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La séance est ouverte à 17 heures.
Présidence de Mme Catherine Coutelle, présidente.
La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes examine le rapport d’information sur les études de genre (Mme Maud Olivier, rapporteure).
Mme la présidente Catherine Coutelle. Chères collègues, nous examinons aujourd’hui le rapport d’information sur les études de genre. Il arrive à point, le genre faisant à nouveau l’objet d’une actualité brûlante. Le Pape lui-même s’en est récemment mêlé.
Cet après-midi, j’ai eu connaissance d’un article sur la ville de Paris, qui présente aujourd’hui son premier guide référentiel sur le genre et l’espace public. La ville de Paris va se doter d’outils pour faire travailler les urbanistes, en lien avec ses services, sous la houlette d’Hélène Bidard, adjointe à la Maire de Paris, en charge des questions relatives à l’égalité femmes-hommes. Anne Hidalgo se veut exemplaire dans ce domaine.
C’est un sujet qui est connu dans d’autres villes en France et à l’étranger où des villes se sont attelées à la tâche. Je pense que nos travaux seront fort utiles. Je vous laisse la parole, madame la rapporteure, pour nous les présenter, ainsi que les recommandations de ce rapport.
Mme Maud Olivier, rapporteure. Mes chères collègues, nous sommes aujourd’hui réunies pour examiner le rapport d’information sur les études de genre.
Nous avons souhaité travailler sur ce sujet pour évaluer les dispositions de l’article 1er de la loi du 4 août 2014, qui définit comme composante de la politique pour l’égalité entre les femmes et les hommes les « actions visant à porter à la connaissance du public les recherches françaises et internationales sur la construction sociale des rôles sexués ».
Nous avons mené neuf séances d’auditions en 2016, qui ont eu lieu essentiellement en mai, juin et septembre derniers, et qui nous ont permis d’entendre des points de vue très complémentaires, avec des associations telles que le Centre Hubertine Auclert, l’Association nationale des études féministes (ANEF) ou encore ONU Femmes, et des universitaires travaillant sur les études de genre dans de disciplines très différentes, comme l’économie, la biologie, le droit, la sociologie…
Toutes les auditions, ouvertes à la presse, ont été filmées et sont visibles sur le site de l’Assemblée nationale.
Ce rapport montre qu’il s’agit d’un sujet important et nous a permis de faire le point sur la notion de genre et le vaste champ des études de genre, qui ont fait l’objet de tant d’interprétations erronées à l’origine de plusieurs polémiques infondées.
Pour rappel, le genre n’est pas une idéologie. C’est un concept. Il n’existe pas de « théorie du gender », mais des études de genre qui veillent à questionner les rôles qui nous sont socialement assignés. Elles expliquent en quoi, au-delà des évidentes différences anatomiques, les inégalités femmes-hommes sont le résultat d’une construction sociale et historique, non le produit d’un quelconque déterminisme biologique. Ce qui relève de la construction peut être déconstruit ou construit autrement.
C’est une réalité démontrée par des décennies de travaux à l’échelle internationale, en sociologie, en histoire, en ethnologie, en anthropologie, en biologie, et notamment en neurobiologie. La France tend à rattraper son retard, mais il reste encore fort à faire.
Comme le Conseil de l’Europe, l’Union européenne, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et tant d’autres, l’ONU utilise le concept de genre de façon très courante et le définit comme l’identité, les attributs et le rôle de la femme et de l’homme, tels qu’ils sont définis par la société, et la signification sociale et culturelle que la société donne aux différences biologiques, ce qui engendre des rapports hiérarchiques entre femmes et hommes et se traduit par une répartition du pouvoir et des droits favorables aux hommes et désavantageux pour les femmes.
Pour lutter contre les inégalités, il faut savoir de quoi on parle, quels sont les facteurs de celles-ci. Ainsi, prendre en compte le genre dans les recherches, mais aussi dans l’action publique, est nécessaire pour faire progresser l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.
Je vais maintenant vous présenter brièvement les grandes lignes de ce rapport, puis les recommandations proposées.
La première partie du rapport s’intitule : « Les études de genre en France, un essor à consolider ».
Le rapport aborde d’abord la question de l’historique des études de genre en France, qui s’inscrivent dans la tradition des études féministes. Puis, il fait l’état des lieux des études de genre dans l’enseignement supérieur et la recherche en France. Il est apparu que les études de genre étaient relativement bien développées en France, mais qu’elles manquaient de visibilité et de reconnaissance.
