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Commission d’enquête sur l’impact sociétal, social, économique et financier de la réduction progressive du temps de travail

Séance de 10 heures 30

Compte rendu n° 33

Présidence de M. Jean-Pierre Gorges, Vice-Président,

– Audition, ouverte à la presse, de M. Denis Morin, directeur du Budget, accompagné de M. Laurent Pichard, chef du bureau de la politique salariale et de la synthèse statutaire, et de M. Gautier Bailly, sous-directeur

Présences en réunion





Jeudi
20 novembre 2014

COMMISSION D’ENQUÊTE
SUR L’IMPACT SOCIÉTAL, SOCIAL, ÉCONOMIQUE ET FINANCIER
DE LA RÉDUCTION PROGRESSIVE
DU TEMPS DE TRAVAIL

La séance est ouverte à dix heures quarante-cinq.

——fpfp——

La commission d’enquête procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Denis Morin, directeur du Budget, accompagné de M. Laurent Pichard, chef du bureau de la politique salariale et de la synthèse statutaire, et de M. Gautier Bailly, sous-directeur

M. Jean-Pierre Gorges, président. Je suis heureux d’accueillir M. Denis Morin, directeur du Budget au ministère des finances et des comptes publics, qui est accompagné de M. Laurent Pichard et de M. Gautier Bailly.

Au cours des auditions précédentes, nous avons entendu dire tantôt que les 35 heures avaient rapporté 10 milliards d’euros de recettes publiques, tantôt qu’elles avaient coûté 12 milliards à l’État. Pour les uns, elles ont permis de créer plus d’emplois que toute autre mesure. Pour d’autres, elles n’ont joué aucun rôle dans la création de 2 millions d’emplois entre 1997 et 2002. Votre témoignage nous aidera à y voir clair.

Vous nous direz aussi si, après 2002, elles ont continué à coûter de l’argent au trésor public, tandis que le Gouvernement baissait des cotisations sociales sur les salaires, puis, entre 2007 et 2012, défiscalisait les heures supplémentaires, puis, en 2014, décidait de créer un crédit d’impôt visant à rétablir les marges des entreprises avant de poursuivre l’allègement des charges patronales.

Avant de vous entendre, nous avons demandé au ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique, quel rôle les 35 heures ont joué dans la perte de compétitivité de l’économie française depuis 2002. Le sujet divise autant les parlementaires qu’en novembre 2011, quand la mission d’information présidée par M. Accoyer avait achevé ses travaux. Votre point de vue nous sera utile pour départager les avis.

Aux termes de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, la commission d’enquête pourra citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu de votre témoignage, qui fait l’objet d’un enregistrement et d’une retransmission télévisée. Ce compte rendu vous sera transmis ; les observations que vous pourrez faire seront soumises à la Commission.

Les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous réserve, notamment, des dispositions de l’article 226-13 du code pénal réprimant la violation du secret professionnel. Cette même ordonnance exige des personnes auditionnées qu’elles prêtent serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous demande de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

(M. Morin, M. Pichard et M. Bailly prêtent serment.)

M. Denis Morin, directeur du Budget. La direction du Budget n’est pas l’instance la plus à même d’apprécier l’impact sociétal, social et économique de la réforme du temps de travail intervenue à la fin des années 1990. Quant aux chiffres dont nous disposons sur son impact financier, je ne suis pas certain qu’ils soient de nature à départager les parlementaires. Les 35 heures ne faisant plus l’objet d’un suivi spécifique depuis 2005, les chiffres que nous pouvons avancer dépendent d’hypothèses, de spéculations, d’approximations, qui aboutissent à un résultat compris entre 10 et 13 milliards d’euros.

La première difficulté, si l’on veut calculer le coût net instantané des 35 heures en 1998, année de leur première mise en place, consiste à apprécier l’effet de cette réforme sur les créations d’emplois. L’économie nationale a créé quelque 2 millions d’emplois entre 1997 et 2001, ce qui représente un contenu en emplois de la croissance supérieur à celui des Trente Glorieuses. À l’époque, ce résultat a surpris les observateurs.

