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Commission d’enquête sur l’impact sociétal, social, économique et financier de la réduction progressive du temps de travail

Jeudi 2 octobre 2014

Séance de 10 heures 30

Compte rendu n° 17

Présidence de M. Thierry Benoit, Président,

– Audition, ouverte à la presse, de M. Frédéric Lerais, directeur général de l’Institut de recherches économiques et sociales (IRES)

Présences en réunion

COMMISSION D’ENQUÊTE
SUR L’IMPACT SOCIÉTAL, SOCIAL, ÉCONOMIQUE ET FINANCIER
DE LA RÉDUCTION PROGRESSIVE
DU TEMPS DE TRAVAIL

La séance est ouverte à dix heures quarante-cinq.

——fpfp——

La commission d’enquête procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Frédéric Lerais, directeur général de l’Institut de recherches économiques et sociales (IRES)

M. le président Thierry Benoit. Nous recevons à présent M. Frédéric Lerais, directeur général de l’Institut de recherches économiques et sociales (IRES).

Les analyses divergent sur les conséquences de la réduction du temps de travail (RTT), certains pensant qu’elle a augmenté la richesse du pays, d’autres qu’elle a entraîné la création d’acquis sociaux qui pèsent sur l’économie.

Vous nous direz, monsieur Lerais, ce que notre Commission peut attendre d’une évaluation quantifiée et comparée des conséquences de la réduction du temps de travail sur l’emploi, mais aussi sur l’économie, les finances publiques, les relations sociales et, plus généralement, la société française.

Je vous rappelle qu’aux termes de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, la commission d’enquête pourra citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu de votre témoignage. Ce compte rendu vous sera préalablement communiqué. Les observations que vous pourriez faire seront soumises à la Commission.

Par ailleurs, en vertu du même article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous serment, sans toutefois enfreindre le secret professionnel. Elles doivent prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite, monsieur, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Frédéric Lerais prête serment.)

M. Frédéric Lerais, directeur général de l’Institut de recherches économiques et sociales (IRES). Je vous remercie de cette invitation. Je vais vous apporter quelques éléments de réflexion sur cette question difficile et sujette à débats, en me concentrant sur les effets sur l’emploi, avant d’aborder la situation à partir de 2003.

Dans une première partie, je présenterai l’évaluation des effets sur l’emploi entre 1996 et 2002, en rappelant les méthodes et les difficultés d’évaluation. À cet égard, il est important de noter que toutes les évaluations sont datées, si bien qu’il est difficile d’apprécier le dispositif sur une longue période. Dans une seconde partie, je poserai la question « Et ensuite ? », en m’interrogeant sur la faisabilité d’une évaluation et en revenant sur quelques évolutions macroéconomiques.

La réduction du temps de travail est un dispositif à géométrie variable : la baisse de la durée du travail n’a pas été uniforme (1996, 1998 et 2000) et, surtout, elle n’a pas concerné toutes les entreprises. Elle a constitué une étape dans la baisse séculaire de la durée du travail.

Pendant de longues années, la réduction du temps de travail a été abordée sous l’angle de l’amélioration des conditions de travail. Puis dans les années 1990, le thème est revenu en raison du chômage de masse, les diverses politiques suivies n’ayant pas réussi à contenir celui-ci. Ainsi l’objectif de la loi dite « de Robien » de 1996 et de la loi « Aubry » de 1998 était la création d’emplois, avec la recherche d’un équilibre pour les entreprises.

Le dispositif précurseur « de Robien » (1996-1998), basé sur le volontariat et une baisse de la durée du travail de 10 %, exigeait, en contrepartie des aides, un accroissement des effectifs de 10 % sur deux ans. Il s’agissait donc d’un dispositif très offensif.

Le dispositif expérimental mis en place en 1998-2000, la loi « Aubry 1», prévoyait la baisse de la durée légale à trente-cinq heures, un dispositif incitant les entreprises à passer aux trente-cinq heures avant la baisse de la durée légale, et un seuil d’engagement sur l’emploi abaissé à 6 % pour bénéficier des aides. Pour faire face à cette baisse de la durée du travail, des gains de productivité horaires étaient escomptés.

