Accueil > Travaux en commission > Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mercredi 20 février 2013

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 72

Présidence de M. Gilles Carrez, Président

–  Audition de M. Pascal Coudin, avocat-conseil en droit fiscal, président de l’institut des avocats-conseils fiscaux (IACF) et M. Luc Jaillais, avocat-conseil en droit fiscal, membre de la commission Fiscalité du patrimoine de l’IACF, sur l’incidence de la fiscalité sur les départs de France de contribuables français

–  Présences en réunion

La Commission procède à l’audition de M. Pascal Coudin, avocat-conseil en droit fiscal, président de l’institut des avocats-conseils fiscaux (IACF) et de M. Luc Jaillais, avocat-conseil en droit fiscal, membre de la commission Fiscalité du patrimoine de l’IACF, sur l’incidence de la fiscalité sur les départs de France de contribuables français.

M. le président Gilles Carrez. Nous recevons aujourd’hui M. Pascal Coudin, avocat-conseil en droit fiscal, président de l’Institut des avocats-conseils fiscaux – IACF – et M. Luc Jaillais, lui aussi avocat-conseil en droit fiscal, membre de la commission Fiscalité du patrimoine de l’IACF, que nous interrogerons sur l’incidence de la fiscalité sur les éventuels départs de certains de nos compatriotes vers des pays plus accueillants fiscalement.

Nous avons entendu hier M. Bruno Bézard, directeur général des finances publiques, sur ce même sujet et avons été surpris de constater qu’il avait très peu d’éléments à nous communiquer. Je remercie mes collègues de s’être montrés créatifs en formulant des suggestions pour l’exploitation des renseignements dont dispose l’administration fiscale. Ce travail de définition d’indicateurs permettant de mesurer les départs et leur éventuelle accélération ne fait assurément que commencer et nous irons jusqu’au bout.

Messieurs, quelle relation pourrait-il y avoir, selon vous, entre la fiscalité et les départs vers d’autres pays ? Face aux rumeurs et aux fantasmes qu’alimente cette question, et au vu des interrogations dont nous sommes harcelés par nos concitoyens, il est temps que nous puissions nous doter d’indicateurs permettant de mieux diagnostiquer ce phénomène.

M. Pascal Coudin, président de l’Institut des avocats-conseils fiscaux. L’Institut des avocats-conseils fiscaux – IACF – rassemble environ 1 500 avocats fiscalistes, soit environ la moitié de la profession. Ses activités principales consistent principalement à assurer la formation professionnelle des avocats fiscalistes et à contribuer à l’élaboration de normes fiscales intelligibles et prévisibles, permettant aux particuliers et aux entreprises de respecter leurs obligations dans de bonnes conditions de sécurité. Nous participons ainsi aux consultations que mène l’administration avec les professionnels lorsqu’elle envisage la publication d’une nouvelle doctrine administrative. Nous nous efforçons aussi – mais avec moins de succès – de proposer des aménagements des textes lors du processus législatif pour en assurer l’intelligibilité. Peut-être la présentation que nous ferons aujourd’hui nous permettra-t-elle d’être entendus par votre Commission.

Bien que le thème de l’audition de ce jour concerne essentiellement les personnes physiques, il n’est pas inutile d’évoquer rapidement aussi le cas des entreprises. Jusqu’à une date récente, on considérait qu’une entreprise établie en France ne pouvait pas se transférer à l’étranger, car ce transfert supposait sa dissolution et impliquait d’importantes conséquences fiscales. Or, le droit communautaire permet aujourd’hui aux sociétés françaises de transférer leur siège social dans un pays de l’Union européenne tout en conservant leur personnalité morale et sans coût fiscal prohibitif, ce qui peut les conduire à envisager cette opération.

Au lendemain de l’annonce de la taxation de 75 % sur les très hauts revenus, de nombreuses sociétés ont étudié la possibilité d’un transfert de leur siège social hors de France – même si une telle décision, lourde de conséquences, n’obéit pas seulement à des considérations fiscales. La taxe de 3 % sur les distributions de dividendes a pu elle aussi nourrir les mêmes réflexions.

Certes, aucune des sociétés du CAC 40 n’a transféré son siège social, mais deux petites sociétés cotées l’ont fait, en direction du Luxembourg. Est-ce l’amorce d’un mouvement ?

M. Thierry Mandon. De quelles sociétés s’agit-il ?

M. Pascal Coudin. Je pourrai communiquer leurs noms au président de la Commission.

M. le président Gilles Carrez.  Cette possibilité de transfert est liée au statut de société européenne. Le phénomène que vous décrivez n’est donc possible qu’en direction d’un pays européen.

M. Pascal Coudin. En effet. Les difficultés juridiques restent plus importantes en cas de départ vers un pays extérieur à l’Union européenne.

Il n’était pas inutile d’évoquer le cas des sociétés. En effet, la délocalisation de grandes sociétés du CAC 40 vers la Belgique ou la Grande-Bretagne créerait certainement plus d’émoi que le départ de quelques acteurs ou footballeurs.

M. Luc Jaillais, membre de la commission Fiscalité du patrimoine de l’IACF. En tant qu’avocats fiscaux, nous sommes des observateurs privilégiés des décisions de délocalisation des personnes physiques.

Notre premier axe d’accompagnement consiste à faire prendre conscience à nos clients que la perte de la résidence fiscale française et l’acquisition d’une résidence fiscale étrangère suppose beaucoup de contraintes et de sacrifices. Les récents projets de loi de finances ou de loi de finances rectificative, notamment le projet de loi de finances rectificative de cet été, qui a instauré la contribution exceptionnelle au titre de l’ISF, ont suscité une certaine fièvre, puis le rythme s’est ralenti. Nous observons cependant un flux constant de personnes qui viennent se renseigner, mais nous ne sommes pas en mesure d’apprécier le taux de réalisation des délocalisations. Les départs tiennent à des causes diverses.

Au-delà du sentiment d’imposition excessive, l’instabilité et l’inflation des textes législatifs à portée fiscale sont mal perçues et suscitent des irritations. Le code général des impôts ne cesse en effet de prendre de l’embonpoint et les textes sont souvent difficiles à comprendre, tant pour le profane que pour les conseils que nous sommes. C’est le cas par exemple pour la dernière loi de finances : nos clients s’irritent lorsque nous ne savons pas répondre à leurs questions précises avant d’avoir reçu les instructions administratives correspondantes.

M. le président Gilles Carrez. Une commission créée voilà quatre ans et présidée par M. Olivier Fouquet, qui dirigeait alors la section des finances du Conseil d’État, était destinée à mettre en place des procédures permettant d’associer en amont les professionnels à l’élaboration des textes réglementaires d’application de la loi fiscale. Il m’a été dit que cette nouvelle approche était réellement appliquée.

M Luc Jaillais. Comme d’autres organismes, nous sommes consultés – et parfois entendus – pour l’élaboration de certaines instructions, même si ce n’est pas toujours le cas. Nous ne le sommes pas, en revanche, pour les textes réglementaires.

