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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mercredi 20 mai 2015

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 81

Présidence
de M. Gilles Carrez,
Président

–  Audition, en application de l’article L. 612-5 du code monétaire et financier, de M. Bernard Delas, personnalité pressentie pour exercer les fonctions de vice-président du collège de supervision de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, puis vote sur cette nomination

–  Présences en réunion

La Commission entend, en application de l’article L. 612-5 du code monétaire et financier, M. Bernard Delas, personnalité pressentie pour exercer les fonctions de vice-président du collège de supervision de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, puis vote sur cette nomination.

M. le président Gilles Carrez. Le mandat de M. Jean-Marie Levaux, vice-président du collège de supervision de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution – ACPR –, a expiré le 9 mars dernier. Par courrier en date du 7 mai, M. le président de l’Assemblée nationale m’a informé que le secrétaire général du Gouvernement lui a fait savoir que le Gouvernement envisageait de vous nommer, monsieur Delas, pour lui succéder dans cette fonction.

En vertu des dispositions de l’article L. 612-5 du code monétaire et financier, ce collège est présidé par le gouverneur de la Banque de France et comprend en outre dix-huit membres. Le mandat des membres, qui ne peuvent être âgés de plus de 70 ans le jour de leur nomination, est renouvelable une fois. En cas de vacance d’un siège, il est procédé à son remplacement pour la durée du mandat restant à courir.

Le vice-président est nommé pour une durée de cinq ans par arrêté conjoint des ministres de l’économie, de la sécurité sociale et de la mutualité, après avis des commissions des Finances de l’Assemblée nationale et du Sénat. Nous sommes donc réunis ce matin afin de vous entendre, comme nous avions entendu M. Jean-Marie Levaux le 17 octobre 2013. À l’issue de cette audition, nous exprimerons notre avis, ce que le Sénat fera à son tour après vous avoir entendu en fin de matinée.

Conformément à l’usage, votre curriculum vitae est mis à la disposition des membres de la Commission.

M. Bernard Delas. Mon curriculum vitae vous ayant été communiqué, je me contenterai de retracer à grands traits mon parcours de plus de quarante ans dans l’assurance, en distinguant quatre périodes.

La première a été celle de Groupama Assurances, groupe au sein duquel ma carrière a duré vingt-neuf ans. Au cours des dix premières années, j’ai eu la chance d’occuper des fonctions variées dans les différents départements de la Samda, qui était à l’époque la plus importante des filiales de Groupama. Cette expérience très formatrice m’a permis de découvrir quelques-unes des multiples facettes de l’assurance et d’acquérir les bases de ce qui est devenu mon métier – assureur. J’ai ensuite accédé à des responsabilités de direction, à la Samda d’abord, au siège du groupe ensuite, avant de me voir confier en 1990 la direction générale d’une caisse régionale, en 1993 celle de Groupama Assurances France, et en 1995 enfin la direction générale du groupe.

Au cours de ces trois décennies, Groupama s’est profondément transformé et a changé de taille ; j’ai bien sûr contribué à ces transformations. Je citerai trois événements qui ont marqué l’histoire de ce groupe et auxquels j’ai pris une part active : à la fin des années 1980, la mutualisation de la Samda et sa fusion avec les Assurances mutuelles agricoles, pour donner naissance à Groupama ; au début des années 1990, la fusion des caisses régionales, dont le nombre est passé en quatre ans de soixante-sept à une vingtaine ; en 1998 enfin, la privatisation du GAN et son acquisition par Groupama.

La deuxième période de ma carrière s’est déroulée à CNP Assurances, groupe public et premier assureur-vie français, que j’ai rejoint en l’an 2000. Au sein du directoire, j’ai été chargé de développer le réseau international du groupe, expérience passionnante. Pendant un peu plus de trois ans, j’ai structuré le dispositif permettant à CNP de promouvoir auprès de grandes banques étrangères et de réseaux postaux le modèle original de bancassurance développé en France avec le succès que l’on sait en vendant ses produits dans les réseaux de La Poste et des caisses d’épargne. Pour ne donner qu’un exemple de mes réalisations au cours de cette période, je citerai l’acquisition et la restructuration de Caixa Seguros au Brésil. Cette filiale de la CNP a depuis lors connu un développement remarquable et elle contribue aujourd’hui de façon très significative aux résultats du groupe.

