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Commission d’enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d’exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l’électricité nucléaire, dans le périmètre du mix électrique français et européen, ainsi qu’aux conséquences de la fermeture et du démantèlement de réacteurs nucléaires, notamment de la centrale de Fessenheim

Mercredi 21 mai 2014

Séance de 11 heures 45

Compte rendu n° 65

Présidence de M. François Brottes Président

– Audition de Mme Ségolène Royal, ministre de l’Écologie, du développement durable et de l’énergie .

La séance est ouverte à onze heures cinquante-cinq.

M. le président François Brottes. Nous accueillons aujourd’hui Mme Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.

Nous sommes à la fin de nos travaux, dont l’approche a été assez pragmatique : nous nous sommes successivement intéressés au minerai, à sa transformation, à son retraitement, au fonctionnement des réacteurs, à leur maintenance, puis aux déchets et au projet de Centre industriel de stockage géologique (Cigéo). Nous avons également fait de nombreux déplacements, à Tricastin, La Hague ou Fessenheim notamment.

Ces travaux servent aussi de préambule au débat sur la future loi sur la transition énergétique.

Je rappelle que la Cour des comptes viendra nous apporter les éléments complémentaires que nous lui avons demandés le 27 mai prochain.

Madame la ministre, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Mme Ségolène Royal prête serment.

M. Denis Baupin, rapporteur. Cela fait en effet plus de cinq mois que nous travaillons dans le cadre de cette commission d’enquête. J’aimerais vous poser plusieurs questions.

S’agissant du parc nucléaire, nombre de nos interlocuteurs ont invoqué la nécessité d’un mur d’investissements face auquel se retrouverait aujourd’hui l’opérateur historique pour l’entretien des réacteurs ou les mises aux normes : à combien le Gouvernement les évalue-t-il et quel choix stratégique préconise-t-il ? Le rapport de la Cour des comptes de fin 2011 disait que les choix implicites faits par l’État jusque-là conduisaient à privilégier la prolongation des réacteurs existants plutôt que la création de nouveaux : est-il normal que ces choix soient faits implicitement par l’opérateur ? Comment le Gouvernement se positionne-t-il à cet égard, notamment dans le cadre de la loi ?

Deuxièmement, comment appréhendez-vous la question de la réduction du nucléaire à 50 % du mix électrique à l’horizon 2025, qui passe par la disparition d’une vingtaine de réacteurs ? Comment sera-t-elle traduite dans la loi ?

Troisièmement, concernant la sûreté des installations nucléaires, le président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a émis un jugement global assez satisfaisant, évoquant une note de 12 à 13 sur 20. Qu’en pensez-vous ? Des efforts supplémentaires doivent-ils être faits dans ce domaine ? Que peut prévoir la loi, notamment pour renforcer les moyens humains, juridiques et financiers ?

Quatrièmement, la fermeture du réacteur nucléaire de Fessenheim soulève la question de l’alimentation électrique du territoire, mais aussi celle de l’accompagnement social des personnes et économique au plan local. Quel devrait être le rôle de l’État sur ce point, notamment dans le cadre des contrats de plan État-régions ?

Se pose aussi le problème des charges futures du nucléaire, concernant en particulier les déchets et le démantèlement, sachant que nous devons sécuriser les financements. Il est par exemple proposé que des provisions alimentent à cet effet un fonds de la Caisse des dépôts et consignations : qu’en pensez-vous ?

S’agissant des déchets, nous ne savons toujours pas, malgré nos multiples auditions, à combien on peut évaluer le coût du projet Cigéo, dont le chiffrage varie selon les sources entre 15 et 26 milliards d’euros. Quelle est votre propre évaluation ? Et quelle est la position de l’État au regard des propositions formulées par l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) lors de son dernier conseil d’administration, à savoir la mise en place d’une phase pilote avant de décider de l’éventuelle construction du site ?

Enfin, quelle est la doctrine de l’État s’agissant du retraitement et de la fabrication du MOX ? Nos interlocuteurs nous ont dit en effet que stocker en l’état les combustibles usés ne reviendrait pas plus cher que de mettre en place cette fabrication, sachant que l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) s’interroge sur l’utilité de cette dernière s’il n’y a pas un jour une quatrième génération de réacteur ? Quelle est à cet égard votre position sur la question de cette quatrième génération – notamment le prototype ASTRID –, dont l’ASN estime qu’elle devrait permettre un saut technologique pour la réutilisation des matières et en termes de sûreté ?

