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Commission d’enquête sur l’impact sociétal, social, économique et financier de la réduction progressive du temps de travail

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 6

Présidence de M. Thierry Benoit, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Yves Struillou, directeur général de la direction générale du travail (DGT) du ministère du travail, de l’emploi et du dialogue social et de Mme Marianne Cotis, cheffe du bureau de la durée et des revenus du travail

Présences en réunion







Mercredi
30 juillet 2014

COMMISSION D’ENQUÊTE
SUR L’IMPACT SOCIÉTAL, SOCIAL, ÉCONOMIQUE ET FINANCIER
DE LA RÉDUCTION PROGRESSIVE
DU TEMPS DE TRAVAIL

La séance est ouverte à onze heures.

——fpfp——

Présidence de M. Thierry Benoit, président de la commission d’enquête

La commission d’enquête procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Yves Struillou, directeur général de la direction générale du travail (DGT) du ministère du travail, de l’emploi et du dialogue social et de Mme Marianne Cotis, cheffe du bureau de la durée et des revenus du travail.

M. le président Thierry Benoit. Monsieur le directeur général, madame la cheffe de bureau, je vous remercie d’avoir répondu à notre convocation dans des délais extrêmement courts. Notre commission d’enquête souhaitait vous entendre parmi les premiers.

Je vous rappelle qu’aux termes de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, elle pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu de votre audition. Celui-ci vous sera préalablement communiqué, et les observations que vous pourriez faire nous seront soumises.

Par ailleurs, en vertu dudit article, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous réserve, notamment, des dispositions de l’article 226-13 du code pénal réprimant la violation du secret professionnel. Cette même ordonnance exige des personnes auditionnées qu’elles prêtent serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Yves Struillou et Mme Marianne Cotis prêtent serment.)

Votre audition fait l’objet d’un enregistrement et d’une retransmission vidéo.

M. Yves Struillou, directeur général de la direction générale du travail (DGT) au ministère du travail, de l’emploi et du dialogue social. Le sujet de la commission d’enquête tient à notre histoire sociale, à l’économie et au droit, armature d’une réalité sociale complexe, en constante évolution.

La question de la durée du travail est au cœur du droit du travail. Au XIXsiècle, les premières lois sociales ont eu pour objet de limiter cette durée pour les catégories les plus vulnérables, à savoir les enfants et les femmes. Mais si, historiquement, le droit du travail a d’abord visé à protéger l’intégrité des corps contre l’usure physique, en garantissant la santé et la sécurité des travailleurs, il tend aussi à protéger leur liberté, car le temps de travail est celui de la subordination, par opposition au temps libre.

Le droit du travail traite aussi de la rémunération, notion liée plus ou moins directement au temps que l’on consacre à l’activité professionnelle.

Il inclut, enfin, des considérations économiques, qui tiennent à la performance des entreprises, à l’évolution de la productivité du capital et du travail, et à l’organisation du travail, sous l’influence des mutations techniques et technologiques.

Ces déterminants ont conjugué leurs effets pour réduire historiquement la durée du travail à l’échelle de l’année ou pendant tout le cycle de vie. Au début du XIXsiècle, les ouvriers étaient présents 4 500 heures par an sur leur lieu de travail. Ce temps de présence a diminué tendanciellement, surtout au XXsiècle, en France et dans tous les pays de l’OCDE. Selon les chiffres de l’INSEE, il est passé de 2 230 heures en 1950 à environ 1 600 heures en 2007.1

Cette évolution s’explique par la salarisation de l’emploi, notamment féminin, la réduction de la durée annuelle du travail des salariés à temps complet, l’augmentation des jours de congés payés et, depuis une trentaine d’années, le développement du temps partiel. Sur le plan juridique, elle s’est traduite par la réduction progressive des durées hebdomadaires maximales, qui s’élèvent à 44 heures pour la durée relative calculée sur douze semaines, et à 48 heures pour la durée absolue, avec possibilité de dérogation.

On ne peut expliquer le droit, la nature ni l’évolution de la durée du travail sans prendre en compte ces évolutions de long terme, ainsi que les mutations de l’organisation du travail comme de l’activité économique. À l’origine, ce droit a été conçu en cohérence avec la logique industrielle de la production en série, comme l’atteste le primat de l’horaire collectif de travail, qui a prévalu jusqu’au début des années 1980. Ce sont l’unité de lieu, l’unité de temps et la subordination juridique qui ont déterminé le droit de la durée du travail.

L’horaire collectif est au centre de l’articulation entre les obligations professionnelles et familiales. Il permettait d’assurer la continuité de la production industrielle de série et garantissait, pour les salariés, une sécurité tenant à la régularité de ces horaires. Si la notion d’horaire collectif apparaissait ainsi protectrice – et elle l’est toujours –, elle a eu aussi une fonction disciplinaire. L’ouvrier commettait une faute s’il ne respectait pas les horaires de travail définis par l’employeur, en vertu de son pouvoir de gestion.

C’est pendant la phase industrielle que furent jetés les divers fondements du droit de la durée du travail.

Le premier d’entre eux est l’intervention normative de l’État par la loi afin de fixer la durée légale du travail, qui constitue non une limite physique mais un seuil au-delà duquel se déclenchent les majorations de salaire. Un lien indissociable se crée entre durée légale du travail, temps de travail et rémunération.

Le second fondement est l’intervention normative de l’État pour définir le cadre temporel de référence. Le choix s’est fixé sur la semaine, lors de l’élaboration de la loi sur les 40 heures et de la rédaction des décrets d’application.

La troisième caractéristique est l’intervention normative, par la voie réglementaire, pour fixer les modalités d’organisation du temps de travail, laquelle repose sur la notion d’horaire collectif et la répartition de celui-ci sur cinq jours, cinq jours et demi ou six jours. Les décrets d’application de la loi relative aux 40 heures de travail hebdomadaire, qui établissent des distinctions en fonction des différents secteurs de l’activité économique, se sont appliqués jusqu’aux années 1980.

Toutefois, du fait de sa rigidité, la notion d’horaire collectif s’est révélée inadaptée aux évolutions des modes de production, qui privilégient désormais souplesse, réactivité et diversification des productions. En outre, elle peut faire obstacle aux aspirations des salariés, notamment des femmes, qui souhaitent par exemple ne plus avoir à solliciter une autorisation du responsable hiérarchique quand elles s’absentent pour assumer une contrainte familiale. Plus généralement, chacun apprécie de ne pas avoir à justifier un retard dû aux aléas des transports. Ces évolutions entrent en corrélation avec le niveau d’éducation de la population active : il s’agit désormais d’une population urbaine, qualifiée et diplômée, et non plus d’une population d’origine rurale. Dès le milieu des années 1970, la loi du 27 décembre 1973 introduit des exceptions à la règle de l’horaire collectif. Cette tendance à l’individualisation des horaires et de la quotité de travail n’a cessé de s’accentuer.

Il est indispensable de rappeler ces éléments pour mieux saisir les mutations, les enjeux et synthétiser sur le plan juridique les questions que pose le droit de la durée du travail.

Celles-ci sont multiples.

Quelle quotité de travail le salarié doit-il effectuer ?

Quelle sera la période de référence : la semaine, le mois, un cycle ou l’année ? En 1936, le choix s’est porté sur la semaine, et l’étalon retenu pour mesurer la quotité de travail a été le paramètre horaire. Ce choix s’est confirmé au lendemain de la Seconde guerre mondiale.

Troisièmement, comment définir le temps de travail ? Est-ce celui pendant lequel le salarié effectue strictement et matériellement sa tâche ou celui pendant lequel il se tient à la disposition de l’employeur ? Le point a fait l’objet d’un débat.

