projet est industriellement crédible. Certes, il n’est pas encore mûr, mais nous poursuivons notre objectif.

Plusieurs raisons empêchent d’utiliser le laboratoire actuel comme une installation pilote. La première est politique : lorsque les départements ont accepté d’accueillir ce laboratoire souterrain, à la suite d’une démarche de consultation et de concertation menée par Christian Bataille, l’engagement a été pris de ne jamais y placer de déchets radioactifs. Il convient donc de respecter la parole donnée.

Cet engagement était si fort qu’il a conduit à dimensionner en conséquence le laboratoire de Bure : les puits de descente sont en particulier bien trop étroits pour que l’on puisse y transporter des colis de déchets.

En outre, une phase industrielle pilote en vraie grandeur ne peut être lancée qu’en ayant construit toutes les installations nécessaires, lesquelles doivent avoir le statut d’installations nucléaires de base. C’est donc, de toute façon, un nouvel investissement.

Quitte à réaliser ce nouvel investissement, autant faire en sorte qu’il soit utilisable à long terme. Et plutôt que de devoir reconstruire une nouvelle installation dans le cas où les tests en vraie grandeur s’avéreraient concluants, mieux vaut prévoir la possibilité d’en prolonger l’usage. À l’heure où l’État est à la recherche de 50 milliards d’euros d’économies, cela permettrait de réduire au strict nécessaire l’investissement initial, correspondant à la phase industrielle pilote.

M. le rapporteur. Dans votre esprit, qui prendrait la décision de poursuivre l’exploitation au-delà de la phase de test ?

Mme Marie-Claude Dupuis. Plusieurs décisions doivent être prises, à commencer par l’autorisation de construire une INB, avant même d’envisager sa mise en service.

M. le rapporteur. La petite INB, vous voulez dire ?

Mme Marie-Claude Dupuis. Non. Sur ce point, nous avons eu de nombreux échanges avec l’ASN. Avant de réaliser l’investissement initial à Cigéo, et donc de lancer la phase industrielle pilote, nous comptons déposer une demande d’autorisation de création pour l’ensemble de l’inventaire. Cela nous oblige – et l’ASN y tient – à faire une démonstration de sûreté sur ce même ensemble. Même après l’obtention de cette autorisation, la procédure réglementaire pour la création et la mise en service d’INB prévoit de nombreuses autorisations, pour la plupart du niveau de l’autorité de sûreté. Rien n’empêche, d’ailleurs, le Gouvernement ou le Parlement de renforcer ces niveaux de décision avant de passer en phase d’exploitation courante. En tout cas, cela ne relève pas de l’ANDRA.

La demande d’autorisation concernera donc l’ensemble de l’inventaire, mais les tests porteront sur un échantillon représentatif.

Vous avez évoqué les autres modes possibles de gestion des déchets. L’ANDRA n’a rien contre le stockage en subsurface, au contraire : c’est la solution de référence pour les déchets de faible activité à vie longue, qui sont principalement des déchets historiques – déchets dits de « graphite » ou contenant du radium. L’Agence poursuit donc sa recherche et développement sur ce type de stockage. Toutefois, l’Autorité de sûreté nucléaire l’a clairement dit dans un avis de 2005, et la loi l’a d’ailleurs confirmé : on ne peut pas stocker en surface et subsurface des déchets aussi dangereux et à durée de vie aussi longue que les déchets de haute activité et de moyenne activité à vie longue. Vu la nature des risques, il faut les placer à 500 mètres de profondeur. C’est d’ailleurs la solution retenue au niveau international, ainsi que par l’Union européenne dans une directive.

Il est vrai que le centre Cigéo se décompose en deux grands blocs, dont une installation nucléaire de surface permettant d’accueillir les déchets, de les contrôler, de les faire passer de leur conteneur de transport à un conteneur de stockage, puis de les glisser dans une hotte qui sera transportée au fond. En moyenne, les déchets ne resteront pas plus d’une quinzaine de jours dans cette « salle d’attente ».

M. Thibaud Labalette, directeur des programmes de l’ANDRA. La conception de Cigéo s’attache à séparer physiquement la partie en exploitation nucléaire – qu’elle soit en surface ou en profondeur – de la partie souterraine en chantier : les ventilations sont indépendantes, de même que les flux de personnes et de matériaux. Il n’y aura pas de connexion entre les deux.

