Accueil > Travaux en commission > Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire > Les comptes rendus |
La Commission examine un rapport d’information sur l’application de la loi n° 2013-672 du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires (Mme Karine Berger et M. Jérôme Chartier, rapporteurs).
M. le président Gilles Carrez. L’article 145-7, alinéa 1, de notre Règlement prévoit que, « à l’issue d’un délai de six mois suivant l’entrée en vigueur d’une loi dont la mise en œuvre nécessite la publication de textes de nature réglementaire, deux députés, dont l’un appartient à un groupe d’opposition et parmi lesquels figure de droit le député qui en a été le rapporteur, présentent à la commission compétente un rapport sur la mise en application de cette loi ».
Il nous revient d’examiner, à ce titre, les conditions d’application de la loi du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires, sur lesquelles ont travaillé les deux meilleurs spécialistes de notre commission en la matière : Karine Berger, qui avait été rapporteure du projet de loi, et Jérôme Chartier. Je les en remercie et suis très heureux qu’ils nous présentent leur point de vue sur ce sujet très important et très actuel, souvent d’une grande technicité. Leur rapport va beaucoup nous apporter, car nous nous posons de nombreuses questions sur l’union bancaire, sur la position de la France vis-à-vis des autres pays de l’Union européenne, notamment de ceux de la zone euro, et sur ce qui se passe actuellement au Royaume-Uni.
Mme Karine Berger, rapporteure. Au cours des deux derniers mois, Jérôme Chartier et moi-même avons en effet travaillé sur l’application de la loi du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires. Nous nous sommes permis de déborder le cadre de la mission : au-delà de l’analyse des décrets d’application, nous avons cherché à savoir ce que cette loi avait ou n’avait pas changé dans le système bancaire et financier français. C’est donc sous cet angle que je ferais quelques observations, qui seront complétées ensuite par Jérôme Chartier. Il s’agira de commentaires partiels : je vous renvoie, chers collègues, à notre rapport assez volumineux.
Nous avons mené de nombreuses auditions, et cela a été un choc, car nous nous sommes l’un et l’autre rendu compte que nous avions besoin de remettre nos connaissances à jour sur ces sujets : il y a deux ans, nous maîtrisions parfaitement le cadre de réflexion sur la régulation bancaire grâce aux travaux qui avaient été faits par notre commission, mais, depuis lors, beaucoup de choses se sont passées et de nombreux éléments ont changé, parfois du tout au tout.
Nous avons choisi de commencer notre rapport par un point sur le cadre européen. En effet, nous avions adopté la loi de séparation et de régulation des activités bancaires dans l’attente d’un texte européen. Ainsi, nous avions veillé à ce que le texte français soit, autant que faire se peut, compatible avec les discussions concernant la proposition de règlement élaborée in fine par le commissaire Michel Barnier. En outre, il s’inspirait de la directive concernant l’accès à l’activité des établissements de crédit et la surveillance prudentielle des établissements de crédit et des entreprises d’investissement, dite CRD IV.
Or, depuis lors, les discussions se sont enlisées au niveau européen, le blocage portant notamment sur la séparation des activités bancaires qui était au cœur de la proposition de M. Barnier. Celle-ci n’a pas été adoptée par la précédente Commission avant la fin de son mandat, et la nouvelle Commission travaille sur un texte qui s’en éloigne de plus en plus. Quant à la commission des Affaires économiques et monétaires du Parlement européen, elle n’a pas trouvé de compromis sur la base des propositions de son rapporteur, M. Gunnar Hökmark. Les derniers éléments dont nous disposons sont tous récents : selon l’accord obtenu lors du Conseil pour les Affaires économiques et financières – ECOFIN – de ce vendredi 19 juin, les dispositions du règlement – qui restent d’ailleurs à établir – ne s’appliqueraient plus qu’à quelques banques, au maximum huit, probablement plutôt quatre à six, pour l’essentiel françaises. En pratique, la plupart des établissements bancaires en seraient exemptés, ce qui est problématique.
Mes propos peuvent vous paraître vagues et provocateurs, mais, à ce stade, nous ne pouvons guère vous en dire plus sur l’avancée de la réflexion européenne concernant la réforme structurelle du secteur bancaire. Il est très difficile d’imaginer qu’un texte européen puisse être adopté dans les mois qui viennent. Dans ces conditions, la loi française, quelles que soient ses limites, est une des rares lois de régulation bancaire opérationnelles en Europe, les autres États membres, en particulier le Royaume-Uni, ne s’étant pas dotés à ce stade d’une législation aboutie en la matière. Telle est la première conclusion de notre rapport.
