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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Jeudi 28 mars 2013

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 76

Présidence de M. Gilles Carrez, Président

–  Audition de M. Pierre Moscovici, ministre de l’Économie et des finances, sur les aides aux États de la zone euro en difficulté

–  Présences en réunion

La Commission procède à l’audition de M. Pierre Moscovici, ministre de l’Économie et des finances, sur les aides aux États de la zone euro en difficulté.

M. le président Gilles Carrez. Nous accueillons aujourd’hui M. Pierre Moscovici, ministre de l’Économie et des finances, sur les aides aux États de la zone euro en difficulté et notamment sur la crise chypriote. Compte tenu de la complexité de ces sujets et de l’importance des montants en jeu, il m’a semblé utile d’organiser au plus vite cette audition.

Avant de donner la parole au ministre, je souhaiterais faire un point sur le calendrier de travail de notre commission. La semaine prochaine, nous recevrons nos collègues Karine Berger et Dominique Lefebvre qui nous présenteront leur rapport sur la réforme de l’épargne financière. La semaine suivante, nous entendrons le nouveau ministre du Budget sur l’exécution 2012, les chiffres définitifs devant alors être connus, et sur l’exécution du premier trimestre 2013. Durant la dernière semaine d’avril, nous auditionnerons à nouveau le ministre de l’Économie, avec le ministre du Budget, sur le programme de stabilité ; je vous rappelle que dans le cadre du semestre européen et en application de l’article 50-1 de la Constitution, le Gouvernement fera, sur ce programme, une déclaration suivie d’un débat et d’un vote, comme nous l’avons déjà fait en 2011.

Par ailleurs, nous pourrions entendre le président du Haut conseil des finances publiques sur la méthode de travail du Conseil et à propos de l’avis rendu sur le programme de stabilité.

Je vous propose aussi d’entendre Jean-Pierre Jouyet, notamment sur l’utilisation des fonds d’épargne. Concernant le financement des collectivités territoriales et Dexia, la décision du tribunal administratif de Nanterre relatif au département de SeineSaint Denis soulevant d’importantes questions, il serait intéressant d’avoir une audition dans la deuxième quinzaine de mai.

M. Henri Emmanuelli. Je constate que nous attendons toujours le rapport que devait nous transmettre l’association française des banques – AFB – sur l’utilisation par les banques de la part décentralisée du livret A. Une audition sur l’épargne réglementée est certes pertinente, mais elle le serait plus encore si nous disposions auparavant de ce rapport.

M. Christian Eckert, rapporteur général. Je n’ai aucune objection sur le programme de travail que vous venez de nous présenter. Je regrette simplement que le bureau de notre commission n’ait pas pu débattre de cet agenda. Sans doute faudrait-il avoir des réunions de bureau plus fréquemment.

M. le président Gilles Carrez. Je rejoins le rapporteur général sur ce dernier point et nous allons mettre en place des réunions régulières. Je précise toutefois que lors de la précédente législature, le bureau se réunissait en moyenne tous les deux mois.

J’en viens maintenant à l’objet de notre audition. Cette rencontre s’ajoute à l’information, sous forme de courrier, adressée chaque trimestre par le ministre des finances aux commissions des finances sur la situation financière du mécanisme européen de stabilité
– MES – : un courrier du 5 mars a ainsi été transmis à tous les membres de la Commission en début de semaine.

Je souhaite insister sur l’importance de cette audition, en rappelant le rôle du Parlement français dans le processus de décision concernant les aides aux États de l’Union européenne.

Deux cas se présentent. Dans le cas des aides bilatérales, le Parlement vote, en loi de finances, les crédits correspondant à ces aides : cela a été le cas de la participation de la France au premier plan d’aide à la Grèce en 2010, c'est-à-dire qu’il s’agit d’une dépense budgétaire directe. Pour distinguer les impacts des aides en comptabilité budgétaire et en comptabilité nationale ainsi que sur l’endettement, selon leur nature, vous pouvez vous référer au tableau qui vous a été distribué. J’ajoute que les aides bilatérales ne concernent pas que l’Europe et dans ce cas, nous prenons connaissance d’annulations de dette – ce fut le cas pour l’Argentine – a posteriori.

Pour les aides accordées par le biais des mécanismes d’aide européens, le fonds européen de stabilité financière – FESF – puis le MES, le Parlement intervient de trois manières. Il ratifie les traités instituant ces mécanismes. Il vote ensuite, en loi de finances, les crédits correspondant aux participations de la France au capital appelé. La part de la France au capital du MES est de 20,4 % du capital appelé, soit 16,3 milliards d’euros, dont les deux premières des cinq tranches ont été versées en 2012. Enfin il autorise, en loi de finances, les garanties accordées par l’État : c’est le cas pour les émissions réalisées par le FESF. À ce titre, le Parlement a autorisé un plafond de garantie à hauteur de 159 milliards d’euros en 2011. Les sommes correspondant à des prêts effectivement déboursés doivent être prises en compte dans notre niveau d’endettement. De ce fait, les 30,6 milliards d’euros de la quote-part de la France effectivement déboursés représentent un supplément de l’ordre de 1,5 point de PIB dans notre endettement.

Une fois donnés ces votes et ces autorisations, le Parlement est informé régulièrement des décisions prises au niveau européen et de l’impact de ces décisions sur ses engagements. Mais son autorisation n’est pas requise à l’occasion de la mise en œuvre de chaque plan d’aide.

La situation est différente dans d’autres pays et notamment en Allemagne où la Cour constitutionnelle est intervenue à plusieurs reprises. Concernant le FESF, elle a considéré que le Parlement devait donner son accord à toute intervention dans ce cadre. Concernant maintenant le MES, elle n’a pas formulé l’exigence d’un vote sur chaque programme. Toutefois, dans la pratique, c’est cela qui se passe. Le Parlement allemand s'est ainsi exprimé sur l’intervention pour l’Espagne en 2012, et il devrait prochainement se prononcer sur le cas de Chypre.

En France, à défaut d’un vote du Parlement sur chaque programme, s’impose la nécessité d’une information renforcée, d’un échange approfondi avec le ministre représentant la France au cours des négociations, d’où cette audition.

À propos de Chypre, toutes les questions qui sont débattues depuis le début de la crise financière en 2008 sont à nouveau posées : conséquences d’un système financier hypertrophié, lien entre crise bancaire et prise en charge des risques par les États, conséquences de cette prise en charge sur les budgets nationaux, interdépendance des systèmes financiers, rôle de la BCE, rôle du FMI, disparité des modèles économiques et des régimes fiscaux des États de l’Union européenne.

