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Commission d’enquête sur l’impact sociétal, social, économique et financier de la réduction progressive du temps de travail

Mercredi 16 juillet 2014

Séance de 12 heures

Compte rendu n° 3

Présidence de M. Thierry Benoit, Président

– Audition, ouverte à la presse de M. Franck von Lennep, directeur de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) du ministère des affaires sociales et de la santé, accompagné de Mme Fanny Mikol, chef du bureau des professions de santé, et de Mme Émilie Raynaud, chef du bureau de la jeunesse et de la famille

Présences en réunion

COMMISSION D’ENQUÊTE
SUR L’IMPACT SOCIÉTAL, SOCIAL, ÉCONOMIQUE ET FINANCIER
DE LA RÉDUCTION PROGRESSIVE
DU TEMPS DE TRAVAIL

La séance est ouverte à douze heures.

——fpfp——

Présidence de M. Thierry Benoit, président de la commission d’enquête

La commission d’enquête procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Franck von Lennep, directeur de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) du ministère des affaires sociales et de la santé, accompagné de Mme Fanny Mikol, chef du bureau des professions de santé, et de Mme Émilie Raynaud, chef du bureau de la jeunesse et de la famille.

M. le président Thierry Benoit. Monsieur le directeur, Mme la rapporteure, Barbara Romagnan, et moi-même vous remercions d’avoir répondu dans un délai très court à la convocation de notre commission d’enquête, qui, ayant été constituée le 11 juin dernier, devra rendre son rapport au plus tard le 11 décembre prochain.

Aux termes de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, la commission pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu qui sera fait de votre audition et qui vous aura été préalablement communiqué.

Par ailleurs, en vertu du même article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous réserve, notamment, des dispositions de l’article 226-13 du code pénal réprimant la violation du secret professionnel. Elles doivent également prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

M. Franck von Lennep, Mme Fanny Mikol et Mme Émilie Raynaud prêtent serment.

M. Franck von Lennep, directeur de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) du ministère des affaires sociales et de la santé. La DREES couvre un champ qui n’englobe pas l’ensemble du thème de la réduction du temps de travail (RTT).

Les études consacrées à l’organisation et à l’offre de travail dans le secteur sanitaire et social, couvert par la direction dont j’ai la charge, portent essentiellement sur l’hôpital. Entre 2001 et 2007, le nombre d’infirmiers dans les établissements a crû de 250 000 à 290 000, soit une hausse de 6 000 par an, alors que le rythme d’augmentation a décru à 2 000 par an entre 2007 et 2011. Pendant la phase de réorganisation des établissements suite à la mise en place des 35 heures, l’accroissement des effectifs fut important. On peut également dresser le même constat pour les aides-soignants, dont le nombre a progressé de 4 800 par an entre 2001 et 2007 avant de se stabiliser entre 2007 et 2011. Les 35 heures n’expliquent pas à elles seules ces tendances : les créations de places, le vieillissement de la population, la réorganisation de l’offre et le déploiement de la tarification à l’activité ont influé sur l’évolution de l’emploi à l’hôpital. En revanche, nous devons constater la rupture de tendance entre les années 2001 à 2007 d’une part, et 2007 à 2011 de l’autre. La DREES n’a pas réalisé d’évaluation sur l’impact de la RTT sur l’emploi, mais Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, a déclaré, en février dernier au Sénat, que les 35 heures avaient créé 37 000 emplois dans le secteur sanitaire et 8 000 dans celui du médico-social.

