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La séance est ouverte à 9 heures.
Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, président.
La Commission procède à l’audition de M. Jean-Louis Nadal dont la nomination aux fonctions de président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique est envisagée par M. le président de la République.
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Je vous souhaite la bienvenue devant la commission des Lois. Je devine que vous n’êtes pas dépaysé puisque vous connaissez plusieurs d’entre nous et que vous avez eu l’occasion de venir vous exprimer devant cette Commission dans l’exercice de vos précédentes fonctions. Monsieur Nadal, vous êtes la troisième personnalité que nous entendons depuis le début de la législature dans le cadre de l’application de la procédure prévue à l’article 13, alinéa 5, de la Constitution. Cet article et les lois organique et ordinaire du 23 juillet 2010 prévoient que les commissions des Lois des deux assemblées doivent émettre un avis public sur la proposition de votre nomination à la présidence de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Vous serez également entendu ce jour à onze heures par nos collègues du Sénat.
Nous souhaitons que cette procédure voulue par le Constituant puisse trouver sa place, ses règles, et, pourquoi pas, ses rituels, dans l’ensemble des dispositions conférant une influence décisive au Parlement. C’est pourquoi, à chaque occasion qui lui a été donnée, notre Commission a cherché à rendre ces auditions plus utiles et plus riches. Dès le début de la législature – ce n’était pas le cas précédemment –, j’ai choisi d’utiliser la possibilité offerte par l’article 29-1 du Règlement de notre Assemblée de nommer un rapporteur. Bien que le Règlement ne l’impose pas, j’ai souhaité que ce soit un membre de l’opposition. Ce fut le cas de M. Guy Geoffroy, le 5 décembre 2012, pour l’audition relative à la nomination à la fonction de directeur de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, puis de M. Jean-Luc Warsmann, le 20 février 2013, pour les auditions relatives à des nominations au Conseil constitutionnel.
Le groupe UMP ayant décliné la semaine dernière la proposition que je lui avais faite en ce sens, c’est M. Alain Tourret, député membre d’un groupe minoritaire, qui a été désigné rapporteur. Je rappelle que le groupe RRDP auquel il appartient avait voté, dans sa grande majorité, le 17 décembre dernier, contre le projet de loi relatif à la transparence de la vie publique.
Par ailleurs, pour la première fois, nous avons adressé un questionnaire préalable à la personne que nous allions auditionner. Monsieur Nadal, en accord avec M. le rapporteur, nous vous avons fait parvenir par écrit, vendredi dernier, douze questions. Vos réponses nous sont parvenues avant-hier, lundi, et nous les avons communiquées à tous nos collègues, qui ont ainsi disposé du temps nécessaire à leur lecture. Vous vous exprimerez donc, après le rapporteur, devant des parlementaires avertis de votre vision sur le rôle de l’autorité administrative indépendante à la tête de laquelle le président de la République envisage de vous nommer.
Qu’il me soit auparavant permis de dire, une nouvelle fois, ce que je crois être les apports essentiels de la loi relative à la transparence de la vie publique. Pour la première fois, a été défini en droit français le concept de conflit d’intérêts pour le secteur public. La nécessité d’une loi dans ce domaine était acquise depuis quelques années. Il faut souligner l’apport essentiel de M. Jean-Marc Sauvé, en tant président de la Commission pour la transparence financière de la vie politique, mais aussi en tant que co-auteur du rapport qu’il remit – avec MM. Didier Migaud et Jean-Claude Magendie –, au président de la République, M. Nicolas Sarkozy, le 26 janvier 2011. La pesanteur des traditions avait pourtant maintenu le secteur public étranger à ce concept perçu comme anglo-saxon et réservé à certaines professions. Je vous invite à ce titre à lire l’article publié le 28 octobre dernier dans La Semaine Juridique par M. Paul Lignières, avocat à la Cour.
Il est maintenant reconnu que le risque du conflit d’intérêts n’est plus l’exclusivité des gens malhonnêtes et l’on admet enfin que la recherche de l’intérêt général n’est plus exclusive des conflits d’intérêts. Il s’agit d’un progrès de l’État de droit dans un pays centralisé qui a longtemps estimé que la recherche de l’intérêt général était censée transcender les risques de conflits d’intérêts. Dans cette vision, la vie publique était régie uniquement par la dichotomie entre les personnes respectueuses du droit et les autres. Le seul fait de s’interroger sur un potentiel conflit d’intérêts était perçu comme un aveu de faiblesse, voire de culpabilité, ou bien considéré comme de nature à créer un soupçon. Le droit pénal et les sanctions disciplinaires étaient supposés régler ces questions.
Avec l’article 2 de la loi ordinaire, nous avons tourné cette page en créant un régime préventif. C’est ce qui explique que, pour M. Daniel Lebègue, le président de Transparency International France, ces lois constituent une avancée indiscutable.
Je suis convaincu que la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique connaîtra un destin comparable à celui du Comité national d’éthique, crée par François Mitterrand en 1983 : elle sera respectée par tous pour la pondération et le sérieux de ses avis, et sollicitée par chacun pour éclairer la complexité des situations et suggérer des évolutions tempérées. Encore faut-il que cette Haute Autorité puisse travailler, qu’elle soit installée et que ses membres soient nommés, ce qui nous ramène à l’objet de cette audition.
M. Alain Tourret, rapporteur. Le groupe politique auquel j’appartiens a émis de grandes réserves lors de l’examen du projet de loi relatif à la transparence de la vie publique. Son président, M. Roger-Gérard Schwartzenberg, a même estimé en séance que certaines de ses dispositions étaient « insolites », ce qui, dans sa bouche, n’est pas peu dire. Ce qualificatif concernait en particulier les « lanceurs d’alertes », et certains ont même parlé du risque de « démocratie paparazzi ». Mais le temps du fracas est passé ; il faut désormais que la loi s’applique.
La loi du 11 octobre 2013 crée des obligations nouvelles et institue une autorité administrative indépendante chargée de veiller à leur mise en œuvre. La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique sera composée de neuf membres : son président, nommé par décret du président de la République, deux conseillers d’État, deux conseillers à la Cour de cassation, deux conseillers-maîtres à la Cour des comptes, et deux personnalités qualifiées nommées, l’une par le Président de l’Assemblée nationale, l’autre par le président du Sénat. La durée de leur mandat, non renouvelable, est fixée à six ans. Il est incompatible avec tout mandat ou fonction dont les titulaires sont assujettis aux obligations déclaratives prévues par la loi relative à la transparence.
Pour l’essentiel, les pouvoirs de la Haute Autorité concernent, d’une part, les conflits d’intérêts et, d’autre part, les déclarations de patrimoine et d’intérêts. Son champ de compétence ne se limite pas aux seuls parlementaires : sont également concernés les membres du Gouvernement, certains titulaires de fonctions exécutives locales, les collaborateurs de cabinet, les membres d’autorités indépendantes, les titulaires d’emplois ou de fonctions à la décision du Gouvernement, les présidents et directeurs généraux d’un certain nombre de sociétés ou d’organismes sur lesquels l’État exerce un contrôle total ou partiel. Le périmètre d’intervention de la Haute Autorité concerne donc la « fine fleur » de la France politico-administrative, soit environ huit mille personnes, peut-être même plus.
Aux termes de l’article 20 de la loi relative à la transparence, la Haute Autorité devra d’abord se prononcer sur la situation pouvant constituer un conflit d’intérêts pour les non-parlementaires. Il s’agit d’évidence d’une mission essentielle. La République ne peut admettre ni conflit d’intérêts, ni confusion de situations. Chacun se souvient de l’inoubliable président du Conseil incarné par Jean Gabin – et inspiré par la figure de Georges Clemenceau, radical si cher à l’actuel ministre de l’intérieur – qui, dans le film d’Henri Verneuil Le Président, désigne les uns après les autres les parlementaires à leur banc en énumérant leurs liens avec les puissances industrielles ou financières. Le fait est que les marchands de canons ont eu, avec Eugène Schneider, un président de l’Assemblée. Quant à Edgar Faure, qui présida également notre assemblée de 1973 à 1978, ses talents d’avocat d’affaires et de conseiller spécial du Roi du Maroc n’étaient ignorés de personne. Certes, ils étaient parlementaires et, à ce titre, ils n’auraient pas été soumis au volet « conflit d’intérêts » de la loi de 2013, mais l’image que ces situations a pu donner reste forte. La notion de conflit d’intérêts concerne tous les non-parlementaires – mais il est vrai que la zone grise du pouvoir économico-administratif a souvent été dénoncée.
La Haute Autorité devra ensuite recevoir, vérifier et contrôler les déclarations de patrimoine. Il ne s’agit pas d’établir un tableau d’excellence des moins fortunés d’entre nous ou une liste de délinquants présumés, mais de vérifier si des augmentations de patrimoine ou des variations de fortune sont dues à des relations malsaines, à des actes de concussion ou de corruption. L’activité de la Haute Autorité ne sera pas simple. Elle devra établir sa propre jurisprudence, renseigner ceux qui s’adresseront à elle, et d’abord faire preuve de pédagogie. Le but n’est pas la sanction mais la plus grande transparence de la situation des huit mille personnes concernées – car si l’État doit être irréprochable, les élus, les fonctionnaires et les dirigeants doivent l’être également. Depuis longtemps, le peuple n’a plus confiance dans ses élites. Il réclame des comptes. Il préfère Cicéron et Cincinnatus à Verrès et Catilina et Saint-Just à Fabre d’Églantine – le merveilleux auteur d’Il pleut bergère, qui était une canaille sympathique, mais une canaille tout de même ! La virtus romaine et la vertu républicaine doivent retrouver leur place au centre de notre République. La création de la Haute Autorité constitue une chance pour la République, alors que la France figure cette année en vingt-deuxième position du classement mondial de Transparency International, et en dixième position pour l’Europe. Selon cette organisation non gouvernementale, qui a présenté son dernier rapport le 3 décembre, la loi du 11 octobre 2013 constitue une avancée indiscutable en matière de prévention des conflits d’intérêts. Elle arrive à point quand les Français déclarent à 57 % avoir confiance en leurs maires mais considèrent, à 90 %, que la corruption pose un problème dans le secteur public. Les partis politiques sont perçus comme étant les premiers touchés par ce fléau devant les entreprises, les médias, le Parlement, l’administration et la police. Manifestement, il reste du chemin à parcourir !
Monsieur Nadal, vous avez été proposé par M. le président de la République pour présider la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Magistrat, vous avez consacré votre vie au parquet en dirigeant certains de ceux qui sont les plus exposés : Aix-en-Provence, Bastia ou Lyon. Vous avez terminé votre carrière comme procureur général près la Cour de cassation. Chacun connaît votre tempérament passionné, votre culte de la loi, votre volonté de défendre les libertés publiques. Un parquetier peut obtenir beaucoup plus de résultats par la pédagogie que par la répression. Certes, les textes sont les textes, mais la présomption d’innocence constitue un principe cardinal de notre République, et la bonne foi doit toujours être présumée. Rappelons-le avec force !
Vous avez répondu avec clarté aux douze questions qui ont été posées par mes soins. Cela nous permettra, après votre exposé, de mener un débat, suivi d’un vote tant à l’Assemblée qu’au Sénat. Cette procédure est essentielle et le président de la commission des Lois a raison de vouloir lui donner le lustre nécessaire. Elle souligne en effet les droits du Parlement vis-à-vis de l’exécutif, et, tout particulièrement, ceux de la commission des Lois au sein de cette Assemblée. Je ne doute pas, Monsieur, que vous saurez nous persuader que vos immenses talents viendront renforcer la République.
M. Jean-Louis Nadal. Merci monsieur le Président de la commission des Lois. Je remercie vivement M. Alain Tourret pour son rapport, je n’ose dire sa plaidoirie.
Mesdames et Messieurs les députés, je suis très heureux de m’exprimer devant vous et il m’a semblé évident de vous réserver mes premiers propos publics depuis la proposition que m’a faite le président de la République, le 2 décembre dernier. La promulgation des lois relatives à la transparence de la vie publique marque une étape décisive dans le renforcement du dispositif français de prévention et de répression des atteintes à la probité publique. Et je sais combien l’examen de ces textes, en commission et en séance publique, a permis de les améliorer.
De façon générale, s’agissant du contexte qui entoure l’entrée en vigueur de ces lois, beaucoup d’entre vous, j’allais dire d’entre nous, s’insurgent contre les sondages qui révèlent une défiance grandissante des Français à l’égard de leurs représentants. J’ai la conviction que la faute de quelques-uns ne peut emporter l’opprobre contre tous les autres qui exercent leurs mandats dans le respect des principes qui fondent leurs engagements.
Cette interrogation dans le pays rejoint toutefois l’actualité la plus récente, comme la publication des dernières évaluations internationales, du Conseil de l’Europe, de l’OCDE et de Transparency International. Elles montrent l’urgence de rendre plus effectives les mesures destinées à combattre certaines pratiques qui minent la confiance du citoyen envers les institutions de la République. C’était déjà le sens des recommandations de la Commission pour la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique, confiée en 2010 au vice-président du Conseil d’État, M. Jean-Marc Sauvé. Il en ressortait notamment que seule la définition précise d’une déontologie exigeante, aux contours explicites, pouvait permettre d’apporter des réponses effectives aux menaces que les conflits d’intérêts représentent pour l’ensemble des secteurs public et privé de notre société.