Reste qu’il est extrêmement difficile de faire le départ entre les différents éléments qui ont pu y conduire : s’agissait-il des 35 heures, des allégements de charges mis en place au même moment, de la ristourne Juppé instaurée en 1997 et financée par deux points d’augmentation de la TVA, des divers allégements du coût du travail intervenus après 1997
– bascule des cotisations maladie sur la CSG assortie d’une baisse de taux et d’un élargissement d’assiette, démantèlement de la part salariale de la taxe professionnelle (TP) –, de la politique monétaire très accommodante grâce à laquelle, avant d’entrer dans la zone euro, la France a bénéficié d’une monnaie sous-évaluée, de l’évolution de la croissance mondiale et de la forte progression de la demande adressée à la France, sans parler de phénomènes plus spéculatifs comme la bulle internet, qui s’est dégonflée par la suite. Ces facteurs se sont accumulés, pour stimuler une croissance très forte, que nous n’avions pas connue depuis des années et pour enrichir, au-delà de ce qu’indiquaient les modèles économétriques alors disponibles, le contenu en emplois de la croissance.

De nombreuses évaluations situent les créations d’emploi dans le secteur privé dans une fourchette de 3 % à 7 %, ce qui représente 200 000 à 350 000 emplois. Autant dire que l’incertitude est grande, même quand on se situe au début de la réforme.

Elle l’est encore plus si l’on se positionne de manière dynamique, car, par la suite, l’économie a renoué avec les cycles habituels d’accélération ou de ralentissement. Il est donc difficile d’assurer la traçabilité des créations d’emplois évaluées en 1998 et de chiffrer dans la durée les créations – ou les moindres suppressions – d’emplois imputables à la réforme.

Quand celle-ci a été décidée, plusieurs garanties de ressources ont été définies, qui ont varié en fonction de l’année de bascule des différents secteurs de l’économie dans les 35 heures. De ce fait, à partir de 2000, plusieurs SMIC ont coexisté, qui ont ensuite été alignés, pour des raisons politiques, sur le montant le plus élevé. Doit-on inclure l’augmentation du coût du travail qui en découle, et qui a mécaniquement détruit de l’emploi, dans l’impact des 35 heures, alors même que la modération salariale était, avec la souplesse liée à l’annualisation du temps de travail, un des paramètres de la réforme ?

De plus, entre 1998 et 2015, le dispositif a connu un paramétrage très variable. Il a été tantôt resserré tantôt élargi. Il a été utilisé pour avantager les entreprises de moins de vingt salariés. Récemment, il s’est enrichi de dispositions nouvelles, comme les allégements généraux de charges ou le crédit d'impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). Créée en 1993, sous Édouard Balladur, la politique d’allégement du coût du travail a été renforcée ensuite par Alain Juppé, puis complétée, à l’occasion de la mise en place des 35 heures, par des allégements complémentaires, dont la traçabilité peut être établie grâce à l’évolution du fonds initialement destiné à financer les allégements de charges, le FOREC (Fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale). L’instabilité du dispositif dans le temps incite à choisir avec prudence les hypothèses qu’on retiendra. Doit-on considérer que l’ajustement d’un paramètre décidé en 2005 ou en 2006 par M. Fillon résulte des 35 heures, ou qu’il s’agit d’une décision sui generis destinée à renforcer, à réduire, en fonction des contraintes budgétaires, les aides abaissant le coût du travail ?

Je dois évoquer, au risque de vous décevoir, un dernier point d’incertitude, d’ordre culturel. La direction du Budget est réticente à calculer les coûts nets. Son rôle consiste, quand on décide une dépense, à en déterminer le coût brut, sans placer de ressources en regard de celle-ci. Nous isolons, comme les textes nous y invitent, les recettes et les dépenses, ce qui fait d’ailleurs l’objet de multiples contrôles. Cette approche juridique explique que, si, dans le temps, le calcul du coût brut des 35 heures est déjà difficile, celui du coût net soit plus délicat encore.

M’en tenant aux coûts bruts, j’ai adressé à votre commission d’enquête des chiffres, avec des développements plus particuliers relatifs à la fonction publique. Ils prennent en compte l’ensemble des allégements de charges à caractère général sur les bas salaires, la ristourne Juppé, l’aide Robien, antérieure à 1997 et très coûteuse pour les finances publiques, les mesures Aubry I et II, et la réduction Fillon. Pour évaluer le coût des allégements directement ou indirectement liés aux 35 heures, nous retenons le même champ que la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES), qui dispose dans ce domaine des informations les plus fiables.

Sur le plan de la méthode, il faut se confronter à deux difficultés.

La première consiste à imaginer un scénario et à le dérouler en supposant que les 35 heures n’aient pas été mises en place, ce qui introduit plusieurs facteurs d’approximation. Comment faire vieillir le coût de la ristourne Juppé sur les bas salaires ? La direction du Budget ne disposant pas, année après année, de la distribution des salaires par niveau de revenu, nous devons élaborer une hypothèse fondée sur l’évolution moyenne de la masse salariale.

La seconde difficulté consiste, pour la période qui suit le passage aux 35 heures, à déterminer exactement l’effet de la réforme. Doit-on lui attribuer l’unification du SMIC par le haut, l’ensemble des ajustements paramétriques opérés par les allégements de charges entre 2003 et 2014, les évolutions de champ ou de mode de calcul, comme l’annualisation des allégements ? Nous posons la question pour préciser les limites méthodologiques des chiffrages, mais nous n’avons pas de réponses à proposer. Nous retenons comme référence le coût des allégements dans les documents budgétaires successifs, sans mettre de côté les allégements qui pourraient légitimement être isolés.

Ces hypothèses nous amènent à un coût de 11 à 13 milliards d’euros. Le dernier chiffrage pour 2013 fait état d’un scénario de référence sans les 35 heures, dont le coût serait de 9,9 milliards, et d’un scénario avec 35 heures, de 22,8 milliards. Le coût brut des allégements de charges spécifiquement lié aux 35 heures s’établit par différence à 12,8 milliards. Le chiffre est cohérent avec celui qu’ont fourni d’autres administrations, notamment la DARES, qui avance celui de 12 milliards.

Ce calcul n’intègre pas la défiscalisation des heures supplémentaires, liée à la loi TEPA de 2007 – soit le non-assujettissement de ces heures à l’impôt sur le revenu et aux cotisations sociales, patronales et salariales –, pour laquelle nous disposons d’indications chiffrées. En 2011, année où il a été le plus élevé, le coût de la défiscalisation s’est établi à 1,5 milliard, et celui de l’exonération salariale à 3,3 milliards, soit un total de 4,8 milliards. Quant à savoir si l’on peut lier l’exonération des heures supplémentaires à la réforme des 35 heures de 1998, c’est un terrain sur lequel je ne m’aventurerai pas.

Les 35 heures se sont appliquées d’abord dans le secteur privé, puis dans le secteur public. Ce n’est qu’à l’automne 2001 qu’elles l’ont été dans le secteur hospitalier, où les principaux textes d’application ont été publiés début 2002. Dans la fonction publique d’État, qui est passée aux 35 heures en 2002, le principe de la neutralité des 35 heures sur les créations d’emplois a été instauré très vite. Le Gouvernement avait supposé que des gains de productivité extérieurs aux 35 heures – imputables aux nouvelles technologies ou à des réorganisations de service – permettraient de ne pas réduire la qualité du service public tout en absorbant un écart de productivité de 11 %.

Toutefois, en 1998, on méconnaissait la durée du travail, voire la réglementation applicable dans les différents services administratifs, ainsi que les extraordinaires disparités, mises en évidence, sur la seule base des durées déclarées, par le rapport de M. Jacques Roché sur le temps de travail dans les trois fonctions publiques. On rencontre dans la fonction publique d’État, comme dans l’ensemble des fonctions publiques, des écarts importants tant de la durée du travail que du régime de rémunération ou d’indemnité, domaines qui demeurent fort peu transparents.

Depuis 1998, la direction du Budget a identifié les demandes budgétaires qui ont été formulées par les ministères afin de créer des emplois, et qui paraissaient liées aux 35 heures. Il n’y en a pas eu récemment, la réforme n’étant plus guère invoquée par les administrations à cette fin. D’ailleurs, sauf dans certains ministères prioritaires, on crée peu d’emplois dans la fonction publique de l’État, où s’applique la règle du non-remplacement d’une fraction des fonctionnaires qui partent à la retraite. Néanmoins, entre 2002 et 2005, nous avons identifié, en dérogation au principe de non-création d’emplois liés aux 35 heures, 4 600 demandes, auxquelles le Gouvernement a fait droit. Elles concernent principalement la police et la justice. D’autres mesures sont liées aux 35 heures, comme le rachat des jours de RTT, l’indemnisation des heures supplémentaires, qui représente une masse globale de 1,5 milliard, et les astreintes.

La fonction publique hospitalière est la seule dont le fonctionnement, compte tenu de l’obligation d’accueillir les patients vingt-quatre heures sur vingt-quatre, ait justifié un plan spécifique de recrutements. Celui-ci a porté sur 45 000 agents, pour un coût global de 1,5 milliard. Un plan de création d’emplois spécifiquement médicaux, portant sur 3 500 emplois a également été mis en place, pour un coût global de 330 millions.

Si la réduction du temps de travail n’a pas eu d’impact sur le traitement des fonctionnaires ou leur régime indemnitaire, le dernier chiffre concernant le coût budgétaire des heures supplémentaires remonte à 2013 et s’établit à 1,485 milliard. Pour 2014, nous attendons un coût comparable. En 2013, le montant se compose de 1,33 milliard pour les d’heures supplémentaires dans l’éducation nationale et de 150 millions hors éducation nationale. C’est le signe que le coût des heures supplémentaires ne résulte pas directement de la loi sur les 35 heures, les enseignants, qui constituent la moitié des fonctionnaires de l’État, n’étant pas concernés par la réduction du temps de travail.

La réglementation n’incitant guère à racheter les jours détenus sur des comptes épargne-temps (CET), les fonctionnaires l’apurent le plus souvent avant de partir à la retraite, ce qui nuit à la fluidité du service public, puisque l’agent ne peut être remplacé avant son départ effectif. Cependant, le rachat des jours du CET représentait en 2013 un montant total de 66,8 millions, en progression de 8 % par rapport à 2012, ce qui équivaut à un montant moyen annuel de 1 253 euros par agent, le montant médian s’établissant à 845 euros.

Les chiffres dont nous disposons pour la fonction publique proviennent en grande partie de la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP). Nous ne possédons pas de données sur la fonction publique territoriale. Dans la fonction publique hospitalière, nous estimons que 16 270 jours ont été rachetés en 2012, pour un montant total de 4,8 millions. Dans la fonction publique de l’État, l’évolution des effectifs, en aval de la mise en place des 35 heures, a répondu à plusieurs préoccupations. Ces effectifs ont fortement baissé depuis 2005, et plus encore depuis 2007, grâce aux gains de productivité résultant notamment de la RGPP.

M. Jean-Pierre Gorges, président. Il est évidemment difficile de proposer un bilan chiffré des 35 heures, compte tenu des différentes réformes intervenues entre 1997 et 2002, dont celle de la taxe professionnelle. Quand bien même elles auraient permis de créer 200 000 à 300 000 emplois en cinq ans, on ne peut apprécier sur un délai aussi court le résultat d’une réforme en profondeur du droit du travail. Notre réflexion porte sur la période 1998-2014, au cours de laquelle ce dispositif est devenu un mal français. Pendant ces années, au cours desquelles bien des choses ont changé – la croissance a diminué, la TP a été réformée –, des mesures qui avaient jadis porté leurs fruits ne sont-elles pas devenues contre-productives ?

