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Commission d’enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d’exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l’électricité nucléaire, dans le périmètre du mix électrique français et européen, ainsi qu’aux conséquences de la fermeture et du démantèlement de réacteurs nucléaires, notamment de la centrale de Fessenheim

Jeudi 5 juin 2014

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 68

Présidence de M. François Brottes Président

– Examen du rapport

La séance est ouverte à dix heures quinze.

M. le président François Brottes. Notre réunion se déroule à huis clos, mais fera l’objet d’un compte rendu qui sera joint au rapport que M. Baupin va nous présenter.

Sur quelques points, j’ai souhaité des aménagements que j’ai discutés avec lui et dont je vous préciserai tout à l’heure la teneur. Vous pourrez ensuite formuler vos remarques, après quoi les groupes politiques auront jusqu’à vendredi, 17 heures, pour fournir une contribution s’ils le souhaitent. À l’issue de la réunion, nous voterons en vue d’autoriser la publication du rapport, amendé le cas échéant.

M. Denis Baupin, rapporteur. Ce rapport témoigne du travail important que nous avons fourni et je remercie tous ceux qui y ont pris part. Notre objectif était d’éclairer autant que possible le choix des décideurs, en particulier des parlementaires, dans la perspective de l’examen prochain du projet de loi sur la transition énergétique. De l’avis général et abstraction faite des positions de chacun sur le fond, cette commission d’enquête a contribué à éclaircir plusieurs questions.

Nous avons utilisé les chiffres présentés par la Cour des comptes dans le rapport qu’elle a établi à notre demande et que nous avons annexé au nôtre. Grâce à ce travail, certains coûts sont désormais bien établis, mais d’autres restent incertains, ce qui, de l’avis même de la Cour, nécessite de poursuivre l’analyse. D’autre part, certaines données évoquées au cours d’auditions à huis clos doivent demeurer confidentielles, soit pour des raisons de sécurité, soit en raison de leur enjeu commercial ; elles ne sont donc pas reprises dans le rapport, car il n’était évidemment pas question de mettre en danger les installations ni les entreprises de la filière, cotées en Bourse et engagées dans des négociations internationales.

Nous avons travaillé dans un délai d’autant plus contraint que les six mois dont dispose toute commission d’enquête pour mener à bien ses travaux ont été amputés dans notre cas de la période correspondant à la campagne des municipales. Nous avons néanmoins auditionné 75 personnes ou organisations et effectué trois déplacements sur le terrain – à Flamanville et La Hague, à Marcoule et Tricastin, enfin à Fessenheim – qui ont été fort utiles : il est bien plus éclairant d’observer soi-même les installations et de rencontrer les personnes concernées sur place que d’en discuter depuis Paris.

Je l’ai dit aux dirigeants d’EDF et d’AREVA : leurs équipes respectives ont apporté à nos travaux une contribution précieuse en nous fournissant les chiffres – même s’il n’a pas toujours été facile de tous les obtenir – et les informations nécessaires à une vision claire de la situation. Il convient de saluer cette coopération, même si elle est obligatoire dans le cadre d’une commission d’enquête.

J’en viens aux recommandations qui concluent le rapport.

Nous constatons en premier lieu que les coûts de la filière nucléaire augmentent, pour plusieurs raisons : l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a demandé que la sûreté soit renforcée à la suite de l’accident de Fukushima et à ces coûts et à ceux de la maintenance s’ajoutent ceux des nouvelles installations, à Flamanville comme à l’étranger. En effet, si l’on ne peut évaluer aujourd’hui le prix du mégawattheure qui sera produit à Flamanville, la Cour des comptes juge que le coût d’un EPR sera plus élevé que celui d’un réacteur de deuxième génération, même en tenant compte d’une durée d’exploitation de soixante ans.

Deuxièmement, nous soulignons la nécessité, souvent rappelée par l’ASN, de renforcer la robustesse de notre système électrique afin d’éviter des incidents génériques qui nous obligeraient un jour à choisir entre la sûreté nucléaire et l’approvisionnement électrique de notre pays. Le fait que 78 % de notre alimentation électrique provienne d’une même technologie et d’un parc très homogène nous rend vulnérables. Il convient par conséquent que soit respecté l’engagement de rééquilibrer notre mix électrique.

Troisièmement, nous constatons qu’il a fallu une commission d’enquête parlementaire pour que l’on s’attache enfin à déterminer clairement les coûts potentiels de la filière, les contraintes de sûreté et leurs conséquences sur les investissements à consentir, alors que ce travail devrait être mené sous l’égide de l’État. Nous souhaitons donc que celui-ci se dote d’outils de pilotage à cette fin. Pour autant que nous puissions le savoir, il semble que le projet de loi sur la transition énergétique aille dans ce sens en prévoyant l’installation de comités d’experts chargés de collecter les données utiles. Nous avons néanmoins tenu à souligner que, lorsqu’il s’agit d’évaluer le coût des investissements résultant des contraintes de sûreté définies par l’ASN, il faut non seulement donner la parole à l’exploitant, mais accorder un droit de regard aux services de l’État.

Quatrièmement, la transition énergétique suppose l’élaboration de modèles économiques (business models) robustes, à l’intention des entreprises concernées. Y concourt la diversification de la production entamée par les entreprises de la filière nucléaire, que ce soit EDF avec EDF Énergies nouvelles ou AREVA avec les appels d’offres concernant l’éolien offshore. L’État en tant qu’actionnaire ou stratège peut contribuer à ce que la transition énergétique s’appuie sur des acteurs industriels reconnus au niveau national ou européen, voire au niveau mondial, en particulier en envoyant les bons signaux-prix. Or la commission d’enquête constate avec bien d’autres observateurs que, de ce point de vue, le marché européen de l’électricité ne fonctionne pas de façon satisfaisante. Nous avons besoin d’un véritable prix du carbone, d’un marché de l’effacement, de capacités de stockage, etc.

La cinquième de nos recommandations est en faveur des électro-intensifs, sur le cas desquels nous avons été alertés à plusieurs reprises. Il y a un consensus entre nous sur la nécessité de les protéger, afin d’éviter que la hausse du prix de l’électricité ne les incite à s’expatrier. C’est d’ailleurs devant la commission d’enquête que la Commission de régulation de l’énergie (CRE) a proposé de leur accorder une réduction de moitié du tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE). Pour être pérennisée, cette mesure nécessite une disposition législative que nous appelons de nos vœux.