Le dispositif généralisé « Aubry 2 » prévoit, pour sa part, un contingent annuel d’heures supplémentaires fixé à 130 heures avec un décompte dégressif, des allègements revus et généralisés, des accords majoritaires pour bénéficier des aides, un mode de calcul de la durée qui peut être modifié, et le maintien du SMIC mensuel. Ainsi, l’obligation des accords majoritaires va engendrer un dynamisme exceptionnel sur la période dans les négociations d’entreprise. Et très souvent, la baisse n’a pas été pas de 10 %, mais de 6 % à 7 % dans la mesure où un certain nombre d’éléments, comme le temps d’habillage, ont été décomptés aux termes des accords.

Cette succession de dispositifs à géométrie variable est une opportunité, en permettant d’envisager de comparer les comportements des entreprises. Mais cela fait apparaître trois types de difficultés. D’abord, les entreprises passant à trente-cinq heures étaient différentes des autres : elles avaient probablement des caractéristiques objectives – en termes de taille, de secteur, d’emploi ou de durée du travail – ou subjectives au regard de la position des acteurs sociaux en leur sein à propos de la baisse de la durée du travail. Ensuite, les ampleurs de baisse de la durée étaient différenciées – j’en ai dit un mot sur le calcul de la durée du travail dans certains accords. Enfin, les aides étaient différenciées. Ainsi, les différents dispositifs n’ont pas eu les mêmes effets en termes de créations d’emploi.

La méthode d’analyse utilisée, assez sophistiquée, a parfois été critiquée un peu vite de mon point de vue, alors qu’il faut reconnaître le sérieux des travaux réalisés à l’époque. Ces travaux ont été effectués à partir d’enquêtes de la DARES, qui présentaient le très grand avantage d’être trimestrielles, mais aussi avec des données de l’Unedic notamment. Le principe général consistait à analyser l’évolution des effectifs des entreprises passant aux 35 heures par rapport à celles restées à 39 heures. Il s’agissait donc de comparer les trajectoires des entreprises bénéficiaires à d’autres non bénéficiaires mais considérées comme comparables en termes de secteur, de dynamisme, etc., pour éviter les biais de sélection.

Ainsi, en s’attachant à déterminer, dans la mesure du possible, les échantillons témoins et les biais de sélection, l’ensemble de ces travaux économétriques estime les effets emplois à 6 %-7 % pour le dispositif « de Robien » – taux assez éloigné de l’objectif des 10 % affiché initialement –, à 6 %-7 % pour « Aubry 1 », à 3 %-4 % pour « Aubry 2 anticipatrice », et à environ 4 % pour « Aubry général ».

Ces estimations présentent des limites. D’abord, des limites générales liées à la représentativité de l’échantillon, à l’attrition – disparition spontanée des entreprises de l’échantillon au cours du temps –, etc. Ensuite, des limites spécifiques liées aux 35 heures, du fait d’accords d’entreprise ou d’accords d’établissement, de caractéristiques utilisées relativement pauvres – qui négligent en particulier l’opinion des acteurs sociaux. Par ailleurs, les entreprises restées à 39 heures étaient-elles de bons témoins ? Avaient-elles des caractéristiques particulières ?

Quel impact ont eu les différentes lois successives ? Globalement, il semble que l’impact pour les entreprises restées à 39 heures n’ait pas été trop important jusqu’en 2002-2003.

Je rappelle que le dispositif reposait sur trois piliers : une baisse de la durée du travail, des aides supplémentaires, et des accords prévoyant des modérations salariales. Ce sont ces éléments qui permettaient l’équilibre. En cherchant savamment à séparer ces trois effets par des modèles structurels, certains en ont conclu que la baisse de la durée du travail avait abouti à un effet négatif. En tant que chercheur, je pense qu’il n’est pas raisonnable de vouloir décomposer un dispositif prévoyant d’emblée un équilibre. En d’autres termes, les entreprises n’auraient pas baissé la durée du travail sans aides, elles ne seraient jamais passées aux 35 heures sans accords de modération salariale.

Selon ces estimations, relativement convergentes, qui ont donné lieu à de nombreuses publications, 350 000 emplois ont été créés sur la période 1996-2002. Les estimations ex ante tablaient sur 700 000 emplois. Deux facteurs expliquent cet écart : le champ, car les petites entreprises ont été moins concernées, et la baisse de la durée du travail, de moins grande ampleur que prévue initialement. On le voit : le passage des évaluations ex ante aux évaluations ex post n’est pas si simple.

