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Commission d’enquête sur l’impact sociétal, social, économique et financier de la réduction progressive du temps de travail

Mardi 18 novembre 2014

Séance de 14 heures

Compte rendu n° 31

Présidence de M. Thierry Benoit, Président,

– Audition, ouverte à la presse, de M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale (DSS)

Présences en réunion

COMMISSION D’ENQUÊTE
SUR L’IMPACT SOCIÉTAL, SOCIAL, ÉCONOMIQUE ET FINANCIER
DE LA RÉDUCTION PROGRESSIVE
DU TEMPS DE TRAVAIL

La séance est ouverte à quatorze heures cinq.

——fpfp——

La commission d’enquête procède à l’audition, ouverte à la presse, M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale (DSS)

M. le président Thierry Benoit. Nous sommes heureux d’accueillir M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale (DSS), inspecteur général des affaires sociales, ancien conseiller et chef du pôle social à l’Élysée – de 2010 à 2012 –, ancien directeur adjoint du cabinet de la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi, Mme Christine Lagarde
– en 2008 et 2009.

Au cours des auditions menées depuis juillet, nous avons entendu des chiffrages très différents, voire contradictoires, sur le coût de la réduction du temps de travail (RTT) pour les finances publiques, du fait des exonérations de cotisations sociales qui lui ont été associées. Certains experts évaluent ce coût à 12 milliards d’euros par an, et à 22 milliards le montant global annuel des versements de l’État à la sécurité sociale au titre de la compensation des divers allégements de charges mis en œuvre depuis les lois Aubry. M. Frédéric Lerais, directeur général de l’Institut de recherches économiques et sociales (IRES), a estimé, devant notre commission d’enquête, que, puisque ces 22 milliards concernent l’ensemble des allégements, y compris ceux du dispositif Fillon de 2003, le coût des exonérations liées aux 35 heures est plutôt compris entre 9 et 10 milliards.

Lors de son audition, M. Lionel Jospin a quant à lui présenté des montants inférieurs, affirmant que, « en termes financiers, le coût des 35 heures a été évalué à 7,7 milliards d’euros par la direction du budget, après 2002. Les effets de ces retours à l’emploi massif ont été évalués par la DARES et l’UNEDIC à 6,5 milliards d’euros : autrement dit, l’effet de compensation global a été important. Le coût net des 35 heures serait donc de 1,5 milliard d’euros pour la collectivité » – allez vous y retrouver !

Vous l’aurez compris, monsieur le directeur, l’un des objets de notre commission d’enquête est d’affiner l’évaluation du coût de la RTT pour les finances publiques, afin, le cas échéant, de formuler, au terme de nos six mois de travaux, des propositions quant à la nécessaire adaptation de la société française aux évolutions du temps de travail.

Aux termes de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, la commission d’enquête pourra citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu de votre témoignage. Ce compte rendu vous sera préalablement communiqué. Les observations que vous pourriez faire seront soumises à la commission.

Par ailleurs, en vertu du même article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous serment, sans toutefois enfreindre le secret professionnel.

Ces personnes doivent prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Thomas Fatome prête serment.)

Votre audition, je vous le rappelle, fait l’objet d’un enregistrement et d’une retransmission télévisée.

M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale (DSS). Mon propos liminaire sera bref : outre que mes services ont adressé hier un certain nombre de réponses techniques écrites aux questions adressées par votre commission d’enquête – et restent bien entendu à sa disposition pour les préciser –, la RTT, à proprement parler, ne ressortit pas de la compétence de la direction de la sécurité sociale (DSS). Celle-ci n’est pas directement en charge des politiques de l’emploi, et d’autres directions centrales – notamment la direction du Trésor et la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES –, sans parler de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), sont mieux à même de mener des évaluations sur le sujet.

Il est très difficile d’isoler l’impact des 35 heures sur les finances publiques. La réduction du temps de travail, en effet, s’est accompagnée d’allégements substantiels de cotisations patronales, selon une logique offensive dans un premier temps – via la loi de Robien –, puis défensive, afin d’accompagner la mise en œuvre de la réforme : les deux mouvements, la RTT et la baisse du coût du travail, se sont en quelque sorte superposés. En tout état de cause, la DSS n’a pas mené de travaux sur l’impact des 35 heures, que ce soit pour la période récente ou pour le début des années 2000.

