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Délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mercredi 18 juillet 2012

Séance de 15 heures

Compte rendu n° 4

Présidence de Mme Catherine Coutelle, Présidente

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes, porte-parole du Gouvernement sur ses axes d’action prioritaires

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes procède à l’audition de Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes, porte-parole du Gouvernement sur ses axes d’action prioritaires.

Présidence de Mme Catherine Coutelle, présidente

La séance est ouverte à 15 heures 05.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Madame la ministre, nous nous réjouissons de vous accueillir, car nous tenions à vous entendre dès le début de cette législature. Les trente-six membres de notre délégation – hommes et femmes – sont d’autant plus fiers que celles et ceux qui y siégeaient déjà n’ont eu de cesse, au cours de la précédente législature, de demander la création d’un ministère des Droits des femmes, seul moyen de placer cette question au cœur des préoccupations. À peine constituée, notre délégation a travaillé à marche forcée sur le projet de loi relatif au harcèlement sexuel, qu’il fallait adopter avant la fin de la session extraordinaire en vue de combler un vide juridique. Cette urgence – qui n’est pas souhaitable en toutes circonstances – a en l’espèce permis à des députés nouvellement élus de se plonger immédiatement dans le travail parlementaire ; je salue le talent et la conviction de Ségolène Neuville, qui a fait sur ce texte ses premières armes de rapporteure.

Notre délégation est chargée de plusieurs missions. Premièrement, elle est saisie des projets de loi par une commission permanente ou spéciale, à son initiative ou sur demande de la délégation – en l’occurrence, la délégation avait adressé une lettre au président de la commission des Lois. Ensuite, elle assure une veille sur tous les textes, dans toutes les commissions, et elle évalue les textes qui ont été adoptés – pour la précédente législature, je songe notamment à la loi visant à réprimer les violences faites aux femmes – et les politiques conduites. Enfin, nous formulons des recommandations sur divers sujets de société et d’actualité.

Nous sommes enthousiastes à l’idée de nous mettre au travail et décidés à faire œuvre constructive. Plusieurs dossiers me tiennent particulièrement à cœur. D’abord l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes : il est urgent d’agir, car le décret d’application de l’article 99 de la loi sur les retraites, rédigé en 2011 par le ministre du travail, qui édulcore considérablement le texte voté en séance, ne nous convient absolument pas. Les rythmes scolaires, ensuite, liés à différentes questions qui intéressent notre délégation : l’articulation entre vie personnelle et professionnelle ; les rythmes et les temps de vie dans notre société ; le partage des tâches, encore trop inégal dans le couple. Les violences, enfin : au-delà du projet de loi sur le harcèlement sexuel, nous souhaitons poursuivre l’évaluation de la loi sur les violences faites aux femmes et sur les violences au sein du couple, qui a déjà fait l’objet d’un premier bilan parlementaire. Nous évoquerons avec vous l’Observatoire des violences faites aux femmes que vous avez le projet de créer.

Nous vous auditionnerons prochainement à propos du projet de loi de finances, pour connaître les crédits dont vous bénéficierez pour votre action, ainsi que les crédits centraux et déconcentrés pour les droits des femmes et l’égalité. Les attentes sont grandes, mais les contraintes budgétaires sont fortes : il vous faudra concilier dynamique politique et moyens contraints.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes. Je suis heureuse d’être parmi vous, après deux mois d’activité au sein d’un ministère dont la création, très attendue, suscite de grands espoirs. Dans les domaines que vous avez évoqués, comme dans d’autres sur lesquels je reviendrai, il n’est pas question de repartir de zéro : je devrai m’appuyer sur les travaux que vous avez menés au cours de la précédente législature.

Mes priorités seront l’égalité professionnelle – vous voyez que nous nous rejoignons –, la lutte contre les violences faites aux femmes, la liberté des femmes de disposer de leur corps et la lutte contre les stéréotypes dès le plus jeune âge.

L’égalité professionnelle, tout d’abord, a été un sujet central de la grande conférence sociale, ce qui n’est pas habituel lors de ce type de rendez-vous. La feuille de route à laquelle nous sommes parvenus a fait l’unanimité. Même si tout ne va pas pour le mieux, les organisations syndicales, les organisations patronales et l’État sont décidés à agir dans un cadre tripartite constant au lieu de s’en tenir à des incantations qui ne déboucheraient sur rien. Cet engagement est un élément clé du succès.

Nous sommes partis du constat suivant : il existe ce que j’appelle un « triangle de faiblesses » qui conduit à reléguer au second plan l’égalité entre les sexes dans l’entreprise. Faiblesse de l’État d’abord, qui n’applique pas suffisamment les diverses lois adoptées depuis quarante ans ; faiblesse des organisations syndicales ensuite, peu promptes à promouvoir l’égalité professionnelle dans les différentes phases de négociation ; faiblesse des employeurs enfin, et notamment des PME, qui considèrent qu’il s’agit d’un problème de société qui les dépasse et qu’elles ne sont pas armées pour affronter.

Nous sommes parvenus à la conclusion que les trois partenaires – État, patronat, organisations syndicales – doivent bouleverser ce schéma et que pour y parvenir, il faut s’appuyer sur les engagements des chefs d’entreprise, des délégués syndicaux et des directeurs des ressources humaines en diffusant les bonnes pratiques qu’ils ont instaurées ici ou là. C’est ainsi que l’on s’attaquera véritablement aux racines des inégalités salariales.

Sur ce sujet, sur lequel on légifère depuis quarante ans, nous disposons d’un arsenal législatif plutôt structuré et assez complet. Il faut sans doute procéder à des ajustements, et nous le ferons – je songe notamment au décret que vous avez évoqué, Madame la présidente. Toutefois, l’essentiel n’est pas d’adopter une nouvelle loi sur l’égalité professionnelle mais d’appliquer celles qui existent déjà. Votre délégation a d’ailleurs signalé le problème. Seule la moitié des entreprises établit le rapport de situation comparée que la loi leur impose ; seul un dixième d’entre elles organise des négociations sur l’égalité ; et, depuis le début de l’année, seules deux entreprises ont fait l’objet d’une mise en demeure sur le fondement de l’article 99 de la loi du 9 novembre 2010, ce qui n’a rien d’étonnant puisque, sous le précédent gouvernement, instruction avait été donnée aux services déconcentrés de ne pas s’en préoccuper outre mesure à ce stade.

