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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mardi 22 juillet 2014

Séance de 15 heures

Compte rendu n° 75

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, Président

– Audition de M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, sur le projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme (n° 2110) (M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur) et examen du projet de loi

La séance est ouverte à 15 heures.

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, président.

La Commission procède à l’audition de M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, sur le projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme (n° 2110) (M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur) puis examine le projet de loi.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Nous avons le plaisir d’accueillir M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, pour examiner un texte qui a déjà suscité nombre de commentaires dans les médias. Vous avez d’ailleurs reçu l’avis de la commission créée par le président Bartolone sur les droits et libertés à l’âge du numérique, que Christian Paul a jugé utile de porter à la connaissance des membres de notre Commission.

Nous allons donc auditionner le ministre, qui va nous présenter le projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme ; nous entendrons ensuite notre rapporteur, Sébastien Pietrasanta, puis nos collègues inscrits dans la discussion générale, avant d’en venir à l’étude de la cinquantaine d’amendements qui ont été déposés. Beaucoup d’entre eux sont rédactionnels, mais quelques-uns nécessiteront un débat entre nous.

Monsieur le ministre, nous vous remercions de la disponibilité dont vous faites preuve, malgré les contraintes qui pèsent sur votre agenda – que nous savons lourdes.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur. J’étais venu le 30 avril dernier devant votre Commission, à l’invitation de son président, vous présenter le plan adopté par le Gouvernement afin de lutter contre le basculement d’un certain nombre de nos ressortissants dans le djihad en Syrie. J’avais alors insisté sur la menace très sérieuse que présentait pour la sécurité publique la présence de nombreux citoyens français, ou d’étrangers résidant sur le territoire national, parmi les combattants enrôlés par les groupes djihadistes les plus radicaux en Syrie. Je crois même avoir ajouté qu’aucun des chantiers de sécurité dont j’avais eu à connaître depuis ma prise de fonction ne présentait de risques aussi lourds pour notre pays.

Quelques semaines plus tard était arrêté à Marseille un jeune Français de retour de Syrie, Mehdi Nemmouche, soupçonné d’avoir commis le 24 mai l’attentat meurtrier contre le Musée juif de Bruxelles. Cet épisode venait illustrer de manière particulièrement dramatique la portée de la menace pesant sur l’Europe, du fait de l’évolution rapide des conflits au Proche-Orient et de la présence, parmi les combattants des groupes les plus radicaux, d’individus originaires de l’Union européenne.

Depuis lors, le groupe terroriste « État Islamique en Irak et au Levant » (EIIL), auquel Nemmouche était affilié, a comme vous le savez pris le contrôle d’une partie du territoire irakien. Son chef s’est autoproclamé le 29 juin « calife » d’un « État islamique », et a appelé au djihad mondial, en défiant les valeurs qui fondent l’organisation de la société internationale. Il faut malheureusement s’attendre à ce que cette évolution du conflit, notamment en Irak, renforce le pouvoir d’attraction de l’« État islamique en Irak et au Levant » et d’autres groupes radicaux auprès d’individus tentés par ce basculement vers les groupes djihadistes et ce, partout au sein de l’Union européenne. En effet, la France n’est pas la seule à être concernée par le phénomène : d’autres pays de l’Union le sont, parfois davantage que nous-mêmes si l’on rapporte le nombre de jeunes engagés dans des opérations djihadistes à la population totale du pays.

Par conséquent, mon message sera aujourd’hui sans la moindre ambiguïté. Il nous faut lutter de toutes nos forces contre ce phénomène de basculement, mais il nous faut aussi jeter toutes nos forces dans le débat, pour éviter les amalgames, les préjugés, et un certain nombre de facilités. Les groupes de terroristes, qui se réclament de façon indue de l’Islam et dévoient son message pour justifier leurs projets de domination et de violence, n’ont rien à voir avec l’Islam de France, dont les responsables et les fidèles adhèrent dans leur écrasante majorité aux valeurs et aux règles de la République. Cela a été rappelé avec force hier, à l’occasion de la réunion organisée par le président de la République en présence de l’ensemble des représentants des cultes, par le recteur de la Mosquée de Paris. Rappeler cela, c’est rappeler une réalité ; c’est aussi se montrer soucieux, dans un contexte particulièrement difficile, de la cohésion de notre société ; c’est chercher le chemin de l’efficacité et de la fermeté lorsqu’il s’agit de lutter contre le basculement de ressortissants français et européens dans des groupes djihadistes. Mais c’est aussi appeler à la responsabilité, afin que les amalgames ne viennent pas nourrir d’autres objectifs que celui de la lutte contre le terrorisme. La tolérance, le respect de l’autre, le dialogue inter-religieux, la volonté de vivre ensemble sont les armes les plus fortes dont nous disposons dans notre lutte contre le terrorisme, comme contre toutes les formes de violence et de haine.

En dépit des efforts engagés par le Gouvernement pour décourager les départs vers la Syrie, le nombre de jeunes Français radicalisés combattant sur ce théâtre d’opérations n’a cessé de croître. Il est important de donner à la représentation nationale, dans la plus grande transparence, les chiffres dont nous disposons. On ne combat pas un phénomène dans l’opacité, ni dans le flou des faits et des éléments statistiques. Il importe de dire à chaque instant la vérité, et de donner – notamment à la représentation nationale, qui a vocation à en connaître – les chiffres les plus actualisés, et cela en permanence, de manière à pouvoir réfléchir ensemble, mais aussi mesurer l’adéquation entre les objectifs que nous nous assignons et les résultats obtenus. En six mois, les effectifs combattants sont passés de 234 à 334, comprenant au moins 55 femmes et 7 mineurs ; le nombre des individus plus généralement impliqués dans les filières djihadistes, en incluant les personnes en transit, celles qui sont de retour en France et les individus ayant manifesté des velléités de départ, est passé de 567 à 883 sur la même période, soit une augmentation de 56 %. Ces chiffres sont comparables à ceux constatés dans d’autres pays de l’Union européenne ; ils montrent la gravité du phénomène ; ils nous obligent à prendre les mesures qui s’imposent pour l’endiguer.

Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire devant vous, le Gouvernement a donc adopté pour répondre à ces menaces un plan de lutte contre la radicalisation violente et les filières terroristes. Les mesures du plan ne nécessitant pas de modification de l’état du droit ont été prises rapidement. C’est ainsi que le numéro vert mis en place pour permettre aux familles de signaler les risques de départ pour la Syrie a suscité pas moins de 234 signalements entre le 29 avril et le 7 juillet. Par ailleurs, nous avons insisté, avec la garde des Sceaux, pour que soient mobilisés tous les dispositifs permettant d’interpeller et d’engager des procédures. Au cours de cette période, la justice a donc ouvert 58 procédures, et les forces de sécurité ont procédé à une centaine d’interpellations. Pas moins de 62 personnes ont été mises en examen par les magistrats du pôle anti-terroriste du tribunal de grande instance de Paris. Chaque semaine, en fonction des éléments donc nous disposons, et dans le cadre de procédures judiciaires ouvertes, il est procédé à des interpellations et à des arrestations. Ce matin encore, à Albi, trois personnes, dont certaines étaient parties faire le djihad en Syrie et revenues sur le territoire national, et pour lesquelles nous avions des éléments témoignant de leur volonté de perpétrer des actes de nature à porter atteinte à la sécurité de citoyens français, ont été interpellées. Nous poursuivrons ces interpellations, car elles sont la condition de la neutralisation d’un certain nombre d’individus pouvant porter atteinte à la sécurité de notre pays et de ses ressortissants.

Mais l’expérience nous montre qu’il nous faut aussi renforcer notre législation pour l’adapter aux mutations du terrorisme qui sont à l’œuvre. Nos adversaires s’adaptent en permanence ; ils font évoluer les modalités de leurs interventions, à la fois pour se dissimuler, pour échapper à nos services de sécurité et de renseignement, et par conséquent à la justice. Si nous voulons être efficaces face à cette menace en perpétuelle mutation, il nous faut nous aussi adapter nos outils.

Avant toute chose, j’aimerais vous présenter l’esprit de ce projet de loi, son contenu, et apporter certaines précisions pour lever tout malentendu sur les intentions du Gouvernement, en premier lieu sur la protection des libertés publiques. Le sujet a été débattu dans les médias ; il convient donc de répondre ; aucune critique ne doit être considérée comme mineure, chaque question soulevée doit trouver une réponse. D’autre part, nous devons être attentifs aux possibilités de contournement du dispositif que nous projetons de mettre en œuvre, afin de nous assurer qu’il est aussi efficace quant aux outils qu’il mobilise.

Je sais que vous êtes tous conscients de la réalité de la menace encourue par notre pays, et que vous souscrivez à l’objectif de lutter efficacement contre le terrorisme. Mais je sais également que vous serez attentifs à ce que les mesures nécessaires pour la sécurité publique ne soient pas prises au détriment de libertés fondamentales telles que la liberté d’expression et la liberté d’aller et venir.

Le Gouvernement partage votre préoccupation. Le rétrécissement du champ des libertés fondamentales ne peut être le prix à payer pour le renforcement de la lutte contre le terrorisme. C’est pourquoi nous avons voulu vous soumettre un texte équilibré, qui concilie l’efficacité de la prévention et de la répression, avec la garantie effective des droits des citoyens. Je voulais réaffirmer devant votre Commission, au moment où elle s’apprête à l’examiner, que cet équilibre est bien au cœur du texte.

C’est dans ce cadre que le Gouvernement a préparé le texte soumis à votre examen.

Sa première mesure est l’interdiction de sortie du territoire, prévue à l’article 1er, qui permettra aux autorités de s’opposer au départ de nos ressortissants hors de France, dès lors qu’il existe – j’insiste sur ce point – des raisons sérieuses de croire que leur déplacement a une finalité terroriste, ou que leur retour pourrait porter atteinte à la sécurité publique.

Il s’agit là d’une mesure importante, qui vient combler une lacune de notre dispositif de lutte contre le terrorisme, puisque cette capacité d’empêcher le départ d’un individu majeur n’existait jusqu’à présent que dans le cadre d’une procédure judiciaire. Ce type de disposition existe déjà dans d’autres pays de l’Union européenne, notamment dans deux grands pays, le Royaume-Uni et l’Allemagne.

Le fait de quitter le territoire ou de tenter de le quitter en violation d’une décision d’interdiction d’en sortir sera puni d’une peine de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. Cette mesure nécessitera, pour être pleinement effective, la coopération de nos partenaires européens, mais également celle des transporteurs.

L’interdiction de sortir du territoire constitue naturellement une restriction à la liberté d’aller et venir, même si les individus qui y seront soumis demeureront libres de se déplacer sur tout le territoire national. Cette mesure est donc entourée de garanties. Elle ne pourra être prise qu’au vu d’éléments précis, solides et circonstanciés. Elle pourra bien entendu faire l’objet d’un recours devant le juge administratif, lequel pourra être saisi en référé, donc dans un délai extrêmement court. Contrairement à ce qui a pu être dit, les éléments sur la base desquels le juge prendra sa décision seront systématiquement communiqués à la personne mise en cause, qui pourra se faire assister d’un avocat. Enfin, la décision sera prise pour une durée limitée à six mois, renouvelable seulement si les conditions le justifient et, lors de l’éventuel renouvellement, au terme d’une procédure contradictoire. La même possibilité de recours sera ouverte lors du renouvellement. Tout au long de la procédure, les garanties seront donc aussi fortes que dans le cas d’un contrôle par le juge judiciaire.

Comme vous le savez, vous avez été saisis dans un temps très restreint pour l’examen de ce projet de loi. L’urgence se justifie par la nature même du projet de loi et l’intensité de la menace. Grâce à l’implication de votre rapporteur, dont je veux saluer le travail, vous avez pu procéder à un certain nombre d’auditions au terme desquelles votre rapporteur a proposé que cette interdiction de sortie du territoire puisse être assortie d’une possibilité de retrait de la carte nationale d’identité, mesure qui existe déjà dans des cas très circonscrits et qui aurait pour effet de consolider le dispositif existant. Votre Commission aura à se prononcer sur cet amendement.

La prévention du terrorisme dépend également de notre capacité à empêcher la diffusion de messages sur Internet appelant au terrorisme ou le glorifiant. Nous avions engagé le débat sur ce sujet au moment de l’examen par votre Commission de la proposition de loi de M. Guillaume Larrivé. Je vous avais alors indiqué que nous y reviendrions à l’occasion de l’examen de ce projet de loi. En effet, les enquêtes montrent qu’une grande partie des projets de départ pour la Syrie résultent de processus d’auto-radicalisation nourris par la fréquentation de sites Internet. J’insiste sur ce point : ce ne sont pas les prêches radicaux dans les mosquées qui expliquent le basculement, mais le plus souvent une relation exclusive de toute autre avec Internet, à travers la consultation de sites et de vecteurs de communication remarquablement organisés, qui parviennent, par une propagande qui rappelle ce que les sectes sont capables de produire de plus sophistiqué, à embrigader, à convaincre et à conduire à ce basculement. Il importait donc de traiter de cette question dans le texte.

Les fournisseurs d’accès à Internet seront d’abord astreints à l’obligation de surveillance limitée prévue par la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, au même titre que pour les appels à la haine raciale, la glorification des crimes contre l’humanité ou la promotion de la pédopornographie. Il s’agit de perturber le fonctionnement des sites de propagande, mais également des forums où se nouent les contacts et où s’échangent des conseils.

Par ailleurs, le blocage administratif des sites Internet prévu à l’article 9 complétera les dispositions de la loi du 21 juin 2004. Il donnera la possibilité à l’autorité administrative de demander aux fournisseurs d’accès de bloquer l’accès aux sites provoquant aux actes de terrorisme ou en faisant l’apologie, à l’instar de ce que le législateur a prévu pour les sites pédopornographiques. Je suis conscient des réserves que suscite ce dispositif. Je ne veux ni les éluder, ni les contourner. Je vous dirai ici des choses simples, qui rejoignent mes propres convictions. Il n’y a pas d’un côté les garants de l’ordre public et de l’autre les défenseurs de la neutralité du net, tout comme il n’y a pas d’un côté les pourfendeurs de l’espace de liberté qu’est Internet et de l’autre des libertaires prêts à fermer les yeux sur la propagation du terrorisme pour préserver leur espace de liberté. Je veux croire qu’il y a chez les garants du Net une volonté incontestable de lutter contre le risque terroriste, tout comme je suis moi-même précautionneux quant à ce qui fait la singularité d’Internet. C’est la raison pour laquelle, tout en assumant pleinement le dispositif, je tiens à ce que nous recherchions ensemble toutes les solutions de nature à permettre d’éviter le sur-blocage.

Je souhaite que le blocage administratif des sites vise de façon limitative les contenus diffusés par des individus ou groupes djihadistes faisant par ce biais la publicité de leurs exactions. Je suggère à ceux d’entre vous qui ne l’auraient pas déjà fait d’aller voir les images d’exécutions, de crucifixions et de décapitations qui circulent sur les réseaux, ou bien à lire ou à entendre les éléments de propagande invitant à rejoindre le théâtre des opérations, qui vont jusqu’à fournir les conseils « techniques » pour commettre des actes terroristes. Certes, il est des espaces de liberté sacrés, et nous devons veiller à ce qu’ils demeurent des espaces de dialogue libres. Mais il existe une instrumentalisation de ces espaces pour véhiculer des images qui sont de nature à conduire à des actes remettant en cause les valeurs de nos démocraties, y compris les plus fortes – parmi lesquelles les libertés. Si les incitations au terrorisme et au djihadisme dont je viens de parler avaient lieu sur la voie publique, elles seraient naturellement interdites et feraient aussitôt l’objet de mesures coercitives. Il n’est pas question de les tolérer sur d’autres espaces sans envisager de mesures de protection de nos ressortissants, et notamment des plus jeunes.

Il nous faut donc un dispositif efficace, et je souhaite y associer des mécanismes de contrôle. Nous envisageons par exemple qu’une personnalité qualifiée puisse intervenir. Votre rapporteur propose qu’elle soit désignée par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). Pourquoi pas ? Elle serait investie de la responsabilité de contester le blocage d’un site Internet, et le cas échéant de saisir les juridictions administratives.

D’autres critiques ont pu viser, symétriquement, l’efficacité du dispositif projeté par le Gouvernement. Le Conseil national du numérique, dans un avis récent, a ainsi fait valoir que les groupes djihadistes disposaient du savoir-faire technique nécessaire pour dupliquer les sites censurés, et qu’ils pourraient être incités à complexifier leurs techniques de clandestinité. Cet avis pointait également le risque d’alerter les groupes terroristes de la surveillance dont ils font l’objet par les services de renseignement.