Concernant l’installation nucléaire de surface, un important travail d’optimisation est en cours, si bien que la hauteur des bâtiments serait plutôt de 15 à 20 mètres. Ils seront semi-enterrés, afin de limiter au maximum l’impact visuel, et leur taille sera étroitement liée au flux de colis que l’on nous demandera de prendre en charge, flux que les producteurs s’efforcent de lisser. Il sera tenu compte du résultat de ce travail d’optimisation dans le chiffrage remis à l’été 2014.

Mme Marie-Claude Dupuis. Sans parler de flux tendu, l’entreposage des colis de déchets en surface ne durera que le temps de les vérifier et de modifier leur conditionnement. Il n’a pas pour but, par exemple, de permettre le refroidissement des déchets vitrifiés.

Les déchets bitumineux ont été l’objet de toute l’attention de nos évaluateurs, et ces derniers seront très vigilants sur la démonstration de sûreté qui sera faite au sujet de leur stockage. Nos recherches montrent qu’il est tout à fait envisageable de stocker de tels déchets en profondeur mais, pour compléter notre demande d’autorisation de création, nous devrons obtenir des résultats très convaincants aux essais de réaction au feu. En ce moment même, en surface, des tests ont lieu en ce sens sur des matrices ne contenant aucun déchet nucléaire, mais dont la structure est comparable aux colis d’enrobés bitumineux – dont je rappelle qu’ils sont également constitués de béton.

M. Michel Sordi. Pouvez-vous préciser la nature de ces enrobés ?

M. Thibaud Labalette. Il s’agit de déchets historiques, produits pour l’essentiel sur le site de Marcoule. Les déchets radioactifs sont conditionnés dans des matrices solides, pour éviter toute dispersion. À une époque, on a utilisé du bitume, le même que celui des routes. Or ce type de conditionnement pose, en termes de stockage, des problèmes spécifiques liés à son comportement en cas d’incendie. Dans l’hypothèse où les déchets bitumineux feraient partie des déchets stockés à Cigéo, ils seraient donc insérés dans des boîtes en béton, elles-mêmes transportées dans des hottes blindées, afin d’assurer une protection contre les agressions externes. Tel est l’objet des essais en cours.

Mme Marie-Claude Dupuis. J’en profite pour rappeler qu’une éventuelle autorisation de construction du centre de stockage n’équivaudrait pas à un chèque en blanc ni ne permettrait de faire descendre toutes les sortes de colis. En même temps que sa demande d’autorisation, l’ANDRA remettra des spécifications d’acceptation des colis, détaillant les conditions dans lesquelles leur stockage pourra être envisagé. Ainsi, même si l’inventaire prévoit d’accueillir des déchets bitumineux, leur stockage sera soumis à des objectifs spécifiques de sûreté et de sécurité. C’est une nouvelle illustration des différents niveaux de décision applicables à Cigéo.

J’en viens aux combustibles usés et à la flexibilité exigée pour le centre de stockage. Même si nous avons besoin de connaître l’inventaire de référence pour finaliser notre demande d’autorisation de création, nous comptons poursuivre les études sur les combustibles usés, d’autant que la question de leur stockage ne se posera pas avant 2080. C’est d’ailleurs également vrai des déchets vitrifiés : ces déchets, issus du retraitement par AREVA, à la Hague, du combustible usé après séparation des matières valorisables – uranium et plutonium –, et fondus dans des matrices de verre conditionnées dans des colis en inox, sont en effet bien trop chauds pour pouvoir être déposés en profondeur. Certes, les qualités propres de l’argile rendent possible un confinement à long terme, mais à condition de ne pas la « cuire ». Il convient donc de laisser les colis refroidir pendant au moins soixante ans, voire quatre-vingts ans : plus longtemps on les laisse refroidir en surface, moins on a besoin de les espacer en profondeur, et plus on économise de l’emprise de stockage.

Quant aux combustibles usés, ils sont encore plus chauds. Dès lors, même si on décidait d’arrêter leur retraitement et donc de les considérer comme des déchets, la question de leur stockage en profondeur ne se poserait pas avant 2080, sachant que les déchets produits en cinquante ans d’histoire nucléaire nous donnent déjà du travail pour plusieurs dizaines d’années. Vous avez donc le temps de prendre des décisions en matière de politique énergétique, et nous avons le temps de les appliquer.