M. Pascal Coudin. Les textes réglementaires ne sont pas une source très importante du droit fiscal. Ce qui compte, ce sont la loi et les commentaires administratifs. Depuis trois ou quatre ans, les grands projets d’instructions administratives font l’objet d’une consultation et les avocats peuvent formuler leurs commentaires. C’est une réelle avancée.

M Luc Jaillais. Nos clients sont très heurtés par l’imprévisibilité des situations juridiques. De fait, des planifications patrimoniales sont parfois fortement contrariées par des modifications législatives, ce qui suscite un sentiment de « ras-le-bol ».

Nos clients sont également très sensibles à la rétroactivité des textes qui, même si elle est validée par le Conseil constitutionnel, s’applique parfois violemment et entraîne des conséquences qui, si minimes soient-elles, peuvent être le catalyseur d’une décision de départ. Ainsi, l’un de mes clients, qui avait opté pour le prélèvement libératoire sur les dividendes des sociétés immobilières cotées en 2011, avait réduit ses acomptes prévisionnels en anticipant un impôt sur le revenu moins élevé que l’année précédente. Or, le prélèvement ayant cessé d’être libératoire, il a dû s’acquitter de majorations pour insuffisance d’acompte. De telles situations, même si elles entraînent des enjeux financiers modestes, sont très irritantes pour les contribuables touchés.

Toutes les catégories fiscales sont concernées. Les motifs du départ peuvent également être liés à la transmission successorale, car le champ d’application des droits de donation s’est considérablement élargi depuis la fin des années 1990 et ses taux ont atteint des niveaux qui peuvent paraître excessifs à certains contribuables. Il est préoccupant de constater que la délocalisation peut toucher aujourd’hui deux ou trois générations : des familles entières quittent la France pour procéder à des transmissions à l’abri des droits de succession et de donation français.

L’impôt de solidarité sur la fortune – ISF – est également un facteur de départ, phénomène qui s’est accentué avec le plafonnement du plafonnement, après 1995. Aujourd’hui, le rapport entre le taux marginal d’imposition de 1,5 % et la performance d’un placement sécurisé atteignant au mieux 2 % net d’impôts est un autre motif d’insatisfaction pour les contribuables. Bien que le Conseil constitutionnel ait vu dans l’exonération de certains biens, comme les biens professionnels et les œuvres d’art, une justification de ce taux, certains contribuables, notamment ceux qui cèdent une entreprise, subissent une déprofessionnalisation violente de leur patrimoine et sont soumis à un niveau d’ISF inédit pour eux. Constatant que, compte tenu de ce taux, leur capital ne leur rapportera rien, ils peuvent être conduits à envisager un départ.

Le bouclier fiscal, s’il n’a pas fait revenir grand-monde, a du moins ralenti le flux des départs. Les contribuables déjà devenus non-résidents ont observé avec circonspection l’évolution de ce dispositif avant d’envisager un retour. Or, la dégradation du bouclier fiscal sur des points techniques tels que les dividendes ou l’imputation des déficits, notamment fonciers, a pris à revers certains de nos clients qui espéraient voir leurs revenus immobiliers locatifs garantis.

L’impôt sur les plus-values a conduit de nombreux contribuables à quitter la France pour réaliser des plus-values sous des cieux moins taxés. Le dispositif d’exit tax a un effet inattendu sur la sociologie des départs : au lieu de partir aux alentours de la soixantaine, lors de la cession de leur entreprise, les contribuables envisagent désormais la délocalisation avant que l’entreprise n’ait atteint une valeur trop élevée. Ils sont donc souvent loin de vendre leur société et le montant échappant à l’impôt est certainement bien plus élevé que le milliard d’euros recensé par la Direction générale des finances publiques – DGFIP –.

La contribution sur les revenus et la contribution exceptionnelle ont conduit de nombreux contribuables à s’interroger et nous avons été consultés par des états-majors de grands groupes internationaux ou par des équipes de gestion de fonds d’investissement pour évaluer l’impact de ces mesures. Il est apparu que ces équipes auraient intérêt à envisager une délocalisation à Londres si elles pouvaient en assumer les implications personnelles. Malgré la censure du Conseil constitutionnel, qui a atténué cette réflexion, nos clients sont attentifs à l’évolution de la législation.

M. Henri Emmanuelli. Et les carried interests ?

M Luc Jaillais. Les carried interests concernent une population très réduite, mais la taxation de ces revenus pourrait inciter la très efficace industrie française du private equity à se transporter en Grande-Bretagne, ce qui lui serait très facile.

Nous avons également observé le départ de personnes de culture anglo-saxonne qui, par tradition familiale et non pas dans un but d’évasion fiscale, sont dotées de trusts destinés à organiser leur succession. En effet, lorsque ces personnes apprennent que, si elles venaient à décéder en France, les actifs du trust destinés à leurs enfants non-résidents pourraient être assujettis aux droits de succession, il arrive qu’elles quittent notre pays où elles séjournaient depuis plus longtemps que le délai de six années de résidence fiscale fixé par la loi.

Par ailleurs, depuis la disparition de la « cellule de dégrisement » créée lors de la campagne lancée en 2009 pour permettre la régularisation des avoirs occultes, nous n’avons plus de cadre à proposer à nos clients qui souhaiteraient régulariser leur situation dans des conditions sereines. Ce peut être là aussi un motif d’expatriation. Il serait utile de pouvoir disposer d’une cellule permettant d’accueillir ces contribuables – certes sans complaisance, mais sereinement et dans un cadre connu.

M. Henri Emmanuelli. C’est choquant ! Il y a une loi !

M Luc Jaillais. Sociologiquement, nous observons un fort rajeunissement des personnes qui partent pour l’étranger : alors qu’il s’agissait, voilà encore dix ans, de personnes âgées de plus de soixante ans désireuses de toucher des plus-values ou de plus de soixante-dix ans soucieuses d’organiser leur succession, nous voyons aujourd’hui partir des quinquagénaires, des quadragénaires et parfois même des trentenaires.

En outre, le niveau de patrimoine des expatriés a lui aussi changé : alors que les montants se chiffraient autrefois en dizaines de millions d’euros, on voit aujourd’hui des quinquagénaires ayant développé et revendu un patrimoine professionnel partir avec 5 ou 6 millions d’euros pour poursuivre leurs activités hors de France. C’est là encore un phénomène nouveau.

M. Pascal Coudin. Le pacte Dutreil permet de réduire efficacement les droits de donation et de succession pour la transmission des entreprises. Ce dispositif, bien que complexe, devrait se révéler satisfaisant pour éviter la délocalisation. Cependant les transmissions familiales sont assez peu nombreuses en France – une étude récente de la BPCE a fait apparaître un taux de 14 %, contre plus de 50 % chez nos partenaires européens. Si donc nous disposons des outils, nous n’avons pas toujours ceux qui pourraient les utiliser.

M. Pascal Cherki. Votre profession joue, avec les banques, un rôle non négligeable dans la construction des montages légaux permettant d’utiliser au maximum les ressources que fournit le droit.