Mme Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Je vous remercie de votre accueil et vous félicite de votre initiative, qui intervient à un moment crucial, puisque nous allons avoir à débattre de la loi sur la transition énergétique. Il est en effet important de se pencher sur le coût de production de l’énergie pour éclairer les choix du Parlement et du Gouvernement, dans le cadre d’un dialogue que je souhaite le plus fructueux possible. Faire un bon diagnostic sur les choix du passé permet de déterminer les choix d’aujourd’hui et de demain. La France doit inventer un nouveau modèle énergétique : nous devons tenir compte à cet égard à la fois de la situation financière et de la situation économique des entreprises, la mutation énergétique étant une grande chance pour notre pays.

Nous sommes dans ce domaine observés par le monde entier, dans la mesure où nous tiendrons l’an prochain à Paris la conférence mondiale sur le climat.

Je rappelle que la production électrique française est dominée par l'électricité d'origine nucléaire. C'est le fruit d'un choix politique majeur des années 1970, poursuivi tout au long de la décennie 1980 notamment, pour réduire notre dépendance énergétique aux énergies fossiles.

Ainsi, notre taux de dépendance est de 50 %, contre une moyenne européenne et mondiale aux alentours de 80 %.

De même, notre pays est un des plus vertueux en matière d'émissions de gaz à effet de serre – en moyenne 8 tonnes par an et par habitant contre 12 dans le reste de l’Europe.

Enfin, la filière nucléaire est une filière industrielle importante reconnue mondialement, avec près de 200 000 emplois et des savoir-faire exceptionnels.

Mais le contexte change : nous devons le prendre en compte, en réduisant encore notre dépendance aux ressources non renouvelables, en nous adaptant toujours plus aux risques du changement climatique et en faisant des choix financiers judicieux vis-à-vis de ce nouveau mix énergétique que nous devons mettre en place.

Si le nucléaire a des avantages, on ne doit pas masquer certains inconvénients. Des tragédies comme Tchernobyl ou Fukushima l’ont fragilisé et nous dictent l'ardente obligation de placer la sûreté nucléaire au premier rang de tous les enjeux. Le projet de loi de transition énergétique proposera donc des mesures améliorant encore notre niveau de sûreté. J'en profite pour saluer à cet égard l'action de l'ASN et de l’IRSN.

En outre, la filière nucléaire est confrontée à la gestion des déchets radioactifs. Le Parlement s'en est préoccupé très tôt, la dernière loi datant de 2006. Le projet de loi en préparation poursuivra cette démarche. Il nous faudra à ce sujet confirmer le principe de la réversibilité de Cigéo.

De même, nous tirerons les leçons du débat public qui vient de se dérouler, en vous proposant d'acter une phase préalable d'expérimentation.

Par ailleurs, tout le monde convient que les réacteurs en fonctionnement ont, par définition, une durée de vie limitée. En effet, on ne peut changer la cuve, ni l'enceinte de confinement d'un réacteur.

Il y a certes débat sur cette durée de vie. Mais il nous faut prévoir dès à présent les provisions nécessaires aux démantèlements futurs. Permettez-moi d'ajouter qu'une approche pratique du coût du démantèlement, en commençant par les deux premières unités, me paraît le meilleur moyen de ne pas connaître trop d'approximation.

Enfin, l'énergie nucléaire est adaptée à la production d'électricité en « base ». Or, elle dépasse aujourd'hui largement nos besoins.

La transition énergétique passe par une nouvelle vision de la place du nucléaire dans notre pays.

En fixant la part de cette énergie à 50 % de notre production d'électricité à l'horizon 2025, le Président de la République a tenu à rechercher cet équilibre, qui est celui d'une diversification, d'un nouveau mix.

Cela passe d'abord par un développement ambitieux et raisonné des énergies renouvelables. C'est une opportunité industrielle et écologique, y compris pour des entreprises comme EDF, qui se positionne par exemple sur l’éolien offshore.

Le choix d’un socle de production nucléaire à 50 % s'appuie d'abord sur ce que nous ont légué nos prédécesseurs en termes d'outil de production. C’est un atout dans la transition qui s'engage car cela nous évitera de devoir, à l'instar de nos voisins allemands, développer le thermique au charbon pour faire face aux besoins de consommation ou aux intermittences.

Enfin, il nous faudra enrichir les moyens de production de base par de nécessaires innovations à court et moyen terme. Je pense notamment aux capacités d'effacement, à l'autoconsommation et, à moyen terme, au stockage de l'énergie.

En matière européenne, il nous faudra toujours mieux veiller à nos capacités d'interconnexions pour renforcer la sécurité d'approvisionnement de l'Europe.