Les conclusions de la Commission Sauvé, comme les dispositions législatives adoptées le 17 septembre dernier, rejoignent les leçons que je tire de mon expérience de quarante années au sein de la magistrature. Les atteintes à la probité publique prospèrent lorsque la transparence des flux financiers est insuffisante, et lorsque les frontières entre le licite et l’illicite sont brouillées ou ignorées par ceux-là mêmes qui sont en charge de veiller à l’État de droit.
Le législateur a voulu, par le vote de cette loi et la création d’une Haute Autorité, rétablir la confiance entre les citoyens et les détenteurs d’un mandat électif, d’une mission ou d’une fonction dans la vie publique, après l’affaire Cahuzac mais il a surtout voulu créer un garant de cette confiance. Car la confiance ne se donne que si elle se mérite. Or aujourd’hui, en plus de leur jugement personnel, les citoyens ont besoin d’obtenir une garantie objective venant d’une institution de la République, établissant que les responsables chargés des affaires publiques, des affaires de la cité, sont dignes de confiance et que les citoyens peuvent avoir foi en eux. J’utilise à dessein ce mot de « foi », qui nous vient de Rome : la « Fides publica ». La Foi Publique constitue la forme la plus haute de la confiance que doit inspirer un magistrat en charge des affaires de la cité et dont il doit témoigner par la noblesse de son comportement fait de loyauté et de dignité.
« L’exemplarité des élus est une exigence de la République depuis son origine ». C’est par ces mots que commençait le rapport de M. Jean-Jacques Urvoas sur les projets de loi organique et ordinaire relatifs à la transparence de la vie publique. Tout le sens de l’article 1er de la loi ordinaire est là, autour de ce triptyque magnifique : dignité, probité, intégrité. Son texte pourrait être, au-delà d’une obligation légale, celui d’un serment tel que la République le demande déjà à beaucoup de ses serviteurs.
Ces lois visent à donner corps à ces valeurs républicaines en suivant trois voies.
Tout d’abord, de nouvelles déclarations d’intérêts et de patrimoine permettront de favoriser la transparence démocratique. Je serai attentif à ce que l’intrusion dans la vie privée soit aussi limitée que possible et conforme aux objectifs de la loi, dans le prolongement de la décision du Conseil constitutionnel qui a fixé des bornes précises à propos des proches ou de la publication. Sur ce sujet, ma vigilance sera sans faille. Cette « balance » des droits et la protection des libertés individuelles sont des impératifs quotidiens pour les magistrats judiciaires.
Ensuite, de nouveaux contrôles sont mis en place autour d’une autorité administrative dotée de véritables pouvoirs. J’ai la conviction que nous pourrons mobiliser les services, notamment des ministères de la Justice, de l’Intérieur et du Budget, pour épauler la Haute Autorité. Ce sera l’un des défis des premiers mois.
Enfin, des dispositifs répressifs ou contraignants sont modernisés. Je pense à la peine d’inéligibilité renforcée ou aux incompatibilités nouvelles pour les membres du Parlement. Toutefois, dans la mesure où ces dispositions relèvent de la justice ou des Bureaux des Assemblées, je souhaite consacrer l’essentiel de mon propos au développement de l’autorité administrative indépendante que vous avez créée.
L’idée fondatrice de la loi nouvelle, qui forme le socle des missions confiées à la Haute Autorité, est bien de responsabiliser les acteurs publics en leur demandant de procéder à des déclarations patrimoniales et d’intérêts dont le suivi doit assurer le niveau de transparence nécessaire pour permettre une prévention efficace.
Toute mon expérience de magistrat m’amène au constat qu’il n’est de bonne décision qu’acceptée. Pour cela, il faut qu’elle soit lisible, ce qui implique de la part de ceux qui la rendent un effort d’écoute et d’explication. Tirant les leçons de l’expérience de l’ancienne Commission pour la transparence financière de la vie politique, le législateur a donné à la Haute Autorité des pouvoirs de vérification, d’injonction et de transmission aux autorités fiscales ou judiciaires. Elle contribuera à mieux garantir la probité publique, en s’assurant que la confiance que les citoyens doivent à leurs institutions politiques est confortée ou restaurée par des actions précises, menées contradictoirement, impartialement et effectivement.
Assumer la présidence de la Haute Autorité serait pour moi l’occasion d’agir dans la continuité de mon engagement fidèle et constant au service de l’État, de l’État de droit, de la loi, et de la démocratie.
Cela passe évidemment d’abord par le respect le plus absolu de l’État de droit, dans sa conception la plus élevée, qui impose de veiller à ce que les lois de la République soient exactement appliquées, dans une recherche constante du meilleur équilibre entre le principe d’égalité de tous devant la loi et le principe d’adaptation de celle-ci aux spécificités des situations et des personnes.
La lutte contre les atteintes à la probité publique, qui est la vocation de la Haute Autorité, fut également l’une des exigences les plus constantes de ma vie de magistrat. Mais si la répression est quelquefois nécessaire, la pédagogie ne l’est pas moins. Il me paraît essentiel de mener, à des fins de prévention, une pédagogie constante de l’application de la loi, qu’elle soit pénale, administrative ou financière. C’est d’ailleurs un objectif qui fait écho aux recommandations de votre mission relative au statut de l’élu. Le rôle de conseil est essentiel. Il faut en permanence communiquer, conseiller, informer. Si vous me faites confiance, j’observerai inlassablement cette ligne de conduite intransigeante.
Je veux insister ensuite sur la complémentarité du rôle de la Haute Autorité et de celui d’institutions proches, et sur le dialogue qui doit en résulter – conformément aux textes qui définissent le rôle de la Haute Autorité. Cette recherche d’un contact confiant avec d’autres institutions publiques, dans le respect des pouvoirs de chacune d’elles, a toujours été ma ligne de conduite, à la tête des parquets généraux de Bastia, Lyon, Aix-en-Provence et au parquet général de Paris. Et comme procureur général de la Cour de cassation, j’ai pu mesurer, notamment dans mes fonctions de ministère public auprès de la Cour de justice de la République, toute l’efficacité d’échanges nourris avec la Cour des comptes comme avec les membres du Parlement.
Je crois bien évidemment aux mérites du fonctionnement collégial : l’organisation de la Haute Autorité, qu’il s’agisse des relations entre ses membres ou du dialogue avec les rapporteurs et le secrétariat général, sera nécessairement un travail d’équipe dans lequel chacun a vocation à exercer pleinement les responsabilités qui lui sont propres, mais dans un but commun.
Il va de soi que le fonctionnement de la Haute Autorité devra être exemplaire au regard des valeurs démocratiques. La déontologie est un principe essentiel dont j’ai pu mesurer l’importance dans l’exercice de mes responsabilités à l’École nationale de la magistrature (ENM), au Conseil supérieur de la magistrature (CSM) ou à l’Inspection générale des services judiciaires.
Je voudrais enfin réfléchir avec vous aux actions à mener pour magnifier l’influence de la Haute Autorité sur la vie publique de notre pays.
Je suis sensible d’abord à cette observation faite au cours des débats parlementaires comme dans l’avis rendu, en juin dernier, par l’Assemblée plénière de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), sur la nécessité de faire en temps utile – c’est-à-dire sans précipitation mais aussi rapidement que possible – un bilan de l’action des dispositifs publics préexistants en la matière.
Comme le rapport d’information de MM. René Dosière et Christian Vanneste sur les autorités administratives indépendantes le rappelait en 2010, l’empilement des textes et des structures a souvent pour effet de rendre moins efficaces et lisibles les missions dont ces dernières ont été chargées au fil du temps. La Haute Autorité se tiendra au service des membres du Parlement qui voudront se saisir de ces questions, qui engagent des moyens budgétaires qu’il faut savoir gérer avec prudence et qui mettent en jeu l’efficacité de l’ensemble du dispositif administratif et préventif.
Dans cette perspective, trois axes d’action pourraient mobiliser plus particulièrement son attention.
En matière de prévention d’abord, la Haute Autorité pourrait assumer un rôle d’information et de formation auprès des institutions qui contribuent à la formation des cadres de l’État. Dans ce contexte, des partenariats pédagogiques pourraient être envisagés avec les grandes écoles de service public – l’ENA, l’ENM ou le Centre national de la fonction publique territoriale, etc..
En matière de rayonnement international ensuite, la Haute Autorité devra entretenir un dialogue constant avec les institutions européennes et internationales compétentes en matière de probité publique. À cet égard, je tirerai parti de mon expérience d’initiateur du réseau européen des procureurs généraux des cours suprêmes que j’ai présidé, comme de mes activités de membres du comité exécutif de l’association internationale des autorités anti-corruption.
Les lois que vous avez votées Mesdames, Messieurs les députés, placent la France à la pointe des grandes démocraties.
L’institution d’un comité d’éthique a été copiée de par le monde. Il peut en être de même avec la Haute Autorité !
Enfin, il conviendrait de préciser et donner corps aux nouveaux outils et nouvelles normes que vous avez adoptés afin d’établir une véritable doctrine publique et contradictoire.
Ce serait l’occasion d’affiner les contours de la notion de conflit d’intérêts et de construire un corpus déontologique, véritable cadre de référence pour l’ensemble des statuts et des domaines d’activité concernés. Dans une société démocratique avancée, c’est cette marge grise de non-droit, dans laquelle s’insinue le conflit d’intérêts, qu’il faut faire régresser. Au lieu d’être ignorées, certaines situations doivent être organisées par le droit.
Ce serait aussi l’occasion de préciser ce système de déport qui impose par exemple aux membres des autorités administratives indépendantes se trouvant dans une situation de conflit d’intérêts, de s’abstenir de prendre part à l’affaire ou à la décision en cause. Le principe est simple, il avait été posé déjà par le droit latin : on ne peut être juge et partie. Mais sa mise en œuvre recèle de redoutables difficultés juridiques. Mesdames et messieurs les députés, soyons clairs : la transparence est un moyen et non une fin en soi ! Le système de la prison panoptique de Bentham dans laquelle la surveillance de tous est assurée par un contrôle permanent de chacun, ne servira pas de modèle pour la Haute Autorité.
L’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme affirme que « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ». La Haute Autorité et son président auront à cœur de rendre des comptes, cela est pour moi essentiel, car c’est un impératif démocratique et républicain. C’est ainsi que j’envisage l’exercice de cette responsabilité.
M. René Dosière. Je souhaitais en premier lieu vous interroger sur l’esprit dans lequel vous envisagez votre fonction. Vous y avez répondu dans votre propos liminaire. Je note avec satisfaction que vous insistez davantage sur la prévention et le dialogue que sur la stigmatisation des individus.
En second lieu, forts de l’expérience d’une commission qui en était dénuée, les députés se sont inquiétés des moyens législatifs et matériels dont pourrait disposer la nouvelle institution. La Haute Autorité est bien dotée de moyens législatifs mais la question des moyens matériels, humains et financiers, indispensables à l’exercice réussi de sa mission, est posée compte tenu du rôle qui lui a été confié. Avez-vous réfléchi à l’ampleur souhaitable de ceux-ci ? Certaines dispositions de la loi de finances apportent des éléments de réponse : un bail de quatre ans est ainsi prévu pour vos locaux. Avez-vous une idée sur la localisation de vos bureaux ? Avez-vous réfléchi à la montée en charge des moyens de la Haute Autorité ?
M. Pascal Popelin. La Haute Autorité est un élément central de l’édifice législatif en faveur de la transparence de la vie politique. Certains ont jugé excessive notre volonté de légiférer sur le contrôle de l’évolution de la situation personnelle des principaux acteurs de la vie publique et sur les conflits d’intérêts. D’autres ont estimé à l’inverse que les dispositions adoptées étaient insuffisantes et inopérantes.
Vous serez le premier président de la Haute Autorité si votre nomination est entérinée par la Commission. Par la manière dont vous assumerez cette importante responsabilité, vous marquerez pour l’avenir la place, le rôle, la crédibilité et l’autorité de cette nouvelle institution. Par là même, vous signerez le succès ou l’échec de l’ambition que s’est fixée la représentation nationale.
Je souhaite vous poser trois questions. Le cadre légal offre-t-il une indépendance suffisante à la Haute Autorité ? Les moyens légaux dont elle dispose pour lutter contre les conflits d’intérêts sont-ils suffisants ? Ses moyens pour contrôler la véracité des déclarations de patrimoine de l’ensemble des personnes soumises à cette obligation sont-ils adaptés ?
M. Jean-Frédéric Poisson. Le groupe UMP, lors de l’examen du projet de loi, s’est prononcé contre le principe de cette Haute Autorité. Par cohérence, nous avons refusé qu’un de nos membres soit désigné rapporteur sur la nomination de ses membres.
Je félicite néanmoins le rapporteur pour le sérieux de son travail et je vous remercie, monsieur Nadal, d’avoir apporté des réponses aux questions qui vous avaient été adressées. Nous en avons eu connaissance avant-hier et je crois, Monsieur le Président, que cette méthode est satisfaisante car susceptible d’éclairer nos débats. Vous l’avez souligné comme nous l’avions fait au cours de l’examen du texte : la transparence est un moyen et non une fin. En l’occurrence, le moyen est limité par la fin, à savoir la capacité des acteurs à décider et à agir librement. Ce double rappel, par le Conseil constitutionnel et par la personne susceptible de présider la Haute Autorité, nous semble précieux.
Nous sommes dans une matière quasi pénale puisque les décisions de la Haute Autorité auront rapidement des incidences financières pour les personnes visées ou des conséquences sur leur capacité à exercer des responsabilités.
