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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mercredi 6 février 2013

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 65

Présidence de M. Gilles Carrez, Président

–  Audition, en visio-conférence, de Sir John Vickers, économiste, directeur du All Souls College de l’université d’Oxford, sur la problématique de la séparation et de la régulation des activités bancaires

–  Présences en réunion

La Commission entend, en visio-conférence, Sir John Vickers, économiste, directeur du All Souls College de l’université d’Oxford, sur la problématique de la séparation et de la régulation des activités bancaires.

M. le président Gilles Carrez. Nous avons le grand plaisir d’être en relation, grâce à une liaison vidéo, avec Sir John Vickers, économiste, directeur du All Souls College de l'Université d'Oxford, qui a présidé, en 2011, une commission indépendante sur le système bancaire au Royaume Uni, dans la perspective d'une réforme structurelle.

Je vous remercie, Sir John, d'avoir accepté de vous entretenir avec nous, et je vous prie de bien vouloir excuser les quelques minutes de retard avec lesquelles nos échanges commencent. C’est que notre Parlement est fort occupé à débattre, depuis de nombreux jours, de l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe, une mesure dont j’apprends que le Parlement britannique l’a adoptée en quelques heures…

Le législateur français s'apprête à examiner un projet de loi qui tend à imposer la séparation des activités bancaires en cantonnant les activités spéculatives dans une filiale spécifique du groupe bancaire et à créer un système de résolution des défaillances bancaires. Il s'agit principalement d'éviter la prise en charge d'un défaut par les États, et donc par les contribuables.

Vos recommandations, Sir John, tendent à la séparation radicale des activités de la banque de détail et de celles de la banque d'investissement : la banque de détail ne devrait plus avoir d'activité pour compte propre ni d'activité de tenue de marché. Vous préconisez également un niveau de fonds propres élevé pour les banques ayant des activités à risque. Vos propositions ont été largement reprises par M. George Osborne, ministre des Finances, mais la date de leur entrée en vigueur ne cesse de reculer ; on parle aujourd’hui de 2019.

Le système que vous préconisez a-t-il, selon vous, valeur universelle, quel que soit le mode de financement de l'économie – en majorité par le marché comme au Royaume-Uni et aux États-Unis, ou par l'intermédiaire des banques, comme c'est le cas en France et en Allemagne ? Pourquoi vos propositions n’entreront-elles en vigueur qu’en 2019 ?

Sir John Vickers. Je mesure l’honneur qui m’est fait d’être invité à participer à vos travaux ce matin et je vous en remercie.

Il va sans dire que pour définir les recommandations que nous allions soumettre à notre gouvernement, nous avons analysé en détail le système bancaire britannique, caractérisé par des établissements de très grande taille, lesquels ont traversé une crise très dure dont nous continuons de subir les conséquences. Je n’ai jamais prétendu que nos propositions avaient valeur universelle, mais je pense que les principes qui les sous-tendent peuvent avoir une application générale ; j’observe d’ailleurs bien des points communs entre nos propositions et celles que contient le rapport Liikanen rédigé à la demande de la Commission européenne. L’approche retenue par M. Erkki Liikanen est, par nature, plus large que la nôtre, mais il s’agit aussi de combiner réforme structurelle et renforcement de la capacité de renflouement des banques endettées. Certes, le rapport Liikanen n’utilise pas le terme de « cantonnement, » mais le principe est le même, puisqu’il préconise la séparation, au sein d’une banque universelle, des activités de dépôt et des activités de marché. De même, aux États-Unis, on parle beaucoup de la réglementation Volcker, qui prend la suite du Glass-Seagall Act, loi qui tendait déjà à réglementer l’activité de trading ; la réglementation Volcker me semble avoir également de nombreux points communs avec le texte que vous examinez en ce moment.

Croire que notre gouvernement ne cesse de repousser la date d’entrée en vigueur de la réforme bancaire est une impression fausse. En lui remettant nos recommandations, en septembre 2011, nous préconisions une application complète fin 2018 ou début 2019, en même temps que l’accord Bâle III, selon un calendrier progressif en fonction des mesures proposées. Ainsi, la réforme relative à la concurrence sera probablement mise en place d’ici un an, et le cantonnement pourrait avoir lieu avant 2019.