Notre sixième recommandation porte sur les questions de sûreté. Nous avons en France, en particulier grâce à l’indépendance de l’ASN et à l’existence des commissions locales d’information (CLI), un système de sûreté unique et reconnu même par les acteurs les moins favorables au nucléaire. Nous devons être d’autant plus à l’écoute de l’ASN lorsqu’elle demande des moyens supplémentaires – humains, financiers, juridiques – pour mener à bien un travail accru du fait du grand carénage et de la construction de l’EPR, et pour faire respecter ses recommandations par les exploitants.

En septième lieu, nous recommandons de « muscler » la maintenance, qui pose au sein des centrales des difficultés sur lesquelles EDF elle-même a alerté par la voix de son inspecteur général pour la sûreté nucléaire. Les savoir-faire se perdent, notamment à cause des départs à la retraite. Cette recommandation est d’autant plus importante à l’heure où de nombreux chantiers sont en préparation.

Notre huitième recommandation concerne la protection des travailleurs du nucléaire. En la matière, des progrès ont déjà été accomplis : les doses qu’ils reçoivent ont globalement baissé depuis une dizaine d’années. Nous soutenons toutes les mesures susceptibles d’améliorer encore la situation et d’harmoniser la protection des travailleurs quels que soient leur statut – salarié d’EDF ou sous-traitant – et le lieu où ils interviennent.

La neuvième recommandation porte sur les charges futures. Par cette expression que le président Brottes n’aime guère, car il estime qu’elles ont pour partie déjà donné lieu à des engagements, il faut en réalité entendre les charges qui incomberont à la filière y compris dans l’hypothèse d’une cessation de son activité : celles du démantèlement des installations et de la gestion des déchets radioactifs. Chacun en conviendra, c’est dès aujourd’hui qu’il faut sécuriser ces financements. Nous soutenons donc les recommandations de la Cour des comptes en ce sens, qu’elles concernent le taux d’actualisation ou la fin du système de dérogations. Nous recommandons, en outre, d’étudier une suggestion que plusieurs groupes politiques de notre Assemblée ont formulée dans des propositions de loi : le placement des provisions destinées à couvrir ces charges dans un fonds dédié auprès de la Caisse des dépôts. Cette proposition est donc versée au débat, notamment dans le cadre de la discussion sur le projet de loi de transition énergétique.

La dixième recommandation concerne le projet de centre industriel de stockage géologique, Cigéo. C’est finalement la Cour des comptes qui nous a renseignés sur son coût, dont nous n’avions pu obtenir aucune estimation de la part des représentants de l’ANDRA, malgré notre insistance. Entre les exploitants et l’ANDRA, l’évaluation varie du simple au double : de 14 à 28 milliards d’euros. Il y a donc là un élément d’incertitude alors que le Gouvernement doit annoncer un chiffre cet été. Actuellement, les entreprises se fondent sur l’estimation la plus basse pour constituer leurs provisions ; dès lors, on peut craindre un surcoût. Même si, comme la Cour des comptes l’a souligné, l’effet sur le prix du kilowattheure ne doit pas être massif, il convient de provisionner au bon niveau.

Nous nous sommes également intéressés à l’aval de la filière, en particulier dans le cadre de nos déplacements à La Hague et à Marcoule : retraitement, fabrication du MOX, quatrième génération de réacteurs. Sur ce dernier sujet, les positions diffèrent au sein de la filière elle-même quant à la sécurité et aux pistes à privilégier. C’est assez logique dans la mesure où on en est encore au stade de la recherche, mais le débat sur les coûts et bénéfices doit être le plus ouvert possible pour éclairer les Pouvoirs publics. Tôt ou tard, il nous faudra en demander une évaluation globale et impartiale, sans doute à la Cour des comptes, qui nous a dit ne pas pouvoir le faire dans le temps qui nous séparait de la fin de nos travaux.

En matière de démantèlement, objet de notre douzième recommandation, plusieurs opérations sont en cours, mais trop peu sont achevées pour que nous puissions évaluer correctement les coûts – le seul constat étant celui d’un dépassement général des devis. L’audit annoncé par le Gouvernement pourrait favoriser une juste estimation qui ne soit pas tributaire du seul point de vue des exploitants, en vue d’un provisionnement adéquat. Par ailleurs, les industriels nous l’ont clairement indiqué, le démantèlement est une source d’activité économique et d’emplois, en France et à l’étranger.

Au nom de la transparence et de la nécessité d’impliquer le public, notre treizième recommandation tend à assurer aux comités et commissions locales d’information ainsi qu’à leur association nationale les moyens prévus par les textes mais qui ne leur ont jamais été alloués, afin qu’ils puissent faire correctement leur travail dont tous reconnaissent l’utilité. Je le répète, nous sommes le seul pays au monde à posséder en matière d’activité nucléaire un tel dispositif de contrôle citoyen associant toutes les parties prenantes.

Dans notre quatorzième recommandation, nous soulignons qu’il est de la responsabilité des Pouvoirs publics d’accompagner la fermeture des installations nucléaires, quel que soit le moment où celle-ci aura lieu, en veillant à la sécurité de l’approvisionnement électrique, grâce au développement de la production locale ou au renforcement des réseaux, mais aussi à la reconversion industrielle et au maintien de l’activité et des services publics dans les territoires concernés.

La quinzième recommandation a trait aux questions d’assurance. Si un accident nucléaire majeur devrait se produire, les textes sont clairs : c’est l’État qui serait mis à contribution – en tout cas à titre principal, car bien que la Cour des comptes écrive que l’État assure gratuitement contre ce risque, une partie demeure tout de même à la charge des exploitants. Il faut pouvoir chiffrer le coût qui en résulte, en équivalent assurance, afin de pouvoir comparer les différentes filières sous ce rapport. Ce qui soulève un problème très concret, que formulait déjà la Cour des comptes dans sa première étude : doit-on provisionner par avance la somme nécessaire pour faire face à un accident, ou est-ce à ceux qui le subiront de payer ? La pollution due aux pétroliers est indemnisée par les Fonds internationaux d’indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures (FIPOL). Le fait qu’il n’en existe pas d’équivalent dans le domaine du nucléaire pose un problème éthique dans la mesure où ce sont les victimes futures qui paieront, plutôt que ceux dont la consommation d’électricité aura conduit à l’accident. Cette question de l’internalisation des coûts externes se pose d’ailleurs également à propos des dégâts du réchauffement climatique.

La seizième et dernière recommandation concerne la gestion de crise en cas d’accident nucléaire. En la matière, nos capacités d’anticipation se sont améliorées, notamment grâce aux travaux du Comité directeur pour la gestion de la phase post-accidentelle d’un accident nucléaire ou d’une situation d’urgence radiologique (CODIRPA). Ces avancées résultent notamment de la réaction de l’ASN à l’accident de Fukushima, ainsi que de celle de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), mobilisé du fait de la présence de citoyens français au Japon ou de l’importation de produits en provenance de ce pays. Toutefois, des progrès restent à faire : nous l’avons constaté à Fessenheim, les consignes à suivre en cas d’accident – faut-il se calfeutrer ou au contraire s’éloigner ? – ne sont pas harmonisées de part et d’autre de la frontière.