La seconde partie du rapport s’intitule : « L’intégration du genre dans les politiques publiques, un levier essentiel pour faire progresser l’égalité réelle ». Elle porte sur la nécessité de prendre en compte les différences des rôles assignés aux femmes et aux hommes pour améliorer l’efficacité des politiques publiques et faire progresser l’égalité.
Il s’agissait d’approfondir plusieurs exemples de politiques publiques afin de mieux appréhender les enjeux de l’intégration de la dimension du genre dans le processus d’élaboration, de mise en œuvre et d’évaluation des différentes politiques publiques. Le rapport développe ainsi les exemples des politiques urbaines éducatives et de santé.
Le rapport examine, en outre, les méthodes de budgétisation sensibles au genre (gender budgeting), un des instruments clefs de l’approche intégrée de l’égalité femmes-hommes, qui suit une logique transversale, parallèlement aux politiques spécifiquement dédiées à l’égalité. Nous plaidons pour cette logique transversale. La dimension du genre doit être intégrée dans l’ensemble des politiques publiques et des processus budgétaires pour renforcer leur efficacité et faire progresser l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.
Dans le prolongement de ces travaux, je vous propose vingt-quatre recommandations.
Concernant, en premier lieu, la place des études de genre dans l’enseignement supérieur et la recherche, huit recommandations sont présentées afin de renforcer la visibilité et la reconnaissance des études de genre en France.
La première recommandation propose de systématiser l’actualisation annuelle du recensement des recherches et des enseignements sur le genre en France.
La deuxième recommandation tend à créer un collegium à l’échelle nationale permettant de relier les différentes structures de recherche et d’enseignement sur le genre afin de nouer un lien étroit entre l’enseignement et la recherche et de donner une meilleure visibilité nationale et internationale aux recherches françaises dans ce domaine.
La recommandation suivante vise à encourager la diffusion des études de genre en renforçant les moyens du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh) dédiés à la diffusion au grand public des travaux de recherche sur les études de genre, mission qui lui a été confiée dès 2013, et en mettant en place une thématique « genre » dans le cadre de la web TV scientifique d’Universcience, acteur incontournable de la diffusion de la culture scientifique.
La quatrième recommandation propose d’améliorer la reconnaissance des études de genre dans le monde de la recherche et dans le déroulement de carrière des chercheurs et des chercheuses, en créant un prix national pour récompenser un résultat de recherche en études de genre et en demandant au Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES) de mieux prendre en compte les études de genre dans ses missions d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur.
Il conviendrait par ailleurs de soutenir la consolidation des équipes de recherche sur le genre en structures pérennes au sein des organismes de recherche, en s’inspirant notamment des actions menées par la Mission pour la place des femmes du Centre national de la recherche scientifique (CNRS).
La sixième recommandation prévoit d’encourager le développement des recherches sur le genre dans toutes les disciplines académiques, notamment en intégrant davantage la thématique « genre » dans les financements et les appels à projet de l’Agence nationale de la recherche, à l’image de la démarche du programme européen Horizon 2020.
La septième recommandation propose de pérenniser et de développer le groupement d’intérêt scientifique (GIS) Institut du Genre comme plateforme d’informations et d’échanges sur les recherches et les enseignements sur le genre.
La huitième recommandation vise à inciter les établissements universitaires à créer de nouveaux enseignements sur le genre, notamment en créant un bonus financier accordé aux universités qui mettent en place des modules dédiés au genre et adaptés aux différents cursus.
En second lieu, le rapport formule une dizaine de recommandations concernant l’intégration de la dimension du genre dans les différentes politiques publiques examinées.
Je commencerai par les politiques urbaines.
Il est tout d’abord proposé de mettre en œuvre une pédagogie de l’espace pour parvenir à une culture et un usage égalitaires de la ville. Ce qu’a mis en place la Mairie de Paris s’inscrit dans ce type de démarche
Il est suggéré de diffuser dans les commissariats de police une circulaire sur l’accueil des femmes victimes de harcèlement de rue, d’introduire dans le code pénal un délit d’agissements sexistes, d’encourager les campagnes de communication locales ou nationales sur la sécurité et l’égalité femmes-hommes portant un discours non culpabilisant à l’égard des femmes et dénonçant les comportements sexistes, en incitant à la création d’ateliers, dans les cadres scolaire et périscolaire, portant sur le partage de l’espace entre les filles et les garçons.
La dixième recommandation tend à améliorer le processus d’élaboration et d’évaluation des politiques publiques par la prise en compte de la dimension de genre et par la mise en place de mécanismes de consultation afin de mieux prendre en compte les femmes qui, en général, participent peu à ces consultations.