La résorption de l’écart de 27 % entre les rémunérations brutes moyennes des femmes et celles des hommes fait désormais l’objet d’une volonté partagée de l’État et des partenaires sociaux. Pour atteindre cet objectif, il nous faut nous intéresser aux causes structurelles des inégalités. Nous sommes très vite tombés d’accord pour considérer que les différences de temps de travail constituent ainsi un élément d’explication essentiel, notamment le recours au temps partiel, qui concerne les femmes beaucoup plus que les hommes. S’y ajoute – vous l’avez dit, Madame la présidente – le problème de l’articulation des temps de vie, qui pénalise particulièrement les femmes, ainsi que les ressorts profonds de notre société et les stéréotypes conduisant à la division sexiste du travail qui cantonne la moitié des femmes dans douze secteurs professionnels. Mais une fois ces causes profondes prises en considération, il subsiste un écart de 9 % du salaire horaire que l’on ne peut expliquer, sinon par un phénomène de discrimination qui est monnaie courante.

Lors de la grande conférence sociale, nous nous sommes donnés pour objectif prioritaire la résorption de cet écart. À titre indicatif, pour qu’il soit atteint d’ici à cinq ans, il faudrait que les entreprises consacrent chaque année 0,5 à 1 % de leur masse salariale à certaines mesures spécifiques qu’appliquent déjà les plus grandes d’entre elles dans le cadre de la négociation annuelle obligatoire sur les salaires : elles réservent des enveloppes à cette fin, procèdent à une analyse approfondie de l’évolution des carrières respectives des hommes et des femmes qu’elles emploient, puis corrigent par lissage les inégalités dont souffrent les femmes. Il s’agit d’un effort non négligeable, mais qui n’est pas hors de portée : c’est une question de priorités. Comment faire en sorte que l’égalité professionnelle redevienne une priorité ?

J’ai mentionné la question centrale des temps de travail et notamment celle du temps partiel. Près de la moitié des écarts de salaire entre les femmes et les hommes s’explique par ce facteur temps. Depuis deux mois, j’ai rencontré beaucoup de ces femmes dont le quotidien est miné par les contraintes, qui se surnomment elles-mêmes les « femmes sandwich » : elles n’ont ni liberté de choix ni liberté de temps, elles travaillent à temps partiel mais elles ne voient pas pour autant leur famille. Elles sont, depuis vingt ans, les grandes oubliées de la sécurité de l’emploi. Elles ont été oubliées dans la loi TEPA comme, ces dernières années, dans les réformes de la formation professionnelle, de l’assurance chômage, de la sécurité sociale et, bien entendu, des retraites. Sur ce sujet, nous sommes convenus de passer par une négociation collective interprofessionnelle. Les partenaires sociaux ouvriront ainsi le 21 septembre prochain une négociation sur l’égalité professionnelle et sur la sécurisation des parcours.

Quant au fond, le travail que vous avez accompli sur ce sujet l’année dernière nous guidera. En particulier, il faut envisager de n’autoriser le « petit temps partiel » – moins de vingt heures par semaine –, qui concerne très majoritairement les femmes, que dans des conditions qui garantissent l’accès aux droits sociaux : aux indemnités journalières en cas de maladie, à une couverture chômage en cas de rupture du contrat, et à la formation professionnelle. L’idée est de varier l’approche selon les branches concernées – le nettoyage, la grande distribution, l’aide à domicile, etc. – puisque chacune a ses contraintes spécifiques. Toutefois, pour inciter les partenaires sociaux de chaque branche à négocier, on pourrait commencer par fixer un horaire minimal s’appliquant à tous les contrats.

Il faudra également s’intéresser aux heures complémentaires, dont la rémunération n’est majorée que lorsqu’elles dépassent 10 % du volume horaire prévu au contrat – et non dès la première heure comme les heures supplémentaires –, ce qui incite évidemment l’employeur à minorer le volume horaire contractuel par rapport à ses besoins afin de s’assurer une marge de manœuvre.

En outre, la transformation du temps partiel en temps plein est mal balisée par le droit, ce qui crée une insécurité juridique. L’un des problèmes identifiés par votre délégation concerne la priorité d’embauche à temps plein des salariés à temps partiel, définie de façon si restrictive qu’elle n’est presque jamais appliquée. Enfin, nous devrons réfléchir spécifiquement à l’organisation des filières dans les secteurs qui recourent massivement au temps partiel et qui, ne l’oublions pas, contribuent à l’insertion professionnelle des personnes peu qualifiées en rendant l’emploi accessible à tous. Nous devons les accompagner pour que cette insertion professionnelle n’en reste pas à la première étape mais devienne une ascension durable, notamment par le passage du temps partiel au temps plein. Dans le nettoyage, les collectivités publiques, souvent donneuses d’ordre, pourraient montrer l’exemple en demandant que les entreprises concilient les horaires des femmes de ménage et leur vie personnelle. Nous avons donc certaines marges de manœuvre, qui seront étudiées lors de la conférence de progrès que le secteur de la propreté a accepté, à notre demande, d’organiser.

Enfin, nous ne devons pas limiter notre réflexion aux 4,7 millions de femmes employées par les entreprises de plus de dix salariés, c’est-à-dire par le secteur concurrentiel, oubliant les 8 millions de femmes actives dans de plus petites entreprises, dans le secteur public ou au chômage. S’agissant des fonctions publiques, la grande conférence sociale a décidé l’ouverture au quatrième trimestre 2012 de négociations sur l’égalité entre les femmes et les hommes qui doivent rapidement déboucher sur un accord. N’oublions pas non plus celles qui ne sont même pas comptabilisées dans les statistiques d’activité – près de 8 millions également –, et ce en raison des freins à l’emploi des femmes. Selon une étude de l’Union européenne, la France pourrait accroître son potentiel de croissance de près de 20 % si le taux d’emploi des femmes y devenait égal à celui des hommes. C’est donc une question non seulement d’égalité, mais aussi de productivité et de compétitivité.

Ma deuxième priorité sera la lutte contre les violences. Nous allons reprendre le plan interministériel 2011-2013 de lutte contre les violences. Parmi les 61 mesures qu’il énumérait, certaines n’ont même pas commencé d’être appliquées. Nous en avons parlé avec les associations, dont j’entends l’insatisfaction. Nous devrons donc nous concentrer sur un plus petit nombre de priorités. Je réunirai en septembre la Commission nationale contre les violences envers les femmes pour engager la concertation sur ces points. Mais, les témoignages venus du terrain le montrent d’ores et déjà, la politique du logement doit absolument tenir davantage compte de la situation spécifique des femmes victimes de violences. En effet, une femme qui quitte son domicile pour se mettre à l’abri ne peut se sentir en sécurité que si elle est accueillie dans un lieu approprié au lieu d’être contrainte à une vie nomade. J’y travaillerai avec Cécile Duflot, ministre du Logement.