Ce dernier peut être facilement écarté, car les services de renseignement seront systématiquement consultés sur l’opportunité de bloquer un site, quand ils ne seront pas eux-mêmes à l’origine de la demande de blocage auprès des hébergeurs et fournisseurs d’accès.

Quant aux possibilités de contournement, elles existent sans doute. Elles ne remettent pas en cause la pertinence de toutes les opérations de blocage.

Dans la même perspective que le blocage, l’apologie et la provocation au terrorisme ne relèveront plus de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, mais du code pénal, et certaines des techniques spéciales d’enquête applicables au terrorisme leur seront applicables, comme l’infiltration ou les interceptions de communication, sous le contrôle de l’autorité judiciaire. Il s’agit de tirer les conséquences de la stratégie mise en place par les groupes terroristes comme Al-Qaïda, qui ont théorisé le « djihad médiatique » et ont intégré la propagande à leur stratégie pour s’en servir comme d’une arme.

L’expérience montre par ailleurs que le cas des individus auto-radicalisés, agissant seuls à leur retour de Syrie ou préparant un attentat en s’aidant d’informations disponibles sur Internet, doit également être pris en considération dans le cadre de la répression du terrorisme. C’est pourquoi est créé, à l’article 5, le délit d’entreprise individuelle terroriste, puni de dix ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende. Il s’agit de nous donner les outils juridiques nécessaires à l’appréhension, avant le passage à l’acte, d’une personne isolée résolue à commettre un crime terroriste, dès lors qu’elle est détectée.

La création de ce délit d’entreprise individuelle terroriste a également pu susciter certaines inquiétudes, au motif qu’elle ne répondrait pas à une réelle nécessité, et qu’elle viserait des actes préparatoires, sanctionnant une simple intention.

Je veux dire devant votre Commission que je ne crois pas au concept du « loup solitaire ». La démarche, l’embrigadement, la radicalisation, la préparation psychologique qui conduit à un moment un jeune à envisager de commettre un acte terroriste remontent loin et peuvent mobiliser de nombreux acteurs. Ces actes ne s’improvisent pas : il y a une entreprise qui est à rebours de ce que suggère l’expression du « loup solitaire ». Néanmoins, il peut y avoir dans le passage à l’acte une démarche qui concerne l’individu seul. Les services de lutte anti-terroriste et les magistrats spécialisés ont été confrontés dans un passé récent à des cas, pour l’instant peu nombreux, mais bien réels. Je pense à ce jeune radicalisé qui a poignardé des militaires du plan Vigipirate, au centre commercial de la Défense, en mai 2013, ou encore à ce militaire d’extrême-droite, interpellé en banlieue lyonnaise l’été dernier alors qu’il projetait de commettre un attentat contre une mosquée, et qui n’a pu faire l’objet de poursuites judiciaires de ce chef du fait, précisément, de cette carence dans la loi.

À l’évidence, et pour m’en être entretenu avec des magistrats anti-terroristes, j’ai acquis la conviction qu’il est indispensable de donner aux forces de sécurité les moyens juridiques d’intervenir avant qu’un attentat soit commis par un individu qui peut présenter ce profil. Cette incrimination devra toutefois être caractérisée par le juge, sur la base d’un ensemble solide d’éléments matériels propre à démontrer l’intention résolue de commettre une action terroriste d’une particulière gravité. Le texte prévoit en particulier que parmi ces actes, le suspect devra obligatoirement s’être procuré des substances dangereuses ou des armes, ou avoir cherché à le faire, afin d’objectiver au mieux sa détermination. Votre rapporteur propose une liste de critères pour cerner davantage l’incrimination ; il reviendra là encore à votre Commission de trancher.

Nous nous attachons également à renforcer les moyens de l’enquête judiciaire, en autorisant les « cyberpatrouilles » pour l’ensemble des délits relevant du terrorisme et de la criminalité organisée, en facilitant le recours aux techniques de décryptage informatique et aux perquisitions à distance des bases de données. Le projet de loi permettra l’application de certains moyens spéciaux d’enquête aux intrusions dans les systèmes informatiques d’importance stratégique, et améliorera les performances de certaines techniques existantes.

Globalement, ce texte vise donc à nous permettre de réduire le risque d’attentat terroriste sur notre territoire, dans le contexte nouveau que j’évoquais en introduction. Il s’agit de renforcer nos moyens d’enquête, de nous doter d’instruments plus efficaces de lutte contre la propagande sur Internet et d’améliorer notre capacité à empêcher les départs.

C’est tout l’enjeu du défi que nous vous proposons de relever dans ce texte. Je souhaite que nous puissions le faire par-delà les clivages politiques traditionnels, car la question va bien au-delà des affrontements classiques. Il s’agit d’assurer, face à un risque avéré, la sécurité de notre pays, et de le faire à la fois en trouvant des instruments pertinents et en veillant, ensemble, à ce que ceux-ci n’attentent pas à ce à quoi nous tenons le plus – je veux parler des libertés fondamentales dont la République est garante.

Je voudrais également insister sur le fait que sur ces sujets graves, et dans le contexte de tensions que nous connaissons, chaque mot compte et tout amalgame doit être évité. Tout raccourci recèle sa part de dangers. Chaque fois que nous traitons de ces questions, la recherche du juste équilibre et du juste concept est donc nécessaire à l’efficacité de la lutte que nous menons contre le terrorisme.

Enfin, et j’insiste là aussi sur ce point, ce texte ne saurait produire sa pleine efficacité en l’absence d’initiatives européennes et internationales. À la demande du président de la République et du Premier ministre, j’ai donc multiplié les initiatives, en liaison avec mes homologues de l’Union européenne, pour que nous complétions les dispositifs existants de telle sorte qu’ils puissent atteindre un niveau maximal d’efficience.

Je prendrai quelques exemples, qui sont ceux que contient le texte lui-même. L’interdiction de sortie du territoire ne saurait avoir de réelle efficacité sans une adaptation du Système d’information Schengen (SIS) – il faut qu’une mention spéciale sur les fiches SIS permette aux pays de l’Union d’agir ensemble si un ressortissant d’un pays quitte son territoire malgré l’interdiction, afin qu’il puisse être identifié et empêché d’atteindre le théâtre des opérations. De la même manière, nous aurons des difficultés à assurer l’efficacité des dispositifs d’identification sur les plateformes aéroportuaires, si nous ne parvenons pas à mettre en place un PNR (passenger name record) européen. Interdiction de sortie du territoire sous le contrôle du juge, de manière que les libertés publiques soient garanties, mise en place d’un système de signalement commun à l’ensemble des pays européens au titre du SIS, mise en place d’un PNR européen : les initiatives se sont multipliées pour atteindre cet objectif. J’ai rencontré le nouveau président de la commission des Libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBE) du Parlement européen ; je lui ai fait part de mon souhait de m’exprimer le plus rapidement possible devant cette commission, pour expliquer notre action, sa dimension européenne, et faire en sorte que la Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil se saisissent de ces sujets et que nous puissions aboutir rapidement. Nous avons accepté que ces questions soient traitées dans un cadre très exigeant en matière de libertés publiques et de données personnelles. Je l’ai encore dit à l’occasion de cette rencontre – hier – avec le président de la commission LIBE du Parlement européen.

De même, nous n’avons aucune chance d’être efficaces pour ce qui concerne la responsabilisation des acteurs d’Internet si nous n’agissons pas au plan européen, et en étroite liaison avec les États-Unis, que le Premier Amendement à la Constitution conduit à une grande prudence sur la question des mesures prises sur Internet. C’est la raison pour laquelle la Commissaire européenne Cecilia Malmström a réuni les opérateurs Internet ; c’est aussi pour cela que tous les ministres de l’Intérieur de l’Union auront un contact avec les acteurs de l’Internet au mois d’octobre, en liaison avec les États-Unis, pour convaincre les opérateurs d’accompagner ce mouvement de responsabilisation.

Je pourrais prendre bien d’autres exemples qui renvoient à la dimension européenne et internationale du sujet, pour montrer qu’il faut jouer sur toutes les parties du clavier pour essayer d’atteindre l’efficience et la cohérence maximales.

Je souhaite que notre débat soit l’occasion d’évoquer tous les sujets et d’améliorer le contenu des dispositions que nous proposons. L’objectif du Gouvernement est d’arriver au texte le meilleur, en termes d’équilibre comme en termes d’efficacité des mesures proposées.

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. Nous sommes donc saisis, en première lecture, du projet de loi renforçant les dispositions de lutte contre le terrorisme, déposé le 9 juillet dernier, que vous venez, monsieur le ministre, de présenter en détail.

Non, ce projet ne répond pas à un fait divers et ne fait pas suite à une émotion particulière ; le droit français s’adapte à une évolution de notre société tout en restant fidèle à ses principes constitutionnels. Non, il n’est pas liberticide. Non, nous n’entrons pas dans l’ère de Minority Report, ce fameux film de Spielberg où la société du futur a éradiqué le crime en se dotant d’un système de prévention, de détection et de répression le plus sophistiqué au monde grâce aux extralucides. Non, nos magistrats et nos services de renseignement ne sont pas extralucides mais s’appuient et s’appuieront sur des faits matériels. Non, Internet ne peut être une zone de non-droit où les pouvoirs publics n’auraient pas le droit de cité. Non, faire l’apologie du terrorisme ou provoquer à commettre des actes de terrorisme ne relève pas de la liberté d’expression. Non, le djihadisme n’a rien à voir avec une religion. Nous refusons toute polémique du bouc émissaire, notamment dans cette période particulièrement troublée.

Après plus de vingt heures d’auditions en quelques jours, j’affirme que ce texte est équilibré et répond à une situation préoccupante pour notre pays.

Sur le contexte, je ne détaillerai pas, dans mon propos, l’état de la menace, qui fera l’objet d’une étude détaillée dans mon rapport écrit. Je me bornerai à souligner les grands enseignements que je retire des auditions que j’ai réalisées.

Tout d’abord, je souligne l’ampleur inédite de la menace.

La proximité du théâtre d’opérations syrien explique sans doute une telle ampleur, puisqu’il est assez commode de s’y rendre, bien plus commode en tout cas que pour rejoindre la zone pakistano-afghane. Cette ampleur inédite tient sans doute aussi à la montée en puissance de la propagande sur Internet et, singulièrement, sur les réseaux sociaux.

À la date du 17 juillet, les services français recensaient 896 personnes de nationalité française ou résidant en France concernées par ces filières, soit une progression de 58 % en six mois : 340 sont actuellement en Syrie, dont 7 mineurs et 55 femmes ; 172 sont revenues de Syrie, dont une centaine sur notre territoire ; 33 ont été tuées dans des combats ou dans des attentats suicides.

Les volontaires partant de France constituent le plus fort contingent parmi les combattants européens, dont le nombre est estimé à 1 500 – sur un total d’environ 9 000 combattants étrangers.

Dans le cadre des « filières » djihadistes, la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) traite actuellement une soixantaine de procédures judiciaires, impliquant plus de 300 personnes.

Je suis ensuite frappé par le fait que la menace d’attentats par des djihadistes de retour en France et en Europe se concrétise : outre l’attaque contre le Musée juif de Bruxelles du 24 mai dernier, plusieurs projets d’attentats émanant de djihadistes revenus de Syrie sur notre territoire ont été empêchés ces derniers mois grâce à l’intervention efficace de nos services, auxquels je souhaite rendre hommage. En février dernier, l’interpellation dans le Sud de la France de l’un de ces djihadistes revenus de Syrie a conduit à la découverte de plusieurs engins explosifs artisanaux. Plus récemment, les investigations ont confirmé les intentions criminelles de plusieurs de ces volontaires de retour en France qui conservaient des liens avec des réseaux de l’État islamique basés en Syrie et recherchaient sur Internet des armes et des modes de fabrication d’explosifs.

Sur ce point, les auditions ont laissé place à des interprétations diverses. Certains ont expliqué que le but des djihadistes français était avant tout localisé en Syrie ou en Irak et qu’une action à l’encontre de la France n’interviendrait qu’après qu’ils auront été « déçus » par l’absence de concrétisation du projet de création d’un État islamique. D’autres personnes ont, en revanche, souligné le fait que des responsables d’Al-Qaïda appelaient à atteindre leurs objectifs en Europe et en France.

Cela dit, cette discussion n’a qu’une portée limitée : que la menace soit immédiate ou à moyen terme, tous s’accordent sur le fait qu’elle est bien réelle. L’affaire « Nemmouche » en a récemment montré toute l’acuité.

Troisième élément : les Français ou résidents français participent de plus en plus activement aux combats en Syrie et en Irak – comme l’atteste le nombre croissant de morts – mais également aux exactions des groupes djihadistes – je pense à la police de la charia le vendredi. Le nombre de morts dans des attentats suicides – au moins une dizaine, dont deux en Irak, au nom de l’État islamique – augmente de manière significative.

La désinhibition à la violence extrême et les traumatismes induits contribuent à l’aggravation de la menace émanant de l’ensemble de ces personnes à leur retour en Europe.

Quatrième élément : les filières de volontaires francophones se sont structurées. Les djihadistes disposent désormais de brigades, appelées « katibats », francophones.

Cinquième élément, et non le moindre : le phénomène se nourrit de la surmédiatisation du djihad syrien par Internet et les réseaux sociaux , qui contribue à l’accélération des recrutements, notamment chez les plus jeunes. Cette action a été théorisée sous l’expression de « Djihad médiatique ».

Je rappellerai à titre d’exemple qu’en 2007, Ayman Al Zawahiri, nouveau chef d’Al-Qaïda depuis la mort d’Oussama Ben Laden, déclarait que ceux qui mènent le « Djihad médiatique » sont des soldats anonymes de la cause au même titre que ceux qui combattent dans les zones de conflit, et leur promettait, en récompense, le paradis. Ces propos illustrent bien la place essentielle, parfaitement comprise par les terroristes eux-mêmes, qu’occupe désormais la communication sur Internet.

Plus de 44 mineurs, dont 13 filles, ont quitté la France pour la Syrie. La plus jeune d’entre elle, recrutée par Internet et partie de région parisienne pour épouser un combattant en Syrie, est âgée de 14 ans seulement !

Sixième et dernier élément : la diversification des profils des volontaires. La plupart sont inconnus des services au moment de leur départ. 21 % d’entre eux sont convertis et ont été radicalisés dans des délais parfois extrêmement brefs, révélant ainsi des fractures préoccupantes au sein de notre société. Le phénomène s’étend désormais à des catégories socioprofessionnelles plus variées et ce, sur l’ensemble du territoire grâce notamment à Internet.

Ce projet de loi vise toutes les formes de terrorisme. Il se décline autour de quatre axes que je rappellerai succinctement. D’abord, des mesures de police administrative, parmi lesquelles la mesure d’interdiction de sortie du territoire (article 1er), la codécision du ministre de l’Intérieur en matière de gel des avoirs (article 8), l’allongement de 10 à 30 jours du délai de conservation des données dans le cadre des interceptions de sécurité (article 15) ou encore l’extension à l’outre-mer de la loi (article 18).

Deuxièmement, des dispositions renforçant les mesures d’assignation à résidence (article 2) et les étendant à l’ensemble du territoire (articles 16 et 17).

Troisièmement, des incriminations pénales plus dissuasives en matière de terrorisme, au premier rang desquelles la création de l’infraction d’entreprise terroriste individuelle (article 5).

Enfin, des mesures visant à lutter contre la propagande djihadiste sur Internet : il s’agit principalement du transfert des délits de provocation au terrorisme et d’apologie du terrorisme de la loi du 29 juillet 1881 vers le code pénal (article 4) et de la création d’une possibilité de blocage administratif des sites de provocation au terrorisme ou d’apologie du terrorisme (article 9).

J’en viens à mes propositions d’amendements.

Tout d’abord, sur la mesure d’interdiction de sortie du territoire prévue à l’article 1er, nous savons qu’elle aura sans doute un impact dissuasif limité : elle pourra être contournée par des individus très déterminés, qui n’utiliseront pas l’avion et contourneront les postes frontières de l’Espace Schengen. Certes, mais, malgré tout, elle dissuadera sans conteste des personnes non complètement radicalisées.

Ensuite, cette mesure emporte retrait du passeport. J’observe cependant que l’accès à de nombreux pays, dont la Turquie, peut se faire sans passeport, sur simple présentation de la carte nationale d’identité. Je souhaite donc que celle-ci puisse être également retirée contre remise d’un récépissé valant justification de l’identité. Notre collègue Guillaume Larrivé a d’ailleurs déposé un amendement en ce sens.