M. Pierre Moscovici, ministre de l’Économie et des finances. Je vous remercie d’avoir programmé cette audition : ma responsabilité, en tant que ministre de l’économie et des finances représentant la France à l’Eurogroupe, est à la fois de négocier les compromis nécessaires pour préserver la stabilité de la zone euro, de vous en informer en toute transparence, tant les questions européennes sont partie intégrante de notre politique économique, et aussi de veiller au bon emploi de nos deniers publics. Nous avions d’abord prévu cette audition le 21 février, et à l’époque l’accord du Conseil européen du 8 février sur le cadre financier pluriannuel pour l’UE avait conduit à choisir cette date pour une déclaration du gouvernement sur les perspectives financières de l’Union. Cette audition s’en est trouvée décalée jusqu’à aujourd’hui, et elle intervient maintenant au lendemain d’un accord important trouvé par l’Eurogroupe avec Chypre, dont je souhaite vous informer. Notre débat sera également l’occasion de faire le point sur les engagements financiers de la France dans le cadre de la crise en zone euro.

La situation à Chypre est complexe et il est important de la clarifier autant que possible. Je rappelle que les banques sont actuellement en train de rouvrir après deux semaines de fermeture. Je vous propose donc de résumer brièvement les événements des quinze derniers jours et rappeler la position de la France telle que je l’ai défendue, de vous présenter les éléments de l’accord obtenu dans la nuit de dimanche à lundi et enfin de commencer à tirer les leçons de la crise chypriote.

Les racines de la crise chypriote viennent de trois ordres. L’économie chypriote est tout d’abord marquée par de forts déséquilibres avec une détérioration de la balance courante, une perte de compétitivité, une dépendance vis-à-vis des financements extérieurs et un fort endettement des ménages et du secteur privé. La détérioration de la croissance a par ailleurs entraîné une dégradation de la situation des finances publiques. Enfin le secteur bancaire est hypertrophié, représentant sept fois le PIB. Sa faillite menace l’économie du pays et la stabilité de la zone euro. J’insiste sur ce point. Les deux plus grosses banques de Chypre, à la suite de pertes importantes liées notamment à une exposition excessive, et peu diversifiée, à la dette souveraine grecque, n’étaient plus solvables et son modèle financier était insoutenable. La question n’était pas de savoir si une restructuration était nécessaire, car à l’évidence elle l’était. La question était de savoir comment répartir le coût de la restructuration. Et la spécificité de Chypre était telle que, dans tous les cas de figure, il fallait mettre à contribution les déposants, sauf à considérer que les contribuables des autres pays de la zone euro devaient prendre en charge l’ensemble du dispositif d’aide. Je crois que cette solution était à exclure car elle aurait dédouané les banques chypriotes de toute responsabilité alors même qu’elles sont loin d’être exemptes de fautes.

Le cumul de ces problèmes a entraîné des difficultés croissantes de financement souverain pour Chypre, qui ont conduit le pays à demander d’abord un prêt bilatéral à la Russie à la mi-2011, représentant 2,5 milliards d’euros, puis l’assistance financière de la zone euro et du FMI en juin 2012. L’Eurogroupe a donné le 27 juin dernier son accord de principe pour accorder cette assistance financière, et des discussions de niveau technique ont commencé entre les autorités chypriotes et la Commission, la Banque centrale européenne et le FMI, conduisant à un accord au niveau technique sur un projet de memorandum of understanding le 23 novembre 2012 et l’adoption par le Parlement chypriote d’un certain nombre de mesures correspondantes. Néanmoins, dans la perspective de l’élection présidentielle prévue à la fin du mois de février, cet accord technique n’a pas été endossé au niveau politique.

Le gouvernement de Nikos Anastasiades, élu président le 24 février dernier, a pris ses fonctions le 1er mars et a instantanément repris les discussions avec les institutions de la zone euro et le FMI, en vue de la préparation d’un accord politique. Ces discussions ont abouti à la préparation de l’Eurogroupe du vendredi 15 mars.

Le premier accord conclu le 15 mars comportait trois éléments principaux.

Le premier consistait en un prêt du MES de l’ordre de 10 milliards d'euros permettant d’assurer les besoins de financement de l’État chypriote pendant la durée du programme, avec un objectif de dette de l’ordre de 100 % en 2020, c’est-à-dire un niveau considéré comme soutenable pour l’économie chypriote.

Le second était composé de réformes internes visant à restaurer la situation des finances publiques chypriotes, notamment via des mesures fiscales – augmentation du taux de l’impôt sur les sociétés, qui passe de 10 %, ce taux illustrant bien l’attractivité fiscale de Chypre, à 12,5 %, relèvement de la retenue à la source sur les intérêts du capital – elle passe de 10 % à 25 % – et des mesures de privatisation, à s’assurer de l’application effective de la législation anti-blanchiment grâce à un audit conjoint de MONEYVAL, organisme adossé au GAFI, et d’un auditeur privé et à restaurer la compétitivité de l’économie, via notamment une réforme du marché du travail.

Enfin, le troisième portait sur une restructuration et une recapitalisation du secteur bancaire chypriote, de façon à assurer sa solidité tout en le ramenant à un poids plus équilibré dans l’économie.

C’est là que se situe l’élément controversé de l’accord. Pour assurer le financement de ce volet bancaire sans alourdir la charge de dette de Chypre, il était proposé de taxer tous les dépôts existants dans l’ensemble des banques chypriotes.

Nous avons eu de longs débats sur la progressivité de cette taxe. Pour ma part, dès le 15 mars, j’ai plaidé pour cette progressivité ; à tout moment, sur mes instructions, les représentants de la France à la négociation ont plaidé pour que les dépôts inférieurs à 100 000 euros ne soient pas taxés.

Telle n’était pas la position, d’une part d’autres pays ou de certaines institutions, favorables, elles, à une taxe applicable dès le premier euro, et surtout, de l’autre, des autorités chypriotes, qui ont insisté pour que cette taxe soit répartie de manière moins progressive, de façon à ne pas risquer de retraits brutaux des gros dépôts – à Chypre, 45 % des dépôts sont détenus par des non-résidents –, qui auraient pu fragiliser les banques concernées. Les autorités chypriotes ont même parlé d’un business model à défendre.

In fine, sans enthousiasme mais compte tenu de la position des autorités chypriotes, nous avons abouti à un compromis créant une taxe de 6,75 % jusqu'à 100 000 euros et de 9,9 % au-delà. Mais, j’y insiste, telle n’était pas la solution proposée par la France, dans un souci à la fois d’équité et de stabilité systémique.

Cela dit, il s’agissait d’une taxe exceptionnelle ayant pour cause une situation qui l’était autant. Je répète ici des propos qui sont par ailleurs ceux du Président de la République, la garantie des dépôts jusqu’à 100 000 euros est un principe intangible dans la zone euro. Il n’a jamais été question de le remettre en cause. Pour autant, il y avait un risque d’assimilation. De fait, le sentiment s’est répandu ensuite qu’un tabou avait été touché et que les déposants pouvaient être fragilisés ; dans un sondage publié la semaine dernière, 40 % des Français considéraient qu’ils pourraient se trouver un jour touchés par une telle situation.

Ces deux taux étaient bien la solution que le gouvernement chypriote avait privilégiée et souhaité défendre devant son Parlement. Dans ce type de négociations – c’est un point essentiel –, le rôle de l’Eurogroupe est d’arrêter les grands paramètres de financement ; il reste toujours de la responsabilité des autorités du pays concerné de proposer les mesures correspondantes, celles qu’elles pourront défendre devant leurs citoyens et leur parlement.

