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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mardi 10 décembre 2013

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 26

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, Président

– Audition de Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes, sur le projet de loi, adopté par le Sénat, pour l’égalité entre les femmes et les hommes (n° 1380) (M. Sébastien Denaja, rapporteur)

La séance est ouverte à 17 heures.

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, président.

La Commission procède à l’audition de Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes, sur le projet de loi, adopté par le Sénat, pour l’égalité entre les femmes et les hommes (n° 1380) (M. Sébastien Denaja, rapporteur).

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Nous avons le plaisir d’accueillir Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes, venue nous présenter le projet pour l’égalité entre les femmes et les hommes, dont notre collègue Sébastien Denaja est le rapporteur et que notre Commission examinera le 18 décembre prochain. L’occasion vous est ainsi donnée, madame la ministre, de nous dire aussi votre sentiment sur l’enrichissement de ce texte au cours de sa lecture au Sénat, d’une manière quelque peu surprenante au regard de la cohérence que vous souhaitiez lui donner. Je ne doute pas que, si l’objectif initial a été dévié, l’Assemblée nationale s’attachera à redresser la trajectoire.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes, porte-parole du Gouvernement. Un Gouvernement qui a souvent souligné que l’essentiel, en matière de droits des femmes, est l’effectivité de la législation existante devait-il élaborer un nouveau texte relatif à l’égalité entre les sexes ? Oui, il le devait. Depuis dix-huit mois, je me suis employée à faire appliquer le droit existant, notamment en matière d’égalité professionnelle, si bien que les entreprises qui ne respectent pas leurs obligations sont finalement sanctionnées sur le plan financier. Toutefois, des lacunes demeurent, notamment dans notre législation sociale : ainsi, des femmes restent démunies en cas d’impayés de pensions alimentaires, et l’ordonnance de protection, utile dispositif adopté en 2010, doit être renforcée. Un texte devait combler ces failles, tout en apportant un souffle et une ambition à la politique suivie.

Pourquoi, par ailleurs, inclure dans le champ d’un seul texte des dispositions portant sur l’égalité professionnelle, d’autres sur les violences faites aux femmes, d’autres encore sur le respect de la parité ? C’est qu’il y a une continuité dans les inégalités, et que nous devons nous y attaquer de manière cohérente. Voilà pourquoi le projet traite à la fois de la répartition des tâches domestiques ; de la situation des femmes après que les couples se sont séparés ; de la lutte contre les violences faites aux femmes au sein des couples ; de la parité dans l’accès aux responsabilités. Ces questions intimement liées en disent long sur une structuration sociale qui tolère que les femmes soient systématiquement moins bien considérées que les hommes.

Telles sont les préoccupations que traduit le texte. Dans le premier titre, consacré à l’égalité professionnelle, le projet traite – enfin – de la répartition des tâches familiales. En proposant une réforme du congé parental, qui permet aux pères de prendre un tel congé de six mois – c’est une possibilité qui leur est offerte, non une obligation qui leur est faite –, nous agissons sur la sphère domestique car nous savons ses effets sur l’égalité professionnelle : tout en incitant les pères à partager les responsabilités parentales, nous visons à réduire l’éloignement des femmes du marché du travail pendant trois ans, dont toutes les études montrent l’effet préjudiciable pour la suite de leur carrière.

Par ailleurs, nous simplifions et rendons plus efficace la négociation sur l’égalité professionnelle et salariale entre les femmes et les hommes au sein de l’entreprise. Dans le rapport de situation comparée, des indicateurs plus lisibles permettront de mieux évaluer si l’entreprise se conforme ou non à ses obligations. Le projet prévoit ainsi la création d’un indicateur permettant de suivre la part des femmes dans les taux de promotion et le Sénat a ajouté l’analyse des écarts de rémunération par niveaux de qualification et par âge.

D’autre part, je recevrai sous peu le rapport de la mission sur les techniques de preuves en matière de discriminations collectives confiée à Mme Laurence Pécaut-Rivolier ; je proposerai par amendement d’introduire dans le texte ses recommandations tendant à rendre possible l’action de groupe en de tels cas.

Enfin, comme l’ont fait notamment le Québec et la Belgique, nous jouons sur le levier puissant de la commande publique : les entreprises de plus de cinquante salariés devront démontrer le respect de leurs obligations en matière d’égalité professionnelle pour soumissionner à des marchés publics.

Le deuxième titre du projet prévoit des dispositions relatives à la lutte contre la précarité des femmes. Ces dernières années, les pouvoirs publics ont ignoré les conséquences de la séparation d’un couple. Or, la séparation induit une vulnérabilité différente selon que l’on est une mère, qui se trouve souvent plongée dans la précarité économique, ou un père
– dont les liens avec ses enfants se distendent, les hommes s’étant peu investis avant la séparation dans la vie domestique et dans le foyer. Sachant que 40 % des pensions alimentaires sont impayées ou payées irrégulièrement, il importait de faire sortir les mères concernées de la « galère » dans laquelle elles se trouvent alors plongées. Aussi avons-nous décidé d’instaurer une garantie publique contre les impayés de pensions alimentaire, assurée par les caisses d’allocations familiales (CAF). Les caisses joueront le rôle de médiateur entre les membres du couple séparé et se substitueront au parent défaillant dès la première mensualité impayée en versant une allocation de soutien familial qu’elles se chargeront ensuite de recouvrer auprès du débiteur. C’est une belle réforme, que nous expérimenterons pendant dix-huit mois dans une vingtaine de départements pour mettre au point des techniques de médiation adaptées.

Toujours pour aider les familles monoparentales modestes après la séparation, nous instituons la prise en charge des frais de garde par des assistants maternels en tiers payant.

Le troisième titre du texte s’articule avec le 4e plan de lutte contre les violences faites aux femmes que j’ai annoncé il y a quelques jours : nous transcrivons dans la loi les mesures d’ordre législatif qu’il contient. L’efficacité de l’ordonnance de protection est renforcée, sa durée étant portée à six mois et sa délivrance accélérée ; le téléphone portable d’alerte « grand danger » est généralisé dans le cas de violences conjugales, mais aussi de viols – c’est un enrichissement du texte lors de sa lecture au Sénat ; mesure très attendue, la médiation pénale est supprimée dans les cas de violences conjugales ; l’éviction du conjoint violent du domicile est rendue systématique ; enfin, les femmes étrangères victimes de violences conjugales ou de traite sont exonérées de taxes et de timbres pour leur demande de titres de séjour.