Une autre priorité à laquelle je consacrerai toute mon énergie au côté de Christiane Taubira, garde des Sceaux, sera le « décollage » de l’ordonnance de protection, très bon dispositif à propos duquel nous nous heurtons à une puissante inertie de l’appareil judiciaire. Ce sont les habitudes qui créent ce blocage. Dans certains départements, le dispositif n’a encore jamais été appliqué ! Deux ans après sa création, il est donc grand temps d’y sensibiliser les magistrats de manière plus énergique. Il nous faudra également envisager des ajustements le cas échéant. À titre personnel, j’estime que la durée de validité de l’ordonnance – quatre mois – n’est pas suffisante. Je m’interroge aussi sur l’intérêt d’une extension du dispositif à toutes les formes de violence familiale.

Nous devons plus généralement repenser la manière dont le service public s’organise au niveau local – le plus pertinent – pour aider les femmes fragilisées. Il s’agit de diffuser les méthodes qui ont fait leurs preuves. Il appartient donc à l’État de piloter des évaluations sérieuses des expérimentations puis, lorsque celles-ci donnent satisfaction, de tirer profit des réussites locales afin de consolider peu à peu un service public encore trop souvent défaillant. Le « téléphone grand danger », expérimenté depuis cinq ans en Seine-Saint-Denis et qui vient d’être étendu à Paris, en fournit un exemple. Peu onéreux, ce dispositif peut être installé rapidement et adapté à la situation spécifique de chaque femme. Il sauve des vies, l’expérience menée en Seine-Saint-Denis l’a montré. Nous nous interrogeons en revanche sur la pertinence d’autres dispositifs, comme le bracelet électronique.

S’agissant enfin du harcèlement sexuel, dont nous avons longuement parlé hier, l’adoption de la loi doit s’accompagner de la diffusion d’une circulaire aux parquets et d’une campagne de communication que nous préparons, avec les associations, et que je piloterai.

Ma troisième priorité sera le droit des femmes à disposer de leur corps. Cela ne vous surprendra pas puisque la défense de ce droit fait partie de l’ADN de mon ministère. Sa nécessité n’est toutefois pas toujours perçue par les jeunes générations. Si les femmes ont du mal à accéder à l’IVG, c’est parce que nombreux centres d’accueil ont fermé – environ 150 au cours des dix dernières années –, mais aussi parce que certains médecins refusent de pratiquer cet acte. Il faut donc faire à nouveau œuvre de sensibilisation. Je ferai également en sorte, avec Marisol Touraine, de concrétiser les engagements du Président de la République sur l’accès à l’IVG, sur l’information et l’éducation à la sexualité – qui concerne également le ministère de l’éducation nationale –, sur le forfait contraception pour les mineurs et sur la formation des médecins.

Le nombre d’IVG se maintient à environ 220 000 par an, soit environ 15 pour 1000 femmes, ce qui correspond à peu près à la moyenne européenne. Bien que notre couverture contraceptive soit assez étendue, 72 % des IVG sont pratiquées sur des femmes dont la grossesse a débuté alors qu’elles étaient sous contraception. D’une certaine façon, l’IVG est ainsi devenue une composante structurelle de la vie sexuelle et reproductive. Sans doute faut-il toutefois améliorer la prévention afin d’éviter certaines IVG. Nous devons donc conduire une politique globale qui allie l’information, la contraception et la prise en charge.

De ce point de vue, la période actuelle est problématique car les congés d’été des personnels médicaux et soignants réduisent la capacité d’accueil des centres, ce qui peut compliquer la prise en charge lorsque ces derniers ne se coordonnent pas suffisamment. Marisol Touraine et moi-même avons donc demandé aux agences régionales de santé, par instruction, d’être particulièrement vigilantes et de rappeler aux établissements les conditions de prise en charge et de permanence des soins. Considérez qu’il s’agit là de la première étape d’un chantier de moyen terme sur l’organisation de la prise en charge.

Les échecs contraceptifs s’expliquent probablement par l’inadaptation des méthodes utilisées à la situation particulière de chaque femme. L’aspect pratique est certainement en jeu, mais aussi l’aspect financier : le reste à charge varie considérablement – de 1 à 100 – d’une méthode contraceptive à l’autre. Le Planning familial nous l’a récemment rappelé. Le problème des restes à charge – quelle que soit la méthode utilisée – devra être étudié de plus près, notamment en ce qui concerne les mineures. À court terme, je constituerai, avec Marisol Touraine, un groupe de travail réunissant les régions qui ont expérimenté le dispositif du pass contraception, en vue de rendre plus efficaces les expérimentations de ce type.

D’autres mesures importantes permettront d’améliorer l’accès à la contraception. Une contraception d’urgence gratuite pourra être délivrée aux étudiantes dans les universités, comme elle l’est aujourd’hui dans les collèges et les lycées. Sur présentation d’une ordonnance datant de moins d’un an, les femmes pourront se procurer un moyen de contraception en pharmacie sans avoir besoin de consulter un médecin. Enfin, il sera mis fin aux discriminations en fonction de l’âge dans le remboursement de la contraception définitive, aujourd’hui réservé aux femmes de plus de quarante ans. Marisol Touraine s’est engagée sur ces différents points lors d’un déplacement que nous avons récemment effectué en commun.

Dernier chantier : la prévention des grossesses non désirées et l’information sur la sexualité. À cette fin, je saisirai à la rentrée l’instance compétente : le conseil supérieur de l’information sexuelle, de la régulation des naissances et de l’information des familles. Il devra également s’intéresser aux prétendues campagnes d’information sur Internet, à ces sites pour le moins prosélytes orientant les femmes vers des organismes de conseil qui ne respectent pas leur liberté de choix en matière d’IVG. Il est essentiel de lutter contre ce type de pratiques.

Ma quatrième priorité sera la chasse aux stéréotypes de genre à l’école, dans les médias et dans le sport. Car ces stéréotypes sont partout, et ils entraînent des conséquences concrètes à plus ou moins long terme : les violences sexistes dès l’école ; la faible ambition scolaire des jeunes filles, ou plus exactement la manière dont elles s’autocensurent au moment de s’orienter, d’où leur faible présence dans les filières scientifiques ou très sélectives, puis dans les emplois supérieurs. Sur ce sujet, je suis convaincue de l’intérêt des expérimentations. Ainsi plusieurs gouvernements anglo-saxons ont-ils récemment mis l’accent sur les méthodes qui consistent à tester différentes modalités d’intervention afin de modifier les comportements des citoyens. C’est l’idée, théorisée dans un ouvrage à succès, de la nudge approach : de petites choses, comme une simple bourrade (nudge), suffisent parfois à produire des résultats à grande échelle dès lors que le message approprié est délivré au bon moment et sous une forme qui parle aux citoyens. Nous allons créer, sur le modèle de l’unité que le gouvernement britannique a dédié à ces expérimentations, une cellule de lutte contre les stéréotypes à laquelle je souhaite vous associer.