Or, ce compromis a été rejeté par le parlement chypriote par un vote le mardi 19 février. Il est aussi devenu clair pour tous que la taxation des dépôts sous 100 000 euros était perçue comme une remise en cause des engagements européens en matière de garantie des dépôts, même si juridiquement les deux problèmes étaient distincts.

En parallèle, le ministre des finances chypriote a entamé à Moscou des discussions avec la Russie, qui n’ont pas abouti. Il fallait donc trouver une autre solution. C’est la raison pour laquelle l’Eurogroupe a été de nouveau réuni dimanche 24 mars.

Entre-temps l’Eurogroupe avait tenu plusieurs réunions téléphoniques. J’y ai de nouveau plaidé, avec succès cette fois-ci, en faveur de l’exonération des dépôts inférieurs à 100 000 euros et en faveur de la progressivité de la taxe sur les dépôts. Dès le rejet de l’accord par le Parlement chypriote, cette position était la position officielle de l’Eurogroupe.

L’accord obtenu le 25 mars a été négocié à la fois entre le président de Chypre, M. Nikos Anastasiades et les présidents des institutions européennes, sous l’égide de M. Herman Van Rompuy, le président de la Commission européenne, M. Manuel Barroso, Mme Christine Lagarde, directrice générale du FMI, et, en parallèle, les ministres de l’Eurogroupe.

Je me suis constamment coordonné avec le ministre des finances allemand, M. Wolfgang Schäuble, avec l’appui conjoint du Président de la République et de la Chancelière allemande que nous tenions informés, pour que l’accord ainsi obtenu soit définitif.

L’accord ainsi obtenu est global et aussi juste que possible. Il met en place les conditions pour restructurer en profondeur le système bancaire chypriote et le ramener à un poids plus équilibré dans l’économie. Il repose aussi sur une répartition meilleure du coût de l’ajustement.

Aux termes de l’accord, la restructuration du secteur bancaire se déroulera de la façon suivante.

Le deuxième établissement du pays, Laiki Bank, est mis en résolution, en mettant pleinement à contribution ses actionnaires, ses créanciers obligataires et les dépôts non assurés des résidents et des non-résidents, c'est-à-dire ceux qui se situent au-dessus du plafond de 100 000 euros. En dessous de ce plafond, les dépôts ne seront pas touchés.

Laiki sera séparée en deux. Une structure de défaisance – « bad bank » – sera chargée de liquider les actifs les plus dégradés et progressivement mise en extinction.

La partie saine de Laiki – « good bank » –, qui regroupe l’ensemble des dépôts protégés, jusqu’à 100 000 euros, et la dette contractée par Laiki vis-à-vis de l’assistance à la liquidité prêtée par l’Eurosystème, sera rapprochée de la Bank of Cyprus, premier établissement du pays, à la direction profondément renouvelée.

Bank of Cyprus sera elle-même recapitalisée avec pour objectif un ratio de capital de 9 % à la fin du programme. Cette recapitalisation sera financée par mise à contribution totale des actionnaires et des créanciers obligataires et mise à contribution partielle de la partie non assurée des dépôts (celle supérieure à 100 000 euros) dans une proportion qui sera déterminée en fonction de la valorisation des actifs qui sont eux-mêmes au bilan de cette banque.

Sous ces conditions, la Banque centrale européenne fournira la liquidité nécessaire aux banques chypriotes.

Au bout du compte, le programme repose toujours sur 10 milliards d'euros de prêts du MES. En revanche, la taxe de 5,8 milliards d'euros de la première version est supprimée, et les montants nécessaires à la résolution/recapitalisation des deux banques concernées trouvés par une mise à contribution des dépôts non assurés auprès des banques, avec transformation des dépôts en actions.

Les opérations nécessaires pour cette restructuration étant conformes au cadre juridique voté par le Parlement chypriote au cours des derniers jours, il n’y avait donc pas, du fait de l’absence de taxe, besoin d’autorisation parlementaire supplémentaire.

Enfin, cet accord respecte deux principes importants. L’ensemble des dépôts qui se trouvent sous le plafond de 100 000 euros garanti par le droit de l’Union européenne, seront effectivement protégés. La taxe sur laquelle reposait l’accord précédent est entièrement abandonnée.

En parallèle, les autorités chypriotes et la troïka vont finaliser dans les prochaines semaines, le memorandum of understanding qui comprendra les éléments que nous avions déjà définis la semaine dernière, et en particulier la mise en place de mécanismes rigoureux pour finaliser l’application effective des dispositifs anti-blanchiment et le relèvement de la fiscalité.

Sur cette base, la zone euro et le FMI apporteront un prêt jusqu’à 10 milliards d'euros qui servira à financer l’État chypriote pendant les trois prochaines années. Nous différencions bien en effet l’État des banques, dont il revient aux actionnaires, aux créanciers et aux déposants non assurés de financer les erreurs. Ce montant permet de maintenir la dette chypriote à un niveau soutenable.

Notre objectif est que l’ensemble du programme puisse être approuvé à la fin du mois d’avril par l’Eurogroupe. Sur cette base le MES pourra procéder au premier déboursement.

Grâce à la conclusion de cet accord, les banques chypriotes rouvrent ce jeudi. Des mesures administratives ciblées, proportionnées et temporaires sont nécessaires pour accompagner cette réouverture et pouvoir parer à d’éventuels mouvements massifs. Cet ensemble de mesures n’est pas, à proprement parler, un contrôle des capitaux et n’est pas reproductible pour d’autres situations.

Pour ma part, je n’ai jamais pensé que la situation de Chypre était contagieuse ; de par l’ensemble des paramètres qui la caractérisent, elle est unique et d’une totale spécificité. Il s’agissait bien d’un business model particulier. Le principe de garantie des dépôts reste intangible. Les mesures prises restent bien sûr limitées à l’île. Ce n’est pas un précédent qui est ainsi constitué.

Quelles leçons tirer de l’affaire chypriote ?

D’abord, et j’insiste sur ce point, tout, dans la situation chypriote, est atypique. En ce sens je veux insister sur une incompréhension née ces derniers jours d’une interview du président de l’Eurogroupe M. Jeroen Dijsselbloem. Comme lui-même l’a officiellement précisé dans un communiqué lundi soir, il n’y a aucun « modèle » à suivre en matière de programmes d’assistance macroéconomique et de financement des restructurations bancaires éventuellement nécessaires, pour la bonne raison que la notion de modèle n’aurait pas de sens économique face à la diversité des situations.

Deuxième observation, il est fondamental, au niveau de la zone euro, de mieux détecter et de traiter en amont les déséquilibres, qu’il s’agisse de finances publiques ou de finance tout court.

Troisième observation, il est plus que jamais nécessaire, après cette crise et sa résolution laborieuse qui a créé un effet d’image négatif sur l’Eurogroupe et la zone euro, d’aller plus loin dans les mécanismes d’union bancaire initiés les 27 et 28 juin derniers. Je pense notamment à la supervision, en cours de traitement, mais aussi aux mécanismes de résolution, et enfin aux instruments de recapitalisation directe des banques à travers le MES, qui auraient évité au moins une partie des difficultés que nous avons dû affronter.

