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Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi pour la croissance et l’activité

Samedi 17 janvier 2015

Séance de 22 heures

Compte rendu n° 18

Présidence de M. François Brottes, Président

–  Suite de l’examen, ouvert à la presse, du projet de loi pour la croissance et l’activité (n° 2447) (M. Richard Ferrand, rapporteur général, MM. Christophe Castaner, Laurent Grandguillaume, Denys Robiliard, Gilles Savary, Alain Tourret, Stéphane Travert, et Mmes Cécile Untermaier et Clotilde Valter, rapporteurs thématiques)

–  Présences en réunion

La commission poursuit l’examen du projet de loi pour la croissance et l’activité (n° 2447) (M. Richard Ferrand, rapporteur général, MM. Christophe Castaner, Laurent Grandguillaume, Denys Robiliard, Gilles Savary, Alain Tourret, Stéphane Travert, et Mmes Cécile Untermaier et Clotilde Valter, rapporteurs thématiques).

Chapitre V

Assurer la continuité de la vie des entreprises

Section 1

Spécialisation de certains tribunaux de commerce

Article 65 : Création d’une section au sein du chapitre Ier du titre II du livre VII du code de commerce

Les amendements identiques SPE258 de M. Jean-Frédéric Poisson et SPE426 de M. Patrick Hetzel, visant à supprimer l’article 65, sont retirés.

La Commission adopte l’article 65 sans modification.

Article 66 : Spécialisation de certains tribunaux de commerce

La Commission examine les amendements identiques SPE259 de M. Jean-Frédéric Poisson et SPE427 de M. Patrick Hetzel.

M. Jean-Frédéric Poisson. Les articles 66 et suivants visent à créer des tribunaux de commerce spécialisés. Nos collègues Cécile Untermaier et Marcel Bonnot ont rendu, il y a quelques mois, un rapport sur le sujet. J’en profite pour saluer amicalement notre collègue Marcel Bonnot qui, souffrant, ne peut hélas participer au débat de ce soir.

Parmi les dispositions que nous allons examiner, nombreuses sont celles qui touchent à des sujets très sensibles, comme l’adjonction d’un deuxième mandataire judiciaire, la spécialisation des tribunaux, c’est-à-dire la définition d’un seuil d’affaires avec des critères multiples en fonction desquels il conviendra de changer éventuellement de juridiction.

Depuis deux ans, la réforme de la justice commerciale voulue par le Gouvernement se heurte à de nombreuses difficultés. Nous regrettons qu’elle ne s’inspire que très peu des travaux de la mission d’information, pourtant salués par tous les membres de la commission des lois. Je continue en outre de déplorer que Mme la garde des Sceaux ne participe pas à nos travaux.

Pour toutes ces raisons, notre groupe souhaite la suppression de l’article 66.

M. Patrick Hetzel. J’ajouterai à l’argumentation de Jean-Frédéric Poisson que, si l’on compare les travaux de la mission d’information et les préconisations du Gouvernement concernant les tribunaux de commerce, le décalage apparaît assez important. C’est pourquoi, en effet, nous souhaitons la suppression de l’article 66.

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. Le Gouvernement souhaite la spécialisation des tribunaux de commerce, ce qui n’est en aucun cas une réforme en profondeur. L’idée est de désigner plusieurs tribunaux de commerce spécialisés dans les affaires les plus importantes et les plus sensibles. Parmi les affaires les plus concrètes qu’ait à traiter le ministère de l’économie figurent les situations très complexes où un même groupe en grande difficulté économique peut se retrouver devant deux tribunaux de commerce différents – ce fut le cas avec les entreprises Villeneuve Pet Food ou Mory Ducros. Or le traitement peut ne pas être le même et les intérêts locaux diverger – alors qu’il est impossible de dépayser le jugement.

J’indique en outre, pour rassurer M. Poisson, que la réforme en profondeur, statutaire, des tribunaux de commerce sera proposée dans le cadre du projet de réforme judiciaire « La justice du XXIe siècle » soutenu par la garde des Sceaux. Il ne s’agit ici, je le répète, que de spécialiser des tribunaux de commerce compétents dans les affaires les plus importantes et les plus complexes. Nous ne créons pas de nouvelles juridictions ni un nouvel ordre juridictionnel. Les tribunaux spécialisés seront des tribunaux de commerce déjà existants, simplement spécialisés dans ces affaires particulières. Ces juridictions, en nombre restreint, seront interrégionales, inter-cours d’appel. Elles sont devenues une nécessité en matière de propriété intellectuelle, de droit financier et boursier et de droit pénal. Il s’agit de moderniser notre justice.

Les seuils envisagés pourraient être de 150 salariés ou de 20 millions d’euros de chiffre d’affaires, ce qui, en 2013, aurait concerné 139 redressements judiciaires, 44 sauvegardes et 46 liquidations. On est donc bien loin du volume total des affaires courantes, mais il s’agit d’affaires pour lesquelles une spécialisation, au niveau de la cour d’appel ou un peu au-delà, se justifie. Ces juridictions seront compétentes de plein droit pour les procédures de prévention et les procédures collectives. Le Gouvernement émettra un avis favorable à l’amendement du rapporteur thématique Alain Tourret prévoyant qu’il reviendra au tribunal de commerce du lieu du siège de l’entreprise de saisir immédiatement, via la cour d’appel, le tribunal de commerce spécialisé.

Le tribunal devra désigner deux administrateurs et mandataires judiciaires par procédure pour renforcer l’expertise et les moyens mis à disposition pour sauver les entreprises et les emplois. Cette double nomination, qui va dans le sens d’une plus grande spécialisation pour des affaires aux enjeux plus forts et à la complexité plus importante, n’induira aucun coût supplémentaire et la rémunération due sera divisée entre les professionnels.

La réforme que nous proposons n’est donc pas systémique, mais elle est nécessaire d’un point de vue économique, en particulier en ce qui concerne les restructurations.

Au cas où je ne vous aurais pas convaincu et où vous maintiendriez vos amendements, j’émettrai un avis défavorable.

M. Alain Tourret, rapporteur thématique. C’est d’une belle réforme que nous allons parler ce soir, mes chers collègues, et je souhaite vous convaincre de son utilité.

Nous pouvons nous accorder sur un point : lorsque quelque 55 000 entreprises déposent leur bilan chaque année, il faut considérer de manière spécifique leur situation en fonction de leur importance. En effet, déposer le bilan, cela ne signifie pas tout à fait la même chose pour un coiffeur qui n’emploie qu’un apprenti, et pour la SNCM, qui emploie 600 personnes, ou Moulinex, qui compte 15 000 salariés. Chacun comprendra dès lors que, du seul fait de l’importance de l’entreprise, une certaine spécialisation des tribunaux de commerce est nécessaire.

Cela s’impose en premier lieu parce que les tribunaux sont loin d’avoir tous la même taille : qu’on songe à la différence entre le tribunal de commerce de Paris, pourvu de 170 magistrats très spécialisés, et celui d’une petite ville dont les effectifs se limitent à quelques magistrats. L’absolue spécialisation du monde des affaires s’impose à nous et nous devons pouvoir y répondre. Il faut d’abord gérer l’entreprise qui dépose son bilan, puis trouver un nouveau repreneur : ces tâches difficiles nécessitent les compétences du monde juridique, du monde économique et du monde des affaires.

Le Gouvernement a donc pensé qu’il était nécessaire que certains tribunaux, parmi ceux qui existent, traitent désormais des entreprises remplissant deux conditions sur lesquelles je vais revenir. Après avoir hésité, les présidents des tribunaux de commerce ont été très largement rassurés par la manière dont ils ont été écoutés et par les assurances que nous leur avons données que, à aucun moment, un dossier ne leur serait retiré faute de compétences.

Combien d’affaires sont concernées ? On compte chaque année, je l’ai dit, près de 55 000 jugements d’ouverture de procédures collectives. Si l’on fixe le premier seuil à 150 ou à 250 salariés et le second à 20 millions de chiffre d’affaires, c’est moins de 0,5 % des dossiers qui sera transmis aux tribunaux de commerce spécialisés. Il faut bien sûr que les dossiers soient suffisamment nombreux : nous n’allons pas créer des tribunaux spécialisés pour trois ou quatre affaires. En outre, il faudra prendre en considération la nécessaire proximité géographique du tribunal et de l’entreprise, car chacun sait qu’un dépôt de bilan oblige à de nombreuses démarches et à de nombreuses rencontres. C’est pourquoi nous avons pensé qu’il fallait un nombre suffisant de tribunaux spécialisés.

Les propositions qui vous sont faites sont parfaitement conformes aux attentes du monde des affaires. Quand un entrepreneur est amené à déposer le bilan, il veut avoir affaire à des magistrats qui ont l’habitude de traiter des dossiers similaires au sien. C’est pourquoi il faut trouver un juste équilibre entre le nombre de tribunaux de commerce spécialisés et les entreprises concernées. Le ministre a mentionné des seuils dont la fixation est renvoyée à un décret en Conseil d’État. Nous pouvons néanmoins avoir, sur la question, un avis personnel, et le mien est un peu différent. Certains députés de l’opposition, à l’instar du Comité interministériel de restructuration industrielle – CIRI –, souhaiteraient que l’on fixe le premier seuil à 400 salariés, ce qui reviendrait à diminuer de façon beaucoup trop importante le nombre des entreprises concernées. Les magistrats du tribunal de commerce spécialisé risqueraient de ne jamais avoir eu à connaître de telles affaires et d’avoir à n’en traiter que très peu. Je considère pour ma part que le seuil de 250 salariés est équilibré : au niveau européen c’est le seuil à compter duquel une entreprise n’est plus considérée comme une PME et c’est celui qui m’a été proposé par de nombreux présidents de tribunaux de commerce. Quant au second seuil de 20 millions d’euros de chiffre d’affaires, il fait consensus – à condition que les deux règles soient alternatives et non cumulatives. Nous reprenons ainsi, globalement, les règles européennes.

Après avoir procédé à de nombreuses auditions et travaillé pendant plusieurs mois, la mission d’information de la commission des Lois sur la justice commerciale a recommandé cette spécialisation – c’est sa proposition n° 27. Contrairement à ce qui est avancé dans l’exposé sommaire des amendements de suppression de l’article, aucune des modalités retenues dans le projet de loi n’est contraire à ces préconisations.

Je soutiendrai des amendements visant à faire en sorte que le tribunal de commerce initialement saisi puisse intervenir au début de la procédure. Cette proposition rejoint celle des présidents des tribunaux de commerce. Je souhaite également qu’on associe à tous les niveaux de décision le procureur général qui représente l’ordre public et la protection des créanciers – qu’il ne faut pas plus négliger que celle des salariés.

La vie de l’entreprise est au centre de mes préoccupations, et j’ai le sentiment que, en ayant recours à des tribunaux de commerce spécialisés, nous parviendrons à donner un nouvel espoir, une seconde chance, à celles qui sont amenées à déposer leur bilan. Tout doit être fait pour favoriser une reprise qui préserve autant que possible le sort des salariés.

Je demande donc le rejet des amendements de suppression.

M. Gilles Lurton. Les juges consulaires ont une expérience de l’entreprise et une expertise économique qui n’est plus à démontrer. Ils travaillent beaucoup, bien et bénévolement. Les jugements rendus par les tribunaux de commerce font rarement l’objet d’appel – environ, de mémoire, 5 %. Les arrêts rendus par la cour d’appel infirment encore plus rarement les jugements rendus en première instance, ce qui confirme le sérieux et la pertinence du travail des juges consulaires.

Les tribunaux de commerce, pour certaines affaires, ne refusent pas la spécialisation que vous proposez. Mais toute la question est de savoir ce que sont les affaires les plus importantes et les plus sensibles. Encore une fois, comme il y a quelques jours à propos de l’article 12 concernant les notaires, nous nous heurtons à la définition de seuils. Le CIRI, présidé par le Premier ministre, ayant fixé le premier seuil à 400 salariés, je ne vois vraiment pas pourquoi on en fixerait un autre.

Enfin, je rappelle qu’une affaire aussi importante que celle du groupe Doux, en Bretagne, n’a posé aucune difficulté : le dossier a été parfaitement traité et n’a fait l’objet d’aucun appel, ce qui montre bien que les juges des tribunaux de commerce sont d’excellents connaisseurs du monde économique et sont tout à fait capables.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Monsieur le rapporteur thématique, je comprends mal ce que vous entendez quand vous considérez qu’un coiffeur qui dépose le bilan et qui n’emploie qu’un apprenti, ce n’est pas la même chose que Moulinex avec ses milliers de salariés. On a beaucoup parlé de la fermeture de l’usine PSA d’Aulnay, qui a entraîné la suppression de 8 000 emplois. Or 8 000 emplois, cela représente 0,8 % des artisans qui licencient. À force de vouloir tout spécialiser, il va falloir aussi spécialiser le législateur : pendant qu’on ne s’occupe que de ceux qui remplissent les premières pages des journaux, on finit par maltraiter, dans la loi, les petits cas, ceux qu’on ne voit pas et qui ne dérangent pas. Or tous les jours des emplois sont détruits dans ces secteurs.