La troisième période de ma carrière s’est déroulée au Crédit Agricole Assurances. En 2004, je rejoins Crédit Agricole SA, la holding de tête du groupe. La mission qui m’est confiée est, comme à la CNP, de créer ex nihilo un réseau international « Assurances ». Je constitue les équipes au siège afin d’accompagner un développement très rapide qui se fait par acquisition ou création de sociétés d’assurance. Cette aventure professionnelle très stimulante me permet de découvrir de l’intérieur l’efficacité du modèle de bancassurance du Crédit Agricole et le monde de la banque, si différent de celui de l’assurance. Lorsque je prends ma retraite, le 1er janvier 2010, Crédit Agricole Assurances est présent dans une quinzaine de pays et l’activité internationale représente plus de 20 % du chiffre d’affaires du groupe.

Retraité, je décide enfin de me lancer dans le conseil stratégique indépendant, une activité que je développe depuis cinq ans. J’ai une dizaine de clients ; ce sont pour l’essentiel des sociétés d’assurance étrangères ou des assureurs français que je conseille pour leur stratégie internationale.

Je conclurai ce rapide survol de mon parcours dans l’assurance en mentionnant d’une part une incursion dans le monde de la sécurité sociale – j’ai exercé à Reims, pendant trois ans, simultanément les fonctions de directeur général d’une caisse régionale de Groupama et de directeur général d’une caisse de la Mutualité sociale agricole –, d’autre part mes responsabilités à la Fédération française des sociétés d’assurances – FFSA –, dont j’ai été vice-président, et à la Fédération française des sociétés d’assurance mutuelles – FFSAM –, que j’ai présidée.

Je vous dirai maintenant pourquoi je suis candidat aux fonctions de vice-président de l’ACPR et ce que je pense pouvoir apporter à l’Autorité si ma candidature est retenue. J’ai pour habitude de m’investir complètement au service des entreprises pour lesquelles je travaille et, au long de ma carrière professionnelle, j’ai surtout eu l’occasion de défendre des intérêts particuliers ou, lorsque j’ai eu des responsabilités à la FFSA, des intérêts catégoriels. Pour cette ultime étape de ma carrière, je serais très heureux de passer de la sphère privée à la sphère publique et de mettre mon expérience de l’entreprise au service d’une institution qui exerce ses missions au nom de l’intérêt général.

L’ACPR, autorité indépendante adossée à la Banque de France, a pour mission principale de veiller à la préservation de la stabilité du système financier et à la protection des clients de la banque et de l’assurance. Elle est présidée par le gouverneur de la Banque de France et, depuis la fusion, en 2010, des instances de supervision de la banque et de l’assurance, les textes prévoient que son vice-président doit avoir une expérience professionnelle dans l’assurance. C’est à cette fonction que je suis candidat. Il me semble en effet que mon parcours professionnel, tout entier consacré à l’assurance, m’a préparé à exercer cette responsabilité. Les différents postes que j’ai occupés au sein de trois groupes français – un assureur mutualiste, une institution publique, un bancassureur –, les responsabilités que j’ai exercées dans la profession et les clients que j’ai accompagnés en ma qualité de consultant m’ont permis d’acquérir une expérience approfondie et une vision transversale du monde de l’assurance en France.

Si ma candidature était retenue, je pourrais apporter à l’ACPR mon expérience et mes compétences dans plusieurs domaines : une longue pratique des principaux métiers de l’assurance, de la bancassurance et de l’assurance vie en France ; une connaissance des marchés et des acteurs de l’assurance et de la bancassurance, en France et à l’étranger ; une expérience confirmée de la direction générale de sociétés ou de groupes d’assurance de tailles très diverses, en France et à l’étranger ; une expertise plus spécifique, toujours dans l’assurance, pour ce qui touche à la réflexion stratégique, à l’international, aux fusions et acquisitions ainsi qu’à la création de nouvelles sociétés d’assurance.