Le projet crée aussi une mesure à laquelle je tiens particulièrement : le suivi des auteurs de violences et la prévention de la récidive par le biais de stages spécifiquement conçus pour les auteurs de violences faites aux femmes. Cette disposition pédagogique innovante est d’autant plus utile que, très souvent, le couple reste formé après que des violences ont été commises. Enfin, nous proposons de confier au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) une nouvelle prérogative, qui le conduira à veiller avec vigilance à ce que les médias ne diffusent rien qui porte atteinte à la dignité des femmes : images dégradantes, violences qui leur sont faites ou stéréotypes sexistes.

Le quatrième titre du projet contient des dispositions visant à mettre en œuvre la parité. Les obligations instituées en cette matière pour les élections législatives n’ont manifestement pas suffi ; nous proposons donc de doubler les sanctions financières encourues par les partis politiques qui ne respectent pas le principe de la parité. Le texte fait passer de 75 % à 150 % de l’écart entre le nombre de candidats et le nombre de candidates le taux de modulation prévu sur la première fraction de financement public des partis politiques. Cette mesure aura un effet dissuasif certain.

Enfin, le texte généralise le principe de la parité, qui s’imposera à tous les secteurs, toutes les responsabilités et toutes les fonctions, dans les fédérations sportives comme dans les organismes consulaires, ordres professionnels, autorités administratives indépendantes et commissions consultatives placées auprès de l’État. La composition de quelque six cents organismes devra ainsi être reconsidérée.

Je conclurai par un mot sur la manière dont le texte a été complété au Sénat. Je suis très attachée à ce que la colonne vertébrale du projet soit préservée. Il ne s’agit pas d’adopter un projet traitant de « diverses dispositions relatives aux femmes », et nous devons donc éviter de nous disperser. Ce disant, je pense notamment aux dispositions privilégiant le recours à la résidence alternée introduites par le Sénat contre l’avis du Gouvernement. Outre que l’amendement est critiquable sur le fond car il n’évoque pas l’intérêt supérieur de l’enfant comme pivot de la décision du juge, il n’a pas sa place dans ce texte. Je demanderai donc la suppression de cette disposition.

À l’initiative de Mme Chantal Jouanno, préoccupé par la question de l’hyper-sexualisation des petites filles, le Sénat a d’autre part introduit dans le projet l’interdiction des concours de beauté pour enfants, dit concours de « mini-miss ». Dans l’absolu le sujet mérite notre attention, et nous devons nous doter des outils nécessaires pour contrôler ce phénomène, mais j’estime que la mesure adoptée – de caractère général et assortie de peines très fortes en cas d’infraction – est excessive et je souhaite que votre Assemblée se saisisse de ce sujet. Je préconiserais de limiter l’interdiction aux concours de beauté pour les mineurs de 13 ans et de prévoir, pour les enfants âgés de 13 à 18 ans, un dispositif d’autorisation individuelle.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Madame la ministre, je vous remercie. La parole est à notre rapporteur, et j’indique d’emblée que je compte sur lui pour que les très nombreuses demandes de remise de rapports du Gouvernement au Parlement contenues dans le texte issu du Sénat ne franchissent pas le seuil de la salle de notre Commission.

M. Sébastien Denaja, rapporteur. La « jurisprudence Urvoas » sur les rapports demandés au Gouvernement sera appliquée sans faillir, monsieur le président.

Pendant l’un de ces moments de grâce où l’on peut mettre en adéquation ses convictions et ses actes, je m’occupais hier de mon fils de 22 mois, et regardais en sa compagnie une émission pour les enfants à la télévision. Il se trouve que celle-ci a été suivie d’une autre – Les Maternelles – au cours de laquelle je vous ai entendue défendre, madame la ministre, le projet de loi que vous êtes venue nous présenter aujourd’hui. J’ai alors assisté à un épisode instructif : le journaliste demandant à un jeune garçon si, selon lui, l’égalité entre les femmes et les hommes était réalisée en France, celui-ci a répondu : « Pas complètement, mais assez ». Cette réponse résume l’objectif du projet de loi : passer de « assez » à « complètement », c’est-à-dire aller à l’idéal en comprenant le réel selon les mots de Jean Jaurès.

Le texte aborde pour la première fois la question de l’égalité entre les femmes et les hommes de manière transversale. C’est nécessaire, car les inégalités persistantes appellent une réponse globale. Nous veillerons à ce que le texte issu du Sénat retrouve, par une rédaction resserrée, sa cohérence et sa clarté initiales. Pour ce qui est de l’égalité professionnelle, je vous ai entendue avec plaisir, madame la ministre, évoquer la possibilité d’éventuelles actions de groupe en matière de discriminations, salariales notamment, entre hommes et femmes. Sans revenir en détail sur le corps du texte, que vous nous avez présenté de manière exhaustive, je salue un projet qui fera considérablement progresser les droits des femmes. Nous répondrons ainsi au souhait exprimé par le président de la République : passer d’une égalité de droits à une égalité réelle.

Ma première question a trait à la démarche expérimentale prévue dans trois articles du projet : l’article 5, qui porte sur la conversion des droits accumulés sur le compte épargne-temps pour financer des prestations de garde d’enfant ; l’article 6, qui tend à améliorer les conditions de versement de l’allocation de soutien familial (ASF) en cas de non-paiement de la pension alimentaire ; l’article 6 septies, introduit par le Sénat en première lecture pour expérimenter le versement du complément de mode de garde de la prestation d’accueil du jeune enfant (Paje) directement à l’assistante maternelle. Pourquoi recourir ainsi aux expérimentations, au risque de créer des ruptures d’égalité entre les citoyens selon leur département de résidence ? J’envisage de proposer que la durée de ces expérimentations soit réduite à dix-huit mois et je souhaite connaître l’avis du Gouvernement à ce sujet.