Quatrièmement, comment se répartit la quotité de travail sur la semaine, l’année ou le cycle de vie ?

Cinquièmement, comment est rémunérée la quotité d’heures contractuellement convenue par les parties au contrat de travail ? Quelles sont les incidences du dépassement d’un seuil fixé par les pouvoirs publics ?

Sixièmement, quelles sont les limites physiques définies par ceux-ci en fonction de considérations liées notamment à la santé ? Quelle est la durée de travail journalière ou hebdomadaire maximale ? Là encore, des évolutions sont intervenues.

Septièmement, comment s’articulent la norme étatique et le contrat de travail ? Comment se concilient les normes étatiques et les normes collectives qui figurent dans l’accord collectif ? Le contrat ou l’accord peuvent-ils déroger à la norme légale ? Le cas échéant, est-ce en un sens favorable ou défavorable au salarié ? Enfin, comment s’articulent l’accord de branche et l’accord d’entreprise ?

Cette série de questions fournit une grille de lecture permettant de saisir les mutations de notre droit et de mieux comprendre l’évolution tendancielle de la baisse de la durée du travail. Ces mutations sont au cœur des évolutions plus générales de notre droit, qui dessine une nouvelle architecture entre la norme étatique, la négociation collective et le contrat. La nouvelle architecture a été consacrée par le Conseil constitutionnel, qui, tout en s’adossant à l’article 34 de la Constitution de 1958, permet au législateur de renvoyer tant à la négociation collective qu’au pouvoir réglementaire, pour définir les modalités de mise en œuvre de la loi.

Sur le plan historique et juridique, le point de bascule se situe au début des années 1980, avec les lois « Auroux », qui introduisent une nouvelle norme fixant la durée journalière de travail à dix heures. Cette limite est toujours en vigueur. Le législateur a prévu la possibilité de déroger à la durée journalière soit par la voie administrative classique – au moyen d’une dérogation délivrée par l’inspection du travail –, soit par la voie négociée, c’est-à-dire l’accord d’entreprise. C’est le premier exemple d’une nouvelle articulation entre la norme étatique et la norme conventionnelle.

Par ailleurs, les lois « Auroux » instaurent un dispositif de modulation, qui permet de s’affranchir du cadre hebdomadaire de calcul des heures supplémentaires.

En outre, elles permettent aux entreprises de disposer, sans autorisation de l’administration du travail, d’un volume d’heures supplémentaires, dont la quotité est fixée par la négociation, à un niveau inférieur ou supérieur à celui de 130 heures défini par décret. Le mécanisme est original : il autorise les partenaires sociaux à déterminer un seuil grâce à un accord collectif. Autant dire qu’on leur laisse une grande autonomie pour décider d’un paramètre important, qui conditionne l’intervention de la puissance publique.

Ces nouveaux dispositifs dessinent en creux une nouvelle conception de la durée du travail, dans laquelle s’inscrivent les lois « Aubry » du 13 juin 1998 et du 19 janvier 2000. Celles-ci poursuivent le dépassement du cadre hebdomadaire du décompte de la durée du travail, hérité de 1936, et mettent en place un décompte pluriannuel, voire annuel. C’est ainsi que, sous réserve de la conclusion d’un accord collectif, une partie de la population peut calculer sa durée du travail, et donc sa rémunération, à partir non de l’heure mais de la journée de travail.

Quatorze ans après l’adoption de la loi « Aubry II », le cadre juridique régissant le temps de travail a beaucoup évolué. Le législateur l’a assoupli en offrant aux entreprises des leviers pour organiser le travail au plus près de leurs besoins, dans le respect d’un ordre public social. Ce faisant, il s’inscrit dans la trajectoire amorcée en 1982, qui donne plus d’autonomie à l’entreprise.

La loi du 20 août 2008 cristallise cette trajectoire en inversant la hiérarchie des normes. En matière de durée du travail, elle accorde la primauté à l’accord d’entreprise. Sous le précédent quinquennat, le seuil de 35 heures, qui déclenche le versement d’heures supplémentaires, a été maintenu, afin de préserver le pouvoir d’achat des salariés.

Au cours de mon intervention, je rappellerai d’abord les principales dispositions des lois « Aubry », qui ont fixé à 35 heures la durée légale du travail. J’évoquerai ensuite l’assouplissement de ce cadre juridique par d’autres lois, qui ont accordé une plus grande autonomie à l’entreprise. Je terminerai en soulignant les conséquences pratiques de ces textes sur le dialogue social et les conditions de travail.

Les lois « Aubry » résultent de plusieurs textes antérieurs. L’article 39 de la loi quinquennale du 20 décembre 1993 a établi un dispositif expérimental, notamment grâce à l’amendement « Chamard ». La loi du 11 juin 1996, dite « Robien », qui tend à favoriser l’emploi par l’aménagement et les réductions conventionnelles du temps de travail, comporte un volet défensif.

La loi « Aubry I » fixe la durée légale du travail à 35 heures, au 1er janvier 2000 pour les entreprises d’au moins vingt salariés, et au 1er janvier 2002 pour les autres. Elle allège les cotisations patronales des entreprises pourvu que celles-ci, anticipant le passage aux 35 heures, prévoient dans un accord collectif, repris ensuite dans une convention entre l’État et l’entreprise, de diminuer de 10 % la durée effective du travail et d’embaucher à hauteur de 6 % de l’effectif en un an, s’agissant du volet offensif de la loi, et, s’agissant du volet défensif, de maintenir l’emploi et de renoncer à effectuer des licenciements pour motifs économiques.

La loi « Aubry II » confirme que la durée légale du travail est fixée à 35 heures par semaine. Elle allège les cotisations sociales des entreprises qui prévoient dans un accord collectif majoritaire – ce qui est une des innovations majeures de notre droit – une durée de travail collective de 35 heures, et qui précisent le nombre d’emplois créés ou préservés par la réduction du temps de travail.

Ce dispositif appelle plusieurs remarques.

D’abord, les lois « Aubry » ont été le vecteur juridique d’une mise en conformité de notre droit avec la directive européenne 93/104 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail. Elles ont permis d’introduire dans le code du travail une définition du temps de travail : il s’agit du temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à ses occupations personnelles.

Ensuite, afin de permettre aux entreprises de réaliser des gains de productivité, de nature à boucler l’équation économique imposée par la réduction du temps de travail (RTT) associée à la modération salariale, la loi « Aubry II » a facilité les aménagements du temps de travail pour les entreprises. Elle a simplifié, en les fusionnant, les règles relatives aux modulations, et permis de s’affranchir du cadre hebdomadaire de calcul des heures supplémentaires, en établissant une moyenne sur une période infra-annuelle ou annuelle.

Enfin, la loi « Aubry II » a cherché à développer des outils permettant de mieux concilier vie professionnelle et vie personnelle du salarié. L’accord collectif de réduction du temps de travail ou de mise en place de la modulation détermine les modalités de prise des jours de réduction de temps de travail (JRTT), pour partie au choix du salarié, pour partie au choix de l’employeur, selon une répartition fixée par l’accord d’entreprise. L’accord doit aussi fixer les délais maximaux dans lesquels les repos doivent être pris, ainsi que les délais de prévenance.

Ces paramètres, qui peuvent paraître techniques, ont été au cœur de la négociation des accords. Ils sont déterminants pour l’entreprise, qui doit programmer son activité et réagir aux fluctuations à la hausse ou à la baisse. Ils le sont aussi pour les salariés, car les délais de prévenance et la quotité de jours à leur disposition leur permettent de mieux articuler vie professionnelle et personnelle, par exemple pour prendre en charge leurs descendants ou leurs ascendants.