Sous l’impulsion du Parlement, le rôle essentiel de l’ACPR dans la régulation des secteurs de la banque et de l’assurance en France s’est beaucoup renforcé à la suite de la crise bancaire de 2008. Un cadre réglementaire prudentiel rénové, dont les orientations sont définies au niveau international et européen, se met en place par étapes. La transposition en droit français de la directive CRD4 et l’entrée en vigueur du mécanisme de supervision unique constituent pour le secteur bancaire une avancée considérable. Dans l’assurance, la transposition de la directive-cadre Solvabilité II est effective depuis la publication, début avril, du décret et de l’arrêté d’application, si bien que Solvabilité II pourra entrer en vigueur le 1er janvier 2016.

Ce cadre réglementaire neuf impose aux banquiers et aux assureurs de nouvelles exigences et confère au superviseur des leviers d’action beaucoup plus nombreux et plus puissants pour faire appliquer et respecter les normes prudentielles. Ces progrès remarquables ont déjà permis d’apprécier beaucoup plus justement les risques auxquels les banques et les sociétés d’assurance sont confrontées et de mieux calibrer les exigences de fonds propres.

Tous les acteurs concernés – les régulateurs à l’échelon national et à l’échelon européen, les banquiers, les assureurs et leurs organisations professionnelles, le Parlement – ont accompli un travail immense pour élaborer, tester et adapter ces nouveaux dispositifs à la réalité du terrain. Il faut à cet égard saluer la qualité des équipes de l’ACPR, unanimement reconnue en France et à l’étranger ; elles ont joué un rôle majeur pour que les nouvelles normes prudentielles européennes deviennent réalité.

Cela ne signifie pas que les défis à relever ne demeurent pas nombreux. Le nouveau dispositif réglementaire prudentiel est particulièrement performant mais il est aussi sophistiqué et complexe. Il ne produira les effets positifs que nous en attendons que si nous savons instaurer entre contrôleur et contrôlés un dialogue étroit et confiant afin de procéder, en marchant, à la nécessaire adaptation de cet outil à la réalité de l’entreprise et aux véritables besoins de la régulation.

Si je rejoignais l’ACPR, j’exercerais mes nouvelles responsabilités au sein du collège de supervision en toute indépendance et j’aurais évidemment à cœur le respect des textes et leur application rigoureuse. Mais je m’efforcerais aussi de rappeler que la véritable efficacité du nouveau cadre prudentiel se mesure d’abord au niveau de l’entreprise, lorsque celle-ci le met à profit pour mieux gérer ses risques, c’est-à-dire pour mieux faire son métier.

M. Henri Emmanuelli. On lit dans votre curriculum vitae que vous êtes administrateur de plusieurs sociétés. Considérant la fonction à laquelle vous êtes candidat, n’y a-t-il pas un risque de conflit d’intérêts ? Comptez-vous vous démettre ?

L’ACPR a veillé à la solvabilité des établissements qu’elle supervise. Mais l’Autorité est aussi l’organe de contrôle des banques et des sociétés d’assurance. Étant connues les accusations de fraude fiscale organisée sur le mode industriel portées contre les banques HSBC, UBS et Crédit suisse, on peut s’interroger sur l’exercice de ce contrôle, et aussi sur la responsabilité exacte de la Société générale dans l’affaire Kerviel – car il n’est pas sérieux de prétendre qu’un salarié ait pu engager 5 milliards d’euros à l’insu de sa hiérarchie sans contreparties à l’étranger, sans appels de marge et sans que l’on sache quelle est la réalité de la perte subie par la banque. Tout cela est d’une opacité certaine. Si vous êtes désigné membre du collège de supervision de l’Autorité, vous soucierez-vous non seulement du maintien des grands équilibres financiers mais aussi de la légalité des opérations auxquelles se livreront les établissements placés sous votre supervision, comme la Commission bancaire, en son temps, en avait le devoir ? À ce sujet, l’ACPR a beaucoup à se faire pardonner.

M. Jérôme Chartier. Vous avez pris votre retraite fin 2009, au moment où la directive-cadre Solvabilité II a été adoptée par le Parlement européen. Aviez-vous eu l’occasion de participer à la réflexion qui a conduit à sa définition, et avez-vous suivi l’évolution du texte depuis lors dans votre qualité de conseil en stratégie ? Quels sont les clients, au moins les clients français, de votre société de conseil en stratégie ?

M. Laurent Grandguillaume. J’aimerais connaître votre point de vue sur la mobilité bancaire, que la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dont vous serez amené à vérifier l’application, tend à faciliter ; sur le financement participatif ; sur les contrats d’assurance vie en déshérence ; sur le statut de la Banque publique d’investissement vis-à-vis de l’ACPR ; sur le contrôle par l’ACPR des sociétés de recouvrement en matière d’assurance-crédit, aux pratiques souvent décriées.

M. Olivier Carré. Vous avez été amené à travailler avec des établissements de droit luxembourgeois et irlandais. Sous l’égide de l’Organisation de coopération et de développement économiques – OCDE –, leur comportement est en train de se modifier ; que vous inspire cette évolution, dont le contrôle appellera une vigilance particulière ?

M. Alain Rodet. Vous avez été cadre dirigeant de Groupama et du Crédit Agricole. N’avez-vous pas regretté que ces deux établissements, au lieu de s’unir, aient choisi de se livrer à une concurrence dont on ne saurait dire qu’elle ait été totalement productive ?

M. Alain Fauré. J’aimerais aussi vous entendre dire si, au cas où vous seriez désigné vice-président de l’ACPR, vous avez l’intention de vous délier des engagements que vous avez pris depuis 2010. Sur un autre plan, entendez-vous défendre le système mutualiste, dont le développement permettrait d’éviter bien des inepties – celles, par exemple, qu’a évoquées notre collègue Henri Emmanuelli à propos de la Société générale ?

M. Bernard Delas. Il va sans dire, monsieur Emmanuelli, que si ma candidature à la vice-présidence de l’ACPR était retenue, j’abandonnerais tous mes mandats d’administrateur d’entreprises françaises et étrangères. Je cesserais aussi toute activité professionnelle rémunérée, mettant ma propre société en sommeil ; j’ai déjà avisé mes clients de cette éventualité.

À propos des scandales de fraude fiscale impliquant de grandes banques internationales, je considère à titre personnel que la mission principale de l’ACPR est de veiller à préserver la stabilité du système financier. L’important est que les grandes banques nationales et internationales demeurent solides pour ne pas être à nouveau à l’origine d’une crise bancaire et financière semblable à celle que nous avons connue.

M. Henri Emmanuelli. Elles doivent aussi s’abstenir de faire n’importe quoi.

M. Bernard Delas. À ma connaissance, le contrôle des aspects purement fiscaux ne relève pas de la responsabilité directe de l’ACPR. En revanche, en cas de dysfonctionnements dans l’organisation des établissements, il revient à l’Autorité de rappeler à l’ordre leurs dirigeants. D’ailleurs, l’affaire Kerviel a provoqué deux réactions : d’une part, le comportement d’un salarié de la Société générale a été jugé – bien ou mal, c’est une autre question ; d’autre part, l’ACPR a infligé à la banque une sanction pécuniaire pour défaut de contrôle interne.

M. Henri Emmanuelli. Sanction largement compensée par le contribuable…

M. Bernard Delas. Je souligne au passage le rôle bénéfique joué par le législateur. À l’époque, la sanction pécuniaire que pouvait infliger le régulateur était plafonnée à 5 millions d’euros. La directive qui s’applique aujourd’hui prévoit qu’elle peut atteindre 10 % du chiffre d’affaires de l’établissement montré du doigt – une somme sans commune mesure pour les grandes banques. La même affaire, éclatant cinq ans plus tard, aurait donc donné lieu à une sanction infiniment plus importante.