L’article 2 institue le partage entre les parents du complément de libre choix d’activité (CLCA), dénommé « prestation partagée d’accueil de l’enfant » par le Sénat. Je lui préférerais un autre intitulé : la prestation partagée d’éducation de l’enfant (PreParE). Y seriez-vous favorable ?

Je salue à cet article l’une des mesures phares du projet, qui vise à impliquer davantage les pères dans l’éducation des jeunes enfants et à provoquer l’évolution des mentalités en incitant les hommes à prendre un congé parental à la naissance de leur enfant. Actuellement, seuls 18 000 pères le font chaque année ; à en croire l’étude d’impact, la mesure nouvelle permettrait que l’on parvienne à 100 000. Cependant, le niveau de remplacement du salaire pourrait contrecarrer cet objectif en dissuadant de nombreux pères de s’arrêter de travailler pendant six mois. Aussi conviendrait-il de compléter le dispositif de deux manières : d’une part, en étendant le complément optionnel de libre choix d’activité (COLCA) – que le texte permet aussi de partager – aux parents de deux enfants et non plus aux seuls parents de trois enfants et plus, comme c’est le cas aujourd’hui ; d’autre part, en faisant obligation aux pères de prendre leur congé de paternité de 11 jours, ou de 3 jours à tout le moins. Le Gouvernement reprendra-t-il à son compte ces propositions que les contraintes de la recevabilité financière m’empêchent de porter ?

À l’article 3, seriez-vous favorable à l’idée d’étendre aux contrats de partenariat et aux délégations de service public l’interdiction de soumissionner aux marchés publics faite aux entreprises qui ne respectent pas l’égalité entre les femmes et les hommes ? Ne pourrait-on inclure aussi dans ce dispositif les mesures relatives à la représentation des femmes au sein des conseils d’administration et des conseils de surveillance des sociétés ?

Par ailleurs, la suppression « sèche », par le Sénat, de la médiation pénale en cas de violences conjugales ne laisse pas d’interroger. Si cette mesure est supprimée de la palette des juges, ne risque-t-on pas que les parquets classent sans suite nombre de requêtes ? Ne conviendrait-il pas de revenir aux dispositions prévues dans le texte initial ?

Enfin, le Sénat a complété le texte par une disposition interdisant les concours de beauté entre enfants – des fillettes dans la très grande majorité des cas – âgés de moins de 16 ans, dit concours de « mini-miss » et prévu une peine de deux ans d’emprisonnement pour ceux qui ne respecteraient pas cette interdiction. Cela me paraît excessif et je préférerais le dispositif « à deux étages » que vous avez mentionné, prévoyant l’interdiction de ces concours en deçà d’un certain âge et un régime d’autorisation préalable au-delà et jusqu’à seize ou dix-huit ans.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. J’indique que, selon notre pratique coutumière, l’audition, aujourd’hui, de Mme la ministre vaut discussion générale ; aussi engagerons-nous directement, le 18 décembre, l’examen des articles du projet de loi.

Mme Axelle Lemaire. Je vous remercie, madame la ministre, pour le travail que vous menez au Gouvernement et je vous félicite pour l’approche transversale que vous avez retenue. On la retrouve dans ce texte et elle donne une dynamique nouvelle à l’objectif d’égalité réelle que vous visez. Je puis témoigner que la diplomatie commence à porter ses fruits à l’international, même si je regrette amèrement que le Parlement européen, contrairement à ce que souhaitait le groupe socialiste, n’ait pas adopté le rapport Estrela.

J’aimerais connaître votre avis sur plusieurs sujets susceptibles de donner lieu à amendements. En premier lieu, le code du travail interdit l’emploi d’une salariée pendant une durée de huit semaines autour de la date de l’accouchement ; seriez-vous favorable à ce que la loi interdise aussi le travail des pères pendant trois jours, à la naissance de leur enfant, ce qui leur permettrait d’accompagner les mères à un moment crucial de l’exercice de la parentalité ?

Vous avez par ailleurs évoqué la « galère » vécue par certaines femmes élevant seules leurs enfants et qui subissent les contraintes du travail à temps partiel. De fait, 83 % des salariés à temps partiel sont des femmes, et nombre d’entre elles sont soumises à un travail précaire, singulièrement dans le secteur des emplois de services à la personne. Ces emplois exigent souvent la station debout, un travail répétitif, des postures contraignantes, de multiples déplacements, des horaires matinaux ou très tardifs et des amplitudes horaires excessives ; tout cela conduit bien souvent à des troubles musculo-squelettiques. Soutiendriez-vous un amendement faisant bénéficier les employés de ce secteur des mêmes examens médicaux que les autres professions à forte pénibilité ?

Dans un autre domaine, que penseriez-vous de la création d’une crèche à l’Assemblée nationale ?

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Il ne me paraît pas que cela soit l’affaire du Gouvernement.

Mme Axelle Lemaire. Soit ; mais aurait son utilité le fait que la ministre des Droits des femmes exprime, par principe, le sentiment que, dans le temple de la démocratie, il est anormal qu’un service de garde des jeunes enfants ne soit pas proposé aux très nombreux salariés qui y travaille.

S’agissant du renforcement de la féminisation de la vie politique, approuveriez-vous que le statut du suppléant du député soit modifié pour permettre qu’il remplace une députée en cas de congé maternité, comme cela se pratique dans certains pays nordiques ?

Le Gouvernement s’est saisi de la préoccupante question des mariages forcés, et la loi du 5 août 2013 a introduit dans le code pénal une nouvelle incrimination permettant de sanctionner les parents qui envoient leur enfant « au pays » pour y être marié sous la contrainte. Vous avez aussi demandé à la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) d’évaluer les conséquences de l’application du droit international privé sur le droit des femmes. Dans son avis, la CNCDH formule des propositions de nature législative propres à pallier les difficultés de coordination en droit international ; êtes-vous favorable à ce que de telles dispositions soient transcrites dans la loi ?