Pour ce faire, le rapport invite à développer des consultations paritaires des habitants des zones urbaines et à veiller à aménager les horaires pour favoriser la participation des femmes, à associer systématiquement les déléguées et délégués régionaux et les chargées et chargés de mission départementaux aux droits des femmes et à l’égalité à l’élaboration des projets de politiques de la ville, et à veiller à la présence d’une chargée de mission égalité femmes-hommes au sein du Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET).
J’insiste sur le fait d’associer les déléguées régionales et les chargées de mission départementales à l’élaboration des projets de rénovation urbaine, car elles ne sont pas systématiquement invitées. On se prive ainsi d’un regard particulièrement intéressant.
La onzième recommandation propose d’améliorer l’intégration de la dimension de genre dans la gestion territoriale des collectivités, en développant l’accompagnement des collectivités territoriales par la création de centres de ressources régionaux pour l’égalité femmes-hommes, à l’image du Conseil recherche ingénierie formation pour l’égalité femmes-hommes (CORIF) ou du Centre Hubertine Auclert ; en créant un espace numérique national « EGALiTER : femmes et hommes égaux dans les territoires » pour outiller, accompagner et valoriser les territoires et leurs acteurs agissant pour l’égalité, intégré au site internet du CGET, comme le recommande le rapport EGALiTER du HCEfh ; enfin, en majorant certaines dotations pour les collectivités territoriales souhaitant créer un poste de « référent.e à l’égalité femmes-hommes » en charge de la prise en compte de ces enjeux de genre dans leurs différentes politiques publiques.
En l’occurrence, j’ai repris une mesure que nous avons mise en place au conseil général de l’Essonne. Nous avons doté les collectivités territoriales qui avaient créé un poste de référent.e à l’égalité femmes-hommes de fonds supplémentaires. Le levier financier est intéressant, car il est toujours pris en compte…
La douzième recommandation incite à la mise en place de politiques temporelles dans les collectivités territoriales, intégrant systématiquement un axe prioritaire « égalité femmes-hommes », pour améliorer la qualité de vie des citoyens et des citoyennes.
La treizième recommandation propose d’explorer et de diffuser les bonnes pratiques pour mieux intégrer la dimension de genre aux politiques urbaines dans les collectivités en France et à l’international : dans ce sens, le Gouvernement doit publier un guide « égalité femmes-hommes » rappelant aux collectivités territoriales leurs obligations en la matière, présentant les outils mis à leur disposition et mettant en avant les bonnes pratiques repérées.
J’en arrive aux politiques d’éducation.
La quatorzième recommandation propose de développer la formation à l’égalité des enseignants et des enseignantes dans les écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE), de prévoir une évaluation régulière des enseignements dispensés et d’intégrer dans les épreuves du concours la thématique de l’égalité femmes-hommes.
La recommandation suivante vise à compléter l’intégration de l’égalité femmes-hommes dans les programmes scolaires à travers des modules dédiés et des approches transversales dans les différents enseignements.
La seizième recommandation propose de mieux intégrer le genre et l’égalité femmes-hommes dans les manuels scolaires, en diligentant une mission d’évaluation des manuels scolaires, confiée à des chercheurs et chercheuses spécialisés dans les questions de genre ; en approfondissant, à la lumière de ce diagnostic, les instructions données aux auteures, auteurs, éditeurs et éditrices de manuels scolaires ; en créant un label ministériel « égalité » pour les manuels dont les contenus sont adaptés à l’apprentissage de l’égalité femmes-hommes et à la déconstruction des stéréotypes de genre, pouvant s’appuyer sur la grille d’évaluation élaborée par le Centre Hubertine Auclert.
La dix-septième recommandation suggère de réunir ces outils dans un guide pratique de formation à l’égalité femmes-hommes destiné à l’ensemble des membres des équipes éducatives. Au-delà des enseignants et des enseignants, c’est toute la communauté éducative qu’il faut sensibiliser et former.
Enfin, concernant les politiques de santé, la dix-huitième recommandation propose d’améliorer la formation initiale et continue des médecins pour mieux prendre en compte le facteur genre et assurer une égalité des diagnostics entre les femmes et les hommes.
La dix-neuvième recommandation tend à encourager le développement des recherches sur la thématique « genre et santé » afin d’améliorer la compréhension du rôle du genre dans la physiologie et la pathologie.
En troisième lieu, concernant l’intégration du genre dans les processus d’élaboration des normes juridiques et des budgets, afin de faire progresser l’égalité et d’améliorer l’efficacité de toutes les politiques publiques, cinq recommandations sont présentées.