Pour identifier les actions à conduire dans le domaine de la petite enfance, j’ai demandé à l’Inspection générale des affaires sociales de faire le point sur les pratiques des professionnels et de formuler des propositions. En effet, il existe des crèches non sexistes, mais nous n’avons guère d’informations sur les fruits de cette expérience. Je souhaite également que soient menées des expérimentations, en lien avec le ministère de l’Éducation nationale, touchant la formation des enseignants, l’éducation aux médias dans les établissements scolaires et, plus généralement, l’évolution des pratiques professionnelles. Vincent Peillon et moi-même travaillons donc à une convention-cadre qui devrait être signée au cours des semaines à venir. Enfin, un programme spécifique sera élaboré avec l’Agence du service civique afin de mobiliser des jeunes volontaires pour mener des actions de sensibilisation et de formation à propos des stéréotypes sexistes, notamment auprès des établissements scolaires.

Pour conduire ces politiques, avec le Premier ministre, nous avons décidé d’une nouvelle organisation interministérielle. Premièrement, toutes les mesures – lois et décrets – intéressant les droits des femmes feront l’objet d’une étude d’impact qui permettra de s’assurer qu’un sexe n’y est pas lésé. Les études seront mises en ligne sur le site Internet du ministère et nous comptons leur consacrer une équipe dédiée au sein du Service des droits des femmes. Je souhaite par ailleurs recourir à une procédure externe d’évaluation de ces études d’impact par des chercheurs. Il n’est pas exclu qu’à terme, la loi organique du 15 avril 2009 soit modifiée pour les intégrer ; nous y travaillerions alors ensemble. Mais, sur ce point, nous n’en sommes encore qu’au stade de la réflexion. L’avenir des régimes de retraite est l’un des premiers sujets qui appellera une telle étude d’impact ; j’en ai parlé avec Marisol Touraine.

Ensuite, pour la première fois depuis plus de douze ans, le comité interministériel des droits de la femme sera réuni début octobre, sous l’autorité du Premier ministre. Nous préparons actuellement la modification de son décret constitutif. Cette première réunion permettra d’adopter plusieurs décisions, dont un véritable plan d’action interministériel grâce auquel l’égalité entre les femmes et les hommes sera prise en considération dans toutes les politiques publiques, dans toutes les administrations, dans tous les ministères.

Pour préparer ce comité interministériel, les ministres ont été invités à désigner auprès d’eux un haut fonctionnaire à l’égalité des droits. Investi d’une mission transversale d’impulsion et de suivi, ce haut fonctionnaire devra veiller au respect de l’égalité dans les politiques sectorielles qui le concernent, mais aussi dans les politiques de gestion des ressources humaines de son ministère. Il assistera personnellement au comité de direction du ministère ; l’idée est de confier cette tâche à une personne dont le rôle au sein de son administration est suffisamment important pour qu’elle puisse se faire entendre. Une circulaire du Premier ministre en ce sens sera adressée cette semaine à chaque ministère.

Par ailleurs, je convierai à la rentrée tous les membres du Gouvernement aux « conférences de l’égalité » que j’ai créées – sur le modèle des conférences budgétaires destinées à préparer le projet de loi de finances –, afin d’étudier avec chacun d’eux les modalités de mise en œuvre du plan d’action dont j’ai parlé. Nous proposerons enfin des actions de sensibilisation personnelle aux ministres qui le jugeront utile. Il est essentiel à mes yeux d’associer à notre démarche des laboratoires de recherche : vous qui souhaitez ouvrir un débat sur le genre savez que les importantes évolutions de la recherche ces dernières années, dont témoignent les travaux de chercheurs et de chercheuses que j’ai eu l’immense plaisir de rencontrer depuis ma nomination, ne sont pas assez connues du public, voire des plus hauts responsables.

Ma feuille de route est somme toute assez simple : elle se résume pour l’essentiel aux 40 engagements que le Président de la République a souscrits pendant la campagne présidentielle. J’ai décidé de faire du 8 mars un moment politique fort, consacré à évaluer le respect de ces engagements, sur lequel je souhaite faire régulièrement le point avec vous.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Merci, Madame la ministre. Quel plaisir de constater que lorsque nous avons une ministre, elle a autant d’initiatives, notamment transversales ! Je salue tout particulièrement l’idée de proposer une formation à vos collègues, d’autant que la scène à laquelle nous avons assisté hier dans l’hémicycle confirme que le sexisme est partout.

En matière d’égalité, il est au moins un engagement présidentiel qui est déjà respecté : la parité au gouvernement. Nous ne pouvons que nous en réjouir.

Mme Pascale Crozon. Madame la ministre, je veux vous dire le plaisir que j’éprouve à vous voir ici et l’importance que revêt à nos yeux l’existence d’un ministère des Droits des femmes, importance confirmée par le riche programme que vous venez d’évoquer. Les droits des femmes ne doivent pas être relégués parmi les diverses compétences d’un vaste ministère ; l’expérience l’a montré, en dépit des efforts de la ministre dont ils relevaient auparavant.

Contrairement à la convention qui avait été signée par l’État et les plannings familiaux, 500 000 euros ont manqué au financement de la contraception en 2012 et nous avons dû nous battre pour qu’ils soient restitués aux plannings. Cela doit nous inciter à une vigilance particulière lors de l’examen du budget, d’autant que quatre lignes budgétaires sont concernées qui relèvent de deux ou trois ministères différents. Nous devrons également veiller à ce que les moyens alloués aux droits des femmes soient stabilisés, à défaut de pouvoir être accrus.

Il me paraît par ailleurs souhaitable de reprendre deux propositions de loi déposées au cours de la précédente législature, l’une par Bérengère Poletti sur la contraception des mineures, l’autre par Christophe Sirugue sur la précarité professionnelle des femmes.

À propos de la lutte contre les violences, vous n’avez pas mentionné la police. Or, en la matière, la formation des policiers est primordiale car, après les associations, c’est vers le commissariat de police qu’une femme victime de violences se tourne en premier lieu, pour déposer une main courante ou pour porter plainte. La manière dont les policiers l’orientent est donc déterminante.

S’agissant enfin du harcèlement sexuel, nous ne disposons pas d’éléments statistiques. Les dernières enquêtes, dont celle de l’Observatoire des violences envers les femmes de Seine-Saint-Denis, datent de 2000. Nous nous sommes heurtés au même obstacle lors de la mission d’information sur les violences faites aux femmes. Il est donc urgent de créer un observatoire si nous voulons légiférer en connaissance de cause.

M. Guy Geoffroy. Je suis moi aussi très satisfait – et je ne suis certainement pas le seul – qu’un ministère soit désormais chargé de piloter toutes les politiques permettant de promouvoir les droits des femmes, mission par définition transversale. La tâche n’est pas facile ; à nous d’aider les pouvoirs publics à la mener à bien.