À ce même article 1er, je souhaite que la personne concernée, qui sera entendue par le représentant du ministre de l’Intérieur, puisse être assistée, si elle le souhaite, d’un avocat. Cette possibilité ne pourra pas être utilisée de manière dilatoire, puisque la personne qui se sera déjà vue notifier la mesure administrative n’aura alors aucun intérêt à recourir à un avocat dans le seul but de retarder le processus administratif.

À l’article 2, le Gouvernement propose de créer une nouvelle infraction s’appliquant aux personnes assignées à résidence, qui entreraient en relation avec des personnes figurant sur une liste pré-établie. La peine proposée est de trois ans d’emprisonnement, alors que deux autres infractions prévues par l’article L. 624-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile sont assorties d’une peine d’un an de prison. Cette peine s’applique à la personne assignée à résidence qui n’a pas respecté soit les prescriptions liées au placement sous surveillance électronique, soit les obligations de présentation aux services de police et aux unités de gendarmerie qui lui sont prescrites. Je propose donc que la peine sanctionnant la nouvelle infraction soit d’un an également.

À l’article 4, je vous proposerai d’élargir le champ d’application du délit de provocation au terrorisme pour incriminer non seulement les propos publics mais aussi les propos privés : cela permettra de sanctionner les prêches « clandestins » en dehors des lieux de culte ainsi que les propos tenus sur des réseaux sociaux ou des forums Internet privés, que la jurisprudence actuelle considère comme non punissables lorsqu’ils sont tenus dans un cercle fermé.

À l’article 5, je présenterai un amendement visant à donner davantage de précision à la définition du nouveau délit d’entreprise terroriste individuelle, afin de mieux en caractériser les éléments matériels qui justifient l’intervention précoce du droit pénal dès le stade des actes préparatoires commis par une personne seule.

Pour que la définition du délit d’entreprise terroriste individuelle ne puisse pas encourir la critique d’incriminer la simple intention criminelle, mon amendement proposera que la constitution de ce délit exige que le projet criminel soit caractérisé, non seulement par la recherche ou l’obtention de produits ou de substances dangereux, mais aussi par un second élément matériel qui pourra consister soit en des repérages, soit en une formation au maniement des armes, à la fabrication d’engins explosifs ou au pilotage, soit dans la consultation habituelle de sites Internet provoquant au terrorisme, sauf motif légitime précisément défini par le texte.

Enfin, à l’article 9, relatif à la lutte contre la provocation au terrorisme et l’apologie du terrorisme sur Internet, j’ai évidemment écouté et lu avec la plus grande attention les critiques des acteurs du monde de l’Internet. J’ai également pris connaissance avec grand intérêt de la recommandation de la commission de réflexion sur les droits et libertés à l’âge du numérique, coprésidée par M. Christian Paul et Mme Christiane Féral-Schuhl, et j’ai beaucoup réfléchi à cette question complexe et délicate. À l’issue de ce processus de réflexion, je suis convaincu qu’il est absolument nécessaire de permettre aux pouvoirs publics d’empêcher l’accès à des sites particulièrement odieux et dont l’effet déterminant sur le recrutement de futurs terroristes est désormais avéré, et qu’il est nécessaire de rechercher l’équilibre le plus adapté entre l’efficacité de l’intervention publique et la protection de la liberté d’expression. L’ordre public numérique ne peut être un vain mot.

J’en suis arrivé à la conclusion que le blocage administratif était la solution la plus efficace, mais qu’il était nécessaire de renforcer les garanties entourant la prise de décision de l’autorité administrative. J’ai forgé ma conviction après m’être posé plusieurs questions : celle de l’opportunité même du blocage ; celle de l’autorité chargée de décider celui-ci ; et celle des garanties devant entourer cette décision.

Sur la question de l’opportunité même du blocage, si les critiques relatives aux possibilités de contournement et au « sur-blocage » sont légitimes et doivent être entendues, elles ne sauraient justifier la passivité des pouvoirs publics pour des contenus hébergés à l’étranger et dont le retrait par l’éditeur ou l’hébergeur n’est pas envisageable. Je partage l’idée que la solution la plus efficace sera toujours le retrait du contenu par l’éditeur et l’hébergeur, mais lorsque ce retrait ne peut pas être obtenu, le blocage est une arme de dernier recours dont les pouvoirs publics doivent pouvoir disposer.

C’est pour cette raison que je vous proposerai un amendement visant à introduire l’idée que le blocage est une mesure subsidiaire par rapport au retrait du contenu par l’éditeur ou l’hébergeur : le blocage ne pourra être demandé au fournisseur d’accès qu’après avoir demandé à l’éditeur ou à l’hébergeur de retirer le contenu, et après leur avoir laissé vingt-quatre heures pour leur permettre de le faire. Ce préalable obligatoire de la demande de retrait sera toutefois écarté pour les sites dont l’éditeur et l’hébergeur ne pourront pas être identifiés à partir des informations figurant sur le site incriminé.

Sur la question de l’autorité chargée de décider le blocage, l’attribution de la compétence au juge judiciaire proposée par certains soulève deux séries de difficultés, les unes pratiques, les autres de principe.

Sur le plan pratique, la procédure judiciaire implique une assignation spécifique et une audience pour chaque instance dont le juge sera saisi afin de respecter le principe du contradictoire. Or on sait que le contournement du blocage passe notamment par la duplication de « sites miroir » après blocage d’un premier site. Il ne me paraît pas possible d’obtenir une efficacité suffisante dans la « traque » de ces sites compte tenu des garanties procédurales inhérentes à toute procédure judiciaire, sauf à réduire ces garanties, ce qui ne serait évidemment pas acceptable.

Sur le plan des principes, ensuite, compte tenu de l’importance prise aujourd’hui par Internet et des troubles à l’ordre public que l’expression sur Internet peut engendrer, la lutte contre les propos appelant au terrorisme par cette voie doit pouvoir relever de la police administrative. Aujourd’hui, celle-ci peut interdire une manifestation, une réunion ou un spectacle, voire ordonner la saisie d’un journal – certes, dans des conditions très strictes – pour prévenir des troubles à l’ordre public. Ce que l’autorité administrative peut faire dans la sphère réelle pour protéger l’ordre public, elle doit également pouvoir le faire dans la sphère numérique. L’indépendance du juge administratif a d’ailleurs été reconnue à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).

Pour ces raisons, je considère que le blocage des sites doit relever de l’autorité administrative.

S’agissant, enfin, des garanties devant entourer la décision de blocage, toute décision de l’autorité administrative peut faire l’objet d’un recours devant le juge administratif, dont l’indépendance et l’impartialité ne peuvent pas être mises en doute. Il s’agira là d’une garantie essentielle, dont l’importance ne saurait être minimisée.

Cependant, il y aura des cas où, en pratique, cette garantie du recours contentieux ne pourra pas fonctionner : par exemple, dans les cas où l’éditeur du site bloqué sera à l’étranger ou ne sera pas en capacité financière de contester la décision administrative de blocage. C’est pour répondre à ce type de situation que l’article 9 du projet de loi propose de mettre en place une garantie que la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPPSI) de 2011 n’avait pas prévue pour le blocage des sites pédopornographiques, en prévoyant qu’un magistrat de l’ordre judiciaire désigné par le ministre de la Justice serait chargé de s’assurer de la régularité des conditions d’établissement et de mise à jour de la liste concernée. Cependant, le texte n’a confié à ce magistrat aucune prérogative vis-à-vis de l’autorité administrative, car il serait extrêmement délicat – pour ne pas dire impossible –, au regard du principe de la séparation des pouvoirs, de confier à un magistrat de l’ordre judiciaire un pouvoir de contrôle sur une décision de police administrative.

Pour ces raisons, je proposerai de confier la mission de s’assurer de la régularité des demandes de retrait de contenu et de la régularité de la liste des sites bloqués à une personnalité qualifiée, qui sera désignée par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) pour une durée de trois ans non renouvelable, ce qui permettra de garantir son indépendance. Cette personnalité aura un pouvoir de recommandation vis-à-vis de l’autorité administrative et pourra, si celle-ci ne suit pas sa recommandation, saisir la juridiction administrative.

Avec l’introduction de la notion de subsidiarité et ces garanties renforcées, il me semble que le dispositif de blocage administratif prévu par le projet de loi constituera un bon équilibre entre les nécessités de la préservation de l’ordre public et le respect des libertés, en particulier de la liberté d’expression sur Internet.

Sous réserve de ces différentes modifications, je vous proposerai donc d’adopter ce projet de loi, dont les dispositions sont indiscutablement nécessaires dans un contexte de menace terroriste particulièrement élevée.

M. Guillaume Larrivé. Je me réjouis que notre Commission examine ce projet de loi dans le cadre de la procédure accélérée.

Nous avons un triple devoir : de vérité, d’unité et d’efficacité.

Devoir de vérité, car la menace est très sérieuse en effet. Il faut nommer notre adversaire, incarné par les tenants de l’islamisme radical, connecté à des voyous de droit commun. Il n’y a pas d’étanchéité totale entre les terroristes et des délinquants de droit commun s’agissant notamment du financement et de l’armement, ni entre la sécurité extérieure et la sécurité intérieure. Il faut raisonner et agir globalement.

Nous avons aussi un devoir d’unité : la sécurité nationale est un bien commun. Le rassemblement de tous les responsables publics sur tous les bancs nous paraît être une nécessité évidente. Il est vrai que l’opposition en 2006 s’était abstenue sur la loi relative à l’antiterrorisme présentée par Nicolas Sarkozy. L’actuelle opposition a su, au contraire, prendre ses responsabilités en approuvant la loi antiterroriste de 2012 présentée par Manuel Valls et c’est dans cet état d’esprit que nous abordons la discussion de ce projet de loi.

Enfin, nous avons surtout un devoir d’efficacité. Il faut utiliser plusieurs leviers. Au plan diplomatique et militaire, on peut se réjouir de la récente réorganisation des forces françaises en Afrique avec l’opération Barkhane, qui doit être saluée comme une avancée. Au plan opérationnel et budgétaire, sans doute faut-il veiller à ce que le renforcement des moyens d’expertise et d’intervention des services de renseignement extérieurs et intérieurs soit une priorité du projet de loi de finances pour 2015, dans la continuité des efforts réalisés ces dernières années. Au plan juridique, ce projet de loi va dans le bon sens en réussissant à sauvegarder le nécessaire équilibre – auquel nous sommes tous attachés – entre la préservation de l’ordre public et le respect des libertés.

Je souhaite saluer à titre liminaire trois mesures clés. Vous avez raison de tenter de mieux appréhender, en les qualifiant d’actes de terrorisme, les actes préparatoires isolés relevant d’une entreprise terroriste individuelle. Vous poursuivez ainsi la démarche engagée par la loi Debré de 1996 sur l’association de malfaiteurs en vue de la commission d’actes terroristes. Vous avez également raison de tenter de limiter les sorties du territoire en vue de rejoindre un théâtre djihadiste extérieur, ce qui permet par définition de s’assurer du non-retour. Vous avez enfin raison de vouloir créer ainsi une police administrative, comme c’est le cas en Allemagne et au Royaume-Uni, cette police permettant une diligence et une adaptation au plus près de l’évolution des faits.

Je pense néanmoins qu’il faut améliorer le dispositif. Je présenterai donc un amendement tendant à autoriser l’autorité administrative à retirer non seulement le passeport mais aussi la carte nationale d’identité. Cela est nécessaire pour limiter les déplacements dans les pays de l’Espace Schengen et dans certains pays tiers comme la Turquie, qui acceptent l’entrée de nos ressortissants sur simple production d’une carte d’identité. Sans doute faut-il prévoir la délivrance d’un récépissé pour que le ressortissant puisse continuer à justifier en France de son identité.

Mais il faut être conscient que le dispositif ne sera pas parfait puisqu’il ne règle pas la question du déplacement des binationaux qui, alors même qu’ils seraient privés de leur passeport ou de leur carte d’identité français, auraient toujours la faculté de voyager grâce à un titre d’identité étranger. Cela ne doit pas pour autant nous convaincre qu’il ne faut pas voter ce texte, qui est déjà un premier pas nécessaire.

Je veux saluer aussi votre effort de lutte contre la provocation à des actes terroristes ou à l’apologie de ceux-ci sur Internet. Et j’approuve l’article 9 du projet, qui est équilibré et proportionné, dans une rédaction très proche de celle de la proposition de loi que j’avais présentée le mois dernier avec mes collègues Éric Ciotti et Philippe Goujon.

Le rapporteur a raison de dire que la nécessaire recherche du blocage de l’accès par les fournisseurs d’accès ne doit pas nous dispenser de tenter d’obtenir le retrait des contenus par les hébergeurs ou les éditeurs lorsque c’est possible. Mais comme il peut être parfois impossible d’obtenir ce retrait, notamment lorsque les hébergeurs ne sont pas identifiés ou qu’ils sont localisés à l’étranger, cela doit nous inciter à bloquer le canal, c’est-à-dire l’accès aux sites par l’intermédiaire des fournisseurs d’accès.

Je présenterai par ailleurs d’autres amendements, dont un notamment pour consolider le régime des perquisitions informatiques.

Notre devoir d’efficacité est aussi un devoir de cohérence tant au niveau international que national. Prenez garde, monsieur le ministre, à ce que des initiatives latérales ne viennent pas contrarier la sécurité nationale ! À cet égard, j’appelle votre attention sur les récentes déclarations de Mme Adeline Hazan, nouvellement nommée Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, qui s’est dit favorable il y a quelques jours sur France Inter à la légalisation de l’usage du téléphone portable dans les prisons, précisant que « faire en sorte que les détenus ne coupent pas les ponts avec l’environnement est un moyen de préparer dans de meilleures conditions leur sortie ». Je forme le vœu que, dans le dialogue interministériel que ne manquera pas de susciter cette proposition, votre ministère fasse entendre la voix de la raison et s’oppose fermement à une telle évolution.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. La position du Contrôleur général des lieux de privation de liberté était déjà connue puisque le prédécesseur de Mme Hazan, M. Jean-Marie Delarue, l’avait exprimée devant la Commission.

M. Pascal Popelin. Moins de deux ans après avoir renforcé les dispositifs de lutte contre le terrorisme avec l’adoption de la loi du 21 décembre 2012, nous sommes de nouveau appelés à compléter le droit pour l’adapter aux risques qui pèsent sur la France et ses ressortissants. Le contexte le justifie : vous l’avez décrit avec force, monsieur le ministre, de même que le rapporteur. Chacun sait que la menace terroriste s’intensifie : elle évolue à une vitesse inouïe, se structure autour de modes opératoires plus performants, s’appuie sur des méthodes de plus en plus sophistiquées et utilise de façon malheureusement efficace les nouvelles technologies, en particulier le web, comme outil de propagande, d’embrigadement et de mise en relation entre groupes actifs et individus en voie de radicalisation.

Cela exige que nous nous mettions en situation de bâtir les réponses adéquates avec la réactivité nécessaire. Nous ne pouvons accepter que nos lois soient à la traîne, ni nous résoudre à ce que les moyens qu’offre légitimement un État de droit soient détournés à de telles fins.

Comme toujours en de pareilles situations, nous devons trouver le juste équilibre : faire preuve d’efficacité sans bafouer les principes fondateurs de notre République. Il nous faut approfondir nos instruments juridiques sans trahir la tradition de protection des libertés individuelles dans laquelle la France s’est toujours inscrite.

Ce projet de loi, enrichi des amendements évoqués par le rapporteur, notamment sur le retrait de la carte nationale d’identité ou les dispositions entourant la procédure de blocage – que je soutiens –, me semble répondre à cette double préoccupation.

M. Alain Marsaud. En novembre 2013, j’avais eu l’occasion d’alerter la garde des Sceaux sur l’urgence qu’il y avait à réactiver nos dispositifs législatifs de lutte antiterroriste. Je me souviens avec étonnement du courrier qu’elle m’avait adressé en réponse, indiquant que tout allait bien dans ce domaine. Dieu merci, des conversions se produisent ! Tant mieux, même si on peut regretter que ce soit avec quelque retard.

J’ai eu l’occasion la semaine dernière de rencontrer à Beyrouth des chefs de services de renseignement qui m’ont narré l’histoire d’un Français de Trappes, parti il y a quelques mois par la Turquie faire le djihad en Syrie. Il s’y est trouvé tellement bien qu’il a été pris en mains par Al-Nosra, qui a voulu profiter de sa nationalité, de son passeport français et de sa connaissance de notre langue pour l’envoyer à Beyrouth commettre un attentat suicide. J’ai pu m’entretenir avec ceux qui étaient venus avec lui, Français également. Un Français ordinaire s’est donc lancé dans un dispositif de ce type et a accepté de partir à Beyrouth se faire sauter dans une voiture piégée. Il était dans l’attente de la livraison par l’organisation à la fois de la voiture, de l’explosif et de l’objectif. Il s’agissait d’aller faire exploser un restaurant en secteur chiite à côté de l’aéroport de Beyrouth.