La DREES a effectué des études – soit des enquêtes menées auprès de grands échantillons de salariés, soit des monographies pour lesquelles nous interrogeons quelques personnes – sur les conditions de travail. En 2004 et 2005, plusieurs publications ont traité de l’impact de la RTT à l’hôpital. Ainsi, une monographie, conduite dans dix-sept établissements hospitaliers en 2004, soit après la mise en place de la réforme, a montré que les salariés hospitaliers interrogés appréciaient la RTT pour leurs conditions de vie, mais regrettaient une compensation insuffisante en termes d’emplois et donc des conséquences lourdes sur le travail. Une autre étude, datant de 2006 et reposant sur une enquête réalisée auprès d’un échantillon de 2 700 salariés, a mis en lumière que 46 % des personnes interrogées avaient ressenti une dégradation de leur environnement de travail, mais que plus d’un salarié sur deux avait perçu une amélioration de sa qualité de vie hors du travail, grâce au gain de temps libre. Depuis 2008, nos publications ont cessé de se pencher sur le passage aux 35 heures et se concentrent dorénavant sur les conditions de travail.

Les très lourds changements organisationnels conduits à l’hôpital depuis les années 2000 dépassent la simple question du temps de travail, puisqu’ils touchent à la constitution des pôles et des réseaux, à l’amélioration de l’information des patients, au développement de la chirurgie ambulatoire et de l’informatisation, à la modification de l’offre, au vieillissement de la population qui entraîne davantage de maladies chroniques et à la tarification à l’activité. Le changement de tarification dans les hôpitaux publics et privés s’est traduit par des modifications d’organisation. Nos études ont démontré que la productivité avait crû de 2 % par an à l’hôpital public entre 2003 et 2009, dans le contexte de la mise en place des 35 heures. La contrainte financière représentée par la tarification à l’activité a incité les établissements publics à se réorganiser afin d’améliorer leur fonctionnement.

La direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) du ministère du travail, de l’emploi et du dialogue social réalise des enquêtes sur les conditions de travail auprès de l’ensemble des salariés, la DREES les étendant à la fonction publique hospitalière. Une récente publication de la DARES montre que l’intensité du travail est plus forte dans la fonction publique hospitalière que dans les autres fonctions publiques ou dans l’ensemble de l’économie, mais qu’elle est restée stable entre 2005 et 2013. De même, les contraintes temporelles s’avèrent plus élevées à l’hôpital, mais n’ont pas augmenté au cours de la même période, la hausse de la pression datant du début des années 2000.

Dans une étude à paraître, la DREES démontre que les contraintes historiques de l’hôpital ne s’alourdissent plus. Le taux de salariés hospitaliers travaillant au-delà des horaires prévus ne dépasse pas 30 % aujourd’hui, alors qu’il représentait les deux tiers de cette population entre 2003 et 2006, période qui suivait la mise en place des 35 heures et au cours de laquelle toutes les personnes nécessaires à ce changement n’avaient pas encore été recrutées. En outre, la tarification à l’activité a permis, depuis 2008, une rationalisation de l’organisation des hôpitaux.

Une enquête réalisée l’an dernier auprès d’une soixantaine d’infirmières dans une dizaine d’établissements hospitaliers, et dont les résultats seront publiés à la rentrée, fait apparaître qu’aucune des salariées interrogées n’évoque la question du temps de travail comme critère de choix d’un établissement. Elles considèrent les 35 heures comme une question ancienne, mais apprécient les longues coupures que permettent des jours de liberté supplémentaires. Cela renvoie au débat sur les journées de douze heures à l’hôpital : certains sont heureux de disposer de davantage de jours libres, quand d’autres craignent un surcroît de fatigue, qui ne peut qu’affecter la santé des salariés.

En 2008, il ressortait d’une enquête menée auprès d’intervenantes à domicile au chevet de personnes âgées ou handicapées, que leur journée comportait des trous et qu’elles subissaient de fortes contraintes horaires – temps partiel, durée de travail limitée, mais amplitude horaire très large. La question de l’organisation du travail de ces salariées dépasse celle de la durée légale du travail ; si elle se traduit par l’obtention de jours libres, la réduction du temps de travail permet d’améliorer la qualité de vie. Cela renvoie à l’accord de branche de 2006 sur l’aide à domicile qui visait à moduler annuellement le temps de travail et à dégager des jours libres. Les salariés du particulier employeur ne bénéficient pas des 35 heures, leur convention collective fixant la durée de travail hebdomadaire à temps plein à 40 heures.