La vingtième recommandation vise à approfondir la prise en compte des enjeux d’égalité de genre dans les études d’impact pour améliorer l’élaboration des normes juridiques, par exemple en confiant au Secrétariat général du Gouvernement un rôle de contrôle des analyses prescrites par la circulaire du 23 août 2012 dans les études d’impact, afin que leur existence et leur qualité conditionnent l’inscription des projets de loi dans la suite du parcours législatif, comme le propose la Cour des comptes.
La vingt et unième recommandation suggère de faire de la commande publique un levier de l’égalité femmes-hommes, en sensibilisant et en informant les acteurs et les actrices de la commande publique – administrations, élues et élus, etc. ; en formalisant et en diffusant des clauses types d’égalité à partir des premières expériences réussies.
La recommandation suivante propose de développer le recueil et la publication de données sexuées dans l’ensemble des champs des politiques publiques et d’utiliser ces données pour améliorer les études d’impact et les évaluations des textes législatifs et réglementaires.
Il est par ailleurs préconisé de s’inspirer de l’exemple de la Belgique pour institutionnaliser et systématiser la prise en compte du genre dans l’ensemble des politiques publiques, en inscrivant à l’ordre du jour du prochain comité interministériel aux droits des femmes et à l’égalité un bilan des pratiques actuelles et une étude des moyens d’intégrer la budgétisation sensible au genre aux procédures budgétaires françaises ; en développant une catégorisation des actions présentées dans la seconde partie des lois de finances, afin de permettre d’examiner l’ensemble des crédits attribués aux politiques publiques sous l’angle de l’égalité entre les femmes et les hommes – un budget n’est jamais neutre – ; en formant les personnels administratifs en charge des budgets à la nécessité de la prise en compte du genre dans l’élaboration des politiques publiques et à la démarche de la catégorisation.
Enfin, la vingt-quatrième et dernière recommandation suggère de s’inspirer de l’exemple de Vienne pour mettre en œuvre une approche intégrée de l’égalité dans les collectivités territoriales et développer le partage des bonnes pratiques en s’appuyant sur un organisme public pertinent, comme le HCEfh, le Commissariat général à l’égalité des territoires, le Service des droits des femmes et de l’égalité entre les femmes et les hommes.
Voilà, mes chères collègues, les principaux points du rapport d’information sur les études de genre.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Je voudrais remercier Maud Olivier pour ce rapport, pour lequel de nombreuses auditions ont été organisées. Il a fallu trouver les personnes adéquates pour procéder à ces auditions, qui ont toutes été passionnantes. C’est une qualité de la Délégation aux droits de femmes que de savoir trouver les bons interlocuteurs.
Je vous laisse la parole, mes chères collègues, pour nous faire part de vos remarques.
Mme Édith Gueugneau. Je voudrais, à mon tour, remercier Maud Olivier pour la qualité de ce rapport.
Le point qui m’a particulièrement intéressée concerne le genre et la ville, et la façon d’anticiper l’urbanisation. Nous pourrions lancer une réflexion sur les projets réalisés pour les femmes et ceux réalisés pour les hommes, ou encore sur la mixité de certains projets.
Je me félicite que la Délégation aux droits des femmes ait pu porter un tel sujet. Le chemin est encore long, mais nous œuvrons sans cesse pour apporter notre pierre à l’édifice. Nous approchons de la fin de cette législature. J’espère nos travaux se poursuivront, car on a vite fait de faire un pas en arrière. C’est pourquoi il faut en permanence prendre position et militer en faveur des droits des femmes.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Je voudrais souligner l’originalité de ce rapport. C’est peut-être l’un des seuls que nous ayons fait sous l’angle de l’alimentation des politiques publiques par la recherche. Maud Olivier souhaitait mettre en valeur la recherche française lorsqu’elle a déposé son amendement visant à porter à la connaissance du public les recherches sur la construction sociale des rôles sexués. Le mot « genre » n’avait pas été inscrit parce qu’il y avait, en 2014, une telle polémique que la simple évocation de ce terme était de nature à susciter des débats enflammés dans l’hémicycle …
J’ai lu avec beaucoup d’intérêt les analyses des différents laboratoires qui s’occupent du genre et qui mériteraient, comme vous le dites dans une recommandation, madame la rapporteure, une mise en valeur. J’avais entendu dire, il y a quelques temps, que les études de genre ne faisaient pas avancer rapidement la carrière universitaire des chercheurs et des chercheuses ayant emprunté cette voie. J’espère que la situation a évolué. Cela étant, un grand nombre de laboratoires travaillent sur le genre, bien plus qu’on ne l’imagine, d’ailleurs, dans la mesure où ils ne sont pas très visibles.
