Accueil > Travaux en commission > Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mardi 9 juillet 2013

Séance de 17 heures 15

Compte rendu n° 90

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, Président

– Examen, en deuxième lecture, du projet de loi relatif aux attributions du garde des Sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en œuvre de l'action publique (n° 1227) (M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur)

La séance est ouverte à 17 heures 15.

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, président.

La Commission procède à l’examen, en deuxième lecture, du projet de loi relatif aux attributions du garde des Sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en œuvre de l'action publique (M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur).

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Nous examinons, en deuxième lecture, le projet de loi relatif aux attributions du garde des Sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en œuvre de l’action publique.

Je regrette, une fois de plus, les conditions dans lesquelles nous sommes contraints de travailler. Le Sénat a examiné ce texte en séance publique, jeudi dernier, et nous a transmis vendredi la version votée. Pour sa part, notre Commission pourra produire le texte issu de nos travaux en fin d’après-midi, après la présente séance. La réunion prévue à l’article 88 du Règlement a été fixée demain à quatorze heures trente. Cependant, le dépôt des amendements sera accepté jusqu’à l’ouverture de la séance publique à quinze heures.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Notre Commission est aujourd’hui saisie, en deuxième lecture, du projet de loi relatif aux attributions du garde des Sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en œuvre de l’action publique. Ce texte, adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le 4 juin 2013, puis par le Sénat le 4 juillet dernier, a pour objectif d’éliminer tout soupçon affectant l’indépendance de la justice tout entière du fait de la subordination statutaire des magistrats du parquet au garde des Sceaux.

La fin du soupçon passe, d’une part, par la restitution au garde des Sceaux de la responsabilité de conduire et d’animer la politique pénale, et, d’autre part, par le renforcement de l’indépendance du parquet, lequel se voit garantir, notamment avec la suppression des instructions du ministre de la Justice dans des affaires individuelles, le plein exercice de l’action publique.

À l’issue de ce premier examen par les deux chambres, je constate et, dans le même temps, ne peux que regretter que d’importantes divergences de vues subsistent entre l’Assemblée nationale et le Sénat.

Ainsi l’article 1er, article central du texte puisqu’il visait initialement à prohiber sans exception toute instruction du ministre de la Justice dans des affaires individuelles, a été privé par le Sénat d’une grande partie de sa portée.

De la même manière, si le Sénat a souscrit au dispositif proposé par l’Assemblée nationale d’une information annuelle du Parlement sur la conduite de la politique pénale, il n’a pas fait siennes les modalités d’information – introduites par notre Commission – des magistrats du siège et du parquet, au niveau de chaque cour d’appel et de chaque tribunal de grande instance, sur l’application de cette politique.

Les deux assemblées ne sont pas davantage parvenues à s’accorder sur la publicité des instructions générales adressées par le garde des Sceaux. Enfin, le rappel du principe d’impartialité dans l’exercice de l’action publique a fait l’objet d’appréciations divergentes.

Notre Commission est donc saisie, en deuxième lecture, d’un texte qui s’éloigne dans une trop large mesure de celui que l’Assemblée nationale a adopté en première lecture.

En conséquence, je me propose de vous présenter brièvement les amendements que je défendrai au cours de la discussion afin de rétablir et de conserver l’esprit – à défaut de la lettre – de nos travaux en première lecture.

En premier lieu, je rappelle que l’ambition originelle du texte est de prohiber toute instruction du garde des Sceaux à l’occasion d’une affaire individuelle.

Cette prohibition sans exception des instructions individuelles a une valeur symbolique très forte : elle marque la volonté du législateur de garantir, en toutes circonstances, l’impartialité des décisions des magistrats du parquet et de lever tout soupçon quant à une éventuelle motivation politique des interventions du ministre de la Justice.

J’entends dire ici et là que les instructions individuelles seraient en nombre infime et qu’il n’y aurait donc pas lieu de les prohiber. Mais le principe même de l’instruction individuelle constitue une immixtion directe du pouvoir exécutif dans une procédure juridictionnelle et porte atteinte à la séparation des pouvoirs.

Dans le respect de l’engagement n° 53 du futur président de la République – « J’interdirai les interventions du Gouvernement dans les dossiers individuels » –, la présente réforme porte l’ambition de graver, dans le marbre de la loi, l’interdiction des instructions individuelles, interdiction à laquelle l’actuelle garde des Sceaux s’est astreinte en pratique depuis sa prise de fonction en mai 2012.

Dès cette date en effet, Christiane Taubira, soucieuse d’assurer l’indépendance de l’institution judiciaire, a décidé non seulement de renouer avec la pratique de ses prédécesseurs sous le gouvernement de Lionel Jospin – pratique dont je signale qu’elle fut, hélas, abandonnée par les gouvernements suivants –, mais également de l’inscrire expressément dans la loi. Tel doit être l’objet du présent projet de loi, si l’on veut en faire une avancée majeure dans le fonctionnement indépendant et impartial de notre justice.

En supprimant l’interdiction de toute instruction du garde des Sceaux dans des affaires individuelles, le Sénat a privé le texte d’une grande partie de sa portée. Nous ne pouvons en aucune manière nous en satisfaire. Je vous proposerai donc, à l’article 1er, de rétablir cette prohibition.

Le deuxième axe du texte est d’organiser, dans un souci de transparence, l’information des magistrats et, plus largement, des citoyens sur la conduite et l’application de la politique pénale sur l’ensemble de notre territoire.

En première lecture, par cohérence avec l’information annuelle du Parlement au niveau national, notre Commission, sur ma proposition, avait estimé nécessaire d’organiser, au niveau local, l’information annuelle de l’ensemble des magistrats des cours d’appel et des tribunaux de grande instance sur l’application, dans leur ressort, de la politique pénale.

Estimant que ces modalités d’information au niveau local ne relevaient pas du domaine législatif mais de la partie réglementaire du code de l’organisation judiciaire, le Sénat a supprimé ces dispositions, invitant par la même occasion le Gouvernement à les mettre en œuvre par voie réglementaire.

Afin de conserver le principe d’une information annuelle des magistrats au niveau de chaque cour d’appel et de chaque tribunal de grande instance sur la politique pénale conduite dans leur ressort, tout en répondant aux préoccupations légitimes exprimées par les sénateurs, je vous inviterai à adopter un amendement ne faisant peser sur les procureurs généraux qu’une obligation de résultat : informer, au moins une fois par an, les magistrats du siège et du parquet de l’application de la politique pénale. Il ne s’agit en aucune manière d’une obligation de moyens, dans la mesure où le présent projet de loi ne précisera pas les modalités de mise en œuvre de cette information, renvoyant implicitement le soin de les définir au pouvoir réglementaire.

Mais la connaissance de la politique pénale ne peut pas, à mon sens, être réservée à la seule représentation nationale et aux seuls magistrats, elle doit aussi s’ouvrir à tous les justiciables.

Je considère en effet que la fin du soupçon, qui est l’objectif de ce texte, exige que chaque citoyen puisse avoir connaissance des choix de politique pénale arrêtés par le ministre de la Justice, choix qui seront désormais débattus chaque année au Parlement.

C’est dans ce souci de transparence – souci qui a constamment guidé nos travaux – que notre Commission a, sur ma proposition, inscrit en première lecture, dans la lettre même du code de procédure pénale, le principe de la publicité des instructions générales de politique pénale adressées par le garde des Sceaux.

Le Sénat n’a pas souhaité retenir cette publicité. Loin d’y être hostiles par principe, la garde des Sceaux et le rapporteur du Sénat ont tous deux estimé que les instructions générales devaient pouvoir être rendues publiques, sauf si l’intérêt général s’y opposait.

Conscient des préoccupations exprimées sur la nécessité d’encadrer les règles de publicité des circulaires de politique pénale, je vous proposerai de réaffirmer ce principe de publicité tout en veillant à l’encadrer : la publicité des instructions générales pourra ainsi être écartée dès lors qu’elle porte atteinte à la sûreté de l’État, à la sécurité publique ou au déroulement des procédures engagées devant les juridictions ou des investigations préliminaires à de telles procédures.

Le troisième point sur lequel il est nécessaire d’améliorer le texte est la reconnaissance, dans le code de procédure pénale, de l’exigence d’impartialité dans l’exercice de l’action publique par le parquet.

En première lecture, dans le prolongement de la prohibition de toute instruction individuelle, notre Assemblée, après en avoir longtemps débattu, avait estimé nécessaire que ce principe soit rappelé à l’article 31 du code de procédure pénale.

Alors qu’en commission des Lois du Sénat, le rapporteur Jean-Pierre Michel s’était montré favorable à l’inscription du principe d’impartialité des magistrats du parquet et avait consacré, à l’article 31 du code de procédure pénale, la référence à l’intérêt général qui doit animer le parquet dans l’exercice de ses fonctions, le Sénat est revenu en séance publique sur la consécration de ces deux principes et a supprimé, en conséquence, l’article 1er bis du texte.

Or, le rappel législatif de cette exigence d’impartialité constitue le signe d’une première convergence indispensable entre les approches constitutionnelle et conventionnelle concernant le rôle et le statut du « parquet à la française », qu’il ne s’agit nullement de remettre en cause mais bien de conforter.

Par cohérence avec le rétablissement, à l’article 1er, de la prohibition de toute instruction individuelle, je vous proposerai d’adopter un amendement rétablissant l’article 1er bis et réaffirmant cette exigence d’impartialité sur laquelle doivent se fonder l’exercice de l’action publique et l’application de la loi par les magistrats du ministère public.

Dans le respect de l’organisation hiérarchique, fruit de notre histoire judiciaire et caractéristique du « parquet à la française », je suis personnellement convaincu qu’il existe, pour reprendre les termes employés par la Cour européenne des droits de l’homme, un intérêt général consistant à « maintenir la confiance des citoyens dans l’indépendance et la neutralité politique des autorités de poursuite d’un État ». Telle est l’ambition que je poursuis en voulant rappeler l’exigence d’impartialité qui s’impose à l’exercice de l’action publique par les magistrats du parquet.

Je vous demanderai, naturellement, d’adopter en deuxième lecture ce projet de loi, dans le respect de l’économie générale des amendements que je viens de présenter et qui avaient recueilli une large approbation en première lecture dans l’hémicycle.

M. Sébastien Denaja. Au préalable, je voudrais dire combien il est difficile de mener un travail parlementaire satisfaisant dans des délais aussi serrés. Comme vous, monsieur le président, je regrette qu’il soit accordé si peu de considération au travail parlementaire et, in fine, au droit que nous sommes censés élaborer.

Sur le fond, ce texte était en cohérence avec le projet de loi constitutionnelle portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), qui défendait une conception indépendante de la justice, à l’opposé de la position traditionnelle de la droite, qui considère comme normale la soumission de la justice au pouvoir politique. Je déplore que le Sénat n’ait pas voté cette réforme dans des termes proches de ceux de l’Assemblée nationale. Son report est un mauvais coup porté à l’institution judiciaire, à son indépendance et, plus généralement, à la démocratie. Une fois de plus, la Haute assemblée semble être le théâtre d’une basse politique.

Je considère cependant que le présent texte possède une cohérence propre et mérite d’être voté, moyennant les modifications que nous y apporterons en deuxième lecture.

Il est en effet indispensable de modifier plusieurs points de ce projet de loi, d’abord en consacrant l’interdiction, pour le ministre de la Justice, de donner des instructions au parquet dans des affaires individuelles. Nous constatons, chaque jour, le flot incessant de ces affaires que la justice doit pouvoir traiter avec sérénité et sans faire l’objet d’une pression quelconque de la part du pouvoir politique. Il est vital que les Français retrouvent confiance dans leur justice à cet égard.

Il convient également de clarifier la définition de la politique pénale. En 2011, les tribunaux recevaient près d’une circulaire générale de politique pénale tous les trois jours. Une telle frénésie n’incite pas à la sérénité dans l’administration de la justice !

Bref, nous devons revenir aux fondamentaux d’une politique déterminée par le garde de Sceaux et appliquée par les parquets dans le sens de l’intérêt général.

Il faut aussi œuvrer à la sécurisation de notre droit vis-à-vis des règles européennes. Il suffit de relire l’arrêt Medvedyev rendu par la Cour européenne des droits de l’homme en 2010, pour comprendre qu’une grande partie de nos procédures judiciaires pourraient être mises en péril, si nous ne précisons pas la place du parquet comme entité hiérarchisée, certes, mais exempte de toutes pressions dans les affaires individuelles.

Je rejoins le rapporteur sur la nécessité de travailler à la transparence et à la publicité des instructions générales, même si je ne souscris pas aux dérogations à la publicité que prévoit son amendement CL 1.

Notre assemblée doit également revenir sur la nécessaire information du Parlement. Je ne partage pas les craintes constitutionnelles émises par le Sénat. L’instauration d’un débat annuel au Parlement sur la politique pénale de notre pays serait une marque importante de transparence vis-à-vis de nos concitoyens.

Le Sénat apporte souvent d’utiles précisions légistiques et des amendements de sagesse, mais il a procédé, en l’espèce, à un écrémage complet du texte que nous avons voté en première lecture. Nous ne pouvons évidemment pas nous en satisfaire. Il est de notre responsabilité de parlementaires et de législateurs de rétablir le texte dans l’équilibre que nous avions trouvé à l’issue de la première lecture. Au nom du groupe SRC, je réaffirme donc notre attachement à une définition claire de la politique pénale générale, à la transparence et au respect de l’intérêt général, à une évaluation des politiques ressort par ressort. Nous soutiendrons plusieurs des amendements déposés par le rapporteur en ce sens.

M. Patrick Devedjian. Comment, monsieur le rapporteur, concilier le principe d’impartialité que vous défendez à travers un amendement avec le principe d’opportunité des poursuites ? Ce dernier n’implique-t-il pas une part de subjectivité ?

La défense est-elle, à vos yeux, tenue à l’impartialité ? Si, comme je l’imagine, vous répondez par la négative, la considérez-vous comme étant le symétrique de l’accusation ?

M. Georges Fenech. Il est un peu agaçant, je le dis sans agressivité, d’entendre les représentants de la majorité donner sans cesse des leçons de morale. L’expression de « basse politique », appliquée à la Haute assemblée, ne laisse pas de me choquer. Toutes les opinions sont respectables : celles de l’opposition méritent, comme les autres, d’être considérées sans encourir la suspicion de protéger je ne sais quels intérêts.

Le titre de procureur de la République marque bien que celle-ci est une et indivisible. Comment, de ce point de vue, entendez-vous assurer l’égalité des justiciables face à des procureurs qui, s’agissant de l’opportunité des poursuites, n’auront plus de comptes à rendre qu’à eux-mêmes ? Ils deviendront plutôt des roitelets de la République ayant le pouvoir de décider, chacun dans son ressort, de la politique pénale, puisque les circulaires générales ne sont pas juridiquement contraignantes. L’article 20 de la Constitution dispose pourtant que « le Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation », dont la politique pénale est un volet essentiel. Quelle légitimité le procureur de la République aurait-il pour en décider ? La seule légitimité que je connaisse est celle que l’on tire du suffrage universel : responsable de la politique pénale, le garde des Sceaux doit avoir la possibilité d’adresser au parquet des instructions individuelles écrites et versées au dossier – comme l’avait voulu la réforme « Méhaignerie » – afin d’harmoniser l’action publique sur l’ensemble du territoire.

La majorité, avec ce texte comme avec d’autres, ne cesse de jeter la suspicion. En quoi le garde des Sceaux serait-il suspect d’exprimer, en toute transparence, le point de vue du Gouvernement de la nation ? Au demeurant, la suppression des instructions individuelles écrites n’empêchera jamais les appels téléphoniques ou les rencontres dans les couloirs de la chancellerie et des parquets généraux, d’autant que le garde des Sceaux conserve un pouvoir de proposition pour la nomination de ces magistrats, même si elle requiert l’avis conforme du CSM.

L’article 30 du code de procédure pénale, je le rappelle, dispose que le garde des Sceaux peut donner des instructions de poursuite, mais non de classement. Les instructions individuelles, qui sont et doivent rester rarissimes, peuvent s’avérer utiles, par exemple lors de conflits syndicaux sans lien avec la situation particulière du ressort et susceptibles de troubler l’ordre public. Comment entendez-vous, après les avoir supprimées, assurer l’égalité des justiciables sur l’ensemble du territoire ?

M. Guillaume Larrivé. Je me réjouis en la circonstance du bicamérisme car, en vidant le texte de son contenu, le Sénat a respecté l’esprit des institutions de la Ve République. Il est sain, en effet, que le garde des Sceaux demeure l’autorité hiérarchique de plein exercice du parquet.

L’opposition du Sénat au projet de loi constitutionnelle portant réforme du CSM me donne une autre occasion de me féliciter de notre système bicaméral, le ministre chargé des relations avec le Parlement ayant annoncé l’abandon de ce texte funeste, que nous avions combattu en première lecture.

Enfin, je m’étonne que le président de la Conférence nationale des procureurs de la République ait écrit à plusieurs députés pour les inviter à voter le projet de loi. Ce qui constitue de véritables « instructions individuelles » me semble peu conforme au principe de séparation des pouvoirs.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Je vous rappelle que trois membres du CSM ont signé, dans un journal fort respectable, une tribune libre pour défendre la position inverse.

M. Guillaume Larrivé. La garde des Sceaux leur a écrit ; j’imagine qu’elle rappellera également le président de la Conférence nationale des procureurs à ses devoirs.

M. Marc Dolez. Je déplore moi aussi les conditions d’examen de ce texte, et plus généralement celles de la présente session extraordinaire : nous nous en étions d’ailleurs ouverts en conférence des présidents.

Il est tout aussi regrettable que les conditions ne soient pas réunies pour mener la réforme du CSM à son terme, d’autant qu’elle prend sens par rapport au texte que nous examinons.

Enfin, je souscris à l’analyse du rapporteur sur la nécessité de rétablir, pour l’essentiel, le texte que nous avions voté en première lecture, à commencer par l’interdiction des instructions individuelles.

M. le rapporteur. Les termes du débat n’ont pas changé depuis l’examen en première lecture. Nous avions alors évoqué, monsieur Devedjian, le principe d’impartialité au regard de l’opportunité des poursuites, principe qui n’a pas le même contenu pour les magistrats du siège et ceux du parquet, bien qu’il soit défini pour les premiers comme pour les seconds par l’ordonnance de 1958. L’impartialité est, selon la définition qu’en donnent de nombreux spécialistes, le principe par lequel tout magistrat exerce ses fonctions sans considération des contingences extérieures à sa responsabilité judiciaire : en ce sens, elle n’est nullement incompatible avec le principe de l’opportunité des poursuites. Nul d’entre nous, je pense, ne défend d’ailleurs le principe de la légalité des poursuites. Reste que l’appréciation, non seulement de l’opportunité, mais aussi de la nature de l’action publique, peut en effet requérir l’exigence d’impartialité.

La défense et l’accusation ne relèvent évidemment pas du même régime : l’avocat de la défense représente une personne dont il a reçu mandat de défendre les intérêts ; le procureur de la République engage les poursuites au nom de la société dans le cadre défini par la loi. Certains spécialistes, il est vrai, souhaitent que l’un et l’autre disposent de capacités d’agir strictement analogues. En tout état de cause, monsieur Devedjian, nous pouvons nous retrouver sur la nécessité de mieux assurer l’égalité entre les droits de la défense et de l’accusation.

En ce qui concerne enfin l’autonomie des procureurs, nous n’altérons nullement le principe selon lequel le garde des Sceaux conduit la politique pénale déterminée par le Gouvernement, mais nous instaurons un dispositif selon lequel le procureur général et le procureur de la République rendent compte de la mise en œuvre de la politique pénale dans leur ressort, y compris au regard de la cohérence de fonctionnement, puisque le procureur général veille à l’application de cette politique en fonction des spécificités du ressort et engage les procureurs à faire de même dans leurs ressorts respectifs. Nous en avons déjà parlé en première lecture.

La Commission en vient à l’examen des articles.

Article 1er (article 30 du code de procédure pénale) : Attributions du ministre de la Justice dans la conduite de la politique pénale déterminée par le Gouvernement

La Commission est saisie de l’amendement CL 1 du rapporteur.

M. le rapporteur. Je propose de rétablir la publicité des instructions générales ; mais, afin de tenir compte des risques qui pourraient en découler, nous nous inspirons de la rédaction de la loi du 17 juillet 1978 en soustrayant à l’obligation de publicité les éléments dont la communication est de nature à porter atteinte à la sûreté de l’État, à la sécurité publique ou au déroulement des procédures engagées devant les juridictions ou des investigations préliminaires à de telles procédures.

Nous nous contentons ainsi d’inscrire dans le code de procédure pénale les motifs que tout citoyen pourrait se voir opposer au titre de la loi de 1978, s’il demandait communication d’une instruction générale donnée par voie de circulaire, laquelle constitue un acte administratif.

M. Sébastien Denaja. Je salue la réintroduction du principe de publicité des instructions générales, mais je suis plus dubitatif quant à l’utilité des dérogations qui lui sont apportées – à rebours de votre souhait en première lecture, monsieur le rapporteur.

Si la mention de ces dérogations ne fait que reprendre l’article 6 de la loi de 1978, elle est inutilement redondante dès lors que les instructions générales sont considérées comme des documents administratifs. Mais, en réalité, elle ne le reprend pas intégralement, puisque le secret de la défense nationale ou la conduite de la politique extérieure de la France, entre autres motifs de non-publicité, ne sont pas indiqués. Pour quelle raison ?

Enfin, ces exceptions sont-elles justifiées dès lors qu’il s’agit d’instructions générales qui ne mettent personne en cause nommément ? Le rapporteur pourrait-il citer des exemples, même hypothétiques, de cas dans lesquels une instruction générale en matière de terrorisme serait de nature à porter atteinte aux intérêts de l’État ?

M. le rapporteur. En nous inspirant de la loi de 1978 en matière de restrictions à la communication des documents administratifs, nous avons voulu tenir compte des observations formulées en séance publique, notamment par la garde des Sceaux elle-même, sur les conséquences de la publicité des instructions générales dans certaines situations : lorsque la sûreté de l’État ou la sécurité publique sont en jeu ou lorsque des procédures sont engagées ou sur le point de l’être.

Je rappelle que l’instruction générale n’est actuellement communiquée que dans le cadre de la procédure de transmission des documents administratifs, qui prévoit la saisine de la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) en cas de refus.

Des restrictions énumérées par la loi de 1978, nous n’avons mentionné que celles qui sont directement liées aux enjeux de la politique pénale et de sa mise en œuvre sur un territoire donné, par exemple l’appui, dans certaines zones, à la lutte contre le trafic international de stupéfiants ou contre les réseaux terroristes. Dans ces cas, le garde des Sceaux doit pouvoir transmettre des instructions générales et les rendre publiques, en en soustrayant les seuls éléments de nature à altérer l’efficacité des poursuites ou des investigations préliminaires en cours.

Par cet amendement, j’ai tenté de parvenir à un compromis entre la position de l’Assemblée nationale et celle du Sénat, après être revenu également vers la chancellerie, elle aussi gênée par le dispositif.

M. Dominique Raimbourg. On peut citer l’exemple d’une instruction générale qui organiserait le transfert de terroristes arrêtés sur le territoire pour les déférer au parquet de Paris par hélicoptère depuis des aérodromes militaires. De telles informations n’ont pas à être communiquées. L’amendement institue un principe, la publicité, et l’assortit prudemment d’exceptions qui correspondent à des cas tout à fait particuliers, dans lesquels l’organisation même de la répression serait mise en danger.

M. Guillaume Larrivé. Le débat entre le rapporteur et l’orateur du groupe SRC démontre par contraste que la meilleure version est celle du Sénat, qui pose en principe l’absence de publicité mais permet l’application de la loi de 1978, y compris des garanties procédurales de respect du contradictoire qu’apporte l’intervention de la CADA.

Nous poursuivons tous le même objectif : il est raisonnable que certaines instructions soient rendues publiques et que d’autres ne le soient pas. Pour y parvenir, la rédaction la plus satisfaisante me paraît être celle du Sénat.

M. Sébastien Denaja. Je tiens à rassurer notre collègue Larrivé : l’orateur du groupe SRC est parfaitement en phase avec le rapporteur, qui se trouve être socialiste, et même avec la chancellerie, puisque je me suis contenté de reprendre les arguments initiaux de l’un et de l’autre.

Malgré les délais très contraints qui nous sont impartis, il est permis de prendre quelques minutes pour s’expliquer. Mais soyez sans inquiétude, monsieur Larrivé : les députés du groupe SRC voteront l’amendement du rapporteur, dussent-ils se donner une nuit de réflexion pour s’assurer qu’ils ne se sont pas trompés d’ici à l’examen en séance publique !

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle en vient à l’amendement CL 2 du rapporteur.

M. le rapporteur. Cet amendement tend à rétablir la prohibition de toute instruction du garde des Sceaux dans les affaires individuelles, supprimée en première lecture par le Sénat.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 1er modifié.

Article 1er bis A (nouveau) (intitulés du livre premier et du titre Ier du livre premier du code de procédure pénale) : Mise en cohérence des intitulés du code de procédure pénale

La Commission adopte l’article sans modification.

Article 1er bis (supprimé) (article 31 du code de procédure pénale) : Principe d’impartialité et respect de l’intérêt général dans l’exercice de l’action publique

La Commission est saisie de l’amendement CL 3 du rapporteur.

M. le rapporteur. Cet amendement tend à rétablir l’article 1er bis, supprimé en première lecture par le Sénat, afin de réintroduire la notion d’impartialité.

La Commission adopte l’amendement.

L’article 1er bis est ainsi rétabli.

Article 2 (article 35 du code de procédure pénale) : Attributions des procureurs généraux en matière de politique pénale

La Commission examine l’amendement CL 4 du rapporteur.

M. le rapporteur. Il s’agit d’organiser les conditions dans lesquelles le procureur général informe les magistrats du parquet et du siège de la teneur de son rapport de politique pénale. La saisine de l’assemblée générale des magistrats du siège et du parquet est supprimée au motif que le code de l’organisation judiciaire, dans sa partie réglementaire, permet de parvenir aux mêmes fins : les magistrats du parquet pourvoiront aux conditions dans lesquelles le rapport du procureur général est débattu. Mais le principe de l’information des magistrats de la cour d’appel est maintenu. Cette rédaction devrait nous permettre de trouver un terrain d’entente avec nos collègues sénateurs.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Le Sénat avait prévu une faculté ; ici, la logique est plutôt celle d’une obligation. Nous en débattrons en séance ; je ne suis pas certain que la garde des Sceaux soit enchantée par cette perspective, mais l’Assemblée nationale est cohérente par rapport à la première lecture.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 2 modifié.

Article 2 bis (supprimé) (article 36 du code de procédure pénale) : Précision du pouvoir d’instruction des procureurs généraux dans les affaires individuelles

La Commission maintient la suppression de l’article.

Article 3 (articles 39-1 et 39-2 [nouveau] du code de procédure pénale) : Attributions des procureurs de la République en matière de politique pénale

La Commission est saisie de l’amendement CL 5 du rapporteur.

M. le rapporteur. La rédaction est la même que pour l’amendement précédent, mais à propos, cette fois, de l’information des magistrats des tribunaux de grande instance.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 3 modifié.

Article 4 : Champ d’application territoriale de la présente loi

M. Sébastien Denaja. Le fait que le Sénat ait précisé que la présente loi était applicable « en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna » modifie-t-il la portée de l’article par rapport à la rédaction initiale, qui parlait de « l’ensemble du territoire de la République » ?

M. le rapporteur. Nullement, mon cher collègue.

L’article 4 est adopté sans modification.

La Commission adopte l’ensemble du projet de loi modifié.

La séance est levée à 18 heures.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Erwann Binet, Mme Marie-Anne Chapdelaine, M. Sébastien Denaja, M. Patrick Devedjian, M. Marc Dolez, M. Georges Fenech, M. Yann Galut, M. Daniel Gibbes, M. Sébastien Huyghe, M. Guillaume Larrivé, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, M. Paul Molac, Mme Elisabeth Pochon, M. Pascal Popelin, M. Dominique Raimbourg, M. Alain Tourret, M. Jean-Jacques Urvoas

Excusés. - M. Sergio Coronado, Mme Laurence Dumont, M. Édouard Fritch, M. Yves Goasdoué, M. Alfred Marie-Jeanne, M. Bernard Roman, M. Jean-Luc Warsmann