L’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) pourra vous fournir des éléments sur la qualité de vie des salariés en dehors de la vie professionnelle. La dernière enquête consacrée à l’emploi du temps des Français, qui date de 2010, montrait une réduction du temps de travail, de formation et de transport entre le domicile et le lieu professionnel par rapport à 1999, c’est-à-dire avant la mise en place des 35 heures. On constate surtout ce phénomène dans la population masculine, car l’augmentation de l’activité des femmes atténue cette évolution pour ces dernières. L’INSEE soulignait également que le temps consacré aux tâches domestiques diminuait, alors que celui consacré aux loisirs augmentait. Les Français aspirent à davantage de loisirs et classent ces derniers, le temps domestique puis celui du travail en ordre décroissant de préférence. Dans ce cadre, la réduction du temps de travail est perçue comme un phénomène positif. La répartition des tâches domestiques s’est modifiée, puisque les femmes y consacraient 20 % de temps en moins en 2010 qu’en 1986 et les hommes y employaient le même nombre d’heures à ces deux dates. L’écart entre les hommes et les femmes se réduit donc progressivement.

Nous menons tous les cinq ou six ans des enquêtes sur la garde des enfants en bas âge – la dernière date de 2013. Les enfants sont gardés majoritairement par leurs parents, cette proportion atteignant tout de même un tiers lorsqu’ils travaillent tous les deux et un quart quand les deux emplois sont à temps plein. Dans ce dernier cas, les parents travaillent souvent en horaires décalés. La réduction du temps de travail permet aux parents de mettre en place des arrangements, l’offre de garde d’enfants devant être flexible. Ainsi, entre 2003 et 2011, les crèches n’effectuant qu’un seul type d’accueil voient leur effectif diminuer – de 166 000 à 118 000 –, au contraire de celles offrant des formes d’accueil multiples – dont les effectifs passent de 74 000 à 198 000. Dans la même période, le nombre d’assistantes maternelles a crû de 245 000 à 310 000, ce qui offre de la souplesse aux parents, mais ces salariées ne bénéficient pas des 35 heures et peuvent effectuer des semaines comportant 45 heures de travail.

Une enquête de 2008 menée conjointement par la DREES et l’INSEE avait estimé le nombre d’aidants familiaux bénévoles à 4,3 millions : plus de la moitié d’entre eux ont moins de soixante ans et 40 % occupent un emploi, ce qui conduit une partie de cette population à demander des aménagements de sa vie professionnelle à son employeur.

Pour synthétiser, nos enquêtes révèlent que la RTT semble derrière nous, mais que les questions d’organisation et de conditions de travail se posent avec acuité. À l’hôpital, les réformes menées depuis celle de la RTT, notamment celle de la tarification à l’activité, possèdent un impact majeur. Il conviendrait de réfléchir au temps de travail de professions spécifiques, comme les salariés du particulier employeur ou les assistantes maternelles qui ne bénéficient pas des 35 heures. Enfin, les réductions du temps de travail répondent à des aspirations croissantes des Français en matière de diminution de l’inégalité entre les hommes et les femmes dans le temps consacré aux tâches domestiques, à l’éducation des enfants ou à l’aide aux personnes âgées dépendantes.

M. le président Thierry Benoit. La réduction du temps de travail fait-elle l’objet d’un suivi statistique de long terme ? Quelle est l’origine des données collectées ? La mise en œuvre de la RTT fut difficile à l’hôpital : comment la réorganisation des fonctions managériales et d’encadrement s’est-elle opérée ? Quel équilibre a été trouvé entre le management, l’encadrement et les soins au service des patients ?