La frontière est parfois assez ténue entre l’exil fiscal et le blanchiment. Or, malgré le devoir de déclaration qui vous incombe en cas de soupçon de blanchiment, l’analyse détaillée de l’activité déclarative des professionnels qui figure dans le rapport de Tracfin pour 2011 fait apparaître que, sur les 22 856 déclarations de soupçon transmises à cet organisme, une seule émanait des avocats. Vous avez du reste attaqué le décret vous obligeant à participer à ce mécanisme de déclaration au même titre que les banques, les changeurs manuels et les compagnies d’assurance.

Cette unique déclaration émanant des avocats reflète-t-elle donc l’intégrité de tous vos clients ? Peut-être la profession des avocats devrait-elle contribuer à la lutte contre l’évasion fiscale et le blanchiment.

Mme Valérie Pécresse. La semaine dernière, dans la circonscription dont je suis élue, des artisans, commerçants et patrons de petites et moyennes entreprises qui avaient souhaité me rencontrer pour évoquer l’alourdissement de la fiscalité m’ont indiqué qu’ils étaient sollicités chaque semaine par des fiscalistes qui leur proposaient de délocaliser leur activité ou leur siège social au Luxembourg, voire leurs bénéfices dans des pays où la fiscalité est plus réduite. Qu’en est-il de la fiscalité des entreprises, notamment de l’impôt sur les sociétés ?

M. Thierry Mandon. Avez-vous été consultés, au cours des derniers mois, par de jeunes entrepreneurs ou créateurs s’interrogeant sur la localisation de leur activité ?

M. Marc Goua. Chaque année, lorsque la loi de finances « sort », vous êtes consultés pour en identifier les failles. Comment voyez-vous votre travail dans ce cas ?

Par ailleurs, vous avez signalé une recrudescence de départs. Alors que le bouclier fiscal était conçu pour inciter des entreprises ou des capitalistes à rapatrier des capitaux en France, on a vu peu de retours d’exil. Comment expliquez-vous alors que la France soit si bien placée en termes d’investissements étrangers dans les entreprises ?

Mme Arlette Grosskost. Dans la mesure où vous constatez des déplacements de sièges sociaux, observez-vous parallèlement un accroissement des prix de transfert ?

M. Pascal Coudin. Il est hasardeux d’assimiler l’exil fiscal et le blanchiment, qui sont deux choses radicalement différentes. L’exil fiscal est une modalité de la liberté de circulation des personnes dans l’Union européenne prévue par le droit communautaire.

Pour ce qui est de la faible contribution des avocats aux déclarations de soupçon, je rappelle la position de l’Ordre des avocats de Paris : les avocats adressent leurs déclarations au bâtonnier, qui est responsable de leur transmission.

M. Luc Jaillais. Les avocats sont tenus au secret professionnel. C’est leur premier devoir. La définition du blanchiment est en outre complexe. Accompagner des clients dans un processus de régularisation n’est pas du blanchiment. En revanche, nous ne répondons pas lorsque nos clients nous demandent de leur indiquer d’autres manières de faire. Nous vérifions l’identité de nos clients et, lorsqu’ils nous déclarent qu’ils ont des avoirs à l’étranger, le fait de les entendre et de leur dire que nous ne sommes pas aptes à leur répondre ne nous fait nullement participer à du blanchiment.

M. Christian Eckert, rapporteur général. La loi vous impose une obligation de déclaration en cas de soupçon de blanchiment !

M. Luc Jaillais. Si une personne vient me dire qu’elle a des avoirs à l’étranger et souhaite les régulariser, je lui réponds qu’il faut le faire auprès des autorités, dans un cadre que nous pouvons déterminer ensemble. Si cette personne ne revient jamais pour faire cette démarche, je ne vais certainement pas faire une déclaration de soupçon. Sinon autant arrêter immédiatement de travailler et rendre ma robe ! Je n’ai nullement aidé cette personne à se mettre dans cette situation que, pour ma part, je réprouve, mais je ne me sens pas tenu de faire une déclaration. Sans le secret professionnel, l’activité d’avocat disparaît.

M. Pascal Coudin. Madame Pécresse, nous recevons en effet des demandes de consultation d’artisans et de petits entrepreneurs.

M. le rapporteur général. Mme Pécresse indiquait que vous les sollicitiez.

M. Pascal Coudin. Le phénomène joue dans les deux sens. Certaines officines, qui ne sont pas des cabinets d’avocats, le font peut-être.

Les avocats, quant à eux, sont sollicités par de très petites entreprises qui ont entendu dire que la création d’une structure au Luxembourg pourrait leur permettre de payer moins d’impôts. Cette situation est inquiétante, car il s’agit d’un leurre : l’activité est taxable là où elle s’exerce. La jurisprudence a sanctionné ces schémas frauduleux, qui exposent leurs auteurs à des risques sérieux. Le fait d’avoir un siège social au Luxembourg ne saurait dispenser un artisan de payer des impôts en France.

Contrairement à ce que j’ai pu entendre, notre rôle est aussi de réfréner, en tant que techniciens de la fiscalité, des opérations manifestement abusives. Une opération est soit légale, soit illégale. Si elle est légale, nous ne pouvons conseiller à notre client de ne pas s’y engager au motif qu’il paierait moins d’impôts ; c’est au législateur qu’il appartient, le cas échéant, de changer la loi. Si elle est illégale et fait encourir à notre client des sanctions pénales ou un redressement fiscal, notre devoir est de la lui déconseiller.

M. le président Gilles Carrez. Plusieurs émissions télévisées à forte audience ont laissé entendre qu’il suffisait, notamment pour les entreprises du bâtiment, de s’implanter dans tel ou tel pays de l’Union européenne pour acquitter des cotisations patronales et une fiscalité beaucoup plus faibles. Le sujet étant régulièrement repris par les médias généralistes, il n’est pas étonnant que beaucoup de Français se posent des questions.

M. Jean-Christophe Lagarde. Néanmoins, le phénomène existe. Certes, on ne peut pas échapper à l’imposition française en ouvrant directement une société au Luxembourg, mais cela devient possible lorsque l’on y construit une holding. Et, dans la mesure où cette procédure est parfaitement légale, les avocats ne la déconseillent pas.

M. Pascal Coudin. La holding, par définition, détient des titres. Les dividendes qu’elle reçoit sont exonérés aussi bien en France qu’au Luxembourg. En revanche, l’activité opérationnelle, génératrice de bénéfices, continue d’être exercée en France. En cas de transfert des activités hors de France, la loi que vous avez votée permet de taxer les plus-values au moment dudit transfert.

M. Jean-Christophe Lagarde. Dans ce cas, quel intérêt les entreprises trouvent-elles à transférer leur siège au Luxembourg ?

M. Pascal Coudin. Il y a beaucoup de leurres. En tout cas, l’intérêt ne peut être une délocalisation du bénéfice, puisque celui-ci est taxé là où il est produit selon une règle de territorialité simple. Mais une entreprise familiale peut créer une société au Luxembourg dans la perspective d’une transmission ou d’une cession de l’activité ultérieurement.

M. Alain Fauré. La loi « permet » de taxer les plus-values en cas de transfert, avez-vous dit. Cela signifie-t-il que les pouvoirs publics ont cette possibilité mais n’en font pas usage ?

