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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mardi 21 février 2017

Séance de 17 heures 15

Compte rendu n° 54

Présidence de M. Dominique Raimbourg, Président

– Audition de M. Jacques Toubon, Défenseur des droits.

La réunion débute à 17 heures 15.

Présidence de M. Dominique Raimbourg, président.

La Commission procède à l’audition de M. Jacques Toubon, Défenseur des droits.

M. le président Dominique Raimbourg. Monsieur le Défenseur des droits, nous sommes heureux que vous veniez aujourd’hui nous présenter les grandes lignes de votre rapport annuel d’activité pour 2016 : nous en disposons « en avant-première » puisqu’il sera formellement présenté après-demain, jeudi 23 février.

M. Jacques Toubon, Défenseur des droits. Merci, monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, d’être venus nombreux malgré les tâches qui vous accaparent en cette fin de législature, et en ces débuts de campagne électorale.

Je publierai en effet ce rapport dans la journée du jeudi 23 février. Il m’est néanmoins apparu nécessaire de venir vous rendre compte de notre activité avant la suspension des travaux parlementaires. Je ferai de même demain devant la commission des Lois du Sénat.

En préambule, je voudrais dresser un bref bilan de l’activité du Défenseur des droits, créé par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 et la loi organique du 29 mars 2011. Le premier Défenseur, Dominique Baudis, a pris ses fonctions au mois de juin 2011. Des controverses considérables ont accompagné la naissance de cette institution, et des doutes ont été émis sur sa capacité à conserver la liberté nécessaire à l’exercice de ses missions. Je rappelle ici que le Défenseur des droits – première institution créée par la Constitution depuis 1958 – réunissait quatre autorités, toutes jalouses de leur indépendance et de leur histoire : le Médiateur de la République, créé en 1973 ; le Défenseur des enfants et la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE), deux institutions résultant d’engagements internationaux ; la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS), née à la fin des années 1990.

Depuis, je crois que le Défenseur des droits est arrivé à maturité. Nous avons, me semble-t-il, réussi à combiner une culture de la négociation et de la médiation issue de l’expérience du Défenseur des droits avec une autre, venue d’institutions comme la HALDE, et que l’on pourrait nommer « pédagogie de la sanction ».

Nous disposons maintenant d’un accueil unifié, grâce à nos 452 délégués, présents sur tout le territoire et qui traitent toutes les affaires, y compris parfois, depuis l’année dernière, des questions de déontologie de la sécurité. Ils ont également suivi l’application des mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence.

Nous effectuons beaucoup de traitements intersectionnels, car nous avons la capacité de traiter certaines situations, par exemple, au titre à la fois du droit des enfants, du droit des étrangers et des discriminations. Nos analyses juridiques traduisent donc toute la complexité des situations personnelles ou collectives.

Dans le paysage institutionnel, le Défenseur des droits est maintenant reconnu. La deuxième Convention des délégués du Défenseur des droits, qui s’est tenue au mois de novembre dernier, nous a permis d’entendre le garde des Sceaux M. Jean-Jacques Urvoas, Mme Agnès Le Brun, vice-présidente du bureau de l’Association des maires de France (AMF), ou encore M. Jean-Yves Le Bouillonnec, vice-président de votre commission, nous dire qu’à leur sens le Défenseur des droits remplissait son office.

Nous avons pris notre place, notamment face au pouvoir exécutif. Bien sûr, il y a parfois des frottements : administrations et ministres n’approuvent pas toujours nos rapports, nos décisions, nos recommandations – c’est le moins que l’on puisse dire. Mais le Défenseur des droits a été conçu comme un contre-pouvoir, et c’est ce qu’il est.

Au-delà des polémiques, toutefois, nous travaillons main dans la main avec l’administration et les services sociaux sur de nombreux sujets – retraite, santé, éducation, sécurité routière… Nous participons activement au grand chantier de la simplification.

Allions-nous réussir à travailler avec l’autorité judiciaire ? C’était aussi une question qui se posait. Aujourd’hui, nous avons trouvé un terrain d’entente. Le premier président de la Cour de cassation et le vice-président du Conseil d’État ont salué nos contributions. Comme nous le permet la loi organique, j’ai présenté l’année dernière, à cent dix-neuf reprises, des observations devant des juridictions judiciaires ou administratives, allant des tribunaux des affaires de sécurité sociale (TASS) jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Celle-ci nous a d’ailleurs autorisés, depuis quelques années, à déposer des tierces interventions. Nous suivons également – c’est une tâche loin d’être négligeable – la mise en œuvre des décisions prises par la Cour, avec le Comité des ministres du Conseil de l’Europe, naturellement.

L’intensité des relations du Défenseur avec le législateur est grande, et c’est sans doute, compte tenu des débats que je rappelais, notre succès le plus inattendu. La Constitution place le Défenseur des droits parmi ceux dont la nomination par le Président de la République doit être confirmée par les commissions compétentes des deux assemblées. Mais la loi organique ne dit rien d’autre de nos relations avec le Parlement. Je m’honore donc d’avoir construit des relations de travail suivies avec votre commission comme avec la commission des Lois du Sénat, mais aussi avec d’autres commissions, dont celles des Affaires sociales.

L’année dernière, nous avons par exemple collaboré pour procéder au contrôle de l’état d’urgence, confié au Parlement ; de manière plus courante, j’ai à vingt-sept reprises, toujours l’an dernier, présenté des avis devant le Parlement, sur des textes de toutes natures. En cette fin de législature, nous pouvons nous féliciter de cette relation ferme et stable, dont j’espère qu’elle se nouera à nouveau au cours de la prochaine législature. Ce n’était pas le cas au départ, mais elle paraît maintenant toute naturelle : nous sommes tous, exactement de la même façon, au service de nos concitoyens. Le courrier que je reçois est semblable au vôtre. Votre point de vue est naturellement à la fois juridique, économique et politique, tandis que je me cantonne bien sûr à l’analyse juridique : mon travail est de rendre effectifs les droits proclamés. Mais nous poursuivons les mêmes buts et nous faisons face à la même demande sociale.