Vous souhaitez, madame la rapporteure, créer un collegium. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur ce sujet ?
Pour reprendre votre remarque sur l’espace public genré, c’est un chercheur, Yves Raibaud, qui, travaillant sur la géographie du genre, a développé cette approche. Il a constaté, si l’on observait en détail les investissements sportifs, par exemple, qu’on privilégiait les équipements pour les garçons. Ainsi, en ce qui concerne les city stades, dont se dotent aujourd’hui toutes les communes, en gros, 70 % des équipements sont destinés aux garçons et 30 % seulement aux filles. Ce n’est pas volontaire de la part des élus. Simplement, ils ne se posent pas la question de savoir qui va utiliser les équipements. Il faut reconnaître que les activités sportives restent assez genrées et que le coût est bien moindre pour équiper une salle de danse pour les filles qu’un terrain de foot ou un grand city stade.
Mme la rapporteure. Il faut donner des exemples aux collectivités. C’est la raison pour laquelle la recommandation concernant la publication d’un guide me paraît fondamentale.
Quand j’ai voulu, en tant que maire, mener ces politiques, on m’a toujours opposé, tout en affirmant souhaiter la parité, que les filles ne jouaient ni au foot ni au rugby. La question ne s’aborde pas sous cet angle. Il faut prendre en compte les budgets dont on dispose et faire en sorte que les filles, même si elles ne jouent ni au foot ni au rugby – bien qu’il y en ait aujourd’hui de plus en plus – puissent bénéficier des mêmes aides financières pour pratiquer d’autres sports. Mais c’est un discours difficile à faire passer… Il reste beaucoup à faire au niveau des collectivités.
Quant à la création d’un collegium, elle figure dans les orientations stratégiques du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche (MESR). Un collegium permettrait de recenser tous les travaux sur les études de genre afin qu’elles soient mieux identifiées, mieux reconnues et, en créant une synergie, mieux perçues, mieux appréhendées par les politiques publiques.
Créer un tel collegium permettrait de relier les universités en pointe sur ces questions, comme à Lyon, Bordeaux, Toulouse ou Paris, et de montrer leurs spécificités, car elles n’ont pas toutes la même approche. Cela permettrait d’en faire un lieu de revendication, d’améliorer l’affichage etc.
Mme Sylvie Tolmont. Je félicite à mon tour Maud Olivier pour ce travail très abouti. La partie qui m’intéresse plus particulièrement concerne l’éducation.
Avez-vous abordé, dans ce rapport, la question des « ABCD de l’égalité » ? Je pense à la polémique générée par cette expérimentation, à son abandon et à la mise en place, par la ministre Najat Vallaud-Belkacem, d’un Plan d’action pour l’égalité entre les filles et les garçons à l’école. Abordez-vous ce sujet dans le rapport ?
S’il y a un lieu où la formation des personnels aux questions concernant l’égalité entre filles et garçons et les stéréotypes sexués est importante, c’est bien l’école, et je pense en particulier aux enseignants et aux conseillers d’orientation. Il ne faut pas lâcher sur ce point.
J’ai entendu des conseillers d’orientation et des professeurs principaux de collèges qui m’ont expliqué qu’on orientait, aujourd’hui encore, les filles essentiellement vers les métiers des services. Il y a encore beaucoup de travail à faire, en particulier dans le milieu éducatif.
La polémique sur la question du genre n’est pas née avec ce gouvernement. En 2011, déjà, une partie de la droite demandait à M. Chatel de retirer des manuels scolaires, notamment dans le domaine des sciences de la vie et de la terre (SVT). C’est un combat permanent qu’il nous faut mener.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Maud Olivier, à la page 93 de son rapport, dénonce fortement les attaques idéologiques menées à l’encontre du programme des « ABCD de l’égalité ». Je regrette que Najat Vallaud-Belkacem l’ait retiré, même si j’en comprends les raisons. Cela étant, ce recul est dommageable.