Mme Monique Orphé, rapporteure pour avis de la commission des Affaires sociales. Nous sommes unanimes à considérer le texte qui nous est soumis aujourd’hui comme un progrès marquant sur la voie de l’égalité entre les femmes et les hommes. Je salue la démarche intégrée qui a été choisie ; elle montre votre volonté, madame la ministre, de conduire une politique transversale pour mettre fin aux inégalités, encore criantes, entre les sexes. Cependant, au cours des auditions, certaines interrogations, demandes et critiques ont été exprimées, sur lesquelles j’aimerais connaître votre position.

Que répondre aux associations qui voient dans le partage entre les parents du complément de libre choix d’activité (CLCA) une mesure d’économie davantage qu’un souci de partage des responsabilités ? Que dire à ceux qui jugent que l’inclusion du congé maternité dans le décompte de la durée du CLCA pénalisera les parents d’un seul enfant ? Seriez-vous favorable à l’extension du complément optionnel de libre choix d’activité (COLCA) aux familles de deux enfants et à l’allongement de la durée du congé parental pour les familles accueillant des triplés ? Que penseriez-vous de la fusion entre le congé de naissance et le congé de paternité en cas de naissances multiples ? Pourriez-vous envisager de rendre obligatoire la première fraction du congé de sept jours consécutifs à la naissance de l’enfant ?

S’agissant des violences faites aux femmes, seriez-vous favorable à la suspension de l’autorité parentale pour l’auteur des violences pendant la durée de l’ordonnance de protection ? Approuveriez-vous la suppression de l’autorité parentale quand il y a crime sur le conjoint ? Accepteriez-vous de reconnaître à l’enfant le statut de victime en cas de violences aggravées commises sur sa mère, et en cas de récidive ? Approuveriez-vous le principe de l’injonction d’expertise psychologique et d’obligation de soins pour les auteurs de violences ?

Enfin, envisagez-vous des dispositions sur l’inceste ?

M. Guy Geoffroy. J’approuve les orientations et le contenu du texte. Comme vous, madame la ministre, et comme le rapporteur, je serais favorable à ce que certaines des évolutions apportées par le Sénat ne prospèrent pas.

Pourriez-vous confirmer que rien n’est changé de l’esprit de la loi de 2010 relative aux violences faites aux femmes, et que l’on continuera de lutter contre ces violences après la dissolution du mariage ? Une ambiguïté dans votre propos évoquant les violences au sein des couples m’a fait douter qu’il en soit bien ainsi et il serait malencontreux que l’on revienne sur une disposition nécessaire.

Nous avions pensé avoir trouvé, en 2010, la solution répondant à toutes les attentes en définissant le moment à partir duquel on pouvait considérer que des violences conjugales sont avérées : quand l’ordonnance de protection est rendue. Il était établi qu’alors, sauf volonté expresse de la victime des violences, le recours à la médiation pénale serait impossible dans le cadre d’une procédure engagée pour obtenir une ordonnance de protection. Vous allez plus loin et j’en suis d’accord, mais les dispositions que vous proposez seront-elles aisément mises en œuvre ? À partir de quel moment et comment une juridiction considérera-t-elle que le « statut » de victime est avéré, de manière que le recours à la médiation pénale soit interdit d’office par le parquet ?

Mme Catherine Coutelle. Nous nous félicitons de ce projet de loi. La Délégation aux droits des femmes a auditionné la ministre, qui a d’ores et déjà répondu à certaines de nos préoccupations. Le texte doit conserver toute sa force, et ses orientations principales, leur clarté. À cet égard, nous avons voulu définir, à l’article premier, ce que doit comporter une politique d’égalité entre les hommes et les femmes ; je souhaite donc vivement la suppression, au deuxième alinéa, de l’adverbe « notamment », qui laisse entendre que cette politique pourrait avoir d’autres composantes, non dites. Par ailleurs, ne pourrait-on écrire que « la loi garantit la parité » ? La volonté de parité n’est jamais flagrante. D’ailleurs, depuis que ce projet est annoncé, on a entendu s’exprimer toutes sortes de frilosités et de corporatismes bien connus dans des secteurs où la parité est loin d’être acquise. Nous ne devons pas hésiter à agir pour qu’elle progresse assez vite – et, pour moi, la parité signifie 50 % d’hommes et 50 % de femmes, et cela exclusivement.

Le texte met avec raison l’accent sur certains aspects jusqu’ici occultés ou oubliés. Je suis particulièrement satisfaite que le projet souligne la précarité subie par les femmes chefs de famille après un divorce : une récente étude conduite par deux sociologues, qui ont suivi des juges aux affaires familiales pendant un an, a mis en lumière que les ressources des femmes diminuent de 20 à 25 % à la sortie du tribunal entérinant la séparation, alors que celles des hommes augmentent après le divorce. Il y a là une inégalité fondamentale à laquelle le texte apporte un début de correction.

En revanche, le projet ne dit rien de la féminisation des noms de métiers et des titres. Je sais l’objection qui me sera faite, une fois de plus : « L’Académie ! L’Académie ! ». Mais doit-on vraiment en rester à la France du XVIIe siècle et aux prescriptions des Académiciens français qui, en 1647, expliquaient posément que « le genre masculin étant le plus noble, il doit prédominer chaque fois que le masculin et le féminin se trouvent ensemble » ?

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Si vous ouvrez la liste des citations trouvées, à ce sujet, dans le dictionnaire de l’Académie française, nos débats risquent de perdre en sérénité…

M. Bernard Lesterlin. Je m’associe aux appréciations très positives déjà portées sur le texte. Je suis très attaché au travail que vous accomplissez, madame la ministre, à votre engagement et au projet auquel vous avez abouti. Je souhaite vous poser deux questions au nom de Mme Marie-Françoise Clergeau, qui est retenue par ses obligations de Questeure de l’Assemblée nationale. La première a trait au COLCA, actuellement réservé aux parents de trois enfants ; seriez-vous favorable à une expérimentation, dans certains départements, tendant à en étendre le bénéfice aux familles de deux enfants ? Notre collègue souhaite également savoir si vous accepteriez d’aligner la durée du congé parental d’éducation pour les familles qui accueillent des triplés sur celle de la prestation partagée d’accueil de l’enfant, qui peut atteindre six ans.

