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La séance est ouverte à 16 heures 40.
Présidence de Mme Catherine Coutelle, présidente.
La Délégation a procédé à l’audition, dans le cadre d’un colloque, ouvert au public et à la presse, sur le thème « Médias, jeux vidéos, internet : enjeux et outils face aux images et violences sexistes », de Mme Audrey Azoulay, ministre de la Culture et de la Communication, Mme Sylvie Pierre-Brossolette, membre du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), présidente du groupe de travail « Droits des femmes », M. Romain Sabathier, secrétaire général du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh), Mme Marie-Noëlle Bas, présidente de l’association Chiennes de garde, Mme Magali Jalade, directrice des affaires publiques et réglementaires, de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP), Mme Fanny Lignon, maîtresse de conférences à l’école supérieure du professorat et de l’éducation (ESPE) de l’Académie de Lyon-Université Lyon 1, coordinatrice de l’ouvrage collectif Genre et jeux vidéo (2015), M. Jean-Claude Ghinozzi, président du Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs (SELL), M. André Canvel, délégué ministériel chargé de la prévention et de la lutte contre les violences en milieu scolaire, Mme Imanne Agha, membre de la délégation, au ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Mme Manuela Moukoko, membre du collectif « Féministes contre le cyberharcèlement », Mme Valérie Maldonado, adjointe à la sous-directrice de la lutte contre la cybercriminalité au ministère de l’Intérieur, commissaire divisionnaire, et Mme Diariata N’Diaye, présidente de l’association Resonantes, créatrice de l’application « APP-Elles », fondatrice de « «resonantes.fr », plateforme multimédias d’information et de sensibilisation des 15-30 ans aux violences.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Madame la ministre, mes chers collègues, mesdames, messieurs, j’ai l’honneur d’ouvrir ce colloque intitulé « Médias, jeux vidéos, internet : enjeux et outils face aux images et violences sexistes ».
Merci à toutes celles et ceux qui ont répondu à notre invitation, en cette semaine organisée autour du 25 novembre, journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes. C’est pour nous l’occasion de porter une attention toute particulière au sexisme, qui malheureusement perdure, malgré les mesures qui ont été prises.
Nous allons aborder cette année les problématiques liées à la culture et les médias ainsi que les jeux vidéos et internet, et je remercie tout particulièrement Audrey Azoulay, ministre de la Culture et de la Communication, d’avoir trouvé le temps de venir nous parler des violences sexistes et, plus généralement, de la présence des femmes dans la culture, domaine où, comme ailleurs, elles peinent à trouver leur place dans les lieux de pouvoirs.
Il nous faut donc continuer à nous battre contre toutes les formes de discrimination dont sont victimes les femmes, dans le cadre du plan d’action et de mobilisation contre le sexisme et de la campagne « Sexisme, pas notre genre » qui se déroule jusqu’au 8 mars 2017.
Le sexisme est bien en effet une forme de discrimination et de violence faite aux femmes, qui se traduit en particulier dans la publicité, les films et les jeux vidéo par des représentations peu avantageuses, dévalorisantes voire dégradantes des femmes, enfermées dans des assignations à des rôles sociaux stéréotypés. Contre ces stéréotypes, nous défendons l’égalité et tentons de faire progresser la loi, qu’il s’agisse de lutter contre le cyber-harcèlement et les discriminations, ou de renverser la charge de la preuve.
Mais je laisse sans plus attendre la parole à la ministre, avant que nous en venions aux deux tables rondes qui porteront, pour la première, sur la culture et les médias, pour la seconde, sur les jeux vidéo et internet.
Mme Audrey Azoulay, ministre de la Culture et de la Communication. Madame la présidente, je me réjouis d’être à vos côtés aujourd’hui, pour ouvrir ce colloque qui porte sur les représentations de la femme dans les médias, les jeux vidéo, la culture en général, puisque l’on sait que les images et les mots mènent aux actes. En cette semaine où le Gouvernement lance un nouveau plan de lutte contre les violences faites aux femmes, présenté ce matin même en Conseil des ministres par Laurence Rossignol, il est en effet cohérent de s’attacher à ce que montrent les images. J’en profite pour saluer le travail mené par votre délégation, chère Catherine Coutelle, qui est un travail de suivi, d’avis mais aussi de réflexion, comme nous en avons la preuve aujourd’hui.