Permettez-moi maintenant de dire quelques mots des autres États concernés, et de la situation générale.

L’année 2012 a été une année charnière. Elle a d’abord commencé avec de très grandes inquiétudes sur les risques de sortie de la Grèce de la zone euro ou avec la fragilité des banques espagnoles. Néanmoins, même en tenant compte de la situation chypriote, il demeure que des initiatives remarquables ont pu être prises pour avancer point par point vers un règlement global de la crise. La zone euro est en définitive plus stable après ces décisions.

Je retiens en particulier, parmi les évènements stabilisateurs, la détermination de la BCE à faire tout ce qui est nécessaire pour préserver l’euro. Même si toute institution est susceptible de commettre des erreurs dans ces situations, je considère que le rôle stabilisateur de la BCE a été particulièrement important. Il faut aussi signaler la mise en place définitive du Mécanisme européen de stabilité le 8 octobre. Les engagements à mettre en place une nouvelle gouvernance économique ont été tenus, avec l’entrée en vigueur du Traité budgétaire au 1er janvier 2013. Il convient également de retenir les actions en faveur du renforcement de la croissance en Europe avec l’adoption du Pacte européen de croissance.

En 2012, des étapes importantes ont donc été franchies dans la mise en œuvre d’une politique cohérente et ambitieuse de résolution de la crise en zone euro. À ce titre la France, en liaison avec l’Allemagne, y a joué un rôle moteur. Nos actions ont permis d’améliorer la situation sur les marchés financiers, notamment pour les pays périphériques, et nous avons écarté le risque systémique en Europe.

En ce qui concerne les autres pays bénéficiant des programmes d’assistance, il apparaît que l’Irlande et le Portugal font un travail remarquable.

D’ores et déjà l’Irlande a regagné l’accès aux marchés obligataires de moyen/long terme. L’Irlande a notamment réussi une émission obligataire à 10 ans le 13 mars dernier et les taux d’intérêt à long terme, après être passés sous la barre des 7 % l’été dernier, évoluent maintenant autour de 4 %.

L’ajustement du Portugal est tout aussi remarquable. Je me souviens qu’au début du programme, peu de gens croyaient le Portugal en mesure de mener à bien les réformes nécessaires à son redressement.

Plus récemment, l’été dernier, face aux difficultés récurrentes de son secteur bancaire, l’Espagne a demandé l’assistance de ces partenaires européens. Ce programme a permis d’accompagner et de financer la restructuration et la recapitalisation du secteur bancaire espagnol. L’avancement du programme est jugé satisfaisant par les autorités européennes. Je tiens à signaler que la restructuration du secteur bancaire espagnol a imposé des pertes aux actionnaires et aux porteurs de titres hybrides et de dette subordonnée.

Dernier pays sous-programme, la Grèce. J’ai déjà eu l’occasion de vous présenter cet important programme qui a permis le déboursement de près de 52 milliards d’euros. En dépit des discussions qui peuvent encore intervenir en la Grèce et la Troïka, je considère que la Grèce est plutôt sur la bonne voie.

La priorité du gouvernement est aujourd’hui de consolider les mécanismes de l’union bancaire et de renouer avec la croissance dans la zone euro et ce d’autant que la situation politique et sociale n’est toujours pas stabilisée. Les attentes sont très fortes, notamment en Grèce qui est un cas particulier.

En ce qui concerne les deux instruments que nous avons à notre disposition : le FESF est désormais en voie d’extinction, le MES a pris la relève et a été inauguré le 8 octobre 2012. Il va d’ailleurs être sollicité pour Chypre.

Je rappelle que la France participe, comme les autres États membres, à la garantie de l’encours des émissions FESF à hauteur de 54,3 milliards d’euros en principal. Notre pays participe également à hauteur de 20,4 % à la structure du capital du MES, soit 16,3 milliards d’euros de capital appelé total.

Pour le FESF, les engagements totaux sont de 188 milliards d’euros pour l’Irlande, le Portugal et la Grèce, dont 140,4 milliards d’euros sont déjà déboursés.

Le MES a des engagements sur l’Espagne à hauteur de 41,4 milliards d’euros et, une fois que cela aura été formellement approuvé, de 10 milliards d’euros pour Chypre.

Je vous invite à vous reporter aux tableaux qui vous ont été transmis pour mesurer l’impact en termes de dette maastrichtienne pour la France, de sa participation au FESF et au MES. Je rappelle simplement que notre pays est engagé à hauteur de 54,3 milliards d’euros de garanties en principal pour le FESF et 16,3 milliards d’euros pour le MES, soit 20,4 % du capital appelé.

M. le président Gilles Carrez. La mobilisation des financements par le MES n’est pas intégrée dans la dette publique des États à la différence du FESF. Le MES est en effet considéré comme une institution communautaire.

Vous avez précisé que le prêt du MES est accordé à l’État chypriote : s’agit-il de refinancement de dette, de comblement du déficit ? Comment s’intègre le FMI dans le dispositif ?

M. Christian Eckert, Rapporteur général. Je veux d’abord rappeler que les engagements de la France s’élèvent effectivement à 68 milliards d’euros, soit 3,4 points du PIB. Cela ne suffit pourtant pas à expliquer les 90 % d’endettement de notre pays.

Je m’étais étonné, en son temps, du délai relativement long de la réponse apportée à Chypre. Même si j’ai entendu vos explications en ce qui concerne les conséquences de la tenue des élections à Chypre, il me semble qu’entre juin et ces derniers jours, la réponse a été un peu longue à venir.

Pouvez-vous nous préciser la répartition des fonds entre le MES et le FMI pour parvenir à ces 10 milliards d’euros ?

Qu’en est-il de la transformation envisagée d’une partie des créances des banques, les comptes bancaires étant considérés comme tels, en actions de ces banques, ces dernières étant par ailleurs dévaluées ? Les chiffres évoqués, pour les comptes au-delà de 100 000 euros, vont de 40 % à 50 % Avez-vous des informations plus précises sur la proportion de cette dévaluation ?

Il s’agit essentiellement, on l’a vu, d’une procédure de résolution bancaire. Les outils contenus dans le projet de loi de résolution bancaire adopté récemment par notre Assemblée en première lecture auraient-ils pu servir de modèles pour résoudre plus rapidement et plus efficacement la crise chypriote ?

Quelles seront les conséquences au niveau macro-économique de ces restructurations pour Chypre ? Certains économistes prévoient un recul de 10 % du PIB chypriote. Est-ce crédible ?

Qu’en est-il enfin de la situation de Malte ?

M. Dominique Lefebvre. J’observe tout d’abord que ces sujets importants font l’objet de débats et de votes dans certains parlements européens. En France, en raison des choix opérés par la précédente majorité en 2008 et 2011, nous n’avons droit qu’à une information devant notre commission des finances. Ce dialogue est important.

Je tiens à vous remercier pour la clarté et la fermeté de vos propos. Le groupe socialiste de l’Assemblée nationale tient à vous manifester tout son soutien.