Mme Isabelle Le Callennec. En 2003, le modèle prédominant reposait sur quinze jours de RTT dans la fonction publique hospitalière et sur une moyenne de travail hebdomadaire atteignant 37,5 heures. Comment cette situation a-t-elle évolué depuis lors ? Il semblerait que les jours de RTT soient moins nombreux à l’hôpital public – les aides-soignants et les infirmiers ne disposant plus que de quatorze jours dans certains établissements –, mais cette diminution ne touche pas tous les agents, certaines professions libérales bénéficiant de dix-neuf jours. Avez-vous mené des études sur cette évolution ?

Avez-vous mesuré l’impact du temps partiel, et notamment des 80 % de temps plein payés à 86 % ou des 90 % payés 92 % ? La tarification à l’activité a entraîné des évolutions dans les conditions de travail à l’hôpital. Avez-vous évalué la dégradation des conditions de travail de certains agents ?

Le temps dégagé hors du travail a-t-il eu un impact sur l’engagement associatif ?

M. Denys Robiliard. Vous nous avez décrit en détail la situation de l’hôpital ; disposez-vous d’informations comparables pour les établissements sanitaires et médico-sociaux ? Le GIR (groupe iso-ressources) moyen pondéré augmente dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) alors que les effectifs restent stables. En conséquence, le temps passé auprès des personnes augmente du fait d’un besoin d’assistance accru, ce qui pose des difficultés de gestion.

M. Gérard Sebaoun. On oppose souvent par facilité les établissements publics hospitaliers et les privés. Les conditions de travail dans ces derniers, soumis bien entendu aux 35 heures, se sont largement dégradées, et la productivité, souvent présentée comme un modèle, ne s’avère pas supérieure à celle de l’hôpital, toutes charges égales par ailleurs. Disposez-vous d’études comparant les secteurs privé et hospitalier ?

M. Franck von Lennep. Nos données principales sur l’emploi à l’hôpital proviennent d’une enquête annuelle – statistique annuelle des établissements (SAE) – conduite auprès de l’ensemble des établissements hospitaliers français. Ceux-ci sont, entre autres, interrogés sur la situation des personnels. La SAE permet d’établir des séries longues, de reconstituer les effectifs par type de métiers et de connaître le nombre d’équivalents temps plein (ETP). Nous regarderons s’il est possible d’évaluer l’impact du temps partiel sur l’emploi et nous vous répondrons ultérieurement.

Dans une étude qui paraîtra en septembre prochain, nous n’avons pas constaté de dégradation des contraintes de temps et de l’intensité du travail pour les salariés à l’hôpital entre 2003 et 2013, et tous les métiers bénéficient de cette situation. La dégradation des conditions de travail date de la période précédente et s’est produite au tournant des années 2000. Néanmoins, ces contraintes restent à un niveau élevé, bien supérieur à celui des autres fonctions publiques.

Ayant réalisé l’année dernière une enquête sur les conditions de travail, nous pourrons vous fournir des éléments de comparaison entre les établissements publics et privés.

Mme Fanny Mikol, chef du bureau des professions de santé. Le statut de l’établissement détermine moins l’évolution des conditions de travail que le métier. Or la répartition entre les métiers diffère entre les secteurs public et privé. Ainsi, les cliniques privées offrent souvent des soins plus techniques qui requièrent des personnels différents.

M. Franck von Lennep. C’est à l’INSEE qu’il convient d’adresser votre question en matière d’engagement associatif, madame Le Callennec.

Alors que l’enquête portant sur les effectifs à l’hôpital est réalisée annuellement, celle sur les établissements médico-sociaux n’est que quadriennale. Celles de 2003, de 2007 et de 2011 montraient que, comme à l’hôpital, bien d’autres évolutions que celles du temps de travail se sont produites. Ainsi, depuis la fin des années 2000, le taux d’encadrement dans les EHPAD augmente, et plusieurs plans, comme celui de la « pathossification », ont permis, de 2007 à 2011, de porter à une soixantaine le nombre de salariés pour 100 résidents.