L’actualité est riche en exemples, qui nous viennent d’outre-Atlantique ou de Pologne, qui montrent qu’il s’agit d’un combat qui n’a rien perdu de son sens, nulle part. Jusqu’en France, où des maires de droite s’indignent d’une campagne de santé publique parce qu’elle vise des homosexuels, alors qu’ils ne s’indignent pas de la manière dont on utilise l’image de la femme pour vendre tout et n’importe quoi.
C’est enfin un combat pour lequel s’inventent des formes d’action renouvelées quand, le 7 novembre dernier, des associations ont appelé les femmes à cesser le travail à l’heure à partir de laquelle elles n’étaient, symboliquement, plus payées par rapport aux hommes, nous rappelant ainsi que l’égalité professionnelle était un champ parmi d’autres sur lequel il nous fallait demeurer vigilants et volontaires.
Je m’en réfère quant à moi aux mots de Stendhal, qui écrivait déjà, il y a plus de deux siècles : « L’admission des femmes à l’égalité parfaite serait la marque la plus sûre de la civilisation ». Il nous reste donc du chemin à parcourir pour être véritablement civilisés, et nous aurons besoin de toutes nos forces intellectuelles et de toutes les forces de la création pour faire face à ce que l’on peut au mieux qualifier de conservatisme et, au pire d’obscurantisme.
Le combat pour l’égalité entre les hommes et les femmes est un combat éminemment politique. Il suffit pour se le rappeler de parcourir le passionnant livre de Claudine Cohen sur les femmes de la préhistoire, qui démontre à quel point la représentation de la femme comme étant « naturellement » en situation d’infériorité par rapport aux hommes est en réalité une construction sociale et historique, que l’on peut dater et retracer. La question des stéréotypes et de l’image des femmes est donc un des axes principaux de la feuille de route de mon ministère en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes.
Je me réjouis que le Gouvernement, paritaire, auquel j’appartiens ait toujours été en première ligne sur ce sujet. Je pense ici en particulier à la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes. Elle a permis une avancée majeure en faveur de la représentation des femmes à l’antenne, puisque son article 56 a renforcé les prérogatives du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et les obligations des télévisions et des radios en matière de programmes.
Cet article place bien l’image des femmes et la lutte contre les stéréotypes au cœur de l’action du CSA, à qui il donne les moyens de sanctionner des images choquantes à l’égard des femmes. Nous avons tous à l’esprit ce qui s’est déroulé récemment sur une grande chaîne nationale, dans un programme populaire et à une heure de grande écoute. Le CSA a pris toutes ses responsabilités – ce qui mérite d’être salué – en adressant ce matin à cette chaîne une mise en demeure très claire et très ferme.
Au-delà cette affaire, nous disposons depuis février dernier de premiers indicateurs permettant de juger des avancées réalisées. On constate d’abord qu’un nombre significatif de programmes contribuant à la lutte contre les préjugés sexistes et les violences faites aux femmes a été diffusé en 2015.
On constate également que la parité chez les présentateurs, animateurs et journalistes tend vers l’équilibre, mais qu’en revanche ce n’est pas encore le cas s’agissant des experts et des expertes de tous domaines appelés à intervenir dans des émissions d’actualité. En la matière, les réseaux, et notamment les réseaux d’expertes, ont un rôle à jouer et doivent rester très mobilisés, pour qu’il ne nous soit pas toujours rétorqué qu’il n’y a pas d’expertes, qu’on ne les a pas trouvées, sans doute parce qu’elles mettent en avant leurs services moins spontanément que leurs homologues masculins.
Sur ce point, le projet de contrat d’objectifs et de moyens (COM) pour 2016-2020 de France Télévisions apporte une réponse forte en prévoyant que la part des expertes sollicitées à l’antenne atteindra obligatoirement la parité en 2020. L’audiovisuel public doit en effet être exemplaire. À cet égard, je tiens à souligner que ce sont souvent des femmes que l’on retrouve aux plus hauts niveaux de responsabilité, avec notamment un trio de femmes remarquables : Véronique Cayla, la présidente du comité de directoire d’Arte France, Marie-Christine Saragosse, qui préside France Médias Monde, et Delphine Ernotte, qui préside France Télévisions.
