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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mercredi 10 juillet 2013

Séance de 10 heures 15

Compte rendu n° 91

Présidence de M. Dominique Raimbourg, vice-président, puis de M. Jean-Jacques Urvoas, Président

– Examen du projet de loi, adopté par le Sénat, relatif à l’élection des sénateurs (n° 1162) (M. Bernard Roman, rapporteur)

– Information relative à la Commission

La séance est ouverte à 10 heures 15.

Présidence de M. Dominique Raimbourg, vice-président.

La Commission procède à l’examen du projet de loi, adopté par le Sénat, relatif à l’élection des sénateurs (n° 1162) (M. Bernard Roman, rapporteur).

M. Dominique Raimbourg, président. L’ordre du jour appelle l’examen du projet de loi, adopté par le Sénat, relatif à l’élection des sénateurs.

M. Bernard Roman, rapporteur. Nous avons voté, au cours des derniers mois, plusieurs réformes importantes des modes de scrutin, qui vont toutes dans le même sens : celui d’une plus juste représentation des citoyens. Qu’il s’agisse des conseils municipaux, des élections cantonales ou même des membres du Conseil de Paris, le législateur a fait preuve de constance dans ses choix, en favorisant l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électifs, en étendant le scrutin proportionnel – gage d’une plus grande diversité des courants politiques – et en assurant l’égalité de tous devant le suffrage.

Le projet de loi que le Gouvernement présente aujourd’hui entend faire de même avec les élections sénatoriales.

Il est vrai que le Sénat, dans sa configuration actuelle, révèle certaines spécificités, pour ne pas dire des anomalies. Ces caractéristiques, vous les connaissez : un mandat plus long, un renouvellement partiel, un suffrage indirect. Qui plus est, le Sénat a une vocation constitutionnelle de représentation des collectivités territoriales que l’Assemblée nationale n’a pas. Le Sénat est donc, par essence, différent de l’Assemblée nationale, dont il devait, initialement, modérer les ardeurs.

En effet, le Sénat a été historiquement conçu pour amoindrir le poids des villes, au bénéfice des populations rurales jugées plus conservatrices – selon les propres termes de Michel Debré. Mais cette vision est aujourd’hui dépassée. Dans une conception plus moderne, les bienfaits du bicamérisme sont à rechercher ailleurs que dans l’affaiblissement de la vox populi. Le bicamérisme présente l’avantage théorique de provoquer une fructueuse confrontation des idées ; il participe de la qualité de la loi car il y a généralement plus d’intelligence dans deux têtes que dans une seule…

Il semble aujourd’hui nécessaire d’adapter les modalités de l’élection des sénateurs aux nouvelles fonctions du bicamérisme. Les spécificités sénatoriales, qui étaient sans doute justifiées par le passé, doivent être progressivement lissées pour assurer une légitimité pleine et entière à la chambre haute.

Le Sénat manque aujourd’hui de légitimité, même au regard de sa vocation de représentation des collectivités territoriales : il est avant tout le porte-voix des petites communes, qui sont surreprésentées au sein du collège électoral.

Trois caractéristiques du Sénat appellent des évolutions. D’abord, le Sénat ignore pour une large part le phénomène urbain, tant les communes rurales pèsent lourd dans son collège électoral. Alors que les communes de moins de 2 500 habitants accueillent 27 % de la population, elles représentent 41 % des délégués des conseils municipaux.

Ensuite, la chambre haute ignore tout autant les changements politiques qui animent les Français, comme en témoigne la stabilité cinquantenaire de son ancienne majorité.

Enfin, après s’être rapidement féminisé à partir des années 2000, sous l’impulsion de la gauche, le Sénat ne connaît, depuis 2008, aucune évolution dans ce domaine et n’accueille depuis cette date que 22 % de femmes.

Le Sénat est donc une institution en décalage avec son temps ; le présent projet de loi entend y remédier.

Pour ce faire, le Gouvernement a prévu deux dispositions principales : d’une part, l’amélioration de la représentation des communes les plus peuplées au sein du collège électoral, dans le respect de la mission de représentation des collectivités territoriales que la Constitution assigne au Sénat ; d’autre part, l’extension du scrutin proportionnel aux départements élisant trois sénateurs, pour favoriser non seulement la représentation des femmes, mais aussi la diversité des courants politiques.

Certes, les dispositions initiales du projet de loi n’ont rien de révolutionnaire. Mais elles respectent profondément l’institution sénatoriale, qu’il n’est pas question de bouleverser. C’est néanmoins un premier pas important vers un Sénat relégitimé.

L’article 1er du projet de loi, qui prévoit d’abaisser de 1 000 à 800 le nombre d’habitants pour lequel les communes de plus de 30 000 habitants peuvent désigner un grand électeur supplémentaire, opère un rééquilibrage mesuré en faveur des grandes villes, tout en conservant quasi intacte la physionomie actuelle du collège électoral. L’écart de représentativité entre le délégué d’une commune rurale et celui d’une grande ville, particulièrement important aujourd’hui, sera réduit. Cette réforme est néanmoins modérée puisque ce sont ainsi 3 175 délégués, seulement, qui viendront s’ajouter aux 158 000 que compte aujourd’hui le collège électoral sénatorial.

Les articles 2 et 3 du projet de loi, qui étendent l’application du scrutin proportionnel aux départements élisant trois sénateurs au lieu de quatre – vingt-cinq départements supplémentaires –, permettront à 73 % des sièges de la chambre haute d’être attribués en application d’un mode de scrutin proportionnel. Ce sont ainsi 75 sièges supplémentaires qui seront soumis à une obligation paritaire. Ce dispositif a d’ailleurs fait la preuve de son efficacité lorsqu’il a été appliqué, entre 2000 et 2003, dans la mesure où il a permis l’amorce d’un mouvement de féminisation de la Haute assemblée.

Le Sénat, en première lecture, a adopté ces articles sans modification. Cependant, il a ajouté au texte initial un certain nombre de dispositions dont nous sommes aujourd’hui saisis.

En premier lieu, deux dispositions, qui figurent aux articles 1er D et 1er quater, visent à assurer une meilleure représentation des femmes au Sénat, en introduisant une contrainte paritaire dans l’élection des délégués des conseils municipaux et de leurs suppléants comme dans la désignation des remplaçants des sénateurs élus au scrutin majoritaire.

En deuxième lieu, le Sénat a introduit un article 1er A qui rappelle, dans la loi, les principes dégagés par le Conseil constitutionnel quant à la composition du collège électoral sénatorial, et notamment l’idée selon laquelle celui-ci doit être composé majoritairement d’élus locaux. L’élargissement très important du collège électoral prévu par le projet de loi relatif à l’élection des sénateurs de 2000 avait eu pour effet de rendre les non-élus majoritaires au sein de ce collège électoral, ce que le Conseil constitutionnel avait censuré.

En troisième lieu, le Sénat a souhaité introduire plusieurs modifications qui concernent l’organisation même du scrutin sénatorial : les articles 1er B, 1er C, 1er E et 1er F tendent à intégrer les sénateurs au collège électoral sénatorial – aujourd’hui, les sénateurs sont les seuls à ne pas pouvoir participer à leur élection – ; l’article 1er quinquies empêche les candidatures qui n’interviendraient qu’au second tour des élections sénatoriales ; l’article 3 bis vise à allonger d’une semaine le délai pour le dépôt des candidatures – trois semaines avant le scrutin, au lieu de deux.

Enfin, deux dispositions nouvelles concernent le sort des communes associées qui, en devenant communes déléguées, ont perdu leur section électorale, donc leur capacité de désigner un ou deux délégués sénatoriaux supplémentaires, notamment dans les petites communes. La Haute assemblée a rétabli cette possibilité pour ces communes.

Si les articles introduits par le Sénat n’ont pas tous la même portée, il n’en demeure pas moins que certains d’entre eux, notamment ceux qui ont été initiés par la délégation aux droits des femmes du Sénat, participent à l’objectif initial poursuivi par le projet de loi : améliorer la représentativité du Sénat et renforcer sa légitimité. C’est pourquoi je vous invite, mes chers collègues, à adopter ces articles sans modification. Qui plus est, il n’est pas dans la tradition de notre assemblée de modifier les textes qui concernent la chambre haute.

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, président de la Commission

M. Guillaume Larrivé. Ce projet de loi m’inspire quatre remarques.

En premier lieu, la créativité gouvernementale sur les modes de scrutin est sans limites. En un an, les Français ont subi le changement du seuil d’application du scrutin proportionnel aux élections municipales, la modification des règles d’élection des conseillers intercommunaux, la suppression des conseillers territoriaux, le rétablissement du scrutin proportionnel pour les conseillers régionaux et la création curieuse du binôme pour l’élection des conseillers départementaux, la refonte du tableau fixant la répartition des conseillers de Paris. Avec ce texte, vous franchissez une étape supplémentaire. Il est vrai qu’une fois les bornes dépassées, il n’y a plus de limites…

En deuxième lieu, ce projet traduit la volonté manifeste du Gouvernement de reprendre la main sur un Sénat qui lui échappe. En 2011, vous aviez claironné la victoire socialiste qui annonçait un printemps radieux. Mais aujourd’hui, le Sénat est devenu l’un des premiers opposants au Gouvernement. Il rejette en effet avec force les textes les plus importants – loi de finances pour 2013, loi de financement de la sécurité sociale, loi sur la tarification progressive de l’énergie, loi sur l’élection des conseillers départementaux – quand il ne les vide pas de leur contenu, comme ce fut le cas pour la réforme du Conseil supérieur de la magistrature.

Vous êtes donc dans une logique de punition d’un Sénat récalcitrant, vous inscrivant ainsi dans la continuité du gouvernement Jospin. On se souvient que le Premier ministre avait alors qualifié le Sénat d’anomalie démocratique. Vous aviez tenté, en 2000, une réforme de la Haute assemblée que le Conseil constitutionnel, dans sa sagesse, avait censurée. M. Jospin récidive néanmoins au travers du rapport de la commission de rénovation et de déontologie de la vie publique qu’il a présidée et dont s’inspire le projet de loi.

En troisième lieu, je m’interroge sur les motifs qui justifient l’extension du scrutin proportionnel aux départements comptant trois sièges de sénateurs. Le ministre de l’Intérieur, lors du débat au Sénat, a mis en avant la parité et le pluralisme. Si ce sont bien là les objectifs poursuivis par le texte, pourquoi alors n’avoir pas visé aussi les départements élisant deux sénateurs ?

Une simulation permet de comprendre les raisons de ce choix : les intérêts du parti socialiste sont mieux sauvegardés si le mode de scrutin est modifié dans les seuls départements élisant trois sénateurs. C’est en effet dans les départements à deux sièges que le parti socialiste enregistre ses meilleurs résultats – je pense à quinze départements dans lesquels la majorité actuelle aurait tout à perdre parmi lesquels la Corrèze ou l’Ariège. En revanche, dans les vingt-sept départements concernés par la réforme – les sièges de dix-sept d’entre eux seront soumis à renouvellement dès 2014 –, curieusement, ce sont principalement des sénateurs de l’opposition qui seront affectés : sur les 51 sénateurs sortants, on en dénombre 27 de l’UMP, 7 du Centre et un non-inscrit, soit un total de 35 sièges pour l’opposition contre 16 pour la majorité. Sur la seule série renouvelable en 2014, à collège électoral constant, la gauche gagnerait mécaniquement 9 sièges et en perdrait 2, soit un solde de 7 sièges, positif pour la majorité et négatif pour l’opposition. L’opposition supporterait ainsi, du fait de ce projet de loi, un handicap mécanique de 14 sièges. Si l’on tient compte des six sièges d’avance actuels, le Gouvernement s’offre ainsi une marge de vingt sièges pour sa majorité sénatoriale. Voilà l’objectif principal de ce projet de loi ! Je comprends que le rapporteur, par pudeur sans doute, n’ait pas souhaité se livrer à des calculs précis, mais c’est le rôle de l’opposition de souligner que le projet de loi a bel et bien pour objet de faire gagner quatorze sièges à l’actuelle majorité.

En dernier lieu, l’autre mesure du projet de loi – l’augmentation du nombre de délégués pour les communes de plus de 30 000 habitants – est tout aussi insidieuse. Elle témoigne là encore de votre constance et d’une certaine tradition de la gauche au pouvoir. La loi de 2000 proposait une représentation strictement démographique des communes – chaque commune désignant un grand électeur par tranche de 300 habitants –, mais le Conseil constitutionnel avait censuré le texte estimant que le Sénat devait demeurer « élu par un corps électoral essentiellement composé de membres des assemblées délibérantes des collectivités territoriales ». Le Gouvernement cherche à contourner cette décision en proposant qu’un délégué supplémentaire soit désigné par tranche de 800 habitants dans les communes de plus de 30 000 habitants. Vous allez de la sorte augmenter le collège électoral sénatorial de plus de 3 000 délégués supplémentaires au bénéfice des 260 communes les plus peuplées. Nouvelle preuve de votre constance, vous poursuivez ainsi votre entreprise délétère de destruction de la ruralité, commencée avec le texte sur les conseillers départementaux, en vous attaquant cette fois au Sénat, au risque d’entacher la sincérité du prochain scrutin sénatorial.

N’oubliez pas cependant que les électeurs, dans leur sagesse, sanctionnent toujours durement ceux qui manipulent les modes de scrutin…

M. Dominique Bussereau. Je ne reprendrai pas la démonstration implacable de Guillaume Larrivé.

Vous resterez, dans l’histoire de la République, comme ceux qui ont le plus manipulé les modes de scrutin, et avec quelle détermination ! J’espère que les résultats se retourneront contre vous, comme en 1982 lorsque vous aviez modifié le mode de scrutin pour les élections cantonales. Ce procédé est inadmissible et, pour tout dire, pas très républicain…

J’avais déposé, il y a quelques années, une proposition de loi qui m’avait valu une lettre de réprimande du président du Sénat d’alors, René Monory. Je proposais que les présidents de région, le maire de Paris et les présidents de conseils départementaux
– puisque c’est ainsi qu’ils s’appelleront désormais – soient de droit membres du Sénat pendant la durée de leur mandat afin d’assurer une représentation structurelle des collectivités territoriales. Pour l’autre moitié, le Sénat devait être composé de sénateurs élus à la représentation proportionnelle dans le cadre des régions afin de garantir la représentation des minorités et notamment des extrêmes.

Cette proposition de loi n’a été retenue ni par la majorité ni par l’opposition, mais j’ai plaisir à vous la rappeler.

M. Guy Geoffroy. Deux remarques traduiront mon étonnement devant votre volonté d’étendre le scrutin proportionnel aux départements dans lesquels sont élus trois sénateurs. Une telle réforme peut en effet aboutir à des résultats qui seront tout sauf proportionnels. Dans le cas de trois listes, la première obtenant 40 % des voix, la deuxième, 35 %, et la troisième un peu moins de 30 %, chacune aura un siège… Où est la proportionnalité ?

Deuxième effet pervers : sauf à trouver un moyen – que vous ne semblez pas avoir trouvé – garantissant la présence de femmes en tête de liste, en reprenant le même exemple, vous aurez réussi à faire élire trois hommes têtes de liste. Aucun siège sur les trois ne reviendra à une femme… Bravo !

Ces hypothèses ne sont pas irrationnelles puisque, dans certains départements élisant quatre sénateurs, les cas de figure que je viens de d’évoquer se sont présentés.

Comme Dominique Bussereau l’a dit, vous aurez fait des efforts méritoires pour tripatouiller le système électoral au nom de principes – parité et représentation proportionnelle – qui risquent de n’être même pas au rendez-vous !

M. Pascal Popelin. Je suis toujours surpris lorsque j’entends nos collègues de l’opposition réagir à l’occasion de chaque réforme du droit électoral. Ils tirent d’une situation politique donnée des conclusions quant aux effets de la réforme pour l’avenir. Or, ce n’est pas ainsi que les choses fonctionnent. Votre expérience du découpage électoral, mes chers collègues, aurait dû vous renseigner… En matière de droit électoral, il ne faut pas raisonner comme vous le faites. Il est plus sage de s’efforcer de respecter certains principes.

Monsieur Larrivé, vous prétendez que nous sommes dans une logique de punition du Sénat. Mais améliorer la représentativité du collège électoral des sénateurs, est-ce une punition ? Renforcer la parité, est-ce une punition ? Faire progresser le principe d’égalité devant le suffrage – principe constitutionnel qui souffre beaucoup d’exceptions dans notre pays –, est-ce une punition ?

Vous opposez constamment défense de la ruralité et respect de l’égalité devant le suffrage. Dois-je vous rappeler que vos diatribes fondées sur cette argumentation ont été balayées par le Conseil constitutionnel qui a réaffirmé la primauté du principe d’égalité devant le suffrage ! Le respect de ce même principe a également conduit celui-ci à recommander une modification du tableau fixant la répartition des conseillers de Paris.

Il faut ramener les choses à leur juste proportion. Vous avez souligné la créativité de ce projet, mais celui-ci ne fait que reprendre une réforme qui avait déjà été mise en œuvre et sur laquelle vous étiez revenus. Quant au collège électoral, la portée de l’ajustement reste limitée, je le regrette, car nous devons tenir compte des exigences du Conseil constitutionnel sur l’équilibre de la composition du collège et la nécessité d’une présence majoritaire, en son sein, de représentants élus des assemblées délibérantes des collectivités territoriales. Nous réduisons l’écart de représentativité entre les grands électeurs pour éviter que, dans le même département et pour élire un même sénateur, certains pèsent jusqu’à six fois plus que d’autres en termes de population.

Le groupe SRC est favorable à ce projet de loi qui accomplit un petit pas vers une démocratie plus représentative et plus moderne.

M. Patrice Verchère. Ce projet a une portée éminemment politique. Quelle est sa vraie raison d’être ? Qu’il s’agisse de la désignation de délégués supplémentaires ou de l’extension du scrutin proportionnel, ces deux choix sont très politiques, voire politiciens et surtout calculateurs. L’objectif est clair : conserver la courte majorité dont vous disposez au Sénat depuis le dernier renouvellement.

Après le texte sur la création du conseiller départemental et l’ovni du binôme, qui déjà s’en prenait à la ruralité – je l’avais qualifié de « ruralicide » –, ce projet de loi confirme que vous n’aimez pas le monde rural et que vous le sacrifiez.

Le Sénat, chambre des collectivités territoriales et des territoires, a donc vécu. C’est bien dommage !

Dans le département du Rhône, votre projet va engendrer une augmentation d’un quart du collège électoral au détriment du monde rural. Je le regrette.

M. Alain Tourret. Parler des élections sénatoriales, c’est s’interroger sur l’existence même du bicamérisme. La République a commencé avec la Constituante, s’est poursuivie avec la Législative puis avec la Convention sans deuxième chambre. Ce n’est qu’avec le Directoire puis le Consulat que s’installent deux chambres. Cette configuration n’est d’ailleurs pas une évidence puisque le général De Gaulle lui-même proposa, en 1969, un référendum sur la suppression du Sénat.

Il faut s’interroger : le bicamérisme est-il justifié par la seule différence dans le mode d’élection des deux chambres ? À quoi servent l’une et l’autre des assemblées ?

Depuis 1958, il appartient à l’Assemblée nationale d’assurer la stabilité du régime. Le scrutin majoritaire y contribue et garantit une majorité. Quant au Sénat, il aurait pour fonction de représenter l’ensemble des courants d’opinion qui ne le sont pas à l’Assemblée nationale en raison du mode de scrutin. Le renforcement de la proportionnelle au sein du Sénat, que propose avec sagesse le projet de loi, va dans ce sens. À terme, il y aura plus de sénateurs élus au scrutin proportionnel que de sénateurs élus au scrutin majoritaire. Mais, même si mon opinion n’est pas faite sur la valeur constitutionnelle du principe d’égale représentation des hommes et des femmes, pourquoi ne pas aller jusqu’au bout en appliquant la proportionnelle et le principe de parité pour l’élection de l’ensemble des sénateurs ?

Ce que dit M. Geoffroy est vrai. Dans la Manche, avec deux listes de droite et une liste de gauche, trois hommes ont été élus, et la seule femme qui aurait pu l’être en vertu de l’ancien mode de scrutin a été éliminée !

Je soumets ces questions au débat public. Mais le texte apporte incontestablement des améliorations.

Enfin, il faut accepter les suggestions du Sénat. À cet égard, les propos du rapporteur m’ont paru très sages. Nous ne pouvons pas malmener la seconde assemblée sur des sujets qui lui tiennent à cœur, notamment sur l’application de la parité au collège électoral.

M. le rapporteur. Je partage les propos de M. Tourret. Il est de bonne courtoisie en démocratie parlementaire de respecter les choix du Sénat pour des textes qui le concernent et qui, de surcroît, confortent certains principes auxquels nous sommes attachés.

Je suis totalement en accord avec Pascal Popelin quant au caractère modéré de ce projet de loi, contrairement à ce qu’affirme M. Verchère. Ce texte n’est pas révolutionnaire, à la différence de la proposition de loi de M. Bussereau qui visait à faire du Sénat la chambre des grands élus.

Dans le rapport que j’avais remis au Premier ministre en 2000, à la suite de l’instauration du quinquennat, sur une réforme de la démocratie parlementaire, j’avais étudié trois pistes d’évolution pour le Sénat, dont celle évoquée par M. Bussereau. Le regretté Guy Carcassonne était aussi partisan de cette conception de la seconde chambre comme lieu de représentation des grandes collectivités françaises.

Monsieur Larrivé, je regrette votre procès à traits forcés. Il est vrai que nous faisons preuve de créativité, mais celle-ci est quelque peu éculée. Nous ne faisons que revenir sur un dispositif que nous avions voté il y a treize ans et que vous avez supprimé.

La proportionnelle dans les départements élisant trois sénateurs figurait dans le rapport de M. Dolez sur le projet de loi relatif à l’élection des sénateurs que notre assemblée avait adopté. Elle était en vigueur jusqu’à ce que vous décidiez de rétablir le seuil à quatre sièges, diminuant de ce fait la représentation des femmes au Sénat.

Il s’agit donc non pas d’une révolution due à notre créativité, mais d’une réformette visant à revenir à un dispositif qui a fait ses preuves. C’est un premier pas qui va dans le bon sens ; il faut le prendre comme tel. J’espère que nous irons plus loin. Il n’est en effet pas normal qu’un département dans lequel 55 % des grands électeurs votent à droite et 45 % à gauche soit représenté par deux sénateurs de la même couleur politique, car cela signifie que l’on ignore 45 % des électeurs. L’idée d’étendre la proportionnelle n’est pas saugrenue. J’espère que nous y viendrons.

Enfin, le corps électoral n’est pas substantiellement modifié. En abaissant le seuil pour la désignation de délégués supplémentaires, nous ajouterons environ 3 000 grands électeurs aux 158 000 actuels, soit 2 %. Je vérifierai avant la séance le chiffre de 25 % avancé par M. Verchère pour le département du Rhône, car il me paraît excessif.

Je me réjouis que l’idée de respecter le travail du Sénat ait été acceptée par tous les groupes parlementaires puisque seulement deux amendements ont été déposés sur le texte à ce jour.

La Commission en vient à l’examen des articles du projet de loi.

Article 1er A (art. L. 280 du code électoral) : Inscription dans la loi des principes devant guider la composition du collège électoral sénatorial

La Commission adopte l’article 1er A sans modification.

Article 1er B (art. L. 280 du code électoral) : Intégration des sénateurs au collège électoral sénatorial

La Commission adopte l’article 1er B sans modification.

Article 1er C (art. L. 281 du code électoral) : Modalités d’inscription sur les listes électorales et de vote des grands électeurs

La Commission adopte l’article 1er C sans modification.

Article 1er D (art. L. 289 du code électoral) : Composition paritaire des listes de candidats pour la désignation des délégués des conseils municipaux et de leurs suppléants

La Commission adopte l’article 1er D sans modification.

Article 1er E (art. L. 282 du code électoral) : Désignation d’un remplaçant au grand électeur qui est conseiller général ou régional et sénateur

La Commission adopte l’article 1er E sans modification.

Article 1er F (art. L. 287 du code électoral) : Désignation d’un remplaçant au grand électeur qui est délégué du conseil municipal et sénateur

La Commission adopte l’article 1er F sans modification.

Article 1er (art. L. 285 du code électoral) : Abaissement de 1 000 à 800 du nombre d’habitants permettant la désignation d’un délégué supplémentaire par les conseils municipaux des communes de plus de 30 000 habitants

La Commission examine l’amendement CL 2 de Mme Marie-Jo Zimmermann.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Je confirme les propos du rapporteur sur la parité. L’Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes avait calculé que la proportion de femmes avoisinait les 15 % dans les départements élisant trois sénateurs au scrutin majoritaire – et ce, malgré la présence éventuelle de listes dissidentes –, contre 40 % à 45 % dans les départements où cette élection avait lieu à la proportionnelle. Comme M. Tourret, j’aurais souhaité que l’on aille jusqu’au bout !

Quant à l’amendement CL 2, il vise à éviter une augmentation trop brutale du nombre de délégués sénatoriaux supplémentaires dans les communes de plus de 30 000 habitants. Le projet de loi, dans sa rédaction actuelle, me semble en effet poser quelques problèmes quant à la représentativité du Sénat.

J’en profiterai pour défendre également mon amendement CL 1, portant article additionnel après l’article 1er, qui vise à prévoir que, dans les départements où l’élection a lieu au scrutin proportionnel, donc en un seul tour, les grands électeurs iront voter au chef-lieu d’arrondissement.

M. le rapporteur. Avis défavorable aux deux amendements.

Comme je l’ai indiqué, le projet de loi n’augmentera le nombre de grands électeurs que d’environ 3 000 : il ne s’agit donc pas d’un choc brutal.

Quant à l’amendement CL 1, il témoigne d’une intention louable, mais les grands électeurs apprécient d’aller voter en préfecture une fois tous les six ans. J’ajoute que le gain financier ne serait pas significatif, puisque le défraiement prévu pour ces déplacements n’est que de 15 euros par grand électeur.

M. Dominique Bussereau. Je ne partage pas l’avis du rapporteur sur l’amendement CL 1. Le sud de mon département est distant de plus de 210 kilomètres de la préfecture, située au nord. Ces déplacements, déjà absurdes et coûteux, le seront plus encore avec le nouveau système qui, en imposant le dépôt de listes en préfecture, y compris pour les plus petites communes, porte atteinte à la liberté qui prévalait jusqu’alors pour les scrutins. Au moment où le Gouvernement prône l’austérité et la rigueur, la mesure proposée par Mme Zimmermann serait source d’économies ; elle favoriserait de surcroît la participation aux élections sénatoriales.

M. Philippe Gosselin. Votre obstination à vouloir modifier les modes de scrutin ne laisse pas d’interpeller. Est-elle liée à votre intention de supprimer des sous-préfectures dans les mois qui viennent ?

M. Jean-Pierre Decool. Je soutiens l’amendement CL 1, car il favorise la proximité, déjà mise à mal par la réforme de l’élection des conseillers départementaux.

Je rappelle aussi qu’au cours des années précédentes, certaines préfectures ont délocalisé les élections sénatoriales pour des raisons pratiques ou d’accessibilité. Organiser ces élections dans des chefs-lieux d’arrondissement serait donc un signe fort, sans oublier l’intérêt environnemental d’une telle mesure.

M. Sébastien Denaja. L’argument du coût des déplacements me semble dérisoire. Au reste, l’ouverture de sous-préfectures le dimanche a également un coût. Il est nécessaire, comme l’a rappelé le rapporteur, de réunir tous les grands électeurs d’un département en un même lieu.

M. le rapporteur. J’ai été très sensible au rejet unanime du même amendement au Sénat, où M. Masson l’avait défendu : les membres du groupe UMP, M. Gélard en tête, ont expliqué que, les sénateurs étant élus d’un département, l’élection au chef-lieu du département était une forme de reconnaissance pour les grands électeurs. Je vous propose donc de nous en tenir à la ligne de courtoisie à l’égard de la Haute assemblée que nous suivons depuis le début de nos travaux.

La Commission rejette l’amendement CL 2.

Puis elle adopte l’article 1er sans modification.

Après l’article 1er

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, La Commission rejette l’amendement CL 1 de Mme Marie-Jo Zimmermann, portant article additionnel après l’article 1er.

Article 1er bis (art. L. 290-1 du code électoral) : Désignation prioritaire des délégués des communes associées parmi les conseillers municipaux

La Commission adopte l’article 1er bis sans modification.

Article 1er ter (art. L. 290-1 du code électoral) : Conservation du nombre de délégués des conseils municipaux pour les communes déléguées issues de la transformation de communes associées sous l’effet de la loi n° 2013-403 du 17 mai 2013 relative à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, et modifiant le calendrier électoral

La Commission adopte l’article 1er ter sans modification.

Article 1er quater (art. L. 299 du code électoral) : Contrainte paritaire dans la désignation des remplaçants des candidats aux élections sénatoriales dans les départements appliquant un scrutin majoritaire

La Commission adopte l’article 1er quater sans modification.

Article 1er quinquies (art. L. 305 du code électoral) : Obligation de présentation au premier tour pour les candidats au second tour des élections sénatoriales

La Commission adopte l’article 1er quinquies sans modification.

Article 2 (art. L. 294 du code électoral) : Application du scrutin majoritaire dans les départements élisant deux sénateurs ou moins

La Commission adopte l’article 2 sans modification.

Article 3 (art. L. 295 du code électoral) : Extension du scrutin proportionnel à la plus forte moyenne aux départements élisant trois sénateurs ou plus

La Commission adopte l’article 3 sans modification.

Article 3 bis (art. L. 301 du code électoral) : Date limite de dépôt des candidatures pour les élections sénatoriales

La Commission adopte l’article 3 bis sans modification.

Article 4 (art. L. 439 du code électoral) : Application des dispositions du présent projet de loi en Polynésie française, dans les îles Wallis et Futuna et en Nouvelle-Calédonie

La Commission adopte l’article 4 sans modification.

Puis elle adopte l’ensemble du projet de loi sans modification.

La séance est levée à 11 heures 05.

*

* *

Information relative à la Commission

La Commission a désigné :

– M. Sébastien Huyghe, co-rapporteur sur la mise en application de la loi qui serait issue de l’adoption définitive du projet de loi renforçant la protection du secret des sources des journalistes (n° 1127).

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Nathalie Appéré, Mme Marie-Françoise Bechtel, M. Erwann Binet, M. Jacques Bompard, M. Dominique Bussereau, Mme Colette Capdevielle, Mme Marie-Anne Chapdelaine, M. Éric Ciotti, M. Jean-Michel Clément, M. Gilbert Collard, M. Sergio Coronado, M. Jean-Pierre Decool, M. Sébastien Denaja, Mme Françoise Descamps-Crosnier, M. Patrick Devedjian, M. Marc Dolez, M. Olivier Dussopt, M. Matthias Fekl, M. Georges Fenech, M. Guy Geoffroy, M. Daniel Gibbes, M. Philippe Gosselin, M. Philippe Houillon, M. Sébastien Huyghe, Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, M. Guillaume Larrivé, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, Mme Anne-Yvonne Le Dain, Mme Axelle Lemaire, M. Patrick Mennucci, M. Pierre Morel-A-L'Huissier, Mme Nathalie Nieson, M. Sébastien Pietrasanta, Mme Elisabeth Pochon, M. Jean-Frédéric Poisson, M. Pascal Popelin, M. Didier Quentin, M. Dominique Raimbourg, M. Bernard Roman, M. Alain Tourret, Mme Cécile Untermaier, M. Jean-Jacques Urvoas, M. Daniel Vaillant, M. François Vannson, M. Patrice Verchère, M. Jean-Luc Warsmann, Mme Marie-Jo Zimmermann

Excusés. - Mme Laurence Dumont, M. Édouard Fritch, M. Bernard Gérard, M. Yves Goasdoué, M. Philippe Goujon, Mme Marietta Karamanli, M. Alfred Marie-Jeanne, M. Roger-Gérard Schwartzenberg