Un autre Français vient d’être interpellé avec le même type d’objectif. Cela veut dire que la situation est d’une gravité extrême et que ces personnes sont un jour à même de venir faire la même chose ici si elles sont motivées. Que des Français acceptent aujourd’hui de se faire exploser dans le cadre d’un attentat terroriste est en effet inédit.

Je m’étais ému en novembre dernier de la réaction que pouvaient avoir certains de mes anciens collègues magistrats lorsqu’on engageait des procédures pour association de malfaiteurs terroristes, car je craignais que des juges puissent s’interroger sur la politique étrangère actuelle de la France, consistant à aller combattre M. Assad sans faire la différence entre ceux qui s’en vont dans l’armée syrienne libre et ceux qui rejoignent Al-Qaïda ou Al-Nosra. Au fond, ce Français qui est parti chez Al-Nosra n’est-il pas devenu ce qu’on appelle en droit administratif un collaborateur occasionnel du service public de notre politique étrangère ? Et je me suis dit qu’il y avait un risque un jour qu’une cour d’assises ou un tribunal correctionnel indique qu’il n’y a pas en l’espèce d’association de malfaiteurs et que l’intéressé n’a fait que répondre aux conseils plus ou moins éclairés de notre diplomatie. Heureusement, grâce à ce texte, nous n’en serons plus là.

Monsieur le ministre, je vous avais interrogé lors des questions au Gouvernement sur le voyage « touristique » de la sœur de Mohammed Merah, car j’avais des éléments me permettant de penser qu’elle était partie en Syrie faire le djihad avec sa famille grâce aux allocations familiales. Vous m’aviez répondu de manière un peu véhémente que je mettais de l’huile sur le feu. Or j’ai ensuite reçu une lettre de la caisse d’allocations familiales – que vous pouvez consulter sur mon site Internet – disant qu’elle venait de supprimer ces allocations à la famille Merah afin qu’elle ne puisse pas continuer à en tirer profit pour aller porter la Kalachnikov en Syrie.

Je crains que ce ne soit pas le seul cas. C’est la raison pour laquelle je déposerai un amendement ayant pour objet de priver d’allocations sociales diverses tous ceux qui iront dans ces pays faire le djihad – sachant que cette mesure existe déjà en droit belge.

Si votre mesure phare, que constitue l’interdiction de voyager et de se rendre en Syrie est frappée au coin du bon sens, je rappelle que, quand j’étais rapporteur de la loi de janvier 2006 sur le terrorisme, nous avions mis en place le système API-PNR (Advanced passenger information-Passenger Name Record), qui avait pour objet d’aviser les différentes compagnies aériennes qu’il y avait en quelque sorte une interdiction de circuler pour se rendre dans tel ou tel pays ou pour venir chez nous. Or cette disposition n’est toujours pas en vigueur. Quand votre dispositif sera-t-il mis en application ? Si c’est en 2020, il y a de quoi s’inquiéter.

Enfin, en 1986, nous avons lancé le dispositif de lutte contre l’association de malfaiteurs terroristes, qui a été amélioré par les lois de 1996 et de 2006. Or en 2006, nous avons eu beaucoup de mal à obtenir l’abstention du groupe socialiste de l’Assemblée nationale, notamment de M. Valls. Je me souviens que cette loi avait été qualifiée par certains membres de ce groupe de loi scélérate à plusieurs reprises. Heureusement, elle a pu être adoptée, car vous savez combien elle a sauvé de vies. Vive les conversions, même quand elles sont tardives !

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Monsieur le ministre, je salue, comme tout un chacun ici, votre détermination à lutter contre le terrorisme. Le texte que vous proposez, s’il veut circonscrire, voire éradiquer, un certain nombre de vecteurs de propagande ou de recrutement des filières terroristes, me pose néanmoins question – notamment en raison des garanties devant encadrer l’action des pouvoirs publics en ce qui concerne le blocage des contenus des sites Internet.

En effet, le blocage de certains sites et contenus se ferait, si le projet de loi était voté en l’état, sans autorisation judiciaire préalable et à l’initiative de l’autorité administrative. Un pouvoir que certains qualifieraient de discrétionnaire. Il est nécessaire, au nom des libertés publiques, de l’encadrer strictement.

Ainsi, le Conseil national du numérique, dans son avis du 15 juillet dernier, avait signalé ce point à votre intention en se fondant sur le fait que, comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel, le blocage d’un site Internet constitue une atteinte grave à la liberté d’expression et de communication.

Il est donc indispensable, non seulement de l’encadrer, mais de proportionner la réponse législative au but recherché sans créer une exception de droit.

La régularité de la procédure et du bien-fondé de cette initiative étant évaluée a posteriori, est-il souhaitable de créer une telle exception et ne serait-il pas préférable de confier préalablement la décision d’autoriser ce blocage au juge des libertés et de la détention (JLD) ?

Cela ne nuirait pas à l’efficacité de la démarche : au contraire, cela permettrait à un magistrat du siège, donc indépendant, d’intervenir en amont de la demande de blocage.

J’aimerais donc savoir, monsieur le ministre, s’il peut être envisagé d’établir une autorisation judiciaire préalable de blocage.

M. Georges Fenech. Si le rapporteur a précisé qu’il ne s’agissait pas simplement avec ce projet de loi de réagir à des faits divers, vous m’accorderez néanmoins que son dépôt intervient après la terrible affaire « Nemmouche ». À chaque fois, nous légiférons lorsque la réalité nous rattrape. Cela étant, je me réjouis de l’examen de ce texte et partage toutes les observations qui ont été formulées par Guillaume Larrivé.

Monsieur le ministre, la majeure partie du terrorisme se nourrit de l’antisémitisme. Si ce projet de loi est important, il n’en est pas moins essentiel que la volonté de lutter contre le terrorisme se manifeste dans la réalité concrète de l’action de votre ministère. Ces derniers jours, sur notre sol, ont été prononcés des slogans qu’on croyait révolus : « Mort aux Juifs ! », « On va casser du Juif ! ». Des synagogues et des boutiques de produits casher ont été prises pour cibles. Plusieurs milliers d’individus ont bravé l’interdiction de manifester. Certains, interpellés, ont comparu devant la juridiction correctionnelle qui a alors prononcé des peines dérisoires. Nous espérons d’ailleurs que le parquet utilisera son pouvoir d’appel a minima. Enfin, pourquoi votre Gouvernement a-t-il autorisé la manifestation prévue demain alors que, lors des manifestations du week-end dernier, ont été commis des actes de nature à légitimement inquiéter la population de confession juive et toute la population française en général ? Comment expliquez-vous que les services d’ordre aient été délégués à la CGT et au Parti communiste ? La manifestation autorisée demain n’est-elle pas à haut risque ? Bref, s’il est nécessaire de voter des textes, encore faut-il qu’ils soient appliqués avec la plus extrême rigueur.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Vous aurez noté, cher collègue, que ce propos n’est pas en lien direct avec le projet de loi dont nous débattons. Cependant, je suis certain que M. le ministre souhaitera vous répondre à l’instant sur ce point.

M. le ministre. Puisque le président est maître de la police des débats et qu’il m’invite à répondre maintenant à une question qui n’est effectivement pas liée au texte, je le ferai bien volontiers. Sur ce sujet qui a fait l’objet de nombre d’interpellations et de propos hasardeux, j’ai décidé d’appliquer avec une rigueur absolue les principes du droit de manière à remettre de la raison là où dominent les passions.

Vous me demandez tout d’abord pourquoi interdire de manifester un jour et pas les autres ? Tout simplement parce qu’interdire toutes les manifestations serait prendre le risque de voir les décisions que nous prenons être annulées par le juge. En France, la liberté de manifestation est constitutionnellement reconnue – et notre Gouvernement, qui y est viscéralement attaché, n’entend pas la remettre en cause. S’il décidait d’interdire toutes les manifestations, le Gouvernement se trouverait en contravention totale avec le droit en vigueur. L’interdiction de manifester ne peut être décidée qu’au cas par cas : la liberté de manifestation est la règle, et l’interdiction, l’exception – lorsqu’il y a risque de troubles à l’ordre public. Par conséquent, interdire toutes les manifestations, au motif que j’en ai interdit quatre, serait contraire à ce que le droit m’autorise à faire. Et comme nous sommes au Parlement, c’est-à-dire dans le lieu où l’on écrit le droit, il me paraît important de convoquer sur ces sujets la plus grande rigueur intellectuelle et juridique.

Deuxième élément de réponse : si nous n’avons pas interdit la manifestation de demain, c’est qu’elle est organisée par des acteurs qui en ont organisé une autre mercredi dernier avec le même protocole, les mêmes organisateurs et le même dispositif de sécurité. Or, elle s’est parfaitement bien déroulée. Je me battrai toujours pour que ceux qui souhaitent manifester pour marquer leur indignation face au sort réservé aux enfants de Palestine puissent le faire. La manifestation interdite samedi dernier était prévue par des organisations qui n’avaient pas la maîtrise des choses, dans un contexte où nous savions que des actes à caractère antisémite seraient commis. Je n’ai donc pas interdit une manifestation pour empêcher des manifestants d’exprimer leur indignation : j’ai empêché des actes antisémites d’être commis dans l’espace public car ils n’y ont pas leur place lorsque l’on est attaché à la liberté et aux droits de l’homme.

Si j’ai interdit quatre manifestations le week-end dernier, j’en ai autorisé soixante autres. Sur ces quatre manifestations, deux n’ont pas eu lieu et il n’y a donc pas eu de problème. Deux autres, en revanche, se sont tenues et il y en a eu. Je mets par conséquent en cause les organisateurs qui ont enfreint le droit alors que le juge administratif, qui avait été saisi, nous avait donné raison. Ce sont eux qui portent la responsabilité des troubles occasionnés car ils n’ignoraient rien des risques de débordements antisémites. Lorsque l’on est attaché aux droits de l’homme et que de tels risques sont évoqués, on ne prend pas la responsabilité de ces débordements, car on ne distingue pas ces droits différemment selon les personnes concernées.

Enfin, si le Gouvernement a pris une décision de responsabilité, ce n’est pas pour empêcher que l’on manifeste sur le sort réservé aux enfants palestiniens – qui me blesse viscéralement. J’irais d’ailleurs volontiers manifester pour la Palestine, considérant que les Palestiniens ont droit à un État. Mais je suis profondément choqué que l’on glose sur une interdiction de manifester fondée sur le risque que des actes antisémites soient commis en condamnant le Gouvernement qui a pris la responsabilité de cette interdiction, sans condamner ces actes antisémites. Il convient, dans la République, que les principes soient posés à nouveau. Brûler une épicerie parce qu’elle est tenue par un Juif et jeter des cocktails Molotov sur une synagogue, cela s’appelle des actes antisémites. Je ne distingue pas entre les enfants et adolescents qui meurent du côté israélien de ceux qui meurent du côté palestinien. La vie des uns a autant de valeur que celle des autres. Je n’ai pas vu autant d’indignation lorsque 1 000 personnes – chrétiens d’Orient, musulmans chiites et kurdes – ont été assassinées en Irak il y a une dizaine de jours, comme si les droits de l’homme étaient divisibles. Ils ne le sont pas. S’il me faut, devant la représentation nationale, rendre des comptes sur les raisons pour lesquelles cette manifestation a été interdite au nom des droits de l’homme et d’une certaine conception de la République, j’assumerai cette responsabilité avec honneur et fierté. Il faut toujours se battre pour que chacun puisse dire ce qu’il a à dire – et les manifestants pro-palestiniens doivent pouvoir le faire. Mais il faut avoir la garantie que cela ne conduira pas à des tensions opposant des confessions les unes aux autres. Sans quoi l’on risque de voir les pires sentiments, les pires haines, s’emparer de nouveau de l’espace public. Il est de notre responsabilité de l’empêcher. Voilà pourquoi j’ai pris cette décision.

Et lorsque j’entends des journalistes, ce matin encore, parler de revirement de la part du Gouvernement, je réponds une fois encore que le week-end dernier, nous avons autorisé soixante manifestations et interdit quatre autres. Nous n’avons pas édicté d’interdiction générale de manifester, car cela est inconstitutionnel en France. Nous ne procédons à une interdiction qu’en cas de risques de débordements, de violence et de haine, car le droit de manifester, qui est sacré, notamment lorsque la cause est juste, ne saurait conduire au droit à haïr l’autre et à porter atteinte à son intégrité physique. Plutôt que de s’attaquer à un gouvernement qui a pris ses responsabilités parce qu’il est soucieux des droits de l’homme et de la concorde, je souhaiterais que l’on s’attaque d’abord et avant tout à ce qui est condamnable, c’est-à-dire aux actes antisémites ainsi commis. Et si ces actes visaient d’autres confessions, nous nous y opposerions avec la même vigueur. La majeure partie des musulmans de France souhaitent la concorde et le rassemblement, aiment la République, veulent la paix à Gaza et ne veulent pas être stigmatisés en raison du comportement d’une petite minorité qui ne représente pas l’islam de France. Ils ne souhaitent pas que la relation entre les Français prenne la tournure qu’elle a prise.

Je conclurai sur ce point : si l’on est attaché à un État palestinien, ce qui est mon cas, on ne peut souhaiter qu’il se fasse sur la négation de l’existence de l’État d’Israël. Sinon il n’y aura pas d’État palestinien mais la guerre à l’infini. Et si l’on est attaché à la sécurité d’Israël, on ne peut pas ne pas souhaiter qu’il y ait un État palestinien, pour la même raison. Lorsque l’on aime la paix – et l’on va bientôt commémorer le centième anniversaire de la mort de Jean Jaurès –, on cherche le juste équilibre et on convoque la raison plutôt que les passions – susceptibles d’emporter le pays vers de funestes horizons.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Je vous remercie, monsieur le ministre.

Je reprends la liste des demandes d’interventions sur le projet de loi.

Mme Marie-Françoise Bechtel. La visée de ce projet, faire obstacle à la facilitation de l’action terroriste au sens large et en particulier lorsqu’elle est véhiculée par Internet, ne fait pas en elle-même l’objet de discussions. Aussi ne reviendrai-je pas sur les nombreux faits relevant de l’émotionnel qui ont défrayé la chronique et conduit à interroger les pouvoirs publics.

Le présent projet de loi fait-il la place à tout ce qu’il est possible de faire en matière d’incitation au terrorisme ? On ne peut malheureusement pas insulter l’avenir mais l’on peut néanmoins évoquer un avenir noir. On ne peut hélas prévoir quel dévoiement nouveau pourrait se manifester, notamment par le biais d’Internet, véhicule qui permet à l’imagination, fût-elle la plus mal orientée, de se déployer. En tout état de cause, il convient d’éviter la précipitation et l’anticipation fébriles. Depuis le vote de la loi de décembre 2012 et l’examen récent d’une proposition de loi sur le sujet, on constate qu’une réflexion est en cours et qu’il est nécessaire de trouver des points d’équilibre.

Le texte que nous propose ici le Gouvernement repose précisément sur le souci d’un équilibre entre les libertés publiques auxquelles nous sommes tous attachés et la nécessité de prévenir voire de réprimer les comportements ou actes pouvant favoriser le terrorisme. Nous y reviendrons notamment à propos des articles 1er et 9. Il conviendra d’éviter que l’utilisation de mécanismes nouveaux tels que le blocage des sites n’ait des effets pervers, en altérant la liberté de communication sans aboutir au moindre résultat. Il me semble néanmoins qu’avec l’article 9, le Gouvernement a trouvé un point d’équilibre.

D’un point de vue plus global, le projet de loi est utile, sous réserve de modifications qu’il serait normal que la procédure parlementaire puisse apporter. D’ores et déjà, de nombreux amendements ont été déposés par le rapporteur et par certains membres de l’opposition. Comme le texte comporte plusieurs points délicats, comme il a fallu arriver à un équilibre sur des notions parfois équivoques, il serait opportun que d’autres amendements puissent être déposés au nom du groupe majoritaire d’ici à la rentrée parlementaire, avant l’examen du texte en séance publique. Dans cette perspective, je vous demanderai l’autorisation, monsieur le président, de prendre la parole sur les articles 1er, 5, 9 et 13.

Internet n’est pas l’alpha et l’oméga de l’apprentissage du terrorisme. Ne renonçons pas à poursuivre notre réflexion sur les modalités et les lieux de propagation terroriste, collective ou individuelle – notamment l’univers carcéral –, même si elle ne débouche pas nécessairement sur l’élaboration de dispositions législatives. Il nous faudra aussi nous interroger sur les moyens de mieux sanctionner l’exposition des mineurs à des images ou à des messages faisant l’apologie du terrorisme, peut-être en les alignant sur les sanctions prévues en matière de violence sexuelle, d’initiation au commerce de la drogue ou de pornographie.

