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Commission d’enquête sur l’impact sociétal, social, économique et financier de la réduction progressive du temps de travail

Jeudi 11 septembre 2014

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 9

Présidence de M. Thierry Benoit, Président, puis de Mme Barbara Romagnan, rapporteure

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-François Pilliard, vice-président du Mouvement des entreprises de France (MEDEF) en charge du pôle social, accompagné de M. Antoine Foucher, directeur des relations sociales, de l’éducation et de la formation, et M. Guillaume Ressot, directeur des affaires publiques

Présences en réunion

COMMISSION D’ENQUÊTE
SUR L’IMPACT SOCIÉTAL, SOCIAL, ÉCONOMIQUE ET FINANCIER
DE LA RÉDUCTION PROGRESSIVE
DU TEMPS DE TRAVAIL

La séance est ouverte à neuf heures trente.

——fpfp——

Présidence de M. Thierry Benoit, Président de la commission d’enquête

La commission d’enquête procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Jean-François Pilliard, vice-président du Mouvement des entreprises de France (MEDEF) en charge du pôle social, accompagné de M. Antoine Foucher, directeur des relations sociales, de l’éducation et de la formation, et M. Guillaume Ressot, directeur des affaires publiques

M. le président Thierry Benoit. Je vous remercie, monsieur Pilliard, d’avoir répondu à la convocation de la commission d’enquête. Puisque vous êtes également délégué général de l’UIMM (Union des industries et des métiers de la métallurgie), vous pourrez également vous exprimer à ce titre si vous le souhaitez. Nous avions invité des représentants d’autres organisations d’employeurs mais ils n’ont pas pu se rendre disponibles. Nous le regrettons et essaierons de les entendre lors d’une audition ou table ronde ultérieure.

Je vous rappelle qu’aux termes de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, la Commission pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu qui en sera fait. Ce compte rendu vous sera préalablement communiqué. Les observations que vous pourriez faire seront soumises à la Commission.

Par ailleurs, en vertu de ce même article, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous réserve, notamment, des dispositions de l’article 226-13 du code pénal réprimant la violation du secret professionnel.

La même ordonnance exige des personnes auditionnées qu’elles prêtent serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous demande donc, chacun à votre tour, de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

(MM. Pilliard, Foucher et Ressot prêtent serment.)

Je précise, avant de donner la parole à M. Pilliard, que l’audition fait l’objet d’un enregistrement et d’une retransmission télévisée. Je céderai, en cours d’audition, la présidence à notre rapporteure Barbara Romagnan, car je devrai rejoindre l’hémicycle pour intervenir dans la discussion du rapport de la commission mixte paritaire sur le projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt.

M. Jean-François Pilliard, vice-président du Mouvement des entreprises de France (MEDEF) en charge du pôle social. Nous vous remercions de nous donner l’occasion d’échanger avec vous sur une question importante pour le fonctionnement des entreprises et fondamentale pour la vie de notre société. N’étant ni un expert ni un technicien de la question, je m’appuierai avant tout sur mon expérience de praticien d’entreprise et de généraliste puisque, avant de rejoindre les fonctions que vous avez rappelées au MEDEF et à l’UIMM, j’ai occupé au sein de groupes industriels des fonctions de directeur général, ce qui m’a permis d’appréhender très concrètement ces sujets de la durée, de l’aménagement et de l’organisation du travail.

Je commencerai en vous faisant part de quelques éléments de réflexion sur l’impact économique de la réduction du temps de travail.

Le passage aux 35 heures a tout d’abord eu un impact significatif sur le SMIC, puisque celui-ci a augmenté de près de 11 %. Cela a entraîné un effet d’accordéon sur les minima pratiqués dans les branches professionnelles, lequel a à son tour affecté les salaires réels dans les entreprises, comme l’ont démontré les économistes. Tout cela a eu des conséquences en termes de coût du travail, si bien que, depuis longtemps maintenant dans notre pays, les salaires réels – et nous y avons notre part de responsabilité – augmentent plus rapidement que la productivité et l’inflation, ce qui explique en partie le différentiel très sensible qui est apparu depuis dix ans avec l’Allemagne.

Autre impact économique : les exonérations de charges, dont on peut se réjouir comme s’effrayer. Il s’agit, en effet, de dispositifs artificiels visant à compenser les effets d’une décision que l’on considère comme mauvaise. Avant les mesures liées au CICE et les dispositions prises plus récemment, il faut savoir que la moitié des 22 milliards d’allégements de charges était consacrée aux effets du passage aux 35 heures. Notre pays est d’ailleurs coutumier du fait : on prend des décisions puis, une fois que l’on s’aperçoit qu’elles n’ont pas les effets attendus, on met au point des dispositifs de compensation. Outre des difficultés pour les entreprises, cela a un coût pour le budget de la nation.

Selon nous, le passage aux 35 heures a également contribué à dégrader la compétitivité dite hors coûts en raison de la complexité du dispositif. C’est, là encore, une caractéristique de notre pays que de produire des dispositions impossibles à mettre en œuvre tant elles sont incompréhensibles. En France, la majorité des entreprises sont de taille petite et moyenne: elles ne bénéficient pas forcément de services d’experts. Certes, c’est le rôle des branches que de les accompagner mais, normalement, les chefs d’entreprise devraient pouvoir appliquer les nouvelles mesures sans avoir à recourir à une armada de spécialistes.