M. Pascal Coudin. Le Parlement a en effet voté, à la fin de l’année 2012, une disposition qui permet à l’État de prélever une telle taxe si une société décide de transférer dans un autre pays de l’Union européenne une activité qu’elle exerçait auparavant en France. Il existait jusqu’à présent une incertitude : dans la mesure où le droit communautaire garantit la liberté de circulation des capitaux et des personnes et où rien n’était indiqué dans la législation française, on pensait qu’une société pouvait opérer un tel transfert sans avoir à constater immédiatement les plus-values sur cette activité. Le législateur ayant décidé de clarifier la situation, la société doit maintenant déclarer la plus-value, laquelle fait l’objet d’une taxation étalée sur cinq ans.

Bref, il existe désormais en droit français un dispositif qui empêche de délocaliser une activité sans avoir à payer d’impôts, même si la question de sa compatibilité avec le droit communautaire peut éventuellement se poser.

M. Alain Fauré. En invoquant le droit communautaire, vous montrez que vous travaillez déjà à la parade en cas de non-paiement de cette taxe. C’est un curieux métier que d’étudier en permanence les moyens de s’exonérer de l’impôt qui a pourtant permis l’aménagement de notre pays !

M. le président Gilles Carrez. Nous sommes là non pas pour faire de la morale, mais pour mesurer un phénomène, mes chers collègues. Je vous prie de garder pour vous vos jugements personnels !

M. Pascal Coudin. Nous ne connaissons qu’une règle, monsieur le député : la règle de droit, qui s’impose aux avocats comme elle devrait s’imposer à tout citoyen, y compris aux députés.

M. le rapporteur général. Qu’est-ce que cela signifie ?

M. le président Gilles Carrez. Cela signifie que M. Coudin n’a pas forcément apprécié certains aspects de l’intervention de M. Fauré. Si nos invités n’avaient pas le droit de dire ce qu’ils pensent, nos auditions ne serviraient à rien !

M. Pascal Coudin. Le droit communautaire, qui prime le droit français, garantit la libre circulation des personnes et des capitaux. La question est de savoir si le texte que vous avez voté est conforme à ce principe. Il appartiendra à la Cour de justice de l’Union européenne d’en juger. Dans un régime de droit, ce sont les juridictions et non les avocats qui décident de l’application des règles de droit. Aussi ce texte fera-t-il, le cas échéant, l’objet d’un recours devant la Cour.

M. Luc Jaillais. Pour en venir à une question posée par plusieurs députés, nous observons en effet que de jeunes entrepreneurs quittent la France, notamment dans la « net économie » où ils sont nombreux et où la valeur des entreprises peut s’accroître très rapidement et connaître des fluctuations importantes. Avant que les « multiples » ne soient trop élevés, ces entrepreneurs déterminent une plus-value modérée au moment de leur départ. Ladite plus-value sera soumise à notre exit tax, tandis que la prise de valeur ultérieure échappera à l’impôt français.

Si nous avons malheureusement constaté ce phénomène à plusieurs reprises dans la période récente, il est aussi arrivé que notre rôle pédagogique ait eu des effets positifs. Nous expliquons à nos clients qu’on ne peut être à la fois ailleurs et en France. La perte de la résidence fiscale ne s’improvise pas, elle doit être prise au sérieux. Lorsque les personnes prennent la mesure des sacrifices qu’elle implique, elles en viennent à se demander si elles arriverons vraiment à poursuivre leurs affaires en s’installant à l’étranger.

J’y insiste : loin d’être complices de l’évasion fiscale, les avocats ont un rôle pédagogique. Nous sommes là pour enseigner à nos clients la frontière entre le droit et l’illégalité, et nous sommes du côté du droit. La prise de conscience que nous suscitons vaut tant pour les particuliers que pour les entreprises qui envisagent de délocaliser leur siège ou de recourir à la technique des « prix de transfert » pour aménager la répartition de leurs bénéfices. Cette dernière procédure est soumise à une obligation de déclaration et de documentation, mais elle est aussi très encadrée par des normes OCDE servant de référence aux juges. Nous nous employons à éclairer nos clients sur les contraintes qu’elle implique et nous rappelons que les bénéfices sont localisés là où l’activité est réalisée.

M. Pascal Coudin. Le fait que les multinationales paient proportionnellement moins d’impôts que les PME est un autre sujet de préoccupation. Le rapport récemment publié par l’OCDE sur l’« évaporation de la base fiscale » – base erosion – préconise une coopération entre les États du G20 pour mettre fin à certaines opérations permettant à des groupes internationaux d’optimiser leur situation. Mais cette problématique est indépendante de celle de la localisation du siège social.

M. Luc Jaillais. Pour ce qui est du bouclier fiscal, nous n’avons pas constaté que le dispositif ait fait revenir des expatriés. Le contribuable éprouve une méfiance instinctive à l’égard des évolutions de la législation. Il existe, pour reprendre un principe de droit européen, un problème de « confiance légitime » dans la norme fiscale.

Le bouclier fiscal lui-même en est un bon exemple : dans un premier temps, la loi TEPA l’a amélioré, mais la protection qu’il offrait s’est ensuite rapidement dégradée. Les expatriés sont dans une position de wait and see : ils veulent s’assurer des effets et de la stabilité de la nouvelle norme avant d’envisager un retour en France. D’après ce que j’ai observé, le bouclier fiscal a ralenti les départs mais n’a pas permis de retours en nombre significatif.

M. Jean-François Lamour. Il ressort de vos interventions que Londres et le Luxembourg sont des destinations privilégiées. Recommandez-vous à vos clients tel ou tel pays d’accueil en fonction de la structuration de leur patrimoine ou de leur type d’activité ? Avez-vous des critères – y compris en matière de stabilité fiscale – pour les orienter vers un pays plutôt que vers un autre ?

Pour des raisons de fiscalité, mais aussi de développement, certaines entreprises du CAC 40 délocalisent une partie de leurs équipes dirigeantes dans les BRICS – Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud –, notamment, s’agissant d’une grande entreprise de distribution, au Brésil. Vous arrive-t-il d’orienter désormais une partie de votre clientèle vers ces pays ?

A contrario et indépendamment des difficultés intrinsèques à l’exil fiscal, qu’est-ce qui fait que les gens restent ? Quelle est l’attractivité de la France ?

M. Yann Galut. En tant que membre de la commission des Lois et en tant qu’avocat, je suis bien conscient que les intervenants sont au service du droit et de la loi. Mais la question de l’exil fiscal est l’arbre qui cache la forêt. Un autre phénomène, celui de l’évasion fiscale, nous inquiète beaucoup plus et je comprends que Pascal Cherki s’interroge sur le rôle éventuel que certains avocats peuvent jouer dans ce cadre.

Nul n’ignore, car l’affaire défraie la chronique, qu’une banque suisse a réalisé un démarchage massif aux États-Unis, en Europe et en France pour favoriser l’évasion fiscale et que la justice pénale soupçonne des avocats d’avoir outrepassé la frontière. Il ne s’agit nullement d’une mise en cause des intervenants ; c’est un constat. Au regard de la notion d’abus de droit, souvent invoquée en matière fiscale, il n’est pas évident pour les avocats eux-mêmes de savoir où se situe la frontière. À titre d’exemple, ils peuvent être amenés à conseiller des personnes qui s’installent officiellement à l’étranger mais qui, dans les faits, ne quittent pas la France.