La loi « Aubry II » a modifié les modalités de fonctionnement du compte épargne-temps (CET) en permettant de l’alimenter par les JRTT, et en conciliant vie professionnelle et personnelle sur une période qui dépasse l’année, en vue de mener des projets liés à la formation ou au déroulement de carrière.

Quatrièmement, afin de favoriser la réduction négociée du temps de travail, particulièrement dans les petites entreprises, dépourvues de délégués syndicaux, les deux lois « Aubry » ont permis la négociation d’accords relatifs à la durée et à l’aménagement du temps de travail avec des salariés mandatés par les organisations syndicales.

L’objectif était non seulement de permettre aux entreprises et aux salariés dépourvus de représentation syndicale de bénéficier de la RTT, mais aussi d’accéder aux mécanismes d’aménagement, qui sont une des conditions de la performance de l’entreprise. Ces possibilités de mandatement ont inspiré les dispositions de la loi du 20 août 2008, qui permettent aux entreprises dépourvues de délégué syndical de négocier avec des salariés élus ou mandatés.

Cinquièmement, le temps de travail des cadres a été un enjeu majeur. Le législateur a prévu pour ceux-ci des dispositifs spécifiques, tels que le forfait annuel horaire et le forfait-jours, plus novateur. Les objectifs étaient multiples.

Il fallait d’abord résoudre la difficulté d’évaluer la durée du travail, pour une population en constante évolution quantitative et qualitative. Cette population inclut les cadres encadrant, les experts et les cadres autonomes, dont le temps de travail est extrêmement difficile à décompter. Faut-il y inclure, par exemple, celui d’un déjeuner auquel assiste un cadre commercial ou le temps de déplacement, lors d’un voyage à l’étranger ? Ces questions sont insolubles, si l’on retient un étalon horaire.

Il fallait ensuite mettre un terme à une situation d’insécurité juridique, tant pour les employeurs que pour les salariés, et rendre possible la réduction du temps de travail pour cette catégorie, ce qui n’est possible que si l’on s’affranchit d’un cadre horaire.

Il fallait aussi prendre mieux en compte l’organisation du travail des cadres. La création du forfait-jours constitue, de fait et en droit, un point d’équilibre du nouveau dispositif issu des lois « Aubry ». Celui-ci décompte la durée du travail non plus en heures mais en jours, ce qui permet de combiner un accord d’entreprise ou de branche avec une convention individuelle.

Grâce à la loi « Aubry II », le législateur a mieux articulé les accords collectifs sur la réduction du temps de travail et le contrat de travail. La jurisprudence a posé le principe selon lequel la durée du travail, telle que mentionnée au contrat, ne peut être modifiée sans l’accord du salarié. On peut dire, en citant le doyen Philippe Waquet, que la durée du travail fait partie du socle contractuel fondamental.

La loi « Aubry II » a aussi intégré au code du travail une disposition selon laquelle la seule diminution du nombre d’heures, en application d’un accord de réduction de la durée du travail, ne constitue pas une modification du contrat. On voit ainsi se dessiner une nouvelle articulation entre accord collectif et contrat de travail.

Pour autant, l’accord collectif sur la réduction du temps de travail peut avoir des incidences sur l’aménagement du temps de travail comme sur la rémunération, et nécessiter une modification du contrat. Pour cette raison, il a fallu ajouter au code du travail que, lorsqu’un ou plusieurs salariés refusent une modification du contrat en application d’un accord de réduction de la durée du travail, leur licenciement éventuel ne repose pas sur un motif économique, et qu’il est soumis aux dispositions relatives à la rupture du contrat de travail pour motif personnel.

J’en viens au second temps de ma présentation.

Depuis les lois « Aubry », le cadre législatif a beaucoup évolué, afin de donner aux entreprises des leviers qui leur permettent d’organiser le temps de travail au plus près de leurs besoins, de faire face à leurs contraintes et de disposer d’une plus grande autonomie pour négocier.

Dans son volet « temps de travail », la loi du 20 août 2008 parachève un cycle d’importantes réformes législatives visant à adapter et à assouplir le cadre issu des lois « Aubry » sur les 35 heures. Ce texte concerne des équilibres essentiels de notre droit du travail et repose sur trois piliers : les règles sur la durée du travail sont constitutives de notre ordre public social ; elles sont indissociables de l’organisation du temps de travail dans l’entreprise ; elles ont un impact sur la rémunération des salariés et leur pouvoir d’achat.

Pourquoi peut-on dire que ces règles sont constitutives de notre ordre public social ? La durée et l’amplitude du temps de travail affectent directement la santé du salarié, qui doit bénéficier, entre les séquences de travail, d’un temps de repos, à l’échelle de la semaine comme de l’année. En dehors de certaines dérogations encadrées par la loi, s’appliquent les règles relatives au repos hebdomadaire, au repos quotidien, à la durée maximale de travail hebdomadaire, au travail de nuit, aux temps de pause et aux congés payés. Ces normes constituent un socle, que l’accord d’entreprise peut améliorer. Elles assurent de manière effective le respect du principe relatif à la protection de la santé des travailleurs, inscrit dans le préambule de la Constitution de 1946.

Par application du principe de faveur, l’accord collectif peut aller au-delà de ces prescriptions pour assurer une meilleure protection des salariés. Ce champ de la législation est fortement irrigué par le droit de l’Union européenne. La directive 2003/88 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail est prise sur le fondement des stipulations du traité instituant la Communauté européenne, en particulier sur les dispositions relatives à la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs. Elle fixe des prescriptions minimales de sécurité et de santé, que les États membres sont tenus de respecter. À ce titre, elle a conduit à introduire dans notre législation le principe du repos journalier et des temps de pause.

Venons-en au deuxième pilier de la loi : les règles régissant la durée du travail sont indissociables de l’organisation du temps de travail dans l’entreprise, notamment du process et des aspirations des salariés. Le droit du travail s’inscrit dans une logique descendante, qui part de la loi pour aller vers l’accord de branche et l’accord d’entreprise, le tout étant régi par le principe de faveur, qui permet de déroger, dans un sens favorable aux salariés, aux dispositions fixées par le niveau supérieur.

En inversant la hiérarchie des normes dans certains domaines énumérés, la loi du 20 août 2008 consacre une évolution amorcée dès 1982, avec l’introduction dans le droit de l’ordre public dérogatoire, qui reconnaît aux partenaires sociaux la possibilité de négocier des dispositions moins favorables aux salariés. Encore faut-il s’accorder sur ce terme. Dans le cas d’un salarié qui effectue des heures supplémentaires – donc perd de sa liberté personnelle mais accroît sa rémunération –, il est très difficile à une autorité extérieure de juger de l’application du principe de faveur. On a donc laissé aux acteurs de l’entreprise ou de la branche le soin de définir ce paramètre.

L’approche initiée en 1982 s’est poursuivie avec la loi « Fillon » du 17 janvier 2003, qui, sans remettre en cause le principe de la durée légale, fixée à 35 heures, a permis d’aménager les conditions dans lesquelles la réduction du temps de travail est mise en œuvre dans les entreprises.

Puis la loi du 4 mai 2004 a institué des rapports d’autonomie entre les différents niveaux d’accords collectifs.

Enfin, la loi du 20 août 2008 a parachevé cette dynamique. Désormais, les grands principes de notre droit de la durée du travail sont définis par la loi, comme l’impose l’article 34 de la Constitution, mais la hiérarchie est désormais la suivante : l’accord d’entreprise ; à défaut, l’accord de branche ; à défaut, les dispositions supplétives définies par la voie réglementaire.