Après que j’ai quitté le Crédit Agricole le 1er janvier 2010, monsieur Chartier, je me suis investi à plein temps dans le conseil stratégique auprès d’une dizaine de clients, tous assureurs et donc tous soumis aux dispositions de Solvabilité II. Avant cela, j’avais, lorsque j’exerçais mes fonctions au Crédit Agricole, participé aux discussions commencées en 2004 entre les autorités publiques et les professionnels et qui ont donné naissance à la directive-cadre en 2009. Ensuite, j’ai participé aux discussions qui ont conduit, le dispositif paraissant inadapté aux professionnels, à reporter plusieurs fois l’application du texte, dont l’entrée en vigueur a finalement été fixée au 1er janvier 2016.

M. Jérôme Chartier. Quelle a été votre contribution précise à cette discussion ?

M. Bernard Delas. J’ai participé à l’élaboration du dispositif pratique qui permettra l’entrée en vigueur effective de Solvabilité II le 1er janvier 2016. Le nouveau cadre prudentiel oblige les entreprises à revoir leur organisation et le dialogue entre la direction et le conseil d’administration, et aussi à mettre au point de nouveaux outils informatiques et de suivi statistique. C’est un travail colossal. Les sociétés d’assurance de toute taille, en France comme dans les autres pays de l’Union européenne, ont investi pour cela des sommes et une énergie considérables.

M. Jérôme Chartier. L’essentiel de vos missions de conseil, depuis le 1er janvier 2010, a donc consisté à préparer l’entrée en vigueur de Solvabilité II. Est-ce bien cela ?

M. Bernard Delas. Oui, mais pas exclusivement. Solvabilité II révolutionne l’organisation des sociétés d’assurance dans tous ses compartiments – gouvernance, contrôle, audit, conformité, dispositifs actuariels – de manière à assurer un suivi des risques beaucoup plus étroit que par le passé. En ma qualité de conseil, j’ai mis la main à la pâte pour aider mes clients à s’adapter à ce nouveau cadre réglementaire. Si l’on excepte quelques contrats ponctuels, les clients français pour lesquels j’ai travaillé de manière durable sont la filiale française de Swiss Life et Inter Mutuelles Assistance.

Les dispositions prises pour faciliter la mobilité bancaire vont dans la bonne direction, mais je ne suis pas en mesure de vous dire, monsieur Grandguillaume, quelles difficultés pratiques éventuelles éprouvent les banques françaises pour les mettre en œuvre.

Le sort des contrats d’assurance vie en déshérence a fait l’objet de nombreuses discussions au Parlement et au sein de la Fédération française des sociétés d’assurances. L’ACPR a beaucoup agi par ses contrôles ces dernières années. La loi de 2007 étant, et c’est peu dire, mal appliquée par les professionnels, de nouveaux débats ont eu lieu qui se sont traduits par l’adoption, l’an dernier, de la loi relative aux comptes bancaires inactifs et aux contrats d’assurance vie en déshérence. Le texte entrera en vigueur le 1er janvier prochain ; il prévoit que l’Autorité remettra au Parlement, avant le 1er mai 2016, un rapport retraçant l’évolution de l’en-cours. Le sujet ayant été pris à bras-le-corps, vous devriez constater à cette occasion une réduction particulièrement nette des montants non réclamés. Je suivrai cette question de très près si j’accède aux fonctions de vice-président de l’ACPR.

Je ne connais pas la position de l’Autorité sur le financement participatif, source de financement de l’économie qui fait exception au monopole bancaire. À titre personnel, je juge le dispositif tout à fait souhaitable. La vigilance s’impose par le contrôle prudentiel des nouveaux acteurs et de leurs pratiques commerciales.