M. le président François Brottes. Merci, monsieur le rapporteur.

Précisons que, si vous avez employé la première personne du pluriel, c’est bien parce que les recommandations formulées dans le rapport le sont au nom du rapporteur et du président de la commission d’enquête : j’en assume le contenu jusque dans le détail.

Je me félicite du travail utile, et même nécessaire, que nous avons accompli. Le rapport distingue, chapitre après chapitre, le certain de l’incertain en présentant les différents points de vue de la manière la plus objective possible. Il ne prend pas parti pour ou contre l’énergie nucléaire, mais pose les questions qui doivent l’être. Certes, le rapporteur en termine systématiquement par la thèse dont il se sent le plus proche, mais cela relève de sa marge de manœuvre légitime ; l’important est qu’il fasse état des positions en présence et des échanges que nous avons eus ou entendus, ce qui est le cas.

Je reste simplement quelque peu sur ma faim pour ce qui est de la partie consacrée au risque : nous n’en sommes pas encore arrivés à une approche totalement rationnelle, à mon avis. Cela étant, nous avons identifié les problèmes et les questions majeures sur un sujet qui mériterait qu’on lui consacre une étude entière.

J’ai demandé au rapporteur de procéder à quelques modifications, ce qu’il a accepté. Elles seront donc intégrées au rapport, à la différence des amendements que les membres de la commission d’enquête pourraient proposer et qui relèveront de contributions spécifiques. Outre quelques corrections de forme, j’ai ainsi souhaité que nous soyons plus pédagogues, en ajoutant au chapitre 5 une description de la contribution au service public de l’électricité (CSPE) et en expliquant, au chapitre 9, la manière dont sont constitués les tarifs. J’ai également demandé que soit mentionnée la précarité énergétique à la page 14 de l’introduction, qui souligne l’importance de la politique énergétique pour la compétitivité des entreprises, mais ne parlait jusqu’à présent pas des ménages. J’ai aussi souhaité un complément sur l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), qui accomplit un travail remarquable de lutte contre la prolifération et déploie dans toutes nos installations un dispositif de contrôle très performant.

Enfin, j’ai demandé que soit réécrit, page 91, le paragraphe relatif au chantier finlandais d’Olkiluoto, dont la version initiale tendait à remettre en cause la filière en tant que telle. Le rapporteur et moi-même nous sommes mis d’accord sur la rédaction suivante : « La réédition, sur le chantier de l’EPR d’Olkiluoto, en Finlande, de délais et surcoûts similaires amène, selon les dernières estimations, le coût final du projet finlandais à environ 8,5 milliards d’euros. Il n’appartient pas à la commission de se prononcer sur les responsabilités respectives du constructeur et du futur exploitant, ni sur les exigences de l’autorité de sûreté finlandaise. » Cette version est plus sobre.

M. le rapporteur. Moins maladroite.

M. le président François Brottes. Dans un contexte de contentieux lourd, elle pose une question, prend acte d’un état de fait, mais évite de tirer des conclusions à la place des juges.

M. Jean-Pierre Gorges. Le titre du rapport est conforme à l’objet qui était assigné à la commission d’enquête, mais je trouve étonnant que, quitte à le modifier, il ne fasse pas de place à une préoccupation vers laquelle nous avons dérivé tout au long de nos travaux, à savoir la transition énergétique.

Nous avons bien senti que notre rapporteur abordait ce travail avec un a priori, comme en a témoigné le choix de certaines des personnes auditionnées, dont on se demande ce qu’elles ont apporté au débat sinon quelques moments épiques. D’autre part, alors que nous étions au milieu d’une campagne électorale, certaines réunions ont été organisées à des moments qui ne facilitaient pas notre participation, ce qui n’a pas été le cas pour la mission d’information sur l’écotaxe, présidée par Jean-Paul Chanteguet et dont j’étais également membre, de sorte que je puis faire la comparaison. Même ayant remporté mon élection au premier tour, je n’ai pu visiter les sites nucléaires comme cela aurait été mon souhait !

Cependant, à mesure que nous avancions dans nos auditions, j’ai noté que l’attitude de notre rapporteur évoluait, peut-être sous l’influence de ce qu’il entendait. Il reste que, ayant participé par goût à plusieurs commissions d’enquête ou missions d’évaluation et de contrôle, je n’en ai jamais vu conduites de cette façon : en général, on y commence par s’efforcer à une objectivité maximale, quitte à laisser percer sa subjectivité par la suite. Je me souviens par exemple de la commission d’enquête sur les emprunts toxiques, que présidait Claude Bartolone et dont j’étais rapporteur : nous n’étions pas du même avis au début, il n’empêche que nous avons fini par voter le rapport à l’unanimité.

Dans ce rapport, la sécurité l’emporte sur toute autre considération et, par exemple, les coûts futurs du nucléaire, mentionnés pourtant dans l’intitulé de la commission, ont été négligés – hormis ceux de la quatrième génération, dont vous venez de dire qu’elle serait plus chère que les précédentes alors que tout a démontré le contraire.

Je ne retrouve pas dans ce rapport bien des points essentiels, dont un dont la démonstration, elle, a été faite, à savoir que l’électricité d’origine nucléaire est la moins chère, même si son prix doit continuer d’augmenter et même si tous les coûts n’ont pas été pris en compte. D’où l’intérêt de l’étude à venir, qui fera la comparaison avec les autres sources d’énergie.

Non seulement le nucléaire est l’énergie la moins chère, mais c’est aussi la plus propre. L’intermittence des énergies alternatives est en effet génératrice d’émissions de CO2. Les Allemands, j’ai pu le constater ce week-end, doivent payer de plus en plus cher leur électricité tout en étant soumis à une pollution accrue. Il convient donc de souligner que la France est le pays où le taux de rejet de CO2 est le plus faible, rapporté à sa production d’électricité.

Avec nos centrales de troisième génération, le combustible ne pèse que pour 10 % dans le prix de revient du kilowattheure mais, comme l’explique bien le rapport, il nous suffit d’adopter une nouvelle technologie – que nous avions d’ailleurs sous la main au moment où nous avons arrêté Superphénix, en 1998 – pour que, avec la quatrième génération, la ressource en uranium connue passe de 130 ans – disons de 70 à 80 ans au pire – à 5 000 ou 7 000 ans : autrement dit, ce sera une ressource illimitée ! Il faudrait le faire savoir à tous nos concitoyens, au lieu de tenir cette information confidentielle, de propos délibéré de la part de ceux qui y ont intérêt. Et que sera-ce avec les générations de réacteurs suivantes ? Le progrès sera sans doute le même qu’en informatique ! Ayons donc confiance en la science et en la technologie ! Le crédit d’impôt recherche n’a pas été créé pour rien. Nous traitons ici de domaines que nous commençons seulement d’explorer et nous faisons comme si le mouvement devait s’arrêter ! Sur tout ce pan prospectif de la question qui nous était posée, je trouve donc le rapport très faible, alors que beaucoup d’auditions nous ont fourni des données objectives que nous aurions pu exploiter. À l’étranger, la quatrième génération est déjà à l’ordre du jour et, comme souvent, nous nous laisserons devancer…

Il en est d’ailleurs un peu de même en ce qui concerne la troisième génération : nous nous apprêtons à arrêter Fessenheim alors qu’aux États-Unis, on va exploiter le réacteur jumeau pendant soixante ans, voire quatre-vingts. Nous prenons des décisions fondées sur des considérations politiques, subjectives ou purement conjoncturelles.

Pour ce qui est de la sécurité, je suis entièrement d’accord avec le rapporteur. Il serait stupide de contester ses recommandations en la matière, notamment celle qui tend à intégrer dès à présent le traitement des déchets aux coûts de la filière. En revanche, il n’est aucune technologie, aucun dispositif qui permette de prendre en compte l’accident ultime – le faire ne peut revenir qu’à condamner la production nucléaire, comme cela conduirait à ne plus mettre une voiture sur les routes ou à ne plus construire d’usines chimiques, sachant que Seveso a fait plus de morts que tous les accidents nucléaires à ce jour. C’est d’ailleurs une loi qui vaut dans bien des domaines : c’est à l’État d’assumer la charge dans de telles circonstances extrêmes. Et, comme pour les retraites, la question est en effet de savoir s’il faut ou non anticiper, en économisant. Il en va ici comme pour l’achat d’une maison : le choix est entre épargner pour la payer comptant et souscrire un crédit, avec tous les aléas que cela comporte. Il n’y a pas lieu de faire d’une loi générale un argument contre le nucléaire, qui repose peut-être lui aussi sur une forme de crédit. Je m’étonne d’ailleurs que le rapporteur, bien au fait des réalités technologiques, oublie ce que peut apporter la recherche : il y a des solutions qu’on trouve en marchant ! Et c’est parce qu’on le savait qu’on a pu découvrir l’Amérique ou aller sur la Lune ! Le principe de précaution – je fais partie des cinq qui ont voté contre – est fait pour les animaux, pas pour l’homme ! L’homme teste, prend des risques à tout bout de champ et avance grâce à ses erreurs quand un animal ira toujours paître au même endroit.

C’est cet esprit que je ne retrouve pas dans le rapport : on n’a pas essayé de déterminer le coût à consacrer à la quatrième génération, en prévoyant bien sûr toutes les mesures de sécurité nécessaires mais en sachant que plus une technologie progresse, plus il y a convergence des solutions aux problèmes qui se présentaient initialement divers : tout s’améliore en même temps. Il en a été ainsi en informatique, hormis pour ce qui est de la dissipation de chaleur, et il en ira de même dans le nucléaire. Déjà, la quatrième génération présente, surtout par rapport à la deuxième, une valeur ajoutée en matière de sécurité et permet la transformation des déchets ultimes. On ne peut pas ne pas en tenir compte…

M. le président François Brottes. Le rapport en fait état.

M. Jean-Pierre Gorges. Le problème est ce qu’en retiendront les journalistes dans un document qui insiste avant tout sur ce qui peut faire peur. Les recommandations en faveur d’une amélioration de la sécurité, par exemple par la généralisation des redondances, sont incontestables, mais on ne peut faire abstraction du fait qu’il n’existe pas d’alternatives au nucléaire : ce ne peut être ni le photovoltaïque, ni l’hydraulique, ni, après l’arrêt du Conseil d’État, l’éolien, qui est en dernière analyse financé par l’État. Partout où on recourt à ces énergies nouvelles, il faut rallumer les chaudières au fioul ou au gaz ! Si ce rapport doit faire peur, ce devrait plutôt être pour convaincre d’investir dans la maintenance des réacteurs de deuxième et troisième générations, afin de les sécuriser et de prolonger leur vie, ce qui en abaisserait mécaniquement le coût comme l’a indiqué la Cour des comptes et nous donnerait du temps pour travailler aux technologies de l’avenir.

Pour résumer, la transition énergétique passera certainement par plusieurs voies mais, pour ce qui est du nucléaire, elle doit se faire vers une quatrième génération dans laquelle le combustible acquiert une durée de vie illimitée. Il faut donc investir dans la recherche tout en confortant la troisième génération afin de nous ménager les vingt années nécessaires pour ce saut technologique. Le pire qui puisse nous arriver, c’est que ce soient la Chine, les États-Unis ou le Royaume-Uni qui fassent ce saut – ou encore le Japon, qui s’est remis au nucléaire, ou l’Allemagne, qui pourrait s’y remettre. En effet, le constat est là pour tous : personne n’est mort du fait du nucléaire, pas même à Fukushima où c’est le tsunami qui a tué. Mais, dans ce rapport, on a opté pour faire peur avec ce qui fait notre force ! Pour moi, libéral-social, qui ne suis gaulliste que par admiration pour l’auteur d’une décision qui a assuré à la France trente années de tranquillité, je dois avouer que ce qui m’inquiète, c’est la suite !

M. Michel Sordi. Nous avons besoin, en effet, d’un vrai débat sur l’énergie, en partenariat avec nos voisins proches, en particulier allemands et suisses.

Je regrette comme M. Gorges l’arrêt de Superphénix, décidé en 1997 par Mme Voynet : c’était un outil de recherche et développement dont nous avons toujours besoin pour mettre en service les réacteurs de quatrième génération grâce auxquels nos réserves connues d’uranium passeront de 130 ans à plus de 6 000 ans.

Je me suis bien sûr intéressé avant tout à la partie du rapport consacré à Fessenheim. Alors que la ministre décrit le démantèlement de cette centrale comme une expérimentation en grandeur nature, le rapport rappelle très honnêtement qu’EDF dispose d’une certaine expérience en la matière pour avoir déjà procédé au démantèlement de centrales graphite-gaz et d’autres installations nucléaires de base : elle n’a donc pas besoin de la fermeture de Fessenheim pour apprendre à faire !