Les thèmes concernés par cette inversion de la hiérarchie des normes sont strictement limités et ne remettent pas en cause les dispositions précédemment énumérées, qui se rattachent à l’ordre public social. Les paramètres que le législateur a voulu placer dans les mains des acteurs de l’entreprise sont la fixation du contingent d’heures supplémentaires, le repos compensateur de remplacement, les conventions individuelles de forfait, la répartition et l’aménagement des horaires, la journée de solidarité et le compte épargne-temps.

La loi du 20 août 2008 accorde une place plus importante à la négociation d’entreprise pour fixer les différents paramètres du droit de la durée du travail, ce qui permet de prendre en compte les besoins économiques des entreprises, leur organisation, compte tenu de leurs contraintes et de leurs activités, et les besoins des salariés. Elle simplifie significativement la réglementation en matière de temps de travail, en créant un mode unique d’aménagement négocié du temps de travail, dit « de modulation », qui se substitue aux quatre précédents.

La loi précise désormais que l’accord fixe les limites pour le déclenchement des heures supplémentaires, dans le respect de la durée légale, ainsi qu’un délai de prévenance d’au moins sept jours, sauf stipulation contraire, pour modifier la durée ou les horaires de travail. Le principe de faveur reste un principe fondamental, mais il a été adapté dans le droit de la durée du travail.

Les heures supplémentaires sont, selon les cas, jugées favorables ou défavorables aux salariés. Le législateur a tranché la question en s’appuyant sur les nouvelles formes de démocratie sociale.

Le fait que l’inversion de la hiérarchie des normes de droit soit inscrite dans la loi du 20 août 2008 sur la démocratie sociale ne relève pas d’une pure coïncidence de calendrier. Pour que l’accord collectif d’entreprise puisse fixer des paramètres aussi fondamentaux pour les salariés et les entreprises, aussi déterminants pour l’articulation entre vie professionnelle et personnelle, il fallait qu’il soit conclu par des organisations syndicales qui aient la légitimité d’engager la communauté de travail. Cette légitimité est adossée à l’appréciation de leur représentativité dans l’entreprise, compte tenu du résultat obtenu au premier tour des élections professionnelles pour choisir le comité d’entreprise ou les délégués du personnel.

Il y a un lien indissociable entre ces deux évolutions. On ne peut, en effet, concevoir que l’accord collectif devienne la matrice de la norme juridique applicable aux relations de travail quotidiennes, si cet accord est conclu par une organisation syndicale peu ou pas représentée dans l’entreprise. Dès lors, ne sont invitées à la table des négociations que des organisations dont la représentativité a été consacrée par les élections professionnelles.

Le troisième pilier de la loi est la prise en compte de l’aspiration aux gains de pouvoir d’achat, les 35 heures étant maintenues comme référence pour le déclenchement des heures supplémentaires, lesquelles bénéficiaient des dispositions de la loi du 20 août 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, dite « TEPA ». Aux termes de cette loi, la rémunération des heures supplémentaires et complémentaires devait bénéficier d’une réduction de cotisations sociales plafonnée au taux de 21,5 % ; l’employeur bénéficiait, pour les seules heures supplémentaires, d’une réduction forfaitaire de cotisations patronales ; les salariés étaient exonérés de l’imposition sur le revenu pour la rémunération des heures supplémentaires ou complémentaires.

Selon une étude de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) de 2011, les deux tiers des salariés à temps plein, sans forfait, ont effectué des heures supplémentaires ; mais il n’est pas sûr que la loi TEPA ait vraiment contribué à l’augmentation de leur nombre ni, selon le but recherché, à une relance de l’activité. Elle fut abrogée par la loi de finances rectificative du 16 août 2012, qui supprimait les exonérations fiscales et sociales. Seules les exonérations de cotisations patronales dans les entreprises de moins de vingt salariés ont été maintenues.

La question des effets de la loi TEPA et de son abrogation est sujette à débat. Quelque 9,5 millions de salariés ont été concernés par la fin des heures supplémentaires défiscalisées. Selon le rapport du comité d’évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales de juin 2011, les bénéficiaires de la mesure étaient essentiellement des employés aux revenus supérieurs au SMIC ; pour un ouvrier ayant un salaire mensuel de 2 271 euros, la perte due à l’abrogation du dispositif serait de 48 euros.

La loi du 22 mars 2012, dite loi « Warsmann », a précisé que l’accord collectif peut primer sur le contrat de travail en matière d’aménagement du temps de travail. Nous retrouvons ici une question majeure, celle de l’articulation entre accord collectif et contrat de travail : le second étant la loi des parties, il ne peut être modifié que par leur assentiment réciproque.

Les mécanismes d’aménagement du temps de travail permettent aux entreprises d’adapter au mieux leur organisation du travail, mais ils peuvent aussi avoir une incidence sur le socle contractuel. Une jurisprudence de la Cour de cassation du 18 septembre 2010 avait précisé que la mise en place de ce type d’aménagement – en l’espèce, le dispositif de modulation – constituait une modification du contrat de travail qui, en tant que telle, requérait l’accord exprès du salarié ; si bien que se posait la question du recueil de l’accord de chacun des salariés, et celle d’un éventuel refus d’un ou de plusieurs d’entre eux. La jurisprudence conduisait donc à rendre plus aléatoire le recours au mécanisme d’aménagement du temps de travail ; aussi le législateur a-t-il précisé, avec la loi « Warsmann », que la mise en place d’un tel aménagement pour une période supérieure à une semaine ne constituait pas, au sens du code du travail, une modification du contrat de travail.

La question du temps partiel est liée à l’évolution de la durée légale du travail. C’est ce qui explique que la loi « Aubry II », en application du droit communautaire, ait traité du temps partiel ; elle a défini celui-ci en référence à la durée légale du travail, quel que soit son mode de calcul : est considéré comme travail à temps partiel tout travail dont la durée est inférieure à ces références légales. La même loi soumet la mise en place du temps partiel à la conclusion d’un accord collectif ; en l’absence d’un tel accord, le temps partiel peut être décidé après avis du comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel.

Enfin, la loi « Aubry II » avait pour objectif de faciliter la conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle des salariés à temps partiel ; elle a ainsi encadré le pouvoir qu’a l’employeur de changer la répartition des horaires de travail de ces salariés, car un tel changement peut avoir une incidence, non seulement pour la vie personnelle des intéressés, mais aussi pour leur vie professionnelle s’ils l’exercent dans plusieurs entreprises. Cette loi pose le principe selon lequel le refus du salarié ne constitue ni une faute ni un motif de licenciement dès lors que ledit changement n’est pas compatible avec des obligations familiales impérieuses.

En 2012, c’est sous l’angle de la lutte contre la précarité du temps partiel subi que le Gouvernement a souhaité réformer le cadre législatif applicable au temps partiel. Les partenaires sociaux, en accord avec le Gouvernement, se sont emparés de la question et ont conclu, le 11 janvier 2013, un accord dont les dispositions relatives au temps partiel ont été retranscrites dans l’article 12 de la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi. Selon cet article, la durée minimale d’un contrat de travail à temps partiel est fixée à 24 heures hebdomadaires.

J’en viens aux conséquences pratiques de la réduction du temps de travail sur le dialogue social et les conditions de travail, notamment pour les cadres.

Les innovations des lois « Aubry » et, plus largement, le processus de négociation des 35 heures ont-ils donné un nouvel élan au dialogue social dans les entreprises ? La question fait débat.

Le bilan dressé à l’occasion de la loi du 19 janvier 2000, présenté dans la circulaire DRT du 3 mars 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail, met en avant « qu’en l'espace d'un an et demi (..), 26 000 accords d'entreprise ont été signés, concernant 2,9 millions de salariés et entraînant la création ou la sauvegarde de plus de 170 000 emplois ». Il convient de souligner que le chiffre de 170 000 créations ou sauvegardes d’emploi correspond à une évaluation réalisée ex ante, qui correspondait à la somme des engagements pris par les entreprises à cette date. L’impact total des lois Aubry en termes de création d’emplois, selon des estimations convergentes rappelées par la Directrice de la DARES lors de son audition, serait compris entre + 6% à + 7%.