J’ignore si, pour l’ACPR, Bpifrance a un statut particulier.

M. Henri Emmanuelli. Ce n’est pas le cas. Bpifrance entre dans le périmètre de contrôle de l’Autorité.

M. Bernard Delas. Je ne saurais vous dire non plus quelle est la position de l’ACPR sur les sociétés de recouvrement.

Votre question à propos du Luxembourg et de l’Irlande, monsieur Carré, m’amène à vous dire qu’il est choquant pour l’Européen que je suis de constater la persistance des écarts de la fiscalité applicable aux entreprises au sein de l’Union européenne, de surcroît dans des États qui ont une même monnaie ; aussi longtemps qu’il en sera ainsi, on pourra difficilement empêcher une banque ou une société d’assurance de créer des filiales dans les pays où la fiscalité est la plus favorable. Sur un autre plan, certaines banques et sociétés d’assurances françaises distribuent en France des contrats d’assurance vie produits par leurs filiales luxembourgeoises respectives, mais ces contrats sont soumis aux mêmes règles que les contrats émis par les sociétés d’assurance vie françaises : le client a les mêmes contraintes et les mêmes bénéfices. Il est vrai que la réglementation luxembourgeoise permet certains avantages qui ne sont pas autorisés en France, telle la détention de titres vifs dans un contrat d’assurance vie. La réglementation française est plus prudente sur ce point ; selon moi, c’est préférable. Si j’accédais à la vice-présidence de l’ACPR, j’examinerais le sujet de près pour apprécier si l’Autorité peut intervenir davantage.

Monsieur Rodet, la raison pour laquelle le Crédit Agricole et Groupama ne sont pas parvenus à constituer un grand groupe mutualiste français de la banque et de l’assurance demeurera pour moi une question sans réponse, alors même que j’étais aux premières loges. Dans un premier temps, le banquier et l’assureur des agriculteurs ont essayé de faire cause commune : Groupama était présent dans les filiales du Crédit Agricole, et cette longue histoire a débuté par une collaboration étroite. Puis la puissance de distribution de la bancassurance a fait que les points de vue ont divergé et les deux groupes en sont venus à se concurrencer alors qu’ils auraient sans doute dû trouver une alliance pour le plus grand bénéfice des régions françaises.

Cela rejoint d’ailleurs le sujet évoqué par M. Fauré : les groupes mutualistes sont écartelés entre leur idéal originel – exclusivement la défense de leur sociétaires – et leur transformation en des groupes bancaires ou des sociétés d’assurance d’une importance économique gigantesque, ce qui les soumet aux règles de la concurrence. Ils hésitent de ce fait entre leur comportement d’acteur de marché et leur histoire mutualiste, deux options difficiles à concilier. Je regrette de n’avoir pu faire davantage pour favoriser le rapprochement entre Groupama et le Crédit Agricole.

Mme Valérie Rabault, rapporteure générale. Vos réponses, monsieur Delas, ne m’ont pas entièrement convaincue. En Allemagne, la faiblesse des taux d’intérêt inquiète ; si elle persiste, quels seront, selon vous, son impact sur le bilan des assureurs allemands et ses conséquences pour les assureurs français ? Quelles mesures vous paraissent devoir être mises en œuvre à ce sujet en France ?

M. Bernard Delas. Les taux d’intérêt durablement bas rendent toujours plus difficile l’exercice du métier d’assureur vie. Si le phénomène perdure plusieurs années, les compagnies d’assurance n’auront pas d’autre possibilité que de renoncer à la collecte nouvelle pour les contrats en euros assortis d’une garantie du capital. Si les rendements ont encore été de 2,5 % en moyenne en 2014 pour les contrats d’assurance vie en euros, c’est que les vieilles générations de contrats ont permis des placements à des taux élevés ; l’équation deviendra radicalement impossible pour les assureurs si les taux d’intérêt demeurent durablement bas. Cela étant, le défi le plus difficile à relever serait celui d’une hausse brutale des taux d’intérêt : il serait alors très compliqué de protéger la solidité des sociétés d’assurance, vraisemblablement contraintes de vendre des obligations en moins-values pour rembourser les clients de l’assurance vie qui trouveraient à leurs fonds des emplois plus rémunérateurs. Ce serait l’une de mes préoccupations centrales si je rejoignais l’ACPR.