D’autre part, contrairement à ce qu’on annonce, le démantèlement ne créera pas beaucoup d’emplois, dans la mesure où il s’étalera dans le temps. On semble nous promettre des miracles…

M. le président François Brottes. Ce n’est pas le cas de ce rapport !

M. Michel Sordi. …mais rappelons que ce sont 2 200 emplois, directs ou indirects, qui sont menacés de disparaître dans vingt-quatre mois, c’est-à-dire demain, sans qu’aucune solution concrète soit offerte à ces salariés. Le rapport le reconnaît : « Malheureusement, le déplacement de la commission sur place a conduit à constater que les conditions ne sont pas réunies pour que le processus de mise à l’arrêt se déroule dans les meilleures conditions de dialogue et de prise en compte des attentes des salariés, des entreprises et des collectivités locales. » De fait, lors de la réunion à la préfecture de région, on nous a prodigué beaucoup de bonnes paroles, on a évoqué quantité de procédures, mais, à la question que je posais : « Est-il prévu un seul projet concret pour compenser la suppression de 2 200 emplois dans vingt-quatre mois ? », la réponse a été négative.

Toute l’économie locale sera affectée par la fermeture de la centrale. Avec le départ des agents, ce sont 300 à 400 maisons qui seront à vendre dans les villages alentour, des classes et des commerces qui disparaîtront. Pour les collectivités, ce sera la perte de 50 millions d’euros de taxes et autres recettes, de sorte, précise le rapport, que la commune verra « sa capacité d’autofinancement devenir fortement négative à partir de 2020, (…) à hauteur de 2,8 millions », alors que « le territoire de Fessenheim (…) est dans une position relativement inconfortable pour ce qui est des perspectives de développement ». L’adverbe « relativement » est certainement de trop…

Mais je ne puis suivre le rapporteur sur d’autres points, par exemple lorsqu’il affirme que « l’impact de la fermeture de la centrale sur le réseau électrique est bien cerné ». Et si, aujourd’hui, RTE « considère que l’approvisionnement de l’Alsace sera assuré sans risque à compter de 2017 », il faut croire qu’il a modifié sa position si l’on se réfère à l’étude diligentée par le conseil général, dont vous avez été destinataire, monsieur le président…

M. le président François Brottes. Nous ne l’avons pas reçue.

M. Michel Sordi. Comment est-ce possible ? Lorsque j’ai relancé les services qui tardaient à me l’envoyer, ils m’ont assuré qu’elle vous serait adressée en même temps qu’à moi.

M. le président François Brottes. C’est un élément que nous aurions volontiers intégré au rapport et que j’avais donc demandé ; nous avons reçu la présentation PowerPoint mais pas l’étude elle-même.

M. Michel Sordi. Il ressort de cette étude qu’une fois la centrale à l’arrêt, et sachant que tirer une ligne à haute tension prendra dix ans compte tenu des procédures nécessaires et des recours inévitables, on en sera réduit à « bricoler » sur les transformateurs sans parvenir à faire face aux pointes de consommation. En effet, le potentiel éolien est relativement limité dans la plaine d’Alsace et, sauf peut-être sur les crêtes, bien inférieur à ce qu’il est de l’autre côté de la frontière. Il est certes possible de développer géothermie et méthanisation, ainsi que d’aménager des champs de panneaux photovoltaïques mais, en 2013, la CRE n’a retenu que des dossiers concernant le sud de la France, aucun pour l’Est : on veut fermer notre centrale, mais on ignore nos réponses aux appels d’offres ! En tout état de cause, le potentiel des énergies thermiques ne dépasse pas 150 mégawatts, auxquels peuvent s’ajouter 350 mégawatts grâce à l’hydraulique, c’est-à-dire au Rhin – mais celui-ci est à l’étiage l’hiver. Il va donc nous manquer de l’énergie pour assurer une qualité d’approvisionnement constante et, pour écrêter les pointes, nous ne pourrons compter sur les Allemands que lorsqu’ils auront un surplus d’électricité d’origine éolienne et nous ne pourrons nous adresser aux Suisses, qui importent de l’électricité de France.

Il est donc certain que nous aurons des problèmes, que nous ne pouvons espérer régler dans les vingt-quatre mois qui viennent. Le risque est grand, par exemple, que les industries électro-intensives qui se sont installées dans la plaine d’Alsace en comptant sur la centrale et sur les ressources hydrauliques ne se relocalisent.

Cette décision de fermeture est avant tout politique, comme il est dit dans le rapport…

M. le président François Brottes. En définitive, vous êtes d’accord avec ce qui y est dit du sujet !

M. Michel Sordi. On fait valoir que Fessenheim est la plus ancienne de nos centrales et qu’elle est construite sur la plus grande nappe phréatique d’Europe. Mais, lors de la visite, vous avez pu constater qu’un récupérateur de corium avait été installé sur chacun des deux réacteurs et, comme les représentants de l’ASN nous l’ont expliqué, il est exclu que la nappe soit polluée en cas d’accident.

Selon Mme Royal, les normes actuelles de sécurité interdiraient de construire aujourd’hui la même centrale. Certainement, mais cela vaut pour toutes les autres. Ne chargeons donc pas Fessenheim : cette centrale est en parfait état de fonctionnement ; 200 millions d’euros ont été investis pour changer les générateurs de vapeur et 50 autres ont été consacrés à des travaux de sécurité « post-Fukushima ». Je voudrais donc que vous alliez au bout de vos conclusions, monsieur le rapporteur : puisque vous constatez à juste titre que « les conditions ne sont pas réunies pour que le processus de mise à l’arrêt se déroule dans les meilleures conditions », dites clairement que la centrale ne doit pas fermer dans deux ans, mais doit continuer d’être exploitée pendant les dix années autorisées par l’ASN pour chaque réacteur, afin de mettre à profit les 500 millions qu’elle rapporte annuellement pour développer les énergies renouvelables ou la recherche sur la quatrième génération.

M. Christian Bataille. Le ton de ce rapport est plus mesuré que ce que l’on pouvait craindre : M. Baupin a retenu sa plume, et sans doute le président a-t-il lui-même joué un rôle modérateur.

Des questions restent néanmoins posées, ne serait-ce que parce que tout coûte. Même si le rapport a le mérite de faire litière de la fable des coûts cachés, propagée par certains amis de M. Baupin, il reste que les montants en jeu sont considérables : 200 milliards d’euros déjà dépensés et 80 milliards de dépenses prévisibles, dont environ 30 milliards pour le projet Cigéo de Bure. Le coût du démantèlement, que le rapporteur n’a pas chiffré, se monte à lui seul à 30 milliards également ; et EDF consent chaque année environ 9 milliards de dépenses. Les Anglais, sans doute éclairés par les exemples de Flamanville et de l’EPR finlandais, viennent de réévaluer à quelque 9,5 milliards d’euros le coût de chacun des deux réacteurs qu’ils construisent.