Par ailleurs, on est passé, grosso modo, d’un flux annuel d’environ 10 000 accords d’entreprise à un flux de près de 30 000 accords. Avec ce pic, la part d’accords d’entreprise relative au temps de travail a fortement progressé. Ce dernier reste aujourd’hui le deuxième thème de négociation au sein des entreprises.

Faut-il toutefois relativiser ces chiffres, comme l’avait fait, en 2004, le rapport de la mission d’information sur l’évaluation des conséquences économiques et sociales de la législation sur le temps de travail ? Ce document soulignait que le bénéfice des allégements de cotisations était conditionné à la signature d’un accord, donc à une contrainte pour les entreprises. Reste que les lois « Aubry » ont induit un mouvement significatif de négociation, tant au niveau des branches que des entreprises.

Il faut aussi s’interroger sur la manière dont celles-ci se sont approprié les outils de la loi du 20 août 2008. Rien, dans le bilan statistique, ne permet de conclure que cette appropriation ait été effective. Selon la DARES, les accords d’entreprise sur le temps de travail sont, malgré leur proportion élevée, sensiblement moins nombreux en 2010 qu’en 2009. Cette baisse est même légèrement plus marquée que celle du volume d’ensemble des accords d’entreprise ; elle témoignerait, selon la DARES, d’une faible appropriation par les entreprises des possibilités d’aménagement et de dérogation offertes par la loi de 2008. Notre analyse est que les entreprises, notamment les grandes et les moyennes, n’ont pas souhaité s’engager dans une remise en cause des accords collectifs de RTT conclus dans le sillage des lois « Aubry » ; le plus souvent, elles ont préféré la continuité, moyennant d’éventuels aménagements de l’organisation du temps de travail.

La DARES estime, par ailleurs, que 12 % des salariés disposent d’un compte épargne-temps. Ce taux s’élève à 32 % pour les salariés au forfait-jours et à 10 % pour les autres. Les possibilités d’utilisation du CET ont été ultérieurement modifiées par différentes lois, sur lesquelles je ne reviens pas. Il faut surtout retenir que le CET est devenu un outil largement diffusé, qui permet aux salariés de concilier vie professionnelle et vie personnelle à un horizon qui peut s’étendre du moyen terme jusqu’à la vie entière.

Pour les cadres, le dispositif du forfait-jours a été pleinement utilisé par les entreprises. Selon la DARES, la part des salariés à temps complet visés par ce forfait est passée de 5 % en 2001 à 12 % en 2011, soit environ 1,3 million de salariés. Le succès du dispositif s’explique par le fait qu’il a permis de réguler la durée du travail des cadres, qu’ils exercent des fonctions d’encadrement ou d’expertise, même s’il a pu, un temps, sembler fragilisé par le contentieux. Comme vous le savez, la CFE-CGC et la CGT ont déposé des recours devant le Comité européen des droits sociaux, en vue de faire déclarer le forfait-jours contraire à l’article 2, paragraphe 1 de la Charte sociale européenne révisée, lequel impose « une durée raisonnable au travail journalier et hebdomadaire ». Dans des résolutions en date du 4 mai 2005, le comité des ministres a suivi ce raisonnement, mais sa position a seulement valeur de recommandation.

Dans un second temps, le contentieux s’est noué devant la chambre sociale de la Cour de cassation, qui, par un arrêt du 29 juin 2011, n’a pas censuré le dispositif en lui-même – en l’espèce, il s’agissait de celui mis en œuvre par la convention de branche de la métallurgie. La chambre sociale a précisé que « toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect des durées maximales de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires ». Dans leur commentaire de l’arrêt (Semaine sociale Lamy, 4 juillet 2011), la doyenne de la chambre sociale et le conseiller Philippe Florès estiment que cette décision « trouve un point d’équilibre entre la flexibilité voulue par le législateur, qui inspire le forfait en jours, et les limites nécessaires résultant des exigences de sécurité de nature à la fois constitutionnelle et européenne ». Si la Cour de cassation reste particulièrement vigilante en la matière, en réitérant en particulier son exigence d’un suivi régulier de l’activité des salariés (Cass soc., 26 septembre 2012, n°11-14.540), elle a donc conforté le principe du forfait-jours.

Notre droit du travail est-il toujours adapté aux évolutions des conditions de travail et aux évolutions sociétales, s’agissant en particulier de la remise en cause du paradigme qui avait fondé notre législation : la coïncidence entre unité de temps et de lieu et la démarcation claire entre activité professionnelle et vie personnelle ? On peut légitimement se poser la question au vu de l’influence des nouvelles technologies, de leur diffusion et des changements d’habitudes qu’elles induisent, pour les anciennes comme pour les nouvelles générations. Du fait de ces outils, la vie personnelle et la vie professionnelle sont toutes deux présentes l’une dans l’autre, pendant les temps et dans les lieux qui leur sont respectivement dévolus. Cette mutation majeure, non seulement des relations de travail mais aussi des relations sociales et sociétales, induit une déconnexion entre la présence physique et la disponibilité mentale. Elle bouleverse aussi notre droit, et certaines branches professionnelles l’ont déjà prise en compte. C’est le cas, par exemple, de la branche des bureaux d’études techniques, cabinets d’ingénieurs-conseils, sociétés de conseil, dont l’accord d’avril 2014 contient un avenant qui prévoit une obligation de « déconnexion des outils de communication à distance », afin de garantir l’effectivité du respect par le salarié des durées de repos quotidiennes et hebdomadaires.

Afin d’améliorer l’articulation des temps de vie, certaines entreprises se sont engagées à mettre en œuvre de bonnes pratiques. En mai dernier, une cinquantaine d’entre elles se sont ainsi engagées à respecter la Charte des bonnes pratiques lancée par le ministère du droit des femmes en partenariat avec l’Observatoire de la parentalité en entreprise, qui reconnaît au salarié un « droit à la déconnexion ».

De façon plus générale, on peut s’interroger sur l’impact de la réduction du temps de travail sur les conditions de travail : en particulier, se traduit-elle par une intensification qui les dégraderait ? Telle qu’elle ressort des enquêtes, la réalité appelle une réponse nuancée.

Interrogés en 2003, la moitié des salariés estimaient que la RTT avait amélioré leur situation. Pour la plupart des bénéficiaires des 35 heures, l’activité se caractérise, il est vrai, par une flexibilité accrue, mais aussi par une meilleure prévisibilité des horaires et une pression temporelle moins forte. En clair, l’impact de la RTT dépend d’un paramètre fondamental : l’autonomie dont dispose le salarié dans l’organisation de ses tâches.

D’autres études, en particulier celles de la DARES et l’enquête Sumer, mettent en évidence des évolutions négatives, voire une dégradation des conditions de travail en raison d’un cumul de contraintes accrues – rythme de travail ou postures, par exemple. Pour les employeurs, le passage aux 35 heures a été lié à des modifications de l’organisation du travail visant à accroître la productivité, afin de boucler l’équation économique. En définitive, le travail semble s’être intensifié par le passage aux 35 heures, qui a conduit à concentrer l’activité sur cinq jours dans la semaine, voire moins.

Ces évolutions conduisent à un changement d’approche des conditions de travail. L’accent est mis, désormais, sur la qualité de vie au travail dans le cadre d’une démarche globale incluant non seulement les risques psychosociaux, mais aussi les attentes des personnes en matière de réalisation et de développement personnels, d’organisation collective du travail, d’articulation entre vie professionnelle et vie personnelle, notamment par la prise en compte du temps de transport. Les salariés d’une entreprise située en région parisienne sur la ligne A du RER, interrogés en interne par le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) sur les facteurs de risque psychosocial, avaient placé au premier rang d’entre eux les conditions de circulation sur cette ligne.