Agir ainsi au haut de la hiérarchie est un signal fort adressé à la structure de ces entreprises. Même si cela ne garantit rien, cela permet déjà d’afficher la capacité des femmes à diriger ces grandes entreprises. À ce jour, les femmes sont représentées à hauteur de 36 % dans les comités de direction des entreprises audiovisuelles publiques – contre 20 % en 2014 –, à hauteur de 70 % dans les directions d’antenne, et représentent 40 % des administrateurs. C’est un chiffre en constante augmentation depuis que la loi du 15 novembre 2013 relative à l’indépendance de l’audiovisuel public a introduit un principe de parité pour les nominations des représentants de l’État et des personnalités indépendantes désignées par le CSA au sein de ces conseils d’administration.
Outre la programmation des chaînes, privées et publiques, et les nominations aux postes de décision, il est un autre domaine dans lequel nous agissons car il recourt fréquemment aux stéréotypes : la publicité.
Comme vous le savez, dans le cadre du projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté, le Gouvernement a introduit un amendement étendant les missions du CSA au contrôle de l’image des femmes dans les messages publicitaires. La discussion devant le Parlement se poursuit et je veillerai à ce que cette disposition soit maintenue, car elle permettra de renforcer l’action de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP). En parallèle, le CSA mène une action sur l’image des femmes dans la publicité à l’antenne.
Ce n’est pas le seul domaine où nous intervenons, et je voudrais rapidement donner une vue d’ensemble de notre action. La loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine (LCAP) votée en juillet 2016 prévoit en son article 3 que « la politique en faveur de la création artistique favorise l’égalité entre les femmes et les hommes dans tous les domaines de la création artistique ».
Il en existe déjà des traductions concrètes, comme le Fonds pour l’emploi pérenne dans le spectacle (FONPEPS), mis en place par le Gouvernement dans le cadre de l’accord sur l’intermittence, pour soutenir l’emploi dans le spectacle vivant et enregistré, donc le cinéma et l’audiovisuel. Parmi les neufs mesures de soutien à l’emploi, j’ai souhaité qu’un soutien particulier soit apporté aux femmes artistes et techniciennes du spectacle, afin d’accompagner le retour à l’emploi de ces « matermittentes » après un congé maternité, grâce, par exemple, à une aide spécifique à la garde d’enfant. Cette mesure, budgétée dans le projet de loi de finances pour 2017, devrait entrer en vigueur dans les semaines qui viennent.
J’ai aussi souhaité que le ministère de la culture, qui m’a été confié – après avoir d’ailleurs été confié à deux femmes – soit exemplaire. Aussi ai-je décidé de présenter sa candidature au label Égalité, ce qui signifie la mise en place de procédures spécifiques, qui permettent de garantir l’égalité entre les femmes et les hommes. Les collaboratrices et collaborateurs de l’administration centrale, des directions régionales des affaires culturelles (DRAC), des services, mais aussi des établissements publics sont déjà très impliqués. Ils préparent activement cette candidature et se mobilisent pour identifier les problèmes et améliorer nos pratiques, afin que nous puissions obtenir ce label.
Cela étant, il reste des points de préoccupation, et notamment le fait que, dans certains métiers – la direction d’orchestre, la composition, la direction d’établissements, certains métiers techniques ou certains métiers d’art – les femmes restent très largement sous-représentées, alors qu’elles sont très présentes dans les établissements d’enseignement supérieur du secteur culturel. C’est le signe que subsiste pour les femmes un problème d’insertion professionnelle et de développement des carrières. C’est la raison pour laquelle nous organisons en 2017, avec l’ensemble de nos écoles de l’enseignement supérieur, un séminaire portant sur les stéréotypes dans ces métiers, afin de mutualiser nos expériences, d’identifier les failles et d’améliorer nos pratiques.
Dans le domaine du journalisme certains stéréotypes demeurent également, dans la formation notamment. Aussi proposerai-je à la Conférence des écoles de journalisme (CEJ) une réflexion commune sur ce sujet.