Mme Karine Berger. Imaginons qu’en 2015 l’Union européenne adopte une directive relative à la régulation bancaire inspirée par le rapport Liikanen, alors que les propositions contenues dans votre rapport n’ont pas encore force de loi. Recommanderiez-vous que le texte de la directive l’emporte sur le projet de loi à l’étude au Royaume-Uni ?

Aux États-Unis, le rapport Volcker, cherchant à déterminer les activités ayant entraîné un risque systémique particulier, a mis l’accent sur la tenue de marché. Pour votre part, distinguez-vous dans l’utilisation des fonds propres par les banques ce qui relève de l’activité pour compte propre et de l’activité pour le compte des clients ?

Si les dispositions contenues dans le projet de loi que nous examinons en ce moment en France diffèrent quelque peu de celles que vous avez faites à votre gouvernement, c’est que nous avons tenu compte de l’existence de la « zone grise », celle dans laquelle les très grandes entreprises se financent. Quand un groupe comme Vinci cherche à financer, pour plusieurs centaines de millions d’euros, des projets de très vastes infrastructures à quinze ans, il ne traite pas avec une banque de dépôt, qui n’est pas outillée pour cela, mais avec une banque de marché. C’est la raison principale pour laquelle ni le gouvernement français ni M. Liikanen ne jugent pertinente la séparation des banques de dépôt et des banques de marché. Comment avez-vous traité cette question ?

Sir John Vickers. Notre commission a considéré – et nous avons été suivis par le gouvernement de M. Cameron – que la banque de détail devait être sanctuarisée dans une entité juridiquement séparée, d’autres catégories d’activités telles que la négociation pour compte propre, la tenue de marché ou encore les opérations sur dérivés devant avoir lieu hors cette enceinte cloisonnée. Dans ce schéma, le crédit à l’économie « réelle », qu’il s’agisse des entreprises de travaux publics ou des entreprises industrielles peut provenir de l’entité cloisonnée ou du reste de la banque, selon ce que décide librement l’établissement bancaire considéré. L’absence de contraintes à ce sujet est un des avantages de cette architecture, qui forme un cadre de long terme pour le financement de l’économie réelle. Je ne pense pas que cette approche pose de problème particulier.

Dans notre grande famille, on pourrait considérer les rapports Liikanen et Vickers comme des rapports frères, et le rapport Volcker comme leur oncle… Il y a en effet de nombreux points communs entre les propositions de la commission que je présidais et les recommandations du rapport Liikanen, et si ces dernières étaient mises en œuvre dans une directive européenne, elles seraient parfaitement compatibles avec la législation en préparation au Royaume-Uni. Je préfère cantonner la banque de détail ; pour Erkki Liikanen, ce sont les activités de marché qui doivent l’être. En d’autres termes, je cherche à éloigner la gazelle du lion et, plutôt que confiner la gazelle, Erkki Liikanen préfère confiner le lion
– aussi bien, sur le fond, même s’il existe effectivement quelques différences d’approche, les principes à l’œuvre sont similaires.

M. Liikanen propose notamment que si un régulateur estime que la résolution d’une défaillance bancaire oblige à des mesures plus draconiennes que le cantonnement initial, il puisse les prendre. Étant donné la taille et la nature des établissements bancaires britanniques, cette question doit être approfondie au Royaume-Uni, car une solution réellement sûre est indispensable, pour notre pays et pour l’Europe.

Nous voulions être certains que les contribuables ne seront plus appelés à la rescousse de banques lourdement endettées. Or, outre que la réglementation Volcker ne va pas assez loin pour l’éviter, on voit les difficultés éprouvées pour la mettre en œuvre aux États-Unis : quand on cherche à séparer les activités pour compte propre des autres, il est extrêmement difficile de déterminer où placer le curseur. Notre proposition à ce sujet comme celle d’Erkki Liikanen suppriment cette difficulté.