Par ailleurs, s’agissant des dépenses publiques en faveur du nucléaire, elles ont fait l’objet d’un recensement exhaustif de la Cour des comptes en 2012, qui se poursuit. Celle-ci a précisé qu’en 2010, les dépenses récurrentes sur crédits publics étaient d’un montant limité, proche de celui de la taxe sur les installations nucléaires de base. Cette situation est toutefois nouvelle : de fortes dépenses publiques dans la recherche ont été financées par le passé. Au-delà de ces dépenses récurrentes en baisse, des projets sont soutenus par le programme des investissements d’avenir : 50 millions d’euros pour la sûreté nucléaire, 75 millions pour la gestion des déchets, 250 millions pour le réacteur de recherche Jules Horowitz et 625 millions pour le projet ASTRID, c’est-à-dire le développement d’un démonstrateur de réacteur rapide au sodium.

Le maintien d’une capacité de recherche de pointe au sein de l’État est essentiel pour la préservation de sa capacité de décision en vue de préparer l’avenir, garantir l’avance technologique française et conserver un haut niveau de sûreté. Je veillerai à ce que ces efforts soient maintenus.

S’agissant des charges de long terme, le Gouvernement est attentif à ce que le dispositif de couverture par des actifs dédiés soit robuste, crédible et contrôlé. Les ministres de l’énergie et de l’économie sont conjointement chargés du contrôle. Nous sollicitons également l’avis de l’ASN.

J’ai commandé un audit sur les provisions de démantèlement du parc en exploitation. Le processus de sélection des entreprises est en cours : l’audit démarrera en juin prochain et se terminera en avril 2015. Il est important d’examiner les devis en détail pour se forger une opinion. Ces travaux seront évidemment communiqués à votre assemblée, sachant que le déroulement de l’audit tiendra compte de vos conclusions.

Le décret modificatif du 24 juillet 2013 inscrit le dispositif particulier du nucléaire dans un dispositif plus large et robuste, qui est celui du contrôle prudentiel des assurances. Les règles seront mieux stabilisées et ne pourront plus faire l’objet de modifications opportunistes. Il revient aux entreprises d’assurer cette charge et de gérer les placements. Le ministère souhaite à cet égard renforcer le contrôle en s’appuyant sur l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution en charge du contrôle des assurances et des banques.

S’agissant de la sûreté, à la suite de l’accident de Fukushima, l’ASN a conduit des évaluations complémentaires et formulé un certain nombre d’exigences sous forme de décisions notifiées à l’exploitant à l’été 2012. Elle demande d’ailleurs des moyens d’action supplémentaires, notamment la possibilité d’ordonner certains contrôles – je vous proposerai probablement d’aller dans ce sens lors du débat sur le projet de loi sur la transition énergétique. Elle a également réclamé un renforcement des marges par la mise en place d’un noyau dur de dispositions matérielles et organisationnelles permettant de maîtriser les fonctions de sûreté dans des situations extrêmes.

EDF, qui est le plus impacté, estime le montant total des travaux à environ 10 milliards d’euros, dont la moitié aurait été de toute façon dépensée pour des améliorations de sûreté en l’absence d’un tel accident.

Concernant les coûts du grand carénage – correspondant à toutes les opérations de maintenance lourde –, je rappelle que l’âge moyen du parc nucléaire français est aujourd’hui proche de 30 ans : pour redresser les performances industrielles, se mettre au niveau de sûreté demandé par l’ASN et permettre l’allongement de la durée d’exploitation jusqu’à 40 ans et au-delà, EDF va engager des travaux importants sur l’ensemble de ses centrales. Ces investissements s’élèveraient à 55 milliards d’euros pour la période 2014-2025. Cela correspond à un doublement, voire un triplement des investissements de maintenance et fait suite à une période très faible d’investissement dans les années 2000, qui a permis de faire baisser les prix mais aussi les performances…

Ces sommes doivent être relativisées au regard des investissements totaux d’EDF, puisqu’en 2013, 9,9 milliards d’euros ont été prévus en France – dont 3,5 milliards pour les réseaux de distribution, 1,4 milliard pour les réseaux de transport et 5 pour les activités non régulées – et 13,3 milliards à l’international.

Au sujet de Cigéo et du stockage réversible en couches géologiques profondes des déchets radioactifs, il est de notre responsabilité vis-à-vis des générations futures de mobiliser les meilleures techniques disponibles et les moyens financiers suffisants pour gérer au mieux ces déchets. Cela doit se faire en associant toutes les parties prenantes, notamment au plan local.