Si l’on mesure bien aujourd’hui la responsabilité des différents acteurs dans les décisions prises au sein de l’Eurogroupe, je m’interroge sur les positions d’un certain nombre de gouvernements conservateurs qui ne vont pas dans le bon sens.

Deux sujets méritent d’être relevés. Tout d’abord la très forte émotion suscitée par l’éventualité de taxer les comptes des épargnants. Un problème de confiance sur le principe de la garantie des dépôts s’est immédiatement posé. L’autre sujet renvoie au caractère atypique de la situation de Chypre au sein de la zone euro. Pourquoi une telle situation existe-t-elle au sein d’une zone monétaire intégrée ?

La question de l’exigence d’une autorité de de supervision régulation européenne est posée de même que l’exigence de textes au niveau européen qui pourraient s’inspirer de ce que nous avons entrepris. Les critiques émises par certains sur l’utilité d’un tel texte, adopté récemment en première lecture au Sénat, me semblent particulièrement infondées.

M. Hervé Mariton. La crise fait-elle apparaître des besoins supplémentaires en termes d’amélioration de la gouvernance de l’Eurogroupe ? Quelles seraient les propositions de la France en ce domaine ?

Les explications fournies sur la première proposition, avec la taxe qui concernait également les dépôts inférieurs à 100 000 euros, montrent qu’elles avaient fait l’objet d’un consensus, avec votre propre accord. Comment avez-vous pu imaginer prendre ce risque ? Pour le détenteur d’un compte, la distinction entre taxe et prélèvement n’est pas recevable. Il s’agissait bien d’une remise en cause de la garantie des dépôts inférieurs à 100 000 euros. L’unanimité ne change rien car cela sous-entend votre accord à cette proposition. Quelle était par ailleurs la position de l’Allemagne ?

Vous avez souligné l’importance du délai de la discussion avec Chypre ainsi que celle des effets de la crise grecque sur la situation chypriote. Cependant, les données structurelles de l’économie chypriote étaient connues bien avant cette crise. Que peut justifier l’absence de réaction face à cette situation ? Cette question ne se pose évidemment pas uniquement à l’actuel gouvernement. Quels sont cependant les messages et actes des gouvernements français adressés à Chypre, en amont de cette crise ? Quelles sont les effets de la crise chypriote à l’égard de la Grèce ?

Enfin, nous n’avons pas eu la chance de vous recevoir après les déclarations de la Commission européenne au sujet de la l’évolution des finances publiques de la France en février dernier. Le délai conséquent constaté entre les déclarations de la Commission européenne, largement commentées par le Gouvernement, et l’audition du ministre de l’Économie par notre commission des finances est regrettable et insatisfaisant. En corrélation avec cette observation, vous opérez une révision majeure des hypothèses de croissance, il serait donc cohérent de réaliser un collectif budgétaire. Pouvez-vous nous en indiquer le calendrier de présentation ou nous donner les justifications qui vous poussent à ne pas proposer de projet de loi de finances rectificative, en dépit des hypothèses majeures de révision de croissance ?

Mme Annick Girardin. Il est heureux que le second accord de l’Europgroupe soit rapidement intervenu pour supprimer la taxation des dépôts en-deça de 100 000 euros. Néanmoins, on se serait bien passé, pour ses effets sur l’économie réelle et pour la perception de la zone euro, du nouveau coup de projecteur donné par le premier accord d’autant que celui-ci n’avait rien d’improvisé puisqu’en préparation depuis juin dernier. Il ne fallait pas être grand clerc pour imaginer la réaction des Chypriotes à la taxation significative de tous les dépôts, sans compter que cette mesure risquait de créer un précédent. Lorsque dix-sept personnes brillantes aboutissent à un accord qui comporte une mesure absurde, c’est qu’il y a une défaillance dans le processus de décision. Nous avons là une nouvelle illustration des défauts institutionnels de la zone euro, similaires à ceux de l’Union européenne. Faute d’une intégration plus poussée, on est conduit à cette sorte d’arrangement. Il est très fâcheux de faire passer des choix politiques pour des décisions de technocrates. Il fallait rétablir la vérité, ce que vous avez fait. L’Eurogroupe souffre d’un déficit démocratique. Les paroles de son président engagent l’ensemble de la zone euro alors qu’il n’a pas de réelle légitimité.

Cela dit, quelles sont les hypothèses d’évolution de la situation à Chypre notamment au vu de la restructuration de la banque Laiki ? Sait-on quel sera son impact sur les autres banques de la zone euro ? Laiki, n’est-ce pas le nom grec de la Cyprus Popular Bank –CPB-, implantée en Russie, en Serbie, à Jersey, et que la France avait mise sous surveillance renforcée dès 1995 ?

Pouvez-vous nous dire pourquoi les créanciers seniors n’ont pas été mis à contribution pour le sauvetage des deux plus grosses banques du pays ?

Sur le plan national, n’y a-t-il pas des ajustements à faire sur le projet de loi de séparation bancaire actuellement en discussion à la lumière de la crise chypriote ?

Vous nous avez dit que vous n’étiez pas favorable à certaines mesures de l’accord qui étaient en revanche voulues par le représentant du gouvernement chypriote. N’y aurait-il pas à l’avenir intérêt à distinguer, dans l’annonce de l’accord, les points décidés par la troïka et ceux décidés par le gouvernement national du pays aidé ? car un Gouvernement peut être tenté de faire endosser par ses partenaires européens des mesures impopulaires qu’il a lui-même souhaitées.

La législation européenne sur les produits financiers, en cours de renforcement, n’est pas respectée dans tous les États. Que fait-on pour contrôler le respect de cette législation ?

Il y a actuellement des garanties nationales des dépôts bancaires mais pas de garantie européenne harmonisée. Où en est-on ? Est-ce que l’Allemagne a changé de position sur cette question ?

Mme Éva Sas. J’appuie la demande de précision formulée par le rapporteur général sur le mécanisme qui remplace la taxation des dépôts : comment Chypre va-t-elle contribuer à son propre sauvetage ?

Les contributions respectives du Fonds monétaire international – FMI – et du Mécanisme européen de stabilité – MES– vont être conditionnées à un relèvement de la fiscalité et à une lutte contre le blanchiment. Je voudrais avoir des précisions sur ces mesures. Et pourquoi n’a-t-il pas été possible d’obtenir une augmentation plus importante du taux d’imposition sur les sociétés à Chypre qui passe seulement de 10 % à 12,5 % ?

Le statut de paradis fiscal est au cœur de la crise chypriote. Cela pose la question des critères d’adhésion à la zone euro. Ne faudrait-il pas ajouter des clauses de transparence bancaire et de dumping fiscal aux conditions d’adhésion à la zone euro ?

M. Pierre Moscovici, ministre de l’Économie et des finances. Pour répondre en premier lieu au président, je précise que le MES fonctionne comme une banque. Il a un capital qu’il utilise pour lever des financements sur les marchés. Un memorandum of understanding présidera aux objectifs du programme. Le MES financera le budget de Chypre à hauteur de 10 milliards d’euros. Le FMI pourrait prendre à sa charge 1 milliard d’euros, voire un peu plus, selon la la décision que prendra son conseil d’administration.