J’en viens à l’impact sur les conditions de vie et de travail des salariés, qui n’est pas forcément mesurable. On peut avoir le sentiment que la diminution significative du temps de travail crée un espace plus favorable aux salariés. C’est un peu moins simple que cela car, dans de nombreux cas, la réduction du temps de travail a conduit à une intensification des rythmes de travail, avec des conséquences en termes de stress. On ne peut aborder de manière pertinente la réduction du temps de travail sans prendre en compte l’aménagement et l’organisation du temps de travail.

Par ailleurs, la réduction du temps de travail a contribué à dégrader l’attractivité de la France, qui a pourtant de très nombreux atouts. Pour avoir évolué dans des environnements mondiaux, je peux vous dire que notre pays se caractérise par des singularités qui ne constituent pas des avantages compétitifs et des facteurs d’attractivité. Nous sommes perçus par les investisseurs étrangers comme une sorte d’exception, et pas au bon sens du terme.

La RTT a peut-être initialement permis sinon de créer de l’emploi du moins de le stabiliser, mais cela ne s’est pas vérifié dans la durée : elle a des conséquences négatives sur l’emploi. Au niveau européen et au niveau mondial, on observe d’ailleurs que les pays ayant les plus faibles taux de chômage sont ceux dans lesquels la durée du travail est supérieure à la nôtre. Certes, l’idée de partager le temps de travail est généreuse, mais elle n’a de sens que lorsqu’il y a de la croissance et une adéquation entre l’offre et la demande sur le marché du travail. Je ferai un parallèle avec la préretraite : l’idée généreuse que le départ des anciens favoriserait l’emploi des jeunes ne s’est pas vérifiée sur le terrain.

Le vrai sujet n’est d’ailleurs pas la réduction du temps de travail en tant que telle mais cette forme d’aberration économique qui consiste à penser qu’il faut le même jour, à la même heure, un même costume pour tout le monde. La vie des entreprises est caractérisée par une extrême diversité. Entre une unité de fabrication de conditionnements de produits pharmaceutiques et un bureau d’études d’une entreprise aéronautique, les modes de fonctionnement et d’organisation sont totalement différents.

J’ajoute que cette conception d’une durée du travail s’appliquant uniformément est assez rétrograde, car elle conforte une vision tayloriste. Dans des secteurs entiers de l’économie, la structure de qualification s’est considérablement élevée : le travail s’organise autour de projets fondés sur les compétences. L’important n’est pas de savoir si les salariés qui y prennent part arrivent à huit heures trente et repartent à dix-sept heures ou s’ils travaillent 35 ou 39 heures pour tous par semaine, mais d’assurer une flexibilité suffisante dans le travail pour que le projet soit remis au client à la date prévue. À certains moments, les salariés doivent être tous présents en même temps, car il est absolument nécessaire de travailler en équipe ; à d’autres, leurs temps de travail peuvent différer.

Le temps de travail uniforme est aussi peu adapté à la modernisation de l’économie qu’à la conception sociale du sujet. Cette approche monolithique suppose une vision très particulière de la valeur travail. Or, pour les hommes d’entreprise que nous sommes, le travail, sans méconnaître les difficultés qu’il peut parfois engendrer, est un facteur fondamental d’épanouissement et de développement.

Finalement, le partage du temps de travail nous apparaît comme une forme de capitulation, d’acceptation de notre incapacité à revenir à des conditions d’emploi favorables : au lieu d’espérer partager ce qui pourrait être obtenu par la croissance, on se résoudrait à voir durer la situation. Bref, ce repli sur soi est une sorte de défaite. J’estime que cet état d’esprit peut être ravageur.

Que faire face à cette situation ?

Nous considérons que rouvrir le débat sur la réduction du temps de travail serait absurde. Vouloir passer de 35 heures à 39 heures serait faire la même erreur en sens contraire. Essayons plutôt de tirer des enseignements des constats que nous avons établis depuis plusieurs années.

Il nous paraît pertinent que des textes garantissent un socle commun à tous les salariés de notre pays. Mais une fois ce socle posé, rien n’empêche de laisser des espaces d’autonomie importants, en particulier aux partenaires sociaux, pour définir les conditions de travail en collant, au plus près de la réalité du terrain, aux problématiques spécifiques de l’organisation du travail et à la nature du métier.

À cet égard, les accords de compétitivité qui existent en Allemagne et dans certains pays nordiques et anglo-saxons constituent un exemple intéressant. Dans l’accord national interprofessionnel sur la sécurisation de l’emploi, des accords de maintien dans l’emploi s’en approchent mais ils présentent l’inconvénient de ne pouvoir être mis en place que lorsque l’activité d’une entreprise est mauvaise. Ils ont par ailleurs été profondément dénaturés puisque les dispositions liées aux contrats de travail prévalent sur l’accord collectif d’entreprise, si bien qu’ils sont pratiquement inapplicables.

Ne serait-il pas possible d’envisager, de façon raisonnable et équilibrée, de rapprocher la durée légale du travail de celle en vigueur dans la plupart des pays européens
– plus importante –, et de donner la possibilité aux chefs d’entreprise de négocier avec les représentants du personnel des adaptations en agissant sur les leviers que sont la durée, l’aménagement et l’organisation du travail ainsi que l’emploi ? C’est une voie pertinente que nous souhaiterions voir explorer assez rapidement, car il est clair, compte tenu de la situation dans laquelle nous nous trouvons depuis 2008 – activité économique atone, chômage en augmentation régulière –, qu’elle fait partie des réformes structurelles que nous devrions tous ensemble soutenir.