À titre personnel, j’aimerais des précisions sur les activités de l’Observatoire des violences faites aux femmes.

Mme Brigitte Bourguignon. Je vous remercie, madame la ministre, pour ce texte. Ma question portera sur le volet relatif à la parité. Nous savons, toutes et tous, que certains partis politiques préfèrent perdre une partie d’un financement public plutôt que de présenter des candidates aux élections législatives. Dans ce contexte, doubler la retenue sur ce financement en la faisant passer à 150 % aura-t-il un effet suffisamment dissuasif ? Ne faudrait-il pas faire passer la modulation de la première fraction du financement de 75 % à 200 % de l’écart entre le nombre de candidats et le nombre de candidates, et durcir aussi la modulation relative à sa deuxième fraction ? Enfin, la méthode du rattachement permet, on le sait, de présenter plus de candidats élus que de candidats investis.

La parité doit s’appliquer dans le sport, bien sûr, mais il convient surtout d’établir une règle générale valant pour toutes les structures, dans tous les domaines.

Mme Sophie Rohfritsch. Vous avez partiellement répondu, madame la ministre, à la question que je souhaitais vous poser sur la préférence affichée par le Sénat pour la résidence alternée des enfants lorsque les parents se séparent. J’appelle particulièrement votre attention sur les séparations faisant suite à des violences commises sur la femme. En ce cas, la résidence alternée ne serait à l’évidence pas une bonne solution pour l’enfant, qui a subi un traumatisme durable. J’espère donc que nos collègues reviendront sur cette disposition.

Mme Colette Capdevielle. Nous sommes assez nombreuses et assez nombreux à souhaiter le recentrage du texte sur ce qui en constitue le cœur : l’égalité entre les hommes et les femmes. Permettre qu’il se disperse réduirait sa portée, alors qu’il doit marquer durablement le quinquennat.

Le recours à l’ordonnance de protection progresse à l’allure d’une tortue tétraplégique et, de plus, de manière très inégale selon les départements. Cela peut avoir des conséquences dramatiques. En particulier, lorsqu’une plainte a été déposée au pénal, le juge civil ne veut pas se prononcer avant que cette plainte ait abouti. Tout se passe comme si, au moment d’accorder l’ordonnance de protection, les magistrats éprouvaient des difficultés à évaluer s’il existe des raisons sérieuses de considérer vraisemblables la commission des faits de violence allégués et les dangers auxquels la victime est exposée. Quels sont les freins à l’application de cette mesure ? Comment agir pour qu’elle soit généralisée en France comme elle l’est en Espagne depuis 1989 ?

Après qu’une ordonnance de protection a été rendue, le conjoint marié qui, par la suite, dépose une demande de divorce ou de séparation de corps peut de facto bénéficier du renouvellement de la mesure dans le cadre de l’ordonnance de non-conciliation. Mais encore faut-il que cette décision intervienne dans le délai de quatre mois actuellement - ce qui ne se peut aujourd’hui étant donné l’encombrement des juridictions - , et de six mois si le projet est adopté. Si le délai est dépassé, un vide juridique se crée qui entraîne des situations extrêmement difficiles, et quand le défendeur se livre à des manœuvres dilatoires en demandant des renvois successifs, la victime se trouve finalement sans protection, et le conjoint violent peut réintégrer le domicile conjugal. Le même vide juridique vaut pour les concubins et les couples mariés sans enfant ; que faire dans ces cas ? Au moins faudrait-il ouvrir aux victimes de violences domestiques la possibilité de renouveler une fois, sinon deux, l’ordonnance de protection. Pour les couples non mariés qui ont des enfants, le renouvellement pourrait intervenir dans le cadre de la saisine du juge aux affaires familiales appelé à régler les modalités de la vie de l’enfant ; qu’en pensez-vous ?

Mme Édith Gueugneau. Je juge ce texte d’une importance particulière car j’observe une régression de l’égalité entre les hommes et les femmes et la propagation d’une forme d’irrespect à l’égard des femmes. Des formations destinées aux élus hommes des collectivités locales, bien trop enclins à des attitudes dévalorisantes et sexistes à l’égard du personnel féminin, seraient nécessaires. Vous avez institué « l’ABC de l’égalité » pour les enfants, madame la ministre ; cette formation devrait être poursuivie tout au long de la vie.

Le Gouvernement a annoncé la création de 1 650 places d’hébergement d’urgence destinées aux femmes victimes de violences. Parallèlement, la loi de 2010 a prévu la possibilité de conventions entre l’État et les bailleurs d’une part, l’État et les centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (CROUS) d’autre part, pour augmenter le nombre de logements destinés aux victimes de violences conjugales. Je sais que le CROUS de Versailles a signé une convention de ce type, mais la disposition est-elle généralisée, comme le souhaitait le législateur ? Certains départements, la Saône-et-Loire par exemple, n’ont pas davantage signé de convention à cette fin avec l’État ; là encore, comment inciter à la généralisation ? Enfin, ne pourrait-on envisager des conventions de ce type entre l’État et les collectivités et les communes, acteurs importants en matière de logements, particulièrement en milieu rural ?

Mme Maud Olivier. En matière de viol, le délai de prescription est de dix ans à partir du jour où il a été commis, sauf pour les mineurs de quinze ans, pour lesquels le délai, outre qu’il commence à courir le jour de leur majorité, est doublé. Seriez-vous favorable à l’allongement du délai de prescription à vingt ans pour les personnes majeures aussi ?

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Madame Zimmermann, vous qui avez présidé la délégation aux droits des femmes, souhaitez-vous dire un mot ?

Mme Marie-Jo Zimmermann. Puisque vous m’y invitez, monsieur le président, je dirai seulement que je suis très heureuse que ce projet nous soit présenté. Tout ce qui va dans le sens de l’égalité entre les hommes et les femmes m’agrée.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Alors qu’un groupe de travail a été constitué pour étudier les modalités d’exercice de la coparentalité, l’ajout par le Sénat de dispositions relatives à la résidence alternée pour l’enfant en cas de séparation des parents me gêne ; je plaide en faveur de leur suppression. Le sujet n’est pas indifférent mais il doit être traité dans le cadre d’une réflexion globale, dans l’optique de l’intérêt supérieur de l’enfant, et trouver sa place dans un véhicule législatif plus approprié.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Je crois comprendre que par « véhicule législatif plus approprié », vous faites allusion à la future loi sur la famille, dont la commission des Lois sera naturellement saisie.