Ces chiffres doivent néanmoins être comparés avec d’autres. Les techniciens estiment le coût de la rénovation énergétique à 300 euros par mètre carré, si bien que la facture de la rénovation de 500 000 logements par an, selon l’objectif fixé par le Président de la République, atteindrait 15 milliards, et ce pour une économie de 7,5 térawattheures. Un EPR, rappelons-le, coûte de 6 à 8 milliards et produit 10 térawattheures. L’énergie la moins chère est celle que l’on économise, a-t-on coutume de dire : nous voyons qu’il n’en est rien. Tout a un coût, je le répète, y compris les économies !

L’arrêt de la production d’électricité nucléaire serait compensé par des importations d’hydrocarbures ou, à l’exemple des Allemands, de charbon. Or, s’agissant du pétrole et du gaz, le déficit de notre balance commerciale atteint 68 milliards d’euros par an, soit 80 % du déficit global du commerce extérieur. On pourrait multiplier les chiffres ; tous infirmeraient le préjugé selon lequel le nucléaire est une énergie très coûteuse, comparée à d’autres qui le seraient peu. J’ajoute qu’il faut aussi tenir compte du critère de la durée. Pour le nucléaire, l’unité de temps est de cinquante à soixante ans, alors que nos décisions politiques s’inscrivent dans le cadre d’un mandat de cinq ans.

L’effort en faveur du nucléaire, cher collègue gaulliste, a commencé bien avant le général de Gaulle : il remonte à la IVe République, les gouvernements de Pierre Mendès France et de Guy Mollet ayant précédé en ce domaine le général de Gaulle. Celui-ci a recueilli les fruits de cette politique, qu’on lui a ensuite attribuée grâce à un certain art de la propagande. François Mitterrand lui-même a poursuivi cet effort, tout comme Lionel Jospin.

M. Bernard Accoyer. Non : lui a fermé Superphénix !

M. Christian Bataille. Pour en revenir au rapport, j’en salue donc la retenue, en particulier en ce qui concerne les recommandations, à l’exception d’une seule : celle qui a trait à la fermeture de Fessenheim. Je désapprouve cette décision, quoi qu’ait déclaré le Président de la République à ce sujet. Fessenheim est la plus vieille centrale française, entend-on souvent dire. Or elle n’a que trente-sept ans, et fait l’objet d’une autorisation décennale : au regard de l’âge moyen des centrales américaines, il est très abusif de la dire « vieille ». Qui plus est, les « vieilles » centrales sont en réalité devenues plus modernes qu’elles n’étaient à l’époque de leur construction, puisqu’elles sont entièrement rénovées tous les dix ans, à l’exception de la coque en béton et de la cuve, et bénéficient des progrès technologiques intervenus entre-temps. Certaines centrales américaines, rappelons-le, ont déjà plus de cinquante ans d’existence.

M. le rapporteur. Non, la plus âgée a quarante-cinq ans.

M. Christian Bataille. Il me semble qu’elle est plus proche de cinquante ans ; mais on n’est pas à quelques années près. En tout cas, cet âge dépasse largement les quarante ans.

Ce n’est d’ailleurs pas au Parlement, mais à l’ASN, dont on connaît l’indépendance, qu’il appartient de se prononcer sur la durée de vie des centrales. La fermeture de Fessenheim serait une perte, mais je m’inclinerais bien entendu si l’ASN jugeait qu’elle s’impose – ce qui, pour l’instant, ne semble pas être la perspective.

Les autres recommandations me semblent indiscutables. Dans le cadre de la loi de 2006, j’avais moi-même préconisé, par exemple, la constitution de fonds dédiés, placés sous la responsabilité de la Caisse des dépôts.

Pour le reste, il est bien légitime que le rapport reflète les convictions et les engagements du rapporteur ; mais les membres de notre commission d’enquête ne sont pas obligés de le suivre.

On peut d’ores et déjà parier que ce rapport sera diversement interprété dans la presse. Le journal Le Monde, devenu le porte-parole des anti-nucléaires, ne manquera pas d’en exciper pour publier une diatribe contre cette source d’énergie. J’avais personnellement rédigé, sur le gaz de schiste, un rapport dont un journaliste avait tiré, sans l’avoir lu, un article caricatural et à charge… Bref, même si le jugement peut être plus nuancé dans d’autres journaux, comme Les Échos, on sait d’avance que, malgré son caractère équilibré, le rapport générera une litanie de discours hostiles au nucléaire.

D’autre part, certains aspects y sont un peu passés sous silence : la question des externalités, par exemple, devrait aussi être posée pour d’autres sources d’énergie, responsables d’émissions de gaz à effet de serre, de rejets dans l’eau et dans l’air, de la dégradation de paysages, d’occupation des sols, pour ne pas parler des conditions de travail dans les mines de charbon, en Chine ou en Turquie. La production d’énergie nucléaire, c’est vrai, est exposée à des accidents de la nature, on l’a vu à Fukushima, mais elle n’est pas plus risquée que d’autres. N’oublions pas non plus, car on ne le répète pas assez, que le nucléaire n’émet pas de CO; grâce à lui, la France est le pays d’Europe, après la Norvège, qui émet le moins de gaz à effet de serre.

Autre question : quand se penchera-t-on sur le renouvellement des centrales ? Entre la réflexion, l’élaboration et la construction, le processus prend plusieurs décennies : il faudrait y réfléchir assez tôt pour permettre à la nouvelle génération de centrales de prendre progressivement le relais – puisqu’il faudra bien fermer un jour celles qui fonctionnent aujourd’hui : après tout, nous ne sommes en désaccord que sur les dates…

M. le président François Brottes. Je vous invite, monsieur Bataille, à lire attentivement la recommandation 14, qui, sur Fessenheim, ne dit pas exactement ce que vous lui avez fait dire. Le passage relatif à la quatrième génération est, lui aussi, assez dense.

M. Hervé Mariton. Notre commission d’enquête a notamment abordé la question des « coûts futurs » de la filière nucléaire. Il est dommage, de ce point de vue, que le rapport ne propose aucun chiffrage de la stratégie annoncée dans le cadre du projet de loi relatif à la transition énergétique, en particulier sur l’évolution de la filière nucléaire. Je pense tout d’abord, bien entendu, à l’impact économique de la fermeture de Fessenheim, question à laquelle les personnes auditionnées ont refusé de répondre. Les travaux de la mission que je mène avec Marc Goua n’ont guère progressé à cet égard, mais le présent rapport, au fond, ne fait que souligner l’intérêt de les poursuivre.