(Mme Barbara Romagnan remplace M. Thierry Benoit à la présidence.)

Mme Barbara Romagnan, rapporteure, présidente. Monsieur Pilliard, vous avez insisté sur le fait que vous étiez un praticien et nous nous en félicitons : c’est pour cela que nous vous avons invité. Chacun présente son point de vue en fonction de sa position : vous parlez des entreprises que vous connaissez tout en prenant en compte la globalité de la situation économique et sociale ; nous nous exprimons en tant que législateurs, dans toute notre diversité. Nous disposons également, pour nourrir la réflexion, d’éléments rationnels et objectifs fournis par les données statistiques.

Certains points semblent, selon vous, ne pas devoir faire débat parce qu’ils tiennent de l’évidence ou qu’ils sont largement admis. Or ils paraissent pouvoir faire l’objet de discussion.

Vous avez ainsi avancé que la réduction du temps de travail avait engendré des coûts pour les entreprises et que la collectivité, consciente qu’il s’agissait d’une mauvaise mesure, avait considéré qu’elle devait les prendre en charge à travers des allégements de cotisations, allégements qu’il a fallu compenser pour ne pas trop pénaliser les organismes de protection sociale. C’est oublier que les créations d’emplois concomitantes – qu’elles aient été obtenues grâce à la RTT ou pas – ont contribué à ce que les comptes sociaux soient en meilleure santé puisque davantage de salariés ont cotisé.

Vous avez évoqué la dégradation de la compétitivité. Or la modération salariale, les baisses de cotisations mais aussi les possibilités d’aménager le temps de travail de manière plus flexible ont permis, par exemple, aux grandes entreprises de gérer le temps d’utilisation des machines de manière à améliorer la productivité. La réduction du temps de travail n’a pas eu seulement les effets négatifs que vous dénonciez, d’autant que les situations varient d’une entreprise à une autre. Votre présentation aurait pu être plus modérée.

Vous avez beaucoup insisté sur la spécificité de la France par rapport à d’autres pays européens. Les chiffres relatifs au temps de travail fournis par Eurostat ne permettent cependant pas d’établir un lien direct entre faible niveau de chômage et durée légale du travail élevée. En Europe, les pays qui ont pu s’approcher d’un taux de chômage de 6 %, qui constitue une sorte d’idéal à atteindre – nos ambitions ne vont pas bien en deçà – l’ont fait au prix d’un recours important aux emplois à temps partiel, dont la moitié ont des durées inférieures à des mi-temps. Le temps partiel est une façon de réduire et de partager le temps de travail, mais il est mis en œuvre différemment selon les pays. Aux États-Unis, avant la crise des subprimes, la moyenne du temps de travail était inférieure à 35 heures en raison du grand nombre de « petits boulots ». Pour nous, la réduction du temps de travail doit avoir pour objectif d’assurer le bon épanouissement de chacun, ce qui suppose un partage différent.

Selon vous, la réduction du temps de travail s’est soldée par une moindre attractivité de la France pour les investisseurs étrangers. Or, jusqu’en 2012, la France a été classée dans les premiers rangs pour les investissements étrangers, si ma mémoire est bonne.

Vous avez affirmé que la réduction du temps de travail était une forme de capitulation qui impliquait que le retour à la croissance n’était pas possible, état d’esprit ravageur selon vous. Mais pourquoi ne pas considérer le fait qu’il faille moins d’heures de travail pour satisfaire l’essentiel de nos besoins comme une bonne nouvelle, dans la mesure où cela s’accompagne d’un meilleur partage entre ceux qui ont un travail et ceux qui n’en ont pas, entre les salariés et les actionnaires ? Rassurez-vous, je ne donne pas dans la caricature qui voudrait que les actionnaires n’existent pas et qu’il est anormal de les rémunérer, même si la France est championne européenne des dividendes versés aux actionnaires au deuxième trimestre 2014 – les chiffres parus il y a un mois ont montré qu’une majorité d’actionnaires était extrêmement bien rémunérée.

Le travail est important dans notre vie – d’autant plus important qu’on n’en a pas et que l’on en souffre –, mais réduire le temps qu’on y consacre peut aussi être envisagé comme un bien pour notre société.

M. Gérard Sebaoun. Monsieur Pilliard, d’un ton extrêmement tranquille, vous vous êtes livré à un réquisitoire sans concession contre les 35 heures, de votre point de vue de praticien. Vous avez utilisé des mots lourds et rudes : « aberration », « rétrograde », « retour à la taylorisation », « contraire à une conception sociale du travail », « capitulation ». La réalité est peut-être moins manichéenne.

Vous ne pouvez pas dire que les entreprises, notamment les grandes entreprises que vous avez pu diriger, n’ont pas trouvé leur compte dans la réduction du temps de travail en termes de réorganisation du travail, d’accélération des process, d’augmentation de la productivité – les salariés français restent extrêmement productifs, selon toutes les études internationales. Je trouve une justification à ma remarque dans le fait que vous avez indiqué n’être pas favorable à ce que l’on soulève le couvercle de la marmite pour revenir aux 39 heures et tout renégocier. N’y a-t-il pas une forme d’ambiguïté dans votre discours ?