Ce projet est un des éléments de la solution à condition de respecter un certain nombre de principes, dont la sûreté du stockage – le débat public qui s’est tenu en 2013 a conclu à l’intérêt de commencer par une phase d’exploitation pilote et de desserrer le calendrier. L’ANDRA a également annoncé les suites positives qu’elle donne aux conclusions du débat. Le projet de loi de transition énergétique proposera des adaptations du calendrier du projet et un traitement plus rapide de la question de la réversibilité.

L’évaluation du coût est en cours de réalisation par l’ANDRA et sera disponible l’été prochain, après l’avis de l’ASN et les observations de producteurs de déchets. Dans ce domaine, la transparence est importante et nous permettra de faire clairement les différents choix d’investissement.

Il ne serait pas non plus inutile de s’interroger sur les coûts des énergies renouvelables, par type d’énergie, pour orienter les choix publics en vue de trouver le meilleur rapport qualité-prix, la meilleure sécurité, la meilleure indépendance et le meilleur équilibre de mix énergétique nous permettant de remplir nos obligations internationales.

M. Bernard Accoyer. Force est de reconnaître que le rapporteur a surtout conduit cette commission d’enquête comme une opération à charge contre la filière nucléaire. En même temps qu’il se constituait une banque de données pour continuer son opération militante, il a orienté les questions et choisi les personnes auditionnées de façon partiale, ce qui est préoccupant pour l’objectivité du travail de notre commission.

Madame la ministre, j’ai noté avec satisfaction l’attention que vous portez à notre filière nucléaire, dont vous avez souligné l’excellence sur la scène internationale et les bons résultats en termes de rejet de CO2 et de gaz à effet de serre.

On a d’ailleurs oublié d’invoquer cet atout dans la négociation de l’objectif du triple 20 : alors que la France rejette à peu près un tiers de moins de CO2 que les autres pays de l’Union européenne, elle s’est placée sur un pied d’égalité, rendant l’atteinte de cet objectif plus difficile. Il est d’ailleurs paradoxal d’essayer d’améliorer nos rejets et de s’en prendre en même temps à la filière nucléaire, comme certains le font.

Existe-t-il un lien entre la mise en œuvre du réacteur pressurisé européen (EPR) et la fermeture annoncée d’une centrale de première génération ?

La décision de fermer la centrale de Fessenheim est-elle définitivement arbitrée ? Sur quelles bases en termes d’expertise technologique, financière et sociale ? Pourquoi cette centrale a-t-elle été choisie, alors que de l’avis unanime des experts elle a fait l’objet de tous les travaux nécessaires à sa maintenance et sa sûreté ?

Par ailleurs, qui va payer ce démantèlement ? Comment sera-t-il financé ? On a pu estimer à au moins 8 milliards d’euros les conséquences de cette fermeture, compte tenu de l’indemnité pour les trois actionnaires, du coût des travaux de démantèlement, ainsi que de la construction de nouvelles centrales thermiques pour fournir l’Alsace en électricité et de la mise en place de nouveaux réseaux.

Forts de l’expérience allemande, montrant que restreindre l’avenir de la filière nucléaire conduit à augmenter les rejets en carbone et à accroître le montant des factures – les foyers allemands payant l’électricité 80 % plus cher que les français –, n’est-il pas surprenant de décider une telle fermeture ?

En outre, comment à la fois demander 50 milliards d’euros d’économies et engager ainsi 8 milliards d’euros de dépenses supplémentaires ?

A-t-on évalué les conséquences de la fermeture de Superphénix ? Y êtes-vous favorable ?

Enfin, comment l’État français entend-il pallier les effets de cette commission d’enquête, qui a montré que si les installations nucléaires françaises étaient particulièrement sûres, leur sécurité vis-à-vis des actes malveillants a été mise à mal par des détails qu’elle a apportés à plusieurs reprises sur un certain nombre de points ?

Mme Frédérique Massat. Concernant l’information locale des populations vivant à proximité des centrales, les commissions locales d’information nous ont fait part de leurs difficultés à exercer leurs missions, notamment par manque de moyens. Elles souhaitent que la loi puisse, le cas échéant, améliorer l’information du public au regard du risque nucléaire. Le projet de loi prévoit-il des mesures en la matière ?

Par ailleurs, l’État se retrouve aujourd’hui en position d’assureur en dernier ressort – on nous a parlé à cet égard d’un coût de 700 millions d’euros par an, soit 78 milliards d’euros sur quarante ans –, sans répercuter le coût de cette garantie sur l’exploitant. Une telle répercussion pourrait en effet entraîner une hausse des tarifs. Quelle est la position du Gouvernement sur ce point ?