En ce qui concerne le transport des colis, je confirme la décision du conseil d’administration de raccorder le site prévu pour Cigéo au réseau ferroviaire national, en réponse à une demande très forte des acteurs locaux. La direction générale de l’énergie et du climat a d’ailleurs souhaité que l’ANDRA soit maître d’ouvrage de la ligne de raccordement privée. Nous allons donc entamer les études et demander les autorisations nécessaires. De leur côté, EDF, AREVA et le CEA sont d’accord pour transporter par voie ferrée les colis de déchets provenant de leurs sites – à l’exception, peut-être, de ceux du site plus proche de Valduc, mais ils représentent moins de 1 % de l’inventaire. Nous sommes, par ailleurs, convenus d’élaborer un schéma directeur des transports au niveau national, sur lequel nous saisirons le HCTISN.

M. le président François Brottes. S’agissant du MOX, dont le transport fait l’objet de plusieurs convois par semaine, la route a été préférée au rail.

M. Thibaud Labalette. Ces transports très particuliers sont assurés sous la responsabilité d’AREVA. Mais une bonne partie des combustibles usés transportés depuis les centrales nucléaires jusqu’au site de La Hague, et qui représentent des masses importantes, sont acheminés par voie ferrée.

S’agissant de Cigéo, en phase d’exploitation normale, le transfert des colis depuis les sites d’entreposage de Marcoule, Cadarache et la Hague représenterait une trentaine de trains par an, comprenant une dizaine de wagons. Chaque wagon contient un emballage de transport qui peut contenir plusieurs colis.

M. le président François Brottes. Qu’en est-il du risque de rupture de charge ?

M. Thibaud Labalette. Il peut y en avoir au niveau de l’expédition. Par exemple, la gare de Valognes se situe à une vingtaine de kilomètres de La Hague. Sur cette distance, AREVA doit donc transférer les déchets par camion. En revanche, il n’y aurait plus de rupture de charge jusqu’à Cigéo. Le raccordement ferroviaire du site est d’ailleurs un des points ayant recueilli le plus grand consensus pendant le débat public.

Mme Marie-Claude Dupuis. S’agissant de la gouvernance, j’ai voulu souligner le travail de concertation que nous avons mené avant même le début du débat public, mais cela ne signifie pas qu’il ne reste pas de progrès à accomplir en ce domaine. Nous allons continuer à y réfléchir, mais nous avons d’ores et déjà pris quelques décisions d’ordre pratique.

Nous allons ainsi contribuer au développement de l’expertise pluraliste. À cet égard, je tiens à souligner le travail utile effectué par l’Association nationale des comités et commissions locales d’information (ANCCLI), l’IRSN et le CLIS de Bure pour promouvoir un dialogue technique autour des déchets de haute activité et de moyenne activité à vie longue.

Je suis surprise par les propos du responsable de l’ASN, car même un membre du CLIS opposé au projet comme M. Marie a dit qu’il ne reprochait pas à l’ANDRA son manque de transparence. Nous donnons toutes les informations. Ce que l’on attend de nous, c’est plutôt une plus grande transparence sur les points délicats. Nous avons peut-être tendance à être trop « bons élèves », et à vouloir ne présenter notre copie que lorsque nous sommes sûrs de pouvoir répondre à toutes les questions, quand tout est ficelé. Nous ne devons pas avoir peur de mettre sur la table les questions faisant l’objet d’une discussion avec l’ASN, la CNE2 et l’IRSN. Nous avons ainsi décidé de transmettre au CLIS la liste des sujets techniques sur lesquels on nous a demandé d’améliorer nos propositions, afin qu’il puisse, le cas échéant, commander des expertises.