M. le président Gilles Carrez. Le bureau de la Commission a décidé la semaine dernière de créer deux missions distinctes. La première, pilotée par MM. Pierre-Alain Muet et Éric Woerth, traitera de l’ensemble des sujets relatifs à l’optimisation fiscale dont, bien entendu, ceux de l’abus de droit et de l’exil fiscal. La seconde, qui fait suite à une proposition de Mme Sandrine Mazetier concernant la délinquance financière, fera le point sur la lutte contre l’évasion fiscale, l’économie souterraine et différentes activités délictuelles de cet ordre.

Prenons garde à ne pas mélanger les deux sujets ! Considérer que l’exil fiscal relève de l’évasion fiscale, c’est faire fausse route.

M. Yann Galut. Vous avez tout à fait raison, monsieur le président. Même si on peut le regretter, l’exil fiscal est légal, notamment dans le cadre européen. L’évasion fiscale, elle, est illégale. Mais il est parfois complexe de distinguer la frontière.

J’en viens à mes questions aux intervenants. Avez-vous constaté au cours des derniers mois une explosion des demandes de rendez-vous en vue d’un exil fiscal ? Cela s’est-il traduit par une augmentation significative des ouvertures de dossier ? Au cours d’une mission que j’ai récemment effectuée en Belgique, un de vos confrères spécialisé dans ces questions, notamment pour accompagner l’installation de Français, m’a indiqué qu’il avait vu beaucoup plus de journalistes que de ressortissants de notre pays venant réellement s’établir en Belgique.

M. le président Gilles Carrez. Nous avons en effet besoin d’indications fiables et non de variations sur le thème de « l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours » !

M. Yann Galut. Par ailleurs, ne nous suggérez-vous pas, en filigrane, d’étendre la durée de l’exit tax ?

M. le président Gilles Carrez. Lorsque, à la fin de 2011, on a remis en cause pour des raisons budgétaires l’exonération des plus-values mobilières après une durée de détention de huit ans, on n’a pas coordonné le nouveau dispositif et celui de l’exit tax adopté au milieu de la même année. En conséquence, si un contribuable qui a effectué une déclaration de plus-values latentes dans le cadre d’un exil fiscal vend ses parts dans un délai de plus de huit ans, il sera exonéré, y compris sur la fraction des plus-values réalisées en France. Il y a là, me semble-t-il, un problème.

M. le rapporteur général Pourquoi avez-vous adopté une telle rédaction ?

M. le président Gilles Carrez. À l’époque, la direction de la législation fiscale m’avait répondu que la coordination était d’une trop grande complexité.

L’exonération au bout de huit ans de détention remonte à la loi de finances de 2006, qui prévoyait le début de son application six ans plus tard. On espérait alors une amélioration des finances publiques. Comme cela n’a pas été le cas, on a préféré, en loi de finances 2012, concentrer cette exonération qui aurait dû être générale sur les cas où la cession est suivie d’un réinvestissement dans une PME au sens européen. L’exit tax avait été adoptée entre-temps, mais il n’y a pas eu de coordination.

M. Luc Jaillais. Les rendez-vous sur ces sujets ont été beaucoup plus fréquents qu’auparavant. Néanmoins, les quelque 180 avocats fiscalistes du Bureau Francis Lefebvre, où j’exerce en tant qu’avocat associé, ne se sont pas coordonnés pour dresser des statistiques. Nous n’avons de chiffres ni sur l’augmentation du nombre de rendez-vous ni sur les exils fiscaux qui auraient pu s’ensuivre. Seule l’administration fiscale dispose de statistiques en la matière, pour autant qu’elle veuille bien les communiquer.

Nous avons aussi constaté des accès de fièvre : nos interlocuteurs sont humains, ils s’interrogent au gré de l’actualité, des projets de lois présentés, des coups d’arrêt portés par le Conseil constitutionnel…

M. Pascal Coudin. Le sujet est en effet largement débattu et le public est informé. Une partie importante de notre activité consiste à décourager certains clients de prendre une résidence fiscale à l’étranger alors que leurs attaches sont à l’évidence en France. À une personne qui exerce une activité en France, dont la famille réside en France, dont les liens sociaux sont en France et qui souhaite continuer à passer une partie substantielle de son temps en France, nous conseillons de rester car elle s’exposerait sinon à de sérieuses déconvenues.

Beaucoup de gens se posent des questions qui ne sont pas illégitimes, mais le passage à l’acte est une tout autre chose. Sans doute l’Institut des avocats conseils fiscaux pourrait-il établir des statistiques. Il serait néanmoins curieux que cette tâche incombe aux praticiens alors que l’administration, si elle le veut, dispose de toutes les informations pour l’assurer.

M. Jean-François Lamour. Mais elle ne le fait pas.

M. Pascal Coudin. Pour notre part, nous ne pouvons que vous livrer des éléments subjectifs : nous constatons l’augmentation du nombre de rendez-vous. Il est difficile d’évaluer ensuite combien il y a de passages à l’acte. Tout au plus espérons-nous que certains ont suivi nos conseils et ne prétendent pas être partis à l’étranger alors qu’ils n’ont fait que louer un appartement à Bruxelles ou ailleurs. Dans les années à venir, les contrôles fiscaux risquent de provoquer de fortes désillusions !

M. le président Gilles Carrez. Qu’en est-il des avantages de notre pays ?

M. Luc Jaillais. J’ai un peu de mal à les identifier par rapport à la fiscalité de certains pays étranger. Encore une fois, ce qui empêche les personnes de franchir le pas, c’est l’ampleur des contraintes impliquées par le changement de résidence fiscale. Il ne s’agit pas d’une décision fiscale ; c’est une décision de vie. On n’est pas résident étranger si l’on ne quitte pas la France. Une personne de soixante ou soixante-dix ans dont les enfants, les habitudes de vie, la vie sociale, les résidences sont en France pourra le comprendre. Nous le disons à nos clients : si l’on souhaite perdre la résidence fiscale française proprement et sincèrement, sans être questionné et, le cas échéant, entraîné dans des procédures fiscales pénibles, il faut cesser de disposer d’un logement en France, donc vendre son appartement, vendre ou mettre en location sa résidence secondaire, etc. Ce sont de telles considérations, et non une hypothétique attractivité fiscale de notre pays, qui incitent les gens à rester en France.

M. Jean-François Lamour. Et s’agissant des avantages respectifs des pays de destination ?

M. Luc Jaillais. Les actifs ont tendance à partir dans des pays tels que la Grande-Bretagne ou la Belgique. Les personnes qui sont en phase de transmission vont plutôt en Suisse, voire en Italie. On voit aussi apparaître des destinations plus lointaines comme l’Île Maurice, qui est une base de business intéressante vers l’Asie et l’Afrique australe et qui offre une main-d’œuvre qualifiée.