Aujourd’hui, le monde du travail est coupé en deux. Dix millions d’employés sont passés aux 35 heures ; 10 millions sont restés aux 39 heures. Si l’annualisation a constitué un bénéfice pour les grandes entreprises, qui en ont profité pour se réorganiser, les PME, plus nombreuses en France qu’en Allemagne, et plus à même de créer des emplois, sont pénalisées. Un montant de 4,8 milliards a servi à financer des heures supplémentaires qui existaient déjà. L’harmonisation à la hausse des cinq SMIC a augmenté le coût du travail, ce qui, dans une période où la mondialisation entraîne une compétition plus rude, fait augmenter le chômage.

M. Gérard Sebaoun. Vous avez pris beaucoup de précautions pour expliquer que vous ne pouviez proposer un coût net de la réforme des 35 heures, mais Éric Heyer, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), avance le chiffre de 1,5 à 2 milliards, très inférieur à votre chiffrage du coût brut.

Comme d’autres, vous indiquez qu’il est impossible d’agréger les chiffres de la fonction publique territoriale, afin d’évaluer la répercussion globale des 35 heures. On dit que, dans certaines collectivités, on travaillait moins de 35 heures par semaine, et qu’ailleurs, on a progressivement adopté le nouvel horaire. Je m’étonne que la situation soit aussi opaque, et que, sur ce sujet, on ne puisse avancer d’un iota.

On n’avance guère plus sur le problème des RTT à l’hôpital, que nul ne sait comment résoudre. Fort de votre expérience, pouvez-vous nous suggérer quelques pistes ?

M. Denys Robiliard. Chacun agit selon sa position. La vôtre vous interdit de calculer un coût net ; la nôtre nous prescrit, en tant que politiques, de prendre en compte, au-delà de la réalité budgétaire, la réalité économique.

Vous avez indiqué qu’à partir de 2005, on a cessé de mesurer l’incidence du passage aux 35 heures. Comment se décident les études ? Pourquoi renonce-t-on à connaître certains chiffres ? S’agit-il d’une décision politique ou administrative ? Pourquoi est-il si difficile de calculer les effets d’une mesure à moyen terme ?

Vous avez pointé des effets sur l’emploi de la convergence des SMIC, pondérée, dans beaucoup d’entreprises, par un gel des rémunérations pendant trois ans. Cette analyse porte-t-elle sur le SMIC ou sur le SMIC chargé, sachant que certains allégements de charges sont spécifiquement liés aux 35 heures ?

Enfin, je partage l’interrogation de M. Sebaoun sur les problèmes que pose encore l’application des 35 heures à l’hôpital.

Mme Barbara Romagnan, rapporteure. J’apprécie les précautions dont vous vous êtes entouré. Nous soulignerons dans notre rapport la difficulté de mesurer l’impact des 35 heures. Je comprends qu’il faille séparer les recettes et les dépenses, mais j’imagine qu’on devait pouvoir évaluer la part de cotisations qui n’est plus payée et les cotisations versées sur des emplois nouveaux, quand bien même ceux-ci ne résulteraient pas directement des 35 heures ?

M. Jean-Pierre Gorges, président. Pensez-vous que les 12 milliards d’exonération de charges accordées afin de compenser les difficultés de réorganisation liées à un nouveau régime de travail, soient récupérables, à présent que le temps a passé et que chacun s’est réorganisé ?

M. Denis Morin. Je dois avouer un certain embarras. Auditionné en tant que directeur du Budget, je n’ai pas à émettre de jugement personnel sur un champ qui ne relève pas de mes fonctions. Si, dans le passé, je me suis intéressé à l’hôpital et à la sécurité sociale, je ne pense pas que le directeur du Budget soit habilité à se prononcer sur ces sujets. L’avis du directeur de la sécurité sociale, voire du directeur général de l’offre de soins (DGOS) serait plus pertinent que le mien.

Vous me demandez de calculer sur une période exceptionnellement longue la traçabilité de facteurs déterminant le coût d’un dispositif. Ces informations, je le répète, ne sont pas faciles à réunir. En outre, nous butons sur un obstacle culturel propre à nos politiques publiques. Alors qu’une pratique spontanée et systématique de l’évaluation – parfois menée en temps réel – permet au Gouvernement ou au Parlement d’autres pays européens de réfléchir au jour le jour à la pertinence de l’emploi des fonds public, l’administration française témoigne d’une certaine réticence dans ce domaine. Aucune décision politique n’interdit de calculer l’effet des 35 heures, mais d’autres sujets prioritaires ont pu mobiliser les directions d’études, qui ne disposent pas toujours d’effectifs importants. La direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), qui dépend du ministère des affaires sociales, possède des moyens limités et doit faire des choix dans ses travaux. L’INSEE vous fournira sans doute des informations utiles.

Vos questions posent en fait le problème délicat du coût du travail, sur lequel le Gouvernement se penche actuellement. Le pacte de responsabilité et de solidarité mobilise tous les dispositifs permettant d’alléger le coût du travail non qualifié. Les 35 heures ne sont qu’un élément d’une question plus vaste : doit-on prendre en compte le coût du travail pour apprécier la compétitivité de la France dans le contexte international ? Depuis 1998, les gouvernements ont choisi de ne pas toucher aux 35 heures, mais ils ont tous réduit le coût du travail. La loi TEPA, pour citer cet exemple, a défiscalisé temporairement les heures supplémentaires.

Vous l’avez rappelé, les 35 heures ont été mises en place dans un contexte favorable. Cependant, le taux de chômage s’établissait à 12,7 %, niveau que nous n’avons pas retrouvé ensuite. La logique de partage du travail était alors à l’œuvre. Le dispositif Robien, mis en place en 1996, sur la base du volontariat, représentait un coût très lourd pour les finances publiques. À l’époque où l’on se plaignait d’avoir tout essayé pour combattre le chômage, la réduction de la durée du travail restait une piste à explorer. Les économistes que vous avez auditionnés vous ont sans doute signalé que les incitations fortes visant à alléger le coût du travail, complétées par le pacte de responsabilité et de solidarité, ont une incidence notable sur l’évolution du chômage.

En ce qui concerne la fonction publique territoriale, nous disposons des données de la Cour des comptes, qui rédige chaque année un rapport sur la situation des finances locales. Au moment où le Gouvernement définit sa stratégie pour les finances publiques, il a besoin de données agrégées sur les différents secteurs de l’administration publique, qu’il s’agisse des collectivités territoriales ou de la sécurité sociale. Ces données permettent de porter un diagnostic, soumis à débat contradictoire, sur l’évolution de l’emploi et de la productivité dans la fonction publique territoriale. C’est là que sont intervenues des créations d’emploi, en particulier dans les administrations non concernées par les transferts de compétences, comme le bloc communal et intercommunal. Nous ne disposons pas de données aussi précises sur le rythme de l’avancement, les procédures de recrutement ou la durée effective du travail. Peut-être la direction générale des collectivités locales (DGCL) possède-t-elle davantage d’informations.

Mme la rapporteure. Il me semble que le nombre de chômeurs est plus élevé aujourd’hui qu’à l’époque où les 35 heures ont été mises en place. Je reviens à ma question : puisque vous êtes chargé d’évaluer l’équilibre du budget de l’État, vous vous penchez aussi sur ses recettes. Combien rapporte, en termes de cotisations, la création de 350 000 emplois, pour citer le chiffre retenu par la DARES ?

M. Denis Morin. La question est légitime. La période 1997-2001 a été marquée par des créations d’emplois massives, dont il est difficile d’assurer la traçabilité, puisqu’on ne sait pas évaluer l’impact réel des 35 heures ou, par exemple, des allégements de charges, renforcés avant 1997 par le gouvernement Juppé.

On observe au cours de la période un dynamisme plus que proportionnel des recettes publiques, explicables par un contexte de forte croissance, ainsi que des recettes fiscales et sociales, qui améliorent rapidement la situation financière de l’État et du secteur public. Nous pouvons raisonner en termes de coût net, politique par politique, mais, pour calculer le coût des 35 heures, il faut avancer des hypothèses lourdes afin d’évaluer tant le coût brut que les éléments qui permettent de déterminer le coût net. On peut établir celui-ci à 1 milliard, à 3 ou à 5, en fonction de l’hypothèse sur laquelle on se fonde.

L’OFCE peut proposer un chiffrage. J’ai entendu citer le coût net de 3 milliards, pour un coût brut de 12,5 milliards, ce qui est cohérent avec nos propres chiffres. S’il est très difficile de savoir si les 35 heures ont permis de créer 350 000, 500 000 ou 50 000 emplois, il est sûr en revanche que les politiques visant à alléger le coût du travail favorisent la création d’emplois. Sur ce point, la direction générale du Trésor dispose de données sur un temps assez long, puisqu’elles ont été collectées à l’époque où la direction de la prévision et de l’analyse économique existait encore. Les évaluations récentes, qui ont incité le Gouvernement à accentuer les allégements de charges et à déployer le CICE, ont été établies par nos services.

Pour répondre à vos questions, la direction du Budget, la direction générale du Trésor et les directions statistiques, DARES et INSEE, pourront vous proposer un chiffrage net, mais, si nous voulons être tout à fait honnêtes envers vous, il nous appartient d’assortir ce résultat d’importantes restrictions méthodologiques.

Mme la rapporteure. C’est le cas pour toutes les évaluations.

M. Jean-Pierre Gorges, président. Si, au gré de tous les changements de conjoncture intervenus entre 1998 et 2014, bien des mesures ont évolué, les 35 heures, elles, s’appliquent toujours. Quinze ans après leur mise en place, ne se retournent-elles pas contre nous ? Faut-il détricoter ce dispositif, comme le suggère M. Macron, qui précise prudemment qu’on doit le faire de manière intelligente, en maintenant une référence au seuil de 35 heures et en introduisant de la flexibilité branche par branche ? Renonçant à toute posture idéologique, il faut savoir si la mesure reste efficace, dans un contexte qui a considérablement changé. Je rappelle ce qui s’est passé pour l’article 1er de la loi TEPA. Voté en 2007, lors de la reprise de la croissance, il a perdu toute signification quand la conjoncture s’est retournée, fin 2008, puis en 2009, quand la situation s’est encore détériorée, ce qui fait qu’il n’a pas permis de créer une heure supplémentaire de plus.

Mme la rapporteure. Je reviens à ma question : si vous pouvez évaluer le coût brut de la mesure, que vous situez entre 11 et 13 milliards, pourquoi ne pouvez-vous le faire pour son coût net, ce qui vous amène à hésiter entre 1, 3 ou 5 milliards ?

M. Denis Morin. La création d’emplois dépend de la croissance, laquelle résulte de différents facteurs, et dépasse donc le cadre des 35 heures. Toutes les politiques menées depuis 1993 visent à enrichir le contenu de la croissance en emplois et à abaisser le niveau à partir duquel l’économie commence à créer de l’emploi. Dans les années 1990, ce niveau se situait à 2,5 %. Il est actuellement à 1,5 %, signe que les politiques menées par les gouvernements successifs ont porté leurs fruits. Le chômage actuel s’explique sans doute plus par le niveau de croissance que par le contenu de la croissance en emplois. Dans les années qui ont suivi la mise en place des 35 heures, le rythme des créations d’emplois par l’économie a été très supérieur, je le rappelle, à celui des Trente Glorieuses.

Je n’ai pas vocation à commenter les propos du ministre sous l’autorité duquel je travaille.

La tâche de la direction du Budget consiste à évaluer les coûts bruts. Elle possède des instruments qui lui permettent de le faire instantanément, bien que le sujet qui vous occupe soit particulièrement délicat. Nous pouvons travailler avec d’autres directions, comme nous l’avons fait pour le pacte de responsabilité et de solidarité, et proposer des hypothèses de coûts nets, s’il se dégage entre les économistes un consensus pour imputer aux 35 heures la création d’un certain nombre d’emplois.

Si l’on retient le chiffre de 350 000 emplois, le montant des cotisations supplémentaires atteint environ 4 milliards, auxquels s’ajoutent 2 milliards, montant des allocations de chômage non versées, et celui des recettes fiscales supplémentaires. Il s’est en effet créé à l’époque un cercle vertueux, que le ministère des finances n’avait pas intégré. Notre cœur de métier consistant pour votre part à évaluer les coûts bruts, à partir des données dont nous disposons sur les déterminants de la dépense, nous ne pouvons pas opérer ce calcul sans demander des chiffres à la DARES, à la DREES et la direction générale du Trésor.

M. Jean-Pierre Gorges, président. Cette estimation avait-elle été faite quand on a rédigé l’article 1er de la loi TEPA ? Il me semble que l’étude d’impact avançait le chiffre de 4,5 milliards.

M. Denis Morin. Je ne m’en souviens pas.

M. Gérard Sebaoun. Selon Alternatives économiques, on obtient un pourcentage du PIB constant si l’on agrège le coût de la fonction publique d’État et de celle des collectivités locales, signe que la diminution des effectifs de l’une est compensée par l’augmentation de l’autre. Confirmez-vous ce résultat ?

M. Denis Morin. Oui, bien que nous l’exprimions différemment. L’effort de productivité accompli par l’État entre 2007 et 2012, pendant la réorganisation liée à la RGPP, a détruit 150 000 emplois tant dans l’administration centrale, dont on a supprimé une direction sur deux, que dans les territoires. Ce résultat a été plus que compensé par les créations d’emplois dans la fonction publique territoriale et hospitalière. Cela dit, ce résultat est une photographie et non un élément de diagnostic, pouvant suggérer telle ou telle décision. Tous statuts confondus, il existe environ 5,5 millions d’agents publics, chiffre qui reste stable sur une longue période. Ce niveau d’administration publique est plus élevé que celui de nos voisins européens.

M. Denys Robiliard. Vous avez négligé de répondre à une de mes questions. Pour apprécier l’effet de l’alignement des SMIC sur la politique de l’emploi, considérez-vous le SMIC ou le SMIC chargé, sachant que les 35 heures ont permis d’alléger les charges ?

M. Denis Morin. Je vous répondrai par écrit sur ce point.

M. Jean-Pierre Gorges, président. Dans ce cas, je vous demanderai de le faire avant la fin de la semaine prochaine.

M. Denis Morin. Lorsque la multiplicité des SMIC, au début des années 2000, donne lieu à un rattrapage, l’effet sur la création d’emplois est incertain. Le dynamisme du SMIC, qui soutient la demande et la consommation, alourdit en même temps le coût du travail. Je laisse aux économistes le soin de mesurer l’impact net de cette mesure sur l’économie, ce que je ne suis pas en situation de faire. À l’issue du rattrapage, les gouvernements successifs n’ont pas choisi de donner un coup de pouce au SMIC, la tendance actuelle étant à la modération salariale. Je vous enverrai des informations écrites à ce sujet.

Mme la rapporteure. À vous entendre, le gouvernement n’avait pas prévu, avant comme après les élections, la croissance intervenue en 1998. Pourtant, lors de son audition, M. Jospin a indiqué qu’il n’aurait pas réalisé la réforme, si la croissance n’avait pas été au rendez-vous.

M. Denis Morin. Avant 1997, le ministère des finances n’anticipait pas de reprise forte de l’économie. Au cours des premiers mois de 1997, les différents responsables du ministère ne partageaient pas le même diagnostic sur les signaux envoyés par l’économie, qui étaient contradictoires, ce qui est fréquent dans une phase où l’activité s’infléchit. L’économie s’est accélérée durant toute l’année 1997. Aujourd’hui, au vu de toutes les séries disponibles de l’INSEE, on constate qu’elle est repartie au deuxième semestre de 1996. Il arrive qu’on interprète les signaux de manière erronée ou trop prudente.

Mme la rapporteure. M. Jospin avait-il donc mieux anticipé la conjoncture que la direction du Budget ?

M. Denis Morin. Du moins que la direction de la prévision et de l’analyse économique.

M. Jean-Pierre Gorges, président. Je vous remercie.

L’audition s’achève à midi.

Présences en réunion

Présents. - M. Jean-Pierre Gorges, M. Philippe Noguès, M. Denys Robiliard, Mme Barbara Romagnan, M. Gérard Sebaoun

Excusés. - M. Damien Abad, Mme Jacqueline Maquet