Monsieur le rapporteur général, à la suite de la demande d’assistance formulée par Chypre, l’ancien gouvernement du pays n’a pas souhaité endosser la lourde responsabilité d’un plan de sauvetage, ce pour quoi il a fallu attendre l’échéance de l’élection présidentielle. Cela pose la question des rôles respectifs de l’Eurogroupe et des États nations. Ceux-ci gardent toute leur souveraineté. L’Eurogroupe ne fait que fixer des paramètres de financement. Il ne décide pas à la place d’un État souverain. Nous ne sommes pas dans un système fédéral et nous ne procédons pas à la mise sous tutelle de tel ou tel État : il existe des instances démocratiques dans chaque pays et il n’y a pas de petite souveraineté et de grande souveraineté.

L’Eurogroupe comporte 17 ministres et, pour ces discussions, s’y ajoutent la Commission européenne, la Banque centrale européenne et la directrice générale du FMI. Parmi ces 17 ministres, deux tiers sont gouvernés par des partis conservateurs dont les positions étaient autrement plus sévères que les miennes. J’ai fait part, à chaque étape, des dangers qu’emportait la décision de prélèvement sur les dépôts bancaires pour Chypre et l’eurosystème et j’ai pu obtenir, dans le premier accord, une baisse du prélèvement global qui, initialement de 7 milliards d’euros, a été ramené à 5,8 milliards d’euros. C’est in fine le président de Chypre, que cela regarde en bonne part et qui se portait garant de la bonne fin du programme, qui a décidé.

J’ajoute qu’il y a certainement eu une mauvaise conduite de la discussion collective le 15 mars, que nous avons rectifiée lors de la seconde délibération.

M. le président Gilles Carrez. Il me semble qu’il faut remonter plus loin. Lorsque s’est déclenchée la crise grecque, nous savions que la Grèce et Chypre étaient très liés. En outre, on savait que Chypre achetait en masse des titres grecs particulièrement rémunérateurs en raison du risque dont ils étaient porteurs, ce qui permettait aux banques chypriotes de rémunérer leurs dépôts beaucoup plus que leurs concurrentes étrangères. Le problème était connu dès 2010-2011. On voit à quel point l’Eurogroupe a du mal à anticiper.

Considérant que Chypre ne présentait pas un risque systémique, l’Eurogroupe n’a-t-il pas été tenté d’examiner objectivement la possibilité d’une faillite des banques chypriotes ?

M. Pierre Moscovici, ministre de l’Économie et des finances. Je vous confirme que le risque chypriote était prévisible depuis longtemps. J’ai d’ailleurs toujours plaidé pour qu’on aille vite sur ce sujet. D’autres ont estimé qu’il convenait d’attendre notamment que soit passée l’élection présidentielle chypriote.

M. Henri Emmanuelli. C’est réussi…

M. Pierre Moscovici, ministre de l’Économie et des finances. Pour répondre à la question de M. Eckert, je précise que l’enveloppe financière qui était de 10 milliards d’euros dans l’accord du 16 mars reste au même niveau.

Je remercie M. Dominique Lefebvre pour ses réflexions ainsi que pour son soutien.

Concernant les enjeux de la loi bancaire, je rappelle que nous avons mis en place deux procédures significatives : un plan préventif de rétablissement qui sera préparé par l’établissement lui-même, et un plan préventif de résolution qui sera préparé par l’autorité de contrôle prudentiel.

La situation de Malte est différente de celle de Chypre. Les banques maltaises sont mieux capitalisées que leurs homologues chypriotes et les finances publiques locales s’améliorent ; le poids des banques domestiques représente 256 % du PIB, ce qui est beaucoup, mais ce n’est pas 800 % comme à Chypre.

La crise traversée par Chypre aura un fort impact sur ses fondamentaux macroéconomiques. Mais y avait-il une alternative ? Le modèle d’économie « casino » off-shore qu’avait privilégié Chypre ne pouvait pas être assaini sans conséquences douloureuses. Son PIB chute parce qu’il était lié à une bulle spéculative. Son rétablissement sera lié à un changement de modèle économique.

La gouvernance de l’Euro groupe devra manifestement progresser. Je me suis prononcé à plusieurs reprises pour l’idée d’un ministre de la zone euro. Il faudrait également travailler plus vite et de façon plus collective. Le mode de fonctionnement actuel n’est pas satisfaisant.

La restructuration de la banque Laïki permet de protéger les contribuables ainsi que les autres banques. Les créanciers seniors de cet établissement, mais aussi de la Bank of Cyprus, sont mis à contribution.

Faut-il revoir les critères d’adhésion à la zone euro ? Les pays candidats doivent toujours remplir les critères de convergence posés par le traité. Il leur faut désormais respecter aussi les nouvelles règles de gouvernance renforcée, à la fois budgétaires et macroéconomiques. Pour les futures adhésions, il conviendra de faire preuve de plus de vigilance que par le passé.

M. Thiery Mandon. Je souhaite apporter un soutien politique réel à la façon dont la France a défendu ses positions. Dans cette affaire, vous avez joué un rôle extrêmement important qui doit être salué.

Le besoin de recapitalisation des banques espagnoles a été réduit de 15 milliards d’euros entre les estimations initiales et le plan final. Savez-vous si des banques françaises sont concernées par cet ajustement ?

M. Pierre Lellouche. Je n’interviens pas pour faire porter à l’actuel ministre de l’économie et des finances la responsabilité de l’entrée de Chypre dans l’Union européenne
– ce qui était une erreur – et, encore plus, dans la zone euro, où est entrée une « lessiveuse » en toute connaissance de cause.

Mais une faute politique grave a néanmoins été commise : celle de laisser penser qu’en cas de crise, les épargnants pourraient être lésés. Malheureusement, le mal est fait. Vous n’êtes certes pas seul à porter cette responsabilité, mais l’expérience montre que lorsqu’un ministre s’oppose, ce genre de décision n’est pas pris. La distinction subtile que vous faite entre la taxation et la transformation des dépôts en portefeuilles d’actions dévalorisées n’est politiquement pas convaincante et juridiquement risquée.

L’accord relatif à Chypre, conclu pour un montant de 17 milliards d’euros, n’est pas un bon accord mais une simple rustine dans la mesure où l’économie chypriote, un peu comme la grecque, est inexistante. Il n’y a que de la spéculation, rien d’autre. Avec l’argent du contribuable, vous n’avez donc gagné que quelques semaines ou quelques mois de répit. Mais nous passerons bientôt aux cas suivants que sont Malte et la Slovénie. Nous sommes entrés dans un système de solidarité à répétition sans fin.

Or, ce système coûte à la France 73 milliards d’euros, ce qui représente la totalité de notre déficit budgétaire : 3,5 % du PIB. Nous aurons l’année prochaine des élections européennes et nul doute que d’aucuns s’empareront de cet argument. Il faudra alors expliquer pourquoi nous avons une ligne de crédits ouverte – avec de l’argent que nous n’avons pas – pour des pays qui ne gèrent pas leur économie.

Vous n’avez pas écarté le risque systémique en Europe et la France fait partie intégrante de ce risque, notamment en raison de son taux d’endettement. Je suis extrêmement inquiet de cette situation car rien n’est réglé dans la zone euro pour une raison fondamentale : à l’intérieur d’une même zone monétaire, s’il n’y a pas de convergence fiscale et économique, un trou sans fond s’ouvre pour les contribuables. Le consensus politique ne durera pas longtemps à ce rythme surtout si, au passage, des fautes politiques sont commises qui remettent en cause la confiance des épargnants dans cette zone euro qui prend l’eau de toute part.

M. Christophe Caresche. L’Eurogroupe a fait ce qu’il pouvait compte tenu de la situation. Les autorités chypriotes ont tout fait pour éviter que l’Union européenne intervienne ; puis, lorsque l’Europe est intervenue, elles ont tout fait pour essayer de se soustraire aux conditions posées, ce qui pose problème.

Le ministre a parfaitement raison de dire que nous ne sommes pas dans un système fédéral. La souveraineté nationale n’est pas remise en cause et Chypre a d’abord choisi de se tourner vers la Russie.

Ce qui importe, c’est d’avoir aujourd’hui un dispositif en Europe qui permette à une banque de faire faillite sans mettre en cause l’ensemble du système. Votre volonté, monsieur le ministre, d’accélérer l’union bancaire est la bonne réponse. Mais si les progrès sont nets en matière de supervision, en revanche, en matière de résolution, nous sommes loin d’un système satisfaisant. Il faut parvenir à dissocier la situation des banques de la situation des Etats. Je souhaiterais que la France soit très offensive sur ce point dans les semaines qui viennent pour finaliser l’union bancaire.

Mme Arlette Grosskost. Je souscris entièrement à ce qui vient d’être dit et je me félicite de la volonté commune d’une nouvelle gouvernance bancaire qui apparaît comme indispensable.

Outre la participation au FESF et au MES, il ne faut pas oublier que la Caisse des dépôts et consignations – CDC – et la Caisse nationale de prévoyance – CNP – ont une certaine exposition à la crise de la dette souveraine de plusieurs pays, comme l’Irlande ou l’Espagne. J’aimerais savoir à quel niveau ces deux institutions sont exposées et quel sera l’impact sur l’endettement public.

M. Régis Juanico. Le plaidoyer des Chypriotes sur la préservation de leur modèle de développement ne doit-il pas inciter l’Union européenne à accélérer l’examen des dossiers tels que l’harmonisation fiscale ou le dumping fiscal et à se pencher davantage sur les situations de paradis fiscaux au sein même de l’Union européenne ?

M. Pascal Cherki. Est-ce que la France ne pourrait pas saisir cette occasion pour rappeler fermement le caractère déséquilibré des économies dont la croissance repose principalement sur le système financier, dont une part importante des dépôts sont détenus par des non-résidents et qui ont un taux d’imposition très faible ? D’autres pays européens sont dans cette situation.

Quelles sont les réformes structurelles qui ont été proposées concernant le marché du travail ? Et quel lien y a-t-il entre le fait que des résidents étrangers déposent de l’argent avec un très fort rendement dans des banques chypriotes et la nécessité de réformer le marché du travail ?

Chypre doit évoluer selon un nouveau modèle sain. Mais a-t-elle les moyens de le faire seule ? S’agissant d’un Etat membre de l’Union, la solidarité européenne ne devrait-elle pas s’exercer en amont, notamment sur les questions de développement économique, pour éviter que certains pays ne se transforment en paradis fiscaux ? Cela pose la question des transferts au sein de l’Union européenne et, donc, du budget de l’Union européenne.

Mme Marie Christine Dalloz. Le premier accord était composé de réformes internes imposées à Chypre visant à restaurer la situation de ses finances publiques. Figurent-elles toujours dans le deuxième accord ? Comment concilier la notion de souveraineté nationale avec l’imposition de directives sur le fonctionnement de l’économie et la fiscalité d’un pays ?

De manière plus générale, je m’associe aux propos de M. Hervé Mariton qui vous interrogeait sur la nécessité d’un collectif budgétaire au vu de la révision des prévisions macro-économiques.

M. Henri Emmanuelli. Je ne reviendrai pas sur l’erreur psychologique grave qui a été commise avec le projet de taxation de tous les dépôts. Je souhaite intervenir sur la situation de l’Espagne et du Portugal. J’ai entendu dire que la situation s’était améliorée mais je ne partage pas du tout ce sentiment. Si on peut estimer qu’au Portugal quelques progrès ont été réalisés, la situation en Espagne est catastrophique. Dans le sud-ouest, des milliers d’Espagnols passent nos frontières pour aller voir les associations caritatives. Ceux qui manipulent les agrégats économiques doivent comprendre que la psychologie a une part d’au moins 50 % dans la réalité économique.

M. Éric Alauzet. Je voudrais revenir sur deux points positifs que je considère comme des points d’appui pour avancer sur la question de l’harmonisation fiscale en Europe et celle de l’aléa moral en cas de crise et de mise en place de plans de résolution. Mais avant cela, je tiens à vous faire part de notre soutien et à dénoncer les propos outranciers et odieux qui ont été prononcés à votre égard, d’autant plus choquants qu’ils viennent de notre camp à gauche.

Premier point : l’harmonisation fiscale. L’effet délétère de la compétition fiscale est apparu une fois encore. C’est un des ingrédients importants de la dérive de certains pays même si, comme vous l’avez dit, à Chypre, cela confine à la caricature. Mais d’autres pays sont concernés à des degrés divers. Et l’affaire chypriote peut constituer un levier pour avancer en matière d’harmonisation fiscale, même si ce n’est pas très facile dans une Europe composée majoritairement de gouvernements libéraux.

Deuxième point : faire progresser le débat sur qui doit payer en cas de crise et dans les plans de résolution. Les questions de la responsabilité des créanciers seniors et de l’aléa moral ont été évoquées lors des discussions sur le projet de loi bancaire. On ne s’en sortira pas sans la taxation des plus fortunés dans nos pays occidentaux.

Les contribuables ne pourront plus être mis à contribution et là je ne fais que répéter ce qu’a dit hier Benoit Cœuré de la BCE. Cette option doit être écartée et des solutions alternatives trouvées.

Les peuples réagissent pour que les épargnants soient protégés. De la sortie de crise de Chypre dépend la crédibilité du plan de résolution qui a été proposé.

M. Claude Goasguen. Dans l’accord du 24 mars, a certes été supprimé le handicap de la première résolution, mais vous nous avez dit que les dépôts non assurés auprès des banques auraient une contrepartie en actions. Est-ce que vous pouvez préciser le mécanisme financier de ce dispositif ?

M. Pierre Moscovici, ministre de l’Économie et des finances. Avant de répondre aux différentes questions qui m’ont été posées, je tiens à rappeler que je n’ai jamais refusé une invitation de la commission des Finances ni esquivé de débat. Je suis bien évidemment à la disposition de votre Commission aux réunions de laquelle je participe toujours avec plaisir.