Je ne reviendrai pas sur les principales évolutions de notre droit en matière de durée du travail, indissociables de la diminution tendancielle de cette dernière ; elles ont été le vecteur d’un changement radical de notre droit du travail vers une nouvelle articulation entre la norme étatique et la norme négociée.

Notre pays est confronté à un débat stratégique, qui revêt aussi une dimension communautaire. Face à l’évolution de l’économie mondiale et à la libéralisation des échanges, deux voies s’offrent à lui dans un cadre apparemment harmonisé. La première est la voie contractuelle pure, choisie par le Royaume-Uni – rejoint depuis par d’autres pays qui ont adhéré à l’Union – avec la clause de l’« opt-out », laquelle permet de s’affranchir des normes communautaires si un accord collectif est conclu. La seconde, jusqu’alors choisie par notre pays, est la voie négociée, qui articule l’ordre public social et la négociation dans l’entreprise. Ce qui est en jeu, c’est la capacité à faire évoluer notre modèle afin de concilier les besoins des entreprises et les aspirations des salariés. Reste aussi un problème, et non des moindres : l’effectivité de la norme et son application.

M. le président Thierry Benoit. Merci, monsieur le directeur général, pour cet exposé complet.

« Le droit de la durée du travail ne peut être dissocié de l’organisation de l’entreprise », avez-vous dit. C’est précisément ce qui a fait germer, dans mon esprit, l’idée de cette commission d’enquête. Le redressement productif et la perte de compétitivité, évoqués tant par le Gouvernement que par les chefs d’entreprise, ne peuvent laisser les élus sans réaction.

Vous avez parlé d’un cadre « apparemment harmonisé » ; or, entre l’annualisation du temps de travail, les compensations forfaitaires sous forme de RTT ou le compte épargne-temps, ce cadre fait l’objet d’applications très différentes, qui varient aussi selon les branches et les secteurs d’activité. Cela ne pose-t-il pas la question de l’attractivité des métiers et des cadences au sein de l’entreprise ?

Enfin, le Centre d’analyse stratégique évalue à 12 milliards d’euros le coût de la réduction hebdomadaire du temps de travail dans la sphère publique, et à 22 milliards d’euros les versements de l’État à la sécurité sociale au titre des différentes compensations – « Aubry », « Balladur » puis « Juppé » – d’allégements de cotisations sociales, journée de solidarité comprise. La RTT a-t-elle donc un coût, non seulement pour les entreprises, mais aussi pour la sphère publique, au regard notamment du financement des prestations sociales et des retraites ?

Mme Barbara Romagnan, rapporteure. Merci pour votre exposé qui bat en brèche certaines évidences, notamment celle selon laquelle il n’y aurait pas lieu, en dépit de la situation de l’emploi, de s’interroger sur le temps de travail. De ce point de vue, je sais gré à M. Benoit d’avoir eu l’initiative de cette commission d’enquête.

En matière de temps de travail, des évolutions sont intervenues, dans un sens ou dans l’autre. D’aucuns tirent argument de la précédente durée légale pour dire que l’on pourrait travailler davantage ; d’autres estiment que la diminution progressive du temps de travail est une évolution historique.

Votre exposé a bien montré également que, pour évaluer les politiques de réduction du temps de travail, il faut prendre en compte non seulement les lois « Aubry », mais aussi les décisions qui ont pu les affecter en 2003, 2004, 2008 et même 2012, avec l’abrogation de la loi TEPA.

S’agissant de l’impact de la RTT, peut-on faire des distinctions en fonction, non seulement du sexe, mais aussi des branches, des catégories socioprofessionnelles ou des types d’entreprise ? Qu’en est-il de la productivité ?

Vous avez justement souligné, par ailleurs, qu’il est difficile de dissocier l’impact de la RTT sur la vie au travail et en dehors du travail.

Peut-on observer, sinon un lien de causalité, du moins une concomitance entre la RTT et l’évolution des types de contrat, sachant que sept emplois créés sur dix pour les moins de vingt-cinq ans, aujourd’hui, le sont en CDD ou en intérim ?

M. Gérard Sebaoun. Quelles que soient les études, on observe deux types de réaction au forfait-jours chez les cadres : certains mènent une vie banale d’entreprise, avec des horaires convenables ; d’autres, notamment les plus jeunes et les jeunes diplômés entrant dans l’entreprise, ne comptent plus du tout leurs heures. Je suis donc sceptique sur la « déconnexion » qu’induiraient les nouvelles technologies, qui bouleversent le rapport au travail.

Ne devrait-on pas prendre en compte, au moins en partie, le temps de transport, cause de fatigue extrême pour les salariés, notamment en région parisienne ?

Enfin, les inspecteurs du travail sont-ils souvent amenés à intervenir pour faire respecter le temps de travail ?

M. Denys Robiliard. Votre exposé liminaire, qui constituera finalement l’essentiel de cette audition, appellerait une nouvelle audition ou une lecture complète ; on pourrait d’ailleurs en imaginer la publication dans une revue telle que Droit social.

De 1998 à 2000, vous étiez conseiller technique au cabinet de Martine Aubry. Dans quelle mesure les objectifs alors poursuivis par la ministre ont-ils été atteints, au vu des résultats que vous constatez aujourd’hui en tant que directeur général du travail ?

Vous avez indiqué, en mentionnant le nombre d’accords collectifs, que 170 000 emplois avaient été sauvegardés. Faut-il comprendre que ces accords étaient défensifs ? L’impact de la RTT sur l’emploi se limite-t-il à cette sauvegarde, ou y a-t-il eu aussi des gains ?

Le forfait-jours vous paraît-il juridiquement sécurisé après l’arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 29 juin 2011 ? L’articulation entre flexibilité et sécurité, en effet, n’est pas sans poser problème.

Enfin, le statut des cadres de direction, lui aussi, vous semble-t-il sécurisé ? Le droit est-il stabilisé sur ce point ?

Mme Fanélie Carrey-Conte. Je fais mienne la question de M. Robiliard sur les emplois créés ou sauvegardés.

Ce sont, avez-vous dit, 26 000 accords d’entreprise qui ont été signés suite aux lois « Aubry » : celles-ci ont-elles eu aussi un impact significatif sur le nombre d’accords de branche ?

Enfin, les lois « Aubry » ont-elles permis des évolutions notables, au sein des entreprises, sur l’organisation du travail, qu’il s’agisse du télétravail ou des horaires décalés ?

Mme la rapporteure. Comme M. Sebaoun, je souhaitais vous interroger sur les interventions des inspecteurs du travail liées au respect du temps de travail. Constate-t-on des difficultés plus fréquentes dans un type d’entreprise ou profil d’emploi ?

M. Robiliard vous a interrogé sur le bilan que vous pouviez faire de la RTT, au vu de vos fonctions entre 1998 et 2000. De fait, nous aimerions nous servir de l’évaluation pour trouver des solutions aux difficultés constatées avec le recul. Que faudrait-il faire différemment, si l’on avait à mettre en œuvre des politiques de réduction du temps de travail aujourd’hui ?

Chacun s’accorde à dire, au vu des évaluations, que la RTT a créé des emplois, même si l’on peut estimer que c’est trop peu ou que le prix a été trop élevé ; mais l’impact de la RTT sur la compétitivité, précisément, fait débat : avez-vous des éléments sur ce point ?