Enfin, monsieur le ministre, vous avez évoqué la concertation européenne sur la question de la responsabilité des fournisseurs d’accès à Internet et des hébergeurs – point auquel vous nous aviez déjà sensibilisés lors de votre précédente audition devant nous. J’aurais souhaité en savoir plus mais je comprends que la concertation se poursuit. Et je me félicite de ce que vous ayez évoqué la possibilité pour les responsables européens d’engager une franche discussion avec les autorités américaines – qui font aujourd’hui fortement obstacle à toute action préventive ou répressive sur les contenus. À l’heure où s’engagent les négociations transatlantiques en vue de conclure un nouveau traité de commerce, comment comprendre qu’un objectif lié à la marchandisation des contenus violents ou attentatoires à la dignité ne puisse être pris en compte dans le cadre d’une négociation parallèle avec les autorités américaines ? Il nous faut absolument adopter une politique européenne en la matière. La France pourrait être un aiguillon de cette politique. En ayant perçu quelques prémices dans votre propos introductif, je serais heureuse d’en avoir la confirmation.

M. Patrice Verchère. La situation est d’une extrême gravité, comme en témoignent le nombre de jeunes partant faire le djihad et surtout leur dangerosité lorsqu’ils reviennent dans notre pays. Formés et encore plus radicalisés, ils sont effectivement très dangereux pour la sécurité nationale et la sécurité des Français qui risquent, à terme, d’être touchés dans leur intégrité physique lors d’attentats collectifs mais plus probablement encore lors d’actes individuels encore plus difficiles à repérer et donc à arrêter avant que ces jeunes ne passent à l’acte. Bien que nos services de renseignement soient particulièrement efficaces, le nombre de personnes qu’ils auront à surveiller deviendra tel bientôt que certains terroristes passeront à travers les mailles du filet. Le risque d’attentat sur le territoire français deviendra alors inévitable.

Dans ce contexte, il est nécessaire de soutenir votre texte au-delà des clivages politiques. Toutefois, si celui-ci comporte des propositions intéressantes, il sera rapidement insuffisant de sorte que nous serons obligés d’aller plus loin dans les années à venir, probablement à la suite de nouveaux attentats. Je reconnais néanmoins qu’il est difficile de concilier la protection de nos concitoyens, la lutte contre le terrorisme et le respect des libertés publiques, et de se doter d’outils adaptés et efficaces.

Prenons l’exemple du blocage administratif des sites Internet faisant l’apologie du terrorisme. Cette possibilité, qui ne me pose pas de problème particulier, gênera certes la diffusion de propos qui sont les principaux vecteurs de la radicalisation, mais aura une efficacité très limitée. Ne pourrait-on pas imaginer, au-delà de ce blocage, l’instauration d’une riposte informatique contre ces sites ? De même, l’interdiction de sortie du territoire constitue une nouveauté intéressante mais sera également difficile à appliquer dans l’Espace Schengen. Elle ne réglera pas les problèmes des binationaux et restera une mesure limitée, même si nous l’améliorons en adoptant l’amendement déposé par M. Guillaume Larrivé sur la carte nationale d’identité.

Monsieur le ministre, empêcher que des Français partent faire le djihad est un début de solution pour éviter leur formation militaire terroriste dans des pays en guerre. Mais ne pourrait-on prendre des mesures plus radicales afin d’empêcher les plus dangereux d’entre eux de revenir sur le territoire national, et donc de s’assurer définitivement qu’ils ne seront plus une menace pour notre pays et pour nos compatriotes ?

M. Dominique Raimbourg. Je partage l’esprit de ce texte. À l’évidence, la situation est inquiétante, qu’il s’agisse de l’embrasement du Moyen-Orient, de la guerre civile en Syrie, de la partition de l’Irak, de l’effondrement des États issus de la colonisation ou du conflit israélo-palestinien – le tout alimenté par des mannes financières issues de la rente pétrolière. Ajoutons que la radicalisation se développe dans notre pays : autrefois latente, elle s’exprime à présent au grand jour et a entraîné le départ de nombreux combattants. La réaction du Gouvernement me semble donc nécessaire.

Je m’interroge néanmoins sur les voies de recours contre les décisions d’interdiction de quitter le territoire et de fréquenter des personnes désignées. Dans son rapport, le rapporteur nous renvoie à l’article L. 521-2 du code de justice administrative qui permet au juge administratif de statuer en référé. Ce dernier ne peut donc se prononcer au fond qu’en cas d’acte manifestement illégal. Il me semblerait nécessaire de mentionner cette voie de recours dans le projet de loi et de préciser que sur ces questions, le juge des référés pourra s’exprimer sur le fond – indépendamment de la question de savoir si une liberté fondamentale a été remise en cause.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Je concentrerai mon propos sur l’article 9. Il me paraît absolument nécessaire de compléter notre dispositif de lutte contre le terrorisme sur Internet. Or, comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre, l’équilibre entre les mesures prises et le respect des principes au nom desquels nous les prenons est très délicat à définir, et complexe pour des raisons techniques. La rédaction actuelle de l’article 9 présentant un risque de surblocage, j’accueille avec beaucoup d’intérêt la proposition formulée par le rapporteur, qui permettra de réserver le blocage à titre subsidiaire, après avoir demandé le retrait du contenu et seulement si celui-ci n’a pu être obtenu.

Une des dispositions qui ne figure pas dans le texte mais qui pourrait constituer une mesure alternative ou complémentaire est celle de la sanction de la consultation habituelle ou répétée de sites faisant l’apologie du terrorisme. J’avais déposé au début de cette législature une proposition de loi en ce sens, dont nous avions débattu et à laquelle le ministre de l’Intérieur de l’époque était favorable. Il s’était cependant vu opposer un arbitrage négatif en réunion interministérielle. Puis lorsque nous avons débattu en commission des Lois d’une proposition de loi de M. Guillaume Larrivé sur le sujet, on nous a indiqué que cette mesure serait reprise dans le présent projet de loi, ce qui n’est pas le cas alors qu’elle est nécessaire. J’ai personnellement été confrontée à des mères d’enfants en voie de radicalisation, consultant de façon habituelle des sites, et qui ne savent pas comment s’y prendre. Cela pose un problème de principe : ce qui est interdit en matière de pédophilie devrait naturellement l’être pour le terrorisme. Cela pose également un problème d’efficacité : même si l’on ne considère pas cette proposition comme une alternative aux dispositions de l’article 9, il s’agit tout au moins d’une mesure complémentaire puisqu’elle ne vise pas nécessairement les mêmes personnes ni les mêmes comportements. D’autre part, les hypothèques qui pesaient sur cette disposition ont toutes été levées après que nous avons examiné toutes les dérogations possibles. Monsieur le ministre, pourquoi ne reprenez-vous pas cette proposition ?

M. Christian Assaf. Je vous remercie, monsieur le ministre, des précisions que vous nous avez apportées concernant les événements du week-end dernier. Vos propos font honneur à votre ministère.

Vous rappeliez à juste titre à quel point il était urgent d’agir, compte tenu du fait que 300 ressortissants français combattent en Syrie et que 900 sont impliqués dans les filières djihadistes. Le Gouvernement a su tenir compte de l’évolution de la menace terroriste en reconnaissant la possibilité pour une personne seule de préparer un acte de terrorisme. En effet, l’article 5 du projet de loi incrimine l’entreprise terroriste individuelle, en définissant l’acte de terrorisme comme une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur. Cependant, le texte limite le champ de l’infraction à la préparation des actes terroristes les plus graves et condamne les destructions, dégradations ou détériorations par substances explosives ou incendiaires destinées à entraîner des atteintes à l’intégrité physique de la personne. Le champ de l’infraction ne se limite pas à l’acquisition de matériel et à la préparation d’un engin explosif mais prend en compte un ensemble de délits durant le processus de radicalisation, tels que le repérage de cibles ou la consultation de sites Internet. Le rapporteur reviendra sur cette question par le biais d’un amendement. Néanmoins, je souhaiterais obtenir des précisions concernant l’étendue de l’incrimination.

Mme Sandrine Mazetier. Je souhaiterais tout d’abord vous remercier, monsieur le ministre, pour les propos très complets que vous venez de tenir en réponse à l’interpellation hors sujet de notre collègue Georges Fenech. Vous avez notamment rappelé que défendre la paix là-bas, c’était aussi défendre la République ici. C’était refuser de se livrer au moindre amalgame ou de trier les victimes en considérant que les droits de l’homme sont défendables pour les uns mais pas pour les autres. Vous avez également rappelé que le Gouvernement avait autorisé de nombreuses manifestations et en avait interdit d’autres, sachant qu’il y a une semaine, à Paris, l’une d’entre elles avait donné à lieu à des actes intolérables avec notamment l’attaque d’une synagogue. Vous avez ainsi montré que cet acte de prévention était donc tout à fait fondé.

S’agissant du projet de loi, je salue la recherche d’un équilibre entre les libertés et la sûreté dans un monde dangereux, pour paraphraser le titre d’un ouvrage récent. Je salue également les propositions du rapporteur auxquelles je souscris pleinement. Plusieurs interrogations nous ont en effet été transmises quant aux difficultés que soulevaient les articles 5 et 9. Que pensez-vous de ces propositions, monsieur le ministre ?

Enfin, je souhaiterais alerter l’ensemble de mes collègues sur l’illusion funeste consistant à considérer qu’il suffit de s’intéresser à la présence sur le territoire et à l’intérieur de nos frontières de certains individus pour garantir la sécurité de nos concitoyens. L’insécurité qui peut frapper le territoire français n’est pas liée à la présence de ces individus, quelle que soit leur nationalité. Et c’est tout l’honneur de la France que d’intervenir sur des théâtres d’opérations parfois fort éloignés du territoire européen pour garantir la sécurité de nos concitoyens et de l’ensemble de l’Union européenne.

M. François Vannson. Le terrorisme ne cesse d’évoluer en fonction des nouvelles technologies et des mutations du contexte géostratégique et géopolitique. C’est pourquoi si nous voulons assumer nos responsabilités, il est normal que la législation évolue elle aussi. Cela étant, je souhaiterais revenir sur l’article 9 qui tend à durcir le droit applicable à la sphère Internet. Ne serait-il pas opportun d’aller plus loin dans la mesure où un nombre croissant de personnes malveillantes créent des sites sur lesquels elles s’expriment en s’affranchissant de toutes les règles de déontologie auxquelles la presse est soumise. Il est très facile d’accéder à ces moyens de communication pour nuire à certaines personnes. Les réseaux sociaux peuvent par ailleurs être utilisés par des terroristes en puissance, sous couvert de pseudonymes. Ne pourrions-nous pas régler ce problème d’ici à l’examen du texte en séance publique et ainsi, faire d’une pierre deux coups ?

Mme Élisabeth Pochon. Les chiffres que vous nous avez donnés, monsieur le ministre, sont effectivement inquiétants : l’exode djihadiste s’accélère, en Europe et en France. Il faut réagir rapidement et efficacement par des mesures exceptionnelles, qui doivent toutefois respecter nos principes républicains.

N’oublions pas le long terme : les lieux de propagande changeront, le terrorisme aussi. Il faut mettre l’accent sur la prévention : mobilisons-nous, y compris sur Internet, et rallions nos concitoyens pour combattre la radicalisation. Prévoyez-vous une contre-propagande, en ligne, afin d’apporter à ceux qui s’intéressent à ces sujets une autre vérité ?

M. le ministre. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je vous demanderai tout d’abord de bien vouloir m’excuser, car je vais devoir partir après cette intervention : six personnes, dont quatre enfants, viennent de trouver la mort dans un accident de la route, dans l’Aube, et je dois me rendre sur place au plus vite.

Monsieur Larrivé, vous avez, dans un souci de rassemblement, repris certaines idées que vous aviez développées dans une proposition de loi, et approuvé l’amendement du rapporteur portant sur le retrait de la carte d’identité, en contrepartie d’un récépissé, en cas d’interdiction de sortie du territoire. Cet amendement est effectivement très intéressant et de nature à améliorer le texte. Je me réjouis du consensus qui se dessine.

Vous insistez sur la dimension européenne et internationale du problème : c’est essentiel, je l’avais d’ailleurs également souligné. Les mesures que nous prenons ne seront pas efficaces si elles ne sont pas intégrées au Système d’information Schengen (SIS) ; un accord européen sur le traitement des données des passagers dit « PNR » est indispensable, ainsi qu’une meilleure coopération des services de renseignement. Nous y travaillons.

Monsieur Marsaud, vous avez évoqué, avec beaucoup de nuances, plusieurs sujets. Nous ne nous sommes pas convertis ; nous affrontons la réalité, et notre volonté est de susciter du consensus face à ce phénomène susceptible de ronger la République de l’intérieur et de remettre en cause ses valeurs. Nous ne souhaitons ni polémiques, ni amalgames, car cela risquerait d’enclencher un cercle vicieux de réactions dangereuses.

Vous posez de façon tonique la question des allocations sociales. Je veux y répondre sereinement, et regarder la question du point de vue du droit plutôt que de celui de la passion. Les prestations sociales sont versées sous condition de résidence stable et régulière en France ; lorsqu’une personne part, l’administration le signale aux caisses d’allocations familiales. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé dans le cas de Souad Merah. Il n’est pas ici question de volonté politique, mais de droit : notre rôle est de faire respecter la loi.

Madame Chapdelaine, le juge des libertés et de la détention est déjà extrêmement sollicité dans de nombreux domaines. Sa charge de travail est lourde, et il l’exerce dans des conditions très difficiles. En outre, une saisine du juge des libertés et de la détention poserait des problèmes juridiques ; le blocage de sites Internet ne relève d’ailleurs pas de ses compétences. Cette solution poserait de nombreux problèmes et ne serait, je crois, pas efficace.

Je reste néanmoins très sensible à la question du surblocage de sites Internet, et un contrôle doit s’exercer. Les propositions de Mme Kosciusko-Morizet et de M. Fenech, consistant à demander le retrait du contenu à l’hébergeur avant de demander le blocage des sites aux fournisseurs d’accès à Internet (FAI), me semblent judicieuses ; encore faut-il que ce retrait soit obtenu rapidement, car ce sont là des situations d’urgence. Si un dialogue s’ouvre avec les opérateurs de l’Internet, si le Parlement peut nous proposer un texte qui permette d’éviter le blocage administratif tout en respectant la nécessité d’agir très vite, nous en serons très heureux. Si ces dispositions sont consensuelles, nous nous en réjouirons plus encore : je le répète, nous recherchons ici le compromis et l’efficacité.

Monsieur Verchère, la mesure de guerre électronique que vous proposez peut être prise en cas de légitime défense. C’est alors un acte du Gouvernement, non soumis au contrôle juridictionnel. Mais ce dispositif ne peut pas être utilisé dans un cadre préventif : il serait considéré comme disproportionné.

Monsieur Raimbourg, je veux vous rassurer : le contrôle du juge administratif s’exercera. L’interdiction de sortie du territoire est une mesure individuelle prise par l’administration, et plus exactement par le ministre de l’Intérieur ; le recours au fond sera de droit, le référé sera possible en cas d’urgence. Tous les éléments du dossier seront transmis à la personne intéressée, comme à son avocat, afin que les droits et les libertés de chacun soient garantis.

Madame Bechtel, le Gouvernement examinera vos amendements avec grand intérêt. Je vous confirme qu’il existe une initiative qui rassemble tous les États de l’Union européenne et les États-Unis concernant Internet. Cecilia Malmström, la commissaire européenne, et Gilles de Kerchove, coordinateur de l’Union européenne pour la lutte contre le terrorisme, ont rencontré les opérateurs ; une réunion rassemblant les FAI et les ministres de l’intérieur est prévue au mois d’octobre, afin d’examiner les conditions dans lesquelles nous pouvons progresser tous ensemble et répondre aux préoccupations exprimées par tous les intervenants – préoccupations que je partage.

Vous envisagez la création d’un délit d’incitation, en particulier de mineurs, à visionner des sites terroristes. Les plus jeunes constituent un public particulièrement vulnérable, nous en sommes parfaitement conscients. Cela rejoint la nécessité d’agir avec les FAI.

Madame Kosciusko-Morizet, le délit de consultation habituelle pose de trop grandes difficultés d’ordre constitutionnel ; c’est un sujet que nous avons à plusieurs reprises évoqué avec le Conseil d’État. La proposition de Mme Bechtel paraît donc plus sûre juridiquement, tout en visant le même objectif. Nous en discuterons sur le fond lors du débat d’amendements en séance publique : nous ne devons nous tromper ni d’outil, ni de cible. La consultation habituelle sera en tout cas l’un, parmi d’autres, des critères qui permettront de caractériser l’entreprise terroriste individuelle : vous le voyez, nous progressons.

Madame Mazetier, nous sommes, je l’ai dit, ouverts aux amendements qui permettront d’entourer le blocage de sites Internet de garanties supplémentaires, à condition que son efficacité ne soit pas obérée. Les propositions du rapporteur semblent devoir être regardées sous un jour très favorable.

Madame Pochon, vous insistez sur la question du contre-discours. Sur ce sujet, qui ne relève pas de la loi, j’ai mobilisé différents acteurs – service d’information du Gouvernement (SIG), prestataires de communication privés… J’ai confié une mission à Mme Dounia Bouzar, fondatrice du Centre de prévention des dérives sectaires liées à l’islam (CDPSI). Différentes actions sont en cours, à destination des familles mais aussi des jeunes eux-mêmes, notamment via des vidéos ; les premières seront disponibles dès cet été. Ce travail de sensibilisation et d’information est crucial.

Mesdames et messieurs les députés, je vous remercie pour la qualité de ce débat et je salue la hauteur de vues de toutes les interventions.

La Commission en vient à l’examen des articles.

Chapitre Ier
Création d’un dispositif d’interdiction de sortie du territoire

Avant l’article 1er

La Commission se saisit d’abord, en discussion commune, des amendements CL1 de M. Jacques Myard et CL3 de M. Alain Marsaud.

M. Jacques Myard. Le but poursuivi par ce texte est louable, même si les mesures proposées me paraissent largement insuffisantes.

La participation de certains de nos concitoyens à des conflits armés sans autorisation expresse du Gouvernement est contraire à l’idée même de cohésion nationale. Je propose donc de l’interdire explicitement ab initio.

M. Alain Marsaud. Mon amendement vise, vous l’avez compris, à créer un « délit obstacle ». Je fais partie de ceux qui ne croient guère aux mesures de prévention ; je crains notamment que l’interdiction de sortie du territoire ne soit beaucoup moins efficace que vous ne le pensez. Mais ce délit nouveau irait dans le sens de la répression, en permettant – plus facilement que d’autres – d’incriminer tous ceux qui reviennent sur notre territoire après s’être livrés à des activités djihadistes : la justice pourrait par exemple utiliser des images les montrant portant les armes dans un pays étranger.

Je sais que cette proposition suscite des réticences, puisqu’elle rendrait illégales les opérations mercenaires, et qu’elle pourrait poser problème à des sociétés de sécurité internationales. Mais ce n’est pas le sujet que je vise ici.

M. le rapporteur. Avis défavorable. Tout d’abord, il n’existe pas de définition précise du « conflit armé », et demander au Quai d’Orsay de donner un avis sur tous les conflits dans le monde poserait des problèmes à notre diplomatie. Ensuite, il existe des binationaux – qui font parfois leur service militaire dans un autre pays. Enfin, la loi du 21 décembre 2012 relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme a créé un article qui permet aux juridictions françaises de sanctionner des personnes ayant participé à l’étranger à des actes terroristes et ce, même s’il ne s’agit que de délits.

L’article 1er n’est pas uniquement une mesure de prévention, mais aussi de répression : ceux qui ont enfreint une interdiction de sortie du territoire pourront être condamnés.

M. Jacques Myard. Le conflit armé est un fait – c’est une notion politique, et non juridique ! Le Quai d’Orsay publie d’ailleurs une carte des zones dangereuses. Quant aux binationaux, il existe justement une base légale. De toute façon, tout cela serait sous le contrôle du juge. Vous vous prenez les pieds dans le tapis, monsieur le rapporteur, vos arguments ne tiennent pas !

Mme Marie-Françoise Bechtel. Avec cet amendement, des Français n’auraient pu rejoindre la France libre ou combattre avec les républicains espagnols !

M. Pascal Popelin. Effectivement. La loi est faite pour répondre à toutes les situations. Je n’ai pour ma part aucune commisération pour ceux qui ne pourraient plus mener d’opérations mercenaires aux Comores ou ailleurs, mais j’ai une pensée émue pour ceux qui, en 1936, ont rejoint les Brigades internationales pour combattre le fascisme en Espagne !

M. le rapporteur. Le ministère des Affaires étrangères dresse effectivement une liste des zones de conflits, mais il ne saurait prendre position systématiquement. Devoir se prononcer sur chaque conflit poserait de grands problèmes à notre diplomatie.

La Commission rejette successivement les amendements CL1 et CL3.

Article 1er (chap. IV [nouveau] du titre II du livre II, art. L. 224-1 et L. 232-8 [nouveaux] du code de la sécurité intérieure) : Création d’un dispositif d’interdiction de sortie du territoire

La Commission adopte les amendements rédactionnels CL24 et CL25 du rapporteur.

Puis elle examine l’amendement CL26 du rapporteur.

M. le rapporteur. Cet amendement prévoit que, comme pour les autres mesures individuelles prises par l’administration, la personne à qui est signifiée une interdiction de sortie du territoire peut être assistée par un conseil ou représentée. Il s’agit donc de garantir les droits de la personne concernée.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’amendement de clarification CL27 du rapporteur.

Elle se saisit ensuite, en discussion commune, des amendements CL28 du rapporteur et CL6 de M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Ces deux amendements, largement évoqués lors de la discussion générale, sont très proches. Ils visent à permettre le retrait de la carte nationale d’identité, et non du seul passeport, aux personnes frappées d’interdiction de sortie du territoire : la carte nationale d’identité suffit en effet à quitter la France pour se rendre dans d’autres pays de l’Espace Schengen, mais aussi dans d’autres pays, comme la Turquie. Cette mesure ne résout pas toutes les difficultés – elle ne permet pas de restreindre la liberté de circulation des binationaux, par exemple – mais elle constitue une véritable avancée.

M. le rapporteur. Mon amendement va plus loin, notamment en prévoyant un retrait automatique de la carte d’identité. Nous voulons être efficaces et pragmatiques. Nous n’arriverons jamais, soyons-en conscients, à empêcher un militant vraiment déterminé de rejoindre la Syrie – mais nous pourrons au moins gêner le départ des mineurs ou de ceux qui ne sont pas encore complètement radicalisés. C’est donc une mesure de protection et de dissuasion. Près de 900 ressortissants français sont concernés : c’est un phénomène important, accru encore par la facilité d’accès au territoire syrien. Le retrait de la carte d’identité, qui empêchera l’accès à la Syrie par la Turquie, constituera un obstacle réel au départ.

Je demande donc le retrait de l’amendement CL6.

M. Claude Goasguen. Le permis de conduire fait office de carte d’identité dans l’Espace Schengen : il faudrait rédiger l’amendement en précisant que « les papiers d’identité » sont retirés. L’amendement s’en trouverait d’ailleurs simplifié.

M. Guillaume Larrivé. Je me rallie à l’amendement du rapporteur, dont je souligne qu’il est en effet plus contraignant que le mien.

L’amendement CL6 est retiré.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Je nourris des interrogations sur cette mesure très grave : ces personnes ne pourront plus justifier de leur identité dans de nombreux actes de la vie courante. Les banques, par exemple, demandent une carte d’identité pour l’ouverture d’un compte bancaire, même si elles n’en ont pas le droit. Ne serait-il pas préférable de négocier avec les quelques pays concernés – la Turquie mais aussi certains pays du Maghreb – pour qu’ils exigent un passeport ? Cela heurterait sans doute, c’est vrai, les intérêts de l’industrie du tourisme.

Je ne suis vraiment pas certaine que cette mesure soit constitutionnelle, car elle risque d’être jugée disproportionnée. S’il faut s’y résoudre, ne serait-il pas judicieux de prévoir des garanties supplémentaires ? Nous pourrions par exemple préciser que le récépissé ouvre les mêmes droits que la carte d’identité, à l’exception de la sortie du territoire, et que le décret en Conseil d’État décline précisément les usages de ce récépissé. Je proposerai certainement, en séance publique, des amendements en ce sens ; j’espère qu’ils seront approuvés par mon groupe.

M. Alain Tourret. Je préférais, pour ma part, l’amendement CL6. L’automaticité du retrait me semble très attentatoire aux libertés individuelles : de façon très paradoxale, me voici donc plus proche de M. Larrivé que du rapporteur. Malheureusement, M. Larrivé s’est rallié à l’amendement du rapporteur !

M. Guillaume Larrivé. Je suis sensible aux arguments de Mme Bechtel : il doit être possible d’affiner la rédaction de cet article dans le sens qu’elle indique.

Le Gouvernement devrait aussi, je crois, faire pression sur la Turquie. Ce n’est pas notre sujet aujourd’hui, mais notre diplomatie a changé d’orientation par rapport au quinquennat précédent, puisque des négociations en vue de l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne ont été rouvertes. Le Gouvernement s’est montré très ouvert ; sur les questions de sécurité nationale, il faudrait, je crois, faire preuve d’une extrême fermeté.

M. le rapporteur. J’entends vos arguments et nous nous sommes déjà beaucoup interrogés sur la première rédaction de l’amendement de M. Larrivé. Dans la mesure où nous visons l’interdiction de sortie du territoire, ce serait un peu hypocrite de la rendre facultative. S’agissant du récépissé qui permettra à la personne de justifier de son identité lors des démarches administratives au quotidien, un décret en Conseil d’État viendra en préciser les modalités d’établissement et les mentions qui devront y figurer. Rappelons que cette mesure existe déjà dans l’article 138 du code de procédure pénale. Enfin, la Turquie et la Tunisie étant deux pays touristiques, je les vois mal accepter que l’on ne puisse plus entrer sur leur territoire avec une simple carte d’identité. Je crains donc que cela ne reste un vœu pieux.

M. Dominique Raimbourg. Ce débat sur les libertés m’offre l’occasion de revenir sur un sujet que j’ai abordé lors de la discussion générale. M. le ministre invoque deux procédures en matière de saisine de la juridiction, l’une en référé et l’autre au fond qui ne me semble pas suffisamment encadrée : la décision administrative est prise pour une durée de six mois mais, contrairement au juge en référé, qui doit statuer dans les quarante-huit heures, le juge au fond n’a aucune obligation de délai. S’il répond au bout de huit mois, la décision n’a plus d’effet. Il faudrait réfléchir à la manière d’obliger le juge administratif à statuer au fond avant l’expiration de la mesure.

M. le président Jean-Jacques Urvoas.  Votre remarque est intéressante mais elle me paraît concerner l’ensemble du contentieux administratif.

M. Dominique Raimbourg. En l’espèce, la mesure est tout de même très restrictive des libertés. Elle s’adressera à des gens qui, par définition, ne seront pas complètement innocents – on peut avoir un minimum de confiance dans le ministère de l’intérieur – mais il peut y avoir des contestations marginales sur la proportionnalité entre l’interdiction et la dangerosité que présente l’intéressé ; ce débat ne sera pas tranché en référé. S’agissant d’une mesure restrictive des libertés, le juge administratif doit trancher avant l’expiration de la mesure, sinon le recours est privé de tout intérêt.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Le raisonnement me semble valoir aussi, par exemple, pour l’interdiction de manifester.

M. Dominique Raimbourg. C’est possible. Je me suis intéressé au texte sur le terrorisme mais je veux bien déplorer avec vous les lenteurs de la justice administrative.

M. le président Jean-Jacques Urvoas.  Pour vous permettre d’affiner votre réflexion, je suggère que cet amendement soit soumis aux voix pour que vous puissiez faire œuvre d’imagination et d’efficacité dans la perspective de l’examen du texte en séance.

La Commission adopte l’amendement CL28.

La Commission adopte ensuite successivement les amendements rédactionnels ou d’harmonisation CL29 à CL32 du rapporteur.

Puis la Commission adopte l’article 1er modifié.

Chapitre II
Renforcement des mesures d’assignation à résidence

Article 2 (art. L. 571-4 [nouveau] et L. 624-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers) : Renforcement des mesures d’assignation à résidence

La Commission adopte l’amendement rédactionnel CL33 du rapporteur.

La Commission examine ensuite l’amendement CL34 du rapporteur.

M. le rapporteur. Le présent article crée une nouvelle infraction sanctionnant la violation de la nouvelle interdiction d’entrer en relation avec certaines personnes. Cette infraction paraît plus proche de celles punies d’un an d’emprisonnement que de celles punies de trois ans d’emprisonnement. C’est pourquoi le présent amendement propose de ramener de trois ans à un an la peine prévue dans le projet de loi.

M. le président Jean-Jacques Urvoas.  C’est un problème d’échelle des peines et l’amendement ne vise qu’à une harmonisation.

M. Guillaume Larrivé. Sans vouloir faire de mauvais esprit, je signale que cette distinction entre trois ans et un an n’aura pas beaucoup d’importance après l’entrée en vigueur de la loi sur la contrainte pénale.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. C’est du mauvais esprit. (Sourires.)

M. Guillaume Larrivé. Un peu. (Sourires.)

La Commission adopte l’amendement CL34 du rapporteur.

La Commission adopte l’article 2 modifié.

Chapitre III
Renforcement des dispositions de nature répressive

Article 3 (art. 421-1 du code pénal) : Ajout d’infractions en matière d’explosifs à la liste des infractions pouvant recevoir la qualification terroriste

La Commission adopte l’amendement de précision CL8 du rapporteur.

La Commission adopte l’article 3 modifié.

Article 4 (art. 421-2-5 [nouveau] du code pénal ; art. 24, 24 bis, 48-1, 48-4 à 48-6, 52 et 65-3 de la loi du 29 juillet 1881) : Transformation des délits de provocation à la commission d’actes terroristes et d’apologie du terrorisme en délits terroristes

La Commission examine l’amendement CL45 du rapporteur.

M. le rapporteur. L’article 4 déplace l’incrimination des délits de provocation au terrorisme et d’apologie du terrorisme de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse vers le code pénal. Dans le projet de loi, la définition de ces infractions est inchangée, leur commission devant donc être publique.

Or, s’il est évident que la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ne peut réprimer des propos ou des écrits que s’ils sont publics, il n’en va plus nécessairement de même dès lors que ces faits sont incriminés par le code pénal. Un certain nombre de délits prévus par le code pénal, dont l’élément matériel est constitué par une expression, peuvent être constitués même si les propos incriminés sont tenus en privé. C’est le cas, par exemple, de la provocation au suicide (article 223-13), de la provocation de mineurs à l’usage de stupéfiants (article 227-18) ou encore de la provocation à s’armer contre l’autorité de l’État (article 412-8).

Pour la répression de l’apologie du terrorisme, l’exigence de publicité semble demeurer nécessaire, car il s’agit de l’expression d’une opinion, certes potentiellement odieuse, mais qui n’incite pas directement à commettre une infraction.

En revanche, le présent amendement propose d’étendre le champ d’application du délit de provocation au terrorisme aux propos tenus de façon non publique, ce qui permettra en particulier de sanctionner les propos tenus soit dans des cercles de réunion privés, par exemple dans le cadre de prêches formulés dans des lieux non ouverts au public, soit sur des forums Internet privés ou des réseaux sociaux dont l’accès n’est pas public. En effet, la jurisprudence considère que des propos tenus sur un compte de réseau social accessible à un nombre restreint de personnes agréées qui forment une « communauté d’intérêts » sont des propos privés. Tel est l’objet de cet amendement.

M. Alain Tourret.  Je voudrais une précision, monsieur le rapporteur. Je comprends parfaitement que l’on se réfère à la loi du 29 juillet 1881, qui recèle le plus de chausse-trapes : pour des raisons de pure procédure, une affaire sur deux ne va jamais au fond. J’ai toujours pensé qu’il fallait abandonner la loi de 1881 et repenser complètement le code pénal. Est-ce une bonne idée de se référer à la loi de 1881, compte tenu de ces caractéristiques ?

M. le président Jean-Jacques Urvoas. On en sort !

M. le rapporteur. L’article 4 vise précisément à sortir tous ces délits de la loi de 1881 pour les mettre dans le code pénal, afin de pouvoir utiliser les procédures spéciales liées au terrorisme. Nous avions abordé cette question avec Marie-Françoise Bechtel au moment de la discussion de la loi du 21 décembre 2012, et nous avions progressé sans aller jusqu’au bout. Nous abondons dans votre sens.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Je confirme que nous avions eu ce débat lors de l’examen de la précédente loi. La Commission nationale consultative des droits de l’homme s’était d’ailleurs inquiétée de voir que la loi de 1881 était un peu polluée, si vous me passez ce terme, par des incriminations pénales alourdies. C’est une bonne chose d’en exfiltrer ces délits mais la rédaction de l’amendement n’est pas très prudente quand elle retient l’expression de « propos tenus en privé ». Autant les propos tenus en public sont faciles à cerner, autant il paraît délicat de connaître l’extension exacte de ceux qui sont tenus en privé. La définition n’est pas symétrique. Peut-être pourrait-on retenir les propos privés qui sont tenus sur Internet, par exemple ?

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Il me semble que ces termes sont dans l’exposé des motifs mais pas dans l’amendement lui-même.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Pourquoi ne sont-ils que dans l’exposé des motifs et pas dans l’amendement ?

M. le président Jean-Jacques Urvoas.  Pour expliciter l’intention de l’amendement.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Si le mot « public » a été enlevé, cela concerne donc les propos tenus en public ou en privé. Les deux domaines sont couverts et un certain flou subsiste qui pourrait être levé avant la séance.

M. le président Jean-Jacques Urvoas.  Je pense au contraire que cette rédaction est facteur de clarté.

M. Guillaume Larrivé. Trois remarques. D’abord, je suis favorable à ce que les délits d’apologie et de provocation au terrorisme soient transférés de la loi de 1881 au code pénal, ce qui permet d’utiliser un régime procédural qui offre davantage de moyens en matière d’investigation, de garde à vue, etc. Ensuite, quand il s’agit de liberté d’expression, il faut prendre garde à pénaliser en principe les propos publics et non pas ceux qui sont tenus dans le cadre d’une communauté d’intérêts, un cadre familial et privé : on pénalise une expression publique déviante et non pas une expression privée débridée car il reste un droit à l’insanité, à l’indécence et à l’excès dans un cercle privé. L’un des principes forts de la loi de 1881 est de bien distinguer le privé du public et il faut veiller à ne pas rompre cet équilibre, même en ces matières. Enfin, je pense que vous respectez cet équilibre puisque, si j’ai bien compris, l’apologie ne sera punie que si elle est publique, tandis que la provocation à la commission directe d’actes de terrorisme sera punie même si elle est privée, ce qui vise notamment les prêches dans des mosquées ou des expressions sur des réseaux sociaux accessibles par des mots de passe cadenassés, ces lieux étant définis comme des communautés d’intérêts. Si tel est bien l’objet de l’amendement, j’y suis favorable.

M. le président Jean-Jacques Urvoas.  Il me semble que vous avez parfaitement bien compris que seule la provocation privée, mais pas l’apologie privée, sera punie.

La Commission adopte l’amendement CL45 du rapporteur.

La Commission adopte ensuite l’amendement de coordination CL39 du rapporteur.

Puis la Commission adopte l’article 4 modifié.

Article 5 (art. 421-2-6 [nouveau] et 421-5 du code pénal) : Création d’un délit d’entreprise terroriste individuelle

La Commission est saisie de l’amendement CL40 du rapporteur.

M. le rapporteur. Il est nécessaire d’aller au-delà de l’association de malfaiteurs pour créer ce nouveau délit d’entreprise terroriste individuelle, dont la définition mérite cependant d’être précisée. C’est ce que propose de faire le présent amendement. Dans le délit d’entreprise individuelle, l’unicité d’auteur impose au législateur de prévoir une définition de l’élément matériel suffisamment précise pour justifier l’intervention du droit pénal, en amont de toute tentative, pour incriminer les actes préparatoires d’une personne agissant seule.

S’agissant de la définition de l’élément matériel de l’infraction, l’amendement procède à deux modifications. D’une part, il complète la définition proposée par le projet de loi par le fait de « détenir » des objets ou des substances de nature à créer un danger pour autrui, pour appréhender la situation des personnes qui s’engagent dans la préparation d’un projet terroriste alors qu’elles détiennent déjà des armes ou des explosifs, y compris, le cas échéant, de façon légale. D’autre part, il exige que le projet criminel soit caractérisé, non seulement par la recherche ou l’obtention de produits ou de substances dangereux pour la personne, mais aussi par un second élément matériel qui pourra consister soit en des repérages, soit en une formation au maniement des armes, à la fabrication d’engins explosifs ou au pilotage, soit dans la consultation habituelle de sites Internet provoquant au terrorisme, sauf motif légitime précisément défini par le texte. Ces éléments matériels pourraient être inscrits dans une liste dans laquelle on pourrait piocher.

M. Dominique Raimbourg.  La rédaction me paraît plus satisfaisante en ce qu’elle ajoute l’idée de « détenir » qui manquait dans le texte initial. En revanche, je suis moins favorable à l’idée d’avoir deux éléments matériels. L’infraction est caractérisée par un élément matériel – la détention ou la recherche d’objets manifestement dangereux – auquel se rajoute l’intention terroriste. Cette intention doit pouvoir être prouvée par tous moyens, y compris le fait de participer à des entraînements, de consulter des sites. Si on exige deux éléments matériels qui sont en réalité des preuves de l’intention, on complexifie considérablement. Il faut laisser la liberté au juge et considérer que le deuxième élément matériel est l’indice de l’intention.

M. Claude Goasguen.  Je suis aussi d’avis que, dans ce domaine, il faut laisser au juge la possibilité d’appréciation.

M. Guillaume Larrivé.  Pour ma part, je proposerais volontiers un sous-amendement qui rendrait alternatif ce que le rapporteur a rendu cumulatif, pour aller dans le sens de Dominique Raimbourg.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Seul le rapporteur peut modifier son amendement de la sorte.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Décidément, nous avons de fortes concordances : j’allais faire la même remarque que M. Larrivé car je crois aussi que l’alternative serait préférable. Quel intérêt de changer l’incrimination terroriste pour agrandir le Fichier national transfrontière, pour dire qu’il faut détenir, rechercher ou se procurer des objets dangereux, disons des armes ? Le loup solitaire, celui que l’on veut traquer, n’en est pas au stade de se procurer des armes, sa dangerosité vient d’autres comportements qui sont visés dans la deuxième partie. J’approuve l’effort du rapporteur dont la rédaction me semble meilleure que celle du Gouvernement, mais si nous nous en tenons au fait de se procurer ou de détenir une arme, ce n’était pas la peine de faire tout le détour qu’a exigé de nous le juge Trévidic.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Si nous retenions cette hypothèse, n’y aurait-il pas, du coup, le risque d’une condamnation uniquement sur l’intention, ce qui s’appelle une justice d’exception. Je préfère la matérialisation de l’intention puisque les faits me paraissent devoir primer sur l’intention. La rédaction du rapporteur facilite la juridiciarisation sans l’étendre à l’infini.

M. Claude Goasguen. Parmi les caractéristiques de l’intention, je relève celle-ci : « recevoir un entraînement ou une formation au pilotage d’aéronefs ». Et les chars d’assaut ? Il y a trop de précisions. Dans ces domaines, il faut laisser le juge apprécier la réalité des faits, d’autant que les terroristes font preuve d’une imagination sans faille et qu’ils passent en général dans les mailles du filet pénal qui leur est destiné.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Monsieur le président, vous avez raison sur le risque du délit d’intention mais il me semble qu’il ne touche que le fait de « recueillir des renseignements relatifs à un lieu, à une ou plusieurs personnes ou à la surveillance de ces personnes ». Pour le reste, il ne s’agit pas d’intention mais de faits objectifs. Entre « recevoir un entraînement ou une formation au maniement des armes » et détenir une arme, il n’y a pas la différence qui sépare le fait de l’intention. En revanche, je reconnais que c’est plus gênant en ce qui concerne le recueil de renseignements et la surveillance et, qu’à ce stade, je n’ai pas de proposition.

M. Alain Tourret.  Je suis très gêné que ces éléments – aux a, b, c, d, e de l’amendement – soient ainsi définis. On se complique la vie, cette manière de procéder n’est pas la bonne et il vaut mieux faire confiance à la justice. Monsieur le président, je suis sensible à votre remarque sur la justice d’exception. Restons dans les principes généraux plutôt que d’aller dans le détail. Le pilotage d’aéronefs fait référence aux États-Unis, mais pourquoi ne pas mentionner les ULM ou les drones ? Je trouverais préférable que l’amendement soit rédigé sans ces précisions.

M. le rapporteur. C’est l’article sur lequel nous avons le plus discuté puisqu’il crée un nouveau délit qui vise à répondre à l’évolution de la menace terroriste. Lors des auditions, nous avons confronté les points de vue, et cet article a donné lieu à plusieurs projets de rédaction. Il nous a paru important de caractériser suffisamment l’intention pour ne pas risquer la censure constitutionnelle, d’où l’élaboration de cette liste.

Dans le cadre de l’association de malfaiteurs en vue de préparer des actes terroristes, qui implique au moins deux personnes, la matérialité des faits est plus facile à prouver car il y a un échange, une discussion, la mise en œuvre d’un plan. Dans le cas d’une entreprise individuelle, la personne est face à sa conscience et à son libre arbitre. Chacun peut détenir une arme, à commencer par un couteau de cuisine. Le militaire de Vénissieux qui, l’an dernier, a voulu faire un attentat dans une mosquée au dernier jour du Ramadan, possédait légalement des armes. Comment prouver l’intention sur ce seul indice ? Le fait qu’il ait fait des repérages permet de qualifier davantage cette intention.

Nous pouvons améliorer la rédaction et rendre la liste plus exhaustive avant l’examen du texte en séance. Au départ, je n’étais pas favorable à une liste, mais il me semble qu’elle permet au juge de mieux qualifier les faits car on ne peut pas incriminer la simple intention. Ce sont nos échanges avec le juge Trévidic et le parquet de Paris qui nous ont incités à dresser cette liste qui permet une certaine souplesse. Je n’ai pas encore vu d’attentats au char d’assaut, mais il faut être prévoyant et nous pouvons améliorer cette liste. Cela étant, je reste attaché à la pluralité des faits matériels qui suppose au moins un fait grave – armes, engins explosifs – et un autre plus secondaire pris dans une liste donnée.

M. Georges Fenech.  Je pense qu’il est toujours dangereux d’enfermer le juge dans une liste énumérative qui ne peut absolument pas prendre en compte toutes les réalités concrètes dont certaines nous échappent aujourd’hui. Pourquoi ne pas retenir une formulation où les autres éléments matériels seraient introduits par l’adverbe « notamment » qui permettrait de ne pas enfermer le juge ?

M. le président Jean-Jacques Urvoas.  Si je voulais faire du mauvais esprit, comme dirait Guillaume Larrivé, je me réjouirais de voir que vous faites confiance au juge, à sa souveraineté et à sa capacité d’appréciation alors que vous évoquiez son arbitraire, il y a peu.

M. Guillaume Larrivé. A ce stade de nos débats, je ne voterai pas l’amendement du rapporteur. La rédaction du Gouvernement me paraît moins restrictive. Le cumul des deux conditions, l’une liée à la détention des armes et l’autre que le rapporteur ne pourra pas définir de manière exhaustive, nous fait évoluer vers la définition d’un délit tellement restrictif qu’il apportera assez peu à l’état du droit. Au départ, on a essayé de construire une association de malfaiteurs sans association, c’est-à-dire une incrimination large. Le Gouvernement nous propose quelque chose qui correspond assez bien au but recherché et le mieux est l’ennemi du bien.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Le Gouvernement avait donné un avis favorable à l’amendement du rapporteur.

Mme Marie-Françoise Bechtel.  Tel que rédigé, l’amendement pose encore quelques difficultés mais, pour ma part, je ne reviens pas sur mon premier sentiment et je le trouve meilleur que le texte du Gouvernement. Si ce n’est pour ajouter des précisions, ce n’est pas la peine de créer une nouvelle incrimination. À ce stade, je pense que nous pouvons l’adopter, quitte à ce qu’il soit amélioré d’ici à l’examen en séance.

M. le président Jean-Jacques Urvoas.  Pour ma part, je préfère que les choses soient précises.

M. Dominique Raimbourg. Ne pourrait-on pas écrire « une intention caractérisée par un élément matériel au moins », tout en gardant l’autre élément matériel qui est la détention d’objet dangereux ? Nous posons l’exigence d’un autre élément matériel sans définir une quelconque liste, et en laissant le juge apprécier s’il y a eu recherche de renseignement, entraînement. Nous pouvons faire entrer toutes les hypothèses qui viennent conforter l’existence de cette intention.

M. le rapporteur. Je ne désespère pas de convaincre Guillaume Larrivé en soulevant trois arguments. Le premier concerne une éventuelle censure du Conseil constitutionnel : la définition du harcèlement sexuel a été censurée en 2012 car jugée trop imprécise, et il nous a fallu faire une liste et préciser les choses. Deuxième argument : le ministère de l’intérieur a passé la nouvelle notion d’entreprise individuelle terroriste à la « moulinette » pour juger de son adaptation à la réalité de terrain. Troisième argument : le juge Trévidic en tête, les personnes auditionnées nous ont incités à créer une liste. Je conviens parfaitement que la rédaction peut être améliorée avant l’examen du texte en séance, mais je reste attaché à la pluralité des faits matériels. La précision n’est pas une entrave pour les juges, bien au contraire, et elle nous permettra d’éviter la censure du Conseil constitutionnel.

Mme Anne-Yvonne Le Dain.  Il me semble que le texte fait l’impasse sur des armes létales qui peuvent être utilisées dans le terrorisme : les armes chimiques.

M. le rapporteur. Elles font partie des « substances de nature à créer un danger pour autrui. »

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Si l’on inclut toutes les armes chimiques dans deux mots, pourquoi est-il nécessaire de développer les explosifs et les engins incendiaires sur quatre paragraphes ? Ce qui ne sera pas écrit n’aura pas le droit d’être, ce qui est le contraire de ce que l’on souhaite.

M. Claude Goasguen. Un avocat s’acharnera à démontrer que l’élément matériel n’est pas conforme à la réalité. Imaginons que des pressions s’exercent sur un individu pour le contraindre à un acte terroriste, l’auteur du harcèlement ou du chantage est aussi un terroriste alors que l’élément matériel n’existe pas parce qu’il n’est pas énuméré. Compte tenu de l’évolution de la situation et du talent des avocats, je conseille de rester le plus flou possible, tout en l’expliquant au Conseil constitutionnel.

M. le président Jean-Jacques Urvoas.  Je reste attaché à l’amendement du rapporteur qui me paraît plus facile à amender dans la perspective de la séance et plus conforme aux exigences du Conseil constitutionnel de souhaiter des définitions qui soient claires et précises.

La Commission adopte l’amendement CL40.

La Commission adopte ensuite l’article 5 modifié.

Article 6 (art. 706-23, 706-24-1, 706-25-1 et 706-25-2 du code de procédure pénale) : Possibilité pour le juge des référés d’ordonner l’arrêt d’un service de communication au public en ligne en cas de provocation à la commission d’actes terroristes et d’apologie du terrorisme – Exclusion de l’application de certaines règles dérogatoires applicables en matière terroriste pour ces délits

La Commission adopte successivement les amendements rédactionnels ou de précision CL41, CL42 et CL43 du rapporteur.

Puis la Commission adopte l’article 6 modifié.

Après l’article 6

La Commission est saisie de l’amendement CL5 de M. Alain Marsaud.

M. Claude Goasguen. C’est un amendement dont il faudra discuter en séance publique. Curieusement et contrairement à ce que l’on pourrait croire, les dispositions proposées ont déjà existé dans notre droit pénal, mais à une période pas nécessairement très moderne : elles figuraient dans le code d’instruction criminelle du début du XIXe siècle. Il me paraît difficile de l’appliquer aujourd’hui, mais je laisse à M. Marsaud la responsabilité de son amendement.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Nous avons déjà discuté de ce sujet tout à l’heure en présence du ministre.

M. le rapporteur. Je ne suis pas favorable à cet amendement. Comme le ministre l’a expliqué, une modification de la loi n’est pas nécessaire dès lors que les personnes qui quittent la France perdent le droit aux prestations sociales, comme l’illustre le cas de la sœur de Mohamed Merah, cité par M. Marsaud. Il ne faut pas caricaturer le débat dans un sens ou dans l’autre. On peut s’interroger sur le fait que certains ressortissants français partant en Syrie touchent les allocations familiales, ce qui leur permet d’y vivre assez aisément. Encore faut-il prouver la matérialité des faits : certains jihadistes reviennent en France pour pouvoir toucher les allocations familiales ; une carte bancaire ou des démarches administratives sont confiées à des tiers afin de faire croire à la présence de certains autres sur le territoire national. C’est un problème auquel la Caisse nationale d’allocations familiales (CNAF) est sensible. Il faut veiller à ne pas alimenter la filière en finançant la vie sur place, mais il ne faut pas non plus caricaturer le débat. J’émets un avis défavorable à cet amendement.

M. Claude Goasguen. Au XIXe siècle, on frappait ainsi les gens de « mort civile », une notion qui a disparu et qui semble difficile à réadapter à notre époque.

La Commission rejette l’amendement.

Chapitre IV
Renforcement des moyens de prévention et d’investigations

Article 7 (art. 706-16 du code de procédure pénale) : Compétence concurrente de la juridiction parisienne pour certaines infractions commises par des personnes détenues, prévenues ou condamnées, et recherchées pour des actes de terrorisme

La Commission adopte l’amendement de précision CL10 du rapporteur.

La Commission en vient ensuite à l’amendement CL9 du rapporteur.

M. le rapporteur. Le présent amendement étend la compétence concurrente de la juridiction parisienne à la poursuite, à l’instruction et au jugement des infractions d’association de malfaiteurs visant à préparer l’évasion d’une personne détenue, prévenue ou condamnée pour des actes de terrorisme.

La Commission adopte l’amendement.

La Commission adopte ensuite successivement l’amendement rédactionnel CL11 et l’amendement rédactionnel et de précision CL12 du rapporteur.

Puis la Commission adopte l’article 7 modifié.

Article additionnel après l’article 7 (art. 706-22-2 [nouveau] du code de procédure pénale) : Compétence concurrente de la cour d’appel de Paris pour l’examen des demandes d’exécution d’un mandat d’arrêt européen et des demandes d’extradition concernant les auteurs d’actes de terrorisme

La Commission examine l’amendement CL13 du rapporteur.

M. le rapporteur. Il consacre la compétence concurrente du procureur de la République près la cour d’appel de Paris, du premier président de cette cour, ainsi que de sa chambre de l’instruction et de son président pour examiner les demandes d’exécution d’un mandat d’arrêt européen et les demandes d’extradition concernant les auteurs d’actes de terrorisme.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Il est bien entendu que l’amendement concerne les demandes d’exécution d’un mandat d’arrêt européen « concernant les auteurs d’actes de terrorisme », et que cette dernière précision est, en quelque sorte, en facteur commun.

M. le rapporteur. Je vous le confirme.

La Commission adopte l’amendement.

Article 8 (art. L. 561-1 et L. 562-5 du code monétaire et financier) : Co-décision du ministre de l’Intérieur et du ministre de l’Économie en matière de gels des avoirs

La Commission adopte successivement les amendements de coordination CL35 et CL36, tous deux du rapporteur.

Elle adopte l’article 8 modifié.

Article 9 (art. 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004) : Lutte contre la provocation au terrorisme et l’apologie des faits de terrorisme sur Internet

La Commission adopte l’amendement de précision CL44 du rapporteur.

Elle en vient à l’amendement CL46 du même auteur.

M. le rapporteur. L’article 9 a fait polémique et cet amendement me donne l’occasion d’affirmer un certain nombre de principes.

Internet ne peut constituer une zone de non-droit. La provocation aux actes de terrorisme et l’apologie de ces actes ne relèvent pas de la liberté d’expression. Une vidéo montrant une décapitation, ce n’est pas la liberté d’expression ; c’est de l’horreur. Un film montrant une crucifixion, ce n’est pas la liberté d’expression ; c’est une abomination. Même si les possibilités de contournement existent comme les risques limités de surblocage, la politique ne peut pas rester passive en s’abritant derrière des difficultés techniques.

Certains estiment qu’Internet ne doit pas être contrôlé. Je ne partage pas cette analyse même s’il s’agit d’un formidable espace de liberté. En effet, il faut opposer au djihad médiatique, organisé et structuré, une réponse ferme de l’État. Pourquoi ce dernier pourrait-il interdire une manifestation, un spectacle ou la parution d’un journal, et pas les pages d’un site Internet ? Une guerre a lieu sur Internet et, en la matière, je crois au volontarisme politique.

L’amendement repose, d’une part, sur le principe de subsidiarité, et, d’autre part, sur les garanties entourant l’action menée contre les contenus illicites grâce à l’intervention d’une personne qualifiée désignée par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). J’ai évidemment entendu les remarques de M. le ministre de l’Intérieur : nous continuerons à travailler en cherchant un équilibre entre l’application du principe de subsidiarité et la nécessité d’engager des actions rapides.

M. Guillaume Larrivé. Je voterai cet amendement car il me semble pertinent de préciser comment s’applique le principe de subsidiarité.

J’ai en revanche un léger doute concernant la personnalité qualifiée qui aura une fonction de contrôle. Il me semble qu’il faudrait éviter de créer trop fréquemment de nouvelles autorités administratives indépendantes – même si la désignation d’un magistrat par le ministre de la Justice prévue initialement par le projet de loi ne me paraissait pas préférable dans une matière qui n’est pas judiciaire. Ce rôle ne pourrait-il pas être assumé par une autorité existante comme la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS) ?

Mme Marie-Françoise Bechtel. Le rapporteur a le mérite d’avoir travaillé pour répondre à trois questions essentielles. Les obligations doivent-elles incomber d’abord aux FAI ou aux hébergeurs ? Faut-il privilégier le retrait des contenus ou le blocage des sites ? Le contrôle de l’action publique relève-t-il de la compétence judiciaire ou de celle de l’administration ? Aucune solution n’est évidemment parfaite, et celle proposée par le rapporteur évoluera peut-être d’ici à la rentrée parlementaire. Elle a, en tout cas, l’avantage d’être lisible.

M. Guillaume Larrivé a raison de s’interroger sur la désignation d’une personnalité qualifiée par la CNIL. Pas plus que la CNCIS, cette dernière n’est chargée de la liberté de communication dans notre pays. Il serait sans doute préférable de s’en tenir au rôle du magistrat de l’ordre judiciaire prévu dans le texte.

Nous traitons uniquement de la communication en ligne. Devons-nous exclure ce que la loi pour la confiance dans l’économie numérique désigne sous le nom de communication électronique, qui inclut l’envoi de messages sans sollicitations et sans échanges ?

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Comme M. Guillaume Larrivé, je ne suis pas certain qu’il faille multiplier les autorités administratives indépendantes dont le rôle correspond souvent à une externalisation de la fonction du Parlement. L’évolution éventuelle de celles qui existent déjà me paraît préférable. Cela dit, en l’espèce, nous ne disposons que de l’amendement tel qu’il a été rédigé par le rapporteur.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 9 modifié.

Article 10 (art. 57-1 du code de procédure pénale) : Perquisition de données stockées à distance ou sur des terminaux mobiles à partir d’un système informatique implanté dans les services de police ou unités de gendarmerie

La Commission adopte l’amendement rédactionnel CL14 du rapporteur.

Elle examine ensuite l’amendement CL7 de M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Cet amendement est également signé par MM. Éric Ciotti, Philippe Goujon, et Frédéric Lefebvre.

Les services d’investigations se heurtent à une difficulté importante en matière de perquisitions informatiques : la méconnaissance des codes d’accès verrouillant l’accès au contenu informatique lorsque leur détenteur est absent ou refuse de les fournir.

Si le dernier alinéa de l’article 56 du code de procédure pénale permet de retenir les personnes présentes lors des perquisitions le temps strictement nécessaire lorsqu’elles sont « susceptibles de fournir des renseignements sur les objets, documents et données informatiques saisis », ces dispositions ne permettent pas de demander au tiers qui en a connaissance de fournir les codes d’accès.

Il est donc nécessaire de faire évoluer notre droit afin de prévoir le droit à l’assistance des officiers de police judiciaire par le tiers qui a connaissance du fonctionnement du système informatique. Ce droit est d’ailleurs reconnu par la convention sur la cybercriminalité du Conseil de l’Europe signée à Budapest en 2001.

M. le rapporteur. Avis favorable. Cet amendement renforce les pouvoirs de l’officier de police judiciaire dans le cadre de la perquisition d’un système informatique et facilite les investigations des services enquêteurs.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Je ne m’oppose évidemment pas à l’amendement mais je doute que l’on trouve beaucoup d’adolescents en France qui ne sachent pas casser un code informatique.

La Commission adopte l’amendement.

Elle adopte ensuite l’article 10 modifié.

Article 11 (art. 230-1, 230-2 et 230-4 du code de procédure pénale) : Faculté des officiers de police judiciaire de requérir, sur autorisation du procureur de la République ou du juge d’instruction, toute personne qualifiée pour mettre au clair des données chiffrées

La Commission adopte l’article 11 sans modification.

Article additionnel après l’article 11 (art. 323-1, 323-2 et 323-3 du code pénal) : Répression de l’extraction, de la détention, de la reproduction et de la transmission frauduleuses de données – Aggravation des peines d’amende encourues pour la commission des infractions d’atteintes aux systèmes de traitement automatisé de données

La Commission est saisie de l’amendement CL23 du rapporteur et du président Jean-Jacques Urvoas.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Cet amendement contribue, d’une part, à adapter l’échelle des peines à une criminalité de plus en plus organisée et prédatrice. D’autre part, il permet de sanctionner le vol de données, alors que notre code pénal se contente aujourd’hui de réprimer l’accès ou le maintien frauduleux dans un système de données. L’incrimination actuelle est donc complétée pour permettre de punir le fait d’extraire, de détenir, de reproduire et de transmettre des données auxquelles on accède frauduleusement.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Malgré tout l’intérêt de cet amendement, ne s’agit-il pas d’un cavalier ? Qu’en pense le ministère compétent, le ministère de l’Économie, du redressement productif et du numérique ? Un autre véhicule législatif ne permettrait-il pas d’introduire cette disposition utile dans notre droit ?

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Le Gouvernement a donné un avis favorable à cet amendement mais je concède volontiers qu’il pouvait s’agir pour lui de façon globale de saisir une opportunité.

M. Guillaume Larrivé. Je voterai cet amendement. À mon sens, il ne s’agit pas d’un cavalier, car il n’existe pas de séparation absolument étanche entre terrorisme et délinquance de droit commun, notamment en ce qui concerne la captation des données informatiques.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Le patron de Tracfin pourrait nous expliquer comment ce type de mesure peut être utile pour combattre les flux financiers illégaux.

La Commission adopte l’amendement.

Article 12 (art. 323-4-1 [nouveau] du code pénal ; art. 706-72 du code de procédure pénale) : Circonstance aggravante de bande organisée pour les infractions relatives aux atteintes aux systèmes de traitement automatisé de données – Extension à la poursuite, à l’instruction et au jugement de ces infractions aggravées commises au préjudice de l’État du régime de la criminalité organisée

La Commission est saisie de l’amendement CL15 du rapporteur.

M. le rapporteur. Il s’agit d’étendre les infractions concernées par la circonstance aggravante de commission en bande organisée prévue dans cet article.

La Commission adopte l’amendement.

Elle adopte ensuite l’amendement de conséquence CL16 du rapporteur.

Puis elle adopte successivement l’amendement de précision CL17, l’amendement rectifiant une erreur matérielle CL18, et l’amendement de précision CL19, tous du rapporteur.

Elle adopte enfin l’article 12 modifié.

Article 13 (art. 706-87-1 [nouveau] du code de procédure pénale) : Généralisation de l’enquête sous pseudonyme à l’ensemble de la criminalité et de la délinquance organisées

La Commission adopte l’amendement de précision CL20 du rapporteur.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CL21 du même auteur.

M. le rapporteur. L’article 13 permet de créer des « cyber-patrouilles » chargées d’enquêter sur les délits de provocation à des actes de terrorisme et d’apologie de ces actes, créés à l’article 4. Dans le cadre de ces « cyberinfiltrations » les enquêteurs seront amenés à échanger et conserver des contenus illicites, pour lesquels ils ne doivent pas être pénalement mis en cause.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Le dernier alinéa de l’article 13 indique qu’à peine de nullité, les actes de ceux que vous appelez « cyberpatrouilleurs » ne peuvent constituer une incitation à commettre des infractions. Au-delà de la nullité de la procédure, j’ose espérer que, si de tels cas se produisaient, les agents en question seraient sanctionnés pénalement ? Des dérives ont eu lieu aux États-Unis, où des agents ont incité à la commission d’actes terroristes.

M. le rapporteur. En tout état de cause, les agents encourent une sanction disciplinaire. L’incitation, qui est totalement interdite, peut également s’apparenter à une forme de complicité. Nous regarderons d’ici à la séance ce qu’il en est précisément.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 13 modifié.

Article 14 (art. 706-102-1 du code de procédure pénale) : Captation de données informatiques reçues ou émises par des périphériques audiovisuels

La Commission adopte l’amendement de clarification CL22 du rapporteur.

Puis elle adopte l’article 14 modifié.

Article 15 (art. L. 242 6 du code de la sécurité intérieure) : Allongement de dix à trente jours du délai de conservation des enregistrements des interceptions de sécurité

La Commission adopte l’article 15 sans modification.

Article additionnel après l’article 15 (art. L. 244-2 du code de la sécurité intérieure) : Moyens juridiques de l’administration pénitentiaire pour lutter contre l’usage des téléphones clandestins en prison

La Commission examine l’amendement CL38 du rapporteur et du président Jean-Jacques Urvoas.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Cet amendement s’inscrit dans le prolongement du rapport d’information que nous avons présenté en mai 2013 avec M. Patrick Verchère en conclusion des travaux d’une mission d’information sur l’évaluation du cadre juridique applicable aux services de renseignement, et aussi du rapport, remis à la même époque, de la commission d’enquête sur le fonctionnement des services de renseignement français dans le suivi et la surveillance des mouvements radicaux armés que présidait M. Christophe Cavard.

Nous avions constaté que le bureau du renseignement pénitentiaire appelé EMS3 disposait de très peu de moyens juridiques. L’amendement vise à donner à l’administration pénitentiaire des outils légaux pour lutter contre l’usage des téléphones clandestins en prison.

La Commission adopte l’amendement.

Chapitre V
Dispositions relatives à l’outre-mer

Article 16 : Habilitation du Gouvernement à prendre par ordonnance des mesures pour l’application de la loi outre-mer

La Commission adopte l’amendement de précision CL37 du rapporteur.

Puis elle adopte l’article 16 modifié.

Article 17 : Application de l’article 2 de la présente loi à Saint-Martin et Saint-Barthélemy

La Commission adopte l’article 17 sans modification.

Article 18 : Application de la loi outre-mer

La Commission adopte l’article 18 sans modification.

Puis elle adopte l’ensemble du projet de loi modifié.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Mes chers collègues, ce projet de loi devrait être inscrit à l’ordre du jour de la prochaine session extraordinaire, les 16 et 17 septembre.

D’ici à cette date, nous vous ferons parvenir un bilan des travaux de notre Commission. Je signale que la commission des Lois a examiné à elle seule 40 % des textes soumis à notre assemblée, chiffre qui ne diminue pas année après année. Depuis juin 2012 nous avons examiné 6 500 amendements dont 38 % ont été adoptés, ce qui montre notre capacité à enrichir les textes. Nous avons tenu cent quatre-vingt-cinq réunions et nous avons passé ensemble deux cent soixante-six heures. Nous allons interrompre nos travaux jusqu’à la session extraordinaire de septembre. Nous nous retrouverons cependant dans l’hémicycle demain soir pour la lecture des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes. Une fois de plus, le dernier texte de la session concernera la commission des Lois.

La séance est levée à 18 heures 30.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Christian Assaf, Mme Marie-Françoise Bechtel, M. Erwann Binet, Mme Marie-Anne Chapdelaine, M. Carlos Da Silva, M. Olivier Dussopt, M. Georges Fenech, M. Guy Geoffroy, M. Philippe Houillon, Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, M. Guillaume Larrivé, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, Mme Anne-Yvonne Le Dain, M. Bernard Lesterlin, Mme Sandrine Mazetier, M. Sébastien Pietrasanta, Mme Elisabeth Pochon, M. Pascal Popelin, Mme Maina Sage, M. Alain Tourret, Mme Cécile Untermaier, M. Jean-Jacques Urvoas, M. Daniel Vaillant, M. François Vannson, M. Patrice Verchère

Excusés. - M. Sergio Coronado, M. Marc-Philippe Daubresse, M. Jean-Pierre Decool, Mme Françoise Descamps-Crosnier, M. Marc Dolez, Mme Laurence Dumont, M. Guillaume Garot, M. Daniel Gibbes, M. Yves Goasdoué, M. Alfred Marie-Jeanne, M. Bernard Roman

Assistaient également à la réunion. - Mme Marianne Dubois, M. Claude Goasguen, M. Christophe Guilloteau, M. Christian Kert, Mme Laure de La Raudière, M. Christophe Léonard, M. Alain Marsaud, M. Jacques Myard, M. Eduardo Rihan Cypel