J’aimerais revenir sur deux sujets, Madame la ministre : l’un dont vous avez parlé, l’autre que vous n’avez pas évoqué.

Vous avez parlé des violences faites aux femmes. Dans ce domaine, les deux précédentes législatures ont apporté à l’édifice législatif de profondes et très heureuses modifications, saluées par l’ensemble des mouvements qui se mobilisent sur ces questions. Il reste toutefois beaucoup à faire. J’insisterai sur deux points.

D’abord, l’ordonnance de protection, je l’ai constaté avec Danielle Bousquet, est inégalement appliquée sur le territoire national, de manière parfois inexplicable. Nous devons faire en sorte que la magistrature se saisisse de ce dispositif très utile aux victimes. Trop de magistrats restent persuadés que l’ordonnance de protection ne sert à rien dès lors qu’il existe, dans le cadre d’une procédure en divorce, une ordonnance provisoire qui a une valeur supérieure. C’est oublier que l’ordonnance de protection concerne toutes les victimes, donc tous les couples, quels que soit leur nature et leur statut – y compris, conformément à l’intention du législateur, bien après la séparation, dès lors que l’intervention de la société reste justifiée pour éviter les violences, en particulier lorsqu’il y a des enfants.

Nous avons par ailleurs conclu que la durée de quatre mois que nous avions attribuée à l’ordonnance de protection était insuffisante. Je vous serais reconnaissant, Madame la ministre, de réfléchir à un véhicule législatif permettant de la porter de quatre à six mois. En deçà de six mois, en effet, il paraît très difficile d’organiser la sortie des violences ; au-delà, le provisoire risque de s’installer, alors même que le dispositif ne devait stabiliser la situation de la victime que pour lui permettre de trouver d’autres moyens d’en sortir.

Second problème : le logement. Que ce soit en urgence, à moyen terme ou – plus encore – à long terme, les victimes peinent à trouver un nouveau logement où elles pourraient repartir sur des bases nouvelles et plus heureuses. Il faudra donc régénérer certaines dispositions. Toutefois, ne l’oublions pas, le problème du relogement concerne également les auteurs de violences. Alors même qu’en légiférant nous n’avons cessé de souligner, à juste titre, que le principe de l’éviction du conjoint violent constituait un grand progrès, nous peinons à appliquer la décision faute de réussir à le reloger. Il faut absolument y remédier – même si l’on conçoit que la victime puisse préférer quitter la première un logement qui lui évoque d’insupportables souvenirs. D’autant qu’en l’état actuel du patrimoine, il est plus aisé de loger une personne seule qu’une famille composée de la mère et des enfants. Ainsi, une victime qui compose le 115 s’entend souvent répondre que l’on pourra l’héberger mais que ses enfants, eux, devront être placés par l’Aide sociale à l’enfance, ce qui constitue une violence de plus.

Le sujet que vous n’avez pas évoqué, bien que vous l’ayez certainement à l’esprit, est la prostitution. Sur cette question, nous avons accompli un travail considérable au cours de la précédente législature, au sein de la commission des lois et avec le concours de la délégation aux droits des femmes. Je tiens à rendre hommage à Danielle Bousquet, qui a présidé notre mission d’information sur la prostitution en France. Je souhaite que nous poursuivions ce travail et que nous le concluions sans délai. Il a déjà débouché sur une proposition de résolution signée par tous les groupes et votée à l’unanimité, puis sur le dépôt, le soir même de ce vote, d’une proposition de loi qui satisfait, dans l’immédiat et pour l’essentiel, l’exigence de responsabilisation de la société – laquelle ne saurait se réduire à la pénalisation du client, trop suggestive pour l’opinion et pour les médias. La délégation aimerait connaître votre sentiment sur l’opportunité d’une action rapide, ainsi que la méthode que vous préconiseriez.

Mme Édith Gueugneau. Madame la ministre, j’appelle votre attention sur la spécificité de nos territoires ruraux, dont il a beaucoup été question pendant la campagne. Nous sommes souvent éloignés des associations et des centres de lutte contre les violences faites aux femmes, situés dans les grandes villes. Parce qu’il est également difficile pour les victimes de se rendre à la gendarmerie ou chez le médecin, nous avons besoin d’un plan de communication et de sensibilisation.

D’autre part, on a parlé du temps partiel, mais dans le monde rural, les femmes, contraintes à de nombreux trajets, subissent également le temps séquentiel, qui affecte leur pouvoir d’achat même lorsqu’elles travaillent beaucoup.

Quant à la contraception, il faut absolument mieux informer les très jeunes filles qui viennent demander en pharmacie la pilule du lendemain, laquelle est autorisée, bien entendu, mais ne constitue pas un moyen de contraception à proprement parler.

Enfin, on peut être féministe et être opposée à la pénalisation des clients. Il nous faudra donc débattre de la prostitution, même si nous n’en aurons pas le temps aujourd’hui.

Mme Cécile Untermaier. Madame la ministre, vous nous gâtez ! Nous sommes heureux de constater que nos propositions sont déjà en discussion au niveau du Gouvernement. Merci de nous aider ainsi à respecter le contrat de législature que nous avons conclu dans nos circonscriptions.

En ce qui concerne la précarité professionnelle, j’ai été témoin de l’immense souffrance des femmes, notamment des femmes isolées, victimes du temps partiel, du temps tronqué. La situation professionnelle des femmes est si dégradée que la possibilité de quitter son conjoint est devenue un luxe ! La proposition de loi à laquelle Pascale Crozon a fait référence, et sur laquelle je me suis appuyée au cours de la campagne, mérite donc effectivement d’être reprise et alimentée.

Un autre dossier que je vous suggère de reprendre dans le cadre de votre action interministérielle est celui du travail dominical, qui a explosé, en particulier dans la grande distribution, et qui concerne particulièrement les femmes, contraintes de travailler le dimanche sans majoration de leur rémunération.

Mme Monique Orphe. Comme mes collègues, je suis heureuse de voir ressusciter le ministère des Droits des femmes. J’espère qu’au cours des cinq ans à venir, nous ferons fortement progresser l’égalité entre les hommes et les femmes ainsi que la lutte contre les violences faites aux femmes, qui me préoccupe particulièrement.

À ce sujet, je souhaite que nous adoptions une véritable loi-cadre, sur le modèle de l’Espagne. Les associations réunionnaises le demandent car, chez nous, le problème constitue un véritable fléau : l’année dernière, à La Réunion, six femmes sont mortes sous les coups d’un homme, souvent leur ex-concubin, qui avait souvent déjà fait de la prison. Cette loi-cadre favoriserait la prévention – notamment au sein des collèges et des lycées où l’on constate beaucoup de violences opposant jeunes filles et jeunes garçons – ainsi que la prise en charge de la victime et de l’agresseur. Nous sommes désormais 155 femmes à l’Assemblée : le moment n’est-il pas opportun ?