L’équilibre entre gains de productivité, modération salariale et aides de l’État a permis de ne pas dégrader trop fortement les comptes des entreprises. De mon point de vue, on peut parler de pérennité des effets de la RTT sur l’emploi.

Le financement des aides et le supplément de ressources fiscales générées par les créations d’emplois auxquelles s’est ajouté l’allègement consécutif des dépenses sociales, ont globalement abouti à un équilibre, ou peut-être à un léger surcoût en termes de finances publiques.

Et ensuite ?

Je le redis, les évaluations sont datées : le chiffre que je vous ai indiqué vaut pour la période 1996-2002. Une évaluation ultérieure s’avère plus difficile, probablement impossible, car elle se sera jamais aussi sophistiquée, et ce pour plusieurs raisons : la généralisation d’« Aubry 2 », ce qui se traduit mécaniquement par l’absence de repères témoins ; la question de la convergence des garanties mensuelles de rémunérations ; la généralisation aux petites entreprises ; et enfin, les réformes après 2003, qui se traduisent par de fortes modifications du contingentement, ainsi que du coût des heures supplémentaires, etc.

L’établissement de comparaisons internationales sur la durée du travail est très complexe au regard des différentes notions – durée normale, durée habituelle, durée collective, durée effective, etc. Il est également difficile du fait des méthodologies retenues, les ménages ayant une perception des heures comptabilisées différente de celle des DRH. Le champ de l’enquête lui-même pose question : est-ce le champ de l’ensemble de l’économie, le secteur privé ou le secteur public, le temps complet, le temps partiel, etc. ? Tous ces facteurs appellent à la prudence au regard de l’affirmation selon laquelle la durée du travail annuelle en France serait parmi les plus basses – ce qui n’est pas, de mon point de vue, tout à fait juste.

Certes, la France enregistre la durée la plus basse en termes de temps complet. Mais il faut prendre en compte la part du temps partiel, moins importante en France, ainsi que le nombre d’heures des temps partiels, plus élevé que dans de nombreux pays. Ainsi, les comparaisons avec l’Allemagne montrent une durée du travail totale un peu plus basse du point de vue des salariés, à 1 547 heures, et légèrement plus haute du point de vue des entreprises, à 1 440 heures.

Ces chiffres sont issus de deux enquêtes sur l’emploi : l’une réalisée auprès des salariés auxquels il a été demandé d’estimer leur durée de travail la semaine précédente ; l’autre auprès des entreprises auxquelles a été envoyé un questionnaire. Il s’agit donc de deux perceptions. En effet, une personne cumulant des temps partiels ne se considérera pas forcément à temps partiel – une aide à domicile avec quatre employeurs, par exemple, estimera être à temps complet –, tandis que les employeurs feront la différence entre temps complets et temps partiels. Des travaux sur ce sujet sont en cours à la DARES dans le but d’homogénéiser les sources.

Mme Barbara Romagnan, rapporteure. Cette différence de perception est-elle liée également aux heures supplémentaires non comptabilisées ?

M. Frédéric Lerais. Tout à fait, dans un sens comme dans l’autre.

Entre 1998 et 2002, la durée du travail a baissé de 4,2 % en France – contre 1,7 % en Allemagne mais du fait de mécanismes différents, comme le développement du temps partiel. Puis entre 2005 et 2010, la durée du travail a augmenté en France et baissé en Allemagne.

Pour ce qui est des coûts salariaux unitaires, ils ont été similaires dans l’industrie manufacturière et plus élevés dans les services par rapport à l’Allemagne, mais celle-ci est un cas à part du fait de la politique mise en œuvre à cette époque, à savoir une dévaluation interne avec un impact non négligeable sur le coût du travail et probablement sur la compétitivité globale. La France s’en est donc plutôt bien sortie par rapport aux autres pays. Par ailleurs, le lien entre coûts salariaux et performance extérieure est ténu, comme l’a montré une note de la direction du Trésor, en raison notamment des marges à l’exportation. Ainsi, les 35 heures ne semblent pas s’être traduites par une dégradation forte des coûts salariaux unitaires en comparaison avec les autres pays, Allemagne exclue.