Ma première question porte sur l’impartialité. Vous avez pris des engagements politiques ou à caractère partisan après avoir quitté la magistrature. Personne ne vous conteste ce droit. Considérez-vous ces engagements comme une parenthèse dans votre vie ou sont-ils de nature à peser sur votre conception de l’impartialité ? Quelle lecture devons-nous faire de cet épisode de votre vie personnelle ?
Mes questions suivantes ont trait au flou artistique qui caractérise différentes notions inscrites dans la loi. Le Conseil constitutionnel ayant validé celle-ci, je ne reprends pas le débat. Néanmoins, la Haute Autorité aura un large pouvoir d’appréciation. Aussi je souhaiterais connaître l’interprétation que vous donnez de certains termes ou expressions.
Dans l’article 2, article de principe définissant le conflit d’intérêts, il est ainsi fait référence à une situation « de nature à influencer ou à paraître influencer », qui semble particulièrement difficile à apprécier.
Les articles 4 et 11 évoquent une « modification substantielle » de la situation patrimoniale et des intérêts détenus. Si le caractère substantiel fait écho en droit du travail à une jurisprudence abondante – notamment en ce qui concerne le contrat de travail –, il n’en va pas de même dans la matière qui nous intéresse, alors même que les sanctions encourues, en cas de non-respect de l’obligation de déclaration, sont importantes.
L’article 4 prévoit que la déclaration d’intérêts précise « les fonctions bénévoles susceptibles de faire naître un conflit d’intérêts » ainsi que les « autres liens susceptibles de faire naître un conflit d’intérêts ». Ces notions très larges méritent d’être précisées et la tâche en revient à la Haute Autorité, puisque le législateur ne l’a pas fait.
Il faut ajouter aux difficultés d’interprétation des interrogations sur la méthode. Comment évaluer les biens devant figurer dans la déclaration d’intérêts, à la date du fait générateur de la déclaration ? Prendrons-nous en compte le prix du marché, le prix déterminé par l’expert, le prix que l’acquéreur est prêt à payer ? Dans la liste, dressée par le même article, des éléments composant la déclaration, sont mentionnés « les autres biens » : s’agit-il de tous les autres biens sans distinction ou de certains d’entre eux seulement ? Le débat parlementaire n’a pas apporté sur ce point de réponse satisfaisante. Or cette imprécision peut avoir des conséquences lourdes sur l’application des sanctions prévues par les textes.
Les conditions d’application de l’article 8, relatif à la gestion des instruments financiers détenus par les membres du Gouvernement et les présidents et membres des autorités administratives et publiques indépendantes intervenant dans le domaine économique, sont renvoyées à un décret en Conseil d’État. Quels éléments envisagez-vous transmettre au Conseil d’État pour l’orienter dans la rédaction du décret ? Votre avis sera inévitablement sollicité.
S’agissant des deux personnalités qualifiées qui complètent la composition de la Haute Autorité, avez-vous réfléchi aux profils des candidats que vous pourriez rechercher ?
Je partage par ailleurs la préoccupation de M. René Dosière et de M. Pascal Popelin sur les moyens de fonctionnement de la Haute Autorité. L’article 19 lui attribue les « crédits nécessaires à l’accomplissement de ses missions » mais nous savons combien la nécessité est une notion flexible. Savez-vous de quels moyens vous disposerez ?
Enfin, la Haute Autorité est en relation, parfois en concurrence, avec de nombreuses autres institutions ou services qui s’occupent du même sujet : la commission pour la transparence financière de la vie politique, les déontologues des assemblées, la questure à l’Assemblée, le parquet, l’administration fiscale. Lors du débat parlementaire, la crainte de faire de la Haute Autorité un procureur parlementaire s’était exprimée. Vos propos de ce matin sont de nature à alimenter notre réflexion sur le sujet. Néanmoins, la question de la superposition des compétences demeure posée.
M. le président Jean-Jacques Urvoas. L’une de vos questions est devenue sans objet puisque le Conseil constitutionnel a censuré la mention des « autres liens susceptibles de faire naître un conflit d’intérêts ». Cela n’enlève pas l’autre mention à laquelle vous faisiez référence.
M. Matthias Fekl. C’est une incontestable avancée que cette loi relative à la transparence de la vie publique, avancée reconnue par le plus grand nombre, y compris par Transparency International et notre rapporteur. Elle s’insère dans un dispositif législatif d’ensemble, dans lequel la Haute Autorité tient une place essentielle. Cette Haute Autorité, nous l’avons voulue robuste, puissante, solide et permanente. Nous l’avons dotée des moyens matériels et humains lui permettant d’accomplir ses missions, qui sont à la fois pédagogiques et répressives. J’avais proposé la création d’un délit d’enrichissement illicite permettant de sanctionner une évolution patrimoniale anormale. Cette proposition n’a pas été retenue. En l’état, la Haute Autorité exerce des missions très importantes. Ses membres et, au premier chef, son président, joueront un rôle essentiel notamment dans sa mise en place. Je tiens à saluer vos propositions en la matière.
Ma question porte sur le fonctionnement de la Haute Autorité et ses liens avec l’administration fiscale. Les pouvoirs qui ont été confiés à cette dernière afin d’obtenir la communication d’informations fiscales permettront-ils le bon exercice de sa mission ? Aura-t-elle un pouvoir d’injonction ?
M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Je veux saluer les compétences éminentes du procureur général Nadal et vous faire part de trois réflexions.
Premièrement, je ne pense pas que nos concitoyens portent une appréciation aussi péjorative qu’on le dit sur les parlementaires et la classe politique. Si tel est le cas, celle-ci s’étend à bien d’autres corps…
Deuxième, je reviens sur une disposition de cette loi que nous avons trouvée insolite et qui concerne la protection des « lanceurs d’alerte ». Celle-ci organise presque un renversement de la charge de la preuve en instaurant une présomption de bonne foi en faveur des lanceurs d’alerte, tandis que la partie défenderesse aurait la charge d’établir l’inexactitude des faits cités par le lanceur d’alerte. Nous avons été plusieurs à nous inquiéter de cette mesure : si la plupart des lanceurs d’alerte sont animés par de nobles sentiments, une infime minorité peut ne pas l’être et exploiter à des fins électorales des éléments qui n’existent pas ou qui ne peuvent être démontrés.
Je voudrais enfin relever une curiosité : le septième alinéa de l’article 11 de la loi disposant que les membres d’une autorité administrative indépendante devront adresser une déclaration de patrimoine à la Haute Autorité, celle-ci va se trouver en situation de contrôler les déclarations de ses propres membres.
Mme Marietta Karamanli. Pour que le principe de transparence soit opérant, la Haute Autorité disposera de données personnelles permettant de saisir les évolutions du patrimoine au cours de l’exercice d’un mandat. Comment envisagez-vous cet aspect du contrôle de données personnelles, voire familiales ? Quelles seront vos priorités en matière d’objectifs et de méthode, sachant que vous aurez à contrôler des milliers de déclarations ? Envisagez-vous enfin de vous inspirer des précédents étrangers ?
Mme Marie-Françoise Bechtel. J’ai apprécié la hauteur de vues dont vous avez fait preuve dans votre intervention, monsieur Nadal. La jurisprudence de la Haute Autorité se fera progressivement ; vous ne pouvez répondre aujourd’hui à certaines questions, d’autant moins que vous êtes le président d’une instance collégiale.
Envisagez-vous de collaborer avec les Bureaux des assemblées délibérantes, aujourd’hui seuls compétents pour saisir le Conseil constitutionnel en cas de suspicion de conflits d’intérêts concernant des parlementaires, et selon quelles modalités ? Par ailleurs, le déontologue à l’Assemblée se voit privé de l’essentiel de ses fonctions qui étaient précisément de recevoir des déclarations de patrimoine. Il lui reste une fonction de conseil. Pensez-vous que cette institution conserve une utilité, notamment au regard de vos propres attributions ?
Mme Cécile Untermaier. Voyez-vous d’un bon œil la faculté de saisine de la Haute Autorité donnée aux associations de lutte contre la corruption ? Quels seront les critères d’agrément de ces associations par la Haute Autorité ? La définition légale des conflits d’intérêts vous semble-t-elle satisfaisante ? Quelle a été votre approche des conflits d’intérêts au cours de votre carrière de magistrat ? Quelle est la jurisprudence de la Cour de cassation en ce domaine ? Que pensez-vous de l’éventuelle application de cette notion aux magistrats de l’ordre judiciaire ?
M. Marcel Bonnot. J’ai relevé trois maîtres mots dans votre discours : transparence, collégialité et indépendance. Vous avez écrit par ailleurs que l’indépendance se manifestait par un souci particulier de l’impartialité objective comme subjective. Qu’en est-il en ce qui vous concerne, monsieur Nadal, sachant que vous avez publiquement pris parti en faveur d’un des candidats de la primaire du parti socialiste et lors de l’élection présidentielle ?
Mme Colette Capdevielle. Comment envisagez-vous concrètement la collaboration entre la Haute Autorité et l’administration fiscale ? Comment comptez-vous assurer effectivement la confidentialité des informations qui vous seront transmises ?
Mme Anne-Yvonne Le Dain. Le mot « indépendance » est abondamment employé dans les médias et les discours sans qu’on sache exactement ce qu’il recouvre et par rapport à quoi il conviendrait d’être indépendant. Tout lien avec une autorité légitime suffit à faire naître une suspicion de dépendance. Quelle sera votre position en la matière ?
M. Jean-Louis Nadal. Je ne vous cacherai pas, Mesdames, Messieurs les députés, que la manière dont vous m’avez « accroché » m’a plu : elle convient à l’homme que j’ai toujours été, un homme frais et sans détour.
Pour lever d’emblée toute ambiguïté, je choisirai d’abord, parmi toutes ces interpellations fécondes pour l’avenir de la Haute Autorité, de répondre à une interrogation à laquelle je m’attendais. Je le dis en toute simplicité et en toute humilité, j’ai effectivement soutenu la candidature de Mme Martine Aubry à la primaire du parti socialiste. Je ne crois pas avoir à m’excuser d’avoir apporté mon soutien à un ancien ministre d’État, maire d’une des plus grandes villes de France, cela à une date où la cessation de mes fonctions m’avait libéré du devoir de réserve. Je ne renie pas cet engagement. Je suis un enfant du peuple, un enfant de la République, fier de la culture démocrate et républicaine que mes parents instituteurs m’ont transmise et qui a fait de moi un serviteur de la République. Mes parents sont décédés et, aujourd’hui, j’ai une pensée pour eux.
Je suis heureux de vivre dans un pays où règne le pluralisme, comme en témoigne la composition de votre Commission, un pays où l’on peut exercer des responsabilités dans la fonction publique sans appartenir à une famille, un clan, à la seule condition de respecter l’obligation de neutralité et de réserve qui s’impose à tous les agents de l’État, et d’abord aux magistrats de l’ordre judiciaire dans l’exercice de leurs fonctions. Ce fut le sentiment de MM. Jacques Toubon et Dominique Perben quand ils proposèrent à M. Jacques Chirac de me nommer procureur général. L’impartialité est une notion qui ne m’a jamais laissé indifférent dans ma vie professionnelle, et elle ne me posera pas davantage de problème dans les fonctions qui me sont proposées. Ma compétence se limitera aux comportements, quelles que soient les opinions de leurs auteurs.
Je ne serai d’ailleurs pas un cas isolé, si l’on songe aux hommes et aux femmes qui furent ministres avant de présider à de grandes autorités indépendantes, et que je respecte. Je pense au Défenseur des droits, au Défenseur des enfants, au médiateur de la République, la HALDE ou la CNIL. Afin de ne pas me trouver dans une situation de conflit d’intérêts, je m’abstiendrai naturellement d’exercer mes compétences à l’égard de Mme Martine Aubry si son cas devait être examiné par la Haute Autorité. La pratique du déport en raison d’une trop grande proximité, même en apparence, est un réflexe bien connu dans le milieu professionnel dont je viens et je peux vous assurer de ma vigilance à cet égard. D’ailleurs, le règlement intérieur de la Haute Autorité précisera ce point. Si votre question sur ce sujet avait pour objet d’obtenir de moi une assurance de neutralité et d’impartialité, c’est sans réserve que je vous la donne.
Vous m’avez posé de nombreuses questions à propos du management. Je ne cherche pas à exercer le sixième poste de procureur général de la République. Je suis un magistrat, pas un procureur. Toutes les fonctions que j’ai assumées l’ont été dans le culte de la loi et selon une déontologie sans faille : le dossier, tout le dossier, rien que le dossier ; la loi, toute la loi, rien que la loi. Telle a toujours été ma ligne de conduite.
Je m’attacherai, comme je l’ai toujours fait, à rassembler les énergies. Je n’ai jamais, dans mes fonctions, certains peuvent en témoigner ici qui ont été magistrats, exclu qui que ce soit en raison d’une appartenance syndicale ou politique. Au contraire, j’ai toujours eu le souci que la justice soit respectée dans sa diversité et ses différentes cultures. Je ne suis pas un partisan de l’inquisition, de l’accusation. Si je ne devais retenir qu’un principe de mon passé de magistrat, c’est celui du contradictoire et de la présomption d’innocence, voire de la bonne foi. En effet, mon expérience tant personnelle que professionnelle m’a appris qu’il peut y avoir des fautes sans qu’il y ait des fautifs.
La suspicion qui pèse sur vous me paraît d’autant plus injuste que mon parcours professionnel m’a permis de connaître le milieu parlementaire, avec lequel j’ai été amené à travailler parfois dans des circonstances tendues, parfois dans des circonstances plus agréables. Pour avoir initié, quand j’étais procureur général près la cour d’appel de Paris, les Rencontres sénatoriales de la justice, afin que les parlementaires puissent se familiariser avec le fonctionnement des institutions judiciaires, pour avoir planché maintes et maintes fois devant votre Commission et celle du Sénat, je connais et partage votre culture de respect, d’écoute, de tolérance.