Il nous faudra peut-être un jour mener une étude monographique sur les établissements médico-sociaux, car celles que nous avons effectuées sur l’hôpital sont riches d’enseignements. Nous ne l’avons pas fait jusqu’à présent pour des raisons d’arbitrage de l’utilisation de nos moyens. Ce même effort devra également être fourni pour étudier les conditions de travail des 300 000 à 400 000 assistantes maternelles, qui perçoivent des revenus assez faibles.

M. le président Thierry Benoit. Les secteurs de la santé et du médico-social dépendent principalement des prélèvements obligatoires. Comment la RTT a-t-elle pu être financée sans perte de revenus pour les salariés et sans réduction de l’offre de soins ?

Avez-vous dressé le bilan financier de la RTT pour les comptes publics – budget de l’État, des branches de la sécurité sociale et des collectivités locales ?

Si vous ne disposez pas de l’ensemble des réponses à nos questions, vous pourrez nous fournir des éléments complémentaires dans les jours prochains. Cela aidera la commission à rédiger un rapport utile pour le Gouvernement et pour le pays.

M. Gérard Sebaoun. Avez-vous interrogé les salariés sur l’utilisation du compte épargne-temps (CET) ?

Mme Kheira Bouziane. Vous avez souligné l’augmentation du temps consacré aux loisirs et la diminution de celui dévolu aux tâches domestiques : quel est l’impact de cette évolution sur les emplois familiaux ?

M. Denys Robiliard. Pourrez-vous nous transmettre des données sur le secteur médico-social ? Il serait utile d’en bénéficier, à la fois pour cette commission, mais également pour le projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement, qui est en cours d’examen à l’Assemblée nationale.

Vous avez mentionné l’augmentation de la productivité à l’hôpital et estimé son rythme de progression à 2 % par an. Disposez-vous d’une longue série évaluant cette donnée ? La RTT a-t-elle contribué à son accroissement ?

Mme Isabelle Le Callennec. Je me permets d’insister sur la question que j’ai posée au sujet du nombre de jours de RTT par métier et de son évolution depuis 2003.

Disposez-vous de comparaisons européennes ? On nous a distribué un document présentant la durée effective du travail en France et en Europe pour l’ensemble de l’économie : existe-t-il des chiffres pour les secteurs de la santé et du médico-social ?

M. Franck von Lennep. Le sujet du CET est suivi par la direction générale de l’offre de soins (DGOS) du ministère des affaires sociales et de la santé. Plus largement, la DGOS est compétente pour répondre aux questions portant sur l’impact de la RTT sur l’organisation de l’hôpital.

Je regrette que la DREES n’ait pas mesuré l’évolution de la productivité avant 2003. L’estimation de la productivité à l’hôpital s’avère compliquée, car il faut calculer une production, celle-ci étant constituée des actes opérés sur les patients. Il faut donc disposer de séjours de malades comparables d’une année à l’autre, mais le programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI) – qui code les pathologies à l’hôpital – change dans le temps. Nous avons donc effectué un très lourd travail permettant de récoler les PMSI depuis 2003 et de comparer des séjours équivalents, mais il est trop difficile à ce jour de réaliser cette tâche pour les années précédentes.

Le nombre de salariés à domicile et celui des heures travaillées ont crû depuis une dizaine d’années – malgré une légère baisse récente –, mais il est difficile d’établir un lien direct avec la RTT sans étude économétrique très poussée. En effet, au cours de la même période, des exonérations de cotisations sociales ont pu avoir un impact sur l’emploi à domicile. La diminution des activités domestiques fut concomitante de la RTT et s’est traduite par l’augmentation des emplois à domicile. A contrario, certains facteurs, comme les plats préparés qui exigent moins de temps de cuisine augmentent le temps de loisir mais ne nécessitent pas pour autant davantage d’emploi à domicile.

S’agissant des comparaisons européennes, je crains que nous ne connaissions que le rapport entre le nombre de personnes exerçant une profession et la population totale, car les statistiques de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ne présentent pas de chiffres sur le temps de travail par profession, qui ne pourraient être que fragiles. En revanche, nous regarderons si l’on peut obtenir des comparaisons du temps de travail par secteur en Europe.