La loi que nous avons adoptée il y a deux ans contient des dispositions très diverses. J’évoquerai d’abord l’application du titre Ier, qui porte sur la filialisation de certaines activités bancaires. Notre commission puis notre Assemblée s’étaient mis d’accord sur le principe d’une filialisation obligatoire des activités de négociation pour compte propre, tout en donnant la possibilité au ministre de l’économie d’imposer, s’il le souhaitait, la filialisation des activités de tenue de marché à partir d’un certain pourcentage du produit net bancaire. Hormis l’arrêté fixant ce seuil, tous les textes d’application du titre Ier ont été pris. Ces textes ont notamment distingué de manière très fine ce qui relève des activités de négociation pour compte propre et ce qui relève des activités de tenue de marché. Il convient de saluer ce travail d’analyse très précis. Il en résulte que l’approche des activités de tenue de marché est beaucoup plus stricte que celle que nous avions imaginée il y a deux ans – nous avions eu alors de très longues discussions sur le point de savoir si ces activités devaient être filialisées ou non.
Toutefois, le bilan de l’application du titre Ier est décevant : il ressort des auditions que nous avons menées avec Jérôme Chartier que seules deux banques – BNP Paribas et Société générale – ont procédé à la filialisation prévue, dans les deux cas pour un volume d’activités très faible, inférieur à 1 % de leurs activités de marché. Les représentants de BNP Paribas nous ont précisé, de manière très transparente, qu’une trentaine de traders avaient été transférés au sein de la filiale. D’autre part, un certain nombre de banques ont renoncé à la filialisation et ont complètement cessé leurs activités de négociation pour compte propre.
Le titre IV de la loi porte sur la résolution bancaire, c’est-à-dire sur la réaction qu’il convient d’avoir dans le cas où une banque risque la faillite. Les mécanismes de résolution bancaire n’existaient pas en France avant l’adoption de la loi du 26 juillet 2013. Les auditions ont été passionnantes sur ce point. Nous avons constaté que le régime se mettait en place de manière très opérationnelle : les banques ont toutes transmis à l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution – ACPR – un plan préventif de rétablissement ; l’ACPR les a examinés et a adressé en retour aux banques un certain nombre de demandes de modification. Même si ces documents ne sont pas encore définitifs, l’ACPR et les banques françaises ont déjà réalisé un travail très approfondi afin de s’assurer que, en cas de problème, le démantèlement rapide de la banque serait possible, en tout cas plus faisable que par le passé.
Par la loi du 26 juillet 2013, nous avions choisi d’obliger les établissements financiers français et les établissements européens opérant sur le sol français à publier la liste intégrale de leurs implantations à l’étranger, en précisant notamment leur chiffre d’affaires, leur bénéfice, le nombre de leurs salariés et le montant des impôts sur les bénéfices dont elles sont redevables. Il s’agit peut-être de l’élément le plus satisfaisant dans l’étude que nous avons menée depuis deux mois : si, en 2014, toutes les banques n’avaient pas publié ces données, tel a bien été le cas en 2015.
Nous avons appris beaucoup de choses, et les premières conclusions que nous pouvons tirer sont assez inquiétantes : il apparaît que la plupart des banques françaises restent très présentes dans les vingt-cinq pays non conformes au sens de l’Organisation de coopération et de développement économiques – OCDE. Elles peuvent donc encore permettre à certains de leurs clients, notamment à des entreprises dont elles gèrent les comptes, de « sortir » un certain nombre de profits, voire de pratiquer l’évasion fiscale. Je vous renvoie à cet égard au tableau de synthèse qui figure dans notre rapport.
Les informations étant désormais disponibles, il serait intéressant que la commission des Finances auditionne certaines banques pour essayer de comprendre les raisons de cette situation. D’autre part, nous recommandons dans notre rapport que la présentation de ces données soit uniformisée. À ce stade, les banques interprètent chacune à leur manière les dispositions de la loi et publient un peu ce qu’elles veulent.
Le bilan de l’application des dispositions que j’ai évoquées est en demi-teinte. D’une manière générale, les activités bancaires en tant que telles ont beaucoup évolué. Certaines banques ont abandonné des activités telles que la tenue de marché. Dans ce cas, nous n’en sommes plus à déterminer si telle ou telle activité est risquée ou non.