Je souhaite également qu’une loi réglemente la publicité, car la dégradation de l’image de la femme dont elle témoigne n’est guère favorable aux droits des femmes, quand elle ne les fait pas régresser. Certaines publicités peuvent fortement influencer les enfants et les adolescents et produire un effet désastreux sur le comportement des plus sensibles d’entre eux. Il faut donc envisager de sanctionner les agences de publicité.

Mme Maud Olivier. Je vous félicite, Madame la Ministre, d’avoir décidé d’intégrer sans tarder la perspective de genre aux politiques publiques. Nous allons nous efforcer de faire de même au sein des commissions de l’Assemblée, afin que toutes les propositions soient, de manière transversale, étudiées de ce point de vue.

Parmi les engagements de François Hollande auxquels vous avez fait allusion, trois nous importent particulièrement : le vote de la loi contre le cumul des mandats ; la suppression des dotations publiques pour les partis politiques qui ne présenteraient pas autant de femmes que d’hommes aux élections, notamment législatives ; enfin, l’abrogation de la loi instituant le conseiller territorial.

Au niveau européen, la directive sur l’harmonisation de la durée du congé de maternité – qui la porte à 20 semaines – est bloquée depuis plus de deux ans entre le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne. Que pouvez-vous faire pour qu’elle soit appliquée ? Par ailleurs, la loi du 27 janvier 2011 qui impose 40 % de femmes dans les conseils d’administration des entreprises ne pourrait-elle être reprise par une directive européenne qui étendrait cette obligation à toute l’Union, voire porterait le taux à 50 % pour atteindre la parité ?

Mme Françoise Dumas. Je me réjouis moi aussi, Madame la ministre, de la création de votre ministère et de la possibilité qui nous est offerte d’agir à vos côtés. Nous avons un retard considérable à combler. Grâce à votre volonté d’avancer très vite, grâce aux engagements du Président de la République, nous pourrons nous mettre au travail sans tarder. Voilà longtemps que l’on déplore les phénomènes dont nous parlons et que des expérimentations sont menées sur tout le territoire pour y remédier ; il nous faudra les généraliser.

Deux d’entre elles me paraissent particulièrement intéressantes. Premièrement, le recours aux baux glissants qui permet aux associations de reloger sans délai les femmes avec leur famille, première étape avant l’accès au droit et la reconquête de l’autonomie, au cours des six mois qui suivent la prise en charge. Deuxièmement, indépendamment de la formation des policiers et des gendarmes, la mise à disposition dans les commissariats de police de travailleuses sociales présentes jour et nuit, que nous avons expérimentée dans le Gard. Elle permet de protéger les victimes et de faire le lien avec les services de police, qui ont parfois du mal à comprendre les situations de violence ou d’urgence.

M. Sébastien Denaja. Madame la ministre, comment comptez-vous appliquer les engagements du Président de la République en matière de parité aux élections législatives et locales ?

Le président tunisien vient de prononcer un discours très émouvant dans l’hémicycle. Comment votre ministère et le Gouvernement dans son ensemble souhaitent-ils contribuer à la promotion des droits des femmes sur la rive sud de la Méditerranée, dans les démocraties émergentes et dans le monde ?

Mme la présidente Catherine Coutelle. Je signale à ce propos que j’ai reçu la semaine dernière avec Marie-Jo Zimmermann une délégation du PNUD qui comptait quatre parlementaires tunisiennes. Elles souhaitaient être informées du fonctionnement de notre délégation et de ses relations avec le ministère, car elles envisagent d’introduire un dispositif analogue dans la nouvelle constitution tunisienne actuellement en préparation. Elles nous demandent de rester en contact avec elles à cette fin. Nous serons heureux de travailler avec vous pour les aider, Madame la ministre.

Mme Ségolène Neuville. Madame la ministre, nous sommes fiers de vous avoir parmi nous : cela faisait si longtemps que nous demandions une ministre des Droits des femmes !

En ce qui concerne la contraception, vous avez évoqué plusieurs pistes de travail. Permettez-moi de vous en suggérer une autre. Savez-vous que dans la formation actuelle des soignants, en particulier des médecins, il n’y a absolument rien ni sur la contraception, ni sur l’IVG, pas même à l’intention des futurs gynécologues ? Parmi les quelques diplômes universitaires consacrés à ces questions, le DU « Régulation des naissances » de l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul, à Paris, est essentiellement suivi par des sages-femmes et par des médecins généralistes. Ces derniers, qui prescrivaient déjà des contraceptifs, pratiquent désormais les IVG dans la plupart des centres. J’ai moi-même suivi cet enseignement alors que je suis médecin spécialiste, mais non gynécologue. Ce phénomène n’est pas sans conséquences sur les prescriptions destinées aux jeunes filles : certaines pilules extrêmement chères et peu remboursées ne présentent aucun avantage par rapport à d’autres plus anciennes, mais les généralistes qui n’ont pas suivi ce DU ne le savent pas puisqu’ils n’ont d’autre source d’information que les recommandations des laboratoires pharmaceutiques ! Cela explique certaines dérives.

Quant à l’IVG, dans certains services de gynécologie, le chef de service invoque la clause de conscience pour refuser de pratiquer lui-même cet acte mais continue de diriger le service, donc le centre IVG, ce qui lui permet de faire obstacle à l’organisation des IVG. Il existe en France des médecins très motivés qui ont travaillé sur la clause de conscience et qui sont prêts à y réfléchir avec nous. Sans doute vous adresserons-nous des propositions en ce sens.

Mme Marie-Hélène Fabre. Madame la ministre, je me réjouis comme mes collègues de votre présence.

À propos de la loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites aux femmes, on a parlé de l’éviction du conjoint violent du domicile, mais on oublie souvent l’obligation de soins qui peut incomber à l’agresseur. Il est souvent impossible, faute de moyens, d’accueillir l’agresseur dans un lieu de soin, voire simplement dans un lieu de parole, alors que cela permet de réduire le taux de récidive – comme en témoigne l’action menée dans le ressort du tribunal de grande instance de Douai, où ce taux ne dépasse pas 6 %. J’insiste également sur l’importance de la formation des médecins et des professionnels de santé – infirmières, assistantes sociales – ainsi que des gendarmes.

La loi du 9 juillet 2010 a aussi institué une journée de sensibilisation aux violences conjugales. Vous avez parlé du 8 mars, Madame la ministre ; j’espère que cette journée du 25 novembre permettra elle aussi d’agir, en milieu scolaire et universitaire et au niveau associatif.