Dès lors que les tribunaux de commerce font très bien leur travail, qu’ils ont une solide expertise, je ne vois pas pourquoi des magistrats, demain, en auraient davantage, surtout s’ils n’ont jamais exercé d’activité professionnelle et ne comprennent pas le fonctionnement d’une entreprise. Cela pourrait s’avérer pathétique au moment de certains jugements. Refusons de céder à la pression médiatique. Tout le monde est ému par le licenciement de 8 000 salariés, mais c’est tous les jours que des artisans sont obligés de licencier. De plus nous n’avons pas assoupli le code du travail ! Nous sommes même, sur certains points, en train de le durcir, ce qui ne facilitera rien.

En tout cas, cela n’encouragera pas les employeurs à créer des emplois. On parle souvent des emplois détruits, mais jamais assez des emplois non créés qui, je vous l’assure, sont beaucoup plus nombreux.

En ce qui concerne le seuil, certains parlent de 400 salariés et le rapporteur thématique évoque le chiffre de 250. Je me souviens que, dans le cadre d’une discussion sur les groupements d’employeurs, on évoquait les entreprises de plus de 300 salariés. Tout le monde aujourd’hui, à commencer par le Premier ministre, tend à considérer qu’il faut supprimer les seuils – je le préconise pour ma part depuis douze ans : et voilà que le législateur s’apprête à en créer de nouveaux !

Mme Colette Capdevielle. Dans leur rapport, Cécile Untermaier et Marcel Bonnot ont formulé des propositions très intéressantes et pragmatiques pour réformer les tribunaux de commerce de manière efficace. Elles seront très probablement reprises dans le cadre du projet sur la justice du XXIe siècle, auquel est renvoyée la réforme générale des tribunaux de commerce. Parmi les préconisations de Cécile Untermaier et de Marcel Bonnot figurait bien la spécialisation des tribunaux de commerce pour les affaires les plus complexes d’un point de vue technique et juridique, par exemple celles qui touchent aux brevets ou aux marques.

Le taux d’appel des décisions des tribunaux de commerce est certes peu élevé, mais cela tient à la nature des affaires : ce sont, pour la plupart, des actions en paiement. Or, une fois que la décision est rendue, la plupart du temps assortie de l’exécution provisoire, l’appel est onéreux ou inutile, voire les deux. Les défendeurs ne font donc généralement pas appel, et on passe alors au stade de la liquidation. Ce qui fonctionne bien aujourd’hui, c’est la prévention. Les tribunaux de commerce en font de plus en plus. L’objectif, nous en convenons tous, est bien d’éviter le dépôt de bilan.

Pour justifier la création de tribunaux de commerce spécialisés pour les affaires complexes au-delà d’un certain seuil, l’étude d’impact indique : « Lorsque des entreprises moyennes ou grandes rencontrent des difficultés, les conséquences sur l’emploi ou sur le développement économique de certaines régions peuvent être dramatiques. » Cependant, dans certains cas, il convient d’être très prudent, car « spécialisés » signifie aussi « éloignés du territoire », notamment des salariés. Cela peut être très dangereux, les liquidations – qui ne représentent certes qu’un pourcentage limité des affaires – faisant avant tout des dégâts dans un territoire donné, chez les salariés et chez les sous-traitants.

Un tribunal de commerce rattaché à un territoire connaît bien, lui, le tissu économique et industriel de son ressort, parce qu’il est composé de juges consulaires qui sont eux-mêmes des chefs d’entreprise, retraités ou en fonction, généralement dévoués, qui ne ménagent ni leur temps ni leur énergie et se forment de plus en plus. Et ces magistrats consulaires ont montré qu’ils étaient tout à fait compétents en matière de liquidation des entreprises. Il ne faut pas sous-estimer cet aspect, a fortiori si l’entreprise est de taille importante. Je comprends bien qu’il soit nécessaire de spécialiser et que la proximité n’a pas toujours que des effets positifs, mais je plaide pour que nous soyons très vigilants en ce qui concerne la fixation des seuils. La proximité, c’est aussi la connaissance de la réalité économique d’un bassin de vie, qui n’est souvent pas la même à 200 ou 300 kilomètres.

M. le président François Brottes. Il convient en effet de distinguer deux temps : la prévention et le règlement des affaires.

Mme Véronique Louwagie. Vous avez déclaré, monsieur le rapporteur thématique, que tout devait être fait pour aider les entreprises et que les tribunaux de commerce devaient être à leur écoute. Or, d’une manière générale, les juges agissent bien dans ce sens. Rappelons qu’ils sont élus par leurs pairs, qu’ils sont bénévoles et qu’ils consentent un gros effort de formation. En outre, ils sont au contact du terrain, en lien avec la vie quotidienne, la « vraie vie » de leur territoire. Je rejoins Colette Capdevielle sur l’importance de la proximité, en particulier lorsque des conventions de revitalisation sont mises en place, ce qui arrive dans certains cas de cessation de paiement qui s’accompagnent de licenciements collectifs. La connaissance du terrain et le lien des juges tant avec les élus qu’avec les différents intervenants jouent alors un rôle très important, d’autant que les discussions peuvent être difficiles, plusieurs options étant possibles dans le cadre des conventions de revitalisation.

Par ailleurs, nous sommes tous un peu mal à l’aise avec la question des seuils, ainsi qu’en témoignent les discussions qui ont été menées sur le sujet et le nombre d’amendements que nous avons déposés. Indépendamment de notre appartenance politique, nous avons des appréciations très différentes en la matière. Certains proposent même des seuils cumulatifs, qui n’ont pas du tout le même impact que des seuils alternatifs.

Ainsi que vous l’avez évoqué, monsieur le rapporteur thématique, en fixant des seuils très élevés, nous risquons de limiter le nombre d’entreprises relevant des tribunaux spécialisés, et ceux-ci n’auront alors qu’un faible nombre d’affaires à traiter. Néanmoins, quel que soit le seuil retenu in fine, il y aura toujours une première fois : la manière dont un tribunal spécialisé traitera sa première affaire ne sera pas identique à celle dont il traitera sa énième affaire.

Vous proposez le même seuil de chiffre d’affaires que le ministre – 20 millions d’euros –, mais un seuil d’effectif différent – 250 salariés au lieu de 150. Selon moi, le seuil d’éligibilité aux prestations du CIRI – 400 salariés – présente une vraie pertinence, car il délimite une catégorie d’entreprises qui méritent une attention et une écoute particulières en cas de difficultés. Il serait d’ailleurs intéressant de retrouver les débats de l’époque, afin de voir pour quelles raisons ce seuil avait été choisi. En tout cas, c’est le seuil que nous vous proposerons de retenir dans un amendement de repli.

M. Francis Vercamer. Les articles 65 et 66 modifient profondément le fonctionnement de la justice commerciale, dont l’efficacité est pourtant reconnue par tous. Seuls 13 % des jugements des tribunaux de commerce font l’objet d’un appel, et seuls 5 % sont infirmés. Cette efficacité tient à une expertise de la vie économique propre aux juges consulaires. Ainsi que l’a rappelé Véronique Louwagie, ils sont bénévoles et ont tous une expérience professionnelle. De plus, ils peuvent se faire aider par des représentants du parquet, qui peuvent être présents au sein du tribunal en cas de besoin.

Nous avons un peu de mal à comprendre la réforme conduite par le Gouvernement, qui se fait à la découpe ou par étapes. Vous allez créer des tribunaux spécialisés, monsieur le ministre, mais, parallèlement, la garde des Sceaux a annoncé qu’elle engageait une réforme de l’ensemble des tribunaux de commerce qui porterait aussi sur la question de la spécialisation. Ces articles ont-ils vraiment leur place dans un projet de loi relatif à la croissance et à l’activité, alors qu’un autre projet de loi est prévu en la matière et qu’il procédera, selon toute vraisemblance, à une refonte de la carte judiciaire, à partir d’une vision d’ensemble ?

D’autre part, le nombre des dépôts de bilan s’envole depuis quelques années, et ce n’est pas en changeant le thermomètre que l’on va régler ce problème ! C’est en travaillant sur l’environnement économique et, éventuellement, juridique des entreprises, notamment en simplifiant la loi, que l’on pourra améliorer leur situation, certainement pas en créant des tribunaux de commerce spécialisés ! D’autant que nous avons du mal à voir quels seuils seront finalement retenus par le décret. Je propose que les dispositions relatives aux tribunaux de commerce soient retirées de ce texte, pour être, le cas échéant, réintroduites dans un projet de loi d’ensemble. Je voterai donc les deux amendements de suppression.

M. Jean-Frédéric Poisson. Monsieur le rapporteur thématique, il n’est écrit nulle part dans l’exposé sommaire de mon amendement que le texte entre en contradiction avec les préconisations du rapport de Cécile Untermaier et de Marcel Bonnot. Le fait qu’ils ne soient pas identiques ne les rend pas pour autant contradictoires !

S’agissant de la faculté de dépaysement, elle existe déjà : elle est prévue par l’article L. 662-2 du code de commerce. Sous le contrôle de Cécile Untermaier, l’intention des rapporteurs est de la maintenir, mais en instaurant la possibilité pour l’une des deux parties, notamment le demandeur, de solliciter ce dépaysement. Pour l’instant, la procédure est dans la main des tribunaux.

Quant à la spécialisation, c’est en effet l’une des principales propositions du rapport, ainsi que le précise l’exposé sommaire de mon amendement. Mais le modèle préconisé par les rapporteurs pour cette spécialisation est celui des juridictions interrégionales spécialisées – il existe actuellement huit juridictions de ce type en France, sept dans les grandes villes de métropole et une outre-mer, à Fort-de-France. En cela, le texte n’est pas du tout dans l’esprit du rapport.

Je ne vois guère comment vous allez résoudre la quadrature du cercle et je rejoins le point de vue de Francis Vercamer : la justice commerciale fonctionne globalement bien. Certes, dans certaines décisions ou arbitrages, heureusement minoritaires, il arrive que les intérêts locaux ou personnels l’emportent sur le respect du droit. Quant à la proportion de litiges qui ne sont pas tranchés en première instance, elle est, somme toute, correcte.

À titre personnel, je suis très mal à l’aise avec un raisonnement qui serait purement quantitatif. D’une part, un tel raisonnement ne permet pas de régler la question de fond, le véritable enjeu étant la garantie du droit des justiciables. D’autre part, dans la pratique, un chiffre d’affaires élevé et un nombre de salariés important ne suffisent pas à déterminer un niveau de complexité : certaines procédures de redressement ou de liquidation judiciaire qui concernent de petites entreprises sont très complexes ; inversement, des procédures qui touchent des entreprises de taille plus importante peuvent être relativement simples.

Enfin, nous sommes tous très attachés à la notion de proximité, notamment ceux d’entre nous qui sont des élus locaux. Or la proximité sera nécessairement élastique dans le dispositif que vous proposez. Je comprends tout à fait que, de même qu’en matière pénale, le dépaysement s’impose lorsque les intérêts locaux sont trop prégnants, complexes ou conflictuels. Et, en l’état actuel de l’article L. 662-2 du code de commerce, le dépaysement n’est en effet pas décidé chaque fois qu’il serait nécessaire. Cependant, la bonne manière de procéder, ce serait de permettre aux deux parties, notamment au demandeur, de le solliciter. À ce moment-là, le nombre de dépaysements augmenterait considérablement. Certains représentants de la profession suggèrent, en outre, que la décision en la matière revienne au premier président de la cour d’appel. En tout cas, il existe d’autres systèmes que la mécanique de seuils que vous souhaitez instaurer. C’est une méthode trop quantitative pour donner pleinement satisfaction ; elle n’apportera pas de solution aux problèmes que vous entendez régler. Nous considérons que vous allez affaiblir un appareil judiciaire qui fonctionne bien. Il est sans doute nécessaire de le réformer, mais pas de le bouleverser ainsi.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Vous venez de confirmer, monsieur le ministre, que la réforme des tribunaux de commerce interviendrait dans le cadre du projet sur la justice du XXIe siècle, sur la base des conclusions du rapport de la mission d’information sur la justice commerciale. J’en prends acte. Il s’agissait d’un point important, notamment pour les membres de la commission des Lois.

Nous allons créer des tribunaux de commerce spécialisés à compétence exclusive, mais nous restons bien dans le cadre de la justice consulaire, avec son mode de fonctionnement actuel. Et nous ne privons les tribunaux de commerce existants d’aucune de leurs compétences ordinaires, dont découle le faible nombre d’appels. Nous ne changeons donc pas de système. Dès lors, les juges consulaires et leurs ardents défenseurs n’ont guère de raison de critiquer cette réforme.