Ainsi que nous l’avons indiqué dans notre rapport, l’application progressive des ratios de Bâle III a des conséquences beaucoup plus importantes que celle de la loi du 26 juillet 2013 sur l’évolution de la gestion actif-passif (asset and liability management – ALM) pratiquée par les banques. Si l’entrée en vigueur des premiers ratios de liquidité et de solvabilité n’a pas bouleversé cette gestion, celle des ratios suivants, notamment du ratio de liquidité à un an (net stable funding ratio – NSFR), amènera probablement les banques à cesser un certain nombre d’activités de financement à court terme, notamment l’affacturage – factoring –, le crédit à l’exportation et la tenue de marché. Certaines banques françaises et étrangères ont d’ores et déjà annoncé l’arrêt de leurs activités de tenue de marché.
En définitive, le système bancaire sera plus solide et les risques seront moins élevés, mais nous devrons probablement avoir, dans les mois qui viennent, un débat sur le financement à court terme d’une partie de l’activité économique : certaines activités de financement ne devront-elles pas être assurées, en compensation, par d’autres acteurs ? Ou bien ne risquent-elles pas de se trouver transférées à des entités non régulées du système financier parallèle – shadow banking ?
M. Jérôme Chartier, rapporteur. Je souscris aux propos de Karine Berger. Au cours des auditions que nous avons menées, nous nous sommes en effet rendu compte à quel point les choses ne nous avaient pas attendus. Le secteur bancaire est mondialisé et en permanente évolution. Dès lors, notre Parlement est confronté à un vrai problème : comment suivre convenablement un domaine aussi stratégique pour notre pays avec aussi peu de moyens ?
D’autant que l’engagement et la spécialisation ne paient pas politiquement : certains de nos collègues qui s’étaient beaucoup investis au Parlement européen sur les questions bancaires et financières n’ont pas été reconduits dans leurs fonctions au terme de leur mandat. Pourtant, il est nécessaire de faire un travail de fond, car le diable se cache dans les détails ! Avec ce rapport, nous avons précisément cherché à aller dans les détails. Pour ma part, j’ai pris beaucoup de plaisir à participer aux auditions et à comprendre le fonctionnement et les évolutions de la « planète finance ».
La loi du 26 juillet 2013 tendait à encadrer les rémunérations dans le secteur bancaire. Elle était, à cet égard, plutôt bien faite : elle limitait la part variable de la rémunération en fonction de la part fixe, la première ne devant pas, en principe, excéder la seconde. Ce dispositif assez vertueux a cependant été contourné par les banques, qui ont trouvé des mécanismes ingénieux – augmentation de la part variable, inclusion de la part variable dans la part fixe, etc. – pour maintenir des rémunérations « dopées ». Cela étant, les rémunérations étant généralement très élevées dans ce secteur, l’enjeu est aussi de ne pas affaiblir la place de Paris et, à terme, les places financières européennes. De toute façon, nous devrons à nouveau nous poser la question de l’encadrement de ces rémunérations, sachant qu’elles ne seront jamais considérées comme justes ni équitables en comparaison avec celles que perçoivent une partie des salariés de ce même secteur bancaire ou les salariés des autres secteurs.
En matière de surveillance et de contrôle des risques, la loi du 26 juillet 2013 a créé le Haut Conseil de stabilité financière – HCSF – en remplacement du Conseil de régulation financière et du risque systémique, qui avait été instauré par la loi du 22 octobre 2010, dont j’avais été le rapporteur. C’est une bonne évolution, dans la mesure où ses pouvoirs ont été élargis, notamment en matière d’intervention. Les décrets pertinents ont été pris.
La loi du 26 juillet 2013 a été globalement appliquée en ce qui concerne le renforcement du contrôle des autorités de supervision sur la gouvernance des établissements financiers. Dans ce domaine, nous assistons par ailleurs à une évolution très intéressante, sur laquelle nous appelons votre attention : la Banque centrale européenne – BCE –, qui est devenue l’instance de supervision des 123 plus grandes banques de la zone euro, a choisi d’envoyer des représentants aux réunions des conseils d’administration des principales banques européennes. Cette décision, qui peut paraître anodine, soulève d’importantes questions de droit : que se passera-t-il le jour où les représentants de la BCE prendront la parole au sein des conseils d’administration ? Quel sera le statut juridique de leur prise de parole ? S’ils sont suivis, que vaudra la parole des représentants des actionnaires de la banque ? S’ils préviennent la banque d’un problème et qu’ils ne sont pas suivis, que se passera-t-il en cas de survenance d’un incident ?