Mme Virginie Duby-Muller. Madame la ministre – j’ai quelque difficulté à vous appeler ainsi car je ne suis pas favorable à la féminisation des noms de fonction –, le précédent Gouvernement n’a pas à rougir de son action en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes, qu’il s’agisse de l’accès des femmes aux postes à responsabilité, avec l’objectif de 40 % de femmes dans les conseils d’administration d’ici à 2017 ; de l’égalité professionnelle – même si, vous l’avez dit, il faut encore faire des efforts ; des retraites, avec la petite révolution que constitue la prise en compte des indemnités journalières d’assurance maternité dans le calcul de la pension ; de la protection des droits fondamentaux des femmes ; enfin, de la parité en politique comme dans la sphère professionnelle et sociale, où son application a été constitutionnalisée.

La situation peut être améliorée, notamment en ce qui concerne la parité en politique. Vous avez parlé des horaires : nous pourrions nous inspirer des pays scandinaves pour fixer les heures de réunion. Une nouvelle génération de femmes entre en politique et la politique devra s’adapter à leurs rythmes de vie afin de leur permettre de concilier leur vie professionnelle, leur mandat électif, et leur vie privée. Mère d’une petite fille, j’en mesure la nécessité. Le Parlement européen s’est ainsi doté d’une crèche ; ici, nous en sommes loin.

Quant aux mentalités, l’éducation à l’égalité commence en effet à l’école, dès le plus jeune âge. Il nous faudra reparler du rapport de Mme Jouanno sur l’hypersexualisation des petites filles ; on sait ce qu’il en est aux États-Unis : ce n’est pas ce que nous voulons pour nos enfants. Nous devrons donc faire preuve d’une vigilance particulière vis-à-vis de ces dérives, notamment dans la publicité.

M. Bernard Lesterlin. La prévention dans les établissements scolaires est en effet essentielle : c’est dès l’école qu’il faut apprendre aux petits garçons à respecter les petites filles. Sur ce point, Madame la ministre, nous devrions obtenir sans difficulté la coopération de votre collègue George Pau-Langevin. Sans doute devrons-nous également institutionnaliser un module de respect des genres dans la formation civique et citoyenne du service civique.

J’en viens à un sujet un peu tabou : la féminisation excessive de certaines professions, qui n’est pas souhaitable car la parité a ses vertus. Sont concernés notamment les magistrats, les enseignants, les médecins. Dans ce dernier cas, cette féminisation explique pour partie les difficultés à remédier à la désertification médicale dans les zones rurales. Je suis le fils d’une pédiatre qui a dû devenir médecin scolaire faute de pouvoir continuer d’exercer comme médecin praticien dans une ville moyenne en élevant ses cinq gosses !

Quant à l’observatoire, arrêtons d’en parler et évaluons combien il en coûterait – à mon avis très peu – d’obtenir du Gouvernement qu’il lève le gage dans un prochain texte qui le créerait ou bien de l’inscrire, Madame la ministre, dans la mission du projet de loi de finances correspondant à vos attributions.

Mme la ministre des Droits des femmes. Je proposerais volontiers à Mme Duby-Muller que le ministère des Droits des femmes, qui est à deux pas de l’Assemblée nationale, ouvre une crèche si ses locaux n’étaient pas si exigus !

Mme la présidente Catherine Coutelle. Il en a été question ici à une certaine époque : Ségolène Royal l’avait proposé.

Mme la ministre des Droits des femmes. Je vous remercie toutes et tous de vos questions très riches ; je sens que nous allons bien travailler ensemble.

En ce qui concerne la proposition de loi de Christophe Sirugue sur la précarité professionnelle, je souhaite, je le répète, m’appuyer sur vos travaux ; n’hésitez donc pas à la reprendre, je l’accueillerai avec grand intérêt.

Je suis consciente de l’intérêt de la formation des agents de police en matière de violences faites aux femmes ainsi que de la présence des assistantes sociales dans les commissariats. J’ai l’intention de réunir à l’occasion du 25 novembre les professionnels de différents secteurs pour un grand colloque de formation qui leur permettrait d’échanger à propos de leurs pratiques quotidiennes, car c’est ce qui, au-delà de la formation elle-même, fait aujourd’hui défaut.

Nous avons évoqué hier le manque criant d’études sur le sujet. Il justifie s’il en était besoin la création d’un observatoire national spécifique qui puisse à la fois mener des enquêtes – l’Institut national d’études démographiques en prépare une dont nous nous employons à trouver le financement – et servir de plateforme d’action : cet observatoire évaluera les expérimentations locales, préconisera d’en généraliser ou d’en créer certaines et nous conseillera ainsi sur les politiques publiques à conduire. Sa création n’est pas prévue dans le projet de loi sur le harcèlement sexuel, Monsieur Lesterlin, car ce serait trop réducteur, mais pourrait en effet trouver sa place dans le projet de loi de finances. J’espère bien, en tout cas, qu’il verra le jour à l’automne.

Monsieur Geoffroy, je salue le travail que vous avez accompli avec Danielle Bousquet sur les violences, mais aussi sur la résolution relative à la prostitution. Sur le premier point, je partage pour l’essentiel votre sentiment : si nous prolongeons la durée de validité de l’ordonnance de protection, il ne faudra pas le faire au point que le dispositif perde son sens. J’ai noté avec grand intérêt vos observations sur le logement des auteurs de violences, en écho à ce que vous disiez hier de la nécessité de traiter les auteurs et non les seules victimes. Nous devons garder cela en mémoire afin d’éviter les suites les plus graves des violences.

Quant à la prostitution, j’ai en effet évité de l’évoquer dans mon propos liminaire pour qu’elle n’éclipse pas toutes les autres dimensions de l’égalité entre les hommes et les femmes. Vous le savez, en rappelant la position abolitionniste de la France, je me suis inscrite dans la filiation de la proposition de résolution que vous avez adoptée à l’unanimité en décembre 2011. La prochaine étape consistera à identifier les mesures concrètes permettant de traduire notre position abolitionniste dans les faits. Peut-être l’Assemblée nationale est-elle le lieu le plus approprié pour cela. Vous en reparlerez dans le cadre de la délégation, naturellement, mais je verrais d’un bon œil que vous vous ressaisissiez du sujet. Je vous ai entendue, Madame Gueugneau : tous ici ne sont pas favorables à la pénalisation du client. La lutte contre la prostitution ne se réduit d’ailleurs pas à ce débat, comme l’a rappelé Monsieur Geoffroy. Comment réduire le nombre d’entrées dans la prostitution, comment multiplier le nombre de sorties ? Telle est la question que nous devons nous poser, et qui touche à l’aspect sanitaire, à la prévention, à la lutte contre la traite et les réseaux. Nous nous appuierons sur les conclusions de la mission sur la prévention sanitaire des personnes prostituées que l’IGAS rendra en octobre prochain.