Cela dit, on peut rappeler un certain nombre d’éléments, s’agissant d’abord des incidences respectives de la croissance économique, de la RTT et des exonérations de cotisations sur l’évolution de la masse salariale de 1997 à 2008. En toute logique, l’évolution du produit intérieur brut (PIB) est étroitement corrélée avec celle de la masse salariale dans le secteur privé, même si des décalages momentanés peuvent apparaître, soit en raison de la conjoncture, soit en raison du temps de réaction de ladite masse salariale aux inflexions de la croissance, du fait des mécanismes de négociation ou d’ajustement des emplois au sein des entreprises.

L’élasticité de l’emploi a son coût, et celui-ci est maximal pour le SMIC, au niveau duquel ont donc été mises en œuvre des exonérations de cotisations patronales. Cette politique a fait l’objet d’évaluations récurrentes et convergentes dans leurs conclusions : elle a permis, selon les travaux de la DARES, de l’INSEE ou de la direction générale du Trésor, de sauvegarder ou de créer, entre 1998 et 2005, de 600 000 à 1 million d’emplois. Le pacte de responsabilité s’inscrit d’ailleurs dans cette évolution – avec des allégements ciblés sur les rémunérations proches du SMIC à partir du 1er janvier 2015 –, de même que le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE).

L’incidence de la RTT a, quant à elle, fait l’objet d’évaluations dès le début des années 2000 : ciblées sur les entreprises ayant mis en œuvre les 35 heures, elles ont montré un effet favorable sur l’emploi.

Dans son questionnaire écrit, votre commission d’enquête m’a interrogé sur le fait de savoir si une séparation des régimes juridiques – et économiques – des secteurs exposés à la concurrence internationale était envisageable ; sur ce point, la DSS estime qu’en l’état actuel du droit français et, surtout, communautaire, les exonérations ciblées se heurtent au principe de la libre concurrence et de l’égalité de traitement – l’exemple du soutien au secteur du textile l’illustre. C’est la raison pour laquelle, d’ailleurs, les allégements restent ciblés exclusivement sur des niveaux de rémunération.

Au sein des organismes de sécurité sociale, la réduction du temps de travail avait donné lieu, en l’absence d’accord national, à la création de 9 300 emplois supplémentaires. Cette décision, qui s’est traduite par une augmentation des effectifs de 4,6 % entre 2000 et 2002 pour le régime général, doit être rapportée à la décroissance des emplois de 2003 à 2013, avec 17 000 équivalents temps plein (ETP) en moins, soit près de 10 %. Cette évolution traduit le non-remplacement du départ à la retraite d’un certain nombre d’agents, du fait de la montée en charge de la dématérialisation – notamment pour la branche maladie – et des efforts de simplification entrepris par les caisses, efforts qui d’ailleurs se poursuivent, ainsi qu’en témoignent les conventions d’objectifs et de gestion pour 2014-2017.

S’agissant de l’impact des 35 heures sur la compétitivité des entreprises, de son coût et de ses bénéfices pour les acteurs économiques, la DSS n’a pas mené de travaux spécifiques. Elle reste néanmoins vigilante, depuis le milieu des années quatre-vingt-dix, sur la question sensible de la compensation des allégements de cotisations, selon le principe posé par la loi de 1994. Ce dernier, scrupuleusement appliqué aux allégements liés à la RTT – pour environ 20 milliards d’euros par an –, a connu des fortunes diverses ; depuis 2011, les choses se sont néanmoins stabilisées puisque la sécurité sociale perçoit l’équivalent des exonérations via un panier de recettes fiscales : ce système a heureusement remplacé la vérification annuelle a posteriori de la compensation à l’euro près. Le principe d’une stricte compensation pour la sécurité sociale s’appliquera encore dans le cadre des allégements visés par le pacte de responsabilité, aussi bien à travers l’affectation de recettes qu’avec le partage éventuel de dépenses, l’État ayant décidé de prendre en charge certaines d’entre elles en 2015, en particulier s’agissant des allocations logement. Quoi qu’il en soit, les partenaires sociaux, et les ministres concernés comme la DSS ont toujours veillé au principe de la compensation, si bien que le double mouvement de la RTT et des allégements de cotisations n’a généré aucune perte de recettes pour la sécurité sociale.

M. Gérard Sebaoun. Les allégements de cotisations ont permis, avez-vous déclaré, de créer ou de sauvegarder des emplois entre 1998 et 2005 ; vous avez également relevé une incidence favorable des 35 heures sur l’emploi, en évoquant les études de l’INSEE et de la DARES. Devons-nous en conclure que vous validez ces études ? Les spécialistes que nous avons auditionnés estiment tous, à l’exception d’un seul, que les 35 heures ont permis de créer 350 000 emplois nets pendant la période initiale de leur mise en œuvre.

Les emplois créés au sein des organismes de sécurité sociale – plus 4,6 % entre 2000 et 2002 pour le régime général, avez-vous indiqué – sont-ils des temps plein nets ou des contractuels devenus des CDI ? Les 35 heures ont-elles permis, en plus de la dématérialisation, d’entamer une restructuration de la sécurité sociale, comme nous l’a laissé entendre la directrice générale de l’administration ? Existait-il déjà, en interne, des accords sur la réduction du temps de travail ?

Enfin, pouvez-vous nous rappeler quelles sont les recettes perçues au titre de la compensation ?

M. Thomas Fatome. Je ne suis pas en mesure de confirmer ni d’infirmer les conclusions des études de l’INSEE et de la DARES : elles apportent, me semble-t-il, un regard précis sur les politiques relatives, conjointement, aux allégements de cotisations et à la RTT ; mais, je le répète, la DSS n’a pas mené d’étude spécifique.

Nous n’avons pas non plus, à ce stade, analysé précisément les effets de la réduction du temps de travail dans les organismes de sécurité sociale, même si nous pourrions, à cette fin, nous appuyer sur les travaux réalisés à l’époque de sa mise en œuvre. Les chiffres que je vous ai donnés concernent des temps plein, même si la part de CDD transformés en CDI resterait à mesurer. Pour le dire en termes simples, les activités des caisses sont, en bonne partie, des activités de production ; si bien que la réduction mécanique du temps de travail a impliqué, à productivité et organisation inchangées, une augmentation des effectifs.

Depuis quinze ans, les gains de productivité ont néanmoins été substantiels, compte tenu notamment de la baisse de près de 10 % des effectifs au sein du régime général. La feuille de soins électronique est évidemment, pour la branche maladie, un outil majeur en la matière, au regard du temps gagné, pour la liquidation, par rapport aux feuilles de soin en « papier ». La réorganisation des services, en particulier à travers la départementalisation de l’assurance maladie, a également été un facteur de productivité. Reste qu’il faudrait réunir davantage d’éléments sur la situation des caisses au début des années 2000 pour mesurer les effets respectifs des 35 heures, des réorganisations et des évolutions technologiques sur la productivité. Si votre commission le souhaite, nous devrions être en mesure de lui transmettre ces informations dans des délais assez brefs.

Au cours de la période de 2000 à 2010, les indicateurs de qualité de service n’ont cessé de s’améliorer. Les délais de remboursement par l’assurance maladie sont désormais très courts ; il en va de même pour les prestations de la branche famille, même si la crise économique peut retarder les choses. Bref, les réorganisations, la réduction du temps de travail et le reflux des effectifs n’ont pas dégradé la qualité du service rendu, bien au contraire.

M. Éric Lefebvre, sous-directeur des études et prévisions financières à la direction des affaires sociales. Les recettes perçues au titre de la compensation proviennent, pour l’essentiel, de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) : c’est le cas pour les compensations liées aux allégements généraux, ainsi qu’à la réduction des charges sociales au titre des heures supplémentaires décidée en 2007.

M. le président Thierry Benoit. En l’absence de cadre national fixant les modalités d’application des 35 heures au sein de la sécurité sociale, celle-ci a été conduite à faire des propositions. Le Premier ministre d’alors, M. Jospin, a déclaré, lors de son audition dans cette enceinte même, que les 35 heures avaient été initialement proposées aux entreprises privées de plus de vingt salariés. Qu’est-ce qui a donc conduit les organismes de sécurité sociale à les mettre en œuvre ? Cela répondait-il à une quelconque nécessité ? Y avait-il une charge de travail particulière ?

Quel est le statut exact des agents du service public de la sécurité sociale ?

Ma dernière question concerne la compensation des allégements de cotisations sociales. Un pays peut décider de réduire ou de réaménager le temps de travail, mais cela a un coût : la France peut-elle continuer à l’assumer ? Les organismes de sécurité sociale pourraient-ils formuler des propositions nouvelles à cet égard ? Peut-on imaginer que, pour des raisons similaires à celles qui avaient conduit les décideurs de la sécurité sociale à mettre en œuvre les 35 heures, à savoir la réorganisation des missions, on décide cette fois d’augmenter le temps de travail ?

M. Thomas Fatome. Les organismes de sécurité sociale sont de droit privé, et le statut de leurs agents est régi par la convention collective de l’Union des caisses nationales de sécurité sociale, l’UCANSS : cette convention étant elle aussi de droit privé, elle prévoyait par définition l’application de la durée légale du travail telle qu’elle fut définie par la loi du 19 janvier 2000. D’une façon générale, les organismes de sécurité sociale sont tenus d’appliquer les dispositions prévues par le code du travail, à commencer, par exemple et entre autres, par la négociation annuelle sur les salaires.

De par mes fonctions je dirige, rappelons-le, une administration centrale qui relève de l’autorité de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, Mme Marisol Touraine, ainsi que du ministre des finances et des comptes publics, M. Michel Sapin, et du secrétaire d’État chargé du budget, M. Christian Eckert. Les organismes de sécurité sociale sont néanmoins pilotés par des têtes de réseau, telles que la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) ou l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS). Si ces différentes caisses font l’objet de conventions d’objectifs et de gestion conclues avec l’État, elles bénéficient néanmoins d’une certaine autonomie. Bref, il n’y a pas eu d’accord entre employeurs et syndicats : les caisses étaient tenues d’appliquer la durée légale ; d’où un cadrage fixé par l’État et le recrutement de nouveaux effectifs.

Sur l’aspect qualitatif, je vous ai donné quelques éléments de réponse, même s’il faudrait les compléter par un examen plus approfondi de la situation des caisses au début des années 2000. Celles-ci, je le rappelle, ont à gérer des millions, voire des milliards de demandes de remboursement ou de prestation, sans oublier les contacts au guichet et les relations téléphoniques : les bouleversements liés à la réduction du temps de travail rendaient sans doute nécessaire, de ce point de vue, l’affectation de moyens supplémentaires afin de maintenir la qualité de service. Il est cependant clair que la création de 9 300 emplois ne compense pas tout à fait la perte de force de travail induite par la RTT : une partie de cette perte a dû être compensée par des gains de productivité.

Il ne m’appartient pas d’exprimer un avis sur la question du temps de travail ; cependant, toute réduction de la voilure en matière de compensation se traduirait soit, par une perte de recettes pour la sécurité sociale, soit par un relèvement des cotisations, et éventuellement une augmentation du coût du travail, ce qui ne serait assurément pas du goût des employeurs et nuirait à la compétitivité des entreprises. Cela n’est pas le sens, de surcroît, du pacte de responsabilité.

M. Gérard Sebaoun. Comment vos personnels perçoivent-ils l’application de la réduction du temps de travail au fil du temps ? Vos études qualitatives mettent-elles en exergue des aspects négatifs ?

M. Thomas Fatome. Nous disposons en effet d’outils de suivi, à commencer par le Baromètre social institutionnel publié tous les deux ans par l’UCANSS. L’analyse des baromètres depuis 2000 permettrait de suivre l’évolution de la perception des agents : nous pourrons vous communiquer des éléments complémentaires sur ce point. À l’heure actuelle, les résultats sont globalement satisfaisants, même si la réduction des effectifs reste un point de vigilance, compte tenu de l’ampleur des missions et des pressions liées à la qualité du service : c’est tout particulièrement vrai pour la branche famille, directement affectée par la crise économique et le chômage.

M. Philippe Noguès. Puisque les organismes de sécurité sociale ont un statut de droit privé, ils ont bénéficié des allégements de cotisations liés à la RTT : ont-ils aussi bénéficié du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) ?

M. Thomas Fatome. Non, car les organismes ne sont pas soumis à la concurrence et ne paient pas d’impôt sur les sociétés ; en revanche, ils sont éligibles aux allégements de cotisations patronales, les allégements généraux et historiques comme ceux visés par le pacte de responsabilité.

M. le président Thierry Benoit. Monsieur le directeur, je vous remercie.

L’audition s’achève à quatorze heures quarante-cinq.

Présences en réunion

Présents. - M. Thierry Benoit, M. Philippe Noguès, M. Gérard Sebaoun