Je me permets de relever une petite confusion à propos de la notion de dépaysement. Celui-ci intervient lorsque l’une des deux parties demande à faire juger le litige par une autre juridiction que le tribunal compétent, parce qu’elle nourrit des inquiétudes quant à son impartialité. Or, actuellement, il n’existe pas de procédure de dépaysement dans les tribunaux de commerce, sauf à l’initiative du procureur de la République. Quant au projet de loi, il ne prévoit rien de nouveau en la matière. En réalité, la question est moins celle du dépaysement que celle de la capacité pour une juridiction de centraliser un contentieux « multisites ». Aujourd’hui, lorsque des procédures sont ouvertes à l’encontre de plusieurs établissements d’une même entreprise situés dans des ressorts différents, il n’existe aucune modalité de dessaisissement pour faire en sorte qu’un seul tribunal de commerce soit saisi de l’affaire dans son ensemble. D’ailleurs, on n’a jamais vu un tribunal se dessaisir d’office, à supposer qu’il en ait la faculté.

Reste à fixer les seuils de chiffre d’affaires et d’effectif. Le seuil à partir duquel le CIRI est compétent – 400 salariés – est-il pertinent ? Je l’ignore. En tout cas, il est légitime qu’un tribunal de commerce spécialisé traite les dossiers relatifs aux entreprises les plus importantes, même si l’on voit bien le problème que peut poser à un territoire la perte ou la restructuration d’une telle entreprise.

Parmi ses hypothèses, la mission d’information avait envisagé le dépaysement et la spécialisation, mais elle n’a pas apporté de réponse tranchée sur ces sujets. Quoi qu’il en soit, le dispositif prévu par le texte est, de mon point de vue, excellent : il améliore l’intervention de la justice consulaire sur des affaires qui nécessitaient un investissement plus important de sa part.

M. Gérard Cherpion. Les tribunaux de commerce fonctionnent bien. Les juges consulaires sont des professionnels qui connaissent bien les entreprises et l’économie locale. Avec le système que vous proposez, le rôle de prévention des tribunaux de commerce va disparaître. Pourtant, il permet de régler un certain nombre d’affaires en amont. À qui les entreprises vont-elles désormais pouvoir s’adresser au moment où elles rencontrent des difficultés ?

D’autre part, lorsque le tribunal de commerce compétent est celui dans le ressort duquel se trouve le siège du groupe et non l’entreprise elle-même, il y a, aujourd’hui déjà, un éloignement par rapport au territoire, qui fait que les intérêts de l’entreprise ne sont pas nécessairement bien pris en compte, notamment lorsque l’administrateur judiciaire désigné est lui-même éloigné de ce territoire. Nous avons là une difficulté à résoudre. Vous apportez une partie de la réponse en rendant plus fréquente la nomination d’un deuxième administrateur, ainsi que l’a indiqué le rapporteur thématique. C’est un point important.

Enfin, la mise en œuvre tant des plans de sauvegarde de l’emploi – PSE – que des conventions de revitalisation ne peut se faire qu’au niveau du territoire, ce qui implique une connaissance de l’économie locale, que seul peut avoir un tribunal de commerce proche, et non une juridiction plus éloignée.

Mme Cécile Untermaier. Permettez-moi d’avoir une pensée pour notre collègue Marcel Bonnot, avec lequel j’ai beaucoup travaillé sur ce dossier et qui souhaitait venir le défendre devant vous ce soir.

La proposition du Gouvernement n’entre pas en contradiction avec les propositions que nous avions formulées. Nous avions bien envisagé la création de pôles spécialisés.

Je tiens à saluer l’action des juges consulaires. Ils ont beaucoup de mérite : bénévoles, dotés d’une compétence économique, mais dépourvus de formation juridique, ils parviennent à faire office de juges, à rendre des jugements qui ne font pas souvent l’objet d’un appel. C’est en effet assez impressionnant. Cela étant, il est bon de connaître les raisons de ce faible taux d’appel.

Il n’en reste pas moins qu’il est difficile pour ces juges consulaires de régler certaines affaires complexes. C’est pourquoi nous avions proposé, dans notre rapport, de « créer des pôles spécialisés ayant compétence exclusive pour connaître des procédures collectives affectant des entreprises dont le total de bilan, le chiffre d’affaires hors taxe et le nombre moyen de salariés permanents dépassent certains seuils ». La question porte donc non pas sur l’opportunité de la spécialisation telle que l’envisage le Gouvernement, mais essentiellement sur la fixation des seuils. Nous recommandons au Gouvernement de les déterminer avec beaucoup de prudence et de précision, de telle sorte que les tribunaux spécialisés traitent suffisamment d’affaires et puissent développer une véritable compétence. Il convient de procéder à des modélisations – pour notre part, nous n’avons pas les moyens de le faire. Nous suggérons, en particulier, de tester l’hypothèse du seuil de 400 salariés retenu par le CIRI. En matière de revitalisation du territoire, il peut être plus facile de raisonner, comme le CIRI, à l’échelle d’un vaste bassin d’emploi.

M. le ministre. Je souhaite apporter quelques clarifications. Comme plusieurs d’entre vous, je tiens à saluer le dévouement des juges des tribunaux de commerce et la qualité de leur travail. Ils ne sont pas rémunérés et exercent parfois leurs fonctions dans des conditions difficiles.

Nous ne menons pas cette réforme contre les juges consulaires. Elle s’inscrit dans le mouvement de modernisation de la prévention et des procédures collectives engagé par les deux ordonnances prises en la matière à l’initiative de la garde des Sceaux. Elle ne vise nullement à remettre en cause la proximité des juges consulaires ni leur rôle de prévention. L’objectif est non pas de favoriser le dépaysement – cette procédure fonctionnant assez mal aujourd’hui –, mais de spécialiser certaines juridictions au-delà de certains seuils.

La fixation de ces seuils fait, légitimement, débat. Ainsi que l’a indiqué le rapporteur thématique, il convient que les tribunaux spécialisés traitent un nombre suffisant d’affaires complexes, afin de développer une compétence propre. Je n’adhère pas à tous les arguments qui ont été présentés en faveur du seuil de 400 salariés utilisé par le CIRI. D’une part, le CIRI exerce une compétence nationale, en amont des autres procédures. D’autre part, les comités départementaux d’examen des difficultés de financement des entreprises – CODEFI – n’appliquent pas le même seuil que le CIRI, ce qui leur permet de traiter un flux d’affaires nettement supérieur. Selon les chiffres du cabinet Altares, en 2013, 139 entreprises de plus de 150 salariés ont fait l’objet d’un redressement judiciaire. Avec un seuil à 250 salariés, nous tomberions probablement à moins d’une centaine de cas par an. Et, si nous retenions le seuil de 400 salariés, les tribunaux spécialisés ne traiteraient sans doute pas plus de quelques dizaines d’affaires dans l’année. Je ne suis pas convaincu que cela leur suffirait pour développer une véritable compétence. Nous devons mener une concertation sur ce point dans les mois qui viennent. En tout cas, je ne suis pas favorable à l’inscription d’un seuil dans la loi.

Je donnerai un avis favorable aux amendements proposés par le rapporteur thématique.

La Commission rejette les amendements SPE259 et SPE427.

Puis elle adopte l’amendement SPE1588 de M. Alain Tourret, rapporteur thématique, et des autres rapporteurs.

En conséquence, les amendements SPE530 de M. Marcel Bonnot et SPE1682 de M. François Brottes tombent.

La Commission adopte l’amendement SPE1589 de M. Alain Tourret, rapporteur thématique, et des autres rapporteurs.

Puis elle examine, en discussion commune, l’amendement SPE531 de M. Marcel Bonnot et l’amendement rédactionnel SPE1590 de M. Alain Tourret, rapporteur thématique, et des autres rapporteurs.

Mme Véronique Louwagie. L’amendement SPE531 vise à apporter une clarification. Le règlement – CE – n° 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d’insolvabilité dispose que les juridictions compétentes pour ouvrir une procédure d’insolvabilité en cas de litige transfrontalier sont celles de l’État membre où se trouve le siège statutaire de la société débitrice ou, à défaut, le centre principal de ses intérêts. Or l’alinéa 7, qui mentionne des procédures qui ne relèvent pas de ce règlement, fait lui aussi référence à la notion de « centre principal des intérêts du débiteur ». Afin d’éviter tout risque de confusion, qui pourrait être source d’éventuels litiges, il nous paraît préférable de ne pas retenir les mêmes termes que dans le règlement. C’est pourquoi nous proposons de remplacer « centre principal des intérêts » par « siège social ».

M. Alain Tourret, rapporteur thématique. Avis défavorable. La notion de « centre des intérêts principaux » est une notion désormais bien connue du droit des entreprises en difficulté. Elle est inscrite dans le droit de l’Union européenne, plus précisément dans le règlement n° 1346/2000. En outre, elle figure déjà aux articles R. 123-91, R. 600-1 et R. 743-145 du code de commerce. Sa reprise ne pose donc aucune difficulté. Elle constituera, au contraire, un critère clair pour déterminer la juridiction compétente.

M. le ministre. Avis défavorable, pour les mêmes raisons. Avis favorable à l’amendement SPE1590.

La Commission rejette l’amendement SPE531.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel SPE1590 de M. Alain Tourret, rapporteur thématique, et des autres rapporteurs.

Elle en vient à l’amendement SPE1591 de M. Alain Tourret, rapporteur thématique.

M. Alain Tourret, rapporteur thématique. Aux termes de cet amendement, lorsqu’une procédure sera ouverte à l’encontre d’une société mère, le tribunal spécialisé compétent le sera également pour connaître des procédures ouvertes ultérieurement à l’encontre de ses filiales ou des sociétés qu’elle contrôle. Le tribunal spécialisé pourra donc étendre la procédure. Nous gagnerons ainsi en cohérence.

M. le ministre. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement SPE1591.

Puis elle examine l’amendement SPE1592 de M. Alain Tourret, rapporteur thématique, et des autres rapporteurs.

M. Alain Tourret, rapporteur thématique. Cet amendement prévoit que le décret fixant la liste et le ressort des tribunaux de commerce spécialisés sera pris après avis du Conseil national des tribunaux de commerce.

M. le ministre. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement SPE1592.

Puis elle est saisie de l’amendement SPE532 de M. Marcel Bonnot.

Mme Véronique Louwagie. Cet amendement vise à préciser que les juridictions dont la liste et le ressort sont fixés par décret sont les juridictions « spécialisées » dont il a été question plus haut. Sans l’ajout de cet adjectif, on ne sait pas très bien de quelles juridictions il s’agit, et on peut penser que le décret fixera la liste d’un ensemble de juridictions plus large.

M. le ministre. Avis favorable.

Suivant l’avis favorable du rapporteur thématique, la Commission adopte l’amendement SPE532.

Puis elle examine l’amendement SPE533 de M. Marcel Bonnot.

Mme Véronique Louwagie. Cet amendement vise à supprimer la mention « selon les modalités fixées par décret en Conseil d’État » à l’alinéa 9, qui nous paraît redondante avec celle qui figure à l’alinéa 5.

M. Alain Tourret, rapporteur thématique. Avis défavorable. Cette mention n’est aucunement redondante avec celle qui figure à l’alinéa 5, laquelle permet au pouvoir réglementaire de fixer par décret en Conseil d’État les seuils – nombre de salariés et chiffre d’affaires de l’entreprise – à partir desquels les tribunaux de commerce spécialisés sont compétents.

M. le ministre. Avis défavorable. L’un des deux décrets en Conseil d’État définira ces seuils, l’autre fixera les modalités d’entrée en vigueur des dispositions de l’article 66.

L’amendement SPE 533 est retiré.

La Commission en vient à l’amendement SPE1593 de M. Alain Tourret, rapporteur thématique, et des autres rapporteurs.

M. Alain Tourret, rapporteur thématique. Cet amendement vise à rectifier une erreur : il convient de se référer non pas à la date d’entrée en vigueur de la loi, mais à celle de l’article, qui interviendra selon les modalités fixées par décret en Conseil d’État et au plus tard six mois après la publication de la loi.

M. le ministre. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement SPE1593.

Puis elle adopte l’article 66 modifié.

Article 67 : Coordination

Suivant l’avis défavorable de M. Alain Tourret, rapporteur thématique, la Commission rejette les amendements identiques SPE260 de M. Jean-Frédéric Poisson et SPE428 de M. Patrick Hetzel.

Elle est ensuite saisie de l’amendement SPE1594 rectifié de M. Alain Tourret, rapporteur thématique, et des autres rapporteurs.

M. Alain Tourret, rapporteur thématique. Aux termes de cet amendement, lorsqu’une procédure prévue par le livre sixième du code de commerce relèvera d’un tribunal de commerce spécialisé en application de l’article L. 721-8 et que le tribunal de commerce saisi ne sera pas l’un des tribunaux de commerce spécialisé, le président du tribunal devra transmettre immédiatement le dossier par ordonnance motivée au premier président de la cour d’appel de son ressort. Celui-ci transmettra alors immédiatement le dossier, après avis du procureur général, au tribunal de commerce spécialisé compétent. Si ce dernier se situe dans le ressort d’une autre cour d’appel, il informera le premier président de ladite cour d’appel de cette transmission.