La DARES a estimé le nombre d’emplois créés par la réduction du temps de travail dans une fourchette comprise entre 350 000 et 400 000, mais sa directrice n’a pas fait état de ces chiffres lors de son audition par la Commission d’enquête, préférant indiquer que la progression de l’emploi s’était établie entre 4 et 6 %. Quel est le lien entre ces deux évaluations ?

La réduction du temps de travail a-t-elle stimulé ou freiné le recours au temps partiel ? On le sait, 80 % des travailleurs à temps partiel sont des femmes ; cette proportion a-t-elle évolué après la mise en œuvre des lois « Aubry » ?

M. Yves Struillou. Pour juger du rapport entre compétitivité et réduction du temps de travail, nous disposons de données souvent qualitatives et d’informations remontant des services déconcentrés du ministère. Il en ressort que l’entreprise qui est en mesure d’utiliser les souplesses offertes par le code du travail dispose d’un avantage comparatif reposant sur l’articulation des règles de droit et de l’organisation du travail. J’ai eu à connaître par exemple une entreprise dont les commandes enregistrées par les voyageurs représentants placiers (VRP), arrivant le vendredi après-midi, ne pouvaient être traitées que le lundi, ce qui décalait les livraisons à la semaine suivante. Après une réflexion interne, l’avancement des communications de données au jeudi a permis, d’une part, aux VRP de bénéficier de JRTT le vendredi, d’autre part, à l’entreprise d’expédier les commandes plus tôt. De la sorte, cette dernière a réussi à concilier ses besoins de mieux répondre aux attentes de sa clientèle et les aspirations de ses salariés.

Certaines entreprises se sont saisies des potentialités nées des lois de réduction du temps de travail quand d’autres n’en ont pas été capables. Cette différence de réaction est liée à des paramètres comme la présence de représentants du personnel, le positionnement des organisations syndicales ou la capacité de l’entreprise à réfléchir à son organisation du travail. L’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT) avait fourni un appui de conseil aux entreprises, ce qui s’avéra déterminant pour les plus petites d’entre elles.

L’évaluation du lien entre l’aménagement du temps de travail et la compétitivité devrait se fonder sur une approche diversifiée selon l’activité de l’entreprise, la gestion des ressources humaines, la politique du personnel et celle du recrutement. Les positions pratiques des entreprises du bâtiment et de l’artisanat se sont révélées souples et ont pris en compte la nécessité d’offrir aux jeunes des conditions de travail satisfaisantes pour pouvoir les attirer ; parmi ces éléments figurait l’établissement de la durée hebdomadaire moyenne du travail à 35 heures. Ces salariés, évoluant dans des secteurs considérés comme pénibles et peu attractifs, ont ainsi pu bénéficier d’un standard social minimal promu par le corps social. En attirant ainsi des jeunes formés, ces entreprises ont vu leurs compétences renforcées.

Des entreprises confrontées à un fléchissement de l’activité économique ont utilisé les dispositifs d’aménagement du temps de travail, et les salariés ont préféré prendre des JRTT plutôt que de se retrouver au chômage partiel. Les 35 heures ont eu des effets en période de croissance, mais elles ont également joué un rôle d’amortissement lors de la décélération de l’activité économique, même si celui-ci s’étiole au bout d’un certain temps.

La réduction du temps de travail a été financée à la fois par les entreprises et par les salariés, à travers la modération de leurs salaires. La collectivité a également participé par le biais du lien entre la RTT et les barèmes des cotisations sociales – reste à savoir si cet effet de diminution du coût salarial global était souhaité ou non.

S’agissant du forfait-jours, ce dispositif n’a pas été conçu pour que le cadre travaille six jours par semaine et treize heures quotidiennement, mais pour disposer d’une norme juridique qui se trouve en phase avec la réalité. En effet, le décompte de la durée du travail d’un cadre ne s’opérait souvent que lors d’une rupture conflictuelle du contrat de travail, le juge saisi devant procéder au calcul des heures supplémentaires. Le code du travail ne vise pas à exercer une régulation ex post, mais bien à régir la relation de travail dans son déroulement. Dans cette optique, le forfait-jours a permis à certaines catégories de la population – les journalistes, par exemple – de bénéficier de la RTT et d’un nouveau décompte de la durée du travail.

La déconnexion me semble une piste à ne pas négliger, les entreprises devant se saisir de cette question. Au sein même de ma direction, je m’aperçois que l’absence d’une régulation interne pourrait déboucher sur la mise à disposition permanente du salarié. L’arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation auquel j’ai fait allusion présente l’intérêt de sécuriser le dispositif du forfait-jours au regard du droit interne et du droit international, tout en encadrant le recours à ce mécanisme. Le forfait-jours ne relève pas l’employeur de son obligation de santé et de sécurité ; celui-ci doit notamment surveiller l’adéquation entre la charge de travail et la disponibilité du salarié, afin d’éviter les cas de « burn-out ». La chambre sociale de la Cour a voulu signifier que l’entreprise – entrepreneurs et organisations syndicales – devait s’assurer de l’effectivité des normes qu’elle mettait en place. La viabilité du dispositif dépend de cet aspect qui protège le salarié de situations extrêmes.

Il convient de manier avec précaution les données dont nous disposons sur l’intervention de l’inspection du travail du fait des difficultés à obtenir des informations. Dans son activité de contrôle, l’inspection du travail se réfère à 4 à 8 % du total des articles du code du travail se rapportant aux différentes thématiques de la durée du travail ; les sujets qu’elle traite touchent au contrôle de la durée du travail – durée maximale, heures supplémentaires et mécanismes de suivi. Dans certaines activités, à certaines périodes de l’année, les agents expérimentés savent que des heures supplémentaires sont travaillées et ne cherchent pas à les empêcher. En effet, l’objectif est de vérifier que ces heures s’effectuent dans des conditions légales ; elles doivent être déclarées et des limites doivent être posées, ces périodes étant propices à l’accidentabilité au travail.

J’ai cité le chiffre de 170 000 emplois créés ou sauvegardés par les lois « Aubry » ; il convient de souligner que ce chiffre, présenté dans la circulaire du 3 mars 2000, correspond à une évaluation réalisée ex ante, qui correspondait à la somme des engagements pris par les entreprises à cette date. Je vous transmettrai une fiche plus complète du bilan de ces lois, au regard des volets offensif et défensif.

Entre 1998 et 2003, 730 accords sur le temps de travail ont été conclus dans 319 branches. Parmi ces textes, 350 accords signés dans 230 branches, abordent le thème des 35 heures. Ce volume s’avère très supérieur au flux habituel. Incontestablement, les lois « Aubry I » et « Aubry II » ont impulsé un mouvement puissant de négociation de branche.

Les objectifs poursuivis étaient multiples : réduction du temps de travail, adéquation entre vie personnelle et vie salariale, emploi, compétitivité et organisation du travail. Ces buts ont-ils été atteints ? Il convient d’apporter une réponse nuancée à cette question. Ce qui est clair, c’est que la réforme a eu un impact en termes de dialogue social. Certaines entreprises se sont interrogées sur l’organisation du temps de travail, ont modifié celle-ci et ont gagné en efficacité sans dégrader les conditions de travail de leurs salariés, voire en les améliorant. Au sein des entreprises, des discussions ont été lancées sur une meilleure articulation entre vie professionnelle et vie privée ainsi que sur des sujets très prosaïques, comme les délais de prévenance lors du passage d’une période d’activité moyenne à une période de haute intensité, de façon à organiser la vie personnelle en conséquence. Des négociations, menées par des délégués syndicaux et des élus, ont permis, notamment aux femmes, de poser des questions sur la prise en charge des contraintes familiales. En revanche, dans certains secteurs, ces lois ont parfois conduit à une intensification qui a débouché sur une dégradation des conditions de travail.