Aujourd’hui, l’enjeu des 35 heures, compte tenu des accommodements mis en place au fil des ans, est simplement le déclenchement des heures supplémentaires. Si vous hésitez à revenir sur cette limite, c’est en raison des nombreux aménagements. Les cadres sont rémunérés au forfait jours et, compte tenu de la réalité de leur travail, notamment dans les plus grandes entreprises, on voit mal comment ils pourraient aller au-delà du temps de travail qu’ils effectuent actuellement, qui n’est pas de 35 heures.

La réduction du temps de travail a représenté un coût important pour la nation du fait des allégements. Si nous revenions aux 39 heures, je ne suis pas certain que vous seriez en mesure de rendre les sommes correspondantes à la collectivité.

Ces dernières années, vous avez participé aux négociations avec les partenaires sociaux sur la qualité de vie au travail, qui ont supposé de mettre sur la table tous les éléments d’amélioration possibles. Là encore, n’y a-t-il pas une forme d’ambiguïté dans votre position ? Vous affirmez que la réduction du travail participe d’une forme de taylorisation de la société et, dans le même temps, vous signez des accords sur la qualité de vie au travail.

J’estime qu’aujourd’hui l’amélioration de la qualité de vie au travail fait partie des processus que vous devez encourager dans les branches en compensation de tous les avantages que vous promet le Gouvernement.

M. Jean-François Pilliard. Les « avantages » que nous donne le Gouvernement, avez-vous dit ! Je suis étonné d’entendre un tel propos à propos des allégements de charges et de fiscalité qui viennent d’être décidés. Rappelons la situation, en toute objectivité.

Ces cinq dernières années, les entreprises ont eu à supporter une augmentation massive des charges comme des impôts. Les premières mesures mises en œuvre à travers le pacte de responsabilité et de solidarité et celles qui suivront, je l’espère, d’ici à 2016 et 2017 ne sont pas, de notre point de vue, des avantages ; elles ne font que remettre les compteurs à zéro, si vous voulez bien excuser cette expression triviale. Et ceux qui y voient des « cadeaux » – vous n’avez pas employé ce terme et je vous en sais gré – doivent bien comprendre que cela implique qu’il y a eu auparavant une forme de spoliation : on nous donne aujourd’hui ce qui nous a été pris hier.

Je salue, au nom de mon organisation, le courage qu’a le Gouvernement de prendre de telles dispositions : elles constituent l’un des moyens de recréer les conditions de la compétitivité des entreprises, et donc de mettre un terme à la situation inacceptable que nous connaissons en matière de chômage. Restaurer les marges, c’est permettre de recréer de l’investissement et donc, nous l’espérons, de l’emploi.

Par ailleurs, j’estime que mettre tout le monde dans le même costume – et cela vaut pour d’autres dispositions sociales – ne correspond plus à la réalité que vivent les entreprises, même si, comme vous l’avez indiqué, il est possible d’apporter des aménagements par voie d’accords. Jusqu’à présent, tout cela s’est traduit par beaucoup de complexité. Nous avons, à cet égard, une responsabilité collective. De manière générale, quand un problème se pose, on a tendance à ne pas le régler en tant que tel mais à inventer à la périphérie des solutions qui ont vocation à en diminuer l’intensité. Ce faisant, on ajoute des degrés de complexité.

La métallurgie a été l’une des premières branches à négocier des aménagements avec les organisations syndicales. Mais, du point de vue des entreprises, cela reste d’une extrême complexité.

La qualité de vie au travail est l’une de nos préoccupations certes, mais, aujourd’hui, la première des priorités est de faire en sorte qu’un maximum de personnes aient accès à l’emploi. Nous devrions tous nous mobiliser, quelles que soient nos convictions, pour créer un contexte favorable.

J’en viens à un point très important, sur lequel je ne m’accorde pas avec vous, madame la rapporteure : le temps partiel et les petits boulots. Compte tenu de la situation dramatique à laquelle nous sommes confrontés en matière de chômage, ne vaut-il pas mieux, au moins provisoirement, que des hommes et des femmes privés d’emploi occupent des emplois peu qualifiés à temps partiel ? C’est une vraie question : 40 % des chômeurs sont des chômeurs de longue durée. Non seulement ces hommes et ces femmes sont en train de perdre leur qualification, mais même en cas de retour à la croissance, leur éloignement durable de l’emploi rendra leur réintégration dans le monde du travail très difficile.

Vous avez également évoqué la modération salariale. Celle-ci a fait long feu. Depuis dix ans, il n’y en a pas eu. L’augmentation mécanique du SMIC de 11 % s’est répercutée sur les conventions collectives, et les salaires nets, à structure constante, ont augmenté plus vite que l’inflation et la productivité – nous y avons notre part de responsabilité, je l’ai dit. Le pouvoir d’achat des salariés a crû même si, depuis deux ans, cette évolution a été freinée en raison, non pas d’une diminution des salaires nominaux, mais d’une augmentation importante de la fiscalité des entreprises et des ménages.