Nous proposons ainsi de mettre en place un mécanisme de délocalisation obligatoire des procédures remplissant les conditions prévues par l’article L. 721-8 du code de commerce, à l’initiative du président du tribunal de commerce initialement saisi. Nous avons retenu cette procédure après une longue discussion avec l’ensemble des présidents des tribunaux de commerce. Elle permettra au président du tribunal de commerce initialement saisi de rester au courant du dossier. Les présidents de tribunaux de commerce sont très sensibles à cette faculté. C’est un élément de sagesse qu’il faut leur accorder.

M. le président François Brottes. Je partage votre point de vue, monsieur le rapporteur thématique. Nous avons tous entendu les arguments des présidents des tribunaux de commerce sur ce point.

M. le ministre. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement SPE1594 rect.

L’article 67 est ainsi rédigé.

En conséquence, l’amendement SPE534 de M. Marcel Bonnot tombe.

Après l’article 67

La Commission examine l’amendement SPE536 de M. Marcel Bonnot.

Mme Véronique Louwagie. Nous souhaiterions que le Gouvernement remette au Parlement, au plus tard six mois après la publication de la loi, un rapport sur la mise en place d’un dispositif de numéro vert national permettant aux chefs d’entreprise de s’entretenir par téléphone, dans l’anonymat et le secret les plus complets, avec des experts de la prévention. Ce nouveau service permettrait aux chefs d’entreprise d’obtenir des informations utiles. Cette proposition figure dans le rapport de Cécile Untermaier et de Marcel Bonnot.

M. le ministre. Je comprends votre préoccupation. Le Gouvernement, en particulier la garde des Sceaux, est favorable à cette idée. Nous devons réfléchir aux moyens de la mettre en œuvre. Néanmoins, je plaide pour que nous nous exonérions d’un rapport supplémentaire et vous suggère donc de retirer votre amendement.

L’amendement SPE536 est retiré.

Article 68 : Application outre-mer

Les amendements identiques SPE261 de M. Jean-Frédéric Poisson et SPE429 de M. Patrick Hetzel sont retirés.

La Commission adopte l’article 68 sans modification.

Section 2

Administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires

Article 69 : Habilitation pour prévoir la désignation d’un second administrateur judiciaire et d’un second mandataire judiciaire dans certaines procédures et permettre le recours au salariat pour l’exercice de l’activité d’administrateur judiciaire et de mandataire judiciaire

La Commission est saisie des amendements identiques SPE262 de M. Jean-Frédéric Poisson et SPE430 de M. Patrick Hetzel.

M. Jean-Frédéric Poisson. Mon amendement est défendu.

M. Patrick Hetzel. Le mien également.

M. le ministre. Avis défavorable. Je soutiens l’amendement SPE1595 du rapporteur thématique, qui vise à introduire directement dans le texte les mesures que nous prévoyions de prendre par ordonnance. Ainsi que le rapporteur thématique l’a souligné, il est nécessaire de prévoir la désignation d’un deuxième administrateur judiciaire et d’un deuxième mandataire judiciaire pour les dossiers importants, afin de s’assurer que toutes les missions qui leur reviennent seront accomplies de la manière la plus efficace.

En outre, comme pour toutes les autres professions réglementées, il convient de mettre en place un statut d’administrateur judiciaire et de mandataire judiciaire salarié, afin de combler l’important manque de professionnels et de constituer un vivier de futurs acteurs. Cette mesure participera de la rationalisation du paysage des professions réglementées que nous comptons mener à bien avec ce projet de loi.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur thématique, la Commission rejette les amendements SPE262 et SPE430.

La Commission en vient à l’amendement SPE1595 de M. Alain Tourret, rapporteur thématique, et des autres rapporteurs.

M. Alain Tourret, rapporteur thématique. Cet amendement vise à remplacer l’habilitation prévue au 1° de l’article 69 par un article insérant directement dans le code de commerce les dispositions nécessaires pour prévoir la désignation obligatoire d’un deuxième administrateur judiciaire et d’un deuxième mandataire judiciaire dans les procédures les plus importantes.

S’agissant des procédures de sauvegarde, cette obligation est prévue par un nouvel article L. 621-4-1 du code de commerce. Celui-ci précise que la nomination d’un second administrateur et d’un second mandataire est imposée dans deux cas : lorsque le débiteur possède un nombre d’établissements secondaires situés dans le ressort d’un tribunal où il n’est pas immatriculé au moins égal à un seuil fixé par voie réglementaire, ou bien lorsqu’il fait partie, en tant que société mère ou filiale, d’un groupe d’entreprises comprenant au moins trois sociétés à l’encontre desquelles une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire a été ouverte.

Dans les deux cas, l’obligation de désignation d’un second administrateur et d’un second mandataire ne s’appliquera que si le nombre de salariés et le chiffre d’affaires du débiteur ou de l’une des sociétés du groupe dépassent les seuils fixés par décret en Conseil d’État. S’il s’agit d’un groupe d’entreprises en difficulté, le second administrateur et le second mandataire seront, l’un et l’autre, communs au débiteur et aux sociétés du groupe concernées.

L’obligation de désignation d’un second administrateur et d’un second mandataire est rendue applicable, dans les mêmes conditions, aux procédures de redressement judiciaire par un renvoi de l’actuel article L. 631-9 du code de commerce au nouvel article L. 621-4-1. De même, elle est rendue applicable aux procédures de liquidation judiciaire par l’introduction d’un nouvel article L. 641-1-2 dans le code de commerce, lorsque les mêmes seuils seront franchis.

La sagesse commande souvent de désigner un deuxième administrateur et un deuxième mandataire. Cette possibilité existait déjà, mais elle n’était guère utilisée. Dans l’affaire de la SNCM, en particulier, le tribunal de commerce n’a pas jugé bon de désigner deux mandataires judiciaires. Il faut dire qu’un certain nombre de procureurs ne sollicitent même pas cette désignation. Il ressort de mes échanges avec l’ensemble du corps des administrateurs et des mandataires que la seule solution consiste à la rendre obligatoire dans certaines procédures.

Cette mesure n’entraînera aucun coût supplémentaire, puisque les honoraires des administrateurs et des mandataires lorsqu’ils dépassent certains seuils sont fixés par un magistrat de cour d’appel en considération des frais engagés et des diligences accomplies.

M. le ministre. Avis favorable.

M. Francis Vercamer. L’amendement du rapporteur thématique tend à réécrire l’article 69 dans son ensemble. S’il est adopté, notre amendement SPE913 tombera donc. Nous proposions que le deuxième mandataire judiciaire ait pour mission de trouver un repreneur pour l’entreprise. Les reprises se font, hélas, rares dans les procédures de redressement judiciaire et, à plus forte raison, de liquidation. Il nous paraît important de permettre à l’entreprise et aux salariés de poursuivre leur activité. Il faut limiter la « casse sociale » autant que possible.

Par ailleurs, j’avais déposé un autre amendement, déclaré irrecevable, qui visait à encadrer la période de liquidation, dans la mesure où celle-ci a tendance à durer très longtemps. Pendant cet intervalle, les fonds de commerce et les actifs se déprécient, ce qui induit une perte de moyens pour rembourser les fournisseurs et les créanciers chirographaires. J’aurais souhaité connaître l’avis du ministre sur ces deux points, de façon à pouvoir déposer éventuellement de nouveaux amendements pour la séance publique.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Monsieur le rapporteur thématique, je suis choqué que vous ne teniez pas compte des effets de seuil. Vous ne rendez la nomination d’un deuxième mandataire obligatoire que pour les entreprises qui dépassent certains seuils. Or j’ai été témoin du dépeçage d’entreprises qui comptaient quarante ou cinquante salariés : une fois que le mandataire judiciaire a vendu tous les actifs intéressants, plus personne ne veut reprendre ces entreprises. La nomination d’un deuxième mandataire serait utile pour toutes les entreprises. Quant à l’affaire de la SNCM, indépendamment du problème qu’a pu constituer l’absence d’un second mandataire, elle aurait mérité un dépaysement.

M. le président François Brottes. Il est souvent difficile de choisir entre le paiement des créances et la reprise de l’entreprise.

M. Gilles Lurton. Dans de nombreuses affaires, deux mandataires ont été désignés. Tel a été le cas pour l’entreprise Doux, et cela s’est très bien passé.

M. Jean-Yves Caullet. Monsieur le rapporteur thématique, monsieur le ministre, vous avez évoqué le détail de la procédure et les moyens, mais qu’en est-il des délais ? Il faut garantir une certaine réactivité. Les différentes transmissions que nous avons prévues ne risquent-elles pas d’alourdir la procédure, voire de retarder la prise de décision ?

M. Alain Tourret, rapporteur thématique. S’agissant de la procédure spécifique que j’ai prévue en cas de dépôt de bilan, il est précisé que la transmission du dossier est immédiate. En pratique, elle devrait donc être faite dans les vingt-quatre heures. Cela n’alourdira donc que peu la procédure.

M. le ministre. Je partage l’avis du rapporteur thématique : la transmission est immédiate, donc le coût de friction sera faible. D’autre part, avec des juridictions spécialisées qui développeront des compétences particulières, le traitement des affaires sera, en principe, plus rapide.

La Commission adopte l’amendement SPE1595.

L’article 69 est ainsi rédigé.

En conséquence, l’amendement SPE913 de M. Philippe Vigier tombe.

Article l’article 69 bis (nouveau) : Exercice salarié de l’exercice de l’activité d’administrateur judiciaire et de mandataire judiciaire

La Commission examine l’amendement SPE1801 de M. Alain Tourret, rapporteur thématique, et des autres rapporteurs, faisant l’objet d’un sous-amendement SPE1961 du Gouvernement.

M. Alain Tourret, rapporteur thématique. Il s’agit de permettre le recours au salariat pour l’exercice de l’activité d’administrateur judiciaire et de mandataire judiciaire, tout en veillant à la protection des salariés d’un point de vue déontologique. Ce sera un facteur de souplesse et de dynamisation pour les professionnels, notamment dans l’optique d’une future installation ou d’une association des jeunes diplômés qui aspirent à exercer ces professions. Au cours de nos travaux, nous avons déjà adopté des dispositions qui visent à aménager les voies d’accès à ces deux professions.

Aujourd’hui, il existe un déficit réel de professionnels, et le maillage du territoire se caractérise par de véritables déserts. En 2014, il y avait en France 311 mandataires de justice et 118 administrateurs judiciaires, ces derniers étant donc moins nombreux que les juridictions commerciales – on compte 134 tribunaux de commerce en métropole, 5 tribunaux mixtes de commerce dans les départements d’outre-mer et 7 chambres spécialisées en Alsace-Moselle.

Le statut de salarié permettra non seulement à de jeunes diplômés d’exercer dans la profession et de parfaire leur expérience, mais tendra aussi à créer un vivier de jeunes professionnels susceptibles de s’installer à leur tour.

M. le ministre. Avis favorable à l’amendement SPE1081, que je propose néanmoins de sous-amender, dans un souci de cohérence avec les dispositions que la Commission a adoptées il y a quelques jours en matière de salariat dans les offices publics et ministériels. Le sous-amendement SPE1961 du Gouvernement vise, d’une part, à limiter le nombre d’administrateurs judiciaires et de mandataires judiciaires salariés à quatre par titulaire et, d’autre part, à interdire les clauses de non-concurrence dans les contrats de travail de ces administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires salariés. S’agissant du nombre de salariés autorisés par titulaire, nous partons de situations très hétérogènes dans les différentes professions réglementées : un titulaire pour un salarié chez les huissiers, un pour deux chez les notaires, etc. Nous avons homogénéisé ce ratio en le relevant à un pour quatre dans toutes les professions. D’autre part, nous avons interdit les clauses de non-concurrence, afin de permettre à ces professionnels de s’installer et de s’associer librement.

M. Alain Tourret, rapporteur thématique. Avis favorable au sous-amendement SPE1961.

M. Gilles Lurton. Si le Gouvernement avait pris davantage d’arrêtés pour ouvrir des concours de mandataires judiciaires – il n’en a pris aucun ces dernières années –, ces professionnels seraient plus nombreux aujourd’hui.

La Commission adopte le sous-amendement SPE1961, puis l’amendement SPE1801 sous-amendé.

Section 3

Efficacité renforcée des procédures de sauvegarde, de redressement judiciaire, de rétablissement professionnel et de liquidation judiciaire

Article 70 A (nouveau) : Désignation facultative d’un second administrateur judiciaire ou d’un second mandataire judiciaire

La Commission est saisie de l’amendement SPE1596 de M. Alain Tourret, rapporteur thématique, et des autres rapporteurs.