Les auditions que nous avons menées montrent que, à ce stade, les instances dirigeantes des grandes banques s’interrogent sur les implications de cette décision. Nous aurons probablement à en débattre dans les mois qui viennent, lorsque les choses se seront mises en place et que nous aurons de l’expérience. Selon moi, il s’agit d’une évolution majeure dans le fonctionnement du secteur bancaire et financier en Europe. Je suis, pour ma part, très circonspect sur ce point.
La loi du 26 juillet 2013 visait à renforcer la régulation et la traçabilité sur les marchés des matières premières, dont la volatilité nous préoccupait tous. L’obligation de notifier l’utilisation de dispositifs de traitement automatisé sur ces marchés est entrée en vigueur le 1er janvier 2015. Plus de 450 acteurs se sont déclarés à ce titre auprès de l’Autorité des marchés financiers, qui peut désormais mieux suivre leurs opérations. C’est une évolution tout à fait juste.
En matière de protection des consommateurs, deux éléments sont à retenir : premièrement, le dispositif de plafonnement des frais d’incidents bancaires fonctionne, ce qui est une bonne chose ; deuxièmement, la charte d’inclusion bancaire et de prévention du surendettement entrera en vigueur le 13 novembre prochain et sera applicable à tous les établissements de crédit. Nous verrons ce que donnera cette mesure. Elle était en tout cas nécessaire : les consommateurs disposant de faibles ressources et se trouvant dans une situation difficile, notamment du fait de leurs découverts, avaient besoin d’une protection supplémentaire face aux éventuels abus des banques.
La loi du 26 juillet 2013 a encadré les conditions d’emprunt des collectivités territoriales. C’était une évolution nécessaire. D’une part, le recours aux taux variables a été encadré et ces taux ont été indexés. On ne pourra donc plus croire ni faire n’importe quoi ! D’autre part, les contrats de prêt libellés en devises étrangères doivent désormais être intégralement couverts contre le risque de change. Il s’agit d’une bonne mesure, qui était attendue de tous.
En effet, auparavant, la couverture contre le risque de change n’était pas systématique. Or, en janvier 2015, la Banque nationale suisse a décidé d’abandonner le cours plancher du franc suisse et a cessé d’acheter massivement des euros, ce qui a provoqué un ajustement brutal : le franc suisse s’est apprécié de 20 % par rapport à l’euro. Maintenant que les lois du marché s’appliquent, on ignore combien de temps cette situation peut durer. Pour les Français qui travaillent en Suisse, c’est une aubaine, mais pour les nombreuses collectivités locales qui avaient souscrit des contrats libellés en francs suisses il y a quelques années – pensant que les banques suisses avaient intérêt à la stabilité du taux de change –, l’augmentation de 20 % du montant des intérêts a été très rude : trouver les sommes nécessaires entre le 15 janvier et les élections municipales de mars, puis préparer le budget a été une véritable gageure.
D’autre part, la loi du 26 juillet 2013 a autorisé la création de l’Agence France locale, qui est intervenue le 22 octobre suivant. On peut se féliciter de cette initiative. L’agence a procédé à sa première émission obligataire en mars dernier et a réalisé une augmentation de capital la semaine dernière.
Cependant, on peut s’inquiéter que le dispositif d’encadrement des conditions d’emprunt n’ait pas encore été étendu aux organismes d’habitations à loyer modéré – HLM. Ceux-ci empruntent beaucoup sur les marchés.
M. le président Gilles Carrez. Je vous remercie de cette présentation très intéressante. Comme vous, je suis frappé par le fait que, dans cette matière très technique et dans d’autres, par exemple dans le domaine des télécommunications, nous perdons rapidement les connaissances et l’expertise que nous avons acquises ponctuellement lors de l’examen de tel ou tel texte de loi. Il faudrait en effet réfléchir à la manière de les maintenir à jour.
M. le rapporteur. Les responsables de la crise financière, nous le savons, sont à rechercher notamment outre-Atlantique : un certain nombre d’établissements financiers ont trop prêté du fait d’une notation et d’une confiance excessives, ce qui a contribué à faire dévisser des marchés. Il s’est ensuivi un renforcement considérable des règles prudentielles, fondé sur la notion même de risque. Or, un risque de marché est un risque partagé. Et, dans un modèle de financement intermédié tel que le nôtre, les banques sont nettement plus concernées par les procédures de régulation que dans le modèle financiarisé anglo-saxon.