Cependant, le scandale de la manipulation du taux interbancaire Libor au Royaume-Uni, l’été dernier, a conduit à la création d’une commission parlementaire chargée d’analyser les normes professionnelles de notre système bancaire et les leçons à tirer de ces événements. Cette commission envisage de compléter les propositions que nous avons faites en les assortissant de mesures équivalentes à la réglementation Volcker. Je ne suis pas absolument sûr que ce serait une bonne chose, mais le débat est ouvert.

M. Christophe Caresche. Vous dites, Sir John, qu’éloigner la gazelle du lion ou confiner le lion plutôt que la gazelle revient au même. Est-ce si sûr ? Vous avez pour objectif la protection maximale des déposants mais, dans l’architecture que vous privilégiez, aucun frein n’est mis aux activités les plus spéculatives, dont vous considérez qu’elles peuvent se développer sans limitations. Ce n’est pas le schéma retenu dans le rapport de M. Liikanen, ni dans le projet de loi français qui s’en inspire.

Par ailleurs, dans le schéma que vous proposez, c’est à la banque que revient la décision de cantonner certaines activités ou de ne pas les cantonner. La commission parlementaire britannique ad hoc a en quelque sorte proposé d’« électrifier » la barrière de cantonnement en suggérant de donner au régulateur la possibilité d’imposer la séparation. Comment s’explique votre réserve à cette idée ?

Sir John Vickers. Pour répondre à votre première question, l’application de nos propositions modifierait beaucoup le comportement des banques d’investissement. Elles ne doivent plus être financées par les banques de détail, lesquelles bénéficient de la garantie de l’État et donc de subventions du contribuable ; cela crée une distorsion du marché inacceptable. Le coût réel du financement de ces opérations sera assumé par les banques elles-mêmes, comme il se doit.

La proposition de M. Liikanen visant à ce que l’exercice de certaines activités bancaires spéculatives soit subordonné à des contraintes en capital plus forte me convient tout à fait et il était dans son rôle en la formulant. Mais la tâche de notre commission était de donner des recommandations au gouvernement britannique et à lui seul. Ces recommandations devaient certes être compatibles avec la législation européenne ; cependant, la plupart des banques européennes sont des banques de détail, ce qui n’est pas le cas des banques britanniques. Imposer à ces dernières de se doter de fonds propres beaucoup plus importants aurait pu conduire à des arbitrages internationaux déplaisants pour elles. La différence de points de vue entre M. Liikanen et moi s’explique par le fait que les missions qui nous avaient été confiées n’étaient pas les mêmes.

L’idée d’« électrifier » la barrière de cantonnement est venue de la commission parlementaire ad hoc, qui veut être sûre que le système fonctionnera dans la durée et qui craint que la séparation interne ne s’érode au fil du temps. La commission considère que le cloisonnement résistera sans doute plus longtemps si le régulateur est doté d’un pouvoir de réserve. Autrement dit, si les pouvoirs publics peuvent imposer un cantonnement aux banques qui s’aviseraient de contourner les règles, la dynamique de régulation en sera renforcée, ce dont je me félicite. L’« électrification » de la barrière est donc entendue par la commission parlementaire comme une importante et utile arme de dissuasion ; ce n’est pas l’approche de la réglementation Volcker.

Mme Valérie Rabault. Dans la famille actuelle des textes relatifs à la régulation bancaire, quelle place donnez-vous au projet de loi français en gestation ? Vous avez évoqué le coût réel des liquidités selon les différentes activités bancaires. Pensez-vous qu’en certains cas elle est trop peu payée ?

Sir John Vickers. On pourrait voir dans le projet de loi français un petit cousin de la réglementation Volcker… Pour les raisons que j’ai dites, ce n’est pas l’approche que je recommanderai pour le Royaume-Uni, car elle ne suffirait pas à traiter les problèmes que nous connaissons. Sur le plan européen, je suis très favorable aux propositions du rapport Liikanen.

Il y a distorsion de concurrence quand certaines activités bénéficient de subventions implicites du contribuable. La Banque d’Angleterre souligne la difficulté d’évaluer le montant des subventions implicites. En se fondant sur les écarts de taux, on peut, selon moi, les estimer à bien plus de 10 milliards de livres sterling par an – et en période de fragilité économique, elles progressent considérablement.