M. Michel Sordi. Madame la ministre, dans votre région, vous vous êtes battue comme une lionne pour défendre vos entreprises et vos emplois, et, dans ma circonscription, on veut fermer la belle usine de Fessenheim, qui emploie 2 200 personnes et est conforme à la réglementation : vous pouvez donc me comprendre !

Cette fermeture est une triple erreur. Économique, d’abord, au regard des conséquences sur le secteur en termes de vente de logements, de fermeture de classes ou de commerces, mais aussi parce qu’il va falloir indemniser l’exploitant et nos partenaires suisses et allemands et que, selon un rapport, cet arrêt ne permettra pas d’écrêter les pointes de consommation – nous aurions un problème de fourniture et de qualité qui viendrait impacter d’autres entreprises électro-intensives installées dans la plaine d’Alsace. Une erreur sociale, ensuite, en raison de la suppression de 2 200 emplois, sachant que la fermeture est prévue dans deux ans et qu’il n’y a pour l’instant aucun projet de substitution. Enfin, une erreur environnementale, car nos voisins allemands ont, du fait de la réduction du nucléaire, augmenté leur production de CO2 de 13 % au cours de l’année passée.

Ne faut-il donc pas repousser la fermeture de Fessenheim pour nous laisser le temps de mettre en place un plan de reconversion du site ? Je rappelle que l’autorisation d’exploitation de l’usine a été prolongée de dix ans et que l’exploitant ne souhaite pas pour l’instant la fermer.

M. Éric Straumann. Monsieur le rapporteur, les élus locaux et les salariés sont contre cette fermeture prématurée.

Madame la ministre, la fermeture de Fessenheim fera-t-elle l’objet d’un article dans la prochaine loi sur la transition énergétique ? Combien coûtera-t-elle ?

M. Stéphane Travert. Les salariés de la filière nucléaire souhaitent que leur travail soit reconnu, que ce soit sur les sites de production ou les sites de construction de l’EPR de Flamanville.

Je rappelle que pendant dix ans nous n’avons guère construit de centrales, ce qui a entraîné une petite perte de savoir-faire. Comment voyez-vous la continuité de la troisième génération pour pallier les demandes de production croissantes et les fermetures programmées, en attendant la montée en puissance des énergies marines renouvelables ?

M. Hervé Mariton. Le projet de loi de transition énergétique conduira sans doute à l’horizon 2025 à la fermeture, hélas, de Fessenheim et d’autres réacteurs. Quand le Gouvernement a-t-il prévu de présenter l’analyse économique et financière de cette décision, au-delà de la question du démantèlement ? Le fera-t-il dans l’étude d’impact ? Ce choix anticipé a en effet un coût, qu’il convient de connaître.

Se pose aussi la question de l’indemnisation de l’opérateur. EDF est une société cotée : elle n’aurait pas le droit de ne pas demander une indemnisation liée à une décision résultant du fait du prince. De même que pour une nationalisation, une telle décision exige de fait une juste et préalable indemnisation. Quand le Gouvernement fera-t-il connaître sa position sur le montant de celle-ci ?

M. Patrice Prat. Je rappelle que nous avons vu également le site de Marcoule, qui concentre les ressources et qualifications nécessaires pour être le pôle d’excellence du démantèlement en France et peut accueillir le prototype ASTRID.

Madame la ministre, je salue vos déclarations récentes selon lesquelles il ne faut pas opposer le nucléaire et les énergies renouvelables.

Pouvez-vous nous préciser le scénario retenu par l’État sur l’évolution de la demande d’électricité, qui peut avoir des conséquences directes sur la situation économique et le maintien du parc nucléaire ?

Par ailleurs, je suis préoccupé par la politique d’EDF et du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) sur les prix pratiqués dans le cadre des appels d’offre, qui tendent à faire pression sur d’autres acteurs de la filière, notamment Areva pour l’exploitation des installations de démantèlement – ce qui n’est pas sans conséquence sur l’emploi, la sécurité et la sûreté. En ayant recours à des prestataires extérieurs qui n’ont pas forcément les mêmes qualifications et expérience, on pourrait en effet jeter le discrédit sur cette filière d’excellence. Quelles sont vos préconisations en la matière ?

M. Jean-Louis Costes. La montée en puissance des énergies renouvelables ne suffira pas à pallier la baisse de la production électrique liée à la fermeture de centrales à terme. Êtes-vous donc favorable à la construction de nouvelles centrales nucléaires dans des conditions maximales de sécurité ?