Au-delà de la durée du travail au sens strict, j’aimerais revenir sur la question du taux d’emploi. Notre pays a cette spécificité incontestable à l’échelle européenne que les jeunes rentrent de plus en plus tard sur le marché du travail et les seniors en sortent de plus en plus tôt. J’établirai d’ailleurs un lien entre durée du travail et retraite. Quand on voit que l’espérance de vie ne cesse d’augmenter, se priver d’évoluer dans ce domaine me paraît une aberration. Et ce n’est pas là, monsieur Sebaoun, un réquisitoire – le terme est sans doute excessif – ou un jugement de valeur, mais simplement l’expression du point de vue de l’entreprise par rapport à son environnement.

Je terminerai par la question, extrêmement sensible en ce moment, des dividendes. Pour qu’une entreprise fonctionne durablement, il faut qu’elle prenne en compte quatre parties prenantes, à commencer par les actionnaires. Une entreprise qui n’est pas capitalisée est vulnérable. La capitalisation des sociétés françaises est aujourd’hui très fragile et l’absence d’initiatives opportunes dans ce domaine peut conduire à ce que les capitaux d’une partie des fleurons de l’industrie française soient situés hors de notre pays, ce qui peut avoir, nous l’avons vu récemment, des conséquences fondamentales sur la stratégie des entreprises.

Les études montrent que l’augmentation forte des dividendes s’est produite dans des entreprises réalisant la majorité de leur chiffre d’affaires hors de France. Mais dans les TPE et les PME, les dividendes ont augmenté de manière raisonnable. Si, lors d’un tour de table, une personne investit 100 euros dans une PME dont les fonds propres ont été détériorés, il n’est pas anormal qu’elle souhaite bénéficier d’une forme de retour à même de couvrir les risques qu’elle a pris. Aujourd’hui, un patron de PME en difficulté – et c’est le cas de beaucoup d’entre eux – a des difficultés non négligeables d’accès au crédit et le meilleur moyen pour lui d’améliorer sa situation financière est de faire appel à ses actionnaires. Il ne semble donc pas illégitime que le capital soit rémunéré, du moment qu’il l’est dans des conditions raisonnables.

Ce ne sont pas là des certitudes que j’assène, mais des éléments que je livre à votre réflexion.

Mme la rapporteure, présidente. Vous conviendrez qu’il ne suffit pas que des anciens partent pour que des jeunes puissent occuper leur emploi.

M. Jean-François Pilliard. Ce n’est pas automatique, en effet.

Mme la rapporteure, présidente. Vous conviendrez aussi que le fait de chercher à les maintenir plus longtemps dans leur emploi ne favorise pas forcément l’entrée des jeunes sur le marché du travail. Aujourd’hui, deux salariés de plus de cinquante-cinq ans sur trois n’occupent pas d’emploi, non parce qu’ils l’ont voulu mais parce que leur entreprise – sans doute n’avait-elle pas le choix – les a licenciés. On peut être favorable au principe de l’allongement de la durée de cotisation mais, dans les faits, elle ne se traduit pas forcément par un maintien plus long dans l’emploi.

Vous avez beaucoup insisté sur l’inconvénient de mettre tout le monde dans le même costume. Cependant, le fait que la durée légale de travail soit fixée à 35 heures n’implique pas que tout le monde travaille 35 heures, et il en allait de même lorsque la durée légale était de 39 heures. D’une part, il y a beaucoup de temps partiels ; d’autre part, la réduction du temps de travail a permis de le flexibiliser, notamment en l’annualisant, et, en ce sens, elle a permis d’accroître les possibilités de diversifier les temps de travail.

Vous vous demandez s’il ne vaut mieux pas que les gens acceptent des petits boulots plutôt que d’être au chômage, notamment pour se maintenir dans un environnement de travail, mais aussi, pourrait-on ajouter, pour des questions de dignité. L’industrie allemande a recours, dans les périodes difficiles, à une réduction à 80 % du temps de travail, avec une compensation partielle. Autrement dit, on peut réduire le temps de travail sans pour autant recourir à des petits emplois peu qualifiés.

Le temps de travail est réduit dans tous les pays, et d’une façon qui peut être inégalitaire, injuste et néfaste pour l’ensemble de la société. Cela rend nécessaire de rechercher les voies d’un meilleur partage entre actionnaires et salariés. S’il est normal qu’un investisseur attende un retour en raison du risque qu’il prend, il est normal aussi que la collectivité, lorsqu’elle investit dans les entreprises parce qu’elle croit en elles et estime de sa responsabilité de leur assurer un environnement plus favorable, en attende un minimum de retour en matière d’emplois et d’investissements, d’autant que cela implique qu’elle compense les moindres cotisations pour la protection sociale. Enfin, si les actionnaires comptent dans une entreprise, les salariés aussi, et il est normal qu’ils soient plus justement rémunérés.

M. Jean-Patrick Gille. Votre exposé préliminaire, monsieur Pilliard, sans nous surprendre totalement, nous a paru procéder parfois d’une vision partielle et donc, je le crains, partiale, de l’histoire. La mise en place des 35 heures a permis de mener un travail de renégociation entreprise par entreprise, travail intéressant auquel j’ai pu assister dans mes activités antérieures. Salariés et syndicats ont pu, à cette occasion, réinterroger l’organisation du travail. On ne peut pas passer cet aspect par pertes et profits.

Pour appuyer votre démonstration, vous insistez sur le caractère dogmatique des 35 heures et d’une même durée qui s’imposerait à tout le monde. Est-ce à dire qu’il ne faudrait plus de durée légale ? Auquel cas, comment pourrait-on calculer les heures supplémentaires ? La législation sur les 35 heures n’a-t-elle pas permis de développer l’annualisation, qui va dans le sens d’un assouplissement des modes d’organisation que vous appelez de vos vœux ?