Je crois pouvoir dire que dans mes fonctions à l’École nationale de la magistrature, j’ai été un pédagogue. À la tête de la formation disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature avec des gens venus de la société civile, j’ai scrupuleusement veillé à dépasser les apparences pour aller au fond et approcher de la vérité. La vérité est une quête perpétuelle. C’est cette dynamique que je veux promouvoir à la tête de la Haute Autorité : aller au fond des problèmes, mais toujours avec mesure ; trouver le cadran dans lequel l’aiguille fonctionnera. C’est bien sûr l’intérêt général, l’intérêt de la République, la probité. Je serai là pour faciliter la résolution d’éventuels conflits d’intérêts. Mon rôle sera de vous aider à les éviter, vous et tous ceux qui devront rendre des comptes à la Haute Autorité. Je tiens à préciser ce point pour prévenir toute rumeur qui affirmerait de façon indécente que vous seriez particulièrement visés par la loi. Il y a huit mille assujettis ! Soyez assurés que je serai au-dessus de la mêlée, impartial, vigilant, constant, déontologue, à l’écoute des uns et des autres. Je n’utiliserai pas les moyens à ma disposition pour porter atteinte à la vie privée. Tout au long de ma carrière, je me suis attaché à être un garant des libertés individuelles et des libertés publiques.
Cette autorité devra être le temple du conseil, de la discussion, de l’échange individuel avec ceux qui relèveront du contrôle de la Haute Autorité, avec les Bureaux des Assemblées, avec toutes les institutions concernées. Je mesure le défi mais j’ai la volonté de le relever. Je suis un homme de rassemblement. J’ai toujours proclamé que l’État de droit était l’affaire de tous. Un magistrat seul n’est rien. C’est en partenariat avec le ministère de la Justice, celui de l’Intérieur, du Budget, avec les Bureaux des Assemblées, avec les déontologues, c’est en puisant dans l’œuvre de tous ceux qui, dans ce pays, ont contribué à forger des principes de déontologie que je mettrai en place une doctrine claire le moment venu.
Le caractère collégial de cette autorité me convient parce qu’il permet le rassemblement des cultures fortes de l’État : la culture administrative, la culture financière, la culture judiciaire. J’exigerai un surcroît de déontologie permanent, un éveil total, constant : je n’ai jamais vieilli dans mes fonctions passées parce que je suis resté en état d’éveil jusqu’à la dernière seconde. Je ne me suis jamais appuyé sur des précédents ; j’ai toujours voulu aller au fond des problématiques, avec le cœur et la raison, le dynamisme et la mesure, dans le souci, et de la justesse, et de la justice.
Voilà pour une description in globo de ce que la Haute Autorité devra être selon moi. S’agissant des points particuliers sur lesquels vous m’avez interpellé, beaucoup concernaient la question des moyens. Familier de cette question qui est une véritable litanie dans le monde judiciaire, je dirai que le premier des moyens, c’est la détermination, une volonté sans faille d’aller au fond des problèmes et de s’entourer des gens compétents pour ce faire. Je suis convaincu que j’arriverai à constituer une équipe de qualité, soudée, diversifiée. Je ne tiens pas à ce qu’elle soit monolithique, au contraire : la contradiction me semble nécessaire au débat républicain. C’est l’honneur des assujettis qui pourrait être mis en cause. Je ne suis pas homme à cultiver la suspicion, l’inquisition mais homme à discuter, à conseiller. Je consacrerai mon énergie au « relationnel », à la confiance. Si je percevais quelque chose qui s’apparente à une « zone grise », je ferais d’abord tout ce qui serait en mon pouvoir pour la réduire, avant d’en venir à la répression, qui doit toujours rester l’ultima ratio. De mes anciennes fonctions, je conserverai le sens de l’opportunité des poursuites, dont le procureur est le premier juge.
Je suis déterminé à obtenir des moyens à la mesure de l’ampleur de la tâche, éventuellement avec votre aide. J’ai d’ores et déjà reçu quelques assurances. La nouvelle autorité devrait s’installer dans les locaux de l’ancienne Commission pour la transparence financière de la vie politique, le temps, semble-t-il, de trouver des locaux à la hauteur de l’enjeu. Elle devrait démarrer avec une vingtaine de collaborateurs et je mettrai à profit mon expérience d’inspecteur général des services judiciaires pour organiser au mieux cette équipe.
Je compte faire de la pédagogie et communiquer, notamment sur ce qui va bien : on ne souligne pas assez dans ce pays ce qui va bien, préférant pointer les dérives ponctuelles, comme autant de taches d’huile sur l’« océan de la démocratie » !
Sur les évaluations de biens, je mettrai en place un comité d’experts – comptables, commissaires aux comptes… – afin qu’aucune suspicion ne pèse sur les évaluations de la Haute Autorité. Ces experts seront choisis en fonction du sérieux de leur travail.
Le sérieux doit caractériser tous les actes de la Haute Autorité. Il sera exigé aussi des associations susceptibles de saisir la Haute Autorité, qui devront avoir fait leurs preuves. Les critères qui présideront à leur agrément feront l’objet d’une expertise juridique que je vous transmettrai.
Je tiens à souligner que cette Haute Autorité n’est pas un contre-pouvoir. Elle n’empiétera en rien sur le pouvoir législatif. Je ferai tout pour privilégier la voie du dialogue et de la pédagogie. Je serai là pour vous aider et être à vos côtés.
Monsieur Popelin, j’utiliserai les moyens légaux avec mesure, en m’efforçant de respecter l’équilibre entre la préservation de l’intérêt général et le respect de la vie privée. J’y veillerai car c’est essentiel : nous ne sommes pas là pour salir les gens.
Vous vous êtes inquiétés des lanceurs d’alerte, ce qui est légitime. Si leurs révélations touchent à l’intérêt du pays ou au bien commun, il faudra les suivre mais en faisant preuve de vigilance et en se gardant des délateurs – en cas de dérives, je saurai m’en expliquer et prendre mes responsabilités. Je rappelle que, depuis 2007, le code du travail protège les salariés souhaitant révéler un dysfonctionnement grave, portant par exemple sur des faits de corruption.
Sur ce sujet, comme sur d’autres, je nouerai des relations avec les autres pays – la Grande-Bretagne – et établirai des contacts avec les différentes instances internationales, comme le Conseil de l’Europe ou l’OCDE.
La question de M. Poisson sur les conflits d’intérêts pose en vérité le problème de la théorie de l’apparence, théorie juridique consacrée par la Cour européenne des droits de l’homme dans un célèbre arrêt de 1970, Delcourt c. Belgique, dans lequel la Cour affirme l’importance attachée aux apparences et la sensibilité accrue du public aux garanties d’une bonne justice. Cette théorie était dictée par ce qui doit être au cœur du travail de la Haute Autorité : la confiance indispensable de l’opinion dans ses institutions pour garantir la démocratie. Il faudra, pour assurer cette confiance, que les membres de la Haute Autorité élaborent une doctrine, la moins subjective possible. Elle se façonnera au fil du temps, et je m’engage à venir régulièrement en rendre compte devant le Bureau de votre Assemblée.
Je ne suis pas inquiet sur les relations de la Haute Autorité avec l’administration fiscale. Nous travaillerons dans un partenariat étroit, mais toujours dans le clair respect de la vie privée. Ceux qui me connaissent savent qu’en ma qualité de magistrat, j’ai toujours été garant des libertés individuelles, soucieux d’autrui et attentif aux droits de la défense. L’ultime pierre que j’ai apportée à l’édifice de la justice a été de proposer, à l’issue de la dernière commission que j’ai présidée pour le ministère public, que les avocats aient accès à la procédure au cours de l’enquête préliminaire et que les droits de la défense puissent s’exercer au moment du défèrement, pour que les choses ne se ficellent pas de manière abrupte. Cette reconnaissance d’autrui, c’est l’honneur de la démocratie. Ce sera, je l’espère, l’honneur de la nouvelle Autorité.
Pour ce qui concerne le contrôle des instruments financiers, il n’est pas question qu’il affecte la gestion comptable quotidienne des personnalités concernées. Ne possédant moi-même pas de portefeuille financier, il m’est difficile d’appréhender la situation in concreto. Mais pour ceux dont les intérêts financiers sont trop importants pour qu’ils puissent continuer à les gérer en propre, le déport devra se faire sans rupture.
Un vent de transparence a soufflé ces dernières années sur les îlots de déontologie parsemant la mer de la démocratie. Cela procède d’un bon sentiment, celui qu’une vigie est indispensable sur chaque territoire. L’ambition de la Haute Autorité est de fédérer tous ces veilleurs et leurs problématiques. J’ai d’ailleurs, à ce titre, parcouru le rapport du déontologue de votre assemblée, dans lequel j’ai trouvé de bonnes idées sur la déontologie des fonctionnaires ou le rapprochement avec les autorités européennes. De tout ceci, je m’entretiendrai avec vous : je viendrai, si vous en êtes d’accord, vous présenter de vive voix le rapport que je vous remettrai chaque année.
Mme Le Dain m’a enfin interrogé sur ma conception de l’indépendance. Elle est à mes yeux synonyme d’exigence à l’égard de soi-même et des autres, par-delà les étiquettes politiques. À la tête de la Haute Autorité et au sein du collège qui m’entourera, je m’efforcerai d’en être le garant.
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Monsieur Nadal, nous vous remercions pour vos réponses. Je vais vous raccompagner.
Je demande au public de quitter la salle afin que la Commission puisse statuer et voter. Le dépouillement aura lieu en même temps qu’au Sénat.
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Délibérant à huis clos, la Commission se prononce par un vote au scrutin secret dans les conditions prévues à l’article 29-1 du Règlement, sur la nomination envisagée par le président de la République, de M. Jean-Louis Nadal aux fonctions de président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
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La Commission procède ensuite à l’audition de Mme Danièle Rivaille, dont la nomination en qualité de membre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, est envisagée par M. le président de l’Assemblée nationale.
M. le président Jean-Jacques Urvoas. La Commission va maintenant procéder à l’audition de Mme Danièle Rivaille, dont le Président de l’Assemblée nationale envisage la nomination en qualité de personnalité qualifiée, membre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
Cette seconde nomination obéit à des règles différentes. Aux termes de l’article 19 de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, le Président de l’Assemblée nationale nomme une personnalité qualifiée après avis conforme de la commission des Lois, rendu à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés. Après cette audition publique, la Commission se prononcera sur cette nomination par un vote.
M. Alain Tourret, rapporteur. La loi sur la transparence confère aux membres de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique une même responsabilité dans l’accomplissement de ses missions. Ils joueront donc, à ce titre, un rôle décisif dans la définition des conditions d’exercice des missions que le législateur a confiées à cette nouvelle autorité administrative indépendante.
Madame Rivaille, nous allons vous entendre avec beaucoup d’intérêt sur votre conception du rôle de cette nouvelle autorité, sur l’équilibre que vous entendez définir entre ses fonctions de contrôle et de conseil, ainsi que sur la façon dont vous entendez utiliser, à son service, votre expérience à l’Assemblée nationale.
Mme Danièle Rivaille. C’est avec beaucoup d’émotion que je me présente devant vous pour solliciter votre avis conforme à ma désignation, par le Président de l’Assemblée nationale, comme personnalité qualifiée pour siéger dans la Haute Autorité créée par la loi du 11 octobre 2013.
Si le Président de l’Assemblée voit en moi une personnalité qualifiée, j’avoue avoir du mal à me représenter comme telle ; c’est que les fonctionnaires parlementaires sont non seulement habitués à l’ombre mais qu’elle est avant tout pour eux une vocation. C’est pourquoi l’exercice consistant aujourd’hui à me présenter devant vous est pour moi inhabituel et impressionnant.
Je suis d’autant plus habituée à l’ombre que ma vie professionnelle a été entièrement consacrée à l’Assemblée nationale. J’y suis entrée en avril 1971, à vingt-trois ans et demi, pour ne la quitter que très récemment, début octobre, à soixante-six ans, avec, pour seules parenthèses, mes trois congés de maternité. Je pensais sincèrement ne jamais connaître d’autre expérience professionnelle que celle qui fut la mienne ici. La proposition que m’a faite le Président de l’Assemblée m’a donc totalement surprise. Une fois l’étonnement passé, j’en ai éprouvé de la fierté.
J’ai été recrutée à l’Assemblée après avoir réussi le concours d’administrateur le moins pourvu en postes – trois – qui ait jamais été organisé dans cette maison, ce qui a eu des conséquences sur la suite de ma carrière. En effet, il avait été décidé que tous les jeunes administrateurs devaient commencer leur carrière dans les services de la Questure : cela a été mon cas et celui des deux collègues ayant réussi les épreuves cette année-là ; cela ne fut pas possible en revanche pour tous les administrateurs recrutés ultérieurement, à l’issue de concours plus ouverts, le nombre d’administrateurs dans les services de la Questure ayant toujours été faible.
J’ai donc passé les cinq premières années de ma carrière au secrétariat général de la Questure, ce qui m’a définitivement marquée, puisque j’ai consacré une partie essentielle de ma carrière aux services administratifs de cette maison, à l’exception d’une dizaine d’années, entre 1976 et 1987, où, j’ai été affectée aux services législatifs. J’ai travaillé aussi, d’une part, dans un service correspondant à l’actuel service de la Communication et, d’autre part, à la commission des Finances, dans la division du président de la Commission, où j’avais plus particulièrement en charge les secteurs de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, des Affaires étrangères et, accessoirement, du secrétariat général de la Défense nationale.