Sur la période 1999-2010, l’évolution de l’emploi a été plus dynamique en France que dans les autres pays – à l’exception de l’Espagne, à 26 % –, puisqu’elle a été de 14 %, contre 10-11 % pour les Pays-Bas et l’Italie, et de 7 %-8 % pour le Royaume Uni et l’Allemagne. On observe également un développement moins important de l’emploi précaire – temps partiels, CDD – en France. L’année 2005 marque toutefois une rupture dans les comparaisons avec l’Allemagne.

Sur la même période, la France a enregistré une croissance du PIB plus dynamique, à 7,7 %, contre 5,7 % en Allemagne. Par contre, l’évolution de son PIB par tête a été de 7,3 %, contre 13,5 % pour l’Allemagne, cet écart s’expliquant par la différence de dynamique démographique entre les deux pays.

Voilà pour les évolutions macroéconomiques.

Mme la rapporteure. Merci de votre présentation.

La comparaison de l’augmentation du PIB avec l’Allemagne ne vaut pas vraiment, selon vous. Pouvez-vous préciser votre pensée ?

Je retiens en outre deux éléments de votre intervention. D’une part, les coûts salariaux unitaires ont été plus élevés dans les services par rapport à l’Allemagne. Je rappelle que ce secteur comporte beaucoup de temps partiels, majoritairement occupés par des femmes. D’autre part, la mise en place des 35 heures a permis une progression plus limitée du travail précaire par rapport aux autres pays européens.

M. Jean-Pierre Gorges. Je trouve étonnantes de telles divergences d’appréciations entre les uns et les autres sur ce sujet.

Monsieur Lerais, vous pensez possible de dissocier nombre d’heures travaillées et coût du travail. Or le nombre d’heures travaillées est un facteur déterminant de la compétitivité des entreprises. La personne auditionnée avant vous a démontré l’impact de la technologie sur la productivité entre 1919 et 1982, avec le passage de 48 heures à 39 heures.

Notre pays est passé de 1,4 million de chômeurs en 1981 à 5 millions aujourd’hui, alors que le temps de travail a diminué. À votre avis, pour quelles raisons le chômage augmente-il inexorablement ?

M. Gérard Sebaoun. Vous avez indiqué que l’augmentation de la productivité et la modération salariale ont permis d’éviter la dégradation des comptes des entreprises. Ce discours est hétérodoxe par rapport à celui des entreprises. Pouvez-vous nous expliquer comment vous arrivez à cette conclusion ?

Ainsi que vous l’avez indiqué, le nombre d’emplois attendus a été inférieur à celui escompté, et le chiffre de 350 000 créations d’emplois est contesté par certains, notamment un économiste universitaire auditionné la semaine dernière. Pourtant, cette estimation demeure avancée aujourd’hui par beaucoup.

M. Denys Robiliard. Il existe un certain consensus entre économètres sur les 350 000 emplois créés. J’ai bien entendu votre discours sur la capacité à mesurer les effets sur l’emploi de la réduction du temps de travail sur la période 1996-2002, en distinguant le dispositif offensif « de Robien », la loi « Aubry 1 », dispositif proche du premier avec un taux de 6 %-7 %, et le dispositif « Aubry général » avec une dégradation à 3 %-4 %. Mais cela ne devrait-il tout de même aboutir, rapportée à la population active, à un volume supérieur de création d’emplois ?

Vous avez parlé ensuite de comparaisons internationales, de croissance, de coûts. Devons-nous comprendre que l’on ne peut plus mesurer après 2002, faute d’échantillons témoins, l’impact de la réduction du temps de travail ? Quelles méthodes permettraient de mesurer les effets du temps de travail sur le taux d’emploi ?

M. le président Thierry Benoit. Monsieur Lerais, je suis étonné de la fragilité des éléments que vous nous présentez. Vous avez évoqué la modération salariale et les aides publiques, et ajouté que les coûts dans l’industrie ont été similaires à ceux de l’Allemagne et plus élevés dans les services. Or vous n’apportez pas d’éléments précis à l’appui de votre démonstration, en particulier au regard de la notion de productivité.

En matière de comparaisons internationales, le temps plein n’est-il pas la base ? En effet, les temps partiels peuvent être choisis. Avez-vous des données statistiques permettant d’isoler les contrats précaires, contrats aidés, contrats à durée déterminée, et même l’intérim ?