En ce qui concerne d’éventuelles modifications de la loi, la délibération du conseil d’administration ouvre la voie à plusieurs scénarios : dans le premier, le Gouvernement et le Parlement considèrent qu’ils disposent d’ores et déjà de toute la matière pour inscrire dans la loi les nouvelles modalités d’élaboration du projet, voire les conditions de réversibilité ; dans le deuxième, ils attendent la remise du premier dossier en 2015 ; dans le troisième, ils préfèrent attendre la demande finalisée d’autorisation de création, en 2017. Les trois options sont possibles. Ce qui est clair, c’est que l’autorisation de création ne peut être donnée avant le vote d’une loi sur les conditions de réversibilité. Par ailleurs, le démarrage en 2025 de l’installation industrielle pilote suppose que les conditions de réversibilité aient été définies avant 2017.

M. le président François Brottes. C’est de principes que vous avez besoin, pas de prescriptions techniques. Il n’appartient pas au Parlement de définir les modalités techniques de la réversibilité.

Mme Marie-Claude Dupuis. Non, en effet. Le conseil d’administration de l’ANDRA propose, pour sa part, des définitions pour les notions de réversibilité et de récupérabilité, et préconise une approche par étapes en lien avec le plan directeur pour l’exploitation du stockage, révisable régulièrement, notamment après la phase industrielle pilote. Nous avons souhaité tendre une perche en suggérant le jalonnement du projet et l’adoption d’un certain processus décisionnel, mais nous n’avons pas osé aller plus loin, car il appartient aux responsables politiques de décider.

J’en viens au coût du projet. Nous sommes chargés de remettre à la DGEC un chiffrage global portant sur l’ensemble de l’inventaire prévisionnel et pour toute la durée de vie du stockage. EDF, AREVA et le CEA s’en serviront pour mettre à jour leurs provisions en fonction des déchets déjà produits. C’est pourquoi tous les chiffres qui ont pu être cités dans la presse doivent être mis en regard d’un certain type d’inventaire. Ainsi, le chiffre de 15 milliards avait été calculé en prenant pour hypothèse une durée de vie des réacteurs de quarante ans, et de cinquante ans pour l’estimation de 35 milliards effectuée en 2010.

Notre chiffrage dépend donc de certaines hypothèses telles que le volume des déchets et la durée de vie des réacteurs. Il sera fondé sur l’inventaire conforme à la loi de 2006, et ne prendra donc en compte que les déchets vitrifiés et les déchets de moyenne activité à vie longue, pas les combustibles usés. Néanmoins, l’État nous a demandé de mettre à jour en 2015 notre rapport sur le stockage de ces derniers dans Cigéo, dans l’hypothèse où ils deviendraient des déchets. De même, les provisions constituées par EDF tiennent compte du coût du stockage des MOX usés dans le cas où ne seraient pas développés les réacteurs de quatrième génération. La Cour des comptes a d’ailleurs salué la prudence d’une telle démarche.

Au moment du débat sur le coût global du projet, la Cour des comptes l’avait estimé à 1 ou 2 % du coût de la production d’électricité. Je pense que nous restons dans cet ordre de grandeur.

M. le rapporteur. Pour une estimation que vous allez rendre dans quelques semaines, elle n’est pas d’une précision redoutable : on va du simple au double !

Mme Marie-Claude Dupuis. Je le répète, les hypothèses techniques sont en train d’être arrêtées, et les discussions se poursuivent. Nous avons transmis tous les éléments à la Cour des comptes et au ministère, mais l’ANDRA n’est pas habilitée à rendre ces chiffres publics tant qu’ils ne seront pas finalisés.

M. le président François Brottes. Je ne comprends pas comment vous pouvez refuser de donner à la commission d’enquête ce que vous avez donné à la Cour des comptes.

Mme Marie-Claude Dupuis. Je peux le faire, mais pas en public.

M. le président François Brottes. Donc, vous nous transmettrez ces éléments.

Mme Marie-Claude Dupuis. Nous verrons avec le ministère. Mais j’ai cru comprendre que la Cour des comptes allait vous transmettre son rapport.

M. le rapporteur. Nous sommes une commission d’enquête parlementaire, pas une chambre d’enregistrement des travaux de la Cour des comptes.

Mme Marie-Claude Dupuis. De toute façon, je n’ai pas ce chiffrage : il sera finalisé en juin.

M. le président François Brottes. Vous ne pouvez pas, avec les conditions de confidentialité requises, donner à la commission d’enquête moins que ce que vous donnez à la Cour des comptes. Nous sommes les représentants du peuple et nous avons un mandat pour mener une enquête.