M. Alain Tourret, rapporteur thématique. Cet article additionnel vise à compléter celui qui prévoit la désignation obligatoire d’un second administrateur judiciaire et d’un second mandataire judiciaire lorsque les procédures remplissent certaines conditions, notamment lorsque l’entreprise concernée dépasse les seuils d’effectif et de chiffre d’affaires prévus. Pour les procédures concernant des entreprises qui n’atteignent pas ces seuils, la désignation d’un second administrateur judiciaire et d’un second mandataire restera facultative. Il s’agit de la favoriser lorsque la procédure le justifie. Ainsi, en matière de redressement judiciaire, le tribunal pourra procéder à cette co-désignation soit d’office, soit à la demande du débiteur ou du créancier poursuivant. En matière de liquidation judiciaire, le tribunal pourra décider d’une co-désignation à la demande du débiteur ou du créancier poursuivant.

Cette modification s’inspire de celle qui a été opérée pour la procédure de délocalisation prévue à l’article R. 662-7 du code de commerce par le décret du 30 juin 2014 pris pour l’application de l’ordonnance du 12 mars 2014 portant réforme de la prévention des difficultés des entreprises et des procédures collectives.

Cet amendement me paraît de nature à répondre à la préoccupation que vous avez exprimée précédemment, monsieur Taugourdeau.

M. le ministre. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement SPE1596.

Article 70 : Cession forcée des parts sociales des associés ou actionnaires ayant refusé une modification du capital ou désignation d’un mandataire chargé de voter une augmentation de capital pour prévenir la disparition d’une société

La Commission adopte successivement les amendements rédactionnels SPE1611 et SPE1597 de M. Alain Tourret, rapporteur thématique, et des autres rapporteurs.

Elle examine ensuite l’amendement SPE1600 des mêmes auteurs.

M. Alain Tourret, rapporteur thématique. L’article 70 prévoit une procédure exceptionnelle, très importante pour la vie des affaires. Lorsqu’une entreprise d’au moins 150 salariés dépose le bilan, ce qui provoque un trouble économique grave pour le bassin d’emploi concerné, il faut se demander si une modification de capital de l’entreprise peut apparaître comme une solution pour l’éviter et permettre la poursuite de l’activité après cession totale ou partielle de l’entreprise.

Depuis la réforme Badinter de 1985, c’est la première fois que le législateur s’intéresse à la situation des créanciers. Le présent article leur permettra de prendre le pouvoir dans l’entreprise si le propriétaire ne répond pas aux exigences fixées par le plan de redressement.

La possible transformation d’une créance sur l’entreprise en une part de son capital constitue une innovation majeure qui recueille l’assentiment général. Cependant, le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État ont une approche restrictive de cette atteinte au principe de propriété. Aussi l’article pare-t-il aux objections en prévoyant, en cas de mise en œuvre de la procédure, une indemnisation juste et préalable des propriétaires, des certificats de garantie, mais aussi un délai pour que le propriétaire réponde aux exigences du plan de redressement.

L’innovation est si intéressante que j’ai reçu des demandes visant à ce qu’elle soit étendue. Le Conseil d’État a estimé que le seuil de 50 salariés était trop bas. Le Gouvernement propose donc de le fixer à 150. Mon amendement vise à l’établir à 100 salariés. Mais, au regard de la jurisprudence évoquée, ce seuil risque de mettre en péril cette solution novatrice et intéressante susceptible de donner une deuxième chance à l’entreprise. Aussi ai-je accepté d’y renoncer. À terme, cependant, il n’est pas douteux que nous nous orienterons dans cette direction.

L’amendement SPE 1600 est retiré.

La Commission adopte l’amendement de précision SPE1598 de M. Alain Tourret, rapporteur thématique, et des autres rapporteurs.

Elle est ensuite saisie de l’amendement SPE1599 des mêmes auteurs.

M. Alain Tourret, rapporteur thématique. Il est difficile d’établir qu’une modification de son capital soit « la seule solution » pour sauver une entreprise. Aussi l’amendement propose-t-il une rédaction moins restrictive : il suffirait d’établir qu’il s’agit d’« une solution ».

M. le ministre. Avis favorable.

Mme Karine Berger. Il s’agit en effet d’un article très important. S’il est bien mis en application, le redressement judiciaire pourra devenir une étape utile pour faire revivre une entreprise. Monsieur le ministre, quelles situations pourraient être débloquées par l’adoption de cette disposition, évitant une liquidation judiciaire ? Pouvez-vous nous donner des exemples concrets ? Y a-t-il des cas où les actionnaires d’une entreprise auraient bloqué la restructuration de sa dette ?

M. le ministre. Dans le cas de l’entreprise Arc International – qui n’est pas encore réglé –, cette procédure aurait bien facilité les choses. La famille qui en est propriétaire a eu, in fine, l’intelligence d’accepter de diluer ses parts de capital avec l’arrivée d’un fonds américain qui réinvestit à ses côtés, mais ce fut après un an de négociations difficiles. Un actionnariat familial peut parfois mettre une entreprise en danger plutôt que d’en ouvrir le capital. Le présent article consiste à faire primer l’intérêt des salariés et de l’entreprise sur celui des actionnaires historiques, quand le projet de société n’est plus porté par ces derniers.

La Commission adopte l’amendement SPE1599.

Puis elle en vient à l’examen de l’amendement SPE1601 de M. Alain Tourret, rapporteur thématique, et des autres rapporteurs.

M. Alain Tourret, rapporteur thématique. Cet amendement vise à introduire un délai de trois mois après le jugement d’ouverture du redressement judiciaire, afin de laisser aux actionnaires de l’entreprise concernée un délai pour proposer leur propre plan. Je suis en effet très sensible au fait qu’il faut donner des garanties au Conseil constitutionnel quant au maintien du droit de propriété. Les droits de l’actionnaire déjà présent dans l’entreprise seront ainsi préservés. Cela s’inspire à la fois de la procédure américaine et de la procédure allemande, la première permettant au débiteur de proposer un plan de réorganisation pendant 120 jours, à l’issue desquels les créanciers peuvent, si le plan ne paraît pas de nature à sauver l’entreprise, présenter des propositions concurrentes.

M. le ministre. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement SPE1601.

Puis elle en vient à l’amendement SPE480 de Mme Laure de la Raudière.

M. le ministre. Avis défavorable. La mesure s’applique quand les actionnaires n’assurent plus le fonctionnement de l’entreprise, soit qu’ils ne le veuillent plus, soit qu’ils ne le peuvent plus. Elle doit donc être également ouverte à des plans concurrents à celui du débiteur.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur thématique, la Commission rejette l’amendement SPE480.

Puis elle adopte successivement les amendements rédactionnels SPE1612 et SPE1602 à SPE1604 de M. Alain Tourret, rapporteur thématique, et des autres rapporteurs.

Elle en vient à l’amendement SPE1605 des mêmes auteurs.

M. Alain Tourret, rapporteur thématique. Cet amendement insère un nouvel alinéa qui améliore la coordination du droit de retrait des actionnaires minoritaires en cas de cession forcée avec le déroulement de la procédure, le droit de retrait s’exerçant simultanément à la cession forcée. Les intérêts de chacune des parties sont ainsi respectés.

M. le ministre. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement SPE1605.

Elle adopte ensuite l’amendement rédactionnel SPE1606 de M. Alain Tourret, rapporteur thématique, et des autres rapporteurs.

Puis elle examine l’amendement SPE1607 des mêmes auteurs.

M. Alain Tourret, rapporteur thématique. Cet amendement vise à préciser que, en l’absence de délégués du personnel, le tribunal entend le représentant des salariés élus par ces derniers en application du deuxième alinéa de l’article L. 621-4, qui est applicable au redressement judiciaire en application de l’article L. 631-9 du même code.

M. le ministre. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement SPE1607.

Puis elle adopte successivement les amendements rédactionnels SPE1608, SPE1609 rectifié et SPE1610 de M. Alain Tourret, rapporteur thématique, et des autres rapporteurs.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Je tiens à souligner le caractère novateur, rénovateur et révolutionnaire de la disposition que nous venons d’examiner. Elle met fin à l’irresponsabilité illimitée d’actionnaires récalcitrants aux plans de redressement. Elle s’avérera ainsi profitable à la vie des entreprises, et partant à la survie et à la création d’emplois.

La Commission adopte l’article 70 modifié.

Article 70 bis (nouveau) : Obligation de demander l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire dans les 45 jours suivant la cessation des paiements

La Commission examine l’amendement SPE1613 de M. Alain Tourret, rapporteur thématique, et des autres rapporteurs.

M. Alain Tourret, rapporteur thématique. L’article L. 631-4 du code de commerce impose au débiteur de demander l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire dans les quarante-cinq jours qui suivent la cessation des paiements.

Le non-respect de cette obligation peut entraîner une interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, prononcée par le tribunal, à l’encontre de tout débiteur qui a simplement omis de demander l’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, indépendamment du caractère fautif ou intentionnel, en vertu de l’article L. 653-8 du code de commerce.

La sanction infligée en cas de simple omission de bonne foi du débiteur est disproportionnée. Il est donc proposé de limiter cette sanction aux cas d’omission délibérée de la part du débiteur, afin de ne pas sanctionner le dirigeant négligent, qui aurait laissé s’écouler un délai de quarante-cinq jours.

M. le ministre. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement SPE1613.

Article 70 ter (nouveau) : Habilitation du Gouvernement à réformer les règles applicables au gage de meubles et au gage des stocks

Puis elle examine l’amendement SPE1964 du Gouvernement.

M. le ministre. L’amendement porte sur le gage des stocks. Les entreprises peuvent actuellement se financer grâce au crédit-bail, mais non, à la différence de ce qui se pratique en Allemagne, sur la base des stocks qu’elles détiennent – stocks de cuivre, de fer, etc. La section « Financement » du Conseil national de l’industrie, présidée par Mme Jeanne-Marie Prost, ancienne Médiatrice du crédit, plaide en faveur de ce mode de financement.

Le président de la République a annoncé, devant les Assises du financement, une réforme allant en ce sens. Il s’agirait cependant d’articuler deux régimes, celui du gage de meubles corporels et celui du gage de stocks, tous deux régis par des codes différents, à savoir le code civil et le code du commerce. Pour mener à bien cette opération délicate dans les meilleurs délais, le Gouvernement demande au Parlement de l’habiliter à légiférer en ce domaine par voie d’ordonnance. Le gage des stocks répondrait à un vrai besoin de financement des entreprises industrielles.

Mme Karine Berger. L’adoption de cet amendement aurait un impact sur la liquidation judiciaire et sur le redressement judiciaire. Le mécanisme envisagé est-il exclu, à l’instar du crédit-bail, de la suspension du paiement des créances en cas de liquidation judiciaire ? Conduirait-elle à ce que l’administrateur judiciaire, comme en Allemagne, puisse vendre lui-même les stocks au cours de redressement judiciaire ?

M. le ministre. Le texte s’inspire en effet du mécanisme du crédit-bail. Sur votre second point, nous travaillons à éviter une liquidation telle que celle que vous évoquez. Mme Prost a attiré notre attention sur ce sujet. Le Gouvernement a même envisagé – avant d’y renoncer pour ne pas bloquer le dispositif – de réformer le crédit-bail pour mieux protéger les entreprises. Nous voulons en tout état de cause éviter que les banques ne s’en prennent trop vite aux stocks, en préservant ce gage le plus longtemps possible d’une vente forcée.

M. le président François Brottes. Pareille vente ne fait en effet qu’accélérer la fin de l’entreprise.

Suivant l’avis favorable du rapporteur thématique, la Commission adopte l’amendement SPE1613.

TITRE III

TRAVAILLER

Chapitre Ier

Exceptions au repos dominical et en soirée

M. le président François Brottes. Au moment d’aborder la question du travail dominical, je propose aux membres de la Commission spéciale de l’ouvrir par une discussion générale, en amont de la discussion sur les articles et sur les amendements.

M. le ministre. Je salue l’esprit d’à-propos du président, qui nous fait commencer dans les premières minutes d’un dimanche le débat sur le travail dominical. Je signale cependant que, même si la réforme était adoptée, nous serions au-delà des critères définis pour le travail de soirée dans les zones touristiques internationales – ZTI.

M. le président François Brottes. Le projet de loi a trait au commerce, alors que l’Assemblée nationale ne fait bien sûr commerce que de démocratie.

M. le ministre. Le chapitre Ier du titre III du projet de loi comporte douze articles. Plutôt que de les détailler, j’exposerai les trois grands principes sur lesquels repose la réforme envisagée du travail dominical.

Premièrement, alors que cinq dimanches par an peuvent aujourd’hui être travaillés à la discrétion des maires, ce seraient douze dimanches qui pourraient à l’avenir être déclarés ouvrables, dont un minimum de cinq dans l’année.