Je suis frappé, pour ne pas dire choqué, que, lors du Conseil ECOFIN de vendredi dernier, les banques anglaises aient obtenu, une fois de plus, une exonération, au motif qu’elles présentent un faible risque compte tenu du caractère essentiellement financiarisé de l’économie britannique. Cela crée un désavantage compétitif considérable pour le secteur bancaire français. En effet, la régulation du risque coûte cher : du fait de l’ensemble des normes prudentielles qui ont été mises en place, les banques doivent compenser chaque fois qu’un client emprunte trop ou a un découvert important. Actuellement, prêter ou accorder un découvert à un client qui présente un risque au regard de la notation interne coûte beaucoup plus cher à une banque française qu’à une banque anglaise, car le risque n’est pas calculé de la même façon.
Au cours des années passées, nous ne nous sommes pas assez battus pour défendre le modèle de financement de notre économie et nous avons laissé le modèle anglo-saxon s’imposer. Il y a désormais de quoi s’inquiéter pour notre modèle !
Notre commission devrait suivre ce sujet de très près. Nous aurons l’occasion de l’aborder à nouveau dans quelques semaines, lorsque la mission d’information sur les normes prudentielles et le financement non bancaire de l’économie, que je préside et dont Valérie Rabault est la rapporteure, remettra son rapport.
La loi du 26 juillet 2013, qui complétait celle du 22 octobre 2010, était nécessaire à bien des égards. Le travail que nous avons réalisé avec Karine Berger montre qu’elle est plutôt bien appliquée. Mais nous ne sommes qu’au début du chemin. Et le bras de fer auquel nous assistons au niveau européen sur l’opportunité de généraliser ou non la loi française illustre bien la lutte d’influence entre le modèle intermédié et le modèle financiarisé, lequel cherche à imprimer sa marque à l’échelle mondiale. Nous ne sommes pas au bout de nos peines. Ne sous-estimons pas l’enjeu qui est devant nous.
Mme Marie-Christine Dalloz, présidente. Lors de l’examen du projet de loi, j’avais appelé l’attention du Gouvernement sur deux sujets.
Premièrement, en adoptant une réglementation franco-française, nous risquions d’affaiblir notre système bancaire. On nous avait répondu que cette réglementation anticipait sur ce qu’il convenait de faire au niveau européen, qu’elle serait un modèle et que nous serions suivis. Or, les propos de nos rapporteurs ont été très clairs : loin d’avoir été réformé, le système anglo-saxon aurait aujourd’hui plutôt tendance à être conforté, et c’est sur le système français que l’on porte un autre regard, alors que d’autres modes de financement de l’économie présentent, à mon sens, davantage de risques.
Deuxièmement, l’enjeu de la filialisation prévue au titre Ier était important. Or, la filialisation n’a porté que sur un pourcentage très faible des activités de marché – ce dont Mme la rapporteure semble se satisfaire. La réforme n’a donc pas eu les effets attendus.
Je m’aperçois que mes remarques n’étaient pas dénuées d’intérêt. Quand on est dans l’opposition, on se pose des questions de fond !
Le seul aspect positif, que M. le rapporteur a souligné, c’est l’encadrement des conditions d’emprunt des collectivités territoriales. Plus de 670 collectivités concernées par des emprunts toxiques ont déposé un dossier auprès du fonds de soutien créé par l’État. C’est dire l’urgence qu’il y avait à agir.
M. Éric Alauzet. Je suis très content que nous puissions avoir cet échange après avoir entendu les explications très intéressantes de nos rapporteurs. Le président Carrez a souligné avec raison l’intérêt de mener un travail suivi sur ce dossier comme sur d’autres. Cela nous permet non seulement de ne pas nous déconnecter, mais aussi de revenir sur ce que l’on a pu dire ou entendre au moment de l’examen du projet de loi.
À cet égard, je me souviens de certaines polémiques ou controverses. On avait notamment reproché au Gouvernement de vouloir préempter le débat européen et de freiner le projet Liikanen, qui était théoriquement beaucoup plus ambitieux que le sien. Or, nous constatons aujourd’hui que non seulement la France n’a rien préempté du tout, mais qu’elle est la seule à avoir adopté une loi de régulation du secteur bancaire !
On nous disait aussi que le projet français était très en deçà de ce qui se préparait ailleurs, notamment au projet Volcker aux États-Unis et au projet Vickers au Royaume-Uni. J’ignore où en est le premier, mais les échéances ont été repoussées en ce qui concerne le second. En définitive, notre projet n’était pas si en retrait que cela.
Quant au résultat en matière de filialisation, il n’est pas si mauvais. Au vu de la situation économique catastrophique, les banques avaient déjà réduit d’elles-mêmes leurs activités de négociation pour compte propre de 15 à 1 % de leurs activités. Le fait que la filialisation ne concerne que 1 % des activités de marché peut donc s’expliquer. J’ai bien noté, par ailleurs, que certaines banques avaient complètement abandonné leurs activités pour compte propre.