Mme Marie-Claude Dupuis. Je vous propose d’examiner cette question avec le ministère. Nous sommes un établissement sous tutelle.

M. le président François Brottes. Mais nous, nous ne sommes soumis à aucune tutelle, si ce n’est celle du peuple !

Mme Marie-Claude Dupuis. Et moi, je dois respecter la loi.

Du reste, je le répète, je ne dispose pas dans mon bureau du nouveau chiffrage de Cigéo. Je ne le connais pas. Les représentants de la Cour des comptes sont repartis avec les documents constituant la base de notre travail, à partir desquels ils vont effectuer leur propre analyse. Il s’agit de milliers de lignes de calcul !

M. le président François Brottes. Vous lui avez donc donné les éléments nécessaires pour qu’elle puisse proposer un chiffre à partir de sa propre expertise. C’est autre chose.

Vous avez, par ailleurs, affirmé au rapporteur que ce coût ne pouvait pas dépasser 2 % du coût total de la production d’électricité.

Mme Marie-Claude Dupuis. Ce n’est qu’un ordre de grandeur, le calcul n’est pas fait.

M. le président François Brottes. Mais on comprend qu’il s’agit de la limite haute.

Mme Marie-Claude Dupuis. Je ne sais pas. On ne peut pas l’affirmer avant d’avoir effectué le chiffrage.

D’ailleurs, ce n’est même pas à l’ANDRA d’effectuer ce calcul. Ce que nous élaborons, c’est un chiffrage sur cent ans avec des hypothèses d’inventaire de déchets. À partir de ces éléments – investissement initial, coûts fixes, coûts variables –, EDF, AREVA et le CEA vont se répartir les coûts fixes, appliquer leurs hypothèses comptables et de flux de déchets, et traduire tout cela de façon à mettre à jour le calcul de leurs provisions.

M. le rapporteur. Il est, en effet, important de préciser que cette estimation – 1 ou 2 % du coût de l’électricité, ce qui peut paraître relativement peu – dépend de certains taux d’actualisation pouvant faire l’objet de discussions. Sommes-nous d’accord sur ce point ?

Mme Marie-Claude Dupuis. Une telle estimation est soumise à de nombreuses hypothèses, et toutes ne sont pas posées par l’ANDRA.

M. le président François Brottes. Parmi elles, il y a la durée de vie des réacteurs. On ne peut, en effet, anticiper les coûts de déchets non encore produits.

Pour autant, notre travail d’évaluation des coûts de la filière nucléaire se heurte inévitablement à la question du traitement des déchets. Or notre temps est limité par le règlement de l’Assemblée nationale. Allons-nous devoir enfermer les magistrats de la Cour des comptes dans le laboratoire de Bure jusqu’à ce qu’ils soient en mesure de nous donner un chiffre ?

Mme Marie-Claude Dupuis. Il faudra sans doute, à l’avenir, mettre à jour régulièrement toutes ces données. La loi demande à EDF, à AREVA et au CEA de provisionner immédiatement dans leurs comptes les sommes nécessaires pour la gestion de leurs déchets déjà produits pendant la durée de leur stockage. C’est normal, et c’est une bonne précaution. Mais le chiffrage sur cent ans comprend tellement d’incertitudes qu’il faudra le réviser régulièrement. Nous en avons le temps.

M. le rapporteur. On ne sait rien de ce que seront devenus, dans cent ans, EDF, AREVA ou le CEA, ni de leurs capacités à financer ce projet. On ne sait même pas ce que sera, dans un mois, le sort d’une entreprise comme Alstom ! De même, personne n’est capable de déterminer quel sera le mix énergétique dans un siècle. Il est donc important, dès aujourd’hui, d’estimer correctement les provisions nécessaires, car c’est aujourd’hui que nous produisons ces déchets. Votre travail est sans doute difficile, mais il est très important d’un point de vue éthique. Pour s’assurer de la solidité du dossier, nous devons éviter de nous fonder sur des éléments peu prévisibles.

Mme Marie-Claude Dupuis. Il faut, en effet, bien évaluer le coût complet de façon à s’assurer que l’argent nécessaire sera disponible le moment venu. Je dis simplement qu’il faut mettre à jour régulièrement ce résultat – peut-être plus régulièrement qu’on ne l’a fait jusqu’à présent –, à mesure que nous allons progresser dans nos études. Le dernier chiffrage officiel date de 2005, le prochain est attendu pour 2014 ; une fréquence plus élevée permettrait de réduire la pression et de rendre plus douces les corrections à apporter.

Il faut plusieurs années, monsieur Sordi, pour construire les ouvrages en béton destinés à sceller les alvéoles. C’est un chantier lourd.

S’agissant des retombées pour le territoire, les producteurs, EDF, AREVA et le CEA, versent à des groupements d’intérêt public, via une taxe, 30 millions d’euros par an et par département pour l’accompagnement économique. Cet argent est réparti sur le territoire, sous le contrôle du président du conseil général, en fonction de projets et de décisions d’investissement.

En ce qui concerne la génération IV et la possibilité de réutiliser les matières nucléaires, je me dois d’être parfaitement claire. Les travaux menés par le CEA sur la séparation-transmutation ont fait l’objet d’un bilan complet public, dont vous avez probablement eu connaissance. Mais tout ce que l’on peut entendre au sujet de l’usage de cette technologie pour réduire le volume de déchets à stocker en profondeur ne concerne que les déchets du futur, ceux qui seraient produits par le parc de quatrième génération, dans la mesure où sa création serait autorisée. En effet, le travail effectué par le CEA dans le cadre du projet ASTRID (Advanced Sodium Technological Reactor for Industrial Demonstration) a pour objectif de séparer et transmuter les radioéléments pendant la fabrication même de l’électricité. En aucun cas, ces travaux ne peuvent avoir de conséquences sur le projet Cigéo tel que nous l’élaborons. Il ne faut pas imaginer que l’on pourra extraire les déchets vitrifiés entreposés à la Hague de leurs colis en inox, les fondre à nouveau et les réutiliser.

Je profite toutefois de votre question pour insister sur un point : s’il faut, en effet, travailler sur les déchets du futur, il convient également d’accentuer les efforts de recherche et développement sur les déchets du présent. À cet égard, je salue le projet lancé par AREVA à partir de technologies du CEA et soutenu très fortement par l’ANDRA dans le cadre des investissements d’avenir, pour lesquels le Parlement a bien voulu nous donner une dotation de 75 millions d’euros. Il permet de travailler sur un prototype de traitement et de fusion de déchets de moyenne activité à vie longue – ceux de Melox – afin d’en réduire les volumes, permettant ainsi à tout le monde de faire des économies.

De même, l’ANDRA a proposé au Gouvernement un appel à projet, en lien avec l’Agence nationale de recherche, pour stimuler la gestion optimisée des déchets de démantèlement. En matière de recherche et développement sur les déchets, tous les efforts ne doivent pas porter sur le centre de stockage et sur les déchets de haute activité et de moyenne activité à vie longue. Il faut aussi s’occuper des déchets d’exploitation ou de démantèlement – ces derniers sont peu dangereux, mais représentent de très gros volumes. Pour l’instant, la mission confiée à l’ANDRA ne concerne que le stockage, mais je pense que nous sommes les mieux placés pour stimuler les recherches sur ces solutions de fin de cycle.

M. le président François Brottes. Votre poste est peut-être exposé, mais il semble vous passionner. Je vous remercie pour vos réponses – mais moins pour vos non-réponses. Vous nous avez donné des explications sur ces dernières ; nous allons donc nous rapprocher de la Cour des comptes afin d’obtenir, avant la fin de cette commission d’enquête, une préfiguration du chiffrage.

M. Michel Sordi. On vous a tout de même opposé un article de loi, monsieur le président !

M. le président François Brottes. Mon cher collègue, quels que soient les textes en vigueur, on ne peut pas donner à une commission d’enquête moins d’informations qu’à une autre institution.

L’audition s’achève à douze heures dix.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d'exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l'électricité nucléaire

Réunion du mercredi 7 mai 2014 à 10 heures

Présents. - Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Denis Baupin, M. François Brottes, M. Jean-Pierre Gorges, M. Michel Sordi, Mme Clotilde Valter

Excusés. - Mme Françoise Dubois, M. Stéphane Travert