Enfin, avez-vous analysé l’application de la réduction du temps de travail dans la sphère publique ?

M. Frédéric Lerais. L’article que j’ai cosigné avec MM. Alain Gubian, Stéphane Jugnot et Vladimir Passeron sur « les effets de la RTT sur l’emploi » démontre que le processus de RTT a conduit à un enrichissement de la croissance en emplois. Il établit le constat, au regard de la valeur ajoutée, que la productivité horaire a été modifiée du fait de la modulation du temps de travail et des réorganisations mises en place, et que le montant de l’aide, au regard du surcoût représenté par la baisse de la durée de 10 % et le maintien des salaires, a permis de neutraliser la hausse des coûts salariaux. Ainsi, sans amélioration de la productivité, sans aides et sans modération salariale, le coût du travail horaire aurait augmenté de 11,4 %.

Cet article se fonde sur les estimations des modérations salariales et des effets sur l’emploi. Il montre que les montants financiers accordés, l’ampleur des baisses de la durée du travail – paramètre non négligeable de l’adaptation des entreprises, toutes n’ont pas baissé la durée de 10 % –, et les allègements se sont traduits par un équilibre, voire, pour les dispositifs « Aubry incitatif » et « de Robien », par un léger gain pour les entreprises.

Ce point est majeur, et le dispositif avait été pensé ainsi. Nous avons donc constaté qu’il n’y avait pas eu trop de dérives ex post. Je vous remettrai un document à ce sujet.

Par ailleurs, les aides avaient été calibrées à l’aune de deux éléments attendus en retour : la baisse du chômage et une évolution plus dynamique de la masse salariale. Néanmoins, dans la mesure où l’ampleur de la baisse de la durée du travail et des effets sur l’emploi a été probablement moins importante que les estimations initiales, cela s’est certainement traduit par un surcoût net, de l’ordre de 1 à 2 milliards d’euros.

La croissance du PIB et la croissance du PIB par tête ne sont intéressantes qu’à très long terme, sans compter que cette dernière ne donne pas d’indications sur la part des salaires dans la valeur ajoutée.

Selon une étude présentée en 2013 par Françoise Milewski au Conseil économique, social et environnemental sur le travail à temps partiel, la dynamique du temps partiel a été beaucoup moins importante après 1998. Plusieurs raisons expliquent cette rupture. D’abord, les allègements ont été proratisés équitablement, alors qu’auparavant ils favorisaient le développement du temps partiel. Ensuite, les négociations dans les entreprises ont amené des salariés travaillant à temps partiel à passer à temps complet, et la plupart de ceux restés à temps partiel ont vu leur durée maintenue, et non réduite de 10 %, ce qui a représenté un gain pour eux. C’est un des éléments qui expliquent que la baisse observée du temps de travail n’a pas été de 10 %.

D’après mes souvenirs, les emplois créés l’ont plutôt été en contrat à durée indéterminée. D’ailleurs, le dispositif offensif « Aubry 1 » prévoyait une prime pour les embauches en CDI. Je crois plutôt à l’effet réduction du temps de travail sur les temps partiels pour augmenter leur durée ou aboutir à des temps complets.

Je ne dissocie pas nombre d’heures et coût du travail. La baisse de la durée du travail n’aurait pas été possible si elle s’était traduite par un surcoût pour les entreprises. C’est bien pour cela que le dispositif, tel qu’il a été proposé, cherchait à garantir un équilibre entre modération salariale, allègements et baisse de la durée du travail.

Sur la période 1996-2002, la réduction du temps de travail a contribué de façon non négligeable à la forte réduction du chômage. Pour l’évolution à très long terme du chômage, l’insuffisance de la croissance et le dynamisme démographique auront un impact majeur. À plus court terme, la croissance est bridée en raison d’un manque d’investissements publics. Aussi une grande part du chômage et une partie du chômage conjoncturel s’expliquent-elles par la baisse de la demande, comme en témoignent les carnets de commandes des entreprises.

De mon point de vue, l’insuffisance de l’offre en France n’est pas due principalement au coût du travail, elle est due à un manque d’investissements, en particulier publics, et aux difficultés des petites entreprises à accéder à un système financier qui leur fasse confiance. Cette insuffisance de l’investissement depuis huit ans est très préoccupante, car les goulots de production rendront la situation très problématique au moment de la reprise économique. Notre pays ne soutient pas suffisamment la modernisation de son système productif.