Si l’Union européenne n’a pas été en pointe en matière de filialisation, elle l’a été sur la question de la résolution : les avancées ont été considérables sur ce point dans le cadre de l’union bancaire. Cela a sans doute accéléré et beaucoup facilité les choses. D’ailleurs, les progrès sur la résolution bancaire n’ont-ils pas d’une certaine manière « tué » le débat sur la filialisation au niveau européen ? Si l’on dispose de procédures de résolution efficaces, la question de la filialisation perd en effet de son importance.
En ce qui concerne les implantations des banques dans les paradis fiscaux, la situation n’a pas beaucoup changé. Certes, on ne peut guère s’attendre à ce que les banques abandonnent leurs positions du jour au lendemain. En tout cas, les informations publiées confirment la réalité de ce qui était dit à l’époque sur la grande quantité de filiales dans les paradis fiscaux.
Vous venez de le rappeler, madame la présidente : vous nous aviez dit lors de l’examen du projet de loi qu’il serait dangereux pour la France de séparer les activités bancaires. Vous nous aviez aussi prévenus que la France serait la seule à imposer des obligations de transparence concernant les implantations dans les paradis fiscaux. Or, en l’espèce, nous avons été novateurs et nous avons été rejoints par l’ensemble de nos partenaires européens. Il n’y a donc pas de règle générale en la matière.
M. Alain Fauré. Les banques disent qu’elles ne pourront plus faire d’affacturage ni aider les sociétés qui exportent en les couvrant contre le risque de change. Ce sera un problème pour les entreprises françaises, notamment pour les PME. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet, madame la rapporteure ?
D’autre part, les banques refusent souvent d’accompagner les PME au prétexte qu’elles sont obligées d’exiger des garanties importantes. Pouvez-vous expliciter ce point ?
M. Jean Launay. Je remercie les rapporteurs de leur exposé. Je lirai leur rapport avec attention. J’avais été l’un des plus réservés lors du débat sur le projet de loi, car je trouvais qu’il n’allait pas assez loin en matière de séparation des activités bancaires. Les établissements bancaires français ont peut-être pris leurs distances avec les risques financiers auxquels ils s’étaient largement exposés, mais je suis très inquiet de ne pas voir beaucoup de progrès en ce qui concerne l’appréciation du risque et la prise de risque dans le financement de l’économie réelle, malgré tous les mécanismes que nous avons mis en place pour soutenir cette dernière, notamment la Banque publique d’investissement.
Mme la rapporteure. S’agissant des points que vous avez évoqués, madame la présidente, je ne vais pas rouvrir le débat sur la question de savoir si nous avions les moyens d’exercer davantage d’influence au niveau européen ou, à l’inverse, de bloquer les discussions. En revanche, je souhaite apporter une information précise à la commission sur le texte issu du Conseil ECOFIN de vendredi dernier, qui est difficile à lire, pour ne pas dire opaque, et en partie contradictoire. Selon notre lecture – qui n’est pas celle de la Fédération bancaire française –, nous avons l’impression que les règles supplémentaires proposées à ce stade au niveau européen pour les quelques grandes banques systémiques ne dépassent pas le cadre de la loi française.
Toutefois, le texte est, selon moi, problématique dans la mesure où il exempte les banques anglaises ainsi que les banques d’investissement indépendantes – pure players – américaines. Il est donc déséquilibré quant à son champ géographique. On peut d’ailleurs s’interroger sur la logique d’un texte européen qui ne s’appliquerait qu’à certains États membres.
Nous verrons comment les choses vont se passer. Ainsi que l’a très bien dit Jérôme Chartier, nous entrons dans un processus difficile à prévoir : allons-nous retrouver un peu d’esprit européen, avec une unification des règles ? Si tel n’est pas le cas, quelle sera la position de la France ?
Vous avez abordé, monsieur Fauré, un sujet d’actualité, qui soulève moins la question de la régulation des activités bancaires que celle de l’impact de l’application des ratios prudentiels de Bâle III. Au moment où nous avons adopté la loi, deux ratios avaient été acceptés : un ratio de solvabilité et un ratio de liquidité à trois mois (liquidity coverage ratio
– LCR). À l’époque, on jugeait que les banques françaises ne pourraient pas les atteindre. Or elles y sont parvenues, et cela s’est plutôt bien passé, de l’aveu même des banquiers que nous avons auditionnés : la maturité du passif des banques françaises est passée d’environ un mois et demi à trois mois sans trop de difficultés.