Mme Cécile Untermaier. Je souhaite également la suppression de ces dispositions, et aussi de celles qui concernent les concours de beauté pour « mini-miss ». Ces deux sujets touchent à l’intérêt supérieur de l’enfant, non à l’égalité entre les femmes et les hommes.

Je partage l’avis exprimé par Mme Colette Capdevielle à propos de l’ordonnance de protection, mais je souhaite que l’on aille plus loin en prévoyant qu’une fois l’ordonnance rendue, un délai d’un mois s’ouvre qui permette l’examen des droits sociaux ouverts à la personne ainsi reconnue victime de violences – droits sociaux que la séparation a modifiés.

Je souligne tout l’intérêt de l’article 4, grâce auquel le contrat de travail de la collaboratrice libérale ne pourra plus être rompu unilatéralement en cas de grossesse – ce qui est très souvent le cas dans les petites structures – mais seulement suspendu.

Enfin, je suis très réservée à l’idée qu’une victime de violences graves doive consentir à une médiation pénale.

Mme la ministre. Ces nombreuses questions montrent votre intérêt pour ce texte ; je vous en remercie. Je vous remercie aussi, monsieur le rapporteur, pour votre travail de qualité. La démarche expérimentale ne doit pas donner lieu à malentendu : il ne s’agit aucunement de repousser les choix faits dans le cadre de ce projet, mais bien d’aboutir à une généralisation aussi rapide que possible, et en tout cas au cours du présent quinquennat. Nous souhaitons toutefois tester les dispositifs, notamment pour le versement des pensions alimentaires. Je me suis rendue dans le Rhône et en Haute-Garonne, deux des vingt départements qui participeront à l’expérimentation, où j’ai rencontré des agents des CAF très engagés dans l’élaboration des nouvelles procédures. Cette manière de procéder me paraît plus intéressante que lorsque les lois, parce qu’elles n’ont pas été intériorisées par ceux qui sont chargés de les appliquer, ne le sont pas. Les expérimentations sociales ainsi menées créent une émulation entre les CAF, qui cherchent à développer une expertise propre – sur le difficile sujet du recouvrement des pensions alimentaires à l’étranger par exemple. Ces expérimentations se justifient pleinement, et la durée de dix-huit mois prévue me semble être la bonne. Nous avons par ailleurs, souhaité expérimenter la mesure relative au compte épargne-temps pour nous assurer, avant de la généraliser, qu’elle ne conduit pas, comme certains de ses détracteurs le disent, à revenir sur les 35 heures.

Votre proposition, monsieur le rapporteur, consistant à renommer « prestation partagée d’éducation de l’enfant », PreParE, la prestation partagée d’accueil de l’enfant me paraît excellente.

Les parents de trois enfants et plus peuvent actuellement renoncer à prendre le congé parental de trois ans au profit d’un COLCA, plus court – un an – mais mieux rémunéré
– 800 euros au lieu de 400 ou 500 euros. Plusieurs d’entre vous, dont Mme Marie-Françoise Clergeau, ont suggéré d’ouvrir cette possibilité aux familles de deux enfants, à titre expérimental. Je me félicite de cette dernière précision, car il faut éviter qu’en ouvrant une possibilité supplémentaire, on n’incite des femmes qui ne l’auraient pas fait hors ce cadre à s’arrêter de travailler pendant un an, ce qui a un effet néfaste sur la suite de leur carrière. Je trouve intéressant d’avoir un outil de plus dans la palette à proposer aux ménages. Je suis donc favorable à cette proposition sous la forme d’une expérimentation dont le bilan sera évalué.

Vous avez suggéré, monsieur le rapporteur, de rendre obligatoire le congé de paternité. L’idée, séduisante, suscite une difficulté juridique : si l’obligation faite aux mères de ne pas travailler dans les semaines qui entourent la naissance se justifie par le souci de protéger leur santé, l’argument ne vaut pas pour les pères. D’autre part, étant donné le niveau d’indemnisation de ce congé, le rendre obligatoire pourrait poser des problèmes financiers à certaines familles. Je rappelle que le congé parental reste optionnel.

Cependant, la courbe du congé de paternité est fortement ascendante. Déjà, deux tiers des pères en usent, mais de manière contrastée : ils sont près de 100 % à le faire dans la fonction publique, et 30 % dans les professions indépendantes – mais comment obliger un boulanger, par exemple, à s’absenter trois jours ? Je privilégierais plutôt une autre approche. Les sommes dépensées par les employeurs pour financer les congés paternité sont prises en compte au titre de la prévoyance complémentaire, si bien qu’elles ouvrent droit à des déductions fiscales et sociales, mais cette disposition, méconnue, n’est presque jamais utilisée. Je serais donc favorable à la sensibilisation des employeurs à ce sujet, pour inciter les nouveaux pères à prendre le congé de paternité, dont l’attrait serait ainsi rappelé.

Je ne vois pas d’objection à étendre aux contrats de partenariat l’interdiction de soumissionner aux marchés publics faite aux entreprises qui ne respectent pas l’égalité entre les femmes et les hommes ; pour les délégations de service public, il nous faudra vérifier avec les services du ministère de l’Économie et des finances que la disposition est compatible avec la directive sur les concessions. En revanche, le Conseil d’État, considérant que la mesure introduirait une rupture d’égalité entre les hommes et les femmes et une atteinte à la liberté d’accès à la commande publique, nous a dissuadés d’inclure dans ce dispositif les mesures relatives à la représentation des femmes au sein des conseils d’administration et des conseils de surveillance des sociétés.

Pour ce qui concerne la médiation pénale en cas de violences conjugales, je suis comme vous, monsieur le rapporteur, favorable au retour au texte initial, qui laisse au juge un pouvoir d’appréciation.