Les choses sont peut-être plus équilibrées que ce que vous avez laissé croire.

Vous avez évoqué les accords de compétitivité, dont nous avons cherché à nous approcher dans la loi de 2013, et de la nécessité d’introduire de la souplesse. Ne pourrait-il pas y avoir des discussions au niveau des branches ? Vous n’avez pas évoqué cette piste.

Autre piste : ne pourrait-on pas réfléchir en termes de durée de travail tout au long de la vie, par salarié ? Mettons 65 000 heures – mais je ne veux affoler personne.

Enfin, j’ai bien noté votre critique à l’égard des exonérations de charges. Je partage en partie votre analyse. Vous évoquiez le montant de 22 milliards d’euros mais bientôt nous en serons à 50 milliards. Au lieu de nous en tenir à des bricolages, lourds pour nos finances publiques, pour répondre au problème de financement, ne vaudrait-il mieux pas remettre ces dispositifs à plat ? Cela permettrait également de simplifier le système, car je partage aussi votre analyse sur la complexité. Cela se vérifie pour le CICE dont les entreprises ont mis du temps à comprendre le mécanisme.

M. Denys Robiliard. Soyons clairs sur le cadre de nos discussions : elles ont trait, non pas à la politique économique et sociale de notre pays, mais au temps de travail, question que nous essayons d’examiner de façon aussi dépassionnée que possible, même si chacun a ses préjugés.

Cela implique d’être attentifs à la chronologie, tant aux conditions de la mise en place des 35 heures avec les lois Aubry I et Aubry II qu’à leur application concrète. Jean-Patrick Gille a insisté sur la réorganisation des process et du travail qu’avaient permise les négociations entreprise par entreprise. Il ne fait pas de doute qu’elles ont permis des gains de productivité dans certains cas.

D’un point de vue historique, monsieur Pilliard, vos fonctions au sein du MEDEF et votre poste de délégué général de l’UIMM, qui vous place au cœur d’une industrie qui a beaucoup souffert et qui continue de souffrir, ont fait de vous un témoin doublement privilégié, en particulier de la façon dont les process industriels ont été affectés, non seulement dans les très grandes entreprises mais aussi dans tout l’archipel que constituent les petites structures. Il nous intéresse de savoir comment la réduction du travail a été appliquée. Du temps du gouvernement Jospin, y a-t-il eu des difficultés ? La plupart des accords se sont traduits par le maintien du salaire nominal mais d’autres ont été marqués par des gels de rémunérations. Quelles ont été les répercussions sur l’emploi ?

Comment les choses ont-elles évolué par la suite ? Le cadre juridique n’est, en effet, plus tout à fait le même que celui qui avait été mis en place à l’issue de la loi Aubry II. Votre argument selon lequel il ne faudrait pas le même costume pour tout le monde pose la question de la durée légale, comme Jean-Patrick Gille l’a souligné. Ne reconnaissez-vous pas qu’il existe aujourd’hui des éléments de souplesse comme l’annualisation du temps de travail ou encore le forfait jours pour les cadres, qui leur permet d’avoir des « charrettes », comme disent les architectes lorsqu’ils sont en retard sur des projets à remettre à date fixe ? Le dispositif actuel vous paraît-il adapté ? Si non, doit-il être modifié et pourquoi ?

Enfin, un an à peine après la mise en place de la loi relative à la sécurisation de l’emploi, qui a transcrit très rapidement l’ANI, vous considérez que certaines de ses dispositions, comme les accords de maintien dans l’emploi, ne sont pas bonnes. J’aimerais savoir pourquoi.

Mme Catherine Coutelle. J’adhère, monsieur Pilliard, à vos critiques au sujet de la complexité, marque de fabrique de notre pays : nous avons l’art d’élaborer des textes trop complexes, qui suivent des cheminements étranges. Ce n’est pas un hasard si nous avons un ministre chargé de la décomplexification.

Je ne partage pas, en revanche, vos critiques contre le supposé monolithisme des 35 heures. À l’époque de la loi Aubry I, élue locale à Poitiers, j’avais créé une agence des temps chargée de travailler sur les rythmes de vie, les rythmes de la ville et les rythmes de travail ainsi que sur leur articulation. L’enquête que nous avions lancée au moment de la loi Aubry II avec l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT) avait montré une extrême diversité des modalités d’application de la loi, allant du caporalisme imposant à tout le monde la même organisation à l’individualisation totale laissant chaque salarié décider de la manière d’accomplir ses 35 heures. À ces deux extrêmes, le dispositif fonctionnait mal. Il donnait les meilleurs résultats là où il y avait eu de véritables accords, avec des partenaires capables de discuter : chacun y trouvait son compte. D’ailleurs, lorsqu’en 2007, la droite martelait qu’il fallait revenir sur les 35 heures, beaucoup de représentants du patronat ont insisté sur le fait qu’un équilibre avait été trouvé après des négociations longues et difficiles et qu’il ne devait pas être remis en cause. Vous l’avez-vous même souligné.

L’application des 35 heures est donc loin d’être monolithique : certains salariés et certaines entreprises ont pleinement bénéficié du dispositif, d’autres pas du tout, certains salariés ayant même vu leur situation se dégrader, du fait notamment de la suppression d’avantages antérieurs.

Je souhaite revenir sur le temps partiel. Je suis présidente de la délégation aux droits des femmes et je vous rappelle que 80 % des emplois à temps partiel sont « offerts » aux femmes. Certains de ces emplois, plus que flexibles, sont « hyperflexibles », en particulier dans les services et le commerce. La Commission a auditionné hier des organismes qui reçoivent des personnes en situation précaire et notamment des travailleurs pauvres auxquels il reste quelque cinq euros par jour pour vivre. Peut-on vouloir une société où le niveau des salaires est tel qu’il ne laisserait que cinq euros par jour pour vivre ?

J’entendais un de vos collègues chef d’entreprise se plaindre de l’excessive rigidité du temps de travail, expliquer qu’il avait besoin que le salarié puisse venir une heure tel jour, cinq heures tel autre. Comment travaillez-vous, vous-mêmes ? Pensez-vous à la famille, aux enfants ? Comment le salarié peut-il s’organiser, articuler son temps de travail avec sa vie privée ? Peut-il trouver une garderie une fois pour une journée, une autre fois pour cinq heures ? Peut-on l’obliger à dépenser tout son argent dans un déplacement de trente kilomètres pour travailler trois heures ? C’est cela, dans la réalité, la flexibilité.

Je comprends le besoin qu’a l’entreprise de s’adapter aux fluctuations de l’activité, mais il faut prévoir des délais de « prévenance ».

Notre avenir doit-il donc se réduire à cette immense flexibilité conduisant tout le monde à la précarité et à l’impossibilité de bien articuler activité professionnelle et vie personnelle ? L’entreprise n’y gagnerait pas. L’ANI insiste sur la qualité de vie au travail : les entreprises ont tout avantage à ce que leurs salariés soient le moins stressés possible.

M. Christophe Cavard. La création d’emplois par une entreprise est liée aux moyens dont elle dispose. À ce sujet, vous avez abordé la question de savoir qui investit dans l’entreprise, dans le souci de valoriser l’outil pour améliorer la compétitivité. À propos des actionnaires, je souhaite que vous reveniez sur la notion d’attitude « raisonnable » en matière de distribution de dividendes. En effet, alors que l’on donne de l’argent aux entreprises par le biais de différents mécanismes comme le CICE ou les allégements de charges, vous reconnaissez que certaines vont trop loin dans l’augmentation des dividendes – au-delà donc du raisonnable. Sous-entendez-vous que l’on pourrait moduler les moyens publics engagés – à savoir nos impôts – en fonction du comportement raisonnable, dont les critères restent à définir, ou non de leurs bénéficiaires ?

Partager le temps de travail, c’est aussi pouvoir rendre l’entreprise plus compétitive, grâce à la création d’emplois, à un savoir-faire accru, à une plus grande motivation des salariés. Selon vous, est-il envisageable que, dans le cadre d’un socle légal, certaines branches reviennent sur la question du temps de travail en fonction de la santé de l’entreprise et que, le cas échéant, on puisse franchir le seuil des 35 heures ?

Enfin, comment pourrait-on consacrer le temps dégagé par le partage du temps de travail à la formation professionnelle, en particulier par le biais du compte de formation personnalisée que nous avons créé ? En effet, plus les salariés seront qualifiés, plus l’entreprise sera compétitive.

Comment, en somme, articuler le temps de travail, le temps de formation avec l’instauration de conditions de versement des aides publiques ?

M. Romain Colas. Dans quelle mesure vos salariés partagent-ils votre jugement sur la réduction du temps de travail ? Si les majorités qui ont précédé la nôtre n’ont pas souhaité remettre en cause les 35 heures, ce n’est pas seulement à la demande des organisations patronales, mais aussi, me semble-t-il, parce que le salariat de ce pays est attaché à la réduction du temps de travail telle qu’elle a été mise en œuvre.

M. Jean-François Pilliard. Il nous paraît parfaitement légitime qu’une entreprise cherche à assurer de bons équilibres. Notre organisation ne souhaite pas l’instauration d’une hyperflexibilité, elle demande que, au sein d’un cadre de référence garantissant le respect de droits élémentaires – par exemple la loi –, puissent exister des espaces de discussion sur l’organisation du travail et donc sur la durée du temps de travail.

Nous ne contestons pas, moi le premier, le fait que, par le biais de la négociation notamment, on ait pu, à l’occasion de la mise en place des 35 heures, établir des compromis intelligents entre durée du travail, organisation du travail et compétitivité. Reste que ce genre de discussion aurait pu avoir lieu indépendamment de la réforme portant réduction du temps de travail. J’ai moi-même négocié des accords de cette nature, et je pense qu’ils peuvent avoir un effet positif dès lors que l’on tient compte de la spécificité de l’entreprise.

Pourquoi les accords de maintien de l’emploi ne fonctionnent-ils pas ? Depuis que la loi a été votée, quatre accords de ce type sont effectifs dans la branche que j’anime. Prenons le cas concret d’une entreprise à capitaux allemands du secteur métallurgique, installée en Alsace, comptant quelque 600 salariés, et qui rencontre des difficultés conjoncturelles.