Reste que la commission d’enquête aurait pu, avec la force qui lui est propre, tenter d’en savoir plus. Cette lacune est frustrante et même grave, car c’est toute la question des fermetures anticipées dans le cadre de la stratégie énergétique qui est posée ; de ce point de vue, ce n’est pas tant l’objectif de porter la part du nucléaire à 50 % que la date de 2025 qui pose problème : si l’on se fie à certains scénarios d’évolution de la demande, l’échéance de 2050 peut paraître moins absurde. Bref, il n’aurait pas été insensé que notre commission d’enquête se penchât, au-delà du seul cas de Fessenheim, sur cette question également, d’autant que nous n’aurons sans doute pas d’autres moyens de le faire lors du débat parlementaire.

Hier, Marc Goua et moi avons auditionné, comme l’avait fait la commission d’enquête, le délégué interministériel et le directeur général de l’énergie au ministère ; le moins que l’on puisse dire est qu’ils n’ont guère été bavards. Faut-il considérer que le Gouvernement s’engage dans une stratégie aussi lourde sans estimations chiffrées ? Je n’ose le croire ; mais la commission d’enquête avait peut-être les moyens d’être plus pressante…

Son travail est par ailleurs estimable, et le rapport soulève des questions intéressantes en témoignant d’un certain doigté. Le problème, comme l’a dit Christian Bataille, est que cette mesure ne résistera sans doute pas à l’épreuve de la communication.

M. le président François Brottes. On peut donner un autre nom à ce « doigté » : l’honnêteté, tout simplement…

M. Bernard Accoyer. Je ne répéterai pas ce qui a été fort bien dit par les orateurs précédents.

Je déplore que cette commission d’enquête ait été conduite de façon militante et partisane par son rapporteur, alors que l’objectivité et l’impartialité doivent être la règle dans une telle instance, vouée à éclairer les choix du pays. Je regrette également les errances du calendrier, régulièrement bouleversé pendant la suspension des travaux de l’Assemblée, et l’audition de certaines personnalités qui, dénuées d’expertise scientifique, n’étaient que des militants, de surcroît délinquants, qui s’étaient livrés, avec leurs associations, à des actes violents mettant en danger, non la sûreté, mais la sécurité de nos installations, en particulier au regard du risque terroriste. Sur ce point, monsieur le rapporteur, vous portez une responsabilité considérable.

Je regrette aussi que la question de la fermeture de Fessenheim, qui aurait pu faire l’objet d’une commission d’enquête à elle seule, n’ait été incluse dans le champ de la nôtre qu’à la faveur d’un amendement, si bien que son impact n’est abordé que très succinctement, insuffisance irresponsable au regard des conséquences énumérées par Michel Sordi. De nos auditions, il ressort que le coût de cette fermeture se monte à 8 milliards d’euros : est-il sérieux de maintenir une telle décision, purement politique, au moment où le Gouvernement demande aux Français un effort de 50 milliards d’euros ?

En matière énergétique, les choix ne peuvent laisser place au parti pris et au dogmatisme, car ils sont essentiels pour notre pays ; aussi je me réjouis d’avoir entendu Christian Bataille dire qu’ils dépassent les clivages politiques, et que des hommes de gauche les avaient anticipés, précédant le général de Gaulle et Georges Pompidou.

L’erreur colossale qu’a été, en 1997, la décision de Lionel Jospin de fermer Superphénix, générateur de quatrième génération qui donnait vingt ans d’avance à la France, est en train de se reproduire, et pour les mêmes raisons, celles d’un compromis politique avec les Verts.

Ce qui m’a le plus choqué, dans les quelques pages que j’ai pu lire – les conditions d’examen du rapport interdisant d’en prendre connaissance de façon approfondie –, c’est la distance qui sépare les recommandations, fruits d’un compromis politique – quoique en la matière les compromis politiques mènent souvent à des catastrophes –, et le contenu du rapport lui-même, qui est une « bombe ». C’est précisément ce que voulait notre rapporteur, M. Baupin. Ce qu’il souhaite, avec la banque de données qu’il s’est constituée et les pages explosives dont seront extraites des citations tronquées, c’est que prospèrent les peurs, le renoncement et le passéisme, sur quoi il a bâti son action politique. Détail révélateur, le mot « recherche » n’apparaît qu’une seule fois dans le rapport, au sujet des techniques de démantèlement. Tout cela, monsieur le rapporteur, n’est conforme ni au génie de la France, ni à son histoire, ni à l’intérêt de sa jeunesse ; et ce n’est certes pas ainsi que vous sortirez notre pays de la situation où il se trouve. Votre rapport, irresponsable, cherche à vendre une utopie, une idéologie, en utilisant à cette fin des méthodes peu recommandables.

M. le président François Brottes. Sur Fessenheim, M. Sordi a plutôt insisté sur d’autres éléments…

M. Bernard Accoyer. Le rapport est muet sur le coût de la fermeture de cette centrale !

M. le président François Brottes. Parce que nous ne le connaissons pas ; mais, en tout cas, il n’est pas de 8 milliards.

M. Bernard Accoyer. Vous vous apprêtez donc à soutenir une décision sans en connaître les implications financières, monsieur le président ?

M. le président François Brottes. Ne concluez pas à ma place…

M. Bernard Accoyer. J’en prends acte.

M. Jean-Louis Costes. L’intitulé de notre commission d’enquête mentionne les « coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire » ; or le rapport évoque beaucoup le passé et le présent, mais peu le futur et on y regarde le verre à moitié vide plutôt que le verre à moitié plein. En bref, il révèle une orientation partisane.

Nous sommes tous d’accord sur l’amélioration de la sécurité et sur les aspects financiers. Je ferai néanmoins une brève comparaison. Page 187, on peut lire ce gros titre – qui à n’en pas douter sera repris dans la presse –, en lettres capitales et en caractères gras : « Une baisse de la demande énergétique est possible, ce qui rend inutile la prolongation de l’ensemble du parc nucléaire. » L’étude de l’association Global Chance, citée à l’appui de la démonstration, exclut le chauffage et les chauffe-eau ! Elle ne me semble pas mériter d’être mise sur le même plan que l’analyse de M. Proglio, président-directeur général d’EDF, qui, page 186, déclare que « les besoins en énergie de la France continueront à augmenter à l’horizon 2025 ». Or cette phrase, elle, ne donne pas lieu à un titre.

M. le président François Brottes. Le titre que vous avez cité correspond seulement à l’une des deux approches dont le rapport constate qu’elles sont en opposition, et l’autre, celle de M. Proglio, fait l’objet d’un titre de même niveau page 183.