M. le rapporteur. Je répète que le rapport de la Cour des comptes sur les coûts du nucléaire disait qu’implicitement, l’État avait décidé de prolonger les réacteurs en activité plutôt que d’en construire de nouveaux. Celui-ci exerce-t-il son rôle, notamment de stratège et d’actionnaire principal des entreprises de la filière nucléaire ? Le projet de loi sur la transition énergétique tend-il à le lui permettre, qu’il s’agisse de la création, de la réglementation ou de la prolongation d’installations ?

Mme la ministre. Monsieur Accoyer, je salue au contraire les compétences du rapporteur, car on n’osait pas jusqu’ici aborder ces sujets. Le choix de la France avait été tellement massif en faveur de l’énergie nucléaire que plus personne ne se risquait à le contester. Je le dis d’autant plus aisément que je ne pense pas, au contraire du rapporteur, que l’on puisse sortir du nucléaire. Ce débat est fructueux car il nous permettra de justifier nos choix devant l’opinion publique, et ce, pour la première fois dans l’histoire de notre pays.

Cela est d’autant plus attendu par les Français qu’ils contestent vigoureusement la hausse de leurs factures d’électricité. Il est choquant en effet d’entendre que cette hausse est inéluctable alors qu’on leur dit que notre énergie nucléaire est performante. Je remets en cause ce dogme et je demande à voir pourquoi ces factures augmentent et pour quelle raison la Commission de régulation de l’énergie (CRE) est obligée de prendre des décisions en fonction du calcul des coûts de l’énergie communiqués par les grands énergéticiens. Je souhaite que la représentation nationale ait aussi son mot à dire et le droit à la transparence sur la formation de ces coûts.

Je suis d’ailleurs en train de réformer le décret sur la fixation du prix de l’énergie et de regarder de très près les motifs de l’augmentation annoncée pour le 1er juillet prochain, afin de la remettre en cause.

M. le président François Brottes. Je précise que le groupe socialiste prendra l’initiative dans les jours qui viennent d’une demande d’une commission d’enquête sur les tarifs de l’électricité.

Mme la ministre. Je n’opposerai pas les énergies les unes aux autres. Les choix sur le nucléaire ont été faits pendant des années, avec parfois des effets négatifs, car la production était tellement supérieure à la consommation que les Français ont cru que l’énergie serait bon marché et pléthorique ad vitam aeternam. C’est la raison pour laquelle nous sommes le pays le moins performant en matière d’isolation, de performance énergétique et de lutte contre les gaspillages d’énergie. Nous avons par là même pris beaucoup de retard par rapport à des pays qui avaient une énergie rare et chère et ont su développer des filières dans le bâtiment et des énergies renouvelables plus performantes, se positionnant ainsi à l’international sur des marchés créateurs de beaucoup d’activité et d’emplois.

En outre, avoir un discours d’opposition vis-à-vis de l’énergie nucléaire conduit à mettre en cause la dignité de milliers de salariés de la filière. Cela est d’autant moins acceptable que la France doit honorer un certain nombre de commandes internationales et qu’il faut assurer une continuité de l’État, indépendamment des choix énergétiques.

Nous sommes maintenant à un tournant : après les catastrophes nucléaires, la demande mondiale dans ce domaine est en train de baisser. L’État est actionnaire à 85 % de l’opérateur nucléaire : nous devons donc orienter judicieusement l’allocation optimale des ressources publiques, de manière visionnaire – par rapport à ce que seront la demande énergétique mondiale, les évolutions technologiques et les contraintes liées aux différentes formes d’énergie.

J’ai engagé avec EDF un travail sur cette vision de l’avenir et lui ai demandé d’y réfléchir avec ses dirigeants, qui sont actifs en la matière et conscients des positionnements internationaux à prendre, des enjeux industriels et du fait que l’État va mieux exercer ses responsabilités d’actionnaire. Nous convergeons vers l’idée que, d’ici 2025, il n’y aura pas de forte croissance de la demande intérieure d’électricité. Nous nous y engageons car la performance énergétique passe d’abord par les économies d’énergie.

La montée en puissance ambitieuse des énergies renouvelables devra parallèlement s’accompagner d’une évolution de la place de l’énergie nucléaire. Je souhaite que ce mix énergétique soit mis en œuvre collectivement. J’observe à cet égard qu’EDF, Areva ou Alsthom se positionnent de plus en plus sur les énergies renouvelables même si, paradoxalement, ils l’ont fait beaucoup moins en France que dans d’autres pays, qui ont capté le savoir-faire des industriels français.