Lorsque j’ai été promue au grade de conseillère, les secrétaires généraux de l’époque ont assez naturellement pensé à moi-même pour retourner à la Questure. Depuis 1987, je n’ai plus quitté les services administratifs, si j’y ai exercé des métiers très différents mais toujours avec le même objectif : offrir aux députés, sous la direction de vos questeurs, les meilleures conditions de travail au coût le plus maîtrisé possible.
Je me suis occupée des achats de biens et de fournitures, et je crois avoir joué un rôle important dans le développement des procédures de marché public, quasi inexistantes à l’Assemblée avant les années 1990. J’ai notamment piloté la mise en place, sur procédure d’appel d’offres, de la gestion de la résidence hôtelière de la rue Saint-Dominique, à la suite de l’acquisition de l’immeuble ; je me suis occupée de la partie maîtrise d’ouvrage lors de la rénovation totale de l’hôtel de Lassay, en coordination avec un maître d’œuvre, architecte en chef des monuments historiques, et un bureau d’études techniques recruté selon les règles de la loi relative à la maîtrise d’ouvrage.
J’ai été, à l’aube des années 2000, nommée directrice et affectée au service des Affaires administratives générales, ce qui m’a notamment offert le privilège d’assister aux réunions de questure hebdomadaires et de continuer à y apprendre mon métier de gestionnaire.
Puis j’ai été nommée, le 1er janvier 2006, directrice générale des services administratifs. Outre un rôle spécifique dans la sécurité et la sûreté des bâtiments, j’ai bien évidemment assuré la coordination des divers services administratifs de cette maison. Dans le but d’améliorer l’efficacité de ses services, j’en ai proposé une réorganisation complète, acceptée successivement par les questeurs et par le Bureau.
J’ai enfin eu l’immense honneur, en 2010, d’être nommée Secrétaire générale de la Questure. Je suis la première femme à avoir occupé ce poste tout comme Corinne Luquiens est la première femme à occuper le poste de secrétaire générale de l’Assemblée et de la présidence. À ces fonctions, j’ai successivement travaillé – dans la confiance, je l’espère – sous l’autorité de deux collèges de questeurs, celui issu des élections de 2007 et celui issu des élections de 2012.
Vous l’aurez compris à cette brève description de mon parcours professionnel : je suis une gestionnaire et une praticienne. C’est à ce titre que j’ai pratiqué le droit, ce qui ne fait pas de moi, loin s’en faut, une juriste experte.
Dès que j’ai été avertie de ma possible nomination au sein de la Haute Autorité, je me suis plongée dans le texte de la loi organique et de la loi ordinaire ainsi que dans vos rapports, mais il me reste beaucoup à apprendre pour connaître parfaitement les matières dont j’aurais à traiter. Ce que je pense connaître le mieux, et ce qui ferait de moi une personnalité qualifiée en ce domaine, ce sont les difficultés et les contraintes quotidiennes que rencontrent les députés dans l’accomplissement de leur mandat. Qui sait en effet, Mesdames et Messieurs les députés, que vos agendas doivent contenir des plages horaires plus étendues en début et en fin de journée, le samedi et le dimanche, que ceux de M. Tout-le-Monde ? Pour ma part, j’ai toujours dit que les députés étaient injustement critiqués, que l’ampleur de l’investissement et les sacrifices qu’ils consentaient pour exercer leur mandat étaient méconnus.
Si vous me faites l’honneur d’accepter ma nomination, soyez assurés que je m’efforcerai d’exercer mes fonctions avec dignité, probité et intégrité, pour reprendre les termes de l’article 1er de la loi du 11 octobre 2013. Comme je crois l’avoir fait tout au long de ma carrière professionnelle, je respecterai une stricte neutralité politique et une totale discrétion professionnelle. Je prends très au sérieux l’honneur qui m’est fait, et je m’investirai avec la plus grande conscience professionnelle. Je m’efforcerai d’apporter, au sein d’un organe collégial, ma petite touche à l’édifice que vous, législateurs, avez construit.
M. René Dosière. Qu’une administratrice de cette maison soit considérée comme une personnalité qualifiée susceptible de siéger dans une autorité indépendante est une grande satisfaction pour les députés. Nous connaissons tous et apprécions en effet les compétences et l’impartialité dont font preuve les administrateurs de l’Assemblée. C’est donc avec un préjugé favorable que nous examinons votre candidature.
Pourriez-vous nous préciser les raisons qui ont pu vous pousser à accepter cette nomination et quelle est la valeur ajoutée que vous pensez pouvoir apporter à cette Haute Autorité, où vous siégerez aux côtés de hauts fonctionnaires issus du Conseil d’État, de la Cour des comptes et de la Cour de cassation ?
M. Bernard Roman. J’ai eu le privilège de travailler directement avec Danièle Rivaille pendant seize mois. Je ne l’avais pas choisie, puisqu’elle avait été nommée sous la législature précédente, et n’avais aucun a priori sur les qualités professionnelles de la Secrétaire générale de la Questure qu’elle était. J’ai rencontré une haute fonctionnaire parlementaire qui honore la fonction publique parlementaire. Je veux donc saluer devant la commission des Lois cette femme d’exception, pour sa rigueur, son honnêteté et la haute idée qu’elle a de la fonction parlementaire. Le choix fait par le Président de l’Assemblée nationale de lui proposer cette mission au sein de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique est un excellent choix.
Mme Danièle Rivaille. Si j’ai accepté cette proposition de nomination, c’est que j’estime, d’une part, pouvoir être encore utile et, d’autre part, pouvoir apporter un regard différent de celui des autres membres qui composeront cette Haute Autorité. Je connais votre quotidien et vos difficultés.
C’est votre Commission qui a suggéré, à travers un amendement, la nomination de personnalités qualifiées plutôt que de membres suppléants au sein du collège. J’y apporterai pour ma part une compétence de gestionnaire, et aussi un certain sens pratique, qui peut sans doute me distinguer d’autres personnes…
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Comme quoi la concision peut permettre la clarté ! Madame Rivaille, nous vous remercions d’avoir répondu à notre invitation.
Délibérant à huis clos, la Commission procède au vote au scrutin secret, en application de l’article 19 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, sur la nomination de Mme Danièle Rivaille comme membre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
Les résultats du scrutin auquel il a été procédé sont les suivants :
Nombre de votants : 36
Bulletins blancs ou nuls : 0
Suffrages exprimés : 36
Avis favorables : 36
Avis défavorables : 0
La Commission a émis un avis favorable à la nomination de Mme Danièle Rivaille comme membre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
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La Commission examine, sur le rapport de Mme Marie-Anne Chapdelaine, le projet de loi renforçant la protection du secret des sources des journalistes (n° 1127).
Mme Marie-Anne Chapdelaine, rapporteure. La protection du secret des sources des journalistes est de ces sujets que l’on pense couverts par le droit et la sagesse collective, jusqu’au jour où la réalité des faits et la puissance des intérêts démontrent les failles de notre législation. Or, sans secret des sources, pas de liberté de l’information ; sans liberté de l’information, pas de véritable démocratie. La protection du secret des sources n’est pas un privilège accordé aux journalistes ; c’est une condition de la liberté de la presse.
La loi du 4 janvier 2010 a marqué un progrès : elle a consacré le principe de la protection du secret des sources des journalistes dans l’exercice de leur mission d’information du public ; elle a renforcé l’encadrement des perquisitions lorsqu’elles sont susceptibles de porter atteinte au secret des sources ; elle a étendu le droit accordé au journaliste entendu comme témoin de ne pas révéler ses sources. Mais cette loi est aussi apparue imprécise, notamment dans la définition des motifs permettant de porter atteinte au secret des sources et parce qu’elle ne prévoyait pas d’encadrement procédural des atteintes au secret des sources ; elle ne contenait ni disposition concernant le délit de recel de violation du secret de l’instruction ni sanction pénale en cas d’atteinte au droit des journalistes au secret des sources. Que nul ne voie dans mes propos une charge contre cette loi, véritable avancée juridique, mais qui fut rapidement mise à l’épreuve des faits.
Le projet de loi dont nous débattons aujourd’hui vise à renforcer encore la protection du secret des sources : il affirme de façon plus solennelle l’objet de la protection ; il augmente le nombre des personnes titulaires du droit à la protection du secret des sources ; il définit la notion d’atteinte au secret des sources et durcit les conditions dans lesquelles il est possible de lever ce secret ; les actes d’enquête et d’instruction ayant pour objet de porter atteinte au secret des sources nécessiteront une décision préalable et spécialement motivée du juge des libertés et de la détention (JLD). Une immunité pénale des journalistes est instaurée pour les délits de recel de violation du secret professionnel, du secret de l’instruction, du délit d’atteinte à l’intimité de la vie privée, ainsi qu’une sanction pénale pour les atteintes illégales au secret des sources.
Si ce projet a été salué comme une grande amélioration par rapport au texte de 2010, les nombreuses auditions auxquelles nous avons procédé ont fait surgir des doutes sur un point précis : la définition des motifs permettant de porter atteinte au secret des sources. Le projet de loi cherche en effet à définir ces motifs de façon plus précise, en visant trois catégories d’infractions : les crimes, les délits constituant une atteinte grave aux intérêts fondamentaux de la nation et les délits constituant une atteinte grave à la personne. Mais cette définition n’est pas satisfaisante, car la notion d’atteinte « grave » laisse une marge d’interprétation importante ; le renvoi aux « intérêts fondamentaux de la nation » n’est pas assez précis. Il aurait fallu renvoyer par exemple aux délits prévus par le titre Ier du livre IV du code pénal. Je vous proposerai donc un amendement visant à définir de façon précise et équilibrée les motifs permettant de porter atteinte au secret des sources, notamment en fixant des seuils de peine et en prévoyant des conditions plus strictes, quand l’atteinte a pour objet de réprimer une infraction, que lorsqu’elle vise à la prévenir. Les autres amendements visent, de même, à conforter les avancées du projet de loi : extension de la protection aux journalistes publiant des livres pour le compte d’une entreprise d’édition – certains journalistes étant maintenant payés en droits d’auteur – et aux personnes exerçant les fonctions de directeur de la publication ou de la rédaction, de même qu’aux collaborateurs de la rédaction non salariés. Je vous proposerai aussi d’ajouter le délit d’intrusion dans un fichier informatique à ceux pour lesquels la peine sera aggravée en cas d’intention de porter atteinte au secret des sources. Je vous proposerai enfin d’étendre le champ d’application de l’article 5 afin que les journalistes puissent accompagner des parlementaires non seulement lors de visites d’établissements pénitentiaires, mais aussi de centres de rétention et de zones d’attente.
La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) considère que la protection du secret des sources des journalistes est l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse, c’est-à-dire une des conditions sine qua non de la liberté d’expression. C’est une condition nécessaire pour que la presse joue son rôle de chienne de garde de la démocratie.
Mme Colette Capdevielle. Ce projet de loi répond à l’engagement du président de la République de renforcer la protection des sources des journalistes, condition du droit à l’information, qui dans une société démocratique s’impose aux autres droits.
L’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dispose que « la libre communication des pensées et des opinions est l’un des droits les plus précieux de l’homme » ; quant à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, il dispose : « Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques ». Il a pourtant fallu attendre 2010 pour que le législateur réagisse enfin aux condamnations répétées de la France par la CEDH : en la matière, notre pays était multirécidiviste.
Mais le texte cosmétique de 2010 a très vite révélé ses insuffisances.
Le projet de loi de Mme Taubira vient corriger les approximations de la loi « Dati » et remédie aux lacunes que la jurisprudence avait commencé à pointer et à rectifier dans un sens plus libéral. Il affirme de manière très solennelle le principe de la protection du secret des sources : l’article 1er réécrit intégralement l’article 2 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse ; le texte précise que cette protection est absolue et que seule la loi peut lui porter atteinte. Il définit de manière plus précise et plus large ceux qui sont protégés, sans faire référence à la carte de presse. Il définit clairement la notion d’atteinte au secret, qui doit rester exceptionnelle, et durcit les conditions dans lesquelles ces atteintes peuvent être portées dans le cadre d’une procédure pénale. Il confie au juge des libertés et de la détention, juge du siège indépendant du parquet et du juge d’instruction, la compétence d’autoriser des actes d’enquête ou d’instruction qui porteraient atteinte au secret des sources et ce, dans des cas exceptionnels et prévus expressément par la loi. Tant la requête que l’ordonnance doivent être spécialement motivées.
Si ces dispositions légales avaient existé, jamais le procureur de Nanterre ne se serait autorisé à saisir les fadettes des journalistes du Monde !
Le projet assortit enfin la violation du secret des sources de lourdes sanctions et prévoit que les journalistes ne pourront être condamnés pour recel de violation du secret de l’instruction.
Notre débat devra conforter et enrichir ce texte court mais très dense. La commission des Affaires culturelles l’a examiné pour avis, et a notamment souligné l’importance des progrès technologiques dans la presse, et la nécessité de les prendre en considération. Il faudra aussi nous demander qui exactement doit être protégé.
La disposition la plus débattue porte sur la définition des motifs d’atteinte. Le projet de loi vise les crimes, ce qui ne pose pas de difficultés, pas plus que les atteintes graves aux personnes – à condition de fixer le niveau de peine encourue.