Le chef de l’entreprise négocie un accord avec l’ensemble des organisations syndicales, qui toutes le signent. Aux termes de l’accord, le dirigeant s’engage à maintenir l’emploi pour une durée de deux ans, moyennant une stabilisation de la masse salariale et des aménagements à la durée et à l’organisation du travail. Or, en France, le contrat de travail prévaut sur l’accord collectif. Sur les 600 salariés, 160 considèrent que celui-ci remet en cause des éléments de leur contrat de travail. Ils quittent donc l’entreprise, mais la rupture est imputée à l’employeur et ils perçoivent des indemnités de licenciement dont le versement affecte la trésorerie déjà très détériorée de la société. Il se trouve que les 160 personnes concernées appartiennent majoritairement aux bureaux d’études de l’entreprise – leur départ vide donc cette dernière de son cœur de compétences. Je signale, en passant, que la plupart de ces personnes qualifiées ont retrouvé un emploi de l’autre côté de la frontière, trente kilomètres plus loin, touchant une rémunération supérieure à la précédente de 30 %, non sans avoir perçu l’assurance chômage.

De l’autre côté de la frontière, dans un établissement de cette même société, et pour les mêmes raisons, est signé un accord de compétitivité. Là, sur un effectif équivalent, seules 14 personnes considèrent que l’accord ne leur convient pas et, à la différence de ce qui se passe en France, démissionnent. Tant qu’on n’aura pas réglé ce genre de problème, on aura beau mener toutes les discussions théoriques intéressantes possibles, on restera globalement affaiblis.

Pourquoi donc se focaliser sur des accords de maintien de l’emploi défensifs ? Ne peut-on pas prévoir des accords de compétitivité qui s’inscrivent certes dans un cadre légal garantissant des droits élémentaires, auxquels nous sommes vraiment attachés, mais qui permettent également de débattre des sujets évoqués par la voie de la négociation d’entreprise ou de branche ? C’est le moyen pertinent, nous semble-t-il, d’obtenir une flexibilité raisonnable, équilibrée, négociée, jouant sur les paramètres de l’emploi, de la durée du travail et de la gestion de la masse salariale.

Vous m’avez interrogé plus précisément sur ce que nous avons fait à l’UIMM en matière de durée du travail. Nous avons été l’une des premières branches à négocier avec les organisations sur le sujet, ce qui nous a permis d’apporter un peu de pragmatisme aux textes applicables. Il n’en reste pas moins que l’accord que nous avons signé, compte tenu de la législation en vigueur, reste trop complexe et difficilement applicable par les PME et les TPE.

Pour ce qui concerne les dividendes, le partage de la valeur ajoutée, j’ai bien précisé dans mon exposé liminaire que je considérais qu’une entreprise ne pouvait vivre durablement qu’en étant attentive à ce que j’ai appelé les quatre partenaires : l’actionnaire, car toute entreprise a besoin d’être capitalisée ; le client, car une entreprise sans clients meurt ; les salariés, dont la compétence et l’engagement sont un élément fondamental de succès ; la société civile, dont une entreprise ne peut méconnaître les préoccupations.

J’ajoute que, en France, et même depuis la baisse significative du volume d’activité et des marges à partir de la mi-2008, les salariés ont continué, c’est incontestable, à voir leur salaire progresser plus rapidement que l’inflation et les gains de productivité. Si aujourd’hui le pouvoir d’achat des salariés a diminué, ce n’est pas à cause d’une décélération des salaires, mais précisément à cause de l’augmentation des impôts.

Voilà qui me ramène à l’Allemagne où l’on sait, quand les circonstances l’exigent, c’est-à-dire quand l’activité est faible, geler les salaires pour une période donnée. C’est ce qui s’est passé avec IG Metall dans le secteur automobile. A contrario, quand les affaires reprennent, comme c’est le cas aujourd’hui, les augmentations de salaires sont supérieures à l’inflation. La France a choisi une voie très différente, celle de la moyennisation : invariablement, les salaires nets, à structure constante, évoluent de l’ordre de 2,5 à 3 % par an. Il n’y a donc pas de réactivité ou d’adaptation à la conjoncture – et je conviens que nous avons notre part de responsabilité.

Je ne sais pas répondre, pour finir, à la question de savoir ce qui est raisonnable ou pas en matière de distribution des dividendes. Il appartient à un chef d’entreprise et à son conseil d’administration ou à son conseil de surveillance de veiller à l’équilibre, au respect de l’équité entre les parties prenantes. Je ne saurais indiquer le montant du dividende idéal – s’il était connu, la question serait réglée. Nous ne sommes pas favorables, en tout cas, à l’établissement de règles en la matière ; plus qu’au contrôle et à la sanction, il faut faire appel à la raison, au sens des responsabilités – attitude qui, du reste, ne doit pas être le propre des seules entreprises. Dans le monde politique comme dans le monde de l’entreprise, une majorité de personnes ont des comportements responsables quand certaines, on l’a encore vu récemment, se montrent moins scrupuleuses.

Mme la rapporteure. Nous vous remercions, messieurs, pour votre disponibilité. Nous vous enverrons éventuellement quelques demandes de précision.

L’audition se termine à onze heures.

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Présences en réunion

Présents. - M. Thierry Benoit, M. Christophe Cavard, M. Romain Colas, Mme Catherine Coutelle, M. Jean-Patrick Gille, M. Denys Robiliard, Mme Barbara Romagnan, M. Gérard Sebaoun