M. Patrice Prat. Je craignais le pire, et constate avec satisfaction que beaucoup ont mis de l’eau dans leur vin, en sorte que le rapport offre un bon éclairage sur les coûts de la filière nucléaire à l’orée des débats sur la transition énergétique. Il est cependant regrettable que nous n’ayons pas eu le temps de l’examiner en profondeur, même si je comprends que les délais soient contraints.

Je m’interroge moi aussi sur la qualification de certaines personnes auditionnées, et donc sur l’expertise qu’elles pouvaient nous apporter. Cela étant, comme vous l’avez écrit dans votre introduction, monsieur le rapporteur, votre rapport ne prend pas position sur l’énergie nucléaire et ne préconise pas d’en sortir : une certaine objectivité y prévaut donc.

Je souscris aux remarques de Christian Bataille sur les coûts, insuffisamment explorés ; il eût été utile, sur ce point, d’avoir des éléments de comparaison avec les autres sources d’énergie. En 1997, j’ai quitté le parti socialiste après qu’eut été prise la décision d’arrêter Superphénix ; et l’on s’apprête à nouveau, à propos de Fessenheim, à faire des choix peu constructifs pour la filière nucléaire, et ce sans connaître les coûts d’une fermeture. À cet égard, il est tout à l’honneur du rapporteur d’avoir relevé l’absence de vision et d’éléments de reconversion, de la part de l’État, pour le site de Fessenheim : si la décision de le fermer devait être scellée, il faudrait apporter des réponses concrètes au territoire concerné, qui est très vulnérable.

Le nucléaire demeure une filière d’avenir, notamment avec la quatrième génération, que le rapport met en valeur. Ayant une foi inébranlable dans le progrès scientifique et technologique, je déplore néanmoins qu’il soit accordé trop peu de place au volet recherche et développement.

M. le président François Brottes. Sur la méthode, je n’ai pu obtenir une prolongation du délai réglementaire de six mois. Quant à l’examen du rapport, monsieur Prat, nous sommes contraints par le délai de remise de deux jours.

M. Yves Blein. Je salue la méthode et la rigueur de M. Baupin, qui, contrairement à ce que disait M. Accoyer, a su éviter toute approche militante. Je pense notamment à la nécessité, plusieurs fois soulignée dans les recommandations, d’un partenariat avec les industriels et à la place accordée à la transition énergétique – dont ce rapport, sans préjuger de rien, a vocation à éclairer les réflexions préparatoires – ainsi qu’aux questions d’emploi.

Le débat sur la transition énergétique s’inscrit dans le temps long : il faudra tenir compte, par exemple, de la nouvelle donne que représente, pour le secteur de l’énergie, l’exploitation des gaz de schiste dans le monde. Le fait que les États-Unis exportent vers l’Europe du charbon et du gazole, alors qu’ils en importaient naguère, n’est pas sans soulever un certain nombre de questions. Les assurances dont nous disposons sur les ressources identifiées nous permettent d’inscrire notre réflexion dans la durée. Du rapport, je retiendrai donc l’impérieuse nécessité d’intégrer la question du nucléaire dans une réflexion de long terme sur l’économie globale de l’énergie, compte tenu des évolutions macroéconomiques en cours.

M. le rapporteur. Je remercie les intervenants qui ont bien voulu souligner l’objectivité du rapport. De fait, j’ai beaucoup appris en travaillant avec les différents acteurs concernés, et ce dans le cadre d’un dialogue permanent avec le président Brottes.

Tout a en effet un coût, monsieur Bataille, y compris la transition énergétique : on ne me fera jamais dire le contraire. L’objectif du rapport est de donner des éléments de comparaison, aussi objectifs que possible.

Je me suis également efforcé d’être le plus clair possible sur la gestion des installations, notamment sur la fermeture de Fessenheim. À cet égard, si nous n’avons pas eu de réponse à nos interrogations sur l’indemnisation, monsieur Mariton, ce n’est pas faute d’avoir posé la question, ni d’avoir tenté d’obtenir les contrats passés avec les pays voisins, en vue de dissiper les incertitudes sur les conséquences de cette fermeture. Mais, en tout état de cause, la question qui se pose est celle de la capacité de l’installation à durer. Le premier réacteur, je le rappelle sans esprit polémique, vient de redémarrer après sept semaines d’arrêt. Il est donc difficile de faire des anticipations sur plusieurs années.

On ne peut traiter de délinquants des gens qui n’ont pas été condamnés, monsieur Accoyer. Vos propos me paraissent donc déplacés : les personnes auxquelles vous avez fait allusion défendent des convictions, certes, mais leur travail est reconnu, y compris par l’ASN, qui intègre certaines d’entre elles dans ses comités.

S’agissant des coûts potentiels, le rapport donne plusieurs éléments, citant par exemple M. Bigot, administrateur général du CEA, pour qui l’électricité produite avec les réacteurs de quatrième génération serait de 10 à 15 % plus chère que l’électricité produite aujourd’hui par les réacteurs de troisième génération.

M. le président François Brottes. Je propose une brève suspension avant le vote.

M. Bernard Accoyer. L’OPECST, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, se réunit en ce moment même pour une séance très importante consacrée au principe d’innovation. Il faut donc passer au vote, monsieur le président. Il y a des règles : y déroger ne serait pas acceptable, d’autant que nous avons dû nous plier déjà à suffisamment de contraintes pour participer à toutes les réunions de cette commission d’enquête.

M. le président François Brottes. Nous n’avons à nous prononcer, je le rappelle, que sur la publication du rapport, non sur son contenu – ce qui au demeurant revient à peu près au même.

M. Christian Bataille. Si le vote ne portait que sur les recommandations, j’approuverais cette publication ; mais je ne puis le faire au vu de certains passages. C’est pourquoi, à titre personnel, je m’abstiendrai.

M. Patrice Prat. J’en ferai de même.

La commission d’enquête adopte le rapport.

La séance est levée à onze heures cinquante.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d'exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l'électricité nucléaire

Réunion du jeudi 5 juin 2014 à 10 heures

Présents. - M. Bernard Accoyer, M. Christian Bataille, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Denis Baupin, M. Yves Blein, M. François Brottes, Mme Sabine Buis, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Jean-Louis Costes, Mme Françoise Dubois, M. Jean-Pierre Gorges, M. Marc Goua, M. Hervé Mariton, Mme Frédérique Massat, M. Patrice Prat, M. Michel Sordi, M. Stéphane Travert, Mme Clotilde Valter

Excusés. - M. Damien Abad, M. Franck Reynier, M. Éric Straumann