Deuxièmement, la réglementation actuelle des zones touristiques et commerciales, trop hétérogène, serait simplifiée. Nous devons en effet garantir l’homogénéité des règles de compensation applicables au travail dominical. Selon l’INSEE, 29 % des Français travaillent le dimanche de manière régulière ou occasionnelle. Or de fortes disparités existent entre eux sous ce rapport : alors que, dans les zones commerciales, le salaire est doublé en cas de travail dominical, aucune compensation n’est prévue sur une base légale dans les zones touristiques. La réforme imposerait que, dans le commerce de détail, toute exception à la règle du repos dominical soit soumise à un accord de branche, d’entreprise ou de territoire qui définisse la compensation due aux salariés. Serait ainsi instauré le principe d’une compensation garantie à tous les salariés. Un délai de trois ans serait prévu pour la mise en œuvre, afin que les commerces déjà ouverts le dimanche en zone touristique puissent s’adapter et qu’il n’y ait pas de fermetures non désirées.

Au lieu de fixer le seuil minimal par la loi, le Gouvernement préfère en renvoyer la définition à des accords. Un doublement du seuil légal pourrait en effet défavoriser les petits commerces, qui sont souvent ceux que l’on cherche à protéger. Il ne serait pas non plus pertinent partout, notamment dans le secteur alimentaire – pour cette raison, il n’est d’ailleurs pas retenu aujourd’hui en zone touristique. Mieux vaut donc garantir des modes de compensation adaptés à la réalité économique et territoriale de chaque entreprise, par exemple dans le secteur alimentaire. Sans accord, l’ouverture dominicale n’est pas possible.

Troisièmement, le Gouvernement pourrait décider l’ouverture cinquante-deux dimanches par an dans les ZTI : elle serait ainsi possible, de vingt et une heures à minuit, là où, en raison de l’afflux de touristes ou d’hommes d’affaires, elle créerait de l’activité.

Pour résumer, la réforme vise à clarifier les règles de l’ouverture dominicale ; à laisser plus de latitude aux élus locaux en ce domaine ; à simplifier et à rendre plus ambitieuses les règles de compensation applicables ; à consacrer le principe du volontariat, même si son respect est difficile à vérifier in concreto ; à définir des ZTI. Telle est la philosophie d’ensemble du chapitre Ier du titre III.

M. Stéphane Travert, rapporteur thématique. De nombreux échanges ont eu lieu avec le Gouvernement, dont je salue la volonté d’écoute. Nous partons du principe que l’ouverture dominicale doit rester exceptionnelle, car le dimanche est un jour où l’on doit « faire société ». Mais il faut aussi considérer la réalité des territoires : qu’ils soient ruraux, urbains ou qu’il s’agisse de grandes métropoles, les modes de vie y varient.

La réforme repose sur trois piliers : la définition de zones ; des processus de décision clairs ; un nombre de dimanches d’ouverture. M. le ministre l’a rappelé, il ne saurait y avoir d’ouverture sans accord préalable. Le principe du volontariat s’impose, de même que l’idée selon laquelle l’ouverture dominicale doit être particulièrement favorisée là où elle crée de l’activité. Des propositions seront formulées pour que les représentants des territoires soient également intégrés dans le processus décisionnel : les élus, les municipalités, les établissements publics de coopération intercommunale – EPCI.

Il ne s’agit certes pas d’aller à l’encontre de la volonté des salariés ou des chefs d’entreprise, mais de trouver des accords là où l’activité peut se déployer, du fait d’une demande des consommateurs, tandis que le repos dominical reste le principe ailleurs. Nous allons examiner les articles relatifs à la définition des zones touristiques internationales, des zones touristiques et des zones commerciales, aborder la question du volontariat, des compensations et de l’extension des régimes dérogatoires à des secteurs tels que l’alimentation. Ce texte devrait pouvoir satisfaire tout le monde, en servant tant à la lutte contre le chômage qu’à la relance de la croissance. Les salariés pourront se retrouver dans un texte protecteur qui leur apportera garanties et compensations. Par le dialogue social au sein des entreprises, chacun doit pouvoir sortir de ces négociations sur un accord gagnant-gagnant.

Certes, des prises de position relevant de la posture ne sont pas à exclure. Je comprends qu’on puisse ne pas partager l’esprit du texte, mais j’aurai à cœur de démontrer qu’il va dans le sens de la justice sociale et qu’il est possible de libérer l’activité tout en protégeant les intérêts des salariés.

M. le rapporteur général. Je pressens une hausse de l’Audimat en cette heure matinale, certains ayant voulu faire croire que le projet de loi Macron se résumait au choix du nombre de dimanches où les commerces de détail pourraient ouvrir. Son ambition est pourtant plus vaste et ses dispositions forment un tout cohérent qui embrasse un grand nombre de domaines de la vie sociale. Il vise à aérer des professions, à assouplir des rigidités et à dynamiser notre économie. Mais, puisque le travail dominical focalise l’attention, il faut éviter à son sujet tout faux débat.

Tout l’enjeu est de gagner à la fois en efficacité économique et en progrès social. Aujourd’hui, les règles relatives à l’ouverture dominicale sont si confuses et contradictoires qu’il est difficile de comprendre comment s’organise la vie sociale de ceux qui doivent travailler le dimanche. Le ministre a rappelé les règles fondamentales de la réforme : le volontariat, pas d’ouverture sans accord, des compensations. Au cours des nombreuses auditions qu’a conduites Stéphane Travert, il est apparu que le commerce électronique a changé les règles de la consommation contemporaine. Parallèlement, les élus locaux ont bien du mal à relancer le petit commerce, qui fait vivre le cœur de nos communes. Enfin, nous voulons que notre débat débouche sur des règles lisibles, efficaces et justes.

M. Jean-Frédéric Poisson. La loi sur le travail dominical que le Gouvernement veut faire évoluer a bientôt six ans. Certes, elle n’est pas parfaite – peut-on dire d’une seule loi qu’elle le soit ? Lorsque le Parlement en avait débattu, j’avais été de ceux qui avaient œuvré pour en réduire les ambitions initiales. La discussion, longue et vive, avait permis d’atteindre un équilibre qui constituait un point d’arrivée, et non un point de départ pour des changements ultérieurs.

Il était apparu que des situations locales méritaient d’être clarifiées par la loi, alors qu’elles ne l’étaient que par des arrêtés préfectoraux dont la légalité était contestée devant tous les tribunaux de France, ce qui exposait à de lourdes amendes les entreprises qui avaient eu le tort de croire que les arrêtés les protégeaient. Il avait également semblé que, dans beaucoup d’endroits, il était nécessaire d’étendre les possibilités alors ouvertes par la loi qui prévoyait de manière laconique que « le repos hebdomadaire est donné le dimanche ». Tous les éléments du débat furent examinés entre les premières réflexions de septembre 2007 et l’adoption de la loi à l’été 2009. Ces éléments n’ont pas varié : principe du volontariat, potentiel de croissance de l’activité en cas d’ouverture plus fréquente, étendue des zones dérogatoires, compensations, sort des accords en vigueur, incidence sur les contrats de travail. À l’époque, j’avais prôné, en vain, une solution qui s’appuie sur le dialogue social et territorial, seul à même d’apporter une réponse adaptée aux besoins d’un bassin d’emploi, à la différence d’une solution législative. J’ai néanmoins voté la loi.

À l’époque, comme aujourd’hui, plusieurs questions restaient en suspens. Quel impact une telle réforme peut-elle avoir sur la vie des familles ? Cette incertitude nous avait conduits à adopter un dispositif sans doute moins offensif que ne l’auraient souhaité certains d’entre nous. Quant au potentiel de croissance qui se libérerait grâce à des ouvertures dominicales, il est tout sauf certain. Si j’en crois les déclarations des représentants des grands groupes de magasins de bricolage, qu’un décret autorise depuis un an à ouvrir le dimanche, il n’y aurait pas de réel intérêt pour eux à le faire, à moins que les commerces voisins ne le fassent aussi. De même, de grandes entreprises refusent l’ouverture dominicale, qui leur coûterait plus d’argent qu’elle ne leur en rapporterait. Enfin, comment croire que serait dépensé le dimanche l’argent qui n’est pas dépensé pendant la semaine ? L’état de crise aigu que nous connaissons, encore accentué par rapport à 2009, n’a pas changé la donne.

Par ailleurs, je ne connais pas d’élus qui se soient plaints que les commerces ne puissent ouvrir dans leur commune. À Nice, à Biarritz, à Bordeaux, les commerces peuvent ouvrir dix, quinze, voire vingt-cinq dimanches par an, en fonction des besoins locaux. Conformément à l’esprit de la loi de 2009, ce sont les élus qui sont à l’origine de la demande visant à obtenir que le seuil de cinq dimanches soit relevé sur un territoire donné. C’est d’ailleurs ce verrou local qui avait convaincu certains d’entre nous que, le pouvoir des élus locaux et des assemblées délibérantes étant respecté, nous pouvions accepter le dispositif. Si le problème ne se posait pas de manière aiguë à Paris, nous n’aurions pas eu à en débattre de nouveau. Je n’irai pas jusqu’à dire que, ce faisant, on prend le Parlement en otage pour des raisons de querelles internes à la majorité, qui ne nous regardent pas.

Nous avons entendu les organisations professionnelles. Les seules qui se soient montrées favorables à un élargissement de l’ouverture dominicale sont les grandes enseignes implantées dans des lieux où les touristes affluent. C’est loin de concerner les 36 000 communes de France.

Notre groupe suivra avec intérêt les échanges entre les groupes de la majorité. Nous poserons sur les ZTI un regard qui n’aura rien de malveillant, mais nous nous en tiendrons pour le reste à l’esprit de la loi de 2009. Du reste, c’est dans l’hémicycle que se conclura le débat, après des échanges dont on peut prévoir – en constatant quelques écarts statistiques entre la composition de l’Assemblée et celle de notre commission spéciale – qu’ils seront plus animés en séance publique qu’ils ne l’auront été en commission.

M. Jean-Louis Bricout. Élu du nord de l’Aisne, en Picardie, je constate combien le tourisme peut être peu développé dans un territoire dont les habitants n’ont pas, quant à eux, le pouvoir d’achat qu’ils souhaiteraient. Aussi l’ouverture des magasins le dimanche n’y favoriserait pas une augmentation du chiffre d’affaires du petit commerce, mais ferait au contraire, au détriment des bourgs centres, la part belle à une grande distribution, qui exerce une forte pression tant sur les agriculteurs que sur ses petits fournisseurs.

Dans ces circonstances, pourquoi inciter les commerces à ouvrir le jour où les charges sont le plus élevées ? Comment pareille mesure s’articule-t-elle avec la démarche qui a inspiré le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi – CICE –, censé restaurer les marges des entreprises ?

Le commerce électronique profite des achats d’impulsion. L’achat dominical se portera quant à lui plus naturellement sur l’équipement de la maison, alors que l’achat de première nécessité se justifie moins ce jour-là. Quel est l’intérêt de pouvoir acheter sa sauce tomate le dimanche ? D’autres choix s’ouvrent à la famille ce jour-là ! L’ouverture dominicale aurait également une incidence sur le monde associatif, qui peine à trouver des bénévoles. Dans le petit commerce, où les entreprises ne comptent que deux ou trois salariés, l’indemnisation pourra également poser des difficultés. Au cours de l’examen des amendements, j’interviendrai enfin sur le périmètre des autorisations d’ouverture.

M. Patrick Hetzel. Je suis favorable à une souplesse accrue dans les zones touristiques, là où c’est justifié. Mais la possibilité d’ouvrir douze dimanches par an risque d’introduire des distorsions entre les catégories de commerce. L’ouverture dominicale autorisée par les maires n’irait pas sans contrepartie, si la loi était adoptée. Elle profiterait avant tout à la grande distribution qui s’arrogera ainsi de nouvelles parts de marché. Aussi me semble-t-il hypocrite ou illusoire d’invoquer le recours à des accords collectifs pour fixer des contreparties, alors que la loi fixera la compensation par défaut si ces accords ne voient pas le jour. Drôle de conception du dialogue social, d’autant plus surprenante qu’elle est celle d’un gouvernement de gauche !

La réforme du travail dominical porterait un coup dur au commerce de proximité, car il détruirait des emplois actuellement pérennes tout en mettant à mal le lien social. L’activité économique s’en trouverait déstructurée et dénaturée. Croyez-en un élu alsacien : en Allemagne, pays économiquement très performant, l’ouverture dominicale est réglementée de manière très restrictive. Il est donc faux d’établir une corrélation entre la performance économique d’une nation et l’ouverture dominicale. Se pose en outre la question de l’articulation entre la vie professionnelle, la vie familiale et la vie sociale. Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes a tiré la sonnette d’alarme, car ce sont les femmes qui sont en première ligne dès qu’il faut ouvrir un magasin le dimanche.

Quelle belle affaire que l’ouverture dominicale ! Faisant tout au plus naître de nouvelles frustrations chez nos concitoyens, elle n’apporterait pas de pouvoir d’achat supplémentaire. Telle est pourtant la question essentielle. Le présent projet de loi n’y apporte aucune réponse probante.

Mme Jacqueline Fraysse. Parce qu’il est un acquis social essentiel, le repos dominical doit rester un principe de notre droit. Le dimanche est le seul jour de repos commun à tous ; il y va donc de la cohésion sociale, du lien social. Au demeurant, on a tout de même autre chose à faire le dimanche qu’arpenter les allées des centres commerciaux en famille ; les activités sportives, associatives et culturelles sont plus enrichissantes et doivent être développées.