Sur le plan international, nous avons aussi pris notre place. En particulier, en tant que Défenseur des enfants, le Défenseur des droits est chargé du suivi de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) auprès du Comité des droits de l’enfant de l’Organisation des Nations unies (ONU). Nous suivons également l’application de la Convention internationale des droits des personnes handicapées (CIDPH), sur laquelle nous avons tenu un colloque au mois de décembre dernier, à l’occasion de son dixième anniversaire. Cette convention a connu un succès moindre que d’autres ; mais j’espère que ce colloque aura des suites, car vous savez combien, sur ce sujet, la culture et les institutions françaises sont encore loin d’être à la hauteur de l’enjeu.

Je suis aujourd’hui accompagné de mes adjoints : Mme Claudine Angeli-Troccaz, vice-présidente du collège chargé de la déontologie dans le domaine de la sécurité ; Mme Geneviève Avenard, Défenseure des enfants, vice-présidente du collège chargé de la défense et de la promotion des droits de l’enfant ; M. Bernard Dreyfus, délégué général à la médiation avec les services publics ; M. Patrick Gohet, adjoint du Défenseur des droits en charge de la lutte contre les discriminations et de la promotion de l’égalité.

Voilà, monsieur le président, comment nous essayons de faire appliquer les lois que vous avez débattues et votées. Le Défenseur des droits est maintenant bien installé dans notre paysage institutionnel. On aurait pu discuter de la pertinence de cette idée, mais le Parlement et le Gouvernement ont choisi de nous donner une cinquième compétence, par la loi organique du 9 décembre 2016 : celle de protéger les lanceurs d’alerte.

Je dirai maintenant quelques mots de notre activité en 2016, qui est retracée de façon exhaustive dans le rapport. Nous avons traité 86 596 réclamations, mais aussi de très nombreux appels à nos plateformes téléphoniques, plus de 44 000.

Ce dernier point est important. Nous constatons en effet que l’une des difficultés rencontrées par nos concitoyens pour avoir accès au droit est la réduction des capacités d’accueil et d’information de tous les services publics – qu’ils relèvent de l’État, des collectivités locales ou des services sociaux. Nous voyons se dégrader le tissu conjonctif qui sert à faire entrer dans les mécaniques administratives les personnes les plus démunies ou les plus vulnérables. Pour des raisons de resserrement des marges budgétaires, et de réduction des effectifs, la projection des services publics vers les usagers a tendance à se réduire. De plus en plus, c’est un lien numérique qui est établi ; mais 20 % à 25 % des usagers ne l’utilisent pas, ou très mal. Cela constitue un véritable obstacle à l’accès au droit.

En outre, la complexité de nos règles est croissante. L’administration est de plus en plus labyrinthique, et le Défenseur des droits et ses délégués sont bien souvent le seul fil d’Ariane que nos concitoyens ont à leur disposition pour se diriger dans ce labyrinthe.

Nous avons essayé d’appréhender la question de l’accès au droit de manière objective. Pour cela, nous avons réalisé une enquête auprès de 5 000 personnes représentatives de la population française, afin d’essayer de comprendre comment elles appréciaient leurs droits et comment elles y avaient recours.

Au cours des cinq dernières années, 50 % des personnes interrogées ont déclaré avoir eu des difficultés à résoudre un problème avec une administration ou un service public. La majorité d’entre elles ont persisté dans leurs démarches ; mais 12 % ont abandonné, et renoncé à faire valoir leurs droits.

Nous savons également qu’en matière de discriminations, il y a moins de situations ressenties que de situations réelles de discrimination : beaucoup de gens ont intégré l’inégalité de traitement qu’ils subissent, et finissent par la considérer comme normale, voire naturelle. À quoi bon, se disent-ils, combattre cette domination ? Le nombre de recours en matière de discrimination est sans proportion avec la réalité des discriminations. M. Geoffroy et Mme Crozon ont traité le sujet très délicat que constitue le harcèlement, dans un rapport d’information sur l’application de la loi du 6 août 2012 : vous savez bien que, de la même façon, le nombre de saisines n’a rien à voir avec la réalité du harcèlement !

La question de l’accès au droit, et du non-recours au droit, est grave. Nous avons publié une première partie de cette étude, qui étudie les rapports entre la police et la population, et pose notamment la question des contrôles d’identité, il y a un mois ; malheureusement, ce que dit l’étude s’est vérifié quinze jours plus tard avec le drame de ce jeune homme prénommé Théo, à Aulnay-sous-Bois. J’aurais préféré que tel ne fût pas le cas ! Nous allons publier maintenant la partie consacrée aux services publics, puis celle consacrée aux discriminations, et enfin celle consacrée aux droits des enfants.

J’appelle particulièrement votre attention sur les lacunes de l’accès au droit : si nos concitoyens n’ont pas le sentiment que le droit leur donne une chance d’égalité – je ne parle même pas d’égalité des chances – lorsqu’ils font appel au Défenseur des droits, mais aussi au député, au maire, au sénateur, au juge, alors le lien social risque de se déliter. Si certains renoncent, persuadés qu’il y aura toujours deux poids et deux mesures, que tout est toujours pour les riches et qu’ils n’ont rien à attendre de nos institutions, alors le lien social se dissout, phénomène très redoutable – que l’on peut déjà observer dans certains quartiers. C’est pourquoi j’ai dit, il y a dix jours, que le drame de Théo n’était pas un fait divers mais un fait de société.

Le Défenseur doit aussi alerter. Je l’ai fait abondamment l’année dernière, à propos de l’état d’urgence, mais aussi, plus généralement, de l’équilibre – que je crois menacé – entre les exigences légitimes de la sécurité et le respect des libertés publiques et individuelles. Cela s’est notamment traduit dans les avis que j’ai rendus au Parlement.

Je me souviens par exemple des débats sur l’article 18, relatif à la fameuse rétention administrative de quatre heures, qui figurait dans le projet de loi devenu par la suite la loi du 3 juin 2016. J’ai constaté que l’argumentation du Défenseur des droits était au cœur des discussions qui se sont déroulées dans l’hémicycle.

De la même façon, lorsque vous avez débattu au mois de janvier du projet de loi relatif à la sécurité publique, qui porte en particulier sur l’usage des armes à feu et la légitime défense, les débats parlementaires ont largement fait usage de l’argumentation du Défenseur. C’est à mon sens mon rôle : celui d’alerter, mais aussi d’apporter une expertise ; celui d’être en quelque sorte un amicus curiæ.