En revanche, la mention des « intérêts fondamentaux de la nation » est controversée. La protection accordée aux journalistes ne saurait être absolue et la jurisprudence de la CEDH rappelle le principe de proportionnalité. Il ne faut pas qu’une notion trop large, trop floue et par conséquent arbitraire laisse une grande liberté d’appréciation au juge. La protection du secret des sources doit donc être étroitement et précisément encadrée. Si nous fixons un seuil de peine précis pour définir la notion d’infraction « grave », aucune discussion n’est plus alors possible.
Il en va de même pour les conditions dans lesquelles les perquisitions pourront être pratiquées. Ce régime qui doit être très protecteur peut s’assimiler à celui des perquisitions dans les cabinets d’avocats.
Ce texte ouvre enfin la possibilité pour les journalistes d’accompagner les parlementaires dans les établissements pénitentiaires. Il nous est apparu que cette mesure pouvait être étendue à d’autres lieux privatifs de liberté ; je rappelle que ces visites se feront sous la responsabilité et le contrôle des parlementaires, dont le rôle sera crucial.
La presse est en crise – je viens d’ailleurs d’apprendre avec beaucoup de regret qu’un quotidien du Pays basque fermera dans quelques jours, laissant seize personnes au chômage et une partie de l’information locale oubliée. Ce projet de loi vise à restaurer le lien de confiance avec la presse ainsi qu’à valoriser la liberté d’expression et la qualité du difficile travail d’information.
M. Noël Mamère. Ce projet de loi représente un net progrès par rapport à celui qui nous a été soumis en 2010, même si nous ne parvenons pas encore au niveau d’autres pays, notamment la Belgique. Il ne s’agit pas ici de protéger les journalistes, mais leurs sources : c’est une condition de la liberté d’expression, et donc de la démocratie. Le métier de journaliste ne consiste pas à regarder là où il y a déjà de la lumière, mais à dévoiler des vérités que l’on essaye de cacher ; la protection des sources doit donc être pour nous une obsession.
Je regrette que les « intérêts fondamentaux de la nation » soient mentionnés dans ce texte. La commission des Affaires culturelles, comme Mme la rapporteure de la commission des Lois, se sont prononcées pour la disparition de cette notion qui, si elle devait être maintenue, annulerait aux yeux des journalistes toutes les avancées que recèle ce texte.
Les progrès techniques fulgurants que connaît la presse, avec le développement des sites internet, des blogs et des réseaux sociaux, rendent très difficile l’adaptation à la réalité de notre cadre législatif. Le groupe Écologiste a déposé différents amendements tendant à élargir le cercle de ceux qui doivent être protégés. On ne peut pas se limiter à un critère professionnel : les Belges ont ainsi décidé, en 2006, d’élargir la protection des sources à des journalistes bénévoles. Voilà qui pose le problème du statut du journaliste, et le problème des blogueurs. Nous avons également voté une loi sur les lanceurs d’alerte, finalement assez limitée : certains d’entre nous estiment qu’il faudrait étendre cette loi aux lanceurs d’alerte.
Le rôle attribué au JLD est un progrès très important. Nous avons déposé un amendement pour que les journalistes puissent faire appel devant lui afin de protéger leurs sources, par exemple en cas de perquisition.
Une majorité d’entre nous devrait estimer que la notion d’« intérêts fondamentaux de la nation » n’est pas compatible avec l’esprit du projet : si nous arrivons à faire disparaître cette disposition, nous pourrons nous féliciter de l’adoption de ce projet, qui constitue un vrai progrès, même s’il serait possible d’aller encore plus loin. Notre assemblée devra sans doute y revenir, tant le progrès technique va vite.
Enfin, il nous paraît très positif que la garde des Sceaux souhaite permettre aux journalistes d’accompagner les parlementaires lorsqu’ils visitent des lieux de privation de liberté : la société doit être informée des conditions de détention dans nos prisons.
M. Sébastien Huyghe. La loi du 4 janvier 2010 a apporté des progrès notables en matière de protection des sources des journalistes. On lui doit le principe de la protection du secret des sources sauf « impératif prépondérant d’intérêt public », la définition de la notion d’atteinte au secret des sources, et, en cas d’atteinte, la nécessité d’une action « strictement nécessaire et proportionnée », qui est reprise dans le projet de loi que nous examinons.
Si, à l’épreuve des faits, la loi de 2010 s’est révélée parfois difficile à appliquer, nous saluons volontiers les avancées contenues dans ce nouveau texte, qui étend notamment le périmètre des dépositaires de la protection du secret des sources, et remplit certains vides juridiques.
Nous voulons néanmoins exprimer certaines réserves.
La définition du journaliste ne nous satisfait pas : le projet de loi élargit en effet le nombre de titulaires du droit au secret des sources, ce qui est pertinent dans certains cas ; mais la référence aux personnes qui travaillent pour une « entreprise de communication au public en ligne » est très ambiguë et laisse dans l’incertitude le cas des blogueurs. Dès lors qu’ils ne sont pas employés par une entreprise de presse, ceux-ci ne devraient pas pouvoir bénéficier de la protection du secret des sources.
Nous sommes résolument opposés à un rapprochement avec la loi belge, qui fait purement et simplement disparaître toute référence aux « journalistes » et considère comme titulaire du droit à la protection des sources « toute personne qui contribue directement à la collecte, la rédaction, la production ou la diffusion d’informations par le biais d’un média au profit d’un public ». Blogueurs et lanceurs d’alerte ne sont pas des journalistes ! Nous désapprouverions fermement toute tentative de brouillage en la matière.
S’agissant des motifs justifiant une atteinte au secret des sources des journalistes, la rédaction retenue par la commission des Affaires culturelles nous semblerait tout à fait inacceptable – je pense en outre à un amendement de M. Pouzol encore plus restrictif. En effet, elle supprime le motif de l’atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation, considérée comme trop vague, voire comme une régression par rapport à la loi de 2010, mais elle fait surtout disparaître la possibilité d’atteinte en cas de répression d’une infraction, au profit de la seule prévention : aucune atteinte au secret des sources des journalistes ne serait possible dès lors qu’il s’agirait de punir un crime ! Ne cibler que les actions de prévention nous laisse dubitatifs.
S’agissant de l’interdiction de la condamnation d’un journaliste pour délit de recel, nos réserves sont également fortes : les journalistes ne pourront plus être condamnés pour recel en cas de publication de documents provenant du secret de l’instruction, du secret professionnel ou d’une atteinte à la vie privée. Le texte justifie cette interdiction en brandissant un unique garde-fou mentionné dans la jurisprudence de la CEDH : la condamnation serait interdite tant que la publication visée serait légitimée par « l’intérêt général ». La volonté de respecter la jurisprudence de la CEDH est bien compréhensible ; pour autant, cet « intérêt général » est une notion définitivement floue, peu protectrice du secret de l’instruction ou du secret professionnel : le secret de l’instruction, le secret professionnel ou le respect de la vie privée ne deviennent-ils pas des coquilles vides ?
Avec l’instauration par ce projet de loi d’un régime d’exception contre les dirigeants politiques, mes précédentes réserves se transforment en réelle indignation. Comble de l’aberration, l’exposé des motifs énonce : « Si des documents obtenus à la suite de la violation d’un secret portent sur des éléments qu’il est légitime de porter à la connaissance des citoyens, par exemple parce qu’ils concernent un dirigeant politique ou un éventuel scandale sanitaire, le journaliste ne pourra être poursuivi ou condamné pour recel. En revanche, si ces documents concernent, par exemple, la vie privée d’une personne célèbre mais qui n’exerce aucune responsabilité publique, le délit demeurera constitué. » Autrement dit, votre projet, c’est d’instaurer un régime d’exception, où les « personnes célèbres » demeurent protégées, quand vous considérez les dirigeants politiques comme des sous-citoyens, qui n’auraient pas comme les citoyens ordinaires droit au respect de leur vie privée ! En tant que commissaire à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), je suis profondément choqué que vous puissiez établir une telle distinction. Une telle posture relève soit de l’inconscience, soit de la démagogie !
Concernant l’entrée du JLD dans le dispositif en cas de procédure pénale, l’étude d’impact évoque une « protection maximale » sans rien dire de l’apport réel du JLD au dispositif. Quelles seront les conséquences sur l’avancée des enquêtes – enquêtes qui, rappelons-le, porteront sur des affaires graves ? Pourquoi estime-t-on que le procureur ou le juge d’instruction ne pourraient pas, d’eux-mêmes, respecter la loi ? Ne sont-ils pas dignes de confiance ?
Enfin, s’agissant de la visite des établissements pénitentiaires par les journalistes, cet article 5 me paraît globalement hors-sujet, et, de fait, me semble affaiblir la portée du texte. C’est un véritable cavalier législatif, qui pourrait à ce titre être censuré par le Conseil constitutionnel.
Sur le fond, imaginons le cas d’un parlementaire qui souhaiterait faire un coup politique en se faisant accompagner, lors d’une visite en prison, non pas par un journaliste, mais par cinquante ! Pour d’évidentes questions de sécurité, soulignées par des surveillants que j’ai rencontrés, il ne devrait pas être possible de faire entrer dans les établissements de caméras ou d’appareils photographiques. Il faut également limiter le nombre de journalistes qui accompagneraient un parlementaire. Ces établissements doivent être très protégés : faire voir à tous les dispositifs de sécurité pourrait faciliter des évasions.
M. Yann Galut. Ce que vous dites est hallucinant ! Cela n’a rien à voir !
M. Sébastien Huyghe. Effectivement, cet article n’a rien à faire dans ce projet de loi.
L’article 5 ouvre un droit qui devrait au moins être très encadré, en termes de nombre de journalistes comme en termes de matériel utilisé. Sans ces garde-fous, il m’apparaît inacceptable.
J’émets de sérieuses réserves sur ce texte. Comment la majorité et le Gouvernement comptent-ils résoudre les difficultés pratiques qu’il pose ?
M. Georges Fenech. J’ajoute que l’obligation pour le juge d’instruction de demander une autorisation au JLD pour une perquisition est une atteinte à son impartialité, puisque le juge d’instruction a lui aussi le rôle de protecteur des libertés.
Je ne connais pas d’exemple où un juge du siège doit demander à un autre juge du siège de même rang hiérarchique l’autorisation de procéder à un acte judiciaire. C’est pour moi une atteinte constitutionnelle à l’indépendance de ce magistrat, même si je comprends bien que vous souhaitez par là améliorer les garanties données aux journalistes.
Mme la rapporteure. La loi de 2010 avait déjà, je le rappelle, étendu la définition du journaliste au-delà du critère de détention de la carte de presse ; il nous paraît très important que les stagiaires et les collaborateurs de la rédaction soient protégés. En revanche, les blogueurs n’entrent pas dans le cadre de la loi – à l’inverse des journalistes qui tiennent des blogs.
S’agissant de la possibilité de lever le secret, mon amendement conserve la notion de répression, tout en faisant porter l’accent sur la prévention.
S’agissant du recel et de l’immunité des journalistes, le projet de loi se contente de reprendre les critères de la CEDH – que les juridictions françaises sont déjà tenues d’appliquer – en conservant évidemment l’équilibre entre la liberté d’information et la protection de la vie privée ou du secret de l’instruction.
Le rôle attribué au JLD est effectivement une première, liée à l’importance accordée au secret des sources et donc à la liberté d’expression.
Enfin, le projet de loi prévoit qu’un décret précisera les conditions dans lesquelles des journalistes pourront accompagner des parlementaires, et faire leur travail.
La Commission en arrive à la discussion des articles.
Article 1er (art. 2 de la loi du 29 juillet 1881) : Renforcement du principe de la protection du secret des sources des journalistes et durcissement des conditions dans lesquelles il peut y être porté atteinte – Immunité pénale des journalistes pour le délit de recel de violation du secret professionnel ou du secret de l’instruction et le délit de recel d’atteinte à l’intimité de la vie privée
La Commission examine d’abord l’amendement CL63 de Mme la rapporteure.
Mme la rapporteure. La protection du secret des sources n’est pas une prérogative de la profession de journaliste mais une condition de la liberté de la presse : dès lors, il ne faut pas laisser entendre que la protection du secret des sources serait liée à la qualité de « journaliste » ou aux conditions d’exercice de cette profession.
La Commission adopte cet amendement.
Elle est saisie ensuite de deux amendements identiques, CL64 de Mme la rapporteure et CL1 de la commission des Affaires culturelles et de l’éducation.
M. Michel Pouzol, rapporteur pour avis de la commission des Affaires culturelles et de l’éducation. L’extension de la protection aux collaborateurs de la rédaction est bienvenue mais ne doit pas créer de confusion : un collaborateur de la rédaction n’est pas nécessairement un journaliste.
La Commission adopte ces amendements.
Puis elle examine, en discussion commune, les amendements CL62 de Mme la rapporteure et CL2 de la commission des Affaires culturelles.
Mme la rapporteure. Cet amendement étend la protection du secret des sources à la situation du journaliste qui ne travaille pas pour le compte d’une entreprise de presse, mais qui est rétribué en droits d’auteur, ou qui travaille pour une publication éditée par une structure associative, par exemple l’UFC-Que Choisir.
L’amendement CL2 est retiré.
La Commission adopte l’amendement CL62.
Elle examine ensuite, en discussion commune, l’amendement CL61 de Mme la rapporteure et les amendements identiques CL23 de la commission des Affaires culturelles et CL28 de M. Sergio Coronado.
Mme la rapporteure. Il s’agit d’élargir la protection aux personnes exerçant des fonctions de direction de la publication ou de la rédaction.
Les amendements CL23 et CL28 sont retirés.
La Commission adopte l’amendement CL61.
Elle est saisie alors, en discussion commune, des amendements CL60 de Mme la rapporteure, faisant l’objet du sous-amendement CL78 de M. Michel Pouzol, CL25 rectifié de la commission des Affaires culturelles, et CL3 de la commission des Affaires culturelles.
Mme la rapporteure. Cet amendement étend la protection du secret des sources aux collaborateurs occasionnels, c’est-à-dire notamment aux stagiaires et aux correspondants locaux.
M. le rapporteur pour avis. Je précise que le sous-amendement CL78, que je présente sous mon nom, est identique à l’amendement CL3, qui a été voté par la commission des Affaires culturelles. Il s’agit de préciser que les archives de l’enquête peuvent être stockées ailleurs qu’au sein de la rédaction, notamment sur des serveurs.
L’amendement CL25 rectifié vise à élargir le public visé : le terme de salarié paraît trop réducteur.
M. Noël Mamère. Je soutiens les amendements présentés par M. le rapporteur pour avis : il ne faut pas seulement protéger les journalistes appartenant à une rédaction, mais au-delà tous ceux qui contribuent à la diffusion de l’information. C’est tout à fait l’esprit de la loi.
Mme la rapporteure. Je suis défavorable à ces amendements et au sous-amendement : l’extension proposée poserait un problème de sécurité juridique, car on ne pourrait savoir avec certitude quelles personnes sont protégées par la loi. Un rattachement minimal et objectif à la rédaction de l’entreprise de presse est nécessaire pour faire bénéficier une personne de la protection légale ; sans cela, la solidité des enquêtes judiciaires serait excessivement fragilisée.
Quant à l’amendement CL25 rectifié, l’exigence d’un « lien de subordination » me paraît injustifiée : ce n’est pas à mon sens le cas du pigiste ou du correspondant local. Je demande donc plutôt le retrait de cet amendement.
M. Noël Mamère. Comment peut-on imaginer ne pas protéger les sources d’un pigiste ? La presse est en crise et fait appel, non seulement à des pigistes, mais aussi à des stagiaires, dans des conditions qui frisent quelquefois le hors-jeu en matière de droit du travail. Tous ceux-là contribuent à la diffusion de l’information, cherchent des sources… Ce n’est donc pas le journaliste qui doit être protégé, mais les sources dont il est porteur – qu’il soit ou pas porteur d’une carte de presse ; en Belgique, je le disais, il peut même être bénévole ! De plus en plus souvent, les journaux demandent à leurs lecteurs de prendre des photos, et ainsi de devenir correspondants : ceux-ci font alors un travail d’information, et doivent être protégés à ce titre.
Mme la rapporteure. Les pigistes sont évidemment protégés par le projet de loi, de même que les stagiaires et les correspondants locaux.
L’amendement CL25 rectifié est retiré.
La Commission rejette le sous-amendement CL78.
Puis elle adopte l’amendement CL60.
En conséquence, l’amendement CL3 tombe.
La Commission est saisie de l’amendement CL4 de la commission des Affaires culturelles.
M. le rapporteur pour avis. La rédaction actuelle du projet de loi ne prend en considération que les informateurs ; or il s’avère que les archives d’une investigation doivent être tenues aussi secrètes que l’identité des informateurs des journalistes.
Mme la rapporteure. C’est là un amendement de précision tout à fait utile.
La Commission adopte cet amendement.
Puis elle en vient à l’amendement CL27 de M. Sergio Coronado.
M. Noël Mamère. Cet amendement vise à élargir la protection des sources aux auteurs de livres d’enquête, aux documentaristes et aux blogueurs : ils ont tous montré leur importance pour la révélation d’affaires concernant l’État de droit et la République.
Mme la rapporteure. L’amendement CL62 déjà adopté par la Commission permet d’inclure les auteurs de livres. En revanche, compte tenu de la diversité des blogs, qui le plus souvent ne sont pas journalistiques du tout, il paraît difficile d’inclure les blogueurs sans exiger un rattachement minimal à un journal ou à une entreprise d’édition. Cela ferait peser un aléa excessif sur la sécurité juridique des enquêtes.
La Commission rejette cet amendement.
Elle examine ensuite, en discussion commune, l’amendement CL59 de Mme la rapporteure, faisant l’objet de deux sous-amendements de M. Michel Pouzol, CL76 et CL77, et l’amendement CL38 de M. Georges Fenech.
Mme la rapporteure. L’amendement CL59 que je propose devrait lever les inquiétudes des personnes que nous avons auditionnées.
M. Georges Fenech. Mon amendement, qui s’inspire des règles suédoises, va beaucoup plus loin que le texte du Gouvernement, en supprimant la notion de « relation habituelle » : la rédaction actuelle continue en effet d’autoriser toutes les mesures d’enquête ou d’instruction destinées à identifier directement l’informateur du journaliste, dès lors qu’ils n’entretiennent pas ensemble de relation « habituelle » ; or la mise en cause des informateurs est une façon de contourner la protection du secret des sources.
Mme la rapporteure. Il me semble préférable de nous en tenir à l’amendement que je propose. J’émets donc un avis défavorable à l’amendement CL38.
Suivant l’avis de Mme la rapporteure, la Commission adopte le sous-amendement CL76.
Puis, suivant l’avis de Mme la rapporteure, elle rejette le sous-amendement CL77.
Elle adopte alors l’amendement CL59 sous-amendé.
En conséquence, l’amendement CL38 tombe, de même que les amendements CL15, CL5 et CL6, tous de la commission des Affaires culturelles.
La Commission est saisie alors, en discussion commune, des amendements CL58 de Mme la rapporteure, CL39 de M. Georges Fenech et CL7 de la commission des Affaires culturelles.
L’amendement CL58 fait l’objet de deux sous-amendements de M. Michel Pouzol, CL73 et CL74.
Mme la rapporteure. Les amendements CL58, CL39 et CL7 visent le même objectif : trouver une définition à la fois précise et équilibrée des motifs pouvant justifier une atteinte au secret des sources. Chacun convient que la définition donnée par la loi de 2010 n’était pas assez précise ; le projet de loi l’améliore. Les auditions nous ont toutefois montré la nécessité d’éliminer toute incertitude juridique et donc de la reformuler encore. L’amendement CL58 me paraît proposer une définition à la fois plus précise et plus restrictive que les amendements CL39 et CL7.
En effet, l’amendement CL7 ne résout pas la question de l’imprécision de la notion d’atteinte « grave », qui n’est pas définie par le projet de loi. Quant aux actes terroristes, mon amendement permet d’inclure les délits terroristes punis de dix ans d’emprisonnement. L’amendement CL39 propose de limiter les atteintes au secret des sources à la prévention des atteintes graves à l’intégrité des personnes, sur le modèle de la loi belge ; mais cette formulation ne définit pas non plus ce qu’est une atteinte grave, et elle se limite à la prévention. Or la répression d’atteintes graves peut constituer un motif légitime de levée du secret des sources : ainsi, la CEDH l’a acceptée dans une affaire de pédophilie.
Mon amendement CL58 définit de façon très précise les infractions pour lesquelles il serait possible de porter atteinte au secret des sources. Cette rédaction lève toutes les ambiguïtés possibles. Elle prévoit, en outre, des conditions plus restrictives pour la répression que pour la prévention de ces infractions, et permet, je crois, d’atteindre un juste équilibre entre la liberté de la presse et les impératifs de la sécurité publique.
M. Alain Tourret. Le 4° de votre amendement ne laisse-t-il pas largement ouvert le champ des interprétations ? Cela me semble dangereux.
M. Noël Mamère. Sans entrer dans le détail – je comprends la demande de précision de notre collègue –, je voudrais souligner que cet amendement CL58 est celui qui change tout et apporte un véritable progrès à la façon dont nous protégeons les sources des journalistes, en faisant disparaître du texte les « intérêts fondamentaux de la nation ».
Mme Colette Capdevielle. Les auditions ont toutes montré que le projet de loi était trop flou sur ce point. Cet amendement apporte toutes les précisions nécessaires en définissant précisément les infractions concernées. Cela fera disparaître les différences d’appréciation, qui pouvaient être grandes.
M. Yann Galut. Je me félicite moi aussi de cette nouvelle rédaction. S’agissant toutefois de la répression, qu’en dit la CEDH ? La levée du secret des sources pour réprimer une infraction paraît ici très bien encadrée, mais, sur le plan des principes, on peut s’interroger : l’avis de la CEDH peut éclairer notre débat.
Mme la rapporteure. La CEDH admet prévention et répression.
Monsieur Tourret, l’alinéa 4° concerne la répression et non la prévention : il renvoie aux délits déjà mentionnés et exige pour la levée du secret des conditions particulières de gravité liées aux circonstances de l’infraction. Il reviendra au juge d’argumenter en ce sens.
M. le rapporteur pour avis. Ce sujet forme le cœur de la loi. La commission des Affaires culturelles et de l’éducation a adopté un amendement qui avait déjà été déposé en 2008, lors de l’examen en première lecture du projet de loi sur le secret des sources : la loi belge, qui a fortement inspiré nos travaux, définit les atteintes de façon plus précise et plus restrictive que celle qui est ici proposée, et l’amendement CL7 ne fait donc plus référence à la répression mais seulement à la prévention. Les deux sous-amendements CL73 et CL74 tendent à modifier l’amendement de Mme la rapporteure pour supprimer cette référence à la répression.
Nous comprenons bien la logique de levée du secret des sources pour la prévention d’une infraction, mais nous trouvons très étonnant que l’on conserve la notion de répression : nous pourrions donc, dans certaines conditions, faire des journalistes des auxiliaires de police ? Cela revient aussi à penser que les journalistes disposent de moyens d’investigation dont la police et la justice ne disposeraient pas : ce serait inquiétant !
M. Sébastien Huyghe. On peut se féliciter des précisions apportées par cet amendement. Mais la suppression des « intérêts fondamentaux de la nation » me semble poser un problème d’importance. Nous voterons donc contre cet amendement.
M. Noël Mamère. Je voudrais appuyer les arguments développés par M. le rapporteur pour avis : conserver cette notion de répression nuira beaucoup à l’image de ce texte aux yeux des journalistes. C’est la question du statut de l’informateur qui est posée.
Mme la rapporteure. Je précise que le titre Ier du livre IV du code pénal comprend certains délits portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation, à condition qu’ils soient punis de dix ans d’emprisonnement.
La Commission rejette successivement les sous-amendements CL73 et CL74.
Puis elle adopte l’amendement CL58.
En conséquence, les amendements CL39 et CL7 tombent.
La Commission adopte ensuite les amendements de conséquence identiques CL57 de Mme la rapporteure et CL26 de la commission des Affaires culturelles.
La Commission est saisie de l’amendement CL56 de Mme la rapporteure, faisant l’objet d’un sous-amendement CL75 de M. Michel Pouzol.
Mme la rapporteure. Le projet de loi institue une immunité pénale des journalistes pour certains délits : cet amendement propose d’élargir cette immunité à la détention d’images ou d’enregistrements sonores ou audiovisuels – le terme « document » retenu par le projet de loi pouvant être interprété comme s’appliquant exclusivement aux documents écrits –, d’autre part de compléter la liste des délits concernés. Enfin, l’amendement substitue au critère initialement retenu pour bénéficier de l’immunité la condition que la diffusion de l’information constitue un « but légitime dans une société démocratique » – formule utilisée par la CEDH.
M. le rapporteur pour avis. Le sous-amendement CL75 précise que les sources protégées peuvent être stockées chez un hébergeur, c’est-à-dire totalement détachées de la personne du journaliste ou de la rédaction.
Mme la rapporteure. Avis défavorable : le projet de loi s’applique d’ores et déjà aux documents qu’il détient juridiquement, qu’elle qu’en soit la forme physique. Si la précision apportée par l’amendement pourrait à première vue sembler intéressante, elle pourrait cependant permettre un raisonnement a contrario excluant la protection du secret des sources aux situations non mentionnées par la loi.
La Commission rejette le sous-amendement CL75.
Puis elle adopte l’amendement CL56.
En conséquence, les amendements CL17, CL29 et CL30 tombent.
La Commission adopte alors l’article 1er modifié.
Article 2 (Titre XXXIV du livre IV et art. 706-183 à 706-187 [nouveaux] du code de procédure pénale) : Renforcement des règles de procédure pénale encadrant les atteintes au secret des sources des journalistes
La Commission adopte successivement les amendements de cohérence CL55 et CL46 de Mme la rapporteure.
La Commission adopte également l’amendement de conséquence CL65 de Mme la rapporteure. En conséquence, l’amendement CL18 de la commission des Affaires culturelles tombe.
La Commission adopte ensuite l’amendement de conséquence CL66 de Mme la rapporteure. En conséquence, l’amendement CL8 de la commission des Affaires culturelles tombe.
La Commission adopte l’amendement de conséquence CL67 de Mme la rapporteure. En conséquence, l’amendement CL19 de la commission des Affaires culturelles tombe.
La Commission en vient à l’amendement CL47 de Mme la rapporteure.
Mme la rapporteure. Cet amendement prévoit que son droit à ne pas révéler ses sources est notifié à toute personne concernée avant le début d’une audition ou d’un interrogatoire : c’est la conséquence logique de la consécration du droit absolu pour le journaliste de ne pas révéler ses sources.
La Commission adopte cet amendement.
Elle est saisie de l’amendement de conséquence CL54 de Mme la rapporteure qui fait l’objet des sous-amendements CL71 et CL72 de M. Michel Pouzol.
Suivant l’avis de Mme la rapporteure, la Commission rejette les sous-amendements.
Puis elle adopte l’amendement.
En conséquence, les amendements CL20, CL9, CL10 et CL11, tous de la commission des Affaires culturelles, tombent.
La Commission examine ensuite l’amendement CL40 de M. Sergio Coronado.
M. Noël Mamère. Cet amendement tend à permettre aux journalistes qui s’estiment victimes d’une atteinte au secret de leurs sources de faire appel de la décision du JLD – lorsqu’ils en ont connaissance. Cette dernière précision a été ajoutée à la suite de la discussion en commission des Affaires culturelles.
Mme la rapporteure. Les garanties procédurales prévues par le projet de loi nous paraissent suffisantes. L’ajout d’une possibilité d’appel serait superflu, et surtout inadapté dans le cadre d’une procédure de perquisition qui doit pouvoir être exécutée dans des délais brefs, sous peine d’être totalement inefficace.
La Commission rejette cet amendement.
La Commission adopte alors l’amendement de conséquence CL68 de Mme la rapporteure. En conséquence, l’amendement CL12 de la commission des Affaires culturelles tombe.
Puis elle en vient à l’amendement CL41 de M. Sergio Coronado.
M. Noël Mamère. Dans le même esprit, il s’agit de permettre à un journaliste qui s’estime victime d’atteinte au secret de ses sources de saisir le JLD.
Mme la rapporteure. Avis défavorable : cet amendement est bien trop flou et de toute façon superflu. La sanction de l’atteinte au secret des sources réside dans la possibilité de demander l’annulation de la procédure.
La Commission rejette cet amendement.
La Commission est saisie de l’amendement CL53 de Mme la rapporteure.
Mme la rapporteure. C’est un amendement de cohérence avec la nouvelle rédaction de l’article 2 : il s’agit de protéger le secret des sources d’un journaliste quel que soit le support.
La Commission adopte cet amendement.
En conséquence, l’amendement CL13 de la commission des Affaires culturelles tombe.
La Commission adopte alors l’article 2 modifié.
Après l’article 2
La Commission est saisie de plusieurs amendements portant article additionnel après l’article 2.
Elle examine d’abord de l’amendement CL43 de Mme Colette Capdevielle.
Mme Colette Capdevielle. La question des perquisitions au bureau ou au domicile d’un détenteur d’une source protégée devrait être traitée avec le même soin que la perquisition dans un cabinet ou au domicile d’un avocat, en tenant compte des particularités de chacune de ces professions. Or le projet de loi ne répond que partiellement à cette préoccupation.
La loi actuelle prévoit une procédure particulière, et notamment que « la personne présente lors de la perquisition en application de l’article 57 du présent code peut s’opposer à la saisie d’un document ou de tout objet si elle estime que cette saisie serait irrégulière. Le document ou l’objet doit alors être placé sous scellé fermé […] ». Ces personnes sont soit l’intéressé, soit la personne qu’il a désignée et à défaut deux « témoins ».
Cet amendement vise à préciser qui peuvent être ces personnes.
Mme la rapporteure. C’est là une excellente idée, et quelque chose que l’on nous a souvent demandé. Toutefois, il n’y a pas d’organisation de la profession et il est dès lors difficile de prévoir dans la loi une représentation par des personnes dont le statut n’existe pas encore. Je propose donc le retrait de cet amendement, afin de le retravailler d’ici à la discussion en séance publique.
M. Noël Mamère. Je soutiens cet amendement. Il n’est pas nécessaire de préciser dans la loi qui assiste à la perquisition : ce peut très bien être une personne déléguée par la rédaction, par exemple, le cas échéant.
Mme la rapporteure. Dans le cas d’une procédure pénale, il est nécessaire que cette personne soit désignée précisément. Différentes solutions sont possibles, mais il n’y a pas aujourd’hui de consensus.
L’amendement CL43 est retiré.
La Commission examine ensuite les amendements identiques CL22 de la commission des Affaires culturelles et CL31 de M. Sergio Coronado.
M. le rapporteur pour avis. L’affaire des « fadettes » du Monde a montré toute l’importance des données de connexion : cet amendement propose donc que leur remise soit assimilée à une interception de correspondance.
M. Noël Mamère. Les données de connexion donnent énormément d’informations : il est donc absolument nécessaire de les protéger.
Mme la rapporteure. En proposant de redéfinir le champ d’application des règles du code de procédure pénale concernant les écoutes téléphoniques, ces amendements vont au-delà du champ du présent projet de loi : il faudrait un travail de concertation avec l’ensemble des acteurs de la procédure pénale.
La Commission rejette ces amendements.
Elle est saisie de l’amendement CL32 de M. Sergio Coronado.
M. Noël Mamère. Cet amendement vise à ajouter les journalistes et entreprises de presse à la liste des personnes faisant l’objet d’une procédure spéciale pour les interceptions de correspondance.
Mme la rapporteure. Cette modification serait redondante avec des dispositions déjà prévues par le projet de loi : l’amendement est satisfait.
La Commission rejette cet amendement.
Article additionnel après l’article 2 bis (art. L. 1351-1 du code de la santé publique) : Harmonisation des statuts de lanceur d’alerte
La Commission est saisie de l’amendement CL33 de M. Sergio Coronado.
M. Noël Mamère. Il ne s’agit pas ici de redéfinir le statut des lanceurs d’alerte, mais de mieux les protéger. Ce n’est pas un cavalier législatif : les lanceurs d’alerte entrent dans le champ de ce projet de loi, de la même façon que Mme la garde des Sceaux a intégré au projet de loi l’extension du droit de visite des lieux de privation de liberté.
Mme la rapporteure. C’est une modification de cohérence avec l’article 35 de la loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière. Avis favorable.
M. Yann Galut. Merci !
La Commission adopte cet amendement.
Article 3 (art. 326, 100-5, 109 et 437 du code de procédure pénale) : Modifications de coordination avec l’instauration d’un droit général pour les journalistes de ne pas révéler leurs sources
La Commission adopte l’article 3 sans modification.
Article 4 (art. 226-4, 226-15, 432-8 et 432-9 du code pénal) : Aggravation des délits de violation de domicile et de violation du secret des correspondances en cas d’intention de porter atteinte au secret des sources d’un journaliste
L’amendement CL21 est retiré.
La Commission adopte alors l’amendement de conséquence CL51 de Mme la rapporteure.
Elle en vient ensuite à l’amendement CL52 de Mme la rapporteure.
Mme la rapporteure. Cet amendement étend la circonstance aggravante de violation du secret des sources au délit d’intrusion dans un fichier informatique prévu par l’article 323-1 du code pénal.
La Commission adopte cet amendement.
Puis la Commission adopte l’article 4 modifié.
Article 5 (art. 719 du code de procédure pénale) : Possibilité pour les parlementaires visitant un établissement pénitentiaire d’être accompagnés par un ou plusieurs journalistes
La Commission examine d’abord l’amendement CL42 de Mme Capdevielle, faisant l’objet d’un sous-amendement CL69 de Mme la rapporteure.
Mme Colette Capdevielle. Cet amendement tend à étendre le droit de visite des lieux de privation de liberté déjà reconnu aux parlementaires : ceux-ci pourraient désormais visiter également les centres éducatifs fermés.
Mme la rapporteure. Avis favorable, sous réserve de l’adoption de mon sous-amendement, qui vise – en lien avec l’amendement CL70 – à inscrire dans le CESEDA (code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) plutôt que dans le code de procédure pénale la possibilité pour les parlementaires de visiter les centres de rétention et les zones d’attente.
La Commission adopte le sous-amendement CL69.
Puis elle adopte l’amendement CL42 ainsi sous-amendé.
La Commission examine alors, en discussion commune, les amendements CL34 de M. Sergio Coronado, CL50 de Mme la rapporteure, et les amendements identiques CL24 de la commission des Affaires culturelles et CL35 de M. Sergio Coronado.
M. Noël Mamère. Cet amendement vise à permettre aux journalistes d’accompagner les parlementaires dans les centres de rétention et les zones d’attente mais également dans les locaux de garde à vue. Le citoyen doit pouvoir savoir ce qui se passe dans ces lieux de privation de liberté ; les parlementaires et les journalistes doivent les en informer. Bien sûr, nous n’ignorons pas les obstacles qu’il a fallu vaincre pour imposer que les avocats puissent accéder à ces locaux dès la première heure de garde à vue…
Mme la rapporteure. J’approuve l’extension de ce droit aux centres de rétention, aux zones d’attente et aux centres éducatifs fermés, mais je désapprouve son extension aux locaux de garde à vue, lieux d’enquête où la présence impromptue de journalistes pourrait poser des problèmes de sécurité et de respect du secret de l’enquête. Je demande donc le retrait de cet amendement ; à défaut, mon avis sera défavorable.
L’amendement CL34 est retiré.
La Commission adopte l’amendement CL50.
En conséquence, les amendements CL24 et CL35 tombent.
La Commission examine, en discussion commune, l’amendement CL49 de Mme la rapporteure et l’amendement CL44 de Mme Colette Capdevielle.
Mme la rapporteure. Il s’agit de supprimer la mention d’une habilitation des journalistes.
L’amendement est adopté.
En conséquence, l’amendement CL44 tombe.
La Commission est saisie de l’amendement CL36 de M. Sergio Coronado.
M. Noël Mamère. Il s’agit de permettre aux journalistes de faire leur travail, c’est-à-dire de filmer et d’enregistrer – sous certaines conditions bien sûr : ils ne peuvent être simplement des figurants, accompagnateurs de parlementaires.
Mme la rapporteure. Avis favorable : le décret qui définira les conditions dans lesquelles se déroule la visite des journalistes accompagnant les parlementaires devra préciser les conditions dans lesquels il sera possible de filmer ou d’enregistrer.
M. Sébastien Huyghe. Nous voterons contre cet amendement.
La Commission adopte cet amendement.
Suivant l’avis défavorable de Mme la rapporteure, la Commission rejette l’amendement CL37 de M. Sergio Coronado.
La Commission adopte l’amendement de cohérence CL70 de Mme la rapporteure.
Puis elle adopte l’article 5 modifié.
Article 6 : Application territoriale de la loi
La Commission adopte l’article 6 sans modification.
Titre
La Commission adopte l’amendement de conséquence CL48 de Mme la rapporteure.
M. Sébastien Huyghe. Ce texte comporte des avancées, mais il suscite aussi des interrogations : nous nous abstiendrons.
La Commission adopte l’ensemble du projet de loi modifié.
*
* *
La Commission procède au dépouillement du scrutin sur la nomination de M. Jean-Louis Nadal aux fonctions de président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, simultanément au dépouillement du scrutin sur cette nomination opéré par la commission des Lois du Sénat.
Les résultats du scrutin auquel il a été procédé sont les suivants :
Nombre de votants : 46
Bulletins blancs ou nuls : 2
Suffrages exprimés : 44
Avis favorables : 33
Avis défavorables : 11.
La Commission a émis un avis favorable à la nomination de M. Jean-Louis Nadal aux fonctions de président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
La séance est levée à 12 heures 50.
——fpfp——
Information relative à la Commission
La Commission a désigné M. Philippe Gosselin, co-rapporteur sur la mise en application de la loi qui serait issue de l’adoption définitive de la proposition de loi tendant à renforcer la lutte contre la contrefaçon (n° 1575).
Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Nathalie Appéré, M. Christian Assaf, Mme Marie-Françoise Bechtel, M. Erwann Binet, M. Jean-Pierre Blazy, M. Jacques Bompard, M. Marcel Bonnot, M. Christophe Borgel, M. Dominique Bussereau, Mme Colette Capdevielle, Mme Marie-Anne Chapdelaine, M. Gilbert Collard, Mme Pascale Crozon, M. Jean-Pierre Decool, Mme Françoise Descamps-Crosnier, M. Patrick Devedjian, M. Marc Dolez, M. René Dosière, M. Philippe Doucet, M. Olivier Dussopt, M. Matthias Fekl, M. Georges Fenech, M. Hugues Fourage, M. Yann Galut, M. Guy Geoffroy, M. Bernard Gérard, M. Daniel Gibbes, M. Yves Goasdoué, M. Philippe Gosselin, M. Philippe Goujon, Mme Françoise Guégot, M. Philippe Houillon, M. Sébastien Huyghe, Mme Marietta Karamanli, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, Mme Anne-Yvonne Le Dain, Mme Axelle Lemaire, M. Bernard Lesterlin, M. Paul Molac, M. Pierre Morel-A-L'Huissier, Mme Nathalie Nieson, M. Edouard Philippe, M. Sébastien Pietrasanta, M. Jean-Frédéric Poisson, M. Pascal Popelin, M. Dominique Raimbourg, M. Bernard Roman, M. Roger-Gérard Schwartzenberg, M. Alain Tourret, Mme Cécile Untermaier, M. Jean-Jacques Urvoas, M. Daniel Vaillant, M. François Vannson, M. Patrice Verchère, Mme Marie-Jo Zimmermann, M. Michel Zumkeller
Excusés. - M. Sergio Coronado, M. Carlos Da Silva, M. Marc-Philippe Daubresse, Mme Laurence Dumont, M. Édouard Fritch, M. Armand Jung, Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, M. Guillaume Larrivé, M. Alfred Marie-Jeanne
Assistaient également à la réunion. - M. Dino Cinieri, M. Noël Mamère, M. Michel Pouzol