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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mardi 18 décembre 2012

Séance de 16 h 15

Compte rendu n° 28

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, Président

– Audition de Mme Christiane Taubira, ministre de la Justice, garde des Sceaux, et de Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée auprès de la ministre des Affaires sociales et de la santé, chargée de la famille, sur le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe (n° 344) (M. Erwann Binet, rapporteur)

La séance est ouverte à 16 heures 20.

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, président.

La Commission procède à l’audition de Mme Christiane Taubira, ministre de la Justice, garde des Sceaux, et de Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée auprès de la ministre des Affaires sociales et de la santé, chargée de la famille, sur le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe (n° 344) (M. Erwann Binet, rapporteur).

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la Commission. Nous accueillons Mme Christiane Taubira, ministre de la Justice, garde des Sceaux, et Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée chargée de la famille, pour parler du projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe. Ce texte, qui compte vingt-trois articles, a été déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale le 7 novembre et sera soumis à notre Commission à partir du mardi 15 janvier après-midi ; les amendements devront donc être déposés avant le vendredi 11 janvier, à dix-sept heures. Notre Assemblée examinera le texte en séance publique à partir du 29 janvier, c’est-à-dire douze semaines après son dépôt sur le bureau de l’Assemblée, soit le double du délai minimal prévu à l’article 42 de la Constitution. Tous ceux qui sont attachés aux droits du Parlement et à la qualité du travail parlementaire ne peuvent que s’en féliciter.

Je vous laisse maintenant la parole, madame la garde des Sceaux, pour un débat qui s’annonce dense, à la hauteur de l’enjeu de ce texte.

Mme Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la Justice. C’est ce que je souhaite. Il peut même être vif, car je sais que, dans cette maison, la vivacité n’empêche pas la courtoisie nécessaire à la qualité des échanges.

La plupart des vingt-trois articles de ce texte – plus précisément les articles 4 à 23 – sont de coordination, modifiant le code civil et d’autres codes, lois et ordonnances. Le plus important est l’article 1er, qui ouvre le mariage aux couples de personnes du même sexe, en insérant un article 143 dans le code civil. Il réécrit en outre l’article 144 du même code, qui fixe les dispositions relatives à l’exigence d’un âge minimum. Il vise par ailleurs à permettre, sur le territoire national, la célébration du mariage d’un Français avec une personne de nationalité étrangère ou de deux personnes de nationalité étrangère dont la loi personnelle prohibe le mariage homosexuel, par dérogation à la règle selon laquelle les conditions de fond du mariage sont déterminées par la loi personnelle de chacun des époux. Le projet de loi précise cependant que le dispositif s’applique « sous réserve des engagements internationaux de la France ». En effet, la France a conclu avec une douzaine d’États des conventions bilatérales aux termes desquelles les États sont convenus de faire prévaloir la loi personnelle de chacun de leurs ressortissants.

Les articles 2 et 3 du projet de loi visent à modifier certaines dispositions du code civil relatives à l’adoption et à l’attribution du nom de famille. Je tiens à préciser, pour apaiser dès maintenant certaines inquiétudes qui se sont d’ores et déjà exprimées, que le projet de loi ne modifie que deux dispositions du titre VII du code civil. L’ouverture du mariage et de l’adoption à des couples de personnes du même sexe ne modifie pas le droit actuel : il ne s’agit pas de transformer le mariage, mais d’ouvrir le mariage existant. En conséquence, les dispositions concernant les couples hétérosexuels sont maintenues dans le code civil et, contrairement à un bruit largement propagé, les notions de père et mère ne sont pas supprimées de l’intégralité du titre VII du code civil.

S’agissant de l’attribution du nom dans le cas d’une adoption, le projet de loi adapte aux couples homosexuels les règles posées par la loi du 4 mars 2002 relative au nom de famille. Les parents pourront donc choisir le ou les noms des enfants, et si aucun choix n’est exprimé, l’ordre alphabétique s’imposera, de façon à assurer le même nom à l’ensemble de la fratrie.

Les articles suivants sont des articles de coordination, qui visent à modifier des codes, lois et ordonnances, pour assurer la cohérence de notre droit en introduisant dans ces textes les conséquences de cette ouverture du mariage et de l’adoption aux couples de même sexe.

Je rappelle aux élus que vous êtes que ce texte concrétise un engagement du programme présidentiel. Dès le mois de juin, la Chancellerie et le ministère de la Famille se sont mobilisés pour donner corps à cet engagement, notamment par le biais d’auditions communes de représentants d’institutions, d’associations ou des cultes, ainsi que de personnalités. Ces auditions ont mis en évidence des interrogations récurrentes sur des sujets tels que le statut du tiers, ou parent « social », l’ouverture de l’adoption aux couples pacsés, l’accès aux origines ou l’ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) aux couples de femmes. Le Gouvernement a souhaité maintenir ses arbitrages sur le mariage et l’adoption avant que nous n’entrions dans la phase du travail parlementaire.

Celle-ci a démarré avec force grâce au travail de vos rapporteurs, qui ont conduit 120 auditions, permettant à l’ensemble des députés de prendre la mesure des réalités sociologiques qui justifient la création de ces droits nouveaux, conformément à un souci d’égalité et de mise en cohérence de notre législation avec les évolutions de la société.

Les interrogations et les réticences que ce texte suscite permettent aux responsables politiques que nous sommes de mesurer la profondeur de l’empreinte que nous imprimons à la société. La résurgence, ces dernières semaines, de propos qui avaient paru ne jamais devoir revenir dans le débat public témoigne à la fois de la charge émotionnelle d’un tel sujet et de la responsabilité qui est la nôtre, non seulement d’apaiser, mais de faire avancer la société. Il revient à chacun de nous de faire en sorte que toute la passion et les interrogations que ce débat peut susciter ne portent pas atteinte à sa qualité. La volonté de contribuer au progrès de la société doit nous réunir par-delà nos désaccords.

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée chargée de la famille. Le contexte dans lequel s’inscrit ce projet de loi est celui d’une révolution silencieuse entamée dans les années soixante-dix, et qui a fait éclater le modèle familial unique en une pluralité de modèles familiaux. Aujourd’hui un enfant sur deux naît hors mariage ; un sur quatre ne vit pas avec ses deux parents ; un sur cinq vit dans une famille monoparentale et un sur neuf dans une famille recomposée. Ces quelques éléments statistiques suffisent à faire voir la diversité du paysage familial.

Loin de traduire une désaffection à l’égard de la valeur « famille », cette réalité prouve au contraire que la famille reste le lieu de la sécurité et de la protection. Ce qui a changé, c’est que nos concitoyens refusent désormais que nous leur imposions un modèle familial unique ; ils attendent de nous que nous reconnaissions cette diversité des modèles familiaux tout en assurant l’égalité des droits et des devoirs de toutes les formes de familles.

Autre évolution majeure, la filiation biologique n’est plus la seule filiation possible : il y a une multiplication des acteurs impliqués dans la conception et l’éducation des enfants. Chaque année, 3 000 à 4 000 enfants sont adoptés et environ 1 500 naissent par insémination artificielle. Ces chiffres montrent que d’ores et déjà la filiation sociale est une réalité au sein des familles hétérosexuelles. On peut comprendre en conséquence la demande d’égalité de traitement pour les familles homosexuelles.

Je voudrais ajouter que cette loi ne créera pas de situations nouvelles : elle ne fera qu’adapter notre droit à des évolutions déjà présentes dans la société. En cela, elle s’inscrit dans la lignée des réformes qui ont marqué le droit de la famille depuis les années 1970 – par exemple l’assouplissement des règles du divorce, la suppression de la distinction entre enfants légitimes et enfants naturels, l’institution de l’autorité parentale, reconnue aux deux parents à égalité. La législation ne fait que traduire une évolution déjà réalisée par nos concitoyens.

Ceux-ci ne nous demandent pas simplement une loi d’égalité ; ils veulent également qu’elle leur assure une sécurité et une protection juridiques, en particulier à ces milliers, voire dizaines de milliers d’enfants qui vivent déjà au sein de familles homoparentales et qui ne bénéficient pas du même degré de protection juridique que les autres enfants. C’est dans cet objectif d’égalité et de sécurité juridique qu’a été conçu ce projet de loi ouvrant à tous le mariage et l’adoption.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Vous dites là quelque chose de très juste : cette loi ne détruit rien ; elle construit au contraire.

M. Erwann Binet, rapporteur. Je souhaiterais vous faire part des réflexions que m’ont inspirées les très larges auditions que nous menons depuis sept semaines et qui s’achèveront jeudi. Elles nous ont permis de recueillir un éventail exhaustif d’avis, d’expertises et d’expériences : en près de cinquante heures, nous avons rencontré plus de 120 personnes. Dès lors que le projet de loi appelle chacun à prendre position, il était nécessaire de rendre accessibles aux Français tous les éléments de notre réflexion : nous l’avons fait en ouvrant ces auditions à la presse.

Sur le fond, il est symptomatique que la question de la filiation et de la situation des enfants ait occupé une très large place dans nos débats. Les auditions nous ont apporté des éclairages utiles qu’il serait fastidieux de détailler à ce moment de notre débat. Je m’en tiendrai donc à l’essentiel.

Il en ressort d’abord que les familles homoparentales existent déjà dans notre pays. Il est difficile d’en établir le nombre : alors que l’Institut national d’études démographiques (INED) estimait en 1999 à 30 000 le nombre des enfants élevés dans ces familles, les associations parlent de 300 000 enfants. Quoi qu’il en soit, le nombre de ces familles est appelé à s’accroître. Les couples homosexuels bénéficient d’une perception sociale plus favorable et du regard bienveillant de nombre de nos concitoyens. Les nouvelles générations ne se posent plus la question : elles auront des enfants. Cela est d’autant plus facile pour eux qu’ils ont la possibilité de faire famille. Aux enfants nés dans le cadre de couples hétérosexuels antérieurs dont l’un des membres s’est révélé homosexuel, s’ajoutent les enfants adoptés par l’un des deux membres du couple et les enfants nés d’une procréation médicalement assistée dans un pays voisin. Quant aux enfants issus d’une gestation pour autrui (GPA), ils sont difficiles à comptabiliser, mais leur nombre semble limité par l’interdiction de telles pratiques dans notre pays et par les obstacles financiers et géographiques qu’elles rencontrent.

Le souci de l’intérêt de l’enfant a dominé nos travaux, et beaucoup d’entre nous se sont interrogés sur les risques que la filiation par deux personnes de même sexe pouvait faire peser sur le développement de l’enfant. Cette interrogation est très largement partagée par nos compatriotes. Il ressort de nos semaines d’auditions qu’aucune étude ne jette de suspicion sérieuse sur les familles homoparentales. La très grande majorité d’entre elles montre que les enfants ne se portent ni mieux ni moins bien que dans les familles hétérosexuelles. Certes, ces études sont souvent critiquées du fait des biais scientifiques induits par la faiblesse des échantillons étudiés. Néanmoins, comme cela nous a été rappelé hier par des médecins belges, le nombre considérable de ces études impose un faisceau de conclusions concordantes : les enfants issus des familles homoparentales sont des enfants comme les autres. La seule fragilité qui leur serait spécifique est liée au regard, parfois négatif, que la société peut porter sur cette situation particulière. Cette constatation milite plutôt en faveur de l’instauration du mariage comme signe positif de reconnaissance sociale.

Il est cependant une différence majeure : le cadre législatif du PACS ne suffit pas à leur assurer la sécurité et la stabilité juridiques dont bénéficient les autres familles. En effet, la reconnaissance d’un seul parent par la loi entraîne en cas de séparation ou de décès des drames humains qu’il n’est pas acceptable d’ignorer. L’intérêt supérieur de l’enfant et la nécessité d’assurer à ces couples une sécurité durable nous obligent donc à légiférer. Le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe répond en grande partie à cette nécessité.

L’inscription des couples de même sexe dans l’institution du mariage est un élément fondamental de la reconnaissance sociale de ces couples et de ces familles. Elle contribuera à lutter contre les discriminations fondées sur l’orientation sexuelle et l’homophobie, comme y avait contribué, même insuffisamment, le PACS.

Le projet de loi assurera indéniablement aux couples de même sexe une plus grande sécurité juridique, et cela dans un cadre stable, connu et reconnu par tous. De ce point de vue, le choix d’inclure les couples de même sexe dans l’institution du mariage est bien plus signifiant que ne l’aurait été le renforcement du PACS ou l’instauration d’un nouveau contrat d’union civile.

Enfin, comme l’a déclaré le Défenseur des droits lors de son audition, le projet de loi est à l’évidence conforme à l’intérêt supérieur des enfants qui vivent aujourd’hui dans des couples homosexuels.

Cependant, les très nombreux articles de coordination qui opèrent des changements de vocabulaire dans plus d’une centaine d’articles au sein de plusieurs codes inquiètent vivement certains de nos collègues comme certains juristes. Le projet de loi propose en effet de remplacer à maintes reprises les vocables « père » et « mère » par « parents », « mari » ou « femme » par « époux », « parents » par « membre de la famille », etc. Pourriez-vous, mesdames les ministres, préciser la logique générale qui a présidé à ces modifications ?

Par ailleurs, si l’ouverture de l’adoption aux couples de même sexe va permettre de régulariser la situation d’un très grand nombre de familles homoparentales, ce dispositif sera-t-il susceptible de régler celle des familles homoparentales dont les parents sont aujourd’hui séparés ? Pour l’heure, dans ces cas, les tribunaux n’ont guère de solution à proposer. Le mariage n’étant évidemment pas une solution pour ces couples, je souhaiterais que vous puissiez nous indiquer si le cas de figure a été envisagé et quelle solution le nouveau cadre juridique pourrait y apporter.

Enfin, la question de l’assistance médicale à la procréation pour les couples de femmes a été très présente dans nos travaux. Nous nous sommes d’ailleurs rendus à Bruxelles pour étudier, entre autres questions, la situation des Françaises qui vont en Belgique pour bénéficier d’une PMA. Compte tenu du nombre de celles qui se rendent à l’étranger dans ce dessein et de celles qui se lancent dans des inséminations « artisanales » avec un tiers plus ou moins connu, avec les risques sanitaires et juridiques que cela comporte, il est difficilement concevable de ne pas envisager l’ouverture de la PMA aux couples de lesbiennes. C’est d’autant plus inconcevable que le projet de loi ouvre la possibilité à la conjointe d’adopter a posteriori l’enfant né d’une PMA. Si, dans les autres pays européens ayant ouvert le mariage aux personnes de même sexe, les législateurs s’y sont repris à plusieurs fois pour se doter d’un arsenal juridique complet, tous, à l’exception du Portugal, ouvrent désormais le mariage, l’adoption et la PMA aux couples de personnes du même sexe. Ces trois piliers forment un ensemble cohérent et logique. Nous comptons donc poursuivre nos réflexions sur le sujet, mais j’aimerais connaître celles qui ont motivé le choix du Gouvernement de réserver cette ouverture de la PMA à un autre texte.

Les expériences étrangères que nous avons étudiées montrent que, une fois clos le débat parlementaire, le mariage et la filiation pour les personnes de même sexe deviennent d’une très grande banalité. Il nous reste quelques étapes avant d’y parvenir, dans le prolongement du projet de loi voulu par le président de la République et par le Gouvernement. Je souhaite vivement vous remercier d’en avoir pris l’initiative.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Vous me permettrez de vous remercier pour le travail que vous avez accompli. Vos auditions ont été, non seulement nombreuses, mais ouvertes à la presse et, pour la plupart d’entre elles, retransmises en direct sur le site de l’Assemblée nationale, ce qui n’a été que très rarement fait durant la législature précédente.

Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteure pour avis de la commission des Affaires sociales. Voilà plusieurs mois, en effet, que le débat a commencé, grâce notamment aux très nombreuses auditions menées par la commission des Lois, auxquelles s’est associée la commission des Affaires sociales, saisie pour avis. Notre Commission a d’ailleurs organisé ses propres auditions dans un objectif de complémentarité. Toutes ces auditions n’avaient pas pour but de nous conforter dans nos convictions, mais de nous faire mieux connaître la réalité de la société et de nourrir notre réflexion sur les nouvelles frontières et les nouvelles règles que pourrait fixer la loi.

Ainsi, l’audition du directeur de la Sécurité sociale nous a permis d’aborder la question sous l’angle des droits sociaux. De même, nous avons souhaité que des spécialistes de la médecine de la reproduction nous indiquent l’état exact des pratiques et des comportements vis-à-vis de l’assistance médicale à la procréation. Nous avons aussi pu entendre les craintes d’un psychanalyste quant aux conséquences de la loi dans l’ordre symbolique. Nous avons pu également échanger avec des associations de catholiques homosexuels venues témoigner de la diversité des approches au sein de l’Église. Nous avons enfin souhaité entendre l’avis d’un anthropologue dont le sujet d’étude est l’homosexualité masculine et d’une association féministe qui s’intéresse aux droits de toutes les femmes.

L’objectif central de ce projet de loi est d’assurer l’égalité des droits. La question de l’assistance médicale à la procréation ayant été tranchée pour les couples hétérosexuels, il s’agit de supprimer une discrimination, dans la lignée de nos combats contre toutes les inégalités, qu’elles soient économiques ou sociétales. Nous devons constater une réalité : les couples de femmes existent et ne renoncent pas à leur projet parental. Celles qui sont dépourvues des moyens financiers permettant de le réaliser à l’étranger ont recours à la rencontre occasionnelle, à l’achat de sperme sur Internet ou encore à l’insémination artisanale. Ces pratiques à risques rappellent celles qui avaient cours lorsque l’IVG n’était pas légalisée. C’est pourquoi il est de notre responsabilité d’introduire dans ce texte des dispositions visant à assurer à ces femmes une sécurité juridique. Il me semble que c’est le bon moment pour légiférer sur la PMA. Certes beaucoup de pays ont procédé par étapes, certains ouvrant d’abord le mariage, ensuite l’adoption et enfin la PMA, d’autres autorisant d’abord la PMA, puis le mariage, d’autres encore adoptant des législations à géométrie variable. Mais, quelle que soit la méthode suivie par ces pays, la France est en retard. Les membres de notre Assemblée qui se sont rendus hier en Belgique ont pu mesurer à quel point la France passait pour un pays arriéré aux yeux des parlementaires européen, en constatant leur surprise devant les questions que nous posions sur des points désormais banalisés dans leurs sociétés respectives.

Il est temps que la France intègre les homosexuels dans le droit commun, dans l’universalité de la loi. La PMA fait partie de ce droit commun pour les hétérosexuels. Or le projet de loi reconnaît que le couple homosexuel, même minoritaire, est aussi légitime que le couple hétérosexuel, même majoritaire. J’aimerais donc, mesdames les ministres, savoir quel accueil vous réserveriez à un amendement introduisant dans ce texte une disposition relative à la PMA.

Mme la garde des Sceaux. Je tiens à mon tour à féliciter les rapporteurs pour la qualité du travail qu’ils ont accompli et qui contribue à faire avancer la réflexion de ceux qui ont le souci de comprendre.

Vous m’avez interrogé, monsieur le rapporteur, sur la logique qui a présidé aux modifications de vocabulaire. Je répète qu’il s’agit d’ouvrir le mariage et l’adoption aux couples homosexuels : le but n’est ni de supprimer le mariage des hétérosexuels ni d’inscrire dans le code civil deux régimes différents. Toutes les conséquences de l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe doivent être tirées sans préjudice pour les couples hétérosexuels : le code civil et les autres textes de loi n’ont été modifiés que dans cette stricte mesure. Je rappelle en particulier que les dispositions du titre VII ne sont pas modifiées : les mots de « père » et de « mère » y figureront toujours. S’agissant du titre VIII comme dans d’autres dispositions, le mot « parents » n’est substitué aux termes « père et mère » qu’autant que nécessaire.

Notre souci a été de ne pas laisser croire qu’il s’agissait d’instaurer un mariage homosexuel : c’est le mariage tel qu’il est défini par notre code civil qui s’ouvre aux couples de même sexe. C’est également dans un souci de rigueur que nous avons opéré un repérage systématique, dans les codes, lois et ordonnances, de toutes les dispositions légales qui devaient être modifiées en conséquence de l’ouverture du mariage à ces couples. S’agissant d’un texte dont l’application aura des répercussions sur la vie de nos concitoyens, ce sont eux qui pâtiraient d’un défaut de cohérence dans la législation. Nous n’avons pas attendu qu’il y ait polémique pour prendre conscience de l’attachement, légitime, de nombre de nos concitoyens aux concepts de père et de mère, et il n’y avait pas de raison de les faire disparaître systématiquement.

Vous m’interrogez également sur l’hypothèse dans laquelle les parents d’une famille homoparentale sont séparés : dans ce cas, la loi n’aura aucun effet. L’état actuel du droit permet déjà au parent qui s’estime lésé après la séparation d’un couple non marié de faire valoir ses droits devant le juge des affaires familiales. Ce dernier peut même reconnaître les droits d’un tiers ayant participé à l’éducation d’un enfant. Cette disposition vaudra pour les couples homosexuels comme elle vaut pour les couples hétérosexuels.

Votre question est intéressante en ce qu’elle montre à quel point des dispositions visant à permettre à des couples homosexuels de « faire famille » nous renvoient à des problématiques qui concernent également les couples hétérosexuels. C’est en interrogeant ainsi les différentes façons de « faire famille » que ce texte modernise l’institution du mariage en général. La loi qui organise les conditions de l’engagement doit aussi prévoir celles du désengagement : l’institution du mariage civil en 1791 a été suivie, dès 1792, de la reconnaissance que, pour être une liberté, il devait pouvoir être dissous. C’est aussi de cette façon que la loi contribuera à sécuriser sur le plan juridique la situation des enfants qui sont d’ores et déjà nés au sein de familles homoparentales. Dans ces familles comme dans les autres, en effet, il arrive que l’amour cesse, et la loi doit prévoir les conditions d’organisation de la vie d’après, d’autant que les parents se montrent rarement raisonnables dans de tels moments.

En ce qui concerne la PMA, madame Clergeau, le Gouvernement fera connaître sa position avant le débat en séance.

Mme la ministre déléguée. Mme Taubira a raison de souligner que c’est l’ensemble des familles, qu’elles soient homoparentales ou hétéroparentales, qui sont interpellées par ce projet de loi. Ainsi, la question du statut du tiers ou « beau-parent » ne se pose pas seulement pour les familles homoparentales : il est de plus en plus fréquent qu’un enfant soit élevé par un parent dit « social ». Pourtant, celui-ci n’a aujourd’hui aucune existence légale et peut se retrouver dans des situations sans issue.

Nous ne vous apporterons pas de réponse aujourd’hui à propos de la PMA. Il s’agit pour l’instant de faire avancer le débat, notamment en considérant lucidement la réalité telle qu’elle est. La ministre de la Famille que je suis est bien obligée de constater que des familles homoparentales se sont d’ores et déjà constituées sur la base de la PMA dans notre pays, tant il est aisé de se rendre en Belgique ou en Espagne pour en bénéficier. Il ne faut pas se dissimuler non plus que des médecins français prennent en charge des grossesses faisant suite à des inséminations réalisées à l’étranger. La prise en compte de ces réalités objectives doit contribuer à éclairer la décision des parlementaires, sans préjuger de celle du Gouvernement.

En revanche, il n’a jamais été question d’aborder la question de la gestation pour autrui (GPA), qui est totalement interdite dans notre pays, alors que la PMA est autorisée pour les couples hétérosexuels infertiles. J’observe d’ailleurs que cette question de la légalisation de la GPA a été posée par le cas d’un couple hétérosexuel dont les enfants sont issus d’une GPA réalisée aux États-Unis.

M. Olivier Dussopt. C’est une belle loi que vous défendez, mesdames les ministres, parce que c’est une loi d’égalité. Le mariage est une institution qui protège le couple et chacun des époux en leur donnant des droits spécifiques, et cette loi va permettre à des dizaines de milliers de familles d’accéder à ces droits. Elle permettra ainsi de sécuriser sur le plan juridique la situation d’enfants qui sont déjà là, et qui sont comme les autres, si ce n’est que leur famille peut être en butte à l’homophobie.

Ce texte nous permet d’envoyer un message d’encouragement à ceux qui attendent de la République qu’elle leur permette de vivre leur vie librement et sans avoir à se cacher, et de condamner ceux qui se permettent de maltraiter autrui en raison de son orientation sexuelle.

Mais nous pouvons aller encore plus loin, notamment en ouvrant la PMA aux couples de femmes. Qu’y aurait-il de plus hypocrite que de permettre à une femme d’adopter l’enfant de sa conjointe tout en refusant de savoir comment cette dernière a fait pour avoir cet enfant ? Ce débat devrait également être l’occasion de nous pencher sur des cas plus complexes : je pense notamment aux enfants issus d’une GPA réalisée à l’étranger. Même s’ils sont peu nombreux, ils ont le droit d’avoir une existence administrative.

En votant ce texte, nous ferons œuvre utile puisque nous étendrons le bénéfice de certains droits, que nous ouvrirons une institution sans la fermer à qui que ce soit et que nous protégerons celles et ceux qui n’ont pas attendu le législateur pour fonder une famille en dehors des chemins traditionnels.

En dehors de la situation particulière des enfants nés d’une GPA, je m’interroge simplement sur la question du statut du tiers, notamment après une séparation : ce texte ne devrait-il pas être l’occasion d’avancer vers la définition d’un tel statut ?

M. Marcel Rogemont. Alors que le mariage avait eu longtemps pour fonction d’établir une présomption de paternité, la filiation est aujourd’hui indépendante du mariage. Or, madame Taubira, le projet de loi semble revenir sur ce principe en réservant l’adoption aux personnes mariées, puisqu’elle n’est pas ouverte aux pacsés, ni même aux concubins depuis plus de deux ans. Est-ce un oubli ? Quelle serait la position du Gouvernement à l’égard d’une disposition qui ouvrirait l’adoption à tous les couples stables ?

J’aimerais par ailleurs savoir, madame Bertinotti, ce que vous répondez à ceux qui prétendent que le projet de loi ignorerait l’altérité sexuelle. De tels propos n’auraient-ils pas pour finalité de justifier l’inégalité devant la loi des citoyens d’une même République ?

Mme Catherine Quéré. De même que la laïcité est la liberté d’avoir ou non des convictions religieuses, le mariage doit être la liberté de s’unir avec une autre personne, quel que soit son sexe.

Dans les familles recomposées, le conjoint n’a aucun droit vis-à-vis des enfants nés d’un premier lit, alors qu’il les a parfois élevés depuis leur plus jeune âge. Ce problème se posera aussi aux familles homoparentales. Ce projet de loi sur le mariage pour tous ne devrait-il pas être l’occasion de reconnaître les droits du tiers ?

M. Guy Geoffroy. Je voudrais faire part du sentiment que m’inspire la façon dont certains de nos collègues présentent la position de ceux qui ne sont pas d’accord avec eux. Je ne crois pas que ceux de nos concitoyens et de leurs représentants qui sont hostiles à ce texte soient le contraire des modernes. Une telle présentation me semble d’ailleurs totalement contre-productive, y compris pour les partisans du texte. Comme tous mes collègues, je rencontre quotidiennement des femmes et des hommes qui ne jugent pas ringard de s’interroger sur la légitimité et l’opportunité de ce texte.

J’ai même cru voir, madame la garde des Sceaux, affleurer dans votre propos une accusation encore plus grave : celle d’homophobie. Sachez que le père de famille, le grand-père, l’époux, le citoyen, l’élu que je suis, qui s’est battu pour que la République se dote des moyens de lutter contre toutes formes de discriminations, comme la HALDE, ne peut pas accepter l’accusation, même subliminale, que ceux qui s’opposent à ce texte le font par homophobie. Notre pays est troublé ; il souffre de mille maux. N’ajoutez pas à ces maux l’idée selon laquelle il y aurait le clivage entre les modernes qui, par nature, se seraient pas homophobes et les ringards qui, par évidence, le seraient avec un positionnement erroné et dangereux de ceux qui n’auraient pas d’état d’âme et ceux qui font de ce texte un symbole politique, ce que je respecte. Mais pourquoi ranger tous les autres parmi les ennemis « indécrottables » de toute modernité ?

Quant au fond, vos propos ont suscité en moi des interrogations, voire une gêne intellectuelle. Je n’arrive pas à comprendre l’opportunité de distinguer entre une filiation biologique et celle que vous qualifiez de « sociale ». Je sais ce que c’est qu’une filiation biologique : j’en suis le fruit et, qu’on le veuille ou non, ce sera aussi le cas de tous les enfants à naître, partout dans le monde. Qu’est-ce, en revanche, qu’une filiation sociale ? Une telle distinction me paraît d’autant plus inopportune intellectuellement que le groupe socialiste envisage d’ouvrir la PMA aux couples de femmes.

Vous prétendez par ailleurs, madame la garde des Sceaux, que le projet de loi ne supprime pas systématiquement le concept de père et de mère. Or l’article 4 du projet de loi prévoit de remplacer les mots « père et mère » par le terme de « parents » dans l’article 371-1 du code civil, qui précise que l’autorité parentale « appartient aux père et mère ». Notre droit affirmera donc que l’autorité parentale appartient aux parents, ce qui est quelque peu tautologique. Pourquoi supprimer ainsi la notion de père et de mère de la définition de l’autorité parentale pour les couples hétérosexuels ?

M. Jacques Bompard. Je suis, pour ma part, fort marri par l’impossibilité de dialogue entre ceux qui sont favorables au mariage pour tous et ceux qui défendent le mariage traditionnel. L’argument qu’il s’agit d’un engagement du programme présidentiel ne vaut pas : l’élection présidentielle n’est pas un référendum. De plus, il est fréquent en France qu’on ne respecte pas les résultats d’un référendum. Enfin l’abstention a été si importante lors de l’élection présidentielle que le président de la République n’a pas été élu par la majorité du corps électoral. En tout état de cause, le Président n’a pas tous les droits, et certainement pas celui de modifier une institution qui est au fondement de notre société.

Pour avoir assisté à trois des auditions dont vous parlez, je peux vous dire qu’il s’agissait moins de débattre que de célébrer une messe. Nous avions le droit d’interroger les personnes auditionnées, mais non de discuter avec elles. D’ailleurs peu de parlementaires y assistaient. Il faut dire que certains partisans du mariage traditionnel n’ont pas été auditionnés, malgré ma demande expresse. Quant aux représentants des grandes religions, ils se sont plaints de n’avoir pas été écoutés par la Commission.

Pourtant ce débat, par son importance, dépasse largement notre assemblée. Il conviendrait ainsi de s’interroger sur la notion de progrès de la société, qu’on vient encore de nous resservir : quel est l’étalon propre à mesurer ce prétendu « progrès » ? On devrait se demander si l’évolution du mariage à laquelle on assiste est vraiment un progrès pour notre société. Ne s’agirait-il pas plutôt d’une évolution malheureuse contre laquelle il faudrait lutter ? Pour ma part, je crois qu’ouvrir à tous ce qui était une institution fera considérablement reculer notre société.

Lorsqu’elle était garde des Sceaux, Mme Élizabeth Guigou assurait, la main sur le cœur, que l’adoption du PACS rendrait impossible le mariage homosexuel. Quelle foi peut-on vous accorder lorsque, aujourd’hui, vous assurez que jamais, au grand jamais, vous ne légaliserez la GPA ?

Tout cela montre la légèreté avec laquelle vous prenez des décisions qui remettent en cause l’avenir même de notre civilisation. Une majorité accidentelle ne vous donne aucune légitimité pour changer les fondements de notre société.

Mme la garde des Sceaux. Il est vrai, monsieur Dussopt, que la question du statut du tiers, ou « parent social », est ancienne, et qu’elle ne concerne pas que les familles homoparentales. Même si le projet de loi ne crée pas un tel statut, le sujet est revenu de manière récurrente au cours de nos débats. Il est plus complexe qu’il n’y paraît au premier abord. La délégation-partage de l’autorité parentale, déjà prévue par le code civil, ne couvre pas la totalité des situations existantes. Je ne veux pas préjuger du sort que le débat parlementaire réservera à ce sujet de fond. En tout état de cause, il faudra prendre en compte toutes les situations et veiller à ce que le remède ne soit pas pire que le mal.

La réponse est la même s’agissant de la question de l’adoption par un couple non marié, monsieur Rogemont : c’est un sujet qui est revenu très régulièrement dans nos débats et dont le Gouvernement a fait savoir, par la voix du Premier ministre, qu’il reconnaissait la légitimité. Le régime de l’adoption, tel qu’il a été défini par la loi de 1966, ouvre déjà l’adoption aux célibataires, ce qui peut paraître une forme d’incohérence. Ce projet de loi peut être l’occasion de rationaliser l’accès à l’adoption.

C’est bien la première fois, monsieur Geoffroy, qu’on me reproche des propos « subliminaux ». En règle générale, ce que j’ai à dire, je le dis, et très clairement. C’est vous qui interprétez. J’ai eu au contraire le souci de m’exprimer avec précaution, d’autant que je m’adresse à des députés, et que j’ai siégé parmi vous pendant quatre législatures. Je n’accuse personne d’homophobie : je constate simplement, comme tout un chacun, la résurgence de propos homophobes. La responsabilité des parlementaires que vous êtes, que j’ai été, est de faire en sorte que le débat ne soit pas parasité par ce genre de considérations.

Si, en adaptant l’institution du mariage aux réalités sociologiques de la famille, nous la modernisons, il n’est pas question d’opposer le camp des modernes à celui des anciens : une telle querelle est déjà éteinte depuis plusieurs siècles !

L’histoire du droit matrimonial a connu plusieurs étapes : le divorce est autorisé dès 1792 puis interdit en 1804, puis de nouveau autorisé en 1884. Ce ne sont pas des dates fétiches : elles correspondent à des périodes de débats intenses au cours desquelles d’autres droits sont reconnus – liberté de la presse, liberté d’association ou liberté syndicale. Un peu plus tard, en 1905, est adoptée la loi sur la laïcité. Les années 1970 sont aussi une période décisive : la femme devient sujet de droit et cesse d’avoir besoin de l’autorisation de son mari pour signer un contrat de travail ou ouvrir un compte bancaire. Il s’agit bien d’une modernisation : la société prend acte du fait que, à partir de la guerre, la femme a commencé à travailler, voire à exercer des métiers masculins. En lui reconnaissant ces droits, on la sort de son statut de minorité. L’institution du mariage a donc une histoire très vivante : à certaines époques, elle a permis la domination de l’homme sur la femme et les enfants ; à d’autres, elle est redevenue fondée sur le consentement de deux êtres libres et autonomes.

Je ne fais de procès d’intention à personne, et surtout par sur un sujet aussi grave que l’homophobie – des gens sont morts, victimes d’agressions homophobes. Toutefois, vous vous permettez vous-mêmes des jugements de valeur en affirmant que les défenseurs de ce projet de loi ont une position erronée et dangereuse. Ce n’est pas grave : le débat est vif, mais nous restons courtois.

Il est vrai que tous les enfants naissent d’un processus biologique. Mais la filiation adoptive existe déjà pour les couples hétérosexuels et le présent projet de loi ne fait qu’ouvrir le mariage et l’adoption aux couples homosexuels, dans les conditions actuelles du code civil et des procédures de l’adoption. Celles-ci sont rigoureuses et strictes, aussi bien au stade de l’agrément accordé par le conseil général que du droit à l’adoption prononcé par le juge.

Personne ne cherche à créer de clivages ! Simplement, ceux qui sont convaincus que ce texte doit être adopté défendent leurs arguments avec passion, de même, monsieur Geoffroy, que vous vous exprimez avec force pour convaincre qu’il ne doit pas l’être ! On ne peut pas dire qu’il n’y a pas de communication entre nous : le débat a lieu et aboutira à un vote. Pour notre part, nous avons entendu des personnalités exprimer des positions très diverses, lors d’auditions très riches et parfois fort longues, et nous avons également recueilli des contributions écrites.

Mme la ministre déléguée. Ce débat passionnant concerne chacun de nos concitoyens. C’est notre honneur à tous, quelle que soit notre sensibilité, de nous poser de telles questions. Il nous faut regarder la société telle qu’elle est. La différence fondamentale avec le siècle passé, c’est que la conjugalité, la sexualité, la procréation et l’amour peuvent être disjoints et que chacun les associe comme il l’entend. Un enfant sur deux naît hors mariage. Ce n’est donc pas le mariage qui fonde la procréation. Et la société a évolué du fait de la maîtrise de la contraception et des progrès de la technique médicale. Il n’est donc pas question d’opposer les anciens aux modernes.

Quant à la filiation, elle ne peut se résumer aujourd’hui au seul fait procréatif. Par exemple, la filiation d’un enfant adopté est actée, mais elle n’est pas procréative, puisque l’enfant a pour père et mère des individus ayant recouru à une procédure d’adoption. C’est un fait que l’on ne peut ignorer et qui me permet d’aborder la question de l’altérité : lors de nos auditions, jamais nous n’avons entendu de couples homosexuels nous dire qu’un enfant pourrait naître de deux hommes ou de deux femmes. L’idée selon laquelle on gommerait la différence sexuelle est insupportable ! Un enfant a des parents et appartient à une famille dans laquelle l’altérité sexuelle existe.

L’aspiration des enfants à connaître leur histoire est l’une des questions de fond que le droit n’a pas encore résolues. Mais cette demande d’accès aux origines n’a rien à voir avec l’homoparentalité. Dans le cadre de mes fonctions, j’ai reçu des associations d’enfants nés par PMA et qui souhaitent connaître, non pas leurs parents, mais leurs géniteurs. Ces interrogations, pour légitimes qu’elles soient, n’ont rien à voir avec le projet de loi. Ne faisons pas comme si l’on découvrait ces questions à la faveur de ce débat : elles sont sans lien avec les orientations sexuelles du couple d’adoption.

Lorsqu’une différence ne donne pas accès aux mêmes droits, j’appelle cela une discrimination.

Quant au mariage « traditionnel », ce projet de loi ne l’interdit à personne. Ce que demandent nos concitoyens, c’est que tous aient la même possibilité de choisir entre l’union libre, un concubinage que l’on fait acter, le PACS et le mariage.

Lors de la discussion du code civil, Napoléon a déclaré : « Les lois sont faites pour les mœurs et les mœurs varient. Le mariage peut donc subir le perfectionnement graduel auquel toutes les choses humaines paraissent soumises. »

M. Bernard Roman. J’aimerais d’abord souligner que je n’ai entendu aucun propos homophobe au cours des réunions de travail auxquels nous avons assisté. Nous nous réjouissons que l’homophobie ait reculé dans notre pays grâce au législateur. Il y a trente ans, l’homosexualité était un délit figurant dans le code pénal, et une brigade des renseignements généraux fichait les homosexuels. Il y a vingt ans, en 1992, c’était une maladie grave inscrite dans le code de la santé publique. Il y a treize ans, nous avons sorti l’homosexualité de son « ghetto » en instituant le PACS, ce qui a permis à de nombreuses personnes de révéler leur homosexualité et à de nombreux parents d’apprendre qu’ils avaient un enfant homosexuel. Aujourd’hui, nous faisons un pas immense dans l’histoire du code civil : nous proposons le mariage pour les couples homosexuels.

Dans tous les pays où le mariage homosexuel a été institué, l’opposition a parfois été vive, mais, quelques mois après la réforme, la chose était banalisée et ne posait plus de problème. Le Portugal est le cas le plus typique : lorsque le mariage homosexuel fut voté par le Parlement, 75 % de la population y était opposée. Aujourd’hui, elle y est favorable à 92 %.

Pensons aussi à l’immense espérance que nous apportons aux enfants vivant dans un foyer où le couple est homosexuel. Le taux de suicide est quatre fois plus important chez les adolescents homosexuels que chez l’ensemble des adolescents ; l’homophobie et la discrimination sont les premiers maux dont souffrent les enfants qui vivent dans des familles homoparentales. Je remercie donc Mme Taubira et Mme Bertinotti de porter ce texte avec autant de conviction. Il marquera l’histoire de notre République.

Tous les pays ont été confrontés à la question de la filiation dans les couples de femmes homosexuelles, et j’aimerais connaître la position du Gouvernement à cet égard. Le projet de loi autorise le mariage et l’adoption par des couples de même sexe. Dans les couples d’hommes, il permettra l’adoption des enfants conçus auparavant par l’un des conjoints. Des dizaines de milliers de couples le demandent, on ne peut donc l’ignorer. Pour les couples de femmes, le texte permettra non seulement d’adopter l’enfant que l’une des conjointes aura déjà, mais aussi d’avoir un enfant et, à la conjointe qui ne l’aura pas porté, de l’adopter. Une telle possibilité légitime la procréation médicalement assistée. En Belgique, le droit à la PMA pour les couples homosexuels a été légitimé par le fait qu’il était déjà ouvert aux couples stériles — ce qui est le cas d’un couple de femmes. Si on ne légalise pas la PMA alors que l’adoption la rend légitime, on encouragera l’illégalité. Il n’est certes pas illégal d’aller en Belgique ou en Espagne pour bénéficier de la PMA, mais, lorsqu’on n’en a pas les moyens, on utilise toutes les techniques possibles. La PMA existe déjà : on a même caché à certains enfants qu’ils étaient nés de cette manière. Le problème n’est donc pas uniquement celui de la recherche des origines, mais aussi celui de l’ignorance de la manière dont on a été conçu.

Des questions de filiation se poseront également. De grands spécialistes internationaux du droit civil nous ont expliqué que les modèles qui fonctionnent le mieux sont ceux qui transposent à l’identique les droits des couples hétérosexuels au profit des couples homosexuels, y compris en matière de filiation. C’est notamment le cas au Québec. Inspirons-nous de ces modèles qui permettent de répondre, dans le respect de l’égalité des droits, à toutes les situations.

De même, le Défenseur des droits estime que le texte n’assure pas suffisamment la sécurité juridique des enfants. Or le meilleur moyen de protéger les enfants de couples de femmes homosexuelles serait d’autoriser la PMA qui suppose que l’on s’adresse au juge ou à un notaire. La République a le devoir, lorsqu’elle crée un nouveau droit, d’en assurer l’effectivité. Les femmes ont le droit de se marier et d’adopter : permettons-leur d’adopter l’enfant qu’elles auront voulu ensemble !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Le mariage a fait l’objet de grands débats philosophiques et n’a cessé de progresser vers plus d’égalité, mais ce progrès n’est pas très ancien : l’égalité entre l’homme et la femme ne fut reconnue qu’en 1965 et l’existence des enfants adultérins l’a été il y a moins de vingt-cinq ans. Malgré les leçons que nous donnons au monde entier depuis des siècles, nous avons fabriqué un système fondamentalement inégalitaire !

Lors de rencontres antérieures, je vous avais demandé de bien veiller à ouvrir à tous le même mariage. Assurons-nous de ne pas créer de dispositif juridiquement différent et, afin de garantir l’égalité, ouvrons le mariage tel qu’il existe à ceux qui n’y avaient pas accès.

Les trois premiers articles du projet de loi ouvrent le mariage aux couples de même sexe et traitent de l’adoption plénière et de l’adoption simple. Les vingt articles de coordination qui les suivent adaptent les dispositions du code civil à cette nouvelle définition du mariage. C’est un travail important dont nous nous permettrons de vérifier l’exactitude.

Le deuxième paragraphe de l’article 1er traite des règles de conflit de lois. Il rappelle le principe traditionnel de la loi naturelle, mais également que les dispositions du projet de loi sont des règles d’ordre public qui s’imposeront, si bien que, pour une personne étrangère, sa loi personnelle cédera le pas à notre loi, sauf convention internationale contraire. Si le Gouvernement français est amené à signer ou à renégocier une convention internationale avec des pays n’appartenant pas à l’Union européenne, quelle sera sa position ? Acceptera-t-il que la loi naturelle prédomine sur notre loi nationale en cas de mariage d’une personne étrangère avec un Français ou une Française ?

M. Philippe Gosselin. Chacun s’est félicité de la durée de nos débats. On veut faire croire que tous les points de vue y sont représentés à égalité. Ils évoquent en fait ce pâté d’alouette dans la composition duquel entre un cheval entier et une seule alouette ! En tout cas, ils ne remplaceront jamais le large débat public que nous appelions de nos vœux. Certains sujets nécessitent une discussion beaucoup plus large que le débat parlementaire. C’est le cas de la PMA et du droit aux origines, qui relèvent des lois de bioéthique. Ces lois ont donné lieu à des états généraux et à de larges débats l’an dernier. On aurait pu s’inspirer de l’exemple de la commission sur la fin de vie présidée par le professeur Sicard, qui vient de rendre son rapport au terme d’une longue enquête, après avoir pris le temps de mener des auditions plus larges.

Je m’étonne que la question soit présentée de manière souvent très technique : on parle d’aspects économiques et sociaux, de données objectives, d’études qui s’imposeraient comme autant de vérités indubitables. Hier encore, une psychologue de l’hôpital Érasme à Bruxelles considérait que les critiques négatives formulées par certaines études ne valaient rien, puisque les faisceaux étaient convergents. Or, cette réforme n’est pas seulement technique. Sans aller jusqu’à parler de changement de civilisation, on n’insiste pas suffisamment sur le changement de paradigme culturel auquel on assiste. Derrière ce changement se profile la théorie du genre. Vous prétendez qu’on ne modifie le code civil qu’à la marge, mais l’article 4 du projet de loi opère des coordinations qui ne sont vraiment pas marginales. Plus de 130 références aux termes de « père et mère » sont remplacées dans le code civil par le mot « parents ». Je m’interroge sur le caractère « strictement nécessaire » de ces modifications.

Nous aurons du mal à connaître aujourd’hui l’avis du Gouvernement sur la PMA mais, à défaut, pourrait-on connaître la position personnelle de la garde des Sceaux sur ce sujet ? Nous avons entendu ce matin que le Parlement avait un « droit d’innovation » en la matière. Vous me direz sans doute, mesdames les ministres, que vous n’êtes pas qualifiées pour faire l’exégèse de la position du président de la République. Il reste que ses déclarations sur la « liberté de conscience » des maires ont semé le trouble. Il y aurait donc une difficulté de conscience, dont le président de la République lui-même se fait l’écho ? Comptez-vous intégrer dans le projet de loi cette clause de conscience réclamée par de nombreux élus locaux ?

Mme Corinne Narassiguin. Nous avons tous beaucoup appris au cours des auditions, et je regrette que la diversité politique de cette assemblée y ait été insuffisamment représentée. Il est bon de se confronter à la réalité des témoignages, quelles que soient les opinions des experts ou des familles venus nous exposer leur point de vue.

Ce projet de loi touche intimement chacun d’entre nous dans sa conception de la famille et de l’intérêt de l’enfant. Dans la majorité, nous y sommes très favorables, estimant qu’il renforce la famille et le mariage. Cela peut d’ailleurs surprendre, venant de la gauche, qui n’a jamais autant fait la publicité du mariage et de la sécurité juridique qu’il apporte aux deux membres du couple, ainsi qu’à leurs enfants. En permettant l’adoption de l’enfant du conjoint, ce projet de loi vise à sécuriser les enfants dans leur double filiation. C’est en tout cas de cette manière que ce nouveau droit d’adopter sera largement utilisé.

Il importe que nous examinions – et, je l’espère, que nous votions – un amendement sur la procréation médicalement assistée pour les couples de lesbiennes. On ne peut permettre à une femme d’adopter l’enfant de sa conjointe tout en fermant les yeux sur la manière dont il a été conçu. Le projet de loi prend en considération la filiation dans le cadre exclusif du mariage. Or, l’égalité des droits et l’accès au mariage sous-tendent aussi le droit de choisir de ne pas se marier. À la différence des hétérosexuels, les couples homosexuels se voient imposer l’obligation de se marier pour que leurs droits parentaux soient pleinement reconnus. Et le cadre juridique actuel est trop flou pour permettre aux juges de prendre des décisions claires et cohérentes, d’un magistrat à un autre, permettant la reconnaissance de la parenté sociale dans les couples séparés. Le statut du tiers concerne toutes les familles recomposées. Mais il importe plus encore de reconnaître la filiation sociale du deuxième parent, hors mariage. Actuellement, dans un couple hétérosexuel, un homme peut reconnaître un enfant sans avoir à prouver sa filiation biologique, ce qui est impossible pour un couple homosexuel. Le projet de loi comporte donc une lacune sur laquelle j’aimerais entendre le point de vue du Gouvernement.

Mme Françoise Guégot. J’ai toujours eu une position intermédiaire sur la question qui nous occupe. Il est certain que la société évolue. Compte tenu des libertés familiales, les situations sont très diverses. Il existe notamment des familles homoparentales, recomposées et monoparentales, et seuls 65 % des enfants environ vivent avec un couple marié.

Certains défendent bien davantage le mariage aujourd’hui qu’ils ne le faisaient auparavant, à une époque où l’institution était implicitement considérée comme ringarde. Nous nous félicitons de cette évolution car cette institution civile est au fondement de la construction de la famille et de la société. Cependant, nos analyses diffèrent. La situation est beaucoup plus complexe que ne veulent le laisser croire ceux qui opposent les « pour » et les « contre », les modernes et les conservateurs. Nous aurions pu, dans une phase intermédiaire, définir une union civile bénéficiant de nouveaux droits, tels que le droit d’adoption simple.

L’expression de « filiation sociale » me surprend. On mélange l’adoption et la filiation, l’adoption simple et l’adoption plénière. Tous ces termes sont définis dans le code civil. La filiation repose sur des liens maternel et paternel. Cette identité sexuée se rapproche donc de la réalité biologique. Quant à l’adoption simple, elle permet le maintien d’un lien de filiation avec les parents biologiques parallèlement au lien qui existe avec les parents adoptifs, et donc de résoudre la question, soulevée par Mme la ministre, des origines et de l’histoire de l’enfant.

Lorsque le mariage sera ouvert à tous, les enfants pourront voir figurer sur leurs actes d’état civil le nom de deux pères ou de deux mères. Or, quels que soient les choix de vie personnels de chacun, les hommes et les femmes restent fort différents et l’égalité ne signifie pas que nous soyons tous identiques. Cette diversité fait notre force et notre complémentarité. Il est inutile de formuler des propositions qui sont à contre-courant de l’opinion de beaucoup de nos compatriotes et il importe d’expliquer la différence entre la filiation et l’adoption. Conservons une filiation qui concilie la possibilité d’adopter avec celle, pour l’enfant adopté, de connaître son histoire. Le système actuel va déjà très loin et permet à des beaux-parents de devenir parents adoptifs. Nombre d’enfants ont donc deux pères et cela fonctionne correctement. Il existe aussi des situations familiales complexes, dans lesquelles oncles et tantes sont impliqués.

Nous disposons déjà des outils juridiques nécessaires pour répondre à un certain nombre de questions. Passer par une étape intermédiaire aurait permis un débat serein et d’éviter que certains refusent de reconnaître de nouvelles libertés familiales. Le « droit de l’enfant » et le « droit à l’enfant » sont deux choses fort différentes ! Le droit des enfants suppose le respect de leurs origines et de leur filiation, qui correspond à un lien maternel et à un lien paternel.

M. Dominique Raimbourg. Ce texte revêt à la fois une dimension réelle et une dimension symbolique. Malgré son importance, la réalité ne sera finalement que peu affectée par son adoption. Le nombre de mariages homosexuels restera relativement limité. En Espagne, où cette possibilité existe depuis plusieurs années, on enregistre environ 3 000 mariages par an. On estime qu’il y en aurait environ 5 000 à 6 000 en France. On peut faire la même observation concernant l’adoption, compte tenu du fait qu’il y a très peu d’enfants à adopter, en dehors de ceux qui sont déjà élevés par des couples homosexuels. Par ailleurs, lorsqu’il s’agira d’adopter les enfants du conjoint, dans la mesure où ceux-ci ont été conçus dans une union hétérosexuelle, l’existence d’une double filiation biologique ne permettra qu’une adoption simple. Nous ne sommes donc pas à l’aube d’un bouleversement de toutes les couches de la société. Le phénomène est important, mais restera statistiquement marginal.

Quant à la dimension symbolique du texte, elle est surestimée. On ne peut parler d’un mariage « traditionnel » et d’un « nouveau » mariage puisque l’institution n’a cessé d’évoluer. Ce matin, sur France Inter, l’anthropologue Françoise Héritier rappelait que le mariage a tout d’abord été une façon d’échanger des femmes pour permettre la pacification entre différents groupes, ainsi que les unions en dehors de ceux-ci. Il a ensuite permis les alliances de familles et de richesses. Et, jusqu’il y a une trentaine d’années, il fut un outil permettant d’affecter des enfants à des couples mariés et un instrument de domination de l’homme sur la femme. La réforme des régimes matrimoniaux date de 1965 et Jean-Yves Le Bouillonnec a raison de dire que nous sommes présomptueux lorsque nous nous targuons de donner des leçons de liberté au monde entier. Certes, cette évolution est symboliquement importante, mais elle rejoint celle du mariage en général.

Enfin, le rapport aux enfants a profondément changé avec l’introduction de la contraception et de l’IVG, si bien que, depuis une quarantaine d’années, les enfants sont en majorité désirés et leur naissance est programmée. Il me paraît donc injustifié de craindre un bouleversement de civilisation ou un changement de paradigme. En reconnaissant les pratiques de certaines minorités, nous apaisons les choses et faisons preuve de bienveillance. Plus personne n’en parlera dans deux ans, comme cela s’est passé pour le PACS.

Mme la ministre déléguée. En effet, il ne s’agit pas d’un changement de paradigme. Les débats sur le PACS furent passionnés : or, paradoxalement, il est aujourd’hui surtout utilisé par des couples hétérosexuels. Cela illustre bien la capacité qu’a la société de s’approprier au mieux les avancées législatives. M. Éric Fassin constatait que la fin du monde annoncée par les adversaires du PACS n’avait pas eu lieu, mais que c’était la fin d’un monde. Effectivement, dans quelques années, cette loi sera banalisée.

Lors des auditions que nous avons menées avec la garde des Sceaux, une mère de famille nous a raconté à quel point il était dramatique que ses trois enfants n’aient pas les mêmes droits, l’un d’eux étant homosexuel. Cette loi vise donc à ce que tous les enfants aient les mêmes droits, quelle que soit leur sexualité.

Quant à la notion d’égalité, vous ne contestez pas le fait que les femmes aient les mêmes droits que les hommes. Pourtant, elles ne demandent pas à devenir des hommes ! Lorsqu’on n’accorde pas les mêmes droits à un individu en raison de sa différence, on crée une discrimination.

Dans le code civil, l’accès au statut de tiers est très contraignant puisqu’il n’est reconnu que « lorsque les circonstances l’exigent ». Peut-être ce statut ou une évolution de l’adoption permettraient-ils de reconnaître le rôle de la tierce personne qui contribue à l’éducation des enfants.

Mme la garde des Sceaux. Actuellement, c’est surtout la jurisprudence qui régit le statut du tiers. Il est donc sans aucun doute nécessaire de traiter le sujet par voie législative.

Avant de se prononcer sur la PMA, le Gouvernement attendra qu’un amendement soit déposé sur le sujet.

Quant à la résolution d’éventuels conflits de lois, la France a ratifié treize conventions internationales et le Gouvernement n’a prévu aucune démarche pour les modifier. Le deuxième alinéa du deuxième paragraphe de l’article 1er du projet de loi introduisant une dérogation au statut personnel, deux cas de figure sont possibles : soit la personne est originaire d’un pays auquel la France est liée par une convention excluant la suppression du statut personnel, soit elle vient d’un pays dans lequel l’homosexualité reste pénalisée. Dans ce dernier cas, l’officier d’état civil aura la possibilité d’en informer le couple concerné et de ne pas publier les bans, compte tenu du risque encouru.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. C’est le parquet qui autorise la non-publication des bans.

Mme la garde des Sceaux. Je répondrai à présent à M. Gosselin que nous ne changeons pas de paradigme puisque le couple hétérosexuel demeure et que le mariage reste une institution pour l’ensemble des couples qui veulent y souscrire. Il n’est pas question ici de théorie du genre, mais il existe des réalités. Le débat parlementaire sur le harcèlement sexuel a montré que nous ne maîtrisions pas la notion de genre dans le champ législatif. Pourtant, la question, conceptualisée par les sociologues et les philosophes, est bien réelle. Il y a quelques années, on faisait systématiquement référence aux travaux américains de Judith Butler, mais il existe à présent des travaux français.

M. Philippe Gosselin. La porte-parole du Gouvernement s’est exprimée sur le sujet.

Mme la garde des Sceaux. Oui, car la question est posée et nous l’assumons. Les parlementaires qui souhaitaient inscrire la notion de genre dans le code pénal ont finalement accepté de mentionner, à la place de cette notion, l’orientation et l’identité sexuelles. Nous poursuivons notre réflexion, non dans le cadre de la loi sur le harcèlement sexuel, mais dans celui de la construction même du code pénal. L’orientation sexuelle constitue un facteur aggravant les discriminations, les crimes et les délits. Un jour, la société maîtrisera le concept de « genre », en s’appuyant sur les piliers de nos représentations françaises. Il nous sera alors plus aisé de l’inscrire dans la loi.

Quant à la suppression de l’expression de « père et mère », je répète que nous l’avons effectuée chaque fois que c’était strictement nécessaire et que, à l’inverse, nous avons maintenu les termes chaque fois que c’était possible. Ce n’était donc pas une fantaisie. Par exemple, nous n’avons pas modifié le titre VII du code civil.

Madame Guégot, nous ne confondons pas les titres VII – qui traite de la filiation – et VIII – qui traite de la filiation adoptive. Le code civil distingue bien les deux notions.

Je m’attendais plutôt, monsieur Gosselin, à ce que vous nous félicitiez, Mme Bertinotti et moi-même, de porter nous-mêmes ce projet de loi plutôt que d’en avoir fait une proposition de loi, en réalité rédigée par nos soins. Nous participons toutes les deux fort activement au débat, mais c’est en toute loyauté que nous portons ce texte gouvernemental et que nous continuerons à le faire autant que nécessaire.

M. Philippe Gosselin. Vous ne répondez pas à la question ! Quel est votre point de vue personnel sur les amendements qui pourraient être proposés ?

Mme la garde des Sceaux. Au-delà du caractère personnel et provocateur de votre question, je suis persuadée que vous comprenez le sens de la responsabilité ministérielle. Il y a deux manières possibles de s’adresser aux gens : soit on leur fait plaisir en leur disant ce qu’ils ont envie d’entendre, a fortiori, si l’on en est soi-même convaincu ; soit on assume sa responsabilité, ce qui me paraît être la bonne manière de procéder. C’est en qualité de garde des Sceaux que j’ai la responsabilité de porter ce projet gouvernemental avec Dominique Bertinotti. Je ne suis pas une nouvelle venue, y compris pour ceux qui ont prétendu, au cours des six derniers mois, découvrir chez moi un cumul de tous les défauts possibles ! Mes combats, mes engagements et ma liberté de parole sont connus ! En tant que garde des Sceaux, j’essaye chaque jour de m’élever à la hauteur de ma responsabilité et je ne souhaite pas faire prévaloir ma position personnelle sur celle du Gouvernement.

Quant aux propos du président de la République, je n’en ferai pas l’exégèse. Il a publiquement prononcé une formule qu’il a lui-même expliquée le lendemain. Peu importe la sympathie personnelle que je pourrais avoir pour quelque maire que ce soit, en tant que garde des Sceaux je rappelle que, pour la célébration du mariage, les maires sont des officiers d’état civil, fonction qu’ils exercent par délégation d’État. À ce titre, ils exécuteront la loi si celle-ci est votée, sans quoi ils s’exposeront à des sanctions. En délégant des actes civils de l’État au maire, la République garantit une égalité de traitement à tous les citoyens sur l’ensemble du territoire.

M. Philippe Houillon. Le présent texte consacrera, à l’égard de deux parents de même sexe, deux formes de filiation opposables et normalement inscrites sur le livret de famille : l’une adoptive ; l’autre issue de la PMA – car l’accès des couples de femmes à cette dernière sera très probablement autorisé. En outre, la question de la GPA ne manquera pas de se poser : si l’accès à la PMA est ouvert aux couples de femmes, les couples d’hommes demanderont, au nom de l’égalité, à bénéficier de la GPA. Vous avez parlé, madame la ministre déléguée, d’égalité et de suppression des discriminations. Quelle est votre position au sujet de la GPA ?

Nous instaurons donc une filiation qui correspond à une impossibilité biologique. Je relève à cet égard, madame la ministre déléguée, certains de vos propos : « la filiation biologique n’est plus la seule filiation possible » ; « il y a une multiplicité des acteurs impliqués dans la conception d’un enfant » ; « la filiation d’un enfant adopté est actée, mais elle n’est pas procréative ». Il y a là une innovation sociale, un changement dans la condition humaine, sur lequel, à ce stade, je ne porte pas de jugement. Mais considérez-vous, comme moi, qu’il s’agit bien d’une évolution fondamentale de la société ? Et, dans l’affirmative, estimez-vous possible de vous passer de l’avis du peuple ?

Vous allez sans doute me répondre que c’était un engagement du candidat François Hollande. Or, ce n’est pas ou plus tout à fait exact : si l’ouverture du mariage et de l’adoption aux couples de personnes de même sexe figurait bien dans son programme, tel n’était pas le cas de l’accès des couples de femmes à la PMA. En outre, la position du président de la République évolue : il dit ne pas y être favorable à titre personnel, tout en précisant qu’il ne s’y opposera pas si les parlementaires en décident ainsi. Je ne vous demande pas, madame la garde des Sceaux, votre avis sur le sujet : le Gouvernement parle d’une seule voix et vous n’avez pas, en effet, à nous faire connaître votre propre opinion. Je me borne à constater qu’aucun mandat n’a été donné par les Français au président de la République concernant la PMA.

M. Philippe Goujon. Vous avez, à tort, écarté la piste d’une amélioration du PACS ou de la création d’une union civile réservée aux personnes homosexuelles, qui existe pourtant dans la moitié des pays européens. Les différences entre le PACS et le mariage sont aujourd’hui assez minimes. Nous aurions pu trouver un consensus sur une amélioration du PACS et ainsi éviter ce débat qui divise profondément la société française.

L’intérêt supérieur de l’enfant est le grand absent des débats. Vous mettez en avant le droit à l’enfant et le désir d’adopter, mais on parle moins – c’est tabou – des adoptions qui se soldent par des échecs : selon les spécialistes, 10 % des enfants sont rendus chaque année aux services de l’aide sociale à l’enfance. Or l’adoption constitue la chance ultime que donne la société à un enfant pour se construire au sein d’une famille.

Il existe déjà un moyen de garantir la protection des enfants élevés par des personnes de même sexe dont l’une est le parent biologique : la délégation-partage de l’autorité parentale. Ainsi, dans un arrêt du 20 octobre 2011, la cour d’appel de Paris a fait droit à la demande de la mère d’un enfant, dont la filiation n’était pas établie à l’égard du père biologique, de partager l’autorité parentale avec sa conjointe, parce que les circonstances l’exigeaient. Il ne s’agissait pas de circonstances exceptionnelles.

Combien anticipe-t-on d’adoptions par les couples de personnes de même sexe, alors que l’on ne compte que 3 000 adoptions par an pour 30 000 couples qui disposent d’un agrément et que la plupart des pays d’origine des enfants refusent l’adoption par des couples homosexuels ?

S’agissant de l’accès des couples de femmes à la PMA et sans revenir sur la cacophonie à ce sujet, je rappelle, madame la ministre déléguée, que le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) ont estimé qu’il n’y avait pas discrimination lorsque le législateur traitait de manière distincte des situations objectivement différentes. Cependant, si vous légalisez l’accès des couples de femmes à la PMA, comment la même CEDH pourrait-elle écarter le principe d’égalité et ne pas statuer en faveur de l’accès des couples d’hommes à la GPA, bien que cette dernière entre en contradiction avec le droit international et les lois françaises relatives à la bioéthique, en particulier avec le principe – essentiel – de non-patrimonialité du corps humain ?

Nous ne pouvons pas accepter la légalisation de la PMA, ni la création d’une nouvelle filiation par adoption plénière qui ne corresponde pas à la filiation biologique. On ouvre inéluctablement la porte à la marchandisation du corps humain. On détourne des techniques à visée thérapeutique afin de corriger des différences naturelles – deux hommes ensemble et deux femmes ensemble ne peuvent pas procréer – perçues comme inégalitaires. Cette confusion est issue de la théorie du genre. Je regrette que vous ayez empêché la constitution d’une commission d’enquête sur ce sujet, de même que vous avez refusé une mission d’information sur le mariage homosexuel. Je rejoins mon collègue Philippe Houillon : la campagne présidentielle n’a pas tout tranché, le peuple aurait dû être consulté.

Nous sommes en train de fragiliser l’ensemble du droit de la filiation et du droit des successions. Le Défenseur des droits et les notaires nous ont alertés sur ce point. En déstabilisant l’institution du mariage, nous risquons de voir se fissurer le ciment sur lequel est bâtie notre société.

Mme Marietta Karamanli. Depuis une dizaine d’années, plusieurs pays étrangers ont ouvert le mariage aux couples de personnes de même sexe, avec des implications diverses, s’agissant notamment de l’accès à la PMA. L’étude d’impact y fait brièvement référence. Je relève, à l’attention des opposants à ce texte, que les cataclysmes annoncés ne semblent pas s’y être produits. Disposez-vous, mesdames les ministres, d’études qualitatives sur les conséquences de cette réforme dans les pays qui l’ont accomplie ? Cela pourrait éclairer nos travaux.

M. Édouard Philippe. Je n’ai pas pris de décision quant à mon vote final.

Lors de l’élaboration du code civil, l’inscription de la présomption de paternité dans le droit français a constitué une grande avancée. Ce principe protecteur de la mère et des enfants, très moderne pour l’époque, a fondé le droit de la famille et constitué l’une des sources du droit des successions. Quelle est votre position quant à ce principe ? Un enfant conçu dans un couple de femmes ne sera pas réputé l’enfant des deux conjointes. Il y a là une différence avec les couples hétérosexuels, que vous devriez qualifier, madame la ministre déléguée, de discrimination, même s’il est vraisemblable que vous emploierez un autre terme au cours du débat en séance publique…

Mme la ministre déléguée. Cet enfant pourra être adopté par la conjointe.

M. Édouard Philippe. C’est exact, mais il n’y a pas présomption de parentalité.

Que se passera-t-il dans l’hypothèse où deux femmes mariées ont un enfant et souhaitent que le père biologique exerce également une forme d’autorité parentale ? Ces cas sont relativement fréquents. Acceptera-t-on que trois personnes exercent l’autorité parentale ? C’est impossible, à ce stade, dans le dispositif que vous prévoyez.

Avec ce projet de loi, la présomption de parentalité existera pour certains couples, mais pas pour d’autres. De deux choses l’une : soit il y a présomption de parentalité dans les couples homosexuels, et l’on ouvre alors à tous un mariage assorti des mêmes droits s’agissant de la filiation ; soit il n’y en a pas et l’on ne peut pas véritablement parler de « mariage pour tous ».

M. Pierre Lequiller. La présentation qui nous est faite relève de la supercherie : nous discutons d’un sujet fondamental, sans savoir aujourd’hui si l’accès des couples de femmes à la PMA sera ou non à l’ordre du jour. C’est d’autant plus important que l’accès à la PMA ouvrira, pour des raisons d’égalité, celui à la GPA. Il est beaucoup question de droit à l’enfant, mais guère du droit de l’enfant. J’y insiste : tout le monde n’a pas un droit à l’enfant. Ainsi, certains couples hétérosexuels n’obtiennent pas d’agrément en vue d’adopter, par exemple pour des raisons d’âge. Le « mariage pour tous » est une notion fausse.

Selon plusieurs pédopsychiatres, les parents adoptifs doivent pouvoir se transformer en vrai père et en vraie mère. Sur le plan psychique, l’enfant venu d’ailleurs doit pouvoir imaginer qu’il aurait pu être issu de ses parents adoptifs. Or, un tel engendrement n’est pas crédible pour un enfant élevé par un couple homosexuel. Dans ce cas, nous n’offrons pas à l’enfant les conditions les meilleures ou les moins risquées pour son adoption. Personne ne se préoccupe de l’intérêt de l’enfant ! Certains enfants auront la chance d’arriver dans un foyer où ils pourront élaborer, à partir de la différence sexuelle des parents, un récit de leurs origines ; d’autres, qui auront des parents de même sexe, ne le pourront pas.

Sur 3 000 enfants adoptés en France chaque année, 800 viennent de France et 2 200 de l’étranger. Certains pays, telles la Chine ou la Russie, sont hostiles à l’adoption par des couples homosexuels et refuseront que leurs enfants soient envoyés en France. Les possibilités d’adoption diminueront donc pour tous les couples.

Vous avez rappelé, monsieur le rapporteur, que les études faites sur les enfants élevés par des couples homosexuels portaient sur des échantillons réduits. L’une de ces études, sérieuse, réalisée par M. Mark Regnerus, suggère que ces enfants sont défavorisés par rapport aux autres : ils ne bénéficient pas du même équilibre. En outre, au cours de nos auditions, une association d’enfants adoptés devenus adultes, favorable à l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe, estimait néanmoins souhaitable, lorsqu’un enfant était élevé par un couple d’hommes, qu’il puisse avoir une marraine – qui ne peut cependant remplacer une mère. Le problème de l’altérité sexuelle se pose donc bien.

Je terminerai en citant quelques passages d’un discours relativement récent : « je dis avec la plus grande fermeté : ce droit ne doit pas être confondu avec un hypothétique droit à l’enfant » ; « le droit, lorsqu’il crée des filiations artificielles, ne peut ni ignorer ni abolir la différence entre les sexes » ; « je soutiens […] qu’un enfant a besoin […] d’avoir face à lui pendant sa croissance un modèle de l’altérité sexuelle ». Ces propos sont d’Élisabeth Guigou.

M. Bernard Gérard. Nous aurions pu, j’en suis convaincu, trouver un accord sur une amélioration du PACS. Ce n’est pas, hélas, la voie qui a été choisie.

Nous sommes très préoccupés par la question de l’adoption. Avec ce projet de loi, on nous demande de franchir une frontière : dans le cas d’une adoption plénière, les liens du sang sont rompus et les enfants sont réputés nés de leurs parents adoptifs. Or, l’adoption n’est pas uniquement un lien juridique qui consacre un engagement volontaire. Elle va bien au-delà.

Le nombre d’enfants à adopter est limité. J’avais, au cours de la précédente législature, déposé une proposition de loi visant à rendre adoptables davantage d’enfants. De nombreux pays ont déjà annoncé qu’ils restreindraient les possibilités d’adoption si nous ouvrions l’adoption aux couples de personnes de même sexe. Le Conseil supérieur de l’adoption a d’ailleurs émis certaines réserves, estimant qu’il conviendrait d’être transparent sur la situation des parents à l’égard des enfants adoptés.

La question de la clause de conscience se posera, non pas pour les maires, mais pour les conseils de famille et ceux qui sont chargés de placer les enfants adoptables : ils devront choisir entre des couples homosexuels et hétérosexuels, en tenant compte de l’histoire de l’enfant souvent déjà difficile. Avez-vous, mesdames les ministres, mené une réflexion sur ce point ? Estimez-vous légitime que les personnes chargées de confier des enfants adoptables à des familles puissent faire jouer une clause de conscience ?

Mme Bernadette Laclais. Même si les plus grandes juridictions ont considéré qu’elle n’était pas forcément discriminatoire, l’impossibilité de se marier pour les couples de personnes de même sexe est source d’inégalités, notamment en matière de droits sociaux et patrimoniaux. Le présent projet de loi permet de lutter contre ces inégalités et permettra, en outre, de mettre fin à des situations de non-droit s’agissant des enfants élevés par des couples homosexuels. Nous sommes nombreux à pouvoir nous retrouver autour d’un texte qui s’en tiendrait à l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe.

En revanche, des divergences importantes peuvent naître sur la question – bien distincte – de l’adoption, dans la mesure où elle engage non seulement des adultes, mais également des enfants. Je poserai, sans aucun esprit de provocation, quelques questions relatives au droit des enfants.

La France a signé la Convention internationale des droits de l’enfant et l’a ratifiée en 1990. Elle reconnaît ainsi la notion d’« intérêt supérieur de l’enfant ». Je ne peux rester insensible aux propos du Défenseur des droits : sur la forme, l’étude d’impact laisse plusieurs questions dans l’ombre en matière d’adoption et de filiation ; sur le fond, la présomption de paternité ne pouvant pas s’appliquer aux couples de personnes de même sexe, quelles seront les conséquences en matière d’état civil ? Qu’en est-il des enfants qui souhaiteront accéder à leurs origines ?

Nous aurions dû mettre l’enfant au cœur de notre réflexion : adopter, c’est non pas donner un enfant à une famille ou à un couple, mais donner une famille à un enfant. Si nous étions partis de ce principe, le projet de loi eût été différent.

M. Sébastien Denaja. Vous avez eu raison d’insister, madame la ministre déléguée chargée de la Famille – je serais tenté de dire : « des familles » –, sur les différentes façons de « faire famille ». La famille dite traditionnelle a été remise en question. Ce qui « fait famille » aujourd’hui, c’est davantage la présence d’un enfant au sein d’un couple, que le mariage.

Certains de nos collègues ont contesté la légitimité des ministres à présenter un texte et celle du Parlement à légiférer. Par deux fois – lors de l’élection présidentielle et lors des élections législatives –, les Français se sont pourtant prononcés clairement en faveur du programme présenté par le candidat François Hollande dès le 22 janvier 2012 au Bourget et consigné dans un livret de soixante propositions. Par contraste, son adversaire au second tour n’avait dévoilé son programme que quelques jours avant le scrutin. Entre le 22 janvier et le 17 juin 2012, un grand nombre de Français ont pris la peine de lire ces soixante propositions. Ils se sont prononcés en leur âme et conscience, y compris sur ce sujet important.

Le présent texte est placé non seulement sous le signe de l’égalité, mais également sous celui de la laïcité. La République ne reconnaît qu’une forme d’union : le mariage civil. Néanmoins, ne serait-il pas temps, sans aller jusqu’à son abrogation, de revenir sur l’article 433-21 du code pénal, qui punit d’une peine de six mois de prison tout ministre d’un culte qui procède à un mariage religieux sans s’être assuré au préalable de l’existence d’un acte de mariage civil ? Cette disposition, justifiée en 1792 lorsque la République s’appropriait l’état civil aux dépens de l’Église et faisait entrer le mariage dans les institutions civiles, est aujourd’hui largement tombée en désuétude : les poursuites ne sont pas engagées ; les peines ne sont pas prononcées. La République n’est-elle pas assez forte aujourd’hui pour assumer une telle démarche ? Nous agirions avec précaution : les conditions d’ouverture du mariage continueraient à relever de la loi de la République.

À titre personnel, je suis heureux que nous respections l’engagement du président de la République, qui était également celui de chacun des candidats socialistes aux élections législatives. C’est une question d’égalité : nous mettrons fin à une discrimination non seulement entre les couples, mais également entre les enfants.

À cet égard, vous avez insisté, madame la ministre déléguée, sur la sécurisation de la situation juridique des enfants. Néanmoins, les questions relatives à l’autorité parentale ne seront pas toutes réglées par ce projet de loi. Ne serait-il pas opportun d’aborder plus largement ces questions dans un prochain texte, notamment pour faciliter la vie quotidienne des 56 % d’enfants nés hors mariage ?

Mme la ministre déléguée. Nous n’avons pas abordé une notion, pourtant importante et souvent évoquée au cours des auditions : celle de la transmission. Je ne parle pas ici de droit à l’enfant. Les adultes, qu’ils soient hétérosexuels ou homosexuels, désirent transmettre non seulement un patrimoine, mais des valeurs, une culture, une histoire familiale. À quel titre interdirait-on à des couples homosexuels de le faire ? On ne s’est jamais posé cette question à propos des couples hétérosexuels dans l’impossibilité de concevoir des enfants. Il y a bien un enjeu d’égalité.

La question posée n’est pas celle du droit à l’enfant ou du droit de l’enfant. Nous souhaitons tous garantir la protection des enfants et sécuriser leur situation juridique. Quant à la Convention internationale des droits de l’enfant, ses stipulations peuvent être invoquées à l’envi dans un sens ou dans un autre. J’ai entendu que « l’adoption, ce n’est pas donner un enfant à une famille ». Je mets en garde contre de tels propos : cela revient à remettre en cause l’adoption dans son principe même. En outre, l’orientation sexuelle des parents adoptifs ne devrait pas entrer en ligne de compte dans les procédures d’adoption.

Je relève enfin une incohérence. Vous avez mentionné, monsieur Gérard, la proposition de loi que vous avez déposée en vue de rendre adoptables davantage d’enfants. Cependant, lors de la conférence nationale de lutte contre la pauvreté, Mme Dominique Versini, ancienne Défenseure des enfants, et M. Pierre-Yves Madignier, président d’ATD Quart Monde, se sont interrogés sur la pertinence du placement des enfants, sauf dans les 20 % de cas où il est décidé pour sauvegarder leur intégrité physique. Soyons prudents. Faut-il, pour satisfaire la demande, favoriser le développement de « l’offre » d’enfants adoptables, tant au niveau national qu’international ? Ou ne convient-il pas plutôt de s’interroger sur le bien-fondé des placements au regard de l’intérêt de l’enfant ? Cela va bien davantage dans le sens de la protection de l’enfant. Faisons attention aux notions de droit à l’enfant et de droit de l’enfant. Nous convenons tous, je le répète, de la nécessité de sécuriser la situation juridique de tous les enfants, quels qu’ils soient.

Mme la garde des Sceaux. Madame Karamanli, nous ne disposons pas d’études, mais seulement de quelques chiffres. En Espagne, où le mariage est ouvert aux couples homosexuels depuis sept ans, quelque 2 500 mariages – ce qui représente un mariage sur cinquante – sont célébrés chaque année entre personnes de même sexe et 169 enfants ont été adoptés par de tels couples. En Belgique, où le mariage est ouvert depuis huit ans, les unions entre personnes de même sexe représentent un mariage sur vingt.

Ce que vous avez dit sur la présomption de paternité, monsieur Philippe, est tout à fait exact. C’est un sujet important. Trois options se présentaient à nous : soit maintenir la présomption de paternité pour les couples hétérosexuels, sans prévoir de disposition analogue pour les couples homosexuels ; soit maintenir la présomption de paternité pour les couples hétérosexuels, tout en introduisant une présomption de parentalité pour les couples homosexuels ; soit instaurer une présomption de parentalité pour tous les couples. Après des débats nourris, nous avons choisi la première option. En l’état actuel du texte, sous réserve d’éventuels amendements parlementaires, c’est donc l’adoption qui permettra d’établir la filiation pour les couples homosexuels.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec.  Dans le cadre du mariage, l’adoption plénière de l’enfant du conjoint ne rompt pas la filiation biologique. C’est une exception au principe selon lequel l’adoption plénière confère à l’enfant une filiation qui se substitue à sa filiation d’origine. Dans le cas où, au sein d’un couple marié, une femme adopterait l’enfant de sa conjointe, la filiation serait donc maintenue à l’égard du père biologique.

Mme la garde des Sceaux. L’adoption plénière suppose, en principe, le renoncement des parents biologiques à la filiation. Nous allons approfondir cette question.

Notre débat d’aujourd’hui se tient en effet, monsieur Lequiller, avant l’éventuel dépôt d’un amendement tendant à ouvrir l’accès à la PMA aux couples de femmes. Si un tel amendement est déposé, nous passerons tout le temps nécessaire pour l’examiner et répondre aux questions. C’est un sujet très important.

S’agissant de la clause de conscience, il conviendrait sans doute que nous nous entendions d’abord sur ce que recouvre cette notion. Nous sommes dans une République laïque. Nous construisons ensemble un droit qui s’impose ensuite à nous. Une personne peut invoquer une croyance, des principes philosophiques ou d’autres raisons pour ne pas se soumettre au droit : ces cas sont eux-mêmes réglés par le droit. En revanche, il ne me paraît pas acceptable ni conforme au droit que le membre d’un conseil de famille place ses convictions au-dessus du droit d’adopter ouvert aux couples de personnes de même sexe. Invoquer ses convictions pour ne pas accomplir un acte qui concerne sa propre personne – je pense notamment aux objecteurs de conscience – est une chose ; exercer une responsabilité dans une structure instituée par la loi et faire jouer, dans ce cadre, une prétendue clause de conscience pour prendre une décision contraire au droit, en est une autre. Dans une telle situation, il serait plus logique que la personne en cause démissionne.

Le Défenseur des droits a en effet formulé, madame Laclais, des interrogations. Cependant, l’étude d’impact le mentionne précisément : la procédure d’adoption continue à tenir compte de l’intérêt de l’enfant dans les mêmes conditions que précédemment. En particulier, l’article 353 du code civil, qui reprend sur ce point la Convention internationale des droits de l’enfant – dont l’autorité est supérieure à celle des lois –, n’a été en rien modifié : « L’adoption est prononcée à la requête de l’adoptant par le tribunal de grande instance qui vérifie dans un délai de six mois à compter de la saisine du tribunal si les conditions de la loi sont remplies et si l’adoption est conforme à l’intérêt de l’enfant. Dans le cas où l’adoptant a des descendants, le tribunal vérifie en outre si l’adoption n’est pas de nature à compromettre la vie familiale. » La procédure que doivent suivre les couples hétérosexuels en vue d’adopter s’imposera de la même manière aux couples homosexuels. Elle est d’ailleurs jugée comme longue, lourde et tatillonne, mais elle constitue une garantie pour l’enfant.

Contrairement à ce qui est avancé, l’intérêt de l’enfant est une de nos préoccupations majeures : ce texte sécurisera la situation juridique des enfants élevés par des couples homosexuels, sans altérer celle des autres.

Depuis les années 1970, le droit français – c’est sa force – n’opère plus de distinction entre enfants légitimes, naturels ou adultérins. On a ainsi cessé de faire peser sur les enfants les conséquences des choix amoureux de leurs parents.

Quant au droit à l’enfant, il n’existe pas dans le code civil. Nous aurons l’occasion d’y revenir.

J’ai apprécié, monsieur le président, la très bonne tenue du débat et la grande qualité de nos échanges.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Je vous remercie à mon tour, mesdames les ministres, pour la qualité et la précision de vos réponses. Nous avons souhaité prendre tout le temps nécessaire pour discuter de ce texte au fond. Nous ferons de même pour les amendements. Je rappelle que nous procéderons à l’examen du projet de loi le mardi15 janvier 2013 après les questions d’actualité, le délai de dépôt d’amendements étant fixé au vendredi 11 janvier à 17 heures.

La séance est levée à 18 heures 40.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Erwann Binet, M. Jean-Pierre Blazy, M. Jacques Bompard, Mme Marie-Anne Chapdelaine, M. Éric Ciotti, M. Sergio Coronado, Mme Pascale Crozon, M. Sébastien Denaja, Mme Françoise Descamps-Crosnier, Mme Laurence Dumont, M. Olivier Dussopt, M. Hugues Fourage, M. Yann Galut, M. Guy Geoffroy, M. Bernard Gérard, M. Philippe Gosselin, M. Philippe Goujon, Mme Françoise Guégot, M. Philippe Houillon, Mme Marietta Karamanli, M. Guillaume Larrivé, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, Mme Anne-Yvonne Le Dain, Mme Axelle Lemaire, Mme Corinne Narassiguin, Mme Nathalie Nieson, M. Jacques Pélissard, M. Sébastien Pietrasanta, Mme Elisabeth Pochon, M. Jean-Frédéric Poisson, M. Pascal Popelin, M. Didier Quentin, M. Dominique Raimbourg, M. Bernard Roman, Mme Cécile Untermaier, M. Jean-Jacques Urvoas, M. Jacques Valax, M. Jean-Luc Warsmann

Excusés. - M. Dominique Bussereau, M. Marc Dolez, M. Édouard Fritch, M. Daniel Gibbes, M. Alfred Marie-Jeanne, M. Roger-Gérard Schwartzenberg

Assistaient également à la réunion. - M. Christian Assaf, Mme Ericka Bareigts, Mme Marie-Françoise Clergeau, Mme Florence Delaunay, Mme Sophie Dessus, Mme Françoise Dubois, M. Jean-Louis Gagnaire, Mme Chaynesse Khirouni, Mme Bernadette Laclais, Mme Annick Lepetit, M. Pierre Lequiller, M. Edouard Philippe, Mme Catherine Quéré, M. Marcel Rogemont, M. Gérard Sebaoun