Bien entendu, en la circonstance, et en raison de l’état de l’opinion publique depuis que le terrorisme nous a frappés, nous sommes du côté de la minorité, ici comme ailleurs. Mais nous n’abandonnons pas pour autant la bataille !

Nous avons fait ce même travail d’alerte à propos des étrangers et des migrants. Nous avons ainsi montré, dans un rapport intitulé « Les droits fondamentaux des étrangers en France » publié le 9 mai dernier, que, très souvent, un étranger malade, ou qui demande un logement, un emploi, une éducation, est d’abord traité comme un étranger avant de l’être comme un demandeur de logement, d’emploi ou d’éducation. Cela enfonce un coin grave dans l’universalité des droits sociaux reconnus à tous sur le territoire de la République, et nous nous en inquiétons.

Mme Geneviève Avenard, Défenseure des enfants, a beaucoup travaillé tout au long de cette année sur la situation des mineurs isolés étrangers, à Calais notamment mais pas seulement. Nous avons inspecté les centres d’accueil et d’orientation (CAO) et les CAOMI, c’est-à-dire les nouveaux CAO destinés aux mineurs. Nous avons eu raison de dire ce que nous avons dit sur la façon dont s’est passé le démantèlement de Calais, et sur ses suites. Car aujourd’hui, que voit-on ? Le Président de la République implore la Première ministre britannique de bien vouloir accepter 3 000 enfants au titre de l’article 8 du règlement « Dublin III » – et naturellement, le Gouvernement britannique ne les prendra pas ! Nous sommes dans une impasse – ce que nous avions prévu. Nous nous tapons la tête contre un mur, en l’occurrence celui qui a été construit dans le Pas-de-Calais pour empêcher la traversée de la Manche et de la mer du Nord.

Je le dis comme je le pense, mais je ne fais que répéter ce qu’ont déjà dit les Nations unies et le Conseil de l’Europe : cette politique que l’on appelle du terme très chic de « maîtrise des flux migratoires » crée plus de problèmes qu’elle n’en résout. Une politique de migration devrait organiser des flux au lieu de créer des murs et des grilles. Je le dis avec un sourire amer : croyez-vous que l’on puisse continuer d’utiliser, pour promouvoir la candidature de Paris aux jeux Olympiques, le slogan Made for Sharing – par ailleurs sans doute contraire à la loi du 4 août 1994 (Sourires) – quand on installe des rochers pour empêcher des personnes de dormir sous les ponts dans le 19e arrondissement ? Est-ce cela, le sharing ?

Nous avons joué également notre rôle de mise en garde et de promotion des droits. Notre rapport sur les droits des enfants, paru le 20 novembre 2016, a été consacré cette année au droit à l’éducation et aux obstacles que sa mise en œuvre rencontre. Parmi ces derniers, il y en a un que le Parlement a identifié depuis longtemps : la pauvreté. Il faut également citer les ruptures de vie et les discriminations de toutes sortes ; nous devons souvent traiter la situation d’enfants roms qui vivent dans des bidonvilles et que beaucoup de maires refusent d’inscrire à l’école lorsqu’ils atteignent l’âge de six ans.

Nous avons par ailleurs traité d’un enjeu immense, de ceux qui pourraient faire partie du débat d’une campagne électorale à la hauteur des enjeux : la protection juridique des majeurs. Il y aurait aujourd’hui dans notre pays 800 000 majeurs protégés déclarés, et encore ce nombre est-il en réalité sans doute proche de 1,5 million... La commission des Finances de l’Assemblée nationale a demandé un rapport sur ce sujet à la Cour des comptes ; nous avons travaillé parallèlement et présenté ensemble nos travaux à la commission. À l’évidence, la loi du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs, qui était plutôt bonne, est très insuffisamment appliquée ; on recourt trop souvent aux décisions du juge, c’est-à-dire à l’absence de décision, puisque les juges ne peuvent rien décider. Il faudrait utiliser les dispositions prévues en 2007, notamment la médiation familiale. Au vu de notre démographie, nous devrions nous préoccuper de ces problèmes.

Nous avons encore publié le 14 novembre dernier l’un des premiers rapports consacrés à l’emploi des femmes handicapées, montrant combien être femme et handicapée est une double occasion de discrimination dans l’emploi.

Nous travaillons aussi sur des sujets plus triviaux, comme les amendes routières ; certaines de nos propositions ont d’ailleurs été retenues.

J’ai évoqué tout à l’heure notre rôle international, nos relations avec le Comité des droits de l’enfant et avec la CEDH, ainsi que notre tâche de suivi de la CIDPH. Nous travaillons également avec le Comité européen des droits sociaux, organisme du Conseil de l’Europe beaucoup trop mal connu.

Les quatre cinquièmes sans doute de notre activité sont constitués de médiations, en particulier menées par nos délégués, et donc de règlements amiables. Nous sommes à vos côtés, aux côtés des maires, pour aider nos concitoyens. Nous émettons également des recommandations individuelles, notamment dans le domaine des discriminations, où nous arrivons à obtenir par exemple de certains patrons qu’ils réparent les dommages commis vis-à-vis de leurs employés. Nous transmettons parfois des avis à la justice, l’un des cas les plus spectaculaires étant notre succès devant la cour d’appel de Paris, puis devant la Cour de cassation, à propos de la responsabilité de l’État en cas de contrôle d’identité subjectif, que l’on appelle « au faciès ». Nous avons montré que ces contrôles étaient discriminatoires, et relevaient aussi d’un mauvais fonctionnement de la justice ; dès lors, la responsabilité de l’État était engagée. Dans trois cas, vous le savez, la Cour de cassation a validé la décision de la cour d’appel de Paris et confirmé le versement d’une indemnisation à des personnes contrôlées de manière discriminatoire.

Il y aurait beaucoup d’autres exemples : ainsi, nous avons présenté des observations à la cour d’appel pour soutenir un cadre de la BNP qui avait vu sa carrière ruinée parce qu’il avait fait état de son homosexualité ; il a obtenu 600 000 euros d’indemnités. L’article 33 de la loi organique du 29 mars 2011, qui nous donne la possibilité de présenter des observations en justice, est donc efficace.

Nous émettons également des recommandations générales : nous l’avons fait sur les droits des étrangers et sur la prise en charge des mineurs non accompagnés. Ce dernier sujet est essentiel pour les départements ; nous sommes en particulier en relation avec l’Association des départements de France.

Nous avons enfin participé au travail de réforme que vous avez conduit au cours de cette législature : je pense notamment au recours collectif contre les discriminations, introduit dans la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle ; on pourrait également citer la loi « Égalité et citoyenneté » du 27 janvier 2017.

J’ai le sentiment, sans me flatter, que notre action sert à faire mieux partager la République, qui ne doit pas être réservée seulement à quelques-uns.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Au cours des cinq dernières années, nous avons réalisé de grands progrès dans la lutte contre les discriminations et pour l’accès au droit ; néanmoins, vous le montrez, beaucoup reste à faire, en particulier pour les plus fragiles, pour les personnes en grande précarité sociale, pour les mineurs étrangers isolés. Comment mieux aider celles et ceux qui les défendent, notamment les associations ? Comment établir un rapport de force plus constructif avec les autorités ? Le Défenseur des droits pourrait devenir une sorte de garant, de protecteur des lanceurs d’alerte en faveur des plus fragiles.

Vous avez évoqué les rapports des jeunes et de la police. Au-delà du drame récent que nous avons tous à l’esprit, quelles mesures pourraient, à court et à moyen terme, faciliter une meilleure entente entre les jeunes, et plus largement la population, et les forces de police ?

Vous exprimez des réserves sur la mise en œuvre des caméras-piétons, préférées au récépissé par le ministère de l’intérieur. Pouvez-vous développer votre argumentation ? Le fait que la caméra permettra de constater ce qui se passe ne vous semble-t-il pas suffisant ?

S’agissant des mineurs isolés, certains départements utilisent les tests osseux pour déterminer si une personne est mineure ou majeure. Pouvez-vous nous rappeler votre position sur ce point ? J’ai rencontré beaucoup de ces jeunes, et j’ai pu constater que, même accueillis dans le meilleur des centres, ils gardent pour seul objectif de se rendre à Calais. Que faire ?

M. Jacques Toubon. Madame Chapdelaine, pardonnez-moi de vous interrompre : il faut lever la herse ! Si nous continuons à construire une Europe-forteresse, nous sommes foutus – car nous insultons un siècle d’histoire, nous insultons tous nos ancêtres, et surtout, comme l’aurait dit le général de Gaulle, nous insultons l’avenir !

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Enfin, nous sommes souvent interpellés par des associations qui se consacrent à l’enfance maltraitée et qui regrettent notamment le temps qui s’écoule entre un signalement et le placement de l’enfant. Parfois, néanmoins, un délai est nécessaire pour vérifier la réalité du danger couru. Avez-vous des préconisations sur ce point ?

M. Lionel Tardy. Vous l’avez dit, la loi organique du 9 décembre 2016 vous donne compétence pour l’orientation et la protection des lanceurs d’alerte. Même si vous n’aurez pas à assumer le versement d’une aide financière aux lanceurs d’alerte, cette disposition ayant été censurée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2016-740 DC du 8 décembre 2016, cela étend notablement vos missions. Or j’ai observé dans le budget initial pour 2017 une baisse des crédits affectés au Défenseur des droits par rapport à 2016. Sauf erreur de ma part, cette baisse représente 7,5 millions d’euros en crédits de paiement et 3,8 millions en autorisations d’engagement. Vous n’êtes pas la seule autorité administrative indépendante dans ce cas, nous en parlons régulièrement. Avez-vous réellement les moyens d’exercer ces missions ?

Mme Colette Capdevielle. Merci, monsieur le Défenseur des droits, d’avoir fait ce travail et d’en donner la primeur à la commission des Lois.

Certains candidats à l’élection présidentielle proposent d’abaisser la majorité pénale à seize ans, c’est-à-dire d’appliquer dès cet âge le droit des majeurs, contrairement à l’ordonnance de 1945. Que pense le Défenseur des droits de cette proposition qui concerne les mineurs et leur protection ?

Par ailleurs, depuis l’introduction de la nouvelle procédure de divorce, les époux désireux de divorcer peuvent, quand leur rupture n’est pas contentieuse, passer par un acte d’avocat, sans se présenter devant le juge. Mais les parents peuvent demander à leur enfant mineur s’il souhaite être entendu par celui-ci. La mise en œuvre de cette disposition est toutefois laissée à la discrétion des parents et l’on ignore si elle concerne nécessairement les deux parents ou peut dépendre de l’un d’eux seulement. Les parents doivent en tout cas produire une attestation aux termes de laquelle l’enfant, ayant été informé, ne souhaite pas être entendu. Selon vous, cette procédure est-elle suffisamment protectrice des droits des mineurs ? Les enfants ne seraient-ils pas mieux protégés s’ils étaient eux-mêmes représentés ? Qu’en est-il des très jeunes enfants qui ne savent pas encore écrire et ne peuvent pas clairement exprimer leur souhait éventuel d’être interrogés par un juge ?

Enfin, avez-vous été saisi du problème du rapprochement familial des détenus, qu’il s’agisse de personnes qui en sont très éloignées géographiquement, de détenus malades ou de détenus âgés ? Élue du Pays basque, j’entends très souvent cette question.

M. Jacques Toubon. Pour vous répondre sans attendre : non, et si c’était le cas, cela concernerait plutôt la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté.

Mme Colette Capdevielle. J’allais justement vous demander si vous étiez en contact avec Mme Adeline Hazan concernant ces sujets qui relèvent en effet bien plus de sa compétence. Je l’ai déjà interrogée à ce propos.

M. Jacques Toubon. Pour répondre à l’ensemble des intervenants, je commencerai – une fois n’est pas coutume – par l’intendance, c’est-à-dire par la question de M. Tardy.

Je peux vous rassurer. Ces fortes baisses de crédits résultent de la solution apportée depuis septembre dernier – et qui concerne 2017 en année pleine – à l’un des problèmes redoutables qui se posait au Défenseur des droits lorsqu’il s’est installé en 2011 : son double site et le caractère inadapté de ses locaux. Une opération a été lancée par les services du Premier ministre afin de rénover les deux bâtiments du périmètre « Fontenoy-Ségur », dans le 7e arrondissement de Paris, entre l’École militaire et l’UNESCO. C’est là que vont s’installer une trentaine d’organismes, petits ou grands, que l’on peut appeler de manière générique autorités administratives indépendantes et qui dépendent des services du Premier ministre. Les deux premiers à investir le bâtiment Fontenoy ont été, aux trois étages inférieurs, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) et, aux quatre étages supérieurs, le Défenseur des droits. Au-delà de sa dimension immobilière, il s’agit d’une opération de mutualisation : beaucoup de fonctions support auparavant exercées directement par nous, ce qui mobilisait des effectifs et des crédits, sont maintenant mises en œuvre de manière mutualisée, et le seront de plus en plus, par les services du Premier ministre. D’où la baisse de crédits, notre budget d’intervention restant stable. Les baisses sont donc, pour une fois, plutôt bon signe : malgré tout, les pouvoirs publics et l’administration de notre pays avancent !

Vous avez en revanche souligné, très justement, que trois missions supplémentaires nous sont dévolues.

Le Parlement est pour beaucoup dans la première, puisqu’il a créé, au fil des lois votées cette année, quatre critères de discrimination supplémentaires – et je n’étais pas favorable à tous ! – dont le dernier en date est la domiciliation bancaire pour les personnes originaires d’outre-mer, introduit dans la loi relative à l’égalité réelle outre-mer.

La deuxième mission est l’orientation et la protection des lanceurs d’alerte, dont vous avez parlé.

Troisièmement, nous allons commencer, au titre de la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, l’expérimentation d’une médiation préalable au contentieux administratif en matière sociale.

À cela s’ajoute une augmentation de 10 % des réclamations : indépendamment de ces nouvelles missions, des dossiers s’ajoutent à la pile de ceux dont nous sommes saisis.

Nous l’avons dit très clairement au ministre de l’Économie M. Michel Sapin : nous espérons qu’au cours de l’année des moyens adéquats seront mis à la disposition du Défenseur pour que celui-ci puisse accomplir toutes ses missions.

Mme Chapdelaine, en spécialiste des questions de discrimination, m’a posé les bonnes questions ; je vais essayer de lui apporter les bonnes réponses.

En ce qui concerne les associations, leur démarche est très souvent accompagnée par le Défenseur des droits, qu’elles s’occupent des droits des étrangers, de ceux des malades, des droits des élèves au sein des établissements d’enseignement, de certaines populations discriminées, des femmes victimes de violences, etc. Notre travail est donc étroitement lié non seulement aux réclamations individuelles, mais aussi à celles que nous transmettent les associations.

Parmi les quatre nouveaux critères de discrimination que vous avez votés figure la « particulière vulnérabilité résultant de la situation économique ». Nous avons dit et nous continuons de dire que, du point de vue juridique, nous ne nous sommes pas tout à fait sûrs de la portée de ce critère. En revanche, nous pensons que cette approche permet de poser plus activement encore la question de l’égalité devant les services publics, à distinguer de la discrimination proprement dite. Et, comme je l’ai dit devant le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE) et son président M. Étienne Pinte, ainsi qu’à ATD Quart Monde et à la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (FNARS), nous pensons pouvoir travailler avec les associations pour tenter de déceler des situations où certaines catégories de population vulnérables sont véritablement victimes de cette inégalité d’accès aux services publics. D’une certaine manière, nous l’avons déjà fait en 2015 – vous le savez, la presse en a alors parlé – en décrivant l’inégalité dont souffraient incontestablement les élèves de deux collèges de Saint-Denis, notamment à cause du non-remplacement de leurs professeurs. D’ailleurs, à la rentrée suivante, la ministre Mme Vallaud-Belkacem s’est efforcée de remettre ces établissements à flot.

En ce qui concerne la police, nous pourrions en parler très longtemps, d’autant qu’il s’agit d’un sujet d’actualité et, comme je l’ai dit, d’un fait de société. Je m’en tiendrai à ce qui me semble être fondamental.

Quand on dit que la police est composée en grande partie de « gardiens de la paix », ce n’est pas un vain mot : cela signifie qu’elle a été instituée, qu’elle a reçu des pouvoirs et des armes qui lui confèrent une violence légitime pour faire appliquer la loi, pour faire respecter le contrat social et pour que la paix règne entre tous ceux qui vivent sur le territoire. L’objectif visé doit donc être le suivant : que les rapports entre la police et la population contribuent à la cohésion et à la paix sociale, au lieu de faire naître dans une société qui en souffre déjà énormément des conflits, voire quelquefois des tragédies comme celle que l’on a vue il y a trois semaines à Aulnay-sous-Bois. Dans cette perspective, notre mission consiste à faire respecter la déontologie de la sécurité, c’est-à-dire les règles régissant le comportement professionnel des policiers, des gendarmes, des gardiens de prison, des policiers municipaux, etc. Deux principes s’imposent : la nécessité de l’intervention et sa proportionnalité.

Plus généralement, saisi de ces cas, et ayant été amené à réfléchir sur d’autres sujets, dont les armes de force intermédiaire, j’estime qu’il faut non pas une police de proximité, car ce terme introduit un biais, mais une police présente en permanence, qui se sente comme un poisson dans l’eau là où elle intervient, au lieu de se porter vers tel ou tel endroit quand c’est nécessaire – et, parfois, quand cela ne l’est pas… Cela suppose – je me mêle ici de ce qui ne me regarde pas – davantage d’effectifs et de moyens.

Quant aux contrôles d’identité à proprement parler, il faut que nous puissions savoir combien il y en a, quand ils ont lieu, pour quel motif, à l’encontre de qui : c’est le minimum républicain ! L’attestation nominative enregistrée est l’une des hypothèses que mon prédécesseur, Dominique Baudis, inscrivait dans son rapport dès octobre 2012. Le récépissé, disait-il en substance, n’est pas la panacée, mais nous constatons que, dans tous les pays où une traçabilité a été instituée, le nombre de contrôles a diminué, notamment celui des contrôles effectués de manière discrétionnaire et arbitraire. Or tel est bien le but auquel nous voulons parvenir pour obtenir la paix sociale. Ce dispositif est donc ce vers quoi il faut aller.

Les caméras-piétons représentent une tentative en ce sens, mais quand les 2 600 dispositifs dont le ministre de l’Intérieur M. Bruno Le Roux a parlé vont-ils être installés, et où ? Qui les déclenchera ? Pendant combien de temps la caméra fonctionne-t-elle ? Quand commence-t-elle à filmer, quand s’arrête-t-elle ? Surtout, que fait-on de la vidéo ? Combien de temps la conserve-t-on ? À la disposition de qui est-elle mise ? Si l’on veut préserver la possibilité d’un recours, donc respecter le contradictoire, elle doit être disponible pour tous : pour le plaignant comme pour l’administration et le policier. La même question s’est posée à propos des enregistrements vidéo des établissements pénitentiaires, que l’administration pénitentiaire déclare pour le moment vouloir réserver à son usage et à celui des syndicats, à l’exclusion des détenus. Nous estimons pour notre part, en vertu du principe du contradictoire, que tous devraient disposer des mêmes éléments. La question est donc posée, mais il est clair qu’il y a là une avancée.

Enfin, même si ce n’est peut-être pas possible dans la situation politique actuelle, il faut sortir de l’espèce de mithridatisation qui frappe les hommes politiques de tous bords et les conduit, sur ce sujet, à s’envoyer des invectives, à présenter des solutions à l’emporte-pièce ou à refuser les solutions à l’emporte-pièce des autres. Pourquoi ne pas organiser – la formule n’est pas si mauvaise – une conférence de consensus, un lit de justice au sens propre de ce dernier terme, où seraient représentés l’ensemble des forces de l’ordre – administrations et syndicats –, les élus locaux qui, souvent, portent toute la responsabilité sans avoir les moyens de l’exercer, les associations, des sociologues, des anthropologues, des juristes, au lieu que chacun reste dans son coin, comme paralysé par les enjeux en présence ?

C’est très difficile ; mais le gardien de la paix, comme son nom le suggère, est impérativement requis pour l’application de la loi – son enforcement, le mot anglais dit bien la force que cela requiert –, laquelle doit cependant respecter les principes, en particulier les droits élémentaires, dont le droit à l’intégrité physique.

J’en viens à Calais. J’ai parlé des conséquences de la situation. Nous n’en serions pas là si, par le traité du Touquet, nous ne nous étions pas absurdement entendus avec les Anglais pour empêcher les citoyens européens et les citoyens du monde de sortir de Schengen – car le problème n’est pas ici d’y entrer, mais d’en sortir – en dressant un mur à Calais ! Dans mon rapport du 6 octobre 2015 – rédigé, avant même les grandes difficultés qui ont conduit au démantèlement, sur le fondement d’une double mission d’observation de mes services tout au long de l’été –, j’ai dit non pas ce que je croyais, mais ce que j’avais vu. Cela a été contesté par le ministre de l’Intérieur. Pourtant, c’est ce qui s’est passé ! Et quand on a démantelé Calais un an plus tard, en octobre 2016, nous avons réussi, grâce notamment à l’action de notre Défenseure des enfants, à sauver le CAP – le camp d’accueil provisoire, c’est-à-dire les containers préfabriqués – pour que, pendant quelques jours, les mineurs soient mis à l’abri. Sinon, ils auraient été évacués comme les autres, en autobus, et se seraient retrouvés n’importe où, mêlés aux adultes. Or la France a l’obligation légale, en vertu des conventions internationales, de faire en sorte que les mineurs soient traités comme tels, c’est-à-dire mis à l’abri et hébergés en tant qu’enfants, et non traités comme des étrangers ou des migrants. Je suis désolé de constater que nous avions eu raison. C’est, je le répète, une question de politique générale.

En ce qui concerne la protection de l’enfant, Dominique Baudis avait présenté en juin 2014 le rapport « Marina », du nom de la petite Marina Sabatier, tragiquement tuée à l’âge de huit ans par ses parents malgré un parcours classique au sein des services sociaux de différents départements, qui étaient passés complètement à côté de son cas. À la même époque a été déposée la proposition de loi sénatoriale de Mmes Meunier et Dini, devenue ensuite la loi dite Rossignol, du nom de la ministre, du 14 mars 2016, relative à la protection de l’enfant. Nous avons beaucoup contribué à ce travail.

Au total, on est assez loin du compte. Vous l’avez dit, les délais de saisine et de décision des juges restent trop longs et les services de l’aide sociale à l’enfance (ASE) connaissent encore trop de difficultés, ne serait-ce que faute d’effectifs. Les progrès apportés par la loi du 14 mars 2016, notamment l’institution d’une forme de pilotage national grâce à la création du Conseil national de la protection de l’enfance, n’ont pas résolu les problèmes. C’est un dossier pour la prochaine législature, de même que celui des majeurs incapables.

Nous ne nous en efforçons pas moins de prendre des mesures. Voyez le cas de cet adolescent qui s’est jeté par une fenêtre du foyer où il vivait à Châlons-en-Champagne, il y a trois semaines. Nous sommes saisis de l’affaire à un double titre. D’une part, nous cherchons à savoir ce qui s’est passé et s’il y a eu des erreurs dans sa prise en charge ; d’autre part, nous nous demandons si la déléguée syndicale qui avait signalé la situation du jeune garçon n’a pas été victime de représailles et de discrimination de la part de sa direction.

Madame Capdevielle, le Défenseur des droits, Défenseur des enfants, est clairement d’avis que l’on a intérêt, pour le bien de la société, à traiter les mineurs de manière particulière le plus longtemps possible, c’est-à-dire jusqu’à la majorité actuellement en vigueur : par des sanctions pénales que prévoit l’ordonnance de 1945, d’une part ; par des mesures éducatives qui caractérisent cette ordonnance, d’autre part. Ce point de vue ne résulte pas seulement d’une conviction, fondée sur la mise en œuvre de la Convention internationale des droits de l’enfant, mais aussi de quelque chose que tout le monde sait et qui commence à se dire : le fait d’abaisser la majorité pénale comme cela est proposé ne changerait rien à la sévérité de la répression et des condamnations. Il y a ici suffisamment d’avocats pour en témoigner. Dans l’état actuel des paliers – treize ans, seize ans, dix-huit ans –, les juges appliquent des sanctions très sévères au sein des tribunaux pour enfants comme des tribunaux pour adultes. Le passage du tribunal des mineurs au tribunal correctionnel, qui serait la principale conséquence de l’abaissement de la majorité pénale, ne changerait rien pour ceux des jeunes qui méritent d’être sévèrement sanctionnés par la société parce qu’ils ont commis des crimes. Par ailleurs, le risque de problèmes sera d’autant moindre que l’on renforcera davantage la dimension éducative du traitement des mineurs, en particulier délinquants.

En ce qui concerne la nouvelle procédure de divorce, nous l’avons très clairement désapprouvée. En tout cas, si chacun peut avoir son opinion sur le besoin de faciliter le divorce, de l’accélérer, de le rendre plus ou moins cher, pour notre part, dès lors que, dans 50 % des cas, le couple qui divorce a des enfants, il semblait nécessaire de faire quelque chose au nom des droits des enfants. Vous avez finalement voté l’obligation pour les parents de demander à l’enfant s’il a quelque chose à dire, s’il veut être entendu ; et, s’il le souhaite, un juge l’entend. Mais il suffit de lire l’arrêté fixant le modèle de formulaire d’information des enfants – je me permets de le dire puisque nous l’avons écrit au ministère de la justice – pour comprendre qu’il s’agit d’une illusion de protection dans 99 % des cas. Franchement, imagine-t-on le papa ou la maman, dans une situation pareille, aller dire à son enfant « mon petit », ou « ma petite », « est-ce que tu veux bien remplir ce papier pour dire si tu as envie que l’on te demande quelque chose » ? C’est inconcevable ! Comme saint Thomas, j’attends de voir – de voir comment la loi est mise en œuvre, en particulier par le barreau qui jouera un rôle accru dans cette affaire, avant l’intervention du notaire. Je pense vraiment qu’il existe un risque pour les enfants, tout en espérant qu’il ne se concrétisera pas.

Je vous ai répondu concernant le rapprochement familial des détenus. Nous avons de très bonnes relations avec la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté. La réforme de 2011 lui a conservé une place distincte de celle du Défenseur des droits ; c’est ainsi et j’ai toujours dit qu’il n’y avait pas lieu d’y revenir. Nous allons bientôt faire ensemble un contrôle de la détention à Béziers, où se posent à la fois des problèmes collectifs, qui relèvent d’Adeline Hazan, et des problèmes individuels que nous pouvons traiter.

M. le président Dominique Raimbourg. M. Daniel Goldberg a une ultime question à vous poser.

M. Daniel Goldberg. Merci, monsieur le président, chers collègues, de m’accueillir au sein de la commission des Lois. En effet, en tant que député d’Aulnay-sous-Bois, je ne peux que me sentir concerné par certains de vos propos. Les récents événements posent la question des motifs et des techniques d’interpellation, sur laquelle j’aurais volontiers proposé à l’Assemblée nationale de travailler si nous en avions encore eu le temps en cette fin de législature. Ces situations sont très difficiles pour les policiers, pour les gardiens de la paix – ainsi que vous les avez désignés à juste titre, monsieur le Défenseur des droits –, et très difficiles à supporter de manière répétée pour beaucoup de ceux qui sont contrôlés « sans raison ». Vous reprenez la proposition d’une traçabilité des contrôles, qui ne se traduirait pas nécessairement par un récépissé…

M. Jacques Toubon. Pourquoi ne pas utiliser les petites machines dont se servent les agents de stationnement lors de leurs contrôles ? Ce n’est pas très compliqué ! Je ne comprends pas qu’on en fasse « une montagne ».

M. Daniel Goldberg. C’est sans doute une bonne proposition de compromis, sinon de consensus. J’approuve par ailleurs votre proposition d’une conférence de consensus.

Pour tout vous dire, la veille du 2 février – date de l’interpellation de M. Théodore Luhaka à Aulnay-sous-Bois –, j’avais pris connaissance de l’enquête sur les contrôles d’identité que vous avez publiée en janvier. Elle montre très clairement qui fait l’objet de contrôles : de 16 % de l’ensemble des personnes interrogées, on passe à 80 % des hommes de 18 à 24 ans qui se définissent eux-mêmes comme noirs, arabes ou maghrébins. On est également frappé de voir combien la manière dont le contrôle est ressenti varie selon que l’on fait partie de l’échantillon global ou de ce public spécifique.

M. Jacques Toubon. 82 % disent qu’ils n’ont eu aucun problème ! La difficulté, ce sont les autres.

M. Daniel Goldberg. Puisque nous n’avons plus le temps de travailler sur ces questions et que l’Assemblée nationale ne pourra pas s’y intéresser à nouveau avant plusieurs mois, j’aimerais proposer, sous votre autorité, que nous tentions d’aller plus loin que votre constat sur cet exercice qui mine la République, du moins dans plusieurs quartiers que je connais bien.

Je suis d’accord avec vous à propos des caméras-piétons.

Par ailleurs, lorsque l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) fait son travail – et, dans l’affaire dont je viens de parler, la réponse apportée par le ministère de l’intérieur et par l’autorité judiciaire était aussi bonne qu’elle pouvait l’être –, il convient d’être attentif aux liens établis avec la victime présumée de violences policières ou avec sa famille. Un effort d’explication de la démarche adoptée semble nécessaire. Or la famille du jeune homme en question a été, au départ, très peu informée. Sans doute est-ce l’un des aspects que vous pourriez proposer d’améliorer.

Je souhaite également vous interroger sur les relations entre la police et la population lors des manifestations, dans le cadre des opérations de maintien de l’ordre. Nous les avons observées ces derniers mois, au cours desquels les forces de l’ordre ont travaillé dans des conditions extraordinairement difficiles et déploré des blessés dans leurs rangs. Nous avons probablement des leçons à tirer de l’expérience d’autres pays où les techniques employées sont différentes, et me semblent mettre moins en difficulté les forces de l’ordre.

Intéressé par les questions de logement, je tiens à vous féliciter de la campagne « Louer sans discriminer » que présente votre rapport.

M. Jacques Toubon. Le guide destiné aux agents immobiliers sort ces jours-ci.

M. Daniel Goldberg. La démarche va aider les professionnels comme les locataires. Selon votre rapport, 21 % des saisines relatives à l’accès aux biens et services concernent les discriminations fondées sur l’origine. Sans doute notre pays a-t-il quelques progrès à faire en la matière, dans le domaine du logement comme dans d’autres.

Je veux enfin vous remercier de ce que vous avez dit au sujet des parents d’élèves de Saint-Denis. Nous en avions parlé à propos du critère du lieu de résidence, introduit dans la loi en 2014.

M. Jacques Toubon. J’aimerais revenir sur un point dont je n’ai pas parlé, mais qui est lié à ce que vous venez de dire sur la difficulté des interventions des forces de l’ordre. L’un des enjeux est la formation des agents de sécurité. Nous avons participé l’année dernière, au titre de la déontologie de la sécurité, à la formation de 5 600 gardiens de la paix, dans les dix écoles nationales de la police. Il y a un gros travail à faire, d’autant qu’il est délicat, surtout dans certaines circonstances, de passer de la théorie à la pratique. Je reconnais l’extraordinaire difficulté des rapports humains, souvent asymétriques, qui s’établissent entre un membre des forces de sécurité et un autre individu.

L’accompagnement des familles, comme leur information, est effectivement essentiel. On le voit dans ces situations où une grande solidarité – de quartier, intrafamiliale, au sein de certaines communautés d’origine – est à l’œuvre. Elles doivent être abordées comme les cas de traumatisme grave et ces personnes doivent être considérées comme ayant été, individuellement ou collectivement, traumatisées.

Enfin, vos propos sur le maintien de l’ordre me donnent l’occasion d’une petite mise au point. Il y a quelques jours, le président de cette Assemblée m’a demandé, à la requête de certains de vos collègues, d’étudier l’éventualité d’une rénovation de la doctrine du maintien de l’ordre dans notre pays. Il se trouve qu’il l’a fait au moment où tout le monde ne parlait que du drame de Théo et des contrôles d’identité, ce qui a créé, notamment dans les médias, une certaine confusion, d’ailleurs compréhensible. Je veux donc clarifier les choses.

Il faut distinguer, d’une part, les rapports entre la police et la population lors des interventions et notamment des contrôles d’identité, à propos desquels je viens de vous livrer mon sentiment et mes propositions, et, d’autre part, la question de savoir s’il faut rénover les méthodes de maintien de l’ordre qui sont utilisées en France, une question à laquelle j’ai donné une place centrale depuis mon entrée en fonction. Elle se pose naturellement à la lumière du drame du barrage de Sivens – il en a été question dans le cadre de la commission d'enquête « sur les missions et modalités du maintien de l'ordre républicain dans un contexte de respect des libertés publiques et du droit de manifestation », présidée par M. Noël Mamère et dont M. Pascal Popelin était le rapporteur –, des quatre ou cinq mois de manifestations contre la loi « Travail » et des troubles survenus autour du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, notamment. À propos de tous ces sujets, peut-être devrions-nous réfléchir ensemble à un aggiornamento. Ainsi, faut-il conserver la doctrine française, qui promeut depuis 1947 la mise à distance et a par exemple conduit à l’utilisation des armes de force intermédiaire, ou bien l’adapter ?

Nous avons essayé d’y réfléchir en nous inspirant d’exemples étrangers, monsieur Goldberg. À Londres où je me suis déjà rendu, à Berlin où je vais la semaine prochaine, à Madrid où j’irai ensuite, nous comptons étudier avec nos homologues comment les forces de l’ordre respectent les règles de déontologie dans leur comportement quotidien. Certains pays ont intégré les déontologues aux forces de police. Et, dans beaucoup de pays, les forces de sécurité cherchent, pour le dire vite, à accompagner la manifestation plutôt qu’à la cantonner.

Il est clair que ce n’est pas dans le mois que me donne l’article 32 de la loi du 29 mars 2011, ni même dans les quelques mois qui nous séparent de la fin de la législature, que je pourrai produire un avis pertinent sur ces points. Je verrai, avec le président Bartolone, comment être néanmoins utile, en particulier à la future Assemblée. Nous nous inspirerons non seulement des expériences étrangères, mais aussi de tout ce qui a déjà été fait dans notre pays. À ce propos, je salue la démarche de la préfecture de police de Paris, très désireuse de tirer les leçons de ce qui s’est passé au printemps dernier en modernisant et en adaptant les méthodes employées.

Sur ce sujet, comme sur les contrôles d’identité, nous pouvons nous mettre tous d’accord, à condition que chacun se départe de ses a priori et que personne ne se considère comme l’ennemi de l’autre. Il s’agit de rechercher la paix et la cohésion sociale, non de s’affronter.

M. le président Dominique Raimbourg. Merci beaucoup, monsieur le Défenseur des droits. Rendez-vous est donc pris pour la prochaine législature.

M. Jacques Toubon. Je viendrai me présenter devant vos successeurs !

M. le président Dominique Raimbourg. Et peut-être devant nous-mêmes… (Sourires.)

La réunion s’achève à 18 heures 45.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Erwann Binet, Mme Colette Capdevielle, Mme Marie-Anne Chapdelaine, M. Jean-Michel Clément, Mme Pascale Crozon, Mme Françoise Descamps-Crosnier, M. Patrick Devedjian, M. Georges Fenech, M. Hugues Fourage, M. Guy Geoffroy, M. Philippe Goujon, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, Mme Sandrine Mazetier, M. Sébastien Pietrasanta, Mme Elisabeth Pochon, M. Pascal Popelin, M. Dominique Raimbourg, Mme Cécile Untermaier, M. Patrice Verchère, M. Michel Zumkeller

Excusés. - M. Ibrahim Aboubacar, Mme Huguette Bello, M. Sergio Coronado, M. Marc Dolez, Mme Laurence Dumont, Mme Marietta Karamanli, Mme Maina Sage, M. Roger-Gérard Schwartzenberg

Assistaient également à la réunion. - M. Daniel Goldberg, M. Martial Saddier, M. Lionel Tardy