En Europe du Nord et notamment en Allemagne, les taux garantis sont beaucoup plus élevés qu’en France et les compagnies d’assurance sont contractuellement obligées de servir cette rémunération, si bien qu’à court terme, la faiblesse des taux d’intérêt est plus préoccupante pour les assureurs du Nord de l’Europe que pour les assureurs français. En revanche, si les taux remontaient brutalement, les compagnies françaises se trouveraient dans une situation plus défavorable que leurs homologues allemandes ou scandinaves puisque l’on peut, en France, racheter un contrat d’assurance vie à tout moment sans pénalité.

M. Olivier Carré. Les auditions que mon collègue Christophe Caresche et moi-même avons conduites dans le cadre de la mission d’information sur l’investissement productif de long terme ont mis en évidence une anomalie dans la structure des taux et des risques à long terme : le poids des actions devrait être de beaucoup supérieur à ce qu’il est aujourd’hui. On voit bien que les fonds de pension servent des rémunérations plus élevées que ce que permettent les contrats assis sur des obligations. La réglementation va donc à l’encontre de la théorie de la gestion de portefeuille, si bien que l’inéluctable rééquilibrage des taux d’intérêt créera un nouveau risque d’accident systémique, paradoxalement dû à un souci de plus grande prudence. Tout cela rend perplexes les gestionnaires de fonds et, en compliquant l’allocation de l’épargne à l’investissement de long terme, nuit au financement de l’économie. Solvabilité II est souvent considérée comme un carcan ; envisagez-vous que la directive-cadre puisse évoluer pour fluidifier le financement des entreprises ?

M. Charles de Courson. Si vous êtes nommé aux fonctions de vice-président de l’ACPR, vous engagez-vous à essayer de modifier une réglementation qui, méconnaissant la spécificité des petites et moyennes mutuelles, va conduire, étant donné le coût astronomique des fonds propres exigés d’elles et de l’inadaptation des règles qui leur sont imposées, à leur disparition en nombre, alors qu’elles ne menacent en rien l’équilibre de marché ? Je préside depuis trente ans une petite mutuelle ; l’ACPR lui a demandé de recruter un actuaire salarié ! Outre cela, le coût du reporting à l’Autorité s’élève à 150 000 euros pour une mutuelle dont le chiffre d’affaires, exprimé en primes, est compris entre 8 et 9 millions d’euros !

Mme Arlette Grosskost. À cause de la loi américaine sur l’acquittement des obligations fiscales relatives aux comptes à l’étranger (Foreign Account Tax Compliance Act – FATCA – des Français résidant aux États-Unis et même en France se voient obligés par leur banque française de clore les comptes ouverts dans leurs livres. Lors de l’examen de la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, un amendement du Gouvernement a été adopté prévoyant en de tels cas la saisine automatique de l’ACPR par la Banque de France, dans le cadre du droit au compte. En est-il ainsi ?

M. Bernard Delas. La question des allocations d’actifs et des investissements de long terme a été au cœur des débats relatifs au nouveau cadre prudentiel. C’est aussi pourquoi la date d’entrée en vigueur de Solvabilité II a été reportée plusieurs fois : le législateur, l’autorité de supervision et les professionnels ne trouvaient pas le terrain d’entente permettant de prendre en compte le fait que l’assurance est un métier de très long terme. Comme vous l’avez dit, le plus simple, pour pouvoir assurer un meilleur rendement en une période de taux d’intérêt très bas, serait d’augmenter la part « actions » des contrats ; mais ce serait aussi faire prendre aux assureurs et au système dans son ensemble un risque important. Un arbitrage a finalement été trouvé entre le risque, objectif, de chute brutale du marché actions – ce qui justifie l’augmentation des fonds propres des sociétés d’assurance – et le souci de rendement. Il a fallu à cette fin procéder à des ajustements progressifs, singulièrement pour les activités de long terme des assureurs. Aussi le texte qui entrera en vigueur le 1er janvier 2016 n’est-il plus exactement le texte initial, qui a été sérieusement aménagé. Cependant, le débat se poursuit sur le financement de l’économie, chacun comprenant qu’il existe un rapport entre l’augmentation de la part « actions » des contrats d’assurance et l’accroissement de la participation des assureurs au financement de la croissance ou des investissements de long terme dans les infrastructures. Si j’accédais aux fonctions de vice-président de l’ACPR, je ferais de cette question centrale un sujet de dialogue avec les professionnels et le législateur pour mettre au point les adaptations qui, j’en suis persuadé, s’imposeront. Encore faudra-t-il les mettre en œuvre en gardant à l’esprit que la mission première de l’Autorité est de veiller à la stabilité du système financier.

Il est vrai, monsieur de Courson, que certaines mutuelles, parfois minuscules, jouent un rôle dans la seule branche « santé » de l’assurance. Il serait absurde de nier que les nouvelles normes prudentielles accéléreront leur rapprochement, engagé depuis de nombreuses années, et donc la réduction de leur nombre. Je conçois que ceux qui président de telles structures soient préoccupés par une avalanche de normes qui n’ont pas été conçues pour des mutuelles de toute petite taille. Je considère aussi que la diversité des formes d’organisation de l’assurance en France est un gage de sécurité d’ensemble : plus les systèmes de production, de développement et de distribution de l’assurance sont variés, plus fort est l’effet amortisseur en temps de crise. C’est avec ces idées que je prendrais les nouvelles fonctions qui me seraient confiées, en dialoguant avec toutes les parties.

La Banque de France est chargée de faire respecter le droit au compte ; l’ACPR s’attache et s’attachera au contrôle de la réglementation en cette matière.

Après le départ de M. Bernard Delas, la Commission émet un avis défavorable à sa nomination aux fonctions de vice-président du collège de supervision de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution.

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Membres présents ou excusés

Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mercredi 20 mai 2015 à 9 h 45

Présents. - M. Éric Alauzet, M. François André, M. Guillaume Bachelay, M. Jean-Marie Beffara, M. Étienne Blanc, M. Jean-Claude Buisine, M. Christophe Caresche, M. Olivier Carré, M. Gilles Carrez, M. Christophe Castaner, M. Gaby Charroux, M. Jérôme Chartier, M. Romain Colas, M. François Cornut-Gentille, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Olivier Dassault, M. Jean-Louis Dumont, M. Henri Emmanuelli, M. Olivier Faure, M. Alain Fauré, M. Yann Galut, M. Jean-Pierre Gorges, M. Marc Goua, M. Laurent Grandguillaume, Mme Arlette Grosskost, M. David Habib, M. Yves Jégo, M. Régis Juanico, M. Jean-Christophe Lagarde, M. Jérôme Lambert, M. Jean-François Lamour, M. Jean Lassalle, M. Jean Launay, M. Marc Le Fur, Mme Véronique Louwagie, M. Jean-François Mancel, M. Hervé Mariton, M. Pierre-Alain Muet, M. Patrick Ollier, M. Michel Pajon, Mme Valérie Pécresse, Mme Valérie Rabault, Mme Monique Rabin, M. Camille de Rocca Serra, M. Alain Rodet, Mme Eva Sas, M. Pascal Terrasse, M. Michel Vergnier, M. Laurent Wauquiez, M. Éric Woerth

Excusés. - M. Ibrahim Aboubacar, M. Dominique Baert, M. Xavier Bertrand, M. Alain Claeys, M. Marc Francina, M. Jean-Claude Fruteau, M. Patrick Lebreton, M. Dominique Lefebvre, M. Victorin Lurel, M. Thierry Robert

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