Je vous soumets l’observation suivante : quand le marché a compris que le gouvernement envisageait de cantonner les activités bancaires de détail, les coûts de financement des activités d’investissement ont commencé de grimper au Royaume-Uni. Ce phénomène normal et sain correspond au fait que le risque n’est plus assumé par l’État mais par le marché, comme cela doit être.

M. Pascal Cherki. La concurrence fiscale sauvage entre pays pose un problème de fond, accentué par la survivance des paradis fiscaux qui facilitent l’« optimisation » fiscale. L’évasion fiscale et le manque à gagner qui en résulte sont insupportables au moment où l’on demande des efforts considérables aux citoyens. Ne faut-il pas s’attaquer aux paradis fiscaux, en Europe et hors d’Europe, et donc aux banques qui, comme les grands cabinets d’avocats, en sont de grands acteurs ? Une convention signée en 1968 permet des échanges d’informations fiscales à ce sujet entre la France et le Royaume-Uni, mais elle ne vaut ni pour l’Île de Man, ni pour les îles anglo-normandes, ni pour Gibraltar. Seriez-vous favorable à l’évolution du statut des activités bancaires dans ces territoires ?

M. le président Gilles Carrez. Je rappelle qu’une convention relative à l’échange de renseignements en matière fiscale a été signée il y a trois ans entre la France et l’Île de Man.

M. Pascal Cherki. Soit ; la question reste posée pour les îles anglo-normandes et pour Gibraltar.

Sir John Vickers. Je ne suis pas particulièrement versé dans la question des paradis fiscaux, et le sujet ne figurait pas au menu de la commission que je présidais. Les questions de réglementation fiscale ont ceci de difficile qu’elles doivent avoir un fondement bien établi et que les politiques suivies doivent être acceptées au niveau international – par les pays membres du G20 notamment, conformément aux objectifs de la réforme visant à la stabilité financière. Le risque inhérent aux différences réglementaires nationales est, comme vous l’avez souligné, celui d’arbitrages internationaux. C’est pourquoi les banques britanniques se sont inquiétées de l’entrée en vigueur de règles qui, si elles sont mal pensées, pourraient nuire à leur compétitivité. Aussi avons-nous agi avec prudence : si nous avions recommandé de porter le niveau obligatoire des fonds propres des banques britanniques au double de celui qui est exigé des autres établissements bancaires de par le monde, le risque d’un arbitrage international en leur défaveur n’aurait pas manqué de se poser. Dans le même temps, nous considérons qu’une plus grande stabilité bancaire au Royaume-Uni, loin d’être néfaste, serait positive et pour notre pays et pour l’Europe. Aussi avons-nous défini un ensemble de mesures radicales mais calibrées de manière à éviter des arbitrages internationaux dommageables pour nos banques.

M. Pierre-Alain Muet. En annonçant une réforme forte mais applicable en 2019 seulement, ne créez-vous pas une forme d’équilibre de Nash, tel que tous les pays feront des annonces semblables sans qu’aucun ne prenne le risque de se lancer le premier ? Par ailleurs, dans le schéma que vous proposez, quelles sont les relations entre banques et fonds spéculatifs ?

Sir John Vickers. Nous avons toujours pris en considération le cadre législatif européen et nous nous sommes attachés à préserver la cohérence entre les recommandations que nous étions appelés à formuler et les dispositions de l’accord Bâle III, qu’il s’agisse du niveau de capital requis, des ratios de liquidité, de la résolution des défaillances bancaires ou du débat sur les banques parallèles et les fonds spéculatifs. Je vous l’ai dit, la date de 2019 a été retenue parce que c’est celle de l’entrée en vigueur de l’accord Bâle III. Mais, s’agissant des exigences en capital, nos recommandations outrepassent très largement les dispositions prévues dans ce cadre : nous incitons à exiger des banques un ratio de fonds propres minimum de 10 % par rapport aux actifs pondérés des risques – bien davantage, donc, que les 7 % prévus.