Un troisième ratio, le total loss-absorbing capacity – TLAC –, qui vise à limiter le risque systémique, est venu perturber les choses l’année dernière, même s’il n’est pas encore mis en place. Il soulève déjà la problématique d’un impact différencié sur les banques universelles et sur les autres banques.
Deux autres ratios prudentiels ne seront mis en œuvre que l’année prochaine. Le premier est un ratio de levier, qui coûtera vraiment de l’argent : pour octroyer des crédits, quel qu’en soit le type, les banques devront bloquer une partie de leurs fonds propres. À ce stade, le niveau de ce ratio n’a pas encore été fixé par la Commission européenne. Les banques peuvent probablement accepter un matelas de sécurité – buffer – à 3 %, mais certains régulateurs plaident plutôt pour 4 ou 5 %, ce qui modifierait totalement la façon de gérer le système bancaire français.
Le second ratio est le ratio de liquidité à un an (NSFR) que j’ai mentionné précédemment : on exige que chaque opération à l’actif soit financée en partie par des liquidités non plus à trois mois, mais à un an. Dès lors, certaines opérations de crédit à moins de douze mois telles que l’affacturage risquent d’être fortement perturbées par la mise en œuvre de ce ratio. Celui-ci a été calculé dans une logique macroéconomique qui n’est pas absurde : il s’agit de garder une partie du passif pendant au moins un an pour financer l’ensemble de l’actif, dont les éléments ont des maturités très différentes. Cependant, il peut poser un problème s’il est décliné pour chaque élément de l’actif.
C’est la mise en place de ces ratios successifs, notamment du TLAC, du ratio de levier et du NSFR, qui est en passe de modifier en profondeur le comportement de crédit des banques universelles européennes, notamment françaises. En réalité, un très petit nombre de banques sont concernées : les banques systémiques européennes, c’est-à-dire les grandes banques françaises, la Deutsche Bank et, peut-être, Unicredit, la principale banque italienne. Mais avec cette volonté de réduire l’effet de levier des banques, il existe un risque, à mon sens majeur, que certaines opérations de crédit ne basculent dans le champ non bancaire, par exemple assurantiel, voire dans le secteur non régulé – shadow banking.
J’invite notre commission à suivre ces sujets, qui seront probablement fortement débattus par la place financière dans les dix-huit mois qui viennent.
M. le rapporteur. Ce que disent les banques est vrai, monsieur Launay, dans la mesure où nous n’avons pas encore réussi à mettre en place de véritables fonds de financement des PME. Les deux expériences menées par la Caisse des dépôts et consignations en la matière n’ont pas réellement porté leurs fruits. Pour faire simple, nous sommes revenus à la case départ : le financement des PME continue à coûter très cher aux banques en raison des garanties qu’il faut mettre en place.
Aujourd’hui, avec la reprise de l’investissement, l’encours des crédits aux entreprises augmente. Mais ce sont surtout les sociétés dont la situation financière est considérée comme relativement sûre qui en profitent, guère les PME locales qui ont besoin de financer un projet d’investissement, sauf si elles présentent des garanties « en béton ».
Nous avons des difficultés à monter un vrai produit de financement destiné aux PME. Peut-être y parviendrons-nous d’ici quelques années. Il faudrait l’insérer dans un produit plus « global », bien structuré, où le risque représenté par les prêts consentis aux PME, avec un taux d’intérêt relativement élevé, serait compensé par des placements très sûrs qui rapportent peu.
Mme Marie-Christine Dalloz, présidente. D’après ce que nous a indiqué Mme la rapporteure, l’application de nouveaux ratios dans les mois à venir va encore accroître les difficultés de financement de notre économie, en particulier de nos PME.
M. le rapporteur. C’est tout à fait exact. Il est d’ailleurs assez drôle que l’on en revienne presque au ratio Cooke avec le ratio de levier.
On est en train d’essayer par tous les moyens d’exclure les risques, car nous ne nous sommes pas encore remis de la crise financière de 2008. Celle-ci a eu une vraie dimension psychologique : tout le monde s’est laissé envahir par le principe même de risque. Or, on sait très bien que les crises financières succéderont aux crises financières. Le risque fait de toute façon partie de la vie financière, le modèle lucratif du secteur financier étant fondé sur la prise de risque.