En ce qui concerne le projet de loi de finances rectificative, vous inversez la problématique. Les prévisions vont être changées, c’est l’évidence. La Commission européenne a fait connaître ses chiffres, nous allons faire connaître les nôtres. Vous allez pouvoir en débattre très vite, non pas dans le cadre d’un collectif, mais dans celui du programme de stabilité.

Dans les prochains jours, les prévisions budgétaires vont être soumises au Haut conseil des finances publiques. Elles seront ensuite intégrées dans le programme de stabilité avec l’avis du HCFP. Je me suis entretenu cette semaine avec M. Didier Migaud pour mettre en place les procédures de travail adéquates.

Vous aurez à débattre des nouvelles prévisions et je viendrai prochainement pour présenter le programme de stabilité, mais une loi de finances rectificative ne serait nécessaire que si nous avions besoin d’un ajustement supplémentaire.

Or, nous n’avons pas l’intention de tenir l’objectif d’un déficit à 3 % pour 2013 car il ne faut pas ajouter l’austérité à la récession. En situation de récession de la zone euro pour la deuxième année consécutive, il faut laisser jouer les stabilisateurs automatiques et reporter l’objectif de 3 % de 2013 à 2014.

Le déficit était 5,2 % en 2011 et aurait été largement supérieur à 5 % sans ajustement. Vous connaitrez dans les tous prochains jours le déficit effectif pour 2012 qui sera inférieur à celui de 2011. Il sera de l’ordre de 3,7 % en 2013 et de 3 % en 2014.

En ce qui concerne la situation de l’Espagne évoquée par M. Emanuelli, les actions prévues par le plan de résolution ont joué leur rôle. Elles ont conduit à la mobilisation de ressources internes, notamment les cessions d’actifs, la contribution des actionnaires et des créanciers juniors. Ce plan n’a pas eu d’impact spécifique sur les banques françaises.

Mais de manière générale, je ne suis pas en désaccord avec M. Emmanuelli. Ce dont nous avons besoin, c’est d’une politique macroéconomique favorable à la croissance dans la zone euro qui soit définie par le Conseil européen puis mise en œuvre par les instances adéquates.

Notre rôle au sein de l’Eurogroupe est de nous assurer du bon financement de la zone euro. Quand je dis que la situation espagnole s’est améliorée, c’est parce que nous avons défini un programme opérationnel pour le secteur bancaire. Cela ne signifie pas que tous les indicateurs macroéconomiques soient satisfaisants.

Sur les risques de contagion, l’enjeu est de maitriser les risques systémiques à travers une gouvernance renforcée, à travers l’Union bancaire. L’Eurogroupe travaille sur les pays fragiles et je pense que, dans des conditions compliquées, il a plutôt bien joué son rôle. Le risque systémique est moins fort qu’il y a six mois.

M. Lellouche, je vais revenir sur les accords et tout d’abord sur le fait de savoir s’il y a eu une erreur politique. Oui, il y avait une erreur politique dans le premier accord, mais cette erreur a été corrigée et c’est ce point qui est important. Moi aussi j’ai été ministre des affaires européennes – avant vous et pendant cinq ans –- maintenant je suis ministre des finances et je peux vous assurer qu’il ne s’agit pas exactement du même poste.

Vous m’accusez de ne pas avoir su dire non, mais mesurez-vous les conséquences d’une absence d’accord sur Chypre et sur les places financières ?

Vous en venez à critiquer ces mécanismes coûteux mis en place par le Président de la République précédent avec des gouvernements dont vous étiez d’ailleurs partie prenante. Je considère pour ma part que nous devons les reprendre et les perfectionner. Oui c’était le prix à payer pour sauver la zone euro et, en jugeant ce prix est excessif, vous sous-entendez que la zone euro elle-même ne vaut plus la peine de payer ce prix. Je ne saisis pas la cohérence de vos propos.

M. Pierre Lellouche. On ne peut pas continuer à sortir des milliards d’euros sans remettre en question le système lui-même, le fameux MES.

M. Pierre Moscovici, ministre de l’Économie et des finances. La France considère que l’intégrité de la zone euro est un bien précieux. Ne croyez pas que nous n’ayons jamais examiné l’hypothèse d’une sortie de Chypre ou de la Grèce. Mais le jour où une sortie se fait, c’est l’ensemble qui se défait. Si nous en étions restés à l’accord du 15 mars et si nous n’avions pas conclu d’accord dimanche dernier, Chypre serait sortie de la zone euro. Psychologiquement, cela aurait eu pour conséquence que l’ensemble aurait perdu de sa stabilité. Et c’est pour éviter cela que j’ai conclu ces deux accords, le premier de manière très réservée, le second de manière tout à fait consentante.

Les autres questions qui m’ont été posées soulèvent le problème de la solidarité dans le cadre l’Union européenne, qu’il s’agisse de l’Union bancaire, de la question de Chypre ou de la mise en place du programme tel qu’évoqué par M. Alauzet.

L’économie chypriote va bien sûr connaître une baisse de son PIB puisqu’il était gonflé par un modèle artificiel, un modèle pervers. Nous devons nous interroger sur les responsables de la construction de ce modèle d’économie « casino », de cette plateforme financière offshore.

Je n’aurais pas souhaité qu’on engage au-delà de ce qui a été fait les deniers de la zone euro hors Chypre pour venir en aide à ceux qui ont créé un tel modèle.

Comment reconstruire sur cette base l’économie chypriote ? Nous devons lui venir en appui. Dans le cadre du MES, les 10 milliards d’euros de prêts sont destinés à l’Etat chypriote. Par ailleurs, dans le cadre des politiques structurelles, il faudra faire jouer la solidarité pour aider ce pays, au-delà de la soutenabilité de sa dette, à créer un nouveau modèle économique, mais là il s’agit de notre responsabilité collective, de celle de l’Union européenne, non celle de l’Eurogroupe.

M. le président Gilles Carrez. Monsieur le ministre, je vous remercie.

Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du jeudi 28 mars 2013 à 11 heures

Présents. - M. Éric Alauzet, M. Christophe Caresche, M. Gilles Carrez, M. Pascal Cherki, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Christian Eckert, M. Henri Emmanuelli, Mme Annick Girardin, M. Claude Goasguen, Mme Arlette Grosskost, M. Régis Juanico, M. Jean-François Lamour, M. Dominique Lefebvre, M. Jean-François Mancel, M. Thierry Mandon, M. Hervé Mariton, Mme Valérie Rabault, Mme Eva Sas, M. Éric Woerth

Excusés. - M. Guillaume Bachelay, M. Dominique Baert, M. Xavier Bertrand, M. Yves Censi, M. Gaby Charroux, M. Marc Francina, M. Laurent Grandguillaume, M. Jean Launay, M. Michel Pajon, M. Thierry Robert, M. Camille de Rocca Serra, M. Thomas Thévenoud

Assistait également à la réunion. - M. Pierre Lellouche

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