Pour le reste, je rappelle que le Président de la République s’est engagé pendant sa campagne à supprimer le délit de racolage passif. Nous respecterons cet engagement.

Nous avons évoqué avec les partenaires sociaux le travail dominical, mentionné par Cécile Untermaier. Ils sont conscients du problème, inséparable de la question de l’articulation des temps de vie qu’ils aborderont lors de la négociation prévue en septembre.

La question d’une grande loi-cadre se pose, Madame Orphe, mais, pour l’heure, je souhaite plutôt tenter d’améliorer l’existant – la loi du 9 juillet 2010 – après en avoir fait le bilan. J’aimerais que nous allions assez vite à l’automne, en créant l’observatoire et en prolongeant la durée de l’ordonnance de protection. Nous procéderons donc plutôt par ajustement.

Faut-il une loi réglementant l’image des femmes dans la publicité ? La question se pose également et elle est fort intéressante. Nous souhaitons en tout cas que le Conseil supérieur de l’audiovisuel, où la réforme du mode de nomination instaurera la parité, se saisisse du problème de l’image des femmes. Il est révélateur que les femmes présentes à l’écran soient le plus souvent des témoins ou des victimes plutôt que des experts !

Madame Olivier, vous savez qu’une commission sur la rénovation de la vie publique, présidée par Lionel Jospin, a été créée et vous avez constaté qu’elle était paritaire. Quant à la loi sur le non-cumul des mandats, soyez sans inquiétude : elle sera votée, ainsi que cela a été réaffirmé à plusieurs reprises, notamment par le Premier ministre. En ce qui concerne les sanctions applicables aux partis qui ne respectent pas la parité, nous envisageons de modifier la loi du 11 mars 1988 en alourdissant les sanctions encourues par les formations qui ne font même pas l’effort d’aller jusqu’à 25 % de femmes, de sorte qu’elles soient désormais privées de tout financement public. S’agissant enfin de la disparition prévue des conseillers territoriaux, la question va se poser des modalités de mise en œuvre de la parité aux élections locales, surtout dans les conseils généraux, les moins vertueux en la matière puisqu’ils ne comptent que 12 % de femmes. Le rapport d’information de Michèle André adopté au Sénat en juin 2010 proposait de maintenir le scrutin majoritaire à deux tours dans le cadre du canton mais en faisant porter l’élection sur un binôme, ce qui implique de revoir le contour des cantons et d’en réduire le nombre de moitié. Cette proposition est intéressante mais nous en sommes encore, sur ce point également, au stade de la réflexion.

Je suis d’accord avec vous, Madame Dumas : la meilleure méthode de travail consiste à s’inspirer des bonnes pratiques expérimentées au niveau local, car sur les sujets dont nous parlons, en particulier la lutte contre les violences, c’est à ce niveau que l’on peut conclure des partenariats et aborder avec finesse chaque situation spécifique. Que les membres de la délégation n’hésitent donc pas à nous faire part des bonnes pratiques qu’ils constatent dans leurs circonscriptions.

Au niveau international évoqué par Sébastien Denaja, beaucoup de choses se jouent en ce moment en matière de droits des femmes. L’un de mes premiers rendez-vous au ministère m’a d’ailleurs permis de rencontrer Michelle Bachelet, directrice exécutive d’ONU Femmes. La Commission de la condition de la femme se réunira en 2013 et la prochaine Conférence mondiale sur les femmes devrait avoir lieu en 2015. À l’heure où de nombreux pays cherchent à remettre en cause des acquis et des droits fondamentaux des femmes, l’Union européenne doit affirmer clairement son ambition et son engagement à les défendre. Nous pourrons y travailler ensemble.

Quant à la Méditerranée, sur laquelle l’actualité appelle notre attention, les réunions ministérielles catégorielles organisées dans le cadre de l’Union pour la Méditerranée n’ayant pas toujours donné satisfaction, nous reprenons une réunion ministérielle consacrée aux droits des femmes, afin d’établir une plateforme commune d’action et, notamment, veiller à ce que la Convention des Nations unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes soit adoptée par tous les pays membres.

J’ajoute à l’intention de Maud Olivier que le déblocage de la négociation sur la directive relative au congé de maternité en Europe fait partie de nos priorités. Je m’en suis entretenue assez longuement au téléphone avec Viviane Reding, qui souhaite que la France contribue à remettre cette question à l’ordre du jour. Cela suppose une réflexion sur l’articulation des temps de vie, personnelle et professionnelle, dont la France devrait être le fer de lance en Europe, au-delà de celle que nous menons au niveau national avec les partenaires sociaux. Nous y sommes pionniers sur un autre front puisque plusieurs de mes homologues européennes souhaitent s’inspirer de nos mesures sur les quotas de femmes dans les conseils d’administration, qui font effectivement partie des bonnes dispositions adoptées sous la précédente législature. Nous essaierons également de les défendre au niveau européen.

Je parlerai au président du Conseil national de l’Ordre des médecins, que je dois rencontrer prochainement au sujet des violences, du problème de formation des médecins signalé par Ségolène Neuville. En ce qui concerne la clause de conscience, nous attendons avec intérêt vos propositions, Madame la députée.

Nous travaillerons sur l’hypersexualisation des petites filles – Chantal Jouanno m’a présenté son rapport – ainsi que sur l’effet de la pornographie sur les jeunes, au risque de paraître une fois encore moralisateurs.

Je partage enfin le constat de Bernard Lesterlin sur la féminisation des médecins et les difficultés qu’elle entraîne en milieu rural. Il confirme la nécessité d’une politique publique active en matière d’installation des médecins qui prenne en considération la question du genre.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Ce qui nous ramène, comme souvent, au problème de l’articulation des temps de vie : cette question joue un rôle dans le choix des spécialités.

Merci, Madame la ministre, de nous avoir consacré autant de temps. Nous en sommes très heureux et très flattés. Nous avons maintenant une feuille de route bien fournie ; à nous de la remettre en ordre et d’y identifier nos priorités avant de travailler en lien avec vous. Nous trouvons en vous un soutien – ou une partenaire – de poids ; en retour, comptez sur nous pour vous servir de petits soldats si d’aventure certains arbitrages menacent de vous mettre en difficulté au Gouvernement.

Mme la Ministre des Droits des femmes. C’est l’un des premiers conseils que m’a donnés Yvette Roudy : « Appuie-toi sur l’Assemblée ! » Je compte bien le suivre.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Nous nous retrouverons donc à la rentrée. D’ici là, bonnes vacances, si vous parvenez à en prendre !

La séance est levée à 16 heures 45.