M. Jean-Pierre Gorges. Comment pouvez-vous oublier dans le coût du travail les 22 milliards de compensations du fait des 35 heures payées 39 ? Ils sont supportés par l’État et auront un impact majeur au regard de la compétition internationale !

M. Frédéric Lerais. Les 22 milliards concernent l’ensemble des allègements, y compris ceux du dispositif Fillon 2003. Les allègements de cotisations sociales représentent, eux, entre 9 et 10 milliards d’euros.

Ils ont permis d’alléger le coût du travail, mais ils ont également eu des effets en retour non négligeables sur les dépenses en matière de chômage et les recettes de la sécurité sociale, si bien que le surcoût n’est pas de 22 milliards.

M. Jean-Pierre Gorges. Je vois une contradiction dans votre propos : vous indiquez que le chômage est dû à une demande insuffisante, mais vous préconisez l’investissement dans le cadre d’une politique de l’offre.

M. Frédéric Lerais. L’investissement a un impact à la fois sur la demande dont il constitue une composante avec la consommation et les exportations et sur l’offre, c’est un mécanisme économique de base. Ce mécanisme est grippé aujourd’hui. Je ne suis pas sûr qu’il faille plaider pour une relance de la consommation, cette dernière, sans être extraordinaire pour l’ensemble de la population, se tenant à peu près bien. Mon diagnostic est que c’est le sous-investissement qui pose aujourd’hui un problème de demande et va poser à terme un problème d’offre très important, surtout en termes de gammes de produits, c’est-à-dire indirectement de sensibilité de la demande au coût du travail, alors qu’un investissement stratégique permettrait d’y échapper.

Mme la rapporteure. On ne peut pas parler du coût des 35 heures indépendamment de la modération salariale, des baisses de cotisations, de la possibilité d’une plus grande flexibilité et d’une utilisation de l’appareil productif sur une durée plus longue.

Le coût pour les entreprises a été réduit grâce aux baisses de cotisations, il a donc été supporté par la collectivité. Mais dans la mesure où davantage de gens avaient un emploi sur la période considérée, les indemnisations chômage ont été moins importantes, la consommation a été plus élevée, d’où des rentrées de TVA, et les cotisations ont augmenté. D’ailleurs, les comptes publics étaient équilibrés à cette époque.

J’ai une question, mais vous pourrez y répondre par écrit, faute de temps. Ne pensez-vous pas que l’augmentation de la productivité, en permettant de produire autant avec moins d’heures de travail, explique en partie l’augmentation du chômage ?

M. le président Thierry Benoit. Je ne puis être d’accord avec l’affirmation selon laquelle les entreprises ont pu mettre en œuvre les 35 heures parce que cela ne leur a rien coûté – on ne peut pas écrire cela dans un rapport. D’abord, les allègements de cotisations pris en charge par le budget de l’État ont représenté, selon les statisticiens, un coût de 10 milliards d’euros pour les uns, de 22 milliards d’euros pour les autres, mais ils ont également entraîné un coût pour les salariés, puisque la modération salariale les a privés de pouvoir d’achat. Ensuite, le coût pour le budget de l’État du cumul des allègements Aubry, Balladur et Juppé liés à la RTT a été répercuté sur les ménages et les entreprises par le biais des impôts et des charges. C’est mon analyse de président,…

M. Gérard Sebaoun. C’est votre analyse !

M. le président Thierry Benoit. …mon analyse de député,…

M. Denys Robiliard. La présidence d’une commission d’enquête ne permet pas de dresser seul des conclusions qui soient présentées comme celles de la Commission !

M. le président Thierry Benoit. Monsieur Lerais, je vous propose de nous envoyer des éléments de réponse complémentaires. Merci de cette audition.

L’audition s’achève à onze heures quarante-cinq.

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Présences en réunion

Présents. - M. Thierry Benoit, M. Romain Colas, M. Jean-Pierre Gorges, M. Denys Robiliard, Mme Barbara Romagnan, M. Gérard Sebaoun

Excusés. - Mme Catherine Coutelle, Mme Jacqueline Maquet