Je ne vois pas de tension entre le calendrier envisagé au Royaume-Uni et celui de l’Union européenne. Dans le cadre de la proposition CRD IV, il a été établi que les États qui veulent aller au-delà de la base définie le peuvent, dans certaines limites. Nous ne pouvions traiter des banques isolément de l’ensemble du secteur financier, et nous nous sommes attachés à le faire en tenant compte de la manière dont la crise a pris de l’ampleur. Le drame s’est noué en raison de la contagion, de la propagation du feu dans les banques et entre les banques, entre les établissements financiers classiques et les banques parallèles. Il est d’ailleurs frappant de constater le rôle majeur joué par les banques européennes – dont les banques britanniques et françaises – dans le développement des fonds spéculatifs. C’est pourquoi nous avons voulu nous assurer que tous les circuits de transmission entre le secteur bancaire classique et le secteur « parallèle » seraient désormais coupés, par un système de confinement plus sûr que ce que permet la réglementation Volcker à elle seule.

Je note enfin que l’endettement des fonds spéculatifs est moindre que celui des banques classiques : comme ils ne sont pas subventionnés par le contribuable, ils doivent payer leur financement au coût réel, comme il est normal.

M. Éric Alauzet. Selon vous, quel impact auront sur les autres textes les premiers qui entreront en vigueur – bridage, frein, étalon, accélérateur, levier permettant d’aller plus vite et plus fort ? S’agissant des paradis fiscaux, l’opacité dans laquelle opèrent les filiales bancaires installées dans certains États ou territoires ne rend-elle pas leurs activités plus dangereuses ? La transparence ne doit-elle pas être la règle ? Enfin, en cas de défaillance bancaire, êtes-vous partisan, pour que cesse « l’aléa moral » dont jouissent les établissements d’importance systémique, d’appeler en règlement tous les créanciers, et notamment les porteurs de dette senior ?

Sir John Vickers. Pour répondre à votre première question, la proposition britannique est plus ambitieuse que les réformes en ce domaine qui ont fait l’objet d’un accord international à ce jour. Ce n’est pas surprenant : étant donné la place occupée par les banques dans son économie, le Royaume-Uni se trouve confronté à un problème auquel il doit apporter une solution ferme, dans son intérêt et dans celui de l’Europe. On a constaté au cours du débat sur la proposition de directive CRD IV que certains États voulaient aller plus loin que ce sur quoi l’accord s’est fait. Je ne vois là rien d’anti-européen : l’Union européenne aura tout à gagner si les banques britanniques sont plus sûres. Cinq ans après le déclenchement de la crise, on n’a guère traité de réformes structurelles. Aux États-Unis, la réglementation Volcker est venue compléter une structure de séparation existante ; en Europe, il a fallu l’installation de la commission Liikanen pour que les questions structurelles soient finalement débattues. Nous avons avancé nos propres propositions et nous attendons maintenant une évolution du débat européen, mais nos objectifs devraient être accueillis favorablement par l’Europe.

S’agissant des filiales off-shore, nous avons recommandé qu’aucune filiale d’un groupe installée hors d’Europe ne puisse ni être intégrée à la banque de détail cantonnée, ni lui être liée. Pendant la crise, des banques de détail ont dû mobiliser d’énormes ressources pour sauver quantité de filiales prétendument hors bilan, situées très loin du continent européen, et dont les activités étaient très éloignées de l’activité bancaire classique. Cette contagion néfaste pour le contribuable ne doit pas se reproduire, et nous avons recommandé des mesures visant à prévenir une répétition.

Comme Erkki Liikanen, je considère qu’indépendamment des fonds propres, la capacité d’absorption de leurs pertes par les banques doit être très fortement augmentée. Parce que ce n’était pas le cas en 2008-2009, les porteurs de dette se sont trouvés dans une situation extrêmement difficile. La faillite menaçait, mais parce que les Gouvernements ne pouvaient laisser la banqueroute s’accomplir, c’est le contribuable qui a payé les pertes. Depuis lors, des progrès ont eu lieu mais il faut faire davantage pour être certain que si résolution il doit y avoir, elle se fera selon un schéma tel que ce sont les établissements défaillants qui régleront la dette et non plus le contribuable. J’espère que le débat sur la directive relative à la résolution bancaire progressera et que l’accord Bâle III permettra des étapes supplémentaires à propos du renflouement interne et des questions transfrontalières.

M. Christian Eckert, rapporteur général. Quel jugement portez-vous sur les exigences de l’accord Bâle III ? Les estimez-vous satisfaisantes ou excessives ? Sont-elles compatibles avec le besoin de croissance ?

Sir John Vickers. Selon moi, le niveau de fonds propres obligatoires défini dans l’accord Bâle III n’est pas assez ambitieux. Avoir fixé un ratio de fonds propres minimum de 7 % par rapport aux actifs pondérés des risques constitue un grand progrès, mais s’en tenir là permet encore un niveau d’endettement très excessif, tel qu’il suffit qu’une banque perde 3 % de ses actifs pour couler. Il serait donc préférable de fixer le ratio à 9 %, voire 9,5 %, pour les banques d’importance systémique, mais il reste à savoir si même ce taux est suffisant.

Au Royaume-Uni, nous avons proposé de fixer le ratio à 10 % pour les banques de détail, et demandé aussi qu’elles renforcent leur capacité d’absorption des pertes. Nous sommes toutefois confrontés à un dilemme : étant donné la situation de l’économie en général et des banques en particulier, si elles sont contraintes de porter leurs fonds propres à 10 % de leurs actifs pondérés des risques d’ici 2015, nous nous trouverons en grande difficulté. C’est pourquoi nous avons décidé de maintenir à 2019 la date butoir pour l’application de cette mesure, en même temps que s’appliquera l’accord Bâle III. Certains ont vivement critiqué cette décision, considérant ce délai comme beaucoup trop long. Mais il faut tenir compte de la situation économique et éviter que la réforme n’ait des effets contreproductifs. Il en va de même pour l’assainissement des finances publiques : si l’on ne dispose pas du temps nécessaire, on risque de graves difficultés. Je souhaiterais un seuil prudentiel plus élevé, mais le programme doit être établi sur plusieurs années. J’insiste à nouveau sur le fait que, pour éviter la répétition de la situation connue en 2009, les banques doivent, en plus de fonds propres renforcés, avoir une capacité plus grande de renflouement interne.

Mme Marie-Christine Dalloz. La proposition de directive sur la résolution des défaillances bancaires prévoit explicitement de faire supporter les pertes aux porteurs de dette « senior ». De cela, le projet de loi français ne dit mot. Pensez-vous qu’il serait pertinent d’y intégrer ultérieurement une telle disposition, ou pouvons-nous nous y soustraire ?

Accord Bâle III, projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires en cours d’examen en France, proposition de directive sur la résolution des défaillances bancaires… Ne peut-on craindre que l’application de ces textes n’entrave l’économie, dont le développement demande de considérables financements ?

Sir John Vickers. Je ne vois pas que la réforme bancaire fasse courir de risques, à condition que le calendrier adopté pour la mener à bien soit sensé. Il est indispensable pour l’économie « réelle » de mieux assurer la stabilité du système bancaire. On a vu quel est le coût de l’instabilité : l’endettement excessif des banques et l’absence de séparation interne en fonction des activités ont été à l’origine d’une situation extraordinairement périlleuse et de graves problèmes économiques de long terme. Les autorités politiques nationales et européennes doivent saisir l’occasion qui leur est donnée de réformer ce qui doit l’être, précisément pour permettre la croissance économique. Pour notre part, nous avons demandé que les fonds propres des banques soient fixés à un niveau plus élevé que prévu par l’accord Bâle III, que le seuil d’endettement autorisé soit abaissé, que la capacité d’absorption des pertes et de résolution des défaillances soit renforcée, et nous avons proposé le cantonnement des activités de banque de détail pour les sécuriser.

La proposition de directive européenne sur la résolution des défaillances bancaires traduit les initiatives de réforme prises dans les pays de l’Union. On y lit des différences de détail avec les propositions britanniques, mais l’objectif est le même : réduire l'exposition des contribuables aux risques de faillite. Selon moi, l’approche est plus crédible si, au sein des banques universelles, la séparation des activités bancaires est faite d’emblée. Certains établissements ont un nombre de filiales considérable ; séparer la banque de détail servirait l’intérêt général et, loin de signer la fin des banques universelles, cette réforme structurelle leur assurerait un nouvel avenir.

On a vu, lors de la crise, que les créanciers porteurs de dette senior ont évité les pertes. Il importe qu’en cas d’insolvabilité d’une banque les fonds des déposants soient protégés. Pour cela, une nouvelle hiérarchie des créanciers doit voir le jour.

M. Guillaume Bachelay. On constate que la séparation des activités bancaires peut être régie par un éventail de principes. Au-delà, se pose la question des objectifs que se fixent les banques. Selon un rapport de la Commission européenne, entre octobre 2008 et octobre 2011, les aides des États membres – pour l’essentiel en garantie - en faveur des établissements financiers ont représenté près de 40 % du PIB de l’Union européenne. C’est dire que les plans de sauvetage n’ont pas incité les banques à réduire les risques. Ne devrait-on les contraindre à justifier à quelles fins elles utilisent les fonds qui leur ont été confiés par les contribuables ? Ne devrait-on instituer des sanctions applicables aux banques qui préfèrent payer une amende plutôt que de rendre des comptes sur des pratiques plus que discutables ?

Sir John Vickers. Le Glass Steagall Act avait déjà pour objectif de scinder les activités bancaires pour garantir la sécurité des déposants. Si certaines dispositions de cette loi ont été abrogées en 1999, d’autres demeurent en vigueur, notamment celle qui fait l’objet de l’article 23A du Federal Reserve Act et qui règle les transactions entre les banques membres de la Réserve fédérale et celles de leurs filiales qui ne sont pas des établissements bancaires. Cette disposition a été complétée par le Dodd-Franck Act. Ainsi, aux États-Unis, la séparation des activités est structurée de longue date ; ce n’est pas le cas en Europe, où toutes sont indifféremment exercées au sein des mêmes entités. C’est à quoi les réformes proposées par les « frères» Vickers et Liikanen veulent remédier.

Vous avez évoqué le fait que les aides des États membres aux établissements financiers ont représenté quelque 40 % du PIB de l’Union européenne. Ce montant reflète l’exposition du contribuable, donne la mesure de l’incapacité du secteur bancaire à absorber ses pertes et indique qu’il y a cinq ans les gouvernements ne se sont pas lancés dans une réforme structurelle. L’impératif social et économique était certes de maintenir l’activité des banques classiques, mais cela a conduit à devoir sauver la Royal Bank of Scotland qui, aucune réglementation ne l’en empêchant, se livrait sans mesure à de tout autres activités que la seule banque de détail.

Le cantonnement que je recommande entraînera en soi plus de transparence : l’entité séparée aura un conseil d’administration propre et sera contrainte de publier un rapport d’activités distinct, ce qui facilitera la tâche du régulateur. Et, avec l’« électrification » de la barrière de cantonnement, celui-ci disposera en outre d’un pouvoir de réserve qu’il ne sera pas obligé d’exercer mais qui lui permettra d’exiger une séparation totale des activités de la banque en cas de nécessité.

Mme Sandrine Mazetier. Vous avez indiqué que les acteurs ayant anticipé une réglementation bancaire plus stricte au Royaume-Uni, les coûts de financement des activités de marché ont augmenté. Pouvez-vous nous dire dans quelle proportion, et si l’augmentation a été uniforme ?

Sir John Vickers. De nombreuses banques se sont opposées à la fixation d’un ratio de fonds propres plus élevé, arguant que cette immobilisation leur coûtait très cher. Mais j’observe qu’étant donné l’intervention du contribuable et le fait que les porteurs d’obligations ont assumé les pertes, leur dette leur a coûté moins cher que les fonds propres…Mon collègue Martin Wolf a fait valoir aux banques qui s’opposent à l’exigence d’augmentation de leurs fonds propres que si la chose leur pose un si grand problème alors que le ratio est toujours calculé en fonction des actifs pondérés des risques, c’est qu’elles doivent se livrer à des activités décidément très risquées.

Il est très difficile d’estimer la différence des coûts de financement entre maintenant et l’époque où nous mettions la dernière main à nos travaux, en août et septembre 2011, car la zone euro traversait à ce moment une zone de turbulence. Certains analystes ont effectivement parlé de reprofilage du risque. Je ne considère pas cela comme un problème : c’est le marché qui prendra le risque et qui le paiera, comme il le faut – et le marché ne fonctionne pas de manière très satisfaisante quand l’endettement des banques est excessif. L’évolution que nous appelons de nos vœux permettra que le contribuable ne porte plus ce fardeau.

M. Alain Fauré. À quel danger la France peut-elle s’exposer en adoptant, avant tous les autres pays européens et avant même l’entrée en vigueur de l’accord Bâle III en 2019, une loi stricte de séparation et de régulation des activités bancaires ?

Sir John Vickers. Tout dépend de la nature des mesures adoptées. Étant donné la conjoncture économique, un État commettrait une erreur en imposant aux banques un ratio de fonds propres minimum de 10 % par rapport aux actifs pondérés des risques d’ici la fin de 2014. Ce serait trop hâtif. Il faut procéder par étapes et déterminer un calendrier du type de celui qui a été retenu dans l’accord Bâle III. En revanche, les réformes structurelles peuvent être menées à bien beaucoup plus vite. Ainsi, au Royaume-Uni, la loi ad hoc sera adoptée d’ici un an et le cantonnement des activités de détail entrera en vigueur bien avant 2019, selon des modalités qui ne mettront pas en péril l’économie « réelle ». De même, certaines recommandations relatives à la concurrence – celles qui visent par exemple à faciliter le passage d’un client d’une banque à une autre - pourraient entrer en vigueur dès septembre 2013, ce qui serait hautement souhaitable, car le plus tôt sera le mieux.

En bref, il faut des dispositions réfléchies prises selon un calendrier mûrement pensé par des législateurs et des exécutifs déterminés et vigilants. Une indéniable résistance à la réforme se manifeste, malgré laquelle les autorités politiques doivent mener à son terme ce programme international d’une extrême importance. Il y a encore beaucoup à faire, qu’il s’agisse de la proposition de directive, des recommandations de la commission Liikanen, des réformes engagées au Royaume-Uni et en France, de l’accord Bâle III ou du secteur des banques parallèles. Nous avons la responsabilité collective de saisir l’occasion qui nous est donnée de créer un système bancaire beaucoup plus sûr, comme le législateur américain et le président Roosevelt ont su le faire en leur temps.

M. le président Gilles Carrez. Je vous remercie très chaleureusement, Sir John. Chacun, ici, a apprécié la clarté de vos réponses. J’espère que la France ira dans le bon sens.

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Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mercredi 6 février 2013 à 9 heures

Présents. - M. Éric Alauzet, M. Guillaume Bachelay, M. Dominique Baert, M. Laurent Baumel, M. Jean-Marie Beffara, Mme Karine Berger, M. Étienne Blanc, M. Christophe Caresche, M. Gilles Carrez, M. Christophe Castaner, M. Gaby Charroux, M. Jérôme Chartier, M. Pascal Cherki, M. Alain Claeys, Mme Marie-Christine Dalloz, Mme Carole Delga, M. Christian Eckert, M. Alain Fauré, M. Olivier Faure, M. Marc Francina, M. Claude Goasguen, M. Marc Goua, M. Régis Juanico, M. Jérôme Lambert, M. Jean-François Lamour, M. Jean Lassalle, M. Thierry Mandon, M. Hervé Mariton, Mme Sandrine Mazetier, M. Pierre-Alain Muet, M. Michel Pajon, Mme Christine Pires Beaune, Mme Valérie Rabault, M. Pascal Terrasse, M. Gérard Terrier, M. Thomas Thévenoud, Mme Hélène Vainqueur-Christophe, M. Philippe Vigier, M. Éric Woerth

Excusés. - M. Xavier Bertrand, M. François Cornut-Gentille, M. Olivier Dassault, M. Jean-Claude Fruteau, Mme Annick Girardin, Mme Arlette Grosskost, M. Patrick Lebreton, M. Marc Le Fur, M. Thierry Robert, M. Nicolas Sansu, M. Michel Vergnier

Assistaient également à la réunion. - M. Razzy Hammadi, Mme Anne-Yvonne Le Dain

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