L’environnement juridique des cadres dirigeants me semble satisfaisant, le juge veillant à ce que cette notion ne puisse être utilisée que si certains critères sont remplis.

Nous disposons aujourd’hui des outils nécessaires ; nous pourrions les aménager, mais la question principale réside dans la prise en main de ces instruments par les branches et les entreprises. Le temps social est long. Notre pays suivra-t-il une voie unilatérale et contractuelle, d’inspiration anglo-saxonne, ou une tradition historique d’une République démocratique et sociale qui privilégie la négociation d’entreprise ? Celle-ci requiert du temps et des interlocuteurs formés et légitimes. Les évolutions de notre droit du travail, au-delà des changements de majorité politique, convergent vers une responsabilisation des acteurs dans l’entreprise, ceux-ci ayant entre leurs mains des outils permettant d’améliorer la performance de l’entreprise.

M. le président Thierry Benoit. La disparité de la durée annuelle moyenne du travail entre les salariés à temps complet du privé et ceux du public s’établit ainsi : les premiers effectuent 1 670 heures et les seconds 1 580, pour une moyenne totale de 1 661 heures. Comment s’explique-t-elle ? Au sein des entreprises privées, les salariés des petites entreprises travaillent 131 heures de plus que ceux des grandes entreprises. Là encore, quelles en sont les raisons ?

Certaines filières rencontrent des difficultés pour recruter. Quel rôle joue l’attractivité des métiers dans cette situation ?

Le temps de travail constitue-t-il un levier d’amélioration de la compétitivité des entreprises françaises ?

Les Français étant plus nombreux et vivant plus longtemps, la question du financement de notre système de retraite se pose. La durée du travail peut-elle contribuer à résoudre ce problème ?

Par ailleurs, 9,5 millions de salariés avaient bénéficié du dispositif des heures supplémentaires défiscalisées. Ces personnes recherchaient un complément de revenu ou les entreprises avaient besoin d’une augmentation de la durée du travail des salariés présents. Quelle est votre interprétation du comportement de ces salariés ?

Quelles propositions de simplification du code du travail notre commission pourrait-elle présenter au Gouvernement ?

Ne devrait-on pas accentuer le mouvement de négociations salariales engagé à la suite de l’accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2013 ?

M. Yves Struillou. La directrice générale de l’administration et de la fonction publique pourra davantage vous expliquer les causes de la disparité du temps de travail entre les secteurs privé et public. Dans la fonction publique, le droit touchant à la durée du temps de travail était traditionnellement lacunaire, puisque seule une disposition statutaire évoquait la durée légale. S’agissant de la différence touchant les entreprises privées, elle tient de manière évidente à l’importance de leurs effectifs. Un volume d’emplois important et l’existence d’une direction des ressources humaines capable d’ajuster les effectifs à la charge d’activité permet plus de souplesse pour éviter les heures supplémentaires. Il s’avère beaucoup plus difficile d’ajuster le nombre de salariés à l’évolution momentanée de l’activité dans une entreprise qui compte trois ou quatre employés ; le chef d’entreprise aura alors recours aux heures supplémentaires.

Je vous rejoins totalement, monsieur le président, sur l’effet de l’attractivité. C’est bien pourquoi la branche de l’artisanat réfléchit à la représentation des métiers, afin que l’on n’associe plus telle ou telle activité à une durée de travail supérieure à la moyenne pour une rémunération parfois inférieure. La revalorisation de ces métiers passe notamment par l’amélioration du standard de vie.

Les outils pour actionner les leviers de compétitivité existent juridiquement, et il convient de se concentrer sur les dimensions opérationnelles et pratiques. Certaines entreprises disposent des ressources méthodologiques pour lancer ce chantier, mais d’autres ne sont pas capables de réaliser, par exemple, une projection de leur pyramide des âges permettant d’anticiper les départs des salariés et, donc, des compétences.

Le prolongement de l’activité professionnelle, qui repousse l’âge effectif du départ à la retraite, et la réduction progressive de la contrainte temporelle ne constituent pas des mouvements contradictoires. En effet, certains salariés peuvent éprouver, au-delà d’un certain âge, des difficultés à tenir leur poste et à faire face aux contraintes de l’activité professionnelle. Les dispositifs de pause dans l’activité, dont la durée peut atteindre un mois, un an ou même plusieurs années, permettent de concilier les exigences du financement de la protection sociale en assurant ensuite un report de l’âge effectif de départ en retraite – et pas seulement de l’âge légal, car, pour continuer à cotiser au système de retraite, les salariés doivent pouvoir occuper un emploi soutenable pour eux. Il y a lieu de développer une réflexion sur le cycle de la vie salariée, le parcours professionnel devant se dérouler sans trop de heurts. Ainsi, l’un des objectifs majeurs de la convention signée par l’État et la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) de la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) vise à prévenir la désaffiliation professionnelle.

En ce qui concerne le temps de transport, celui-ci ne fait pas partie du temps de travail ; en revanche, certaines entreprises réfléchissent à la mise en place de diverses formes de télétravail qui permettent au salarié de diminuer son temps de transport et donc la charge liée à son activité professionnelle.

La réglementation en matière d’heures supplémentaires aboutit à des résultats parfois contradictoires. La majoration de 25 à 50 % de la rémunération du travail avait pour objet de compenser l’accroissement du temps de subordination, mais elle était associée au mécanisme du repos compensateur qui devait inciter l’entreprise à s’interroger sur la rentabilité de recrutements. Même si la corrélation n’est pas aisément identifiable, il serait quand même paradoxal d’avoir un volume d’heures supplémentaires très important à un moment où notre pays connaît un chômage de masse, situation qui privilégie les « insiders » au détriment des « outsiders ».

La simplification du code du travail viendra de la redéfinition du paysage conventionnel ; le Premier ministre a rappelé cet objectif lors de la dernière conférence sociale. Les branches conventionnelles doivent vivre, ce qui n’est pas le cas de beaucoup d’entre elles aujourd’hui. Si le droit renvoie à une négociation qui se révèle inexistante, il devient vide. Il convient donc de recomposer le paysage conventionnel pour redynamiser certaines branches ; à l’intérieur de celles-ci, les organisations syndicales représentatives et les organisations professionnelles doivent participer aux négociations pour que des compromis fructueux se dégagent. Il s’agit de l’un des axes majeurs de l’action de la direction générale du travail.

M. le président Thierry Benoit. Monsieur le directeur général, merci.

L’audition s’achève à douze heures quarante-cinq.

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Présences en réunion

Présents. – M. Thierry Benoit, Mme Fanélie Carrey-Conte, M. Denys Robiliard, Mme Barbara Romagnan, M. Georges Sebaoun.

Excusés. – M. Damien Abad, M. Bernard Accoyer, Mme Catherine Coutelle.

1 () Précision apportée à la demande de la personne auditionnée : «  Sur le plan juridique, cette évolution s’est traduite par la réduction progressive des durées hebdomadaires maximales qui s’élèvent aujourd’hui à 44 heures pour la durée relative calculée sur douze semaines consécutives et à 48 heures pour la durée maximale absolue, avec possibilité de dérogation. Ces durées maximales hebdomadaires étaient en 1971 respectivement fixées à 50 heures et 5 7 heures (loi n° 71-1049 du 24 décembre 1971 relative à la durée maximale du travail). Celles-ci ont par la suite été portées à 48 heures et 52 heures (loi n° 75-1253 du 27 décembre 1975 relative à la réduction de la durée maximale du travail) puis à 46 heures et 48 heures par l’ordonnance n° 82-41 du 16 janvier 1982 relative à la durée du travail et aux congés payés) avant que la loi du 19 janvier 2000 n’abaisse la durée maximale hebdomadaire relative à 44 heures. »