La proposition faite par Mme Cécile Untermaier de retrancher du texte toute mesure relative aux concours de beauté pour « mini-miss » me surprend, car une disposition relative à des cas d’hyper-sexualisation des petites filles, selon le juste terme de la sénatrice Chantal Jouanno, a toute sa place dans un texte relatif à l’égalité entre les hommes et les femmes. Nous pourrions nous mettre d’accord sur un dispositif « à deux étages » moins catégorique que l’interdiction absolue voulue par le Sénat, en prévoyant l’interdiction de tels concours pour les mineurs de 13 ans et, pour les enfants âgés de 13 à 16 ans, un régime d’autorisation individuelle tel qu’il en existe pour les enfants engagés dans les entreprises de spectacle ou employés comme mannequins.

Je partage les préoccupations exprimées par Mme Axelle Lemaire à propos des femmes employées dans le secteur des services à la personne, pour la plupart peu diplômées et d’un âge moyen assez élevé. Ces activités, pour lesquelles les conditions de travail laissent à désirer, devraient être un sas permettant la promotion à d’autres emplois, mais elles se révèlent vite une impasse faute de formation des salariées concernées. Cela étant, par leur présence, les employées du service à la personne permettent aussi à d’autres femmes de travailler. Mon collègue Michel Sapin, ministre du Travail, et moi-même, avons décidé d’engager une réflexion conjointe à ce sujet, à laquelle j’aimerais vous associer, madame Lemaire. Nous organiserons prochainement une conférence de progrès sur la qualité de l’emploi dans ce secteur. Nous voulons évaluer les perspectives qu’offrent les services à la personne, de manière que les dispositions nécessaires figurent notamment dans le texte à venir sur la formation professionnelle, qu’il s’agisse de la formation, de la mutualisation des employeurs ou de l’organisation de la journée de travail pour éviter l’émiettement des heures travaillées. Je suis assez ouverte aux propositions d’amendements sur la pénibilité, mais sachez que toutes les réponses à ces questions ne trouveront pas leur place dans le texte qui vous est présenté aujourd’hui.

Le Gouvernement n’a bien sûr aucune opinion sur la création d’une crèche à l’Assemblée nationale… mais je pourrais vous dire, hors les murs de votre Commission, tout le bien que j’en pense. De même, c’est du Parlement que relève la modification, qui me paraît très pertinente, du statut du suppléant permettant qu’il se substitue à une députée en congé de maternité. La question me semble devoir être creusée tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat et dans les assemblées locales.

Vous l’avez rappelé, le Gouvernement a introduit dans la loi du 5 août 2013 portant diverses dispositions d’adaptation dans le domaine de la justice une nouvelle incrimination visant les mariages forcés. Outre cela, j’ai demandé à M. Olivier Noblecourt, adjoint au maire de Grenoble, de présider une mission de réflexion sur les femmes migrantes et le droit. Il rendra ses conclusions sous peu et je compte m’appuyer sur ses préconisations pour enrichir le texte.

Non, madame Orphé, le partage du CLCA entre les parents n’est pas une mesure d’économie, puisque si les pères ne prenaient pas tous, tout de suite, le congé parental, les ressources ainsi rendues disponibles seraient intégralement consacrées à la création de places de crèches d’une part, à l’accompagnement des femmes sans emploi à la fin de la période de versement du CLCA d’autre part. Nous souhaitons vivement inciter à ce partage. C’est possible, la réforme allemande de 2007 qui a inspiré cette mesure le montre : cinq ans après son entrée en vigueur, 20 % des pères d’Allemagne avaient recours au dispositif ; ils n’étaient que 3 % avant la réforme.

Il n’est nullement question de réduire la durée du congé pour le premier enfant ; la rédaction du texte sera corrigée pour lever toute ambiguïté à ce sujet.

Je donnerais un avis favorable à un amendement qui viserait, comme Mme Marie-Françoise Clergeau et vous-même l’avez suggéré, à aligner la durée du congé parental d’éducation pour les familles qui accueillent des triplés sur celle de la prestation partagée d’accueil de l’enfant.

C’est exact, la législation n’est pas aussi claire qu’elle devrait l’être sur ce qu’il advient de l’autorité parentale de l’auteur de violences ou de crime sur conjoint. C’est toujours l’intérêt supérieur de l’enfant qui doit guider notre action. Je serais donc très favorable à ce qu’un amendement prévoie les règles de suspension de l’autorité parentale en ce cas.

Enfin, Mme Marie-Louise Fort avait déposé une proposition de loi relative à l’inceste, mais le texte, tel que complété par le Sénat, a été censuré par le Conseil constitutionnel. Je serais favorable à ce que l’on en revienne à l’esprit initial de la proposition et je serais favorable au dépôt d’un amendement en ce sens. Sur cette question, vous le savez, les avis sont partagés, certains estimant qu’une loi sur l’inceste n’aurait de valeur que symbolique. Mais la loi doit précisément avoir valeur symbolique ; de plus, ne pas devoir prouver le non-consentement à l’inceste modifie la perspective.

Sans doute ai-je parlé de manière elliptique, monsieur Geoffroy, mais soyez assuré que la lutte contre les violences faites aux femmes continuera tant pendant la vie conjugale qu’ultérieurement.

Je ne m’opposerais pas, madame Coutelle, à la suppression du mot « notamment » au deuxième alinéa de l’article premier, et j’approuverais l’introduction dans le texte de la phrase « la loi garantit la parité » ; j’ai même souhaité qu’elle figure dans la Constitution, sans obtenir gain de cause à ce jour. Peut-être le projet a-t-il perdu un peu, lors de son passage au Sénat, pour ce qui est des mesures relatives à la parité dans le sport ; je serais favorable, à ce sujet, au retour au texte initial, équilibré.

La féminisation des noms appelle une réflexion, mais les décisions éventuelles à ce sujet ne sont pas nécessairement d’ordre législatif.