Hier soir, il y avait, à l’Assemblée, un colloque sur les droits sexuels et reproductifs en Europe et sur les mouvements réactionnaires qui attaquent ces droits. La Pologne, la semaine dernière, en a fourni l’exemple. Ces mouvements s’alimentent de la dite « théorie du genre ». C’est ce qu’a démontré hier un chercheur universitaire belge, qui fait remonter le développement des débats autour de « la théorie du genre » à une réaction du Vatican, de l’Église catholique et d’autres Églises, après les grandes conférences de Pékin et du Caire. Ces conférences, qui avaient donné aux droits des femmes une ampleur considérable, ont pris de court les religions, qui n’étaient pas toutes favorables aux droits sexuels, à la contraception, à l’IVG, et qui ont développé une analyse, avec notamment des débats sur cette « théorie du genre », que l’on accuse de vouloir indifférencier les sexes, de nier les différences biologiques entre les filles et les garçons. Un amalgame qui, aujourd’hui, a trouvé du regain avec la Manif pour Tous, ce qui a abouti aux journées de retrait des enfants de l’école. Ce mouvement s’appuyait sur cette prétendue « théorie du genre », dont il est dit très clairement dans le rapport qu’elle n’existe pas.
Mme la rapporteure. Le retrait des ABCD de l’égalité marque effectivement un recul, mais il y a le Plan d’action pour l’égalité entre les filles et les garçons, qui figure à la page 94 du rapport, où l’on peut voir qu’un certain nombre d’orientations sont toujours en vigueur. Il faudra veiller à ce qu’elles soient appliquées. C’est pourquoi, lorsqu’on parle de la formation des futurs professeurs des écoles, j’insiste sur la question des ESPE.
Je suis encore intervenue, il y a quelques jours, en commission des Affaires culturelles et de l’Éducation, pour demander qu’au moment du concours de professeur des écoles, il y ait un module sur l’égalité filles-garçons. Cela étant, il est nécessaire, au-delà des enseignants, que tous les personnels de l’éducation nationale, les principaux de collèges, les directeurs d’école, etc. aient cette formation et soient sensibilisés à ces questions. Toute l’équipe éducative doit être sensibilisée au fait que l’école est là pour lutter contre les prédéterminismes sociaux. Nous devons absolument continuer à mener ce combat.
En ce qui concerne la « théorie du genre » et des appels au retrait des enfants de l’école, on a expliqué aux gens qu’on voulait faire mettre des robes aux petits garçons et transformer leur sexe ! De toute façon, donner l’égalité aux femmes en termes de droits n’est pas encore dans les mentalités. La partie n’est pas gagnée. J’ai entendu dire, récemment, que les femmes étaient faites pour s’occuper des enfants et qu’elles devaient rester à leur place.
Les attaques sont totalement infondées, mais elles touchent à des choses qui interpellent les gens. Il faut faire preuve de pédagogie. J’ai voulu faire ce rapport sur les études de genre, afin de montrer qu’il ne s’agissait pas d’une théorie fumeuse et subversive, mais que ces études reposaient sur des analyses et que les inégalités entre les filles et les garçons pouvaient être combattues, déconstruites. Mais pour déconstruire quelque chose, il faut d’abord voir comment cela a été construit. C’est pourquoi il fallait montrer qu’il s’agissait d’études scientifiques.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Je voudrais rédiger une vingt-cinquième recommandation proposant des budgets genrés, tant au niveau de l’État que des collectivités locales.
En 2001, la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) a mis en place les documents de politique transversale (DPT). Dans un budget dédié aux sports, par exemple, on va constater que 70 % de tel financement est dédié aux garçons et 30 % seulement aux filles. Mais il s’agit d’une analyse a posteriori.
C’est une tout autre politique qui consisterait, pour l’État ou une collectivité locale, à anticiper et à donner autant aux fédérations sportives féminines que masculines. Cela changerait la donne. Dans les collectivités locales, l’écart entre les subventions données à un club de volley de filles et à un club de volley de garçons, par exemple, peut être de 1 à 10. Pour des collectivités de taille moyenne, cela peut aller de 20 000 à 200 000 euros.
Si l’analyse est faite a posteriori, elle permet simplement de constater qu’avec tel budget, tant de filles peuvent jouer au volley. Si, en revanche, elle est faite en amont, elle permet de prévoir le montant des subventions que l’on va consacrer aux filles et aux garçons, et donc, d’atteindre l’objectif recherché.
La budgétisation sensible au genre figure déjà dans la vingt-troisième recommandation, mais dans un sous-alinéa. J’aimerais que ce soit plus visible, et que le gender budgeting soit explicitement prévu tant au niveau de l’État que des collectivités locales.
En effet, je voudrais déposer, au nom de la Délégation, dans le cadre de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2017, un amendement sur ce sujet, visant à introduire des budgets genrés. La France est, en effet, l’un des pays qui n’ont pas recours à cette pratique et où l’analyse ne se fait qu’a posteriori.