Je veux dire un mot des femmes, qui sont particulièrement concernées. De plus en plus nombreuses à élever seules leurs enfants, elles doivent donc, lorsqu’elles travaillent le dimanche, trouver une personne qui accepte de les garder, une personne qu’elles paieront du reste plus cher ce jour-là. Je pense également à leur sécurité, lorsqu’elles rentreront chez elles à minuit, après avoir travaillé en soirée.

Le groupe GDR veillera donc, au cours de ce débat, à limiter le plus possible le travail dominical afin qu’il ne soit pas banalisé.

J’en viens au contenu même du texte. Bien entendu, nous ne sommes pas hostiles à la modification du périmètre actuel des zones commerciales, mais les critères fixés dans le texte nous paraissent extrêmement flous. En outre, les élus, pourtant directement concernés, n’auront aucun pouvoir de décision. En matière de compensations, nous partageons l’objectif qui consiste à garantir leur homogénéité pour tous les salariés travaillant le dimanche, mais la rédaction actuelle du texte ne le permet pas. Nous estimons à cet égard que la loi aurait dû encadrer davantage la négociation collective, en définissant une compensation minimale. Quant aux arguments concernant la relance de l’économie et les créations d’emploi, ils nous laissent très dubitatifs, d’une part, parce que le pouvoir d’achat, qui ne se porte pas très bien depuis quelques années, n’est pas extensible et, d’autre part, parce qu’on n’observe aucune corrélation entre performance économique et travail du dimanche.

M. Francis Vercamer. En préambule, je veux saluer l’exploit du ministre, qui s’exprime au nom d’un gouvernement qui compte dans ses rangs Mme Marisol Touraine et MM. Christian Eckert et Alain Vidalies, tous opposés au travail du dimanche il y a cinq ans. Sur le fond, le groupe UDI étant assez partagé, je m’en tiendrai aux principes qui constituent le socle de notre position commune.

Premièrement, il faut prendre en compte la réalité des territoires – zones touristiques, zones frontalières… –, ce qui exclut un dispositif défini de manière homogène au plan national. Deuxièmement, le travail dominical doit reposer sur le volontariat et donner lieu à une compensation suffisante, équitable et définie dans le cadre du dialogue social. Troisièmement, les décisions d’ouverture dominicale doivent revenir aux élus locaux, précisément pour que soient prises en compte les réalités de terrain.

Sur la base de ces principes, nous avons déposé un certain nombre d’amendements par lesquels nous vous proposerons notamment de créer des zones frontalières sur le modèle des zones touristiques. Il s’agit de permettre à certaines villes de rivaliser avec les communes frontalières voisines où les commerces sont ouverts le dimanche et d’éviter ainsi, pour les commerçants français, une perte de chiffre d’affaires. J’en parle en connaissance de cause, car, élu du Nord, je constate que nos concitoyens se rendent le dimanche dans les communes belges situées à la frontière de la métropole lilloise, où les commerces sont ouverts.

Nous souhaitons également que la rémunération soit au minimum doublée, ce qui ne représenterait qu’un gain de salaire mensuel de 20 % pour le salarié qui travaillerait cinq dimanches par mois. Par ailleurs, nous tenons à ce que le travail dominical repose sur le volontariat. Enfin, afin d’éviter une concurrence déloyale entre les communes membres d’un EPCI, nous proposons que celui-ci puisse décider du nombre de dimanches ouverts, chaque maire étant ensuite libre de choisir ceux qui le seront sur le territoire de sa ville.

Sachant que la discussion en séance publique peut réserver des surprises, nous attendrons qu’elle ait eu lieu pour nous prononcer sur cette partie du texte.

Mme Monique Rabin. Je ne suis pas « fan » du travail dominical, mais force est de constater que, en ce début du XXIsiècle, la question du temps est devenue très prégnante. Ainsi, après avoir réformé les rythmes scolaires, nous nous penchons sur le travail du dimanche. Il s’agit d’une évolution profonde de la société, dont l’enjeu est peut-être beaucoup plus important que nous ne le pensons.

Je suis élue d’un département, la Loire-Atlantique, qui a résisté avec succès à l’ouverture des commerces le dimanche, bien que, en périphérie de Nantes, la concentration des hypermarchés soit une des plus élevées de France. Néanmoins, je sais que certains blocages entravent le développement de notre économie et qu’il nous faut prendre en compte certaines mutations, notamment le développement du commerce sur internet et l’apparition de nouveaux modes de livraison, qui ont été mises en lumière au cours d’auditions fort intéressantes.

Je veux souligner l’important travail réalisé par nos rapporteurs, Stéphane Travert et Richard Ferrand, ainsi que le dialogue noué avec le ministère. Je me félicite des avancées, dont certaines restent à confirmer, obtenues en matière de compensation, de travail en soirée et de responsabilité des élus locaux ; je pense également à la suppression de l’ouverture de droit de cinq dimanches par an, à laquelle j’attache une importance particulière. Je suis convaincue que le travail du dimanche ne sera jamais banalisé. À cet égard, le zonage est très important, car il permettra d’identifier les territoires où les ouvertures dominicales sont utiles au plan économique et de réaffirmer la liberté des élus locaux.

En revanche, deux points me laissent dubitative. Tout d’abord, le volontariat est, selon moi, un leurre, compte tenu des liens de subordination qui caractérisent le monde du travail. Ensuite, nous devrons nous pencher sur la réorganisation des temps sociaux ; la question des transports ou celle des modes de garde d’enfants pour les personnes travaillant la nuit, par exemple, se poseront très rapidement. Enfin, Dominique Potier, Christophe Sirugue et moi-même contestons le dogme des douze dimanches incompressibles ; nous proposerons donc que puissent être comptabilisés les jours fériés existants. En conclusion, je remercie le Gouvernement, car le dialogue a été constructif, mais il reste beaucoup à faire.

M. Jean-Louis Roumegas. La loi n’est pas encore votée que déjà nous en enfreignons les règles, puisque notre discussion, qui débute un dimanche, n’a été précédée d’aucun accord préalable et que nous ne bénéficierons d’aucune compensation. (Sourires.) Il est vrai, néanmoins, que nous sommes tous volontaires pour participer à ce débat. En dépit des très mauvaises conditions dans lesquelles il est organisé – le Gouvernement nous imposant de discuter dans un délai réduit d’un texte long qui aborde de nombreux sujets différents –, nous sommes présents ce soir, car nous entendons résister et nous battre contre un projet néfaste qui non seulement n’apporte rien sur le plan économique, mais marque un véritable recul pour les salariés de notre pays.

Car le ministre nous a fait une présentation quelque peu idyllique de son projet. Premièrement, la loi permettra aux maires de disposer du pouvoir d’autoriser le travail non plus cinq, mais douze dimanches par an, cinq dimanches étant ouverts de droit. En conséquence, non seulement la situation variera selon les villes en fonction de la philosophie du maire, mais les communes d’une même agglomération pourront se livrer une concurrence qui n’est pas de bon aloi. Deuxièmement, le ministre a insisté sur l’aspect positif de l’harmonisation des compensations, qui marque un progrès pour les salariés. Cela sera certainement vrai pour ceux travaillant dans les zones touristiques, puisqu’ils en sont actuellement privés ; en revanche, c’est plus douteux pour les salariés des zones commerciales, puisque les compensations, qui étaient jusqu’alors fixées par la loi, dépendront désormais d’accords de branche, dont rien ne dit qu’ils seront plus favorables. Surtout, les périmètres d’usage de consommation exceptionnelle – PUCE –, limités aux communes de plus de 1 million d’habitants, seront remplacés par des zones commerciales qui pourront concerner toutes les communes. Enfin, et c’est peut-être le plus grave, le Gouvernement propose de créer des zones touristiques internationales où, nous dit le ministre, l’ouverture dominicale des commerces créerait un surcroît d’activité. Il reconnaît donc a contrario que, dans les autres zones, le développement du travail du dimanche n’entraînera qu’un transfert d’activité… Au demeurant, beaucoup contestent que le travail dominical crée un surcroît d’activité dans les ZTI. En tout état de cause, le Gouvernement souhaite non seulement y imposer le travail tous les dimanches, mais aussi y étendre le travail de nuit, qui plus est contre l’avis, le cas échéant, des maires ou des présidents d’EPCI.

Ce texte, en étendant largement le travail dominical et le travail de nuit, n’est pas conforme aux choix de société que défend le groupe écologiste. Comment accepter en effet que certaines catégories de la population n’aient d’autre choix que de travailler ou, faute d’avoir accès à la culture, de consommer ? Pour nous, ce n’est pas un progrès. Le texte marque en outre un recul du droit du travail. Ainsi, les heures travaillées entre 21h00 et minuit n’étant plus considérées comme du travail de nuit, elles ne pourront pas être comptabilisées dans le compte pénibilité. Pourtant, le travail de nuit est un problème de santé publique, puisqu’il est démontré qu’il augmente notamment le risque de cancer, notamment chez les femmes, particulièrement concernées par ces horaires.

Du reste, je rappelle que l’ensemble des syndicats de salariés sont opposés à l’extension du travail du dimanche et du travail de nuit et que la CGPME se montre très réservée en raison des risques que présente le texte pour le petit commerce. Enfin, faut-il rappeler que le parti socialiste lui-même s’opposait encore récemment à ce projet lorsqu’il était défendu par Nicolas Sarkozy ainsi qu’à la proposition de Mme Kosciusko-Morizet visant à étendre le travail de nuit ? Selon moi, il y a plus grave que les prétendues postures dénoncées tout à l’heure par M. le rapporteur : ce sont les impostures !

M. le président François Brottes. Je vous laisse la responsabilité de vos propos, monsieur Roumegas.

Mme Sandrine Mazetier. Monsieur le ministre, les objectifs de ce chapitre, qu’il s’agisse de rationaliser la législation applicable à l’ouverture dominicale des commerces ou d’homogénéiser les règles en matière de compensation, sont tout à fait louables et, je crois, partagés par la majorité des membres de la Commission spéciale. Toutefois, la création de zones touristiques internationales paraît en contradiction avec cette démarche, puisqu’il s’agit tout de même d’y autoriser l’ouverture des commerces cinquante-deux dimanches par an et d’y généraliser le travail de nuit – le « travail en soirée », qui a été évoqué, étant une notion inconnue du droit du travail.

Puisque Jean-Frédéric Poisson a fait allusion aux propos que nous avions tenus sur la loi Mallié, je veux lui rappeler que le Conseil constitutionnel a censuré celles de ses dispositions qui concernaient Paris. En effet, la capitale n’est pas un territoire offshore ! Je m’étonne par ailleurs que notre collègue considère avec bienveillance la création des ZTI : les familles, qui sont pour lui un sujet de préoccupation, en particulier les familles franciliennes, apprécieront le peu de cas qu’il fait de l’impact qu’aura sur leur vie la généralisation du travail dominical et du travail de nuit.

Enfin, je ne peux pas ne pas citer, sans démagogie aucune, un extrait du communiqué de l’intersyndicale du Printemps intitulé « L’ouverture dominicale de la honte » : « Le dimanche 11 janvier 2015, le Printemps, les Galeries Lafayette et le Bon Marché ouvraient leurs portes au public sur autorisation préfectorale à l’occasion du premier dimanche des soldes, faisant voler en éclats une fois de plus le principe du volontariat en imposant cette ouverture dominicale […] qui a privé des milliers de salariés des grands magasins de la possibilité de participer à cette marche du rassemblement pour la liberté. » Le dimanche n’est pas un jour tout à fait comme les autres : il peut être consacré à la vie de famille, certes, mais aussi à la citoyenneté, et nous devons en tenir compte. Sur ces différents sujets, je défendrai des amendements qui, je l’espère, permettront d’obtenir des avancées.

Mme Véronique Louwagie. Monsieur le ministre, parmi les arguments que vous avez exposés pour justifier les dispositions de votre texte relatives au travail dominical, vous avez cité la simplification et l’harmonisation de la réglementation, les attentes des consommateurs et du monde économique. En revanche, vous n’avez évoqué ni la croissance ni l’activité, qui figurent pourtant dans le titre de votre projet de loi ; cela me laisse perplexe.

Si ce débat passionne les Français, c’est parce que le dimanche n’est pas un jour comme les autres : il est consacré à la vie familiale, aux amis, au repos, y compris pour les enfants, dont l’emploi du temps a été modifié par la réforme des rythmes scolaires. Mais le monde change et il nous faut tenir compte de ces évolutions ; je pense au développement du commerce électronique, à la situation particulière des zones frontalières et à l’importance du commerce touristique dans les capitales. Cependant, votre texte suscite l’inquiétude sur trois points.