Œuvrer en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes, c’est aussi se souvenir de ce que les femmes ont apporté dans l’histoire. Dans ce domaine, mon ministère peut agir au travers des commémorations, de la mémoire et des archives. Ainsi, nous avons inscrit dix-huit femmes dans la liste des commémorations nationales qui auront lieu en 2017, contre dix en 2016 et onze en 2015. Nous soutenons également les journées du matrimoine, organisées en parallèle aux journées du patrimoine.
Enfin, dans le cadre des travaux de la mission sur ce que doit être le musée du XXIe siècle, nous engagerons la réflexion sur la parité, le poids des femmes parmi les commissaires d’expositions et en tant que conservatrices de musée.
Ce sont là autant de mesures qui seront évoquées lors du prochain comité ministériel pour l’égalité des femmes et des hommes dans les secteurs de la culture et de la communication, que je réunirai le 15 décembre prochain, et je vous remercie, chère Catherine Coutelle, d’y prendre part.
Un bref mot enfin sur la parité d’accès à la création, aux moyens de production et à la programmation. Je tiens à vous indiquer que mon ministère a porté un amendement au projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté, qui introduit la parité dans les commissions au sein de ses établissements et de ses services déconcentrés ; c’est le nerf de la guerre, puisque s’y décide l’attribution des aides financières. Cette proposition a été retenue par la commission spéciale de l’Assemblée nationale. Je m’en félicite et j’espère que la discussion parlementaire permettra de lui donner force de loi.
Mais beaucoup reste encore à faire pour atteindre l’égalité réelle entre les femmes et les hommes. Je pense notamment au spectacle vivant, où les femmes demeurent trop peu programmées : on ne compte ainsi que 2 % de compositrices, 5 % de librettistes, 24 % d’auteures de théâtre dans les établissements subventionnés.
Trop peu programmées mais aussi trop peu nommées à des postes à responsabilité. Des progrès sont malgré tout réalisés, notamment avec des nominations emblématiques à la tête d’établissements phares – Sylvie Hubac à la Réunion des musées nationaux – Grand Palais (RMN-GP), Laurence Engel à la Bibliothèque nationale de France (BNF) – qui ne doivent pas cacher les efforts faits ailleurs sur le territoire, dans d’autres établissements du réseau.
Je veux ici saluer le travail réalisé chaque année par la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), qui nous est une ressource précieuse pour identifier les problèmes et les pistes d’amélioration, grâce notamment aux données qu’elle peut nous fournir et qui viennent utilement compléter le travail mené sur l’ensemble du champ de mon ministère par l’Observatoire de l’égalité dans la culture et la communication, qui publiera son prochain rapport le 8 mars 2017.
Voici les quelques mots que je souhaitais vous adresser. Je serai bien sûr particulièrement attentive à vos discussions et aux pistes de progrès qui pourront être tracées, et ce d’autant plus que j’ai la certitude que ce sont des domaines dans lesquels il nous est possible d’agir. (Applaudissements.)
Mme la présidente Catherine Coutelle. Merci, madame la ministre, pour vos propos, qui témoignent des progrès accomplis mais également, avec lucidité, de ce qui reste encore à faire pour que l’on cesse de se demander où sont les femmes dans le monde de la culture, à quelles places on les trouve, et avec quels financements.
Dans ce domaine comme ailleurs, les procédures de sélection, lorsqu’il s’agit de pourvoir un poste, doivent respecter la parité, et on ne peut plus admettre que certains prétendent que, si les femmes sont absentes, c’est qu’il n’y a pas de vivier où les recruter. Les femmes sont là, il faut simplement qu’elles puissent émerger et trouver leur place, une place positive ; c’est à cela que nous nous attelons. Nous avons, pour cela, fait voter plusieurs lois. Encore faut-il qu’elles soient réellement appliquées.
Cela m’amène à l’objet de notre première table ronde, plus particulièrement centrée sur la représentation des femmes, puisqu’elle s’intitule : « L’image des femmes dans l’audiovisuel et la publicité : quelles actions mises en œuvre et quelles voies de progrès ? »
Il se trouve que j’ai défendu à l’Assemblée un amendement qui entendait rendre les jeux vidéo sexistes inéligibles au crédit d’impôt en faveur des entreprises de jeux vidéo (CIJV). Certains m’ont alors reproché de prendre ces jeux pour cible, alors que les mœurs étaient identiