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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mercredi 4 décembre 2013

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 25

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, Président

– Communication de Mme Marietta Karamanli et de M. Guy Geoffroy, chargés de la veille européenne, sur le parquet européen

– Examen de la proposition de résolution européenne sur Europol (n° 1539) (Mme Marietta Karamanli, rapporteure)

– Présentation du rapport de la mission d’information sur la révision des condamnations pénales (MM. Alain Tourret et Georges Fenech, rapporteurs)

 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes du même sexe

– Informations relatives à la Commission

La séance est ouverte à 10 heures.

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, président.

La Commission entend une communication de Mme Marietta Karamanli et de M. Guy Geoffroy, chargés de la veille européenne, sur le parquet européen.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. La commission des Lois s’est déjà penchée à plusieurs reprises sur la création d’un parquet européen. Elle a notamment évoqué ce sujet lors de l’audition de la vice-présidente de la Commission européenne en charge de ce dossier, Mme Viviane Reding, que nous avions organisée avec la commission des Affaires européennes, le 21 novembre 2012. Depuis, plusieurs chambres de parlements nationaux, dont le Sénat français, ont adopté des avis motivés par lesquels ils contestent la conformité de la proposition de règlement sur la création d’un parquet européen présentée par la Commission européenne, le 17 juillet 2013, au regard du principe de subsidiarité. Ce faisant, ils contestent la proposition de la Commission au regard de la compétence de l’Union, et non sur le fond du dispositif. Cette prise de position a pu laisser entendre que notre pays serait contre le parquet européen, ce qui n’est ni la position de la France, ni celle de l’Assemblée nationale. C’est pourquoi, nous vous proposons, avec Mme Marietta Karamanli et M. Guy Geoffroy, de déposer une proposition de résolution. Celle-ci sera d’abord examinée par la commission des Affaires européennes, puis par notre Commission en janvier prochain. Ce serait la troisième résolution de l’Assemblée nationale sur le parquet européen, après celles de 2003 et de 2011. Son but est de rappeler la nécessité et la justesse d’un parquet européen, sous réserve que la proposition de règlement soit modifiée sur certains aspects auxquels nous sommes attachés, tels que la collégialité de ce parquet.

Nous examinerons ensuite la proposition de résolution de la commission des Affaires européennes sur Europol dont nous sommes saisis. C’est là encore un bel exemple de la bonne méthode que nous avons mis en œuvre avec la commission des Affaires européennes, consistant à évoquer ces projets de résolution en amont pour que la commission des Lois ne se retrouve pas devant le fait accompli en termes d’agenda et contrainte d’adopter implicitement des propositions de résolution européenne.

Mme Marietta Karamanli, rapporteure chargée de la veille européenne. Je ne reviendrai pas sur le contexte de la proposition de résolution européenne que nous préparons, qui a été rappelé par le président Urvoas, et je vais plutôt vous présenter, avec M. Guy Geoffroy, le contenu de cette proposition.

Son objectif est de rappeler le soutien constant de l’Assemblée nationale à la création d’un parquet européen, depuis plus de dix ans, et l’accueil favorable réservé à la présentation par la Commission européenne d’une proposition de règlement sur ce sujet.

Certaines des modalités retenues par la Commission européenne dans sa proposition devraient cependant être substantiellement revues, afin d’assurer l’efficacité et l’indépendance du futur parquet européen.

S’agissant de la compétence matérielle du parquet européen, tout d’abord, la proposition de résolution réitèrera l’attachement de l’Assemblée nationale à ce que le parquet européen soit compétent en matière de lutte contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontière, et ne se limite pas à la seule protection des intérêts financiers de l’Union européenne. Certes, dans le traité, la compétence du parquet européen est en principe limitée à la recherche, à la poursuite et au renvoi en jugement des auteurs et complices d’infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union.

Toutefois, cette compétence peut être étendue, simultanément ou ultérieurement, à la lutte contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontière par le Conseil européen statuant à l’unanimité, après approbation du Parlement européen.

La proposition invitera le Conseil européen à faire usage de cette possibilité et procéder à une telle extension. La plus-value apportée par le parquet européen en matière de lutte contre le terrorisme, la traite des êtres humains ou le trafic de stupéfiants serait au moins aussi considérable qu’en matière de lutte contre la délinquance financière au détriment du budget de l’Union, et correspondrait sans doute mieux aux attentes des citoyens européens. Cet élément doit être présent à l’esprit.

La proposition de résolution soulignera également que la compétence du parquet européen ne devrait pas être exclusive, mais partagée avec celle des autorités judiciaires des États membres. Un principe d’exclusivité poserait en effet des difficultés pratiques pour le traitement des infractions connexes. Pour garantir l’efficacité du parquet européen, cette compétence partagée devrait être assortie, d’une part, d’une obligation d’information du parquet européen par les autorités judiciaires nationales de toute infraction susceptible d’entrer dans son champ de compétence et, d’autre part, d’un droit général d’évocation lui permettant de se saisir de l’affaire en cause.

La proposition rappellera que le parquet européen devrait être créé, en application de la lettre même du traité, « à partir d’Eurojust ». Cela signifie notamment que sa structure devrait être collégiale, comme l’est celle de l’unité Eurojust, et qu’il devrait entretenir des liens étroits avec cette dernière. Pour que de réelles synergies se développent entre ces deux organes, une proximité géographique, s’agissant du siège du parquet européen, apparaît également indispensable.

Plusieurs paragraphes de la proposition de résolution seront consacrés à la structure du parquet européen. Le parquet européen devrait être institué sous une forme collégiale, composée de membres nationaux ancrés dans leurs systèmes judiciaires respectifs et élisant en leur sein un président, et non sous celle, proposée par la Commission européenne, d’un procureur européen unique, assisté par de simples adjoints et par des délégués auxquels il adresserait ses instructions. Cette structure collégiale confèrerait une plus grande légitimité au parquet européen, faciliterait son acceptation et la prise en compte de la diversité des traditions juridiques des États membres et renforcerait ainsi son efficacité.

Cette collégialité est parfaitement compatible avec la réactivité nécessaire à la conduite des enquêtes, puisque ce collège pourrait être divisé en formations restreintes ou en chambres, regroupant les membres nationaux des États membres concernés par le dossier, et chargées de prendre les décisions opérationnelles courantes.

Les procédures de nomination et de révocation ainsi que le statut des membres du parquet européen devraient s’inspirer de ceux prévus pour les membres de la Cour de justice de l’Union européenne par les articles 253 à 255 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et par le Statut de la Cour de justice de l’Union européenne, afin de garantir leur indépendance. Les personnalités désignées devront notamment réunir toutes les conditions requises pour l’exercice de hautes fonctions juridictionnelles et posséder une expérience pertinente en qualité de procureur.

M. Guy Geoffroy, rapporteur chargé de la veille européenne. La proposition de règlement de la Commission européenne comporte plusieurs aspects contestables et contestés, mais elle a le mérite d’aborder, pour la première fois, à peu près tous les sujets qu’implique la création d’un parquet européen.

Notre collègue Marietta Karamanli a déjà évoqué les questions relatives à la structure et à la compétence du parquet européen, que la Commission européenne propose de limiter à la protection des intérêts financiers, contrairement à notre souhait. D’autres points seront également abordés par notre proposition de résolution.

La proposition de règlement prévoira que les garanties procédurales accordées aux personnes poursuivies par le parquet européen seront celles assurées par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, par les directives européennes existantes ou en cours d’adoption harmonisant certains droits en matière de procédure pénale (droits à l’interprétation et à la traduction, droit à l’information, droit à un avocat, etc.) et par le droit interne des États membres. Ces textes forment un corpus déjà cohérent de règles procédurales, et les droits internes des États membres en matière de procédure pénale sont si divers, sur le fond comme sur la forme, qu’il serait difficile d’aller plus loin. L’approche retenue par la Commission européenne, consistant à renvoyer à d’autres textes, est donc satisfaisante, car l’élaboration d’un corpus de règles procédurales spécifique serait à la fois injustifiée et conduirait à reporter considérablement la création du parquet européen.

Les dispositions relatives au contrôle juridictionnel des actes du parquet européen apparaissent en revanche insuffisantes. Elles confient les recours en responsabilité, extracontractuelle et contractuelle, ainsi que le contrôle de la légalité des décisions du parquet européen sur les demandes d’accès aux documents à la Cour de justice de l’Union européenne. Le contrôle de la légalité de l’ensemble des actes d’enquête et de poursuite du parquet européen relèverait en revanche exclusivement des juridictions internes. La proposition de règlement prévoit également que les juridictions nationales ne devraient pas avoir la possibilité d’interroger la Cour de justice, en lui adressant une question préjudicielle, sur la validité des actes du parquet européen. Tout ceci est confus, complexe et probablement inefficient. Nous nous interrogeons donc sur la conformité de ces dispositions au droit à un recours juridictionnel effectif, s’agissant en particulier du contrôle de la décision prise par le parquet européen de renvoyer l’affaire en jugement et de celle relative au choix de la juridiction de jugement. Cela touche à la question de l’articulation entre l’initiative des poursuites, qui appartient à tout parquet et relèverait du niveau européen, et le relais, à l’échelon de chaque État membre, pour la poursuite de ces poursuites et le jugement.

Les dispositions relatives à l’admissibilité des preuves et aux règles de prescription devraient par ailleurs être complétées, une harmonisation minimale dans ces domaines apparaissant indispensable pour assurer un fonctionnement efficace du parquet européen et éviter le risque de « course aux tribunaux » (« forum shopping ») qui peut résulter de trop grandes disparités.

En ce qui concerne la compétence du parquet européen, l’Assemblée nationale a une interprétation du traité plus ambitieuse que celle de la Commission européenne, qui souhaite se limiter à la protection des intérêts financiers. Créer un parquet européen dans ce domaine serait déjà bien, mais les attentes des citoyens portent surtout sur la lutte contre la criminalité transfrontière. C’est pourquoi la proposition de résolution évoque aussi la question du déclenchement d’une coopération renforcée sur le parquet européen. Rappelons qu’à défaut d’unanimité, le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne autorise un groupe composé d’au moins neuf États membres à instaurer une coopération renforcée sur la base du projet de règlement concerné, après saisine du Conseil européen. Cette coopération renforcée est plus facile à mettre en œuvre que la coopération renforcée « de droit commun », prévue à l’article 329 TFUE, l’autorisation du Conseil, sur proposition de la Commission et après approbation du Parlement européen, n’étant pas requise.

Plusieurs États membres (le Royaume-Uni et le Danemark) ont déjà annoncé leur refus de participer à la création d’un parquet européen. Il apparaît donc acquis que celui-ci ne pourra voir le jour que dans le cadre d’une telle coopération renforcée. La proposition de résolution invitera par conséquent la Commission européenne à modifier sa proposition dans un sens susceptible de recueillir la participation du plus grand nombre d’États membres, tout en maintenant un degré élevé d’ambition et d’intégration.

Enfin, la proposition de résolution abordera la question de la conformité à la Constitution de la proposition de règlement et de la nécessité éventuelle d’une révision constitutionnelle. Le Conseil d’État, dans son étude de 2011 sur le sujet, a en effet estimé que la révision constitutionnelle du 4 février 2008, intervenue à la suite de la décision du Conseil constitutionnel du 20 décembre 2007, n’exemptait pas les règlements adoptés sur le fondement de l’article 86, paragraphe 1, TFUE, de respecter l’ensemble de nos principes constitutionnels.

Dans ces conditions, il apparaîtrait opportun que le Gouvernement saisisse le Conseil d’État d’une demande d’avis sur la proposition de règlement avant son adoption, lorsque son contenu apparaîtra stabilisé, afin qu’il indique si ce texte comporte des dispositions contraires à des principes ou des règles de valeur constitutionnelle. Cette saisine préalable permettrait d’éviter de placer le pouvoir constituant dans une situation de compétence liée, comme cela fut le cas pour la décision-cadre relative au mandat d’arrêt européen. Les éventuelles difficultés constitutionnelles ayant été identifiées avant l’adoption du texte, c’est averties et conscientes de la nécessité, le cas échéant, d’une révision constitutionnelle que les autorités françaises consentiraient à la création d’un parquet européen et à s’engager dans la voie, qui est la seule possible, d’une coopération renforcée.

Je suis persuadé que nous n’aurons pas de difficulté à convaincre au moins huit autres États membres d’instaurer une coopération renforcée ambitieuse sur ce dossier.

M. Georges Fenech. On ne peut que se féliciter de l’évolution importante que représente le parquet européen et saluer l’ambition de la proposition de résolution. Vous avez évoqué plusieurs difficultés ; le projet de création d’un parquet européen soulève en effet de nombreuses questions. Le droit d’évocation du parquet européen s’imposera-t-il au parquet national ? Qu’adviendra-t-il en cas de conflit entre les deux ? Vous proposez d’étendre la compétence du parquet européen à la lutte contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontière. Si un attentat terroriste est commis sur notre sol, nous disposons d’un parquet antiterroriste qui fonctionne bien et qui a une compétence d’évocation. S’il y a un élément d’extranéité, le parquet français devra-t-il se dessaisir au profit du parquet européen ? Quelle sera la procédure applicable, sachant que certains États membres de l’Union européenne ont une procédure accusatoire et ne connaissent pas la procédure du juge d’instruction. Devant quel juge du siège le parquet européen demandera-t-il des mesures coercitives, comme une perquisition ou une mise en détention ? Quelle sera la juridiction de jugement ? Vous avez également évoqué la « poursuite de la poursuite », cela signifie-t-il que le parquet européen décidera d’une poursuite puis transmettra ensuite au parquet national ? Celui-ci pourra-t-il décider de l’opportunité des poursuites ? Enfin, le parquet européen devra-t-il informer la chancellerie de l’évolution de la procédure ? Toutes ces questions ne trouvent pas de réponse aujourd’hui.

M. Guy Geoffroy, rapporteur chargé de la veille européenne. Vous avez raison, nous ne disposons pas à l’heure actuelle des réponses à toutes ces questions. L’option que nous proposons de retenir s’agissant de la création du parquet européen, la collégialité, apporte cependant une amorce de réponse. À cet égard, la Commission européenne fait preuve d’indécision car ses propositions font référence tantôt au parquet européen et tantôt au procureur européen. Si ces deux expressions renvoient à la même réalité en France, ce n’est pas le cas à l’échelle européenne. Dès la première proposition de résolution qu’elle a adoptée en 2003, l’Assemblée nationale s’est donc opposée à ce que le parquet européen soit défini comme un procureur européen ex nihilo et a soutenu sa création à partir d’Eurojust. Depuis, grâce au travail mené par la France et l’Allemagne, la création du parquet européen à partir d’Eurojust, qui devrait être maintenu parallèlement, a été actée dans le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Il n’y aura donc pas de procureur européen unique disposant d’une suprématie par rapport aux parquets nationaux. Le membre national de la structure collégiale pourra adapter au niveau national la décision d’engager des poursuites prise au niveau européen. Il sera en relation avec le parquet national et la chancellerie.

Les sujets que vous avez évoqués font partie de ceux qui devraient être traités dans le cadre d’une coopération renforcée. Il y aurait dans l’hypothèse d’une compétence limitée à la protection des intérêts financiers de l’Union européenne moins de risques de conflits.

Mme Marietta Karamanli, rapporteure chargée de la veille européenne. Vos questions sont justes. La collégialité est en effet un élément de réponse. Il est important que nous manifestions aujourd’hui, grâce à cette proposition de résolution, l’attachement de l’Assemblée nationale à la création du parquet européen. La France et l’Allemagne ont pris une initiative en rédigeant un « non-papier » sur cette question. Les négociations entre États membres se poursuivent et permettent de préciser l’organisation du parquet européen. Outre la France, l’Allemagne, l’Espagne, la Finlande, la Pologne, la Slovénie, Chypre, Malte et la Croatie sont favorables à une structure collégiale. Il est essentiel que l’Assemblée nationale exprime également sa volonté en ce sens. J’ajoute que notre travail sur ce sujet va continuer.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Mme Karamanli, M. Geoffroy et moi-même allons déposer une proposition de résolution sur la base des orientations qui vous ont été présentées. Celle-ci sera examinée par la commission des Affaires européennes le 18 décembre puis par notre Commission le 13 janvier. Je souligne que c’est la première fois que notre Commission prend l’initiative de déposer ainsi par l’intermédiaire de certains de ses membres une proposition de résolution européenne, ce qui marque notre intérêt pour les questions européennes et je remercie Mme Marietta Karamanli et M. Guy Geoffroy pour leur excellent travail accompli dans le cadre de leur mission de veille européenne.

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La Commission examine, sur le rapport de Mme Marietta Karamanli, sa proposition de résolution européenne sur Europol (n° 1539).

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Nous en venons à l’examen d’une proposition de résolution européenne relative à Europol.

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. La Commission européenne a déposé le 27 mars 2013 une proposition de règlement relative à l’Office européen de police (Europol), aujourd’hui régi par la décision du Conseil 2009/371/JAI du 6 avril 2009. Or l’article 88 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) dispose qu’Europol relève d’un règlement adopté conformément à la procédure législative ordinaire et qui fixe les modalités de contrôle des activités d’Europol par le Parlement européen en association avec les Parlements nationaux.

La proposition de règlement vise notamment à intégrer au sein d’Europol le collège européen de police (CEPOL), qui s’occupe de la formation des policiers, en s’appuyant sur la déclaration commune du Parlement européen, du Conseil et de la Commission européenne de juin 2012, qui préconise la fusion des agences dont les missions se recoupent. Il est prévu également d’apporter des modifications importantes au fonctionnement d’Europol : transmission d’informations, communication avec les services répressifs, réforme de la gouvernance. Enfin, les modalités du contrôle parlementaire d’Europol seraient précisées.

Les Parlements nationaux doivent se saisir des pouvoirs de contrôle qui leur ont été conférés par le traité de Lisbonne, et prendre position sur ce dernier point, tout comme sur les principales modifications apportées au fonctionnement et à la direction d’Europol.

À l’invitation de la commission des Libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBE), j’ai participé aux travaux du Parlement européen sur la proposition de règlement. Les débats ont notamment porté sur la fusion d’Europol et du CEPOL ainsi que sur la structure de contrôle parlementaire, qui doit assurer un contrôle efficace tout en tenant compte de la spécificité des travaux d’Europol, en particulier pour ce qui est des données classifiées. Tous ont souhaité ne pas instituer de nouvel d’organe interparlementaire. Le rapporteur du Parlement européen a proposé plusieurs avancées dont certaines en direction des Parlements nationaux.

Parmi les principales modifications apportées par la proposition de règlement, figure l’intégration du CEPOL – le collège européen de police – dans Europol. Ce règlement réformerait également le fonctionnement d’Europol en matière de transmission d’informations, de communication avec les services répressifs et de gouvernance. Enfin, il définirait les modalités du contrôle parlementaire d’Europol prévu par le traité de Lisbonne.

La Commission européenne estime que la fusion du CEPOL et d’Europol permettrait de dégager des synergies et des gains d’efficacité, se traduisant par des économies de l’ordre de 17,2 millions d’euros sur la période 2015-2020. La très grande majorité des États membres, dont la France, est très opposée à cette fusion. En effet, les deux agences ont des champs de compétences et des modes de fonctionnement différents. Les formations du CEPOL sont largement hors du champ de compétences d’Europol, dont il convient d’éviter la dispersion. Enfin, le montant annoncé des économies est très discutable. En l’état actuel des négociations au Conseil, il paraît très probable que les dispositions sur la fusion des deux agences seront abandonnées.

La proposition de règlement vise à accroître le transfert d’informations des États membres vers Europol. Toutefois, l’unité nationale Europol devrait rester le point de contact privilégié entre Europol et les autorités nationales.

Les données personnelles ne pourraient être transmises par Europol, dans le cadre de ses missions, à des États tiers, organisations internationales ou organes de l’Union, qu’avec le consentement de l’État membre ayant fourni ces données à Europol. Toutefois, l’autorisation de l’État membre pourrait être « réputée acquise » si ce dernier n’a pas expressément limité les possibilités de transferts ultérieurs.

Le régime de protection des données personnelles serait, selon la Commission européenne, renforcé. Le contrôleur européen, en charge de la protection de ces données, recevrait et examinerait les réclamations, contrôlerait l’application du règlement, conseillerait Europol et effectuerait un contrôle préalable des traitements notifiés. Actuellement, le contrôle de la protection des données repose sur les autorités nationales de protection des données s’agissant des données transmises par les États membres, et sur l’Autorité de contrôle commune (ACC) s’agissant de l’activité d’Europol. Les États membres ont souligné que le régime de contrôle par le contrôleur européen de la protection des données n’était pas nécessairement convaincant.

D’ailleurs, le contrôleur européen de la protection des données, dans son avis du 31 mai 2013, souligne la nécessaire coopération entre les autorités européennes et nationales chargées de la protection des données. Il rappelle que les transferts de données personnelles aux États tiers et aux organisations internationales en dehors du cadre d’un accord international ou d’une décision d’adéquation devraient être plus strictement limités et encadrés. Il ajoute même que le consentement d’un État membre à un transfert vers un tiers ne doit jamais pouvoir être présumé.

Plusieurs modifications relatives aux organes de direction d’Europol ont suscité des critiques. Le directeur exécutif serait nommé par le conseil d’administration pour cinq ans sur la base d’une liste de trois noms fournie par la Commission européenne, et non plus pour quatre ans par le Conseil de l’Union. Les modifications ayant trait à la procédure de nomination, aux modifications découlant de l’intégration du CEPOL et aux deux voix accordées à la Commission européenne, au lieu d’une actuellement, sont très contestées.

J’en viens maintenant au contrôle parlementaire d’Europol.

Bien qu’Europol ne dispose pas d’un pouvoir d’enquête autonome ni de pouvoirs coercitifs propres, les activités de l’agence concernent les droits fondamentaux, et plus particulièrement la vie privée des citoyens, ne serait-ce que du fait de l’échange de données à caractère personnel. Cela implique nécessairement le renforcement du contrôle démocratique prévu par le traité de Lisbonne.

Depuis qu’Europol est devenu une agence, le Parlement européen, en tant qu’autorité budgétaire, en vote le budget, le contrôle et donne décharge au directeur de l’exécution du budget. Actuellement, les Parlements nationaux contrôlent Europol essentiellement par le biais de leurs pouvoirs de contrôle du pouvoir exécutif national.

Le Parlement européen s’est, à de nombreuses reprises, exprimé sur le contrôle d’Europol et a toujours soutenu la création d’une commission mixte composée de représentants des Parlements nationaux et du Parlement européen.

La proposition de règlement déposée par la Commission européenne prévoit la transmission d’un certain nombre de documents d’Europol. En outre, Europol devrait également transmettre au Parlement européen et aux Parlements nationaux plusieurs rapports, notamment ses programmes de travail.

Devant la commission des Affaires européennes, je me suis intéressée aux points suivants : les Parlements nationaux doivent pouvoir continuer à prendre leurs propres mesures de contrôle, si bien qu’il ne faut pas supprimer les procédures existantes au sein des États membres. Il conviendra de s’assurer que, dans le texte final, les parlementaires nationaux seront destinataires des mêmes documents que le Parlement européen, pour garantir un contrôle démocratique intégré. Par ailleurs, l’accès à des informations classifiées sous certaines conditions n’est prévu que pour le Parlement européen. Cette question nécessite un travail complémentaire afin de trouver une solution qui garantisse la confidentialité nécessaire aux activités d’Europol.

Après les travaux que j’ai évoqués tout à l’heure, il est proposé que le contrôle d’Europol par le Parlement européen en association avec les Parlements nationaux se fasse par l’intermédiaire d’une cellule de contrôle parlementaire. Il s’agirait d’une structure spécialisée, de petite taille, constituée par la commission LIBE du Parlement européen en collaboration avec un représentant de la commission de l’intérieur de chacun des Parlements nationaux des États membres. Cette cellule serait toujours reçue au siège du Parlement européen et convoquée par le président de la commission LIBE. Présidée par lui et le représentant du Parlement national de l’État membre présidant le Conseil, elle – et non le seul Parlement européen – aurait accès aux informations classifiées de l’Union européenne et aux informations sensibles traitées par Europol, mais, compte tenu de leur caractère sensible, celles-ci seraient traitées au Parlement européen.

Dans la proposition de résolution, il est proposé, au point 4, d’attribuer deux sièges par chambre nationale. Compte tenu des travaux que j’ai poursuivis depuis le dépôt de cette proposition de résolution, il me semble plus opportun de prévoir un membre pour chaque Parlement national, avec un suppléant. Cette rédaction permettrait de régler la question des Parlements bicaméraux, sans pour autant augmenter trop fortement le nombre des membres de la cellule de contrôle parlementaire, donc le risque de divulgation des informations.

Pour le moment, la cellule n’est convoquée que par le président de la Commission LIBE. Or elle devrait pouvoir l’être par ses deux coprésidents. Par ailleurs, le candidat retenu par le conseil d’administration pour le poste de directeur exécutif serait invité à faire une déclaration devant la cellule de contrôle parlementaire, qui l’entendrait aussi avant que le conseil d’administration ne prolonge son mandat. Il conviendrait de prévoir un avis de la cellule de contrôle parlementaire avant toute nomination et prolongation de mandat.

En complément, nous devons réfléchir à la question de l’accès aux données classifiées, dans le cadre de la cellule mixte. S’agissant des informations classifiées, il importe que les parlementaires nationaux membres de cette cellule aient accès aux mêmes données que les parlementaires européens. C’est d’ailleurs la position qui serait soutenue par la commission LIBE. Le rapporteur de cette commission propose que ces données soient traitées selon une procédure établie par le Règlement du Parlement européen. Le détail de ces précisions ne relève pas de la proposition de règlement.

Je vous propose donc de préciser que les règles de confidentialité applicables à ces données doivent être respectées par les membres de la commission mixte, qu’ils soient des parlementaires nationaux ou européens.

Mme Sophie Rohfritsch. Sans doute la résolution devrait-elle faire référence au collège des investigations financières et de l’analyse financière criminelle, le CEIFAC, créé à Strasbourg en octobre dernier. Il agrège, sous l’égide de la Commission européenne et à l’Université de Strasbourg, des moyens financiers, près de 1 million d’euros par an, pour former des personnes des vingt-huit pays membres à la lutte contre la criminalité organisée, et il mettra à disposition ses ressources documentaires en open data.

Mme la rapporteure. La résolution ne peut pas y faire référence puisqu’elle concerne exclusivement le règlement de la Commission européenne. Mais votre remarque mérite de figurer dans mon rapport car le CEIFAC entretient des relations avec le CEPOL.

Article unique

La Commission adopte à l’unanimité l’amendement CL1 de la rapporteure qui vise à désigner à la commission mixte de contrôle un membre titulaire et un suppléant par Parlement national.

Elle adopte ensuite successivement deux amendements de la rapporteure. L’amendement CL2 précise les règles de confidentialité applicables aux données classifiées que la commission mixte doit respecter et l’amendement CL3 établit que les parlementaires nationaux auront accès aux mêmes informations classifiées que les parlementaires européens.

La Commission adopte enfin la proposition de résolution modifiée.

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La Commission examine le rapport de la mission d’information sur la révision des condamnations pénales (MM. Alain Tourret et Georges Fenech, rapporteurs).

M. le président Jean-Jacques Urvoas. La mission d’information sur la révision des condamnations pénales, dont nous examinons aujourd’hui le rapport, a été conçue selon un format allégé, puisqu’elle n’est composée que de deux membres, tous deux rapporteurs. Cette mission, créée sur proposition du bureau de la commission des Lois le 24 juillet dernier, a travaillé à un rythme soutenu, comme en témoignent les vidéos des auditions que certains ont pu regarder. Si j’ai pu être initialement sceptique quant au thème de cette mission, tant il semblait à la fois ardu et balisé d’histoires douloureuses et ardu, j’ai constaté, en écoutant une grande partie de ces témoignages, que la démarche des rapporteurs faisait consensus. Une proposition de loi pourrait être bientôt déposée par les rapporteurs, qui reprendrait leurs propositions ; son adoption permettrait de faire évoluer le droit et d’assurer une plus grande fluidité à la procédure de révision.

M. Alain Tourret, rapporteur. Je tiens à souligner que nous avons travaillé depuis juillet dernier, mon collègue Georges Fenech et moi-même, dans une parfaite complémentarité. C’est la première fois, au cours de cette législature, qu’une mission est confiée à deux membres, l’un de la majorité, l’autre de l’opposition. Nos expériences professionnelles passées, respectivement en tant que magistrat et avocat, nous ont permis d’aborder le sujet avec deux visions différentes mais complémentaires. Depuis longtemps, nous réfléchissons à la révision des condamnations pénales. Je rappelle d’ailleurs que Georges Fenech est l’auteur d’une intéressante proposition de loi, déposée en 2007, sur laquelle nous nous sommes appuyés.

Qu’est-ce que l’État de droit, dans le domaine judiciaire ? Il répond à deux impératifs contradictoires : d’une part, préserver l’ordre juridique par l’autorité de la chose jugée ; d’autre part, éviter l’erreur judiciaire et la réparer lorsqu’elle survient. Notre histoire est marquée par des erreurs judiciaires, comme en témoignent les affaires Calas, Dreyfus, et, plus récemment, Machin et Sécher, et par d’autres affaires pour lesquelles la justice s’est prononcée contre la révision (Seznec, Dominici, Raddad). La valeur de la sécurité juridique l’emporte actuellement sur la valeur de justice. Il y a vraisemblablement plusieurs dizaines d’innocents qui se trouvent aujourd’hui emprisonnés, ce qui ne peut que terrifier chacun d’entre nous.

Il existe deux procédures distinctes pour remédier à une erreur judiciaire, de fait ou de droit : d’une part, la révision des condamnations pénales ; d’autre part, le réexamen d’une décision pénale consécutif à un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme. La procédure de révision est ancienne et existait déjà sous l’Ancien régime. Elle a été modifiée en 1989 et repose principalement sur l’existence d’un fait nouveau susceptible de créer un doute sur la culpabilité du condamné. La procédure de réexamen a, quant à elle, été votée en 2000. Je me souviens des interventions de M. Jack Lang, alors député, et de notre collègue Philippe Houillon. Le réexamen d’une décision pénale vise à réparer les conséquences d’une condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme, notamment en cas de non respect du droit au procès équitable.

De l989 à 2013, 3 358 demandes de révision ont été déposées, parmi lesquelles 8 ont pu aboutir en matière criminelle, et 43 en matière correctionnelle. De 1945 à nos jours, nous avons connaissance de 10 cas de révision en matière criminelle. En ce qui concerne la procédure de réexamen, les chiffres sont beaucoup importants : sur 55 demandes en réexamen déposées depuis 2000, 31 ont conduit au réexamen de la décision pénale en cause. Ces chiffres démontrent, à l’évidence, que toute la machine législative et judiciaire est plus favorable au statu quo qu’à la révision.

Tous les ans, la Cour de cassation, dans ses rapports annuels, appelle de ses vœux une réforme du système actuel. Les 49 personnes que nous avons entendues nous ont indiqué, presque de façon unanime, qu’il était nécessaire de changer la législation. Dans les autres pays européens, une place plus large est faite à la révision.

À l’heure actuelle, la personne condamnée doit faire la preuve de son innocence, non pas seulement apporter des éléments susceptibles de faire naître un doute sur sa culpabilité. Ce fut le cas, en particulier, dans l’affaire Machin, où un autre coupable a été désigné.

Nos travaux nous ont conduits à entendre la Chancellerie, la haute magistrature, mais aussi des avocats, des juristes, la commission nationale consultative des droits de l’homme ou encore M. Roland Agret, qui a été jusqu’à l’automutilation pour faire entendre sa cause. Nous avons également reçu M. Bruno Cotte, qui présidait la chambre criminelle lors de l’examen de la demande en révision de la garde des Sceaux dans l’affaire Seznec, le procureur général près la Cour de cassation, d’anciens procureurs généraux, l’actuel président de la chambre criminelle, le président de la commission de révision ainsi que deux anciennes présidentes de cette juridiction. C’est un travail immense que nous avons accompli avec notre foi et notre passion d’humanistes.

Nous ne souhaitons nullement créer un troisième degré de juridiction. En revanche, il nous paraît indispensable de remédier à l’erreur judiciaire. Il nous est insupportable de penser que le système actuel conduit des innocents en prison. L’analyse des décisions criminelles rendues en appel entre 2003 et 2005 est particulièrement éclairante. Sur les 1 262 personnes rejugées en appel d’une condamnation, 64 ont finalement été acquittées. Il y avait donc eu une erreur dans 64 dossiers. C’est beaucoup en comparaison des 8 condamnations criminelles qui ont été révisées depuis 1989.

Par ailleurs, l’extraordinaire évolution de la police technique et scientifique, en particulier dans le domaine de l’ADN – on peut connaître l’identité d’une personne à partir de traces biologiques infimes –, mais aussi dans le domaine de l’expertise en écritures, de l’analyse des voix et des odeurs, aurait dû conduire à plus grand nombre de décisions de révision, comme cela a été le cas aux États-Unis.

Un consensus s’est établi sur la nécessité de modifier les dispositions relatives à la révision des condamnations pénales. Nous nous félicitons également de l’accueil très favorable que nous ont réservé les magistrats. Je tiens à souligner que ces erreurs judiciaires ne sont pas fautives : nous sommes persuadés que le monde judiciaire travaille avec toute la rigueur nécessaire. M. le premier président de la Cour de cassation nous a d’ailleurs reçu longuement pour que nous trouvions, ensemble, des solutions qui respectent le monde judiciaire. Le chemin était étroit, comme l’a dit la garde des Sceaux elle-même ; les propositions que nous formulons vont permettre, à l’avenir, d’améliorer le fonctionnement de ces procédures.

M. Georges Fenech, rapporteur. Je suis particulièrement heureux de soumettre à votre approbation, au nom de la commission de Lois et pour le compte de l’opposition, ce rapport sur la réforme des procédures de révision et de réexamen des condamnations pénales définitives. Notre approche commune a été saluée, quelles que soient leurs sensibilités et leurs appartenances, par l’ensemble des personnes que nous avons rencontrées. Je tiens tout particulièrement à remercier le président Jean-Jacques Urvoas, qui nous a accordé une totale confiance, ainsi que mon collègue Alain Tourret pour son engagement, son écoute et son humanisme.

La confiance dans la justice passe aussi par la capacité du système judiciaire à rectifier et réparer une erreur judiciaire sans chercher à toujours s’abriter derrière le sacrosaint principe de l’autorité de la chose jugée. Certes, la paix sociale et le respect dû aux décisions des cours et tribunaux impose que la voix révisionnelle soit strictement encadrée. Dans le même temps, l’idée qu’un innocent continue à subir les effets d’une condamnation heurte notre conscience et, par le sentiment d’injustice qu’elle répand, trouble fortement et durablement l’opinion publique, parfois même à travers les siècles. Les affaires Calas et Dreyfus sont toujours présentes dans la mémoire collective. Ne dit-on pas qu’il vaut mieux avoir dix coupables en liberté plutôt qu’un seul innocent en prison ?

Or, le très faible nombre de révisions – une dizaine ont été admises depuis 1945, chiffre pour lequel nous n’avons d’ailleurs pas de certitude – est-il le signe d’une justice infaillible ? Je ne le crois pas. Cela démontre plutôt que la procédure actuelle doit être modifiée dans un sens favorable aux victimes d’erreurs inhérentes à la fonction de juger. Toutes les personnes entendues, ainsi que les rapports annuels de la Cour de cassation, nous ont convaincus de la nécessité de modifier le système issu de la loi du 23 juin 1989.

En ce qui me concerne, je soumettrai à votre approbation les deux éléments centraux de ce rapport : d’une part, la nécessité de créer une cour unique de la révision et du réexamen ; d’autre part, la nécessité de qualifier le doute permettant d’ouvrir un recours en révision.

L’organisation actuelle est éclatée, complexe, source de décisions en apparence contradictoires. Ces dernières années, deux affaires ont suscité une incompréhension légitime : l’affaire Leprince et l’affaire Seznec. La commission de révision avait estimé que ces deux requêtes devaient être admises ; la Cour de révision les a rejetées. Ces appréciations contradictoires viennent du fait que la commission comme la Cour peuvent vérifier la recevabilité de la requête, procéder à des mesures d’instruction, décider de suspendre la peine du requérant, et surtout, se prononcer sur le fond du dossier, donnant ainsi le sentiment d’un véritable doublon judiciaire, sentiment renforcé par le fait que ces deux juridictions sont toutes deux composées de magistrats de la Cour de cassation.

Le système actuel présente un autre inconvénient majeur : la loi ne décrit que sommairement la procédure applicable devant la commission de révision, ainsi que ses pouvoirs d’investigation. Par ailleurs, la loi est muette sur la composition même de la Cour de révision. L’article 623 du code de procédure pénale dispose en effet que la commission de révision saisit la chambre criminelle qui statue comme Cour de révision. Elle peut donc siéger en formation plénière, mais n’y est nullement contrainte ; de fait, la pratique a varié. Cette liberté donnée à la Cour de fixer elle-même sa composition porte une indéniable atteinte à son impartialité. Enfin, la présence de seuls magistrats issus de la chambre criminelle crée des suspicions, fondées ou non, de corporatisme et donc de partialité.

Pour toutes ces raisons, nous proposons de créer une cour unique de révision et de réexamen afin d’éviter tout hiatus et de lever toute suspicion. Cette cour sera composée de dix-huit magistrats, à raison de trois magistrats élus par l’assemblée générale de la Cour de cassation au sein de chacune de six chambres qui composent actuellement la Cour. La présidence en sera confiée au président de la chambre criminelle. Chaque titulaire aura un suppléant désigné dans les mêmes conditions, pour une durée de trois ans renouvelable une fois. Cette même cour statuera en matière de réexamen, en cas de condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme. En assurant ainsi la participation de magistrats aux horizons variés à la cour de révision et de réexamen, cette composition la fera définitivement échapper aux critiques.

Il appartiendra à la cour de révision et de réexamen de désigner, en son sein, les cinq magistrats qui composeront une commission d’instruction des demandes en révision et en réexamen. Par cette nouvelle dénomination, nous évitons également la confusion actuelle entre la commission de révision et la Cour de révision : comment voulez-vous que les justiciables saisissent la différence qui existe entre ces deux instances ? La commission de révision, qui est en réalité une juridiction d’instruction, doit donc être rebaptisée. Bien entendu, les magistrats qui composeront cette juridiction ne siègeront pas au sein de la Cour ; nous respecterons en cela le principe constitutionnel et européen de séparation des fonctions d’instruction et de jugement.

Par ailleurs la commission d’instruction verra ses pouvoirs clairement définis, ce qui n’est pas le cas actuellement. Elle aura pour tâche de s’assurer de la recevabilité des demandes, comme c’est le cas aujourd’hui. Mais la nouveauté que nous souhaitons introduire réside dans le fait qu’après la mise en état du dossier, la commission se contentera de transmettre le dossier à la Cour. Seule celle-ci prendra la décision définitive d’acceptation ou de rejet, évitant ainsi tout risque de confusion voire de contradiction.

J’ajoute que les droits du requérant seront clairement définis : accès au dossier, demande d’acte, assistance d’un avocat. Il en sera de même pour la partie civile. Enfin, nous proposons d’élargir le recours en révision aux personnes pacsées, aux concubins, aux petits-enfants, mais aussi au procureur général près la Cour de cassation comme aux procureurs près les cours d’appel. Le garde des Sceaux conservera cette prérogative, qui n’entre nullement en contradiction avec la fin des instructions individuelles récemment adoptée.

J’en viens au second point de la réforme, qui est probablement le plus difficile. Nous proposons de qualifier, dans la loi, la nature du doute permettant la révision. La grande avancée de la loi du 23 juin 1989, outre le fait qu’elle a judiciarisé le filtrage des demandes auparavant effectué par le garde des Sceaux, a déjà modifié cet élément. Auparavant, il fallait établir l’innocence du condamné, ce qui restreignait considérablement les chances de succès d’une requête en révision. Le législateur de 1989 a rendu la révision possible lorsqu’« après une condamnation, vient à se produire ou à se révéler un fait nouveau ou un élément inconnu de la juridiction au jour du procès, de nature à faire naître un doute sur la culpabilité du condamné ».

Je précise que le législateur n’a volontairement pas retenu la notion de « doute sérieux » jusqu’ici employée par la jurisprudence. Ce faisant, il a clairement indiqué au juge qu’un doute simple devait conduire à la révision. Or, force est de constater que le législateur et le juge n’entendent pas le doute de la même façon. D’ailleurs, M. Bertrand Louvel, président de la chambre criminelle, a clairement indiqué, dans sa contribution écrite, qu’un doute « raisonnable » sur la culpabilité est nécessaire à la révision. Or, le doute raisonnable n’est pas équivalent au doute sans qualificatif actuellement prévu par la loi, qui est de fait un doute simple.

Dans les faits, lorsqu’on examine la dizaine de cas dans lesquels la révision a été admise, on constate que, chaque fois, la preuve de l’innocence a été rapportée. Dans l’affaire Machin, il a fallu qu’un second individu récidive, en tuant à nouveau une femme près du pont de Neuilly, et qu’il s’accuse du meurtre pour que la révision de la condamnation ait lieu. Il en va de même dans une affaire où un bulletin d’hospitalisation psychiatrique a été fortuitement découvert qui innocentait le condamné. À chaque fois, c’est la preuve de l’innocence qui est rapportée. D’ailleurs, comme nous l’ont fait remarquer les représentants du Syndicat de la magistrature, si le terme « sérieux » a disparu de la loi, il est toujours présent dans la tête des juges. Ainsi, depuis 1989, aucun dossier n’a été soumis à une nouvelle cour d’assises sur le fondement d’un doute simple. C’est pourquoi, avec mon collègue Alain Tourret, nous avons la conviction qu’il faut qualifier ce doute. Du reste, le droit pénal est familier de la gradation.

Pour être tout à fait honnête, plusieurs personnes entendues ont soutenu que cette modification était inutile, le doute exigé par la loi étant d’ores et déjà un doute simple. Nous souhaitons mettre un terme à ce débat et préciser, dans la loi, que le moindre doute doit entraîner la révision. Un doute ne se dissèque pas : il y a doute, ou il n’y a pas doute. Dès qu’un doute apparaît, quelle que soit sa force, il doit bénéficier au condamné, comme il profite à l’accusé. J’espère que vous partagerez notre conviction. Ainsi, sans bouleverser la rédaction actuelle du texte, nous vous proposons que le moindre doute puisse donner lieu à la révision de la condamnation ; il appartiendra bien entendu à la cour d’assises désignée pour rejuger l’affaire de dire si ce doute est suffisant pour modifier l’issue du procès.

Je conclus en vous faisant part d’une conviction profonde : il nous revient de décider, je l’espère unanimement, de cette avancée du droit, de la vérité et de la justice. Nous aurons ainsi participé, ensemble, à un moment de l’histoire judiciaire.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Je vous remercie, Monsieur le député. Vous avez manifestement su captiver votre auditoire. Nous sommes convaincus qu’en réfléchissant à l’amélioration de la procédure de révision des condamnations pénales, nous contribuons à l’ennoblissement de la justice, tant l’idée de réviser les décisions pénales, notamment celles rendues par un jury, n’est pas évidente.

Mme Colette Capdevielle. Je remercie les rapporteurs pour cette présentation très synthétique. Il s’agit d’un rapport très complet qui est de nature à favoriser d’importants changements législatifs.

La remise en cause de la chose jugée doit rester exceptionnelle et très encadrée. Mais on ne saurait tolérer d’erreur judiciaire « à perpétuité ». Votre travail nous fait avancer sur une question très difficile. Nous revenons en effet de très loin : il n’y a pas si longtemps, la possibilité d’un appel n’existait pas en matière criminelle et l’on pouvait être condamné à perpétuité sans que la décision soit motivée.

La création d’une cour de révision et de réexamen constitue une proposition très intéressante, à condition qu’elle soit expressément rattachée à la Cour de cassation et que ses membres soient recrutés parmi les magistrats de toutes les chambres de la Cour de cassation et pas seulement parmi ceux de la chambre criminelle, trop impliquée dans les affaires pénales.

Il faut également accorder davantage de place à l’oralité des débats afin de mieux appréhender la réalité et, par conséquent, de parvenir plus aisément à la vérité. Me Henri Leclerc ne cesse de le dire depuis des décennies : l’oralité sert souvent de révélateur, ainsi que l’ont démontré des affaires célèbres. Il ne s’agit pas refaire l’audience ; mais l’audition des témoins apparaît indispensable.

En définitive, l’une des propositions qui me paraît la plus intéressante est celle relative à l’enregistrement systématique des débats des cours d’assises, l’enregistrement pouvant être sonore ou visuel et conservé sans délai, ce qui me semble fondamental et, en tout état de cause, indispensable pour les crimes. Pour les délits, il pourrait être envisagé d’organiser un enregistrement non systématiques mais à la demande des parties, sur requête motivée. Quoi qu’il en soit, l’enregistrement constitue un moyen de conservation des preuves et permet de connaître le déroulement d’un procès. Dans votre rapport, vous avez évoqué le caractère éventuellement perturbateur de la présence de caméras dans les procès. Nous sommes bien placés ici pour savoir qu’on les oublie bien vite. De même, lorsque des auditions devant un juge d’instruction ou des confrontations sont filmées, le naturel reprend assez vite le dessus ; on s’aperçoit que rien ne vaut le « parler vrai », qui est bien plus utile que la seule lecture d’un procès-verbal.

Nous pouvons également retenir la proposition qui porte sur la motivation des décisions rendues par les cours d’assises. Il est étonnant de constater qu’aujourd’hui, un arrêt prononçant une condamnation peut de manière succincte – avec trois lignes sur la culpabilité, voire des formules toutes faites sinon indigentes – répondre à un arrêt de renvoi devant la cour d’assise quant à lui très motivé, avec l’exposé des faits, des éléments à charge et parfois à décharge. Vous avez raison de constater que cela n’est pas satisfaisant. Il n’est pas acceptable dans un État de droit qu’une condamnation pénale puisse être motivée par des formules aussi succinctes. Pour être acceptée, une décision doit être particulièrement motivée. Cela vaut en matière pénale comme en matière civile.

M. Dominique Raimbourg. Je partage l’appréciation flatteuse faite sur ce rapport mais je souhaiterais faire deux remarques. La première porte sur le doute. Si le doute est simple et que l’introduction d’un élément nouveau n’est pas nécessaire pour le nourrir, ne sommes-nous pas en présence d’un troisième degré de juridiction ? Par ailleurs, je suis sensible à l’ensemble de vos arguments à l’exception d’un seul : votre refus de permettre la révision en cas d’acquittement. Cette position ne pourra pas résister longtemps face à d’éventuels nouveaux éléments venant asseoir la culpabilité d’une personne acquittée. Cela me rappelle le débat que nous avions eu au moment de l’introduction de l’appel des décisions de cour d’assises. Certains avaient souhaité que cet appel ne soit possible qu’en cas de décision de culpabilité et non pas en cas d’acquittement. Finalement, l’appel a été ouvert tant à l’accusé qu’au procureur, mais pas à la partie civile.

Mme Cécile Untermaier. Je m’associe volontiers aux propos élogieux qui viennent d’être exprimés sur le rapport de la mission. Je focaliserai mon intervention sur la conservation des scellés, essentielle à la manifestation de la vérité. Il s’agit d’une question majeure, même si elle est d’ordre matériel. Depuis 2011, l’enregistrement des scellés est informatisé. Si cela constitue un progrès, il convient de rester vigilant et d’appeler l’attention du ministère de la Justice sur les registres qui assurent encore la traçabilité des anciens scellés, dont certains sont sinon perdus, du moins égarés. Une gestion informatique des scellés anciens, avec possibilité de consultation, pourrait permettre de rassurer les familles qui s’inquiètent de leur éventuelle disparition.

S’agissant de la durée de conservation des scellés, une harmonisation à l’échelle nationale est nécessaire. Vos propositions me semblent aller dans le bon sens ; une attention particulière doit être accordée aux scellés portant sur les traces génétiques : vos propositions me semblent de nature à atteindre cet objectif.

De manière subsidiaire, l’aménagement des locaux pour la bonne conservation des scellés doit constituer une priorité pour le ministère de la Justice. On ne peut se contenter d’un placard pour entreposer des preuves nécessaires à la manifestation de la vérité ! Il faudrait sans doute que nous réfléchissions à des dispositifs moins coûteux, par exemple grâce à des partenariats.

M. Alain Tourret, rapporteur. Ces questions sont très intéressantes, et j’en remercie leurs auteurs. Je rappelle qu’un fait nouveau ou un élément inconnu de la juridiction au jour du procès est nécessaire à l’aboutissement d’une demande en révision. C’est seulement lorsque ce préalable est établi que la question du doute que le fait ou l’élément fait naître sur la culpabilité se pose. Si ce fait ou cet élément fait naître un doute sur la culpabilité du condamné, alors il faut renvoyer l’affaire devant une nouvelle juridiction ou annuler directement la condamnation.

Le président de la cour d’assises peut ordonner, de façon dérogatoire, l’enregistrement des débats. J’ai été choqué d’entendre des avocats dire qu’ils ne demandaient pas cet enregistrement au président de la cour d’assises afin de ne pas entrer en conflit avec lui au moment où ils doivent assurer la défense de l’accusé. Nous estimons que l’enregistrement doit, en matière criminelle, devenir obligatoire. Comment peut-on établir que le fait est nouveau alors que l’oralité des débats y fait obstacle ? La situation actuelle est intenable. Nous nous sommes assurés auprès de la garde des Sceaux qu’elle soutenait ces dispositions.

Quant à la question de la motivation, je tiens à vous faire part de mon malaise. L’Assemblée nationale, en 2011, a déjà traité le sujet. Si elle ne l’avait pas fait, nos propositions auraient été au-delà de ce qu’elles sont aujourd’hui. La loi du 10 août 2011 a fixé, à compter de 2012, une exigence minimale de motivation. Je constate que la Cour européenne des droits de l’homme considère que c’est « a priori » suffisant : cela signifie qu’elle peut à nouveau condamner la France. En outre, la motivation ne porte pas sur le quantum de la peine. Il est extrêmement difficile d’expliquer au justiciable pourquoi les jugements correctionnels sont parfois longuement motivés quand les arrêts criminels le sont en seulement quelques lignes. Plus vous avez commis une infraction grave, moins les magistrats ont à motiver leur décision ! Notre collègue Georges Fenech vous fera part, à ce propos, des entretiens qu’il a eus avec des présidents de cour d’assises, qui démontrent qu’il est possible d’aller au-delà de ce qui est prévu actuellement. Est-il souhaitable de modifier une disposition légale deux ans à peine après son entrée en vigueur ? Telle est la question.

En ce qui concerne la conservation des scellés, dans l’affaire Leprince, tous les scellés, sauf un, avaient disparu ! Les scellés cessent généralement d’être conservés six mois après la condamnation définitive. Leur conservation au-delà de ce délai représente un coût indéniable. Là encore, nous nous sommes entretenus avec la garde des Sceaux en vue d’une conservation raisonnable des scellés. Une proposition de loi de M. le sénateur Jean-Pierre Michel, récemment déposée, prévoit une conservation des scellés pendant trente ans. Cela nous paraît excessif ; c’est pourquoi nous avons proposé que le condamné puisse se prononcer en faveur de la conservation des scellés, tous les cinq ans, lorsque le procureur envisage de les détruire, notamment lorsqu’ils sont encombrants. En cas de désaccord, la chambre de l’instruction se prononcera. Cela nous semble être une position réaliste. Il n’y a rien de pire que de faire des propositions maximalistes qui ne sont ensuite pas suivies par la Chancellerie.

Pour ce qui est de la révision des acquittements, je suis en désaccord complet avec notre collègue Dominique Raimbourg. Certaines personnes entendues, en particulier issues du parquet, nous ont fait part de cette proposition ; tous les autres l’ont, comme nous, rejetée. La possibilité de remettre en cause un acquittement sur la base d’un fait nouveau portera assurément atteinte à la paix sociale ; la vie deviendra insupportable pour les personnes acquittées. En l’absence de délai, des requêtes pourront être déposées en ce sens en permanence. Nous nous sommes convaincus qu’il ne fallait pas ouvrir la révision aux acquittements.

Mme Christine Lazerges, présidente de la commission nationale consultative des droits de l’homme, a suggéré que l’on permette la révision des contraventions de la 5e classe. Nous ne le souhaitons pas, pour ne pas risquer de faire exploser la machine. L’honneur et la considération ne sont pas fondamentalement mis en cause par une contravention.

M. Georges Fenech, rapporteur. En ce qui concerne la motivation des arrêts de cour d’assises, je partage votre avis et regrette que nous ne puissions, dès aujourd’hui, aller jusque-là. La difficulté d’une telle motivation résiderait dans le caractère secret du vote de chaque juré ; en réalité, c’est un faux obstacle. Pour en avoir discuté avec des présidents de cour d’assises, il est tout à fait possible d’associer les jurés à la rédaction même de la motivation. Il faut laisser mûrir la loi du 10 août 2011 ; je ne doute pas que nous parviendrons tôt ou tard à une motivation complète et détaillée des arrêts de cours d’assises.

En matière de scellés, je suis entièrement d’accord avec notre collègue Cécile Untermaier. Pour répondre à notre collègue Dominique Raimbourg, il faut nécessairement un fait nouveau ou un élément inconnu à l’appui de la révision ; il ne saurait être question de réviser une décision sur la seule base d’un doute. Le fait ou l’élément doit provoquer un doute sur la culpabilité du condamné, qu’il reviendra à la juridiction de renvoi d’évaluer.

L’acquittement est un vrai sujet. Je ne crois pas souhaitable de revenir sur les décisions d’acquittement. Nous avons également été convaincus que cela relevait plutôt de l’action publique que de la révision. On pourrait imaginer donner au parquet le pouvoir de déclencher une nouvelle enquête dans le délai de prescription.

M. Guy Geoffroy. Je souhaiterais faire une remarque sur la question du caractère définitif des jugements d’acquittement. Je rejoins ce qu’ont dit nos deux rapporteurs – et je les remercie pour la clarté et la force de leurs convictions à ce sujet.

J’ai toujours considéré que la décision d’acquittement était le corollaire – et même le corollaire puissant – du principe fondamental de la présomption d’innocence. Remettre en cause, après une décision d’acquittement devenue définitive, l’idée que la personne ait été acquittée est, d’une certaine manière, une remise en cause de l’existence même du principe de présomption d’innocence.

Si je le dis, c’est parce que j’ai le souvenir très amer de ce qui a pu être dit après le procès en appel de l’affaire d’Outreau. J’étais membre – comme, peut-être, d’autres dans cette salle – de la commission d’enquête sur l’affaire d’Outreau, qui fut un très grand moment de vie parlementaire et un grand moment de vie tout simplement pour tous ceux qui ont revisité cette affaire terrible tant pour les victimes que pour ceux qui ont failli être victimes de la justice et pour la justice dans son ensemble. J’avais été frappé par l’idée qu’on puisse dire qu’il y a la vérité judiciaire d’une part, et la « vraie » vérité d’autre part. Cela revient à dire que la justice a dit le droit mais que cela n’était que sa vérité et qu’il demeure possible de penser que ce n’est pas la « vraie » vérité. C’est un vrai problème de puissance de l’autorité de la justice dans la société.

À l’issue de la présentation du rapport, la Commission autorise le dépôt du rapport de la mission d’information sur la révision des condamnations pénales en vue de sa publication.

*

* *

La Commission a ensuite procédé à un échange de vues sur l’application de la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes du même sexe.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. M. Jean-Frédéric Poisson a souhaité aborder une question diverse.

M. Jean-Frédéric Poisson. Je voudrais alerter notre Commission sur un problème – à mon avis sérieux – qui concerne la non-publication des ordonnances relatives à la loi sur le mariage pour tous. Cette loi a été promulguée le 18 mai dernier après que le Conseil constitutionnel en a validé le dispositif. Dans ce texte, aux termes d’un amendement voté au Sénat en première lecture et modifiant l’article 14 adopté par notre Assemblée, le Gouvernement a été habilité à procéder, par ordonnances, à la modification des seize ou dix-sept codes qui déclinaient les conséquences du nouvel article 6-1 du code civil créé par la loi sur le mariage pour tous. Cet article 14 ainsi amendé a été adopté sans modification par l’Assemblée nationale.

Le Gouvernement disposait ainsi d’un délai de six mois pour prendre ces ordonnances. Six mois et quelques jours sont passés et aucune ordonnance n’a été prise. L’habilitation est tombée. Le Gouvernement perd donc le droit de recourir à des ordonnances afin de mettre les codes en cohérence avec le nouvel article 6-1 du code civil. Aujourd’hui, on se retrouve donc dans une situation dans laquelle cet article autorise le mariage pour les couples de même sexe tandis que tous les codes déclinant les droits qui s’attachent au mariage ne comportent aucune précision relative à cette hypothèse.

Vous allez me dire que l’article 6-1 du code civil se suffit à lui-même et qu’il n’est pas besoin d’apporter des précisions ailleurs pour son application.

Cela étant, comment expliquer que le 3 juillet 2013, le directeur du cabinet du garde des Sceaux ait écrit au Secrétaire général du Gouvernement afin de lui rappeler qu’il convenait de solliciter les différents ministères de sorte d’obtenir les précisions nécessaires à l’écriture des différentes ordonnances ? Comment expliquer qu’un projet d’ordonnance ait été adressé au Conseil d’État et enregistré sous la référence IN 387-997 ? On semble être allé assez loin dans l’élaboration et la présentation de ces ordonnances… Comment expliquer que dans le mémoire en défense devant le Conseil constitutionnel saisi de la loi, le Gouvernement ait écrit : « Si le législateur a jugé utile de prévoir ces ordonnances, c’est dans le but d’assurer une meilleure lisibilité des textes qui font référence aux père et mère, aux mari et femme et qui sont rendus applicables, conformément à l’article 6-1 du code civil, aux couples de même sexe. L’objectif est de coordonner des dispositions, des législations et des codes existants. Les modifications sont d’abord d’ordre terminologique. Elles peuvent aussi, le cas échéant, nécessiter des modifications de coordination allant au-delà de la simple modification d’ordre terminologique. En conséquence, le législateur a habilité le Gouvernement, etc. » Ainsi, le Gouvernement reconnaît lui-même que parfois l’article 6-1 du code civil suffit et parfois non et aussi que les ordonnances sont nécessaires. Nous n’avons pas entendu autre chose, Monsieur le Président, lors du débat à l’Assemblée nationale sur ce sujet.

Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il y a eu un changement de méthode entre l’examen à l’Assemblée nationale – devant laquelle on a soutenu que la légistique était formidable, que l’on réécrivait les textes et que l’on faisait disparaître des incohérences – et celui au Sénat – je vois le rapporteur sourire car comme moi, il était présent et a gardé quelques souvenirs – où on a expliqué que les ordonnances, c’était mieux, plus pratique et nécessaire.

Dans le mémoire en défense du Gouvernement, on lit encore, page 17 : « Certains articles nécessitent, pour acquérir une pleine portée, des adaptations. Il en va ainsi notamment des dispositions de l’article 19 qui peuvent être insérées au code du travail applicable à Mayotte et dans la loi n° 52-1322 du 15 décembre 1952. Le Gouvernement devra veiller en outre à la coordination entre les dispositions du projet de loi qui affectent plusieurs codes et les dispositions de ces mêmes codes spécifiques aux collectivités ultra-marines d’une part et, d’autre part, les ordonnances en vigueur à Mayotte, etc. » Enfin, dans le considérant 81 de sa décision sur la loi, le Conseil constitutionnel a estimé qu’il y avait nécessité à habiliter le Gouvernement à prendre les ordonnances nécessaires afin d’adapter l’ensemble des dispositions législatives en vigueur, à l’exception de celles du code civil. Dans ce même considérant, le Conseil a conclu : « Dans ces conditions, les griefs tirés d’une part de ce que la formulation de l’habilitation serait insuffisamment précise et, d’autre part, de ce que l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi s’opposerait à l’application immédiate de la loi doivent être écartés du fait que le Gouvernement a demandé à être habilité à prendre des ordonnances ».

On peut éventuellement concevoir qu’il n’y a pas de problème « massif » en droit, pour ce qui concerne des dispositions dont les conditions d’application découlent presque naturellement de l’article 6-1 nouveau du code civil. Mais qu’en est-il de la manière dont les institutions sont traitées ? J’ai du mal à comprendre comment on peut s’engager à ce point
– jusqu’à présenter un projet au Conseil d’État – dans l’élaboration d’ordonnances mais ne pas aller jusqu’au bout ; comment on peut saisir le Premier ministre afin de rédiger des ordonnances – parce qu’on est tenu de les publier dans les six mois qui suivent l’habilitation – et s’arrêter au milieu du gué en ayant, au passage, « promené » le Parlement. On n’a pas beaucoup respecté le travail du rapporteur – c’est une remarque sympathique, il ne m’en voudra pas – et, au total, on a méprisé le travail parlementaire au point de considérer que le Parlement pouvait donner une habilitation à édicter des ordonnances et qu’on pouvait ne pas les prendre sans que cela pose plus de problème que cela. Le Gouvernement ne s’en est pas expliqué. Il n’a pas saisi la commission des Lois pour ce faire.

Il y a là un problème institutionnel, la marque d’un mépris pour le Parlement et, au-delà, sans doute la révélation d’une incapacité du Gouvernement à tenir des engagements d’un point de vue technique.

C’est pourquoi, M. le Président, je souhaite qu’au nom de la commission des Lois, vous puissiez demander des comptes au garde des Sceaux sur les raisons pour lesquelles le Gouvernement n’a pas déféré à l’obligation de prendre des ordonnances dans les six mois qui ont suivi la promulgation de la loi et que nous puissions l’entendre dans cette Commission. Nous devons nous assurer que les déclarations répétées du Gouvernement sur le respect de la démocratie, du Parlement et tutti quanti soient suivies d’effet. Comme disait Camus, « il n’y a pas d’amour ; il n’y a que des preuves d’amour ». En l’espèce, nous en manquons un peu.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Est-ce que le rapporteur du texte veut éclairer la réflexion de la Commission ?

M. Erwann Binet. Je vais répondre très rapidement car l’exposé de Jean Frédéric Poisson était tout à fait exhaustif. Nous ne pouvons pas, ici, répondre à l’essentiel de vos interrogations sur les intentions qui étaient celles du Gouvernement, au moment des travaux préparatoires, quant aux ordonnances dont vous avez parlées.

Nous pouvons orienter vos interrogations vers le Gouvernement. Néanmoins, je veux redire que l’article 6–1 du code civil – le fameux article « balai » sur lequel nous avons beaucoup échangé – permet une application complète du texte et ce, dans l’ensemble de notre corpus juridique, aux couples de personnes de même sexe et aux filiations adoptives.

Le Sénat avait souhaité, en accord avec le Gouvernement qui avait déposé un amendement en ce sens, que ce dernier puisse procéder à des modifications sémantiques dans l’ensemble des codes concernés. En aucun cas – nous avons été très clairs sur ce point en deuxième lecture à l’Assemblée nationale –, cela ne devait permettre au Gouvernement de faire des modifications de fond. Seules des modifications sémantiques, pour des questions d’intelligibilité de la loi, étaient envisagées.

Enfin, je n’ai pas la même lecture que vous de la décision du Conseil constitutionnel sur ce texte. Le Conseil a rejeté les arguments de non-respect du principe d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi – s’agissant de l’article 6-1 du code civil – ainsi que les critiques formulées sur le recours aux ordonnances. Aucune de ces dispositions ne heurtait, d’après le Conseil constitutionnel, le principe d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi.

Vous faites une lecture a contrario de la décision du Conseil qui n’est pas la mienne. Je veux redire ici que l’absence d’ordonnances ne change rien à l’application de notre droit aux couples de personnes de même sexe et aux filiations adoptives.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Pour ma part, je ferai deux commentaires. Premièrement, je tiens à rappeler – mais chacun ici s’en souvient – que la commission des Lois a affirmé une position constante : nous avons toujours dit que l’article « balai » suffisait. C’est le Gouvernement qui a défendu le principe des ordonnances. D’ailleurs, lorsque le rapporteur a introduit l’article 6-1, c’était dans un chapitre préliminaire du code civil afin de signifier que ses dispositions valaient pour le code civil et pour notre droit en général, à l’exemple du principe de non-rétroactivité de la loi qui figure au début du code civil et s’applique à l’ensemble de notre droit. Sur ce point, nous avons la logique pour nous.

Deuxièmement, je rejoins Erwann Binet sur la lecture de la décision du Conseil constitutionnel du 17 mai 2013. Vous avez cité des considérants de cette décision et le mémoire en défense du Gouvernement. Je voudrais livrer à votre réflexion ce qui est écrit par le Conseil dans les commentaires figurant dans les Cahiers du Conseil constitutionnel : « Le fait que l’introduction d’un nouvel article 6-1 dans le code civil par l’article 13 permette déjà de satisfaire à l’opération intellectuelle de substitution terminologique dans l’ensemble de la législation… ». Le Conseil admet ainsi que l’article suffisait à satisfaire à l’opération de substitution terminologique.

Je vais, non pas « demander des comptes » au Gouvernement, mais l’interroger afin de connaître les raisons pour lesquelles, alors qu’il a demandé une habilitation au Parlement, il ne s’en est pas servi. Il me paraît tout à fait légitime qu’il puisse développer son point de vue. La Commission en sera ainsi éclairée. Je vous remercie donc de votre suggestion.

La séance est levée à 12 heures 15.

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Informations relatives à la Commission

La Commission a désigné :

– M. Jean-Michel Clément, rapporteur sur la proposition de loi, adoptée par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, tendant à renforcer la lutte contre la contrefaçon (n° 1575).

– M. Alain Tourret, rapporteur sur la proposition de nomination de M. Jean-Louis Nadal aux fonctions de président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique et de Mme Danièle Rivaille comme membre de cette Haute Autorité.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Nathalie Appéré, M. Christian Assaf, Mme Marie-Françoise Bechtel, M. Erwann Binet, M. Jean-Pierre Blazy, M. Jacques Bompard, M. Marcel Bonnot, M. Dominique Bussereau, Mme Colette Capdevielle, Mme Marie-Anne Chapdelaine, M. Éric Ciotti, M. Jean-Michel Clément, M. Sergio Coronado, M. Carlos Da Silva, M. Marc-Philippe Daubresse, M. Jean-Pierre Decool, M. Sébastien Denaja, Mme Françoise Descamps-Crosnier, M. Patrick Devedjian, M. Marc Dolez, M. René Dosière, M. Philippe Doucet, M. Olivier Dussopt, M. Matthias Fekl, M. Georges Fenech, M. Hugues Fourage, M. Yann Galut, M. Guy Geoffroy, M. Bernard Gérard, M. Yves Goasdoué, M. Philippe Gosselin, M. Philippe Goujon, M. Philippe Houillon, Mme Marietta Karamanli, Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, M. Guillaume Larrivé, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, Mme Anne-Yvonne Le Dain, Mme Axelle Lemaire, M. Bernard Lesterlin, M. Paul Molac, M. Pierre Morel-A-L’Huissier, Mme Nathalie Nieson, M. Jacques Pélissard, M. Sébastien Pietrasanta, Mme Elisabeth Pochon, M. Jean-Frédéric Poisson, M. Dominique Raimbourg, M. Alain Tourret, Mme Cécile Untermaier, M. Jean-Jacques Urvoas, M. Daniel Vaillant, M. Jacques Valax, M. François Vannson, M. Patrice Verchère, M. François-Xavier Villain, M. Jean-Luc Warsmann, Mme Marie-Jo Zimmermann, M. Michel Zumkeller

Excusés. - Mme Laurence Dumont, M. Édouard Fritch, M. Daniel Gibbes, M. Alfred Marie-Jeanne, M. Edouard Philippe, M. Bernard Roman, M. Roger-Gérard Schwartzenberg

Assistait également à la réunion. - Mme Sophie Rohfritsch