En revanche, le financement de l’économie ne peut plus dépendre aussi fortement des jeux financiers. La réflexion sur la séparation du secteur financier et du secteur bancaire est utile, car il existe incontestablement un risque de contamination du premier au second. Je plaide pour que nous soyons d’une vigilance de Sioux : il faut éviter que les activités de marché ne compromettent le financement de l’économie.
Du fait du poids et de l’influence du monde anglo-saxon sur le secteur financier mondial, nous n’avons pas réussi à faire en sorte que le modèle financiarisé soit considéré comme le plus risqué. Je le regrette. C’est même l’inverse qui s’est produit : obéissant à une logique comptable, on a regardé le modèle intermédié comme le plus risqué, et c’est le modèle financiarisé qui bénéficie d’exemptions. Même si les banques françaises ne devraient pas s’en tirer si mal que cela dans le cadre européen – je souscris à ce qu’a dit Karine Berger à propos du texte issu du Conseil ECOFIN –, elles sont désavantagées par rapport à leurs concurrentes anglaises et américaines. L’avantage dont jouit actuellement le modèle financiarisé me paraît inquiétant à double titre : d’une part, pour le modèle de financement de notre propre économie et, d’autre part, en raison des risques qu’il continue de faire courir.
Mme la rapporteure. Parmi les multiples polémiques et débats auxquels a fait référence Éric Alauzet, il y en avait un sur le point de savoir si le financement des activités filialisées allait coûter plus cher compte tenu de l’absence de rattachement à la maison mère. Les banques refusaient la filialisation pour ce motif. À l’époque, le coût supplémentaire était évalué à 250 points de base, mais il s’avère qu’il est, au maximum, de 40 à 50 points de base. En pratique, la différenciation des risques entre la maison mère et la filiale ne s’est pas traduite, en tout cas à ce stade, par une divergence complète des coûts de financement.
Le Haut Conseil de stabilité financière que nous avons mis en place par la loi du 26 juillet 2013 fonctionne : il se réunit tous les trimestres et, surtout, facilite la coordination entre la Banque de France et la direction générale du Trésor. Les notes d’alerte que ce conseil produit sur les risques macroprudentiels susceptibles d’avoir un impact sur le système financier nous paraissent très intéressantes. D’après les échanges que nous avons eus, il semble que ce mécanisme permet d’identifier les risques très en amont, la Banque de France et la direction générale du Trésor étant amenées à se dire et à écrire des choses qu’elles n’oseraient pas évoquer sinon, la première par crainte d’influencer le marché, la seconde par peur de « déborder son ministre », si je puis dire.
Je propose, madame la présidente, que la commission des Finances soit informée du contenu de ces notes, sans doute pas de manière immédiate mais avec un léger décalage. Cela nous permettrait, conformément au souhait du président Carrez, de mieux suivre ces sujets.
Mme Marie-Christine Dalloz, présidente. Nous soumettrons cette proposition au président Carrez. Comme vous, madame la rapporteure, je pense qu’il y a un certain intérêt à disposer de ces éléments, que nous devrons néanmoins manier avec précaution. L’information de la Commission pourrait éventuellement prendre la forme d’une audition annuelle sur des événements non pas actuels, mais passés, la matière étant particulièrement mouvante.
La Commission autorise la publication du rapport d’information.
*
* *
Informations relatives à la Commission
La Commission a reçu en application de l’article 12 de la LOLF :
– un projet de décret de transfert de crédits d’un montant de 4 222 800 euros en autorisations d’engagement (AE) et en crédits de paiement (CP), du programme 209 (Solidarité à l’égard des pays en développement) de la mission Aide publique au développement à destination du programme 152 (Gendarmerie nationale) et du programme 172 (Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires).
Ces transferts permettent de mettre en œuvre les orientations prises dans le cadre de la stratégie de lutte contre l’épidémie Ebola.
Les annulations se répartissent de la façon suivante :
- Programme 209 : 4 222 800 euros en AE et CP;
Les ouvertures se répartissent de la façon suivante :
- Programme 152 : 542 800euros en AE et CP
- Programme 172 : 3 680 000 euros en AE et CP
——fpfp——
Membres présents ou excusés
Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire
Réunion du mercredi 24 juin 2015 à 16 heures 45
Présents. - M. Éric Alauzet, M. Gilles Carrez, M. Jérôme Chartier, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Alain Fauré, M. Jean Launay, M. Bruno Le Maire, M. Jean-François Mancel, M. Alain Rodet
Excusés. - M. Guillaume Bachelay, M. Dominique Baert, M. Xavier Bertrand, M. Christian Estrosi, Mme Valérie Rabault, M. Camille de Rocca Serra, M. Éric Woerth
——fpfp——