Et si le Luxembourg est attractif pour les entreprises, ce n’est pas parce qu’elles y transfèrent leurs usines ; c’est parce que s’y constituent des holdings. Du reste, l’avantage en la matière n’est guère plus important qu’en France : bien qu’on l’ait un peu durci récemment, notre régime mère-fille reste compétitif.

Les entreprises peuvent aussi être incitées à délocaliser leur siège au Luxembourg à cause de l’impression, vraie ou fausse, d’une plus grande stabilité législative. Ce pays ne connaissant pas les mêmes difficultés budgétaires que la France, il peut sembler plus probable qu’il préservera son attractivité fiscale en maintenant son régime mère-fille. La délocalisation aura dans ce cas un caractère préventif, par crainte d’une dégradation du régime des dividendes ou des plus-values sur cession de titres de participation en France.

Mme Marie-Christine Dalloz. Le directeur général des finances publiques a déploré hier, devant notre Commission, la pauvreté de l’appareil statistique français sur le sujet. Il a également mis garde contre des surinterprétations qui occupent le devant de la scène mais ne règlent en rien les difficultés que l’on rencontre en France en matière fiscale.

Comme M. de Courson, je crois qu’il serait intéressant de disposer de données par départ et par pays de destination : nous aurions ainsi un ordre de grandeur permettant une approche plus concrète.

Vous l’avez souligné, votre fonction et votre rôle pédagogique auprès des clients vous placent au cœur du dispositif fiscal français. Au-delà du surcroît d’activité et de demandes de renseignements qu’engendre l’instabilité fiscale actuelle, avez-vous une idée des seuils d’imposition au-delà desquels on crée de l’exil fiscal ?

M. Olivier Faure. Il est logique que vous nous renvoyiez à notre responsabilité de législateur. Tout ce qui n’est pas illégal est a priori légal, certes, mais l’exercice de votre profession n’en pose pas moins certaines questions d’ordre déontologique.

Il ne vous appartient pas, dites-vous, de dénoncer les cas de blanchiment que vous pourriez soupçonner. Pourtant, vous opérez bien la distinction entre exil fiscal et évasion fiscale. Pourquoi ne feriez-vous pas ce que les banques, elles aussi soumises au secret professionnel, font déjà ? Je comprends qu’il vous serait difficile de dénoncer des personnes qui n’ont que des projets d’exil fiscal. Mais l’évasion n’est pas de même nature et devrait tomber sous le coup de votre déontologie.

Par ailleurs, l’Ordre des avocats mène-t-il une réflexion sur le démarchage ? Quoique légale, cette pratique peut être choquante. La volonté du législateur est d’amener les citoyens français à respecter la loi et non pas à l’éluder ou à en atténuer les effets.

L’administration fiscale a souvent pris argument de cette volonté d’éluder ou d’atténuer pour justifier le grief d’abus de droit. Quelle est votre propre interprétation de l’abus de droit lorsque vous traitez de questions d’exil fiscal ? Quelles frontières établissez-vous ?

M. Philippe Vigier. Après les sexagénaires, ce sont, vous l’avez dit, des quinquagénaires, des quadragénaires et des trentenaires qui partent.

Confirmez-vous que les défiscalisations d’assiette prennent une part de plus en plus importante ? Si tel est le cas, quels pays sont-ils favorisés ? Que préconiseriez-vous pour freiner les évasions de ce genre ?

Le taux de transmission familiale des entreprises est de 14 % en France contre 50 % outre-Rhin et outre-Atlantique. Que recommandez-vous pour remédier à ce mal structurel français bien connu ?

M. Éric Alauzet. Au-delà des tendances que vous nous avez indiquées, n’est-il pas de votre ressort de nous donner des statistiques plus précises, s’agissant notamment du nombre de personnes ayant concrétisé leur projet et des montants en jeu ? Pourriez-vous également préciser l’évolution du nombre d’avocats fiscalistes dans notre pays et dans les pays voisins ? Seriez-vous assez coopératifs pour assurer la publication annuelle de ces chiffres ?

À l’occasion des transferts entrepris par certains de nos concitoyens, avez-vous des relations avec les filiales bancaires situées dans les pays de destination ?

Enfin, votre profession a-t-elle apporté au législateur une contribution, sous une forme ou sous une autre, pour mettre des abus en lumière et pour l’aider à y mettre fin ?

M. Étienne Blanc. À l’issue de cette audition et de celle d’hier, nous n’y verrons pas beaucoup plus clair. L’intervention du directeur général des finances publiques était digne de Turner : peinture de brume sur fond de brouillard ! Quant à vous, mes chers confrères, il n’est guère possible de vous en demander plus : vous détenez une part du marché et vous êtes tenus par le secret professionnel. Je me dois de le rappeler aux collègues qui se sont livrés à une charge un peu vive à votre encontre : les avocats, qui sont contraints au secret professionnel et à une déontologie propre, sont les garants de nos libertés. S’en prendre à eux – le dernier gouvernement à l’avoir fait est celui de Pierre Laval –, c’est s’en prendre aux libertés fondamentales.

Cela étant dit, en l’absence de chiffres clairs dans le pays de départ, ne conviendrait-il pas de régler la question au niveau de l’Union européenne en publiant des statistiques tant pour les personnes physiques – qui sont soumises à l’obligation de déclaration de résidence dans un grand nombre d’États membres – que pour les sociétés qui changent de pays d’immatriculation ? Existe-t-il actuellement un dispositif de surveillance des flux au sein de l’Union ? Si tel n’est pas le cas, est-ce parce qu’une réglementation l’interdit afin de garantir la libre circulation des personnes et des capitaux ?

La France a signé avec la Suisse, qui n’est pas membre de l’Union européenne, des accords dits de « bilocalisation », afin d’inciter des entreprises installées en Suisse à créer un établissement sur notre territoire. Or, il semble aujourd’hui que ces accords servent plutôt à l’installation d’entreprises françaises en Suisse. Disposez-vous d’informations à ce sujet ?

M. Michel Pajon. Le respect du secret professionnel des avocats fiscalistes me semble essentiel pour la défense et la moralisation de la vie des affaires. Il n’y aurait rien de pire que de renvoyer les candidats à l’optimisation fiscale vers des conseillers occultes sans éthique, sans déontologie et sans encadrement.

M. Yves Censi. Soit un acte est légal, soit il ne l’est pas ! Ceux qui font régner le soupçon et jettent le trouble en tentant de mettre en cause la légalité de certains actes au motif qu’ils seraient moralement discutables n’éclairent pas nos débats.

À moins que j’aie mal compris, l’un de nos collègues propose que les avocats fiscalistes dénoncent les candidats au départ, comme si le simple fait de déménager devait éveiller les soupçons. La libre circulation serait-elle en voie de criminalisation ?

Malgré des déclarations peu amènes entendues récemment dans la bouche d’un membre du Gouvernement, le Président de la République a expliqué, la semaine dernière, aux industriels indiens, à l’occasion d’un voyage officiel, qu’ils devaient investir en France. N’est-il pas paradoxal de vouloir criminaliser le déménagement des Français à l’étranger tout en étant prêt à payer pour attirer des étrangers en France ?