Les salaires n’ont pas baissé dans la fonction publique hospitalière au cours des années 2000, mais les augmentations de pouvoir d’achat se sont poursuivies. De même, l’offre de soins a continué de progresser après la mise en place de la RTT.

Le bilan financier de la RTT pour les comptes publics ne relève pas de la DREES. J’ignore s’il est possible d’établir un bilan financier par secteur, car des éléments sont endogènes, les coûts de la RTT pouvant être compensés par des créations d’emplois, notamment à domicile. Le bilan de la RTT pour l’ensemble de l’économie se trouve discuté, car les méthodes statistiques et économétriques divergent selon les évaluations.

M. Gérard Sebaoun. Selon vous, les 35 heures sont digérées, et d’autres questions se posent aujourd’hui comme la réorganisation de l’hôpital, chantier permanent. Les directeurs et les personnels des établissements de nos circonscriptions insistent sur la qualité de vie au travail. Nous nous trouvons dans une étape différente de celle de la mise en place et de l’assimilation des 35 heures. Est-ce bien votre sentiment ?

M. Franck von Lennep. C’est ce dont nous sommes en effet convaincus à l’issue de nos enquêtes, et il est tout à fait exact que les questions d’organisation de l’hôpital restent prégnantes.

Mme Isabelle Le Callennec. Avez-vous évalué l’impact d’une nouvelle organisation du temps de travail dans les hôpitaux ? Les personnels sont-ils prêts à rouvrir le débat sur la durée du travail ?

M. Franck von Lennep. Nous ne leur posons pas la question aussi directement, madame la députée, mais nous savons qu’ils conservent l’envie de dégager du temps libre. Le débat existe sur la journée de douze heures qui permet de disposer de davantage de jours de repos. Les salariés ne nous disent pas spontanément vouloir travailler moins ou plus longtemps, mais les enquêtes de l’INSEE montrent qu’ils souhaitent bénéficier de davantage de temps de loisir. Ils demandent donc à travailler mieux et autrement, et souhaitent que la concertation se développe ; les infirmières voudraient travailler davantage en équipe avec les médecins, par exemple.

M. le président Thierry Benoit. Vous avez évoqué la dégradation des conditions de travail compensée par une amélioration de la qualité de vie hors du travail. La société française vous semble-t-elle assez mûre pour se pencher sur les conditions de travail et tenter de les optimiser ? Je suis sensible au fait que le Président de la République et le Premier ministre cherchent à équilibrer les comptes publics et à engager le redressement productif de notre pays. Dans ce cadre, peut-on imaginer une organisation différente qui, dans le secteur sanitaire et social, viserait à accroître la qualité du service rendu, des conditions de travail et de la vie hors de la sphère professionnelle ?

M. Franck von Lennep. La DARES a mis en lumière le fort impact de l’informatisation sur les conditions de travail à l’hôpital dans les années 2000 ; par ailleurs, les évolutions du cadre professionnel sont quotidiennes. L’informatisation, les regroupements, la mise en place des pôles, les changements managériaux et le développement de la chirurgie ambulatoire incarnent les modifications des modes d’organisation. Les salariés demandent que ces réformes s’accompagnent de davantage de temps libre, d’autonomie dans le travail et d’échanges avec leurs collègues. Cela dépasse largement la question du nombre d’heures travaillées dans l’année.

M. le président Thierry Benoit. Nous vous remercions pour toutes les réponses que vous nous avez apportées.

L’audition s’achève à treize heures.

——fpfp——

Présences en réunion

Réunion du mercredi 16 juillet 2014 à 12 heures

Présents. – M. Bernard Accoyer, Mme Kheira Bouziane, Mme Fanélie Carrey-Conte, M. Jean-Patrick Gille, Mme Isabelle Le Callennec, M. Philippe Noguès, M. Denys Robiliard, M. Gérard Sebaoun

Excusés. – M. Damien Abad, Mme Jacqueline Maquet, Mme Barbara Romagnan