Tout d’abord, il est important que les salariés travaillant le dimanche puissent bénéficier de compensations, mais je crains qu’en leur imposant cette charge supplémentaire, on n’aggrave encore les difficultés des très petites entreprises et des commerces ruraux. Ensuite, vous avez indiqué que l’ouverture dominicale sera soumise à la conclusion d’un accord de branche qui devra intervenir dans un délai de trois ans. Or on sait que la loi de sécurisation de l’emploi de juin 2013 comporte un dispositif similaire – puisqu’elle renvoie aux branches la possibilité de déroger au plancher de vingt-quatre heures en matière d’emploi à temps partiel – et que très peu d’accords ont été conclus, les négociations étant bloquées. Enfin, puisqu’il est prévu que les nouvelles zones commerciales seront délimitées ou modifiées par le préfet de région sur proposition des élus locaux après consultation de différents acteurs, pouvez-vous nous dire quelles directives seront données aux préfets de région ?

M. Jean-Luc Laurent. Monsieur le ministre, une remise à plat de la législation actuelle en matière de travail dominical s’imposait, tant il est difficile de s’y retrouver. Toutefois, je suis très réservé sur le dispositif que vous nous avez présenté, car il aboutira à une généralisation de l’ouverture des commerces le dimanche, que je considère comme une concession à l’air du temps et à un libéralisme dépassé. Non seulement votre texte conduira nécessairement à une déréglementation accrue, mais il mettra à mal la cohésion sociale. Il importe en effet que certains jours ne soient pas travaillés pour permettre à nos concitoyens d’avoir une vie civique, une vie sociale, une vie familiale. En outre, il conforte la société de consommation et, faute d’amélioration du pouvoir d’achat, il favorisera les grandes surfaces au détriment du commerce de proximité, qui souffre particulièrement de la dépression économique actuelle. Par ailleurs, la majorité de progrès que, je l’espère, nous formons encore doit penser aux salariés concernés et à leurs conditions de travail. Or les études nous montrent que ce sont surtout des femmes et des jeunes qui travaillent le dimanche, et qu’il s’agit souvent de « petits boulots ».

S’il est nécessaire de revoir la réglementation applicable au travail dominical, celui-ci doit demeurer exceptionnel et il doit être assorti de protections et de contreparties nettement plus importantes que celles qui sont prévues dans le texte qui nous est soumis.

Mme Karine Berger. Il est d’autant plus difficile de modifier la réglementation relative aux exceptions au repos dominical que, après un accouchement douloureux, cette réglementation avait fini par s’appliquer dans le cadre d’un dispositif équilibré qui faisait l’objet d’un consensus. Or, si nous abordons cette discussion avec le sentiment que, pour des raisons étrangères à la Commission spéciale, voire à l’Assemblée, il est impossible de remettre en question un chiffre figurant dans le texte du Gouvernement, il est à craindre que nous ne parvenions pas à prolonger ce consensus pourtant indispensable. À ce propos, je crois avoir compris que les orateurs qui m’ont précédée étaient tous d’accord pour que le travail dominical demeure une exception. Comment peut-il en être ainsi s’il est désormais possible de travailler douze dimanches par an, soit un quart des dimanches de l’année ?

M. Sébastien Huyghe. Il est heureux pour la majorité que les principaux acteurs de ce texte, c’est-à-dire les deux rapporteurs et le ministre, n’aient pas été parlementaires sous la législature précédente, car ils auraient pu être pris en flagrant délit de contradiction. Au reste, en écoutant les rapporteurs évoquer les zones touristiques internationales, le pouvoir des élus locaux, la règle du volontariat ou les compensations salariales, je me demandais s’ils n’avaient pas plagié le discours du rapporteur de la loi de 2009.

Au cours de la discussion, nous serons peut-être d’accord sur certains points, en désaccord sur d’autres, mais la véritable question qui se pose est celle de savoir s’il était vraiment nécessaire de relancer ce débat, alors qu’on avait fini par aboutir à un certain consensus. Si l’on rouvre ainsi la boîte de Pandore, n’est-ce pas parce que ce texte est le seul moyen qu’a trouvé le Gouvernement pour tordre le bras aux élus locaux qui, au sein même de la majorité, ne jouent pas le jeu de la loi de 2009 ?

M. Gilles Savary. Il ne vous étonnera pas qu’un élu du Sud-Ouest, où un grand nombre d’activités païennes se pratiquent le dimanche – la corrida, le rugby, la chasse – ne soit pas un partisan acharné du travail dominical. Cependant, je voudrais dédramatiser le débat en rappelant que le travail du dimanche est, hélas peut-être, très commun et que le premier employeur à le pratiquer est public – je pense notamment au secteur des transports.

Par ailleurs, reconnaissons que les choses ont évolué très vite. Tout d’abord, il est un type de commerce qui est ouvert cinquante-deux dimanches par an, c’est le commerce en ligne ; il connaît un développement considérable aux dépens du commerce d’établissement qui anime nos villes. C’est pourquoi si ce texte peut contribuer à réarmer ce dernier, nous ne devons pas nous en priver, tout en restant très mesurés. Ensuite, nous avons l’opportunité, grâce à la fréquentation par des étrangers de plus en plus nombreux et argentés de la capitale et de certaines villes de province, de profiter de la mondialisation sans recourir aux délocalisations. Ainsi, Bordeaux – peut-être faut-il ici rendre hommage à un éminent membre de l’opposition – est beaucoup plus animée depuis qu’une ouverture mesurée des commerces y est autorisée le dimanche. Quant aux zones frontalières, nous avons été étonnés de constater que les fameuses ventas espagnoles avaient résisté au désarmement douanier ; elles ouvrent désormais le dimanche et fragilisent les commerces des villes du Sud-Ouest. Nous devons donc nous pencher sur ce phénomène, qui se traduit par une perte de chalandise.

M. Jean-Luc Laurent. Que fait l’Europe ?

M. Gilles Savary. Elle ne les interdit pas ; le principe de subsidiarité, auquel je vous sais très attaché, mon cher collègue, permet en effet aux États membres de conserver leur souveraineté dans de nombreux domaines.

Pour le reste, étant de ceux qui pensent que la chalandise et le chiffre d’affaires sont limités par le pouvoir d’achat, je suis favorable à une très grande souplesse. Autant il me semble que l’ouverture des commerces le dimanche dans les grandes zones touristiques profite à tout le monde – notamment aux établissements de province des Galeries Lafayette, par exemple –, autant je pense qu’il ne faut pas faire de « prêt-à-porter » pour certaines villes de province où elle pourrait profiter aux grandes enseignes aux dépens du petit commerce. En conclusion, il me paraît nécessaire de toiletter le dispositif, et les compensations prévues sont bienvenues.

Mme Colette Capdevielle. La société change. Comment vit-on en 2015 ? Permettez-moi de vous raconter un dimanche ordinaire en province. Quand je me lève, je suis bien contente de trouver le journal dans ma boîte aux lettres, où quelqu’un l’a déposé à sept heures du matin. Pour préparer le petit-déjeuner, je vais acheter des croissants, des chocolatines et du pain frais à la boulangerie, qui est ouverte. Puis je me rends à la piscine, où un agent m’accueille et où un maître-nageur surveille les bassins. En sortant, je rencontre une amie avec qui je vais boire un café : la cafétéria est ouverte. À l’heure du déjeuner, je m’aperçois que je n’ai plus de tomates pour préparer ma piperade ; je vais donc au restaurant, en famille. Puis, avant de rendre visite à des amis, je m’arrête, pour ne pas arriver les mains vides, chez le fleuriste et à la pâtisserie. En fin d’après-midi, j’emmène mon fils, qui étudie à Bordeaux, à la gare ; elle est ouverte, de même que le guichet, où j’achète un billet. Et je m’aperçois que le conducteur et les contrôleurs travaillent également. Et pourtant, nous sommes un dimanche ! On dit aussi que cette journée devrait être réservée aux activités culturelles ou sportives. De fait, pour que le cinéma, le théâtre, le musée, la salle de concerts et le stade de rugby soient ouverts le dimanche, il faut bien que des personnes y travaillent. Enfin, après une telle journée, j’ai mal à la tête et je suis bien contente de trouver une pharmacie ouverte…

Soyons raisonnables et réalistes ; il n’est pas forcément question d’aller pousser des caddies dans les supermarchés. Regardons le monde tel qu’il est : toutes et tous, nous nous réjouissons que ces commerces ou ces services soient ouverts pour nous permettre de passer des dimanches agréables. Aussi voterai-je toutes les dispositions qui nous sont proposées, car la société change et la législation doit accompagner ces évolutions. J’ajoute que le Gouvernement prévoit des compensations qui n’existent pas actuellement, et je regrette que cette innovation n’ait pas été relevée par d’autres.

M. Jean-Yves Caullet. De l’ensemble des interventions, que j’ai écoutées avec beaucoup d’attention, chacun peut conclure que le sujet est complexe et qu’il faut se garder de tout simplisme outrancier. Jean-Frédéric Poisson a parlé du texte qui avait été adopté en 2009 après des débats animés comme d’un point d’arrivée. Depuis, les choses ont évolué. Le commerce en ligne s’est développé, les pratiques des touristes en matière de consommation se sont intensifiées, l’évasion commerciale s’est amplifiée dans les zones frontalières et ailleurs, et l’organisation de nos territoires a évolué, avec la généralisation des intercommunalités et les pôles d’équilibre. Il me semble donc tout fait légitime de revisiter la question, et nous serons sans doute amenés, dans les prochaines années, à y revenir encore et à définir une série de points d’équilibre successifs dont aucun ne sera définitif.

Je suis sensible au récit qui vient de nous être fait d’un dimanche en province. Pensons en effet à ceux qui travaillent déjà le dimanche ; ils pourraient ressentir certains propos sur les difficultés du travail dominical comme l’expression, sinon d’un dénigrement, du moins d’un apitoiement. Le travail du dimanche concerne tout le monde, comme l’a rappelé Mme Fraysse. J’ai moi-même travaillé dans une entreprise de transport qui fonctionnait 365 jours par an, où la question que l’on se posait était celle du nombre de dimanches libres dont on pourrait disposer…

Le projet du Gouvernement ne vise ni à généraliser le travail du dimanche, puisqu’il concerne des secteurs particuliers, ni à le banaliser, puisqu’il demeure une exception.

Nous abordons ce débat en ayant en tête un certain nombre de principes. Tout d’abord – et cette exigence est dans notre ADN –, les efforts demandés doivent être compensés et le principe du volontariat respecté, même si nous savons ce qu’il en est des rapports de force dans le monde du travail. Ces compensations, qui doivent être inspirées par le principe de justice, seront définies dans le cadre du dialogue social. Certains d’entre nous seront sans doute tentés de préciser l’ensemble des autres points qui devraient faire l’objet d’un accord : travail des femmes, gardes d’enfant, transport, etc. Nous en discuterons au cours du débat. Ensuite, il est nécessaire de faire en sorte que l’ensemble des salariés, qui se trouvent dans des situations très différentes, soient traités de la manière la plus égale possible. Par ailleurs, ce texte vise à favoriser l’activité ; à cet égard, nous devons saisir les occasions qui se présentent – mais je crois que ce point fait l’objet d’un consensus. Enfin, les décisions doivent être décentralisées, plus transparentes et assurer une meilleure cohérence territoriale.

Le groupe SRC sera attentif à ces quatre principes ; il adoptera une position constructive et ne doute pas que le Gouvernement saura, avec l’apport des rapporteurs, faire preuve d’ouverture pour que nous puissions aboutir à un nouveau point d’équilibre. Quant à nous, nous nous efforcerons d’éviter le simplisme abusif auquel je faisais allusion au début de mon propos.

M. le président François Brottes. Mes chers collègues, il me paraissait important de ne pas interrompre cette discussion dans laquelle chacun a pu s’exprimer sans limite de temps, mais il nous faut raison garder ; je crois sage que nous attendions demain l’ouverture de la séance du matin pour entendre la réponse du ministre.

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Membres présents ou excusés

Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi pour la croissance et l'activité

Réunion du samedi 17 janvier 2015 à 22 heures

Présents. - M. Luc Belot, Mme Karine Berger, M. Yves Blein, M. Jean-Louis Bricout, M. Jean-Jacques Bridey, M. François Brottes, Mme Colette Capdevielle, M. Christophe Caresche, M. Olivier Carré, M. Jean-Yves Caullet, M. Gérard Cherpion, Mme Corinne Erhel, M. Richard Ferrand, Mme Jacqueline Fraysse, M. Jean-Patrick Gille, M. Patrick Hetzel, M. Sébastien Huyghe, M. Jean-Luc Laurent, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, M. Dominique Lefebvre, M. Arnaud Leroy, Mme Véronique Louwagie, M. Gilles Lurton, Mme Sandrine Mazetier, M. Jean-Frédéric Poisson, Mme Monique Rabin, M. Denys Robiliard, M. Jean-Louis Roumegas, M. Gilles Savary, M. Christophe Sirugue, M. Jean-Charles Taugourdeau, M. Alain Tourret, M. Stéphane Travert, Mme Cécile Untermaier, Mme Clotilde Valter, M. Francis Vercamer

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