Mme la rapporteure. Nous pourrions rédiger une vingt-troisième recommandation de la façon suivante : « élaborer les budgets nationaux et locaux en intégrant systématiquement la dimension du genre. » Il suffit de décaler les deux dernières recommandations, la vingt-troisième devenant la vingt-quatrième et la vingt-quatrième devenant la vingt-cinquième.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Chères collègues, nous allons pouvoir nous appuyer sur cette recommandation pour défendre l’amendement que nous présenterons en séance publique.
La Délégation adopte le rapport d’information et les recommandations suivantes :
• Études de genre dans l’enseignement supérieur et la recherche
1) Systématiser l’actualisation annuelle du recensement des recherches et des enseignements sur le genre en France.
2) Créer un collegium à l’échelle nationale permettant de relier les différentes structures de recherche et d’enseignement sur le genre afin de nouer un lien étroit entre l’enseignement et la recherche pour une meilleure visibilité nationale et internationale aux recherches françaises dans ce domaine.
3) Encourager la diffusion des études de genre :
– en renforçant les moyens du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh) dédiés à la diffusion au grand public des travaux de recherche sur les études de genre, mission qui lui a été confiée dès 2013 ;
– en mettant en place une thématique « genre » dans le cadre de la web TV scientifique d’Universcience.
4) Améliorer la reconnaissance des études de genre dans le monde de la recherche et dans le déroulement des carrières de chercheur.se.s :
– en créant un prix national pour récompenser un résultat de recherche en études de genre ;
– en demandant au Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES) de mieux prendre en compte les études de genre dans ses missions d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur.
5) Soutenir la consolidation des équipes de recherche sur le genre en structures pérennes au sein des organismes de recherche, en s’inspirant notamment des actions menées par la Mission pour la place des femmes au CNRS.
6) Encourager le développement des recherches sur le genre dans toutes les disciplines académiques, notamment en intégrant davantage la thématique « genre » dans les financements et les appels à projet de l’Agence nationale de la recherche, à l’image de la démarche du programme européen Horizon 2020.
7) Pérenniser et développer le groupement d’intérêt scientifique Institut du Genre comme plateforme d’informations et d’échanges sur les recherches et les enseignements sur le genre.
8) Inciter les établissements universitaires à créer de nouveaux enseignements sur le genre, notamment en créant un bonus financier accordé aux universités qui mettent en place des modules dédiés au genre et adaptés aux différents cursus.
• Études de genre et politiques urbaines
9) Mettre en œuvre une pédagogie de l’espace pour parvenir à une culture et un usage égalitaire de la ville :
− en diffusant dans les commissariats de police une circulaire sur l’accueil des femmes victimes de harcèlement de rue ;
− en introduisant dans le code pénal un délit d’agissements sexistes ;
− en encourageant les campagnes de communication locales et/ou nationales sur la sécurité et l’égalité femmes-hommes portant un discours non culpabilisant à l’égard des femmes et dénonçant les comportements sexistes ;
− en incitant à la création d’ateliers, dans les cadres scolaire et périscolaire, portant sur le partage de l’espace entre les filles et les garçons.
10) Améliorer le processus d’élaboration et d’évaluation des politiques publiques par la prise en compte de la dimension genre et par la mise en place de mécanismes de consultation afin de mieux prendre en compte les femmes :
− en développant des consultations paritaires des habitant.e.s des zones urbaines et en veillant à aménager les horaires pour favoriser la participation des femmes ;
− en associant systématiquement les délégué.e.s régionaux.ales et les chargé.e.s de mission départementaux.ales aux droits des femmes et à l’égalité à l’élaboration des projets de politiques de la ville ;
− en veillant à la présence d’un.e chargé.e de mission égalité femmes-hommes au sein du Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET).
11) Améliorer l’intégration de la dimension genre dans la gestion territoriale des collectivités :
− en développant l’accompagnement des collectivités territoriales par la création de centres de ressources régionaux à l’égalité femmes-hommes à l’image du Conseil recherche ingénierie formation pour l’égalité femmes-hommes (CORIF) ou du Centre Hubertine Auclert ;
− en créant un espace numérique national « EGAliTER : femmes et hommes égaux dans les territoires » pour outiller, accompagner et valoriser les territoires et leurs acteur.trice.s agissant pour l’égalité, intégré au site internet du CGET, comme le recommande le rapport EGAliTER du HCEfh ;
− en majorant certaines dotations pour les collectivités territoriales souhaitant créer un poste de « référent.e à l’égalité femmes-hommes » en charge de la prise en compte de ces enjeux de genre dans leurs différentes politiques publiques.