Monsieur Lesterlin, l’Observatoire des violences faites aux femmes a été installé sous le nom de « mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains » (MIPROF). La MIPROF, outil d’innovation et de recherche, œuvre à la cohérence de notre politique de lutte contre les violences faites aux femmes. Elle travaille activement à la réalisation d’un plan de formation des professionnels concernés par les violences faites aux femmes et, avec les administrations de l’État, aux procédures qui permettront l’extension du téléphone « grand danger », ainsi qu’au dispositif d’hébergement d’urgence des femmes victimes de violence. Elle collationne les statistiques et mène des enquêtes. À ce sujet, j’indique qu’une nouvelle enquête nationale sur les violences et rapports de genre, dite enquête Virage, a été lancée, pour la première fois depuis douze ans ; elle se poursuivra jusqu’en 2016 et concernera également l’outremer.

Nous voulions, madame Bourguignon, supprimer tout financement public des partis politiques qui ne respectent pas strictement la parité hommes-femmes. Mais le Conseil d’État a considéré que, au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative à libre expression du suffrage, la diminution de la première fraction de ce financement ne devait pas excéder 150 % de l’écart entre le nombre de candidats de chaque sexe rapporté au nombre total de ces candidats. Pour la même raison, on ne peut agir sur la deuxième fraction de ce financement car ce sont les électeurs qui font le libre choix de leurs élus. La suppression complète du financement public d’un parti politique à raison du non-respect des règles de la parité n’aura donc jamais lieu.

L’article 18 du projet clarifie les modalités de la prise en compte du rattachement.

M. Bernard Lesterlin. Ne vient-on pas d’imposer par la loi la parité aux élections cantonales ?

Mme la ministre. On le peut pour les élections de listes et pour le cas particulier du binôme prévu pour les élections cantonales, pas pour les élections législatives, qui se font au scrutin uninominal.

Vos propos m’ont rassurée, madame Rohfritsch : je pense que le consensus se fera sur la nécessité de supprimer la disposition introduite par le Sénat relative à la garde alternée.

Il est vrai, madame Capdevielle, que le recours à l’ordonnance de protection progresse lentement ; avocats et magistrats doivent être sensibilisés à l’existence de cet outil. Je serais plutôt favorable à votre proposition tendant à ce que, dans le cas de couples non mariés avec enfants, le renouvellement de l’ordonnance de protection intervienne dans le cadre de la saisine du juge aux affaires familiales appelé à statuer sur les modalités de la vie des enfants. Nous nous sommes rendu compte, lors de l’élaboration du plan de lutte contre les violences faites aux femmes, que l’on peut obtenir une ordonnance de protection en dix jours si tous les acteurs concernés se sont organisés autour des besoins des victimes. C’est ce que nous nous efforçons de mettre en place dans les départements, mais certains éléments restent à préciser dans la loi. On pourrait notamment imposer que l’auteur des violences soit systématiquement convoqué par pli d’huissier, au lieu qu’il faille attendre qu’il aille retirer la lettre recommandée qui lui a été adressée, ce qui allonge les délais. Je suis ouverte aux propositions que vous pourriez faire à ce sujet.

Nous réfléchissons au délai de prescription pour les viols sur majeurs ; comme vous, madame Olivier, je serais plutôt favorable à l’allonger à 20 ans.

Vous avez rappelé, madame Gueugneau, que 1 650 places d’hébergement d’urgence destinées aux femmes victimes de violences seront créés d’ici 2017. Chacun doit prendre la mesure de cet effort : à ce jour, il existe 3 000 places de ce type sur l’ensemble du territoire. Ces créations ne suffiront pas à tout régler, mais l’éviction du conjoint violent du domicile familial devrait donner une solution à des situations critiques. Trop peu de départements ont signé des conventions avec les CROUS. Je ne pense pas qu’il faille modifier la loi sur ce point : il faut la faire appliquer. Aussi ai-je demandé aux préfets de solliciter les collectivités afin qu’elles utilisent systématiquement les possibilités qui leur sont ouvertes à ce sujet. J’ai aussi obtenu de ma collègue ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche
– Geneviève Fioraso qui est formidable sur toutes ces questions – qu’elle signe une convention avec le Centre national des œuvres universitaires et scolaires pour donner une nouvelle impulsion à cette disposition.

Comme vous l’avez rappelé, madame Chapdelaine, un groupe de travail réuni sous l’égide de la ministre déléguée à la Famille étudie les modalités d’exercice de la coparentalité. Ses recommandations seront introduites dans le projet de loi sur la famille. De nombreux pères souffrent, et il est légitime de traiter ce sujet dans un cadre ad hoc.

Madame Untermaier, le plan de lutte contre les violences faites aux femmes prévoit la prise en compte de la nouvelle situation des victimes dans le calcul de leurs droits au revenu de solidarité active (RSA) ; une circulaire a été adressée aux CAF et aux caisses de la mutualité sociale agricole pour appeler leur attention sur ce point. Le plan prévoit aussi la disjonction des comptes bancaires et la désolidarisation des dettes. Une réflexion est en cours à ce sujet avec le ministère de l’économie ; ses conclusions n’appelleront pas obligatoirement une traduction législative, mais si ce devait être le cas, les dispositions nécessaires seront introduites dans le texte.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Madame la ministre, je vous remercie.

La séance est levée à 19 heures 05.

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Membres présents ou excusés

Présents. - M. Christian Assaf, Mme Colette Capdevielle, Mme Marie-Anne Chapdelaine, Mme Pascale Crozon, M. Sébastien Denaja, M. Guy Geoffroy, M. Philippe Gosselin, M. Guillaume Larrivé, Mme Axelle Lemaire, M. Bernard Lesterlin, M. Pascal Popelin, Mme Cécile Untermaier, M. Jean-Jacques Urvoas, Mme Marie-Jo Zimmermann

Excusés. - M. Sergio Coronado, M. Marc Dolez, Mme Laurence Dumont, M. Édouard Fritch, M. Daniel Gibbes, M. Alfred Marie-Jeanne, M. Bernard Roman, M. Roger-Gérard Schwartzenberg

Assistaient également à la réunion. - Mme Brigitte Bourguignon, Mme Valérie Corre, Mme Catherine Coutelle, Mme Florence Delaunay, Mme Edith Gueugneau, Mme Ségolène Neuville, Mme Maud Olivier, Mme Monique Orphé, Mme Sophie Rohfritsch, Mme Sylvie Tolmont