Nous sommes confrontés à une course à l’innovation, comme le montre par exemple la nouvelle génération des parcs éoliens offshore avec des éoliennes flottantes, plus rapidement installées et moins nocives pour les écosystèmes marins, ou le positionnement d’entreprises comme DCNS sur l’hydrolien, notamment dans les mers chaudes, en couplant la récupération de chaleur et l’énergie marine. Il ne faut pas que nos grandes entreprises industrielles se figent sur un modèle passé et ratent ce tournant important de la conquête de nouveaux marchés mondiaux, de nouvelles technologies et de nouvelles innovations. Ce débat sur les choix énergétiques est crucial.

En tant que responsables de la bonne allocation des investissements publics et de la définition de notre modèle énergétique, nous devons montrer la voie de l’avenir et y entraîner les entreprises. C’est tout l’enjeu du prochain projet de loi.

Il serait donc regrettable que ce débat politique se focalise sur la question de l’énergie nucléaire et que celle-ci devienne un enjeu politicien. À cet égard, les questions que vous avez posées sont parfaitement légitimes et, même au sein du parti socialiste, il y a des divergences de vues. Je souhaite que nous ayons des groupes de travail spécifiques afin de nous permettre de répondre aux questions que se posent les Français au moment du vote de la future loi : allons-nous être efficaces sur la performance énergétique ? Les transports propres ? La montée en puissance des énergies renouvelables ? La question de la pollution de l’air ? Qu’allons-nous être capables de changer dans la vie quotidienne des Français pour maîtriser le coût de l’énergie et les rendre davantage citoyens dans les choix énergétiques, grâce par exemple aux compteurs intelligents ? Comment allons-nous pousser en avant nos filières industrielles, leur donner la possibilité de créer des activités et des emplois, sachant que le seul levier de la croissance aujourd’hui est la croissance verte ?

Je relève d’ailleurs que sur les 34 plans industriels prévus, 10 relèvent de la transition énergétique. Il faut donner de la visibilité à ces filières industrielles et les moyens d’investir et de créer des emplois en leur garantissant une commande publique, en leur donnant des règles juridiques et fiscales stables, en simplifiant les procédures, en réduisant les délais de recours et en sécurisant ainsi la décision juridique. Il n’y a aucune raison qu’en Allemagne, qui protège aussi bien son environnement que nous, les délais de recours soient quatre fois moins longs qu’en France.

S’agissant de la fermeture de Fessenheim, je comprends parfaitement vos inquiétudes, mais il y a des solutions, sachant que d’autres centrales arriveront à la fin de leur vie dans les années qui viennent.

On sait aujourd’hui qu’avec les normes nouvelles de sécurité, cette centrale ne serait pas construite – comme beaucoup d’autres du reste. Nous la fermons en premier car c’est la plus ancienne – je rappelle par exemple que son fond est d’1,5 mètre au lieu de 8. Le commissaire général à l’énergie atomique ne conteste d’ailleurs pas ce choix.

Je vous propose que nous en discutions dans le cadre d’un groupe de travail spécifique avec les représentants des salariés de la centrale et que nous mettions toutes les questions sur la table.

C’est d’ailleurs peut-être une chance pour Fessenheim d’être la première à fermer. Il y a aujourd’hui dans le monde 400 centrales à démanteler, ce qui constitue un marché considérable, que la France pourrait conquérir. Nous avons donc besoin d’un site expérimental menant toutes les opérations du démantèlement, du début à la fin. Fessenheim pourrait ainsi devenir un pôle d’excellence du démantèlement des centrales et permettre à EDF de se positionner sur le marché mondial. Il faut voir dans quelle mesure on pourrait par ce biais maintenir sur le site les emplois actuels.

Plus les transitions sont rapides, plus elles rapportent et moins elles coûtent. La fermeture de la centrale peut ne rien coûter si on se positionne sur un projet industriel d’avenir ; elle pourrait même rapporter.

M. Hervé Mariton. Pourrez-vous nous communiquer le montant précis du coût de la fermeture et des gains engendrés par le nouveau projet ?

Mme la ministre. Oui et il faudra présenter ces données sur plusieurs années. Comme elle s’est positionnée dans le passé sur son savoir-faire nucléaire, la France peut aujourd’hui se positionner sur le savoir-faire de la gestion de la durée de vie des centrales et l’émergence des centrales de nouvelle génération. Au vu de la demande mondiale, celle-ci correspond à des centrales de plus petite taille, plus proches et s’inscrivant dans le cadre d’un mix énergétique, avec une offre également dans les domaines de l’éolien, du solaire ou de l’hydrolien en fonction des caractéristiques et de la localisation des pays. On le sait depuis la catastrophe de Fukushima : ne proposer que le nucléaire est une impasse.

Monsieur Mariton, je vous propose que nous organisions rapidement une réunion technique pour voir comment accompagner cette mutation.

M. Michel Sordi. Lorsqu’il y a quelques mois, un appel d’offre sur le solaire a été lancé à l’échelon national, le sud l’a emporté, au détriment de l’est. Il eût été logique que celui-ci soit davantage positionné. Il faut aussi prendre en compte d’autres paramètres, comme la question du transport de l’énergie.

Par ailleurs, on n’aura jamais de projet de substitution en vingt-quatre mois. Nous allons être confrontés à un choc économique avec la fermeture de Fessenheim alors qu’on pourrait se donner davantage de temps. Cela dit, je suis tout à fait disposé à vous rencontrer pour approfondir la question.

M. Éric Straumann. Je répète ma question : la fermeture de Fessenheim fera-t-elle l’objet d’un article de la prochaine loi sur la transition énergétique ? Quelle en sera la base juridique ?

Par ailleurs, une étude d’impact est-elle en cours d’élaboration ?

M. Jean-Louis Costes. Je vous remercie, madame la ministre, de votre position en faveur de petites centrales s’inscrivant dans le cadre d’un mix énergétique.

M. Hervé Mariton. Au-delà des opportunités évoquées, la fermeture de Fessenheim a un coût économique, qu’il convient encore une fois de connaître. On a pu observer qu’EDF ne donne pas beaucoup de détail à cet égard, comme l’a montré l’audition de son président, que j’avais interrogé sur ce point.

Je précise que Marc Goua et moi-même avons prévu, en tant que rapporteurs spéciaux de la commission des finances, de présenter à celle-ci d’ici quelques semaines un rapport qui s’intéressera au coût de cette fermeture et à celle d’autres réacteurs.

Mme la ministre. Au sujet de Fessenheim, je vous propose encore une fois de créer un groupe de travail, dans lequel je m’impliquerai personnellement avec EDF.

Je répète également que nous devons saisir l’opportunité de conquérir l’important marché de démantèlement des centrales.

Aujourd’hui, le coût de démantèlement de Fessenheim, qui est évalué à un montant de 400 à 500 millions d’euros, est provisionné. Il faut que les entreprises du territoire se positionnent pour mettre en œuvre cette opération et que les sous-traitants soient correctement payés par les grands donneurs d’ordre qui obtiendront les marchés correspondants. Il convient également de calculer ce que seront les retombées de ce vaste chantier sur le territoire. Enfin, il faut accélérer la mise en place d’un pôle d’excellence de démantèlement des centrales, que je souhaite voir installé à Fessenheim, de manière que ce qui est ressenti comme un préjudice ou une injustice soit considéré comme une chance. Nous pouvons mettre sur pied à cet égard un groupe de travail de préfiguration de ce pôle, impliquant le préfet, de manière à voir comment il peut animer les parties prenantes sur le territoire. Je souhaite, en tout cas, qu’au moment du débat sur la future loi, ce problème soit réglé de façon positive.

Quand on freine des mutations évidentes, on en paye douloureusement le coût, mais quand on les accélère dans le cadre d’un projet commun, on crée des valeurs ajoutées et des énergies positives.

M. Éric Straumann. Encore une fois, sur quelle base juridique la centrale sera-t-elle fermée ? La décision sera-t-elle prise par décret ou dans le cadre de la future loi ?

Mme la ministre. Je souhaite que la décision soit prise contractuellement, sur la base d’un projet, entre l’État, EDF et les élus locaux. Je pourrais certes prévoir une disposition dans la loi à cet effet, mais je ne crois pas que ce soit la bonne solution. Je souhaite que l’on se mette d’accord avant l’adoption de la loi, quitte à prévoir ensuite dans celle-ci des dispositions nécessaires au bon déroulement du projet.

J’emploierai en tout cas toute ma capacité de conviction à l’égard de la direction d’EDF pour que ce problème soit réglé de cette façon.

M. Éric Straumann. Les collectivités locales seront-elles associées ?

Mme la ministre. Elles feront naturellement partie du groupe de travail. Nous ferons très rapidement des propositions à cet égard.

M. le président François Brottes. Je vous remercie.

La séance est levée à treize heures vingt-cinq.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d'exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l'électricité nucléaire

Réunion du mercredi 21 mai 2014 à 11 h 45

Présents. - M. Damien Abad, M. Bernard Accoyer, M. Denis Baupin, M. François Brottes, M. Jean-Louis Costes, Mme Françoise Dubois, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, Mme Sandrine Hurel, M. Hervé Mariton, Mme Frédérique Massat, M. Patrice Prat, M. Michel Sordi, M. Éric Straumann, M. Stéphane Travert, Mme Clotilde Valter

Excusé. - M. Philippe Baumel