12) Inciter à la mise en place de politiques temporelles dans les collectivités territoriales, intégrant systématiquement un axe prioritaire « égalité femmes-hommes », pour améliorer la qualité de vie des citoyen.ne.s.
13) Explorer et diffuser les bonnes pratiques pour mieux intégrer la dimension genre aux politiques urbaines dans les collectivités en France et à l’international : le Gouvernement doit publier un guide « égalité femmes-hommes » rappelant aux collectivités territoriales leurs obligations en la matière, présentant les outils mis à leur disposition et mettant en avant les bonnes pratiques repérées.
• Études de genre et politiques de l’éducation
14) Développer la formation à l’égalité des enseignant.e.s dans les ESPE, prévoir une évaluation régulière des enseignements dispensés et intégrer dans les épreuves du concours la thématique de l’égalité femmes-hommes.
15) Compléter l’intégration de l’égalité femmes-hommes dans les programmes scolaires à travers des modules dédiés et des approches transversales dans les différents enseignements.
16) Mieux intégrer le genre et l’égalité femmes-hommes dans les manuels scolaires :
− en diligentant une mission d’évaluation des manuels scolaires, confiée à des chercheur.se.s spécialisé.e.s sur les questions de genre ;
− en approfondissant, à la lumière de ce diagnostic, les instructions données aux auteur.e.s et aux éditeur.trice.s de manuels scolaires ;
− en créant un label ministériel « égalité » pour les manuels dont les contenus sont adaptés à l’apprentissage de l’égalité femmes-hommes et à la déconstruction des stéréotypes de genre, pouvant s’appuyer sur la grille d’évaluation élaborée par le Centre Hubertine Auclert.
17) Réunir ces outils dans un guide pratique de formation à l’égalité femmes-hommes destiné à l’ensemble des membres des équipes éducatives.
• Études de genre et politiques de santé
18) Améliorer la formation initiale et continue des médecins pour mieux prendre en compte le facteur genre et assurer une égalité des diagnostics entre les femmes et les hommes.
19) Encourager le développement des recherches sur la thématique « genre et santé » afin d’améliorer la compréhension du rôle du genre dans la physiologie et la pathologie.
• Études de genre et pilotage de l’action publique
20) Approfondir la prise en compte des enjeux d’égalité de genre dans les études d’impact pour améliorer l’élaboration des normes juridiques, par exemple en confiant « au Secrétariat général du gouvernement un rôle de contrôle des analyses prescrites par la circulaire du 23 août 2012 dans les études d’impact, afin que leur existence et leur qualité conditionnent l’inscription des projets de loi dans la suite du parcours législatif », comme le propose la Cour des comptes.
21) Faire de la commande publique un levier de l’égalité femmes-hommes :
− en sensibilisant et en informant les acteur.trice.s de la commande publique (administrations, élu.e.s…) ;
− en formalisant et en diffusant des clauses-types d’égalité à partir des premières expériences réussies.
22) Développer le recueil et la publication de données sexuées dans l’ensemble des champs de politiques publiques et utiliser ces données pour améliorer les études d’impact et les évaluations des textes législatifs et réglementaires.
23) Élaborer les budgets nationaux et locaux en intégrant systématiquement la dimension du genre.
24) S’inspirer de l’exemple de la Belgique pour institutionnaliser et systématiser la prise en compte du genre dans l’ensemble des politiques publiques :
− en inscrivant à l’ordre du jour du prochain comité interministériel aux droits des femmes un bilan des pratiques actuelles et une étude des moyens d’intégrer la budgétisation sensible au genre aux procédures budgétaires françaises ;
− en développant une catégorisation des actions présentées dans la seconde partie des lois de finances, afin de permettre d’examiner l’ensemble des crédits attribués aux politiques publiques sous l’angle de l’égalité femmes-hommes ;
− en formant les personnels administratifs en charge des budgets à la nécessité de la prise en compte du genre dans l’élaboration des politiques publiques et à la démarche de la catégorisation.
25) S’inspirer de l’exemple de Vienne pour mettre en œuvre une approche intégrée de l’égalité dans les collectivités territoriales et développer le partage des bonnes pratiques en s’appuyant sur un organisme public pertinent (HCEfh, Commissariat général à l’égalité des territoires, Service des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes).
La séance est levée à 17 heures 45.
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Membres présents
Présents. – Mme Catherine Coutelle, Mme Edith Gueugneau, Mme Maud Olivier, Mme Sylvie Tolmont.
Excusés. – Mme Pascale Crozon, Mme Gilda Hobert, Mme Chaynesse Khirouni, Mme Marie-Jo Zimmermann.