Compte tenu de la complexité et de l’instabilité des dispositifs fiscaux adoptés par le législateur, il me semble bien normal que des avocats et des conseillers spécialisés éclairent les citoyens qui le souhaitent.

L’entreprise a pour objectif non pas de payer un maximum d’impôt, mais plutôt d’en payer le moins possible.

Messieurs, en dehors de la question de la stabilité fiscale, ne pensez-vous pas que les motivations des candidats à l’exil fiscal relèvent d’abord de l’irrationnel ? La peur ne joue-t-elle pas un plus grand rôle que l’analyse rationnelle de la compétitivité fiscale comparée ?

M. Christophe Castaner. Monsieur Censi, nous ne connaissons manifestement pas les mêmes chefs d’entreprise. La plupart de ceux que j’ai rencontrés n’ont pas pour objectif de payer le moins d’impôt possible ; ils veulent créer de l’activité et de l’emploi. Il ne faut pas opposer l’impôt et l’activité économique.

Il ne faut pas non plus chercher la polémique avec les avocats. En matière de lutte contre le blanchiment des capitaux illicites, la directive de novembre 2005 est très claire. De plus, les fiscalistes ne sont pas seuls à être mobilisés sur le sujet : c’est aussi le cas des banquiers ou des assureurs.

Nous pouvons conclure de ce que l’on nous a dit hier et de ce que nous entendons aujourd’hui, que le départ des contribuables français n’est pas tant lié au niveau des taux d’imposition qu’à l’instabilité des politiques fiscales. Les politiques de stop and go menées ces dernières années n’ont pas été sans conséquences.

Il est également clair que le phénomène n’est pas nouveau, contrairement à ce que son actuelle exploitation politique pourrait laisser croire. Rappelons qu’entre 2008 et 2011, le montant des contrats d’assurance-vie luxembourgeois ouverts par des sociétés françaises a atteint 19 milliards d’euros. J’ai aussi retrouvé un article du Figaro du 19 octobre 2010 relatif aux menaces sur le bouclier fiscal, dont le sous-titre était : « Les avocats reçoivent de plus en plus de candidats à l’exil fiscal. »

En tout état de cause, nous avons bien entendu, hier et aujourd’hui, qu’en matière fiscale, l’économie, les contribuables et les chefs d’entreprises avaient besoin de clarté et d’engagement dans la durée.

M. Yves Jégo. Je ne veux pas croire que les services du ministère des finances ne soient pas en mesure de fournir à la représentation nationale des statistiques relatives à l’exil fiscal de nos ressortissants. Je suis même persuadé qu’il existe une étude européenne sur ce sujet.

Si ces éléments ne nous sont pas fournis, peut-être faut-il se demander pourquoi. La majorité pourrait interroger le Gouvernement à ce sujet – comme la majorité précédente l’avait fait, sans grand succès d’ailleurs. Nous ne pouvons renvoyer la balle aux professions libérales alors que nous disposons d’une administration de grande qualité, nombreuse, variée et fort bien logée.

La ministre de la Justice a annoncé qu’à terme, les avocats pourraient démarcher des clients. L’ordre des avocats travaille actuellement sur la question. Quelles sont vos réflexions à ce sujet ?

M. Hervé Mariton. Vos missions vous permettent-elles d’identifier des risques de révolte fiscale ? Aviez-vous, par exemple, enregistré des signes annonciateurs de la révolte des pigeons ? Il me semble que vous êtes à même de détecter l’attitude de tel ou tel type de clientèle qui, au-delà du choix de l’optimisation, en viendrait à remettre l’impôt en cause, ce qui risquerait de faire disparaître les bases fiscales. Le danger serait alors d’une tout autre nature.

Nous ne sommes pas une commission d’enquête ; vous n’êtes pas des fonctionnaires de l’État auprès desquels nous exercerions une mission de contrôle. Cela ne doit pas être sans conséquence sur le ton et la nature de nos interventions. Il y a plus d’un an, j’avais été choqué que les notaires nous expliquent comment l’État pouvait augmenter les impôts : à mon sens, ils n’étaient pas dans leur rôle, en tout cas quand ils s’exprimaient ainsi devant la commission des finances. Il me semble raisonnable que chacun s’en tienne à sa mission dans le cadre de la loi et des institutions.

Mme Sandrine Mazetier. Autrement dit, monsieur Mariton, vous suggérez à nos invités de ne pas répondre à la question hautement politique de Mme Dalloz sur le niveau de pression fiscale acceptable…

Messieurs, ne pensez-vous pas qu’il serait judicieux d’étendre l’interdiction du démarchage, toujours en vigueur aujourd’hui pour les avocats, aux autres professionnels du conseil fiscal ?

Estimez-vous que les règles applicables aux cabinets d’avocats fiscalistes d’autres pays européens – je pense en particulier aux Anglo-saxons – créent une distorsion de concurrence susceptible de renforcer l’attractivité de nos voisins ?

L’adoption de certaines normes au niveau européen permettrait-elle à notre pays et à votre profession de mieux se défendre ?

M. Luc Jaillais. Le départ pour l’étranger de contribuables et d’entreprises qui constituent notre clientèle entraîne la paupérisation de notre profession. Au-delà de l’amour que nous portons à notre pays, nous avons tout intérêt à ce que ces personnes restent sur le territoire. J’ajoute qu’il est assez pénible de défendre un client soumis à un contrôle fiscal alors qu’il n’a pas suivi nos conseils pour une éventuelle délocalisation dans les règles. Personnellement, j’essaie d’éviter ce genre d’expérience. En clair, notre intérêt bien compris est celui de la France.

À mon sens, l’évasion fiscale est une stratégie d’échappement à l’impôt dans le respect de la loi. Même si ce n’est pas un phénomène que j’encourage, il ne s’agit pas de fraude. Il est très compliqué de tracer une frontière entre évasion et optimisation fiscales.

Il faut préserver le rôle des avocats qui ont une fonction pédagogique. Nous conseillons les contribuables sur ce qu’il faut faire et sur ce qu’il ne faut pas faire.

Techniquement, il me semble que l’exil fiscal est hors du champ de l’abus de droit qui ne peut pas servir à freiner les délocalisations. En revanche, une harmonisation fiscale européenne, portant par exemple sur la taxation des plus-values ou le régime des holdings, constituerait une solution efficace, même s’il s’agit d’un vœu pieux. Actuellement, des ambitions se font jour au niveau européen en matière d’impôt sur le revenu, mais souvenons-nous qu’il a fallu des décennies pour faire converger la TVA.

M. Pascal Coudin. La Commission européenne estime que l’on ne peut pas laisser perdurer certains régimes fiscaux et, pour la première fois, elle envisage dans une de ses publications récentes de traiter de l’harmonisation de la fiscalité des personnes. Il est évident que les délocalisations perdureront au sein de l’Union aussi longtemps que l’on constatera de très fortes disparités fiscales. Le niveau d’imposition dans un seul pays n’est pas tant en cause que les écarts de niveau entre les États membres.

M. Luc Jaillais. Le seuil de tolérance à l’impôt varie considérablement d’un individu à l’autre. La lecture attentive des récentes décisions du Conseil constitutionnel ne permet pas de fixer un seuil d’imposition maximal. La diversité et la complexité de la structure des régimes fiscaux français ne facilitent pas les choses. En tout état de cause, le Conseil relève qu’il ne faut pas s’attacher au seul taux mais qu’il faut combiner cette donnée avec l’assiette.

Cela dit, l’idée du bouclier fiscal, selon laquelle le taux d’imposition, tous prélèvements compris, ne pouvait pas excéder 50 %, avait le mérite de la simplicité. Or notre législation fiscale est à mille lieues des concepts simples dont nos clients ont besoin. Et le mal est endémique : même si la méthode est assez primaire, j’en conviens, j’ai compté, dans le code général des impôts de 2012, 558 pages de plus que dans l’édition de 2000, soit une augmentation de 36,7 % en douze ans !

M. Pascal Coudin. Pour être honnête, il faut avouer que l’on pourrait sans doute faire le même constat dans de nombreux pays – aux États-Unis, par exemple, le phénomène est encore plus impressionnant.

Au-delà de l’inflation de textes fiscaux, nous sommes surtout préoccupés par leur complexité et le fait que leur application s’écarte parfois du bon sens. Il est très difficile de donner des explications à un contribuable quand l’application de la loi est manifestement inéquitable, ce qui se produit, en particulier, en matière de fiscalité du patrimoine. Allez expliquer à un client la notion de holding animatrice en matière d’ISF ! Nous-mêmes ne savons plus vraiment de quoi il s’agit. Nous ne connaissons même pas exactement les positions de l’administration et, quand on nous les donne et que nous les comprenons, elles ne paraissent pas économiquement justifiées. À mon sens, c’est l’application de la loi qui pose problème : c’est parce que celle-ci n’est ni claire ni compréhensible que nous risquons de rencontrer des phénomènes de résistance fiscale.

M. Luc Jaillais. Monsieur Mariton, j’avoue que nous ne sommes pas les mieux placés pour apprécier les risques de jacquerie fiscale. Sur ce sujet, vous pourriez sans doute interroger utilement les experts-comptables, plus proches des petites entreprises et des artisans, plutôt que nous qui avons pour clientèle des grandes entreprises et des personnes fortunées

M. Pascal Coudin. Si je ne crois pas que l’on verra un jour défiler Place de la Nation des contribuables mécontents, il est vrai que certains d’entre eux ont le sentiment que la fiscalité devient confiscatoire. Les contribuables manifestent plus d’agressivité fiscale que par le passé, et nous avons parfois du mal à les freiner.

Du côté de l’administration fiscale, comme Bercy nous l’avait clairement annoncé, les contrôles fiscaux sont de plus en plus durs et les pénalités de plus en plus sévères. Les pénalités pour manquement délibéré se multiplient. La plupart des groupes du CAC 40 font désormais l’objet de redressements et de pénalités pour abus de droit, qui étaient autrefois très peu appliqués.

Il n’y a pas de jacquerie, mais il y a une tension manifeste dans les relations entre les contribuables et l’administration.

M. Luc Jaillais. J’appelle votre attention sur le fait que l’avantage concurrentiel des contrats d’assurance vie luxembourgeois tient plus à la souplesse de la gestion d’actifs qu’ils permettent qu’à la fiscalité – un résident français détenteur d’un tel contrat reste assujetti à la fiscalité française.

Monsieur Censi, vous avez raison, il y a une importante part d’irrationnel dans la réflexion que mènent les contribuables tentés par une éventuelle délocalisation. C’est pour cela que nous avons un rôle à jouer pour les ramener à la réalité, et leur faire prendre la mesure de ce qu’implique la perte de la résidence fiscale en France.

Monsieur Blanc, j’avoue mon ignorance en matière d’accords de bilocalisation avec la Suisse.

M. Pascal Coudin. À ma connaissance, il n’existe pas d’instrument statistique européen relatif à l’exil fiscal. Cela dit, rien ne semble interdire la constitution d’un tel outil qui ne serait pas un obstacle à la liberté de circulation des personnes et des capitaux.

Il serait bon que le démarchage reste interdit aux avocats.

M. Yves Jégo. Ce n’est pas le projet de la garde des sceaux !

M. Luc Jaillais. En tout cas, l’autoriser serait une révolution culturelle. Mais il est vrai que les cabinets auxquels nous appartenons ont la chance de bénéficier d’une notoriété fondée sur le sérieux de leur approche.

Dans le cadre d’une coopération loyale, lorsque nous sommes consultés par l’administration fiscale, nous faisons des efforts pour participer à l’élaboration des normes. Cette tâche que nous assumons dans l’intérêt collectif prend beaucoup de temps. Il me semble en revanche fort difficile pour la profession d’établir des statistiques. Il serait sans doute assez coûteux de mettre en place un outil. La réflexion peut éventuellement être menée par l’Institut des avocats-conseils fiscaux ou par l’Ordre mais, comme cela a été dit, il n’est sans doute pas du ressort d’une profession libérale, fut-elle organisée, de mettre en place un tel instrument.

M. le président Gilles Carrez. Messieurs, je vous remercie vivement pour l’ensemble de vos interventions.

*

* *

Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mercredi 20 février 2013 à 9 h 30

Présents. - M. Éric Alauzet, M. Guillaume Bachelay, M. Dominique Baert,
M. François Baroin, M. Jean-Marie Beffara, M. Xavier Bertrand, M. Étienne Blanc,
M. Olivier Carré, M. Gilles Carrez, M. Christophe Castaner, M. Yves Censi,
M. Jérôme Chartier, M. Pascal Cherki, M. Alain Claeys, M. François Cornut-Gentille,
M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Olivier Dassault,
Mme Carole Delga, M. Jean-Louis Dumont, M. Christian Eckert, M. Henri Emmanuelli,
M. Alain Fauré, M. Olivier Faure, M. Marc Francina, M. Claude Goasguen,
M. Jean-Pierre Gorges, M. Marc Goua, M. Laurent Grandguillaume, Mme Arlette Grosskost, M. Yves Jégo, M. Régis Juanico, M. Jean-Christophe Lagarde, M. Jérôme Lambert,
M. Jean-François Lamour, M. Jean Lassalle, M. Dominique Lefebvre, M. Marc Le Fur,
M. Thierry Mandon, M. Hervé Mariton, M. Michel Pajon, Mme Valérie Pecresse,
Mme Christine Pires Beaune, Mme Monique Rabin, M. Alain Rodet, M. Pascal Terrasse,
M. Gérard Terrier, M. Thomas Thévenoud, M. Philippe Vigier

Excusés. - M. Gaby Charroux, M. Jean-Claude Fruteau, Mme Annick Girardin,
M. Jean Launay, M. Patrick Lebreton, M. Patrick Ollier, M. Thierry Robert,
M. Nicolas Sansu, Mme Hélène Vainqueur-Christophe , M. Michel Vergnier

Assistait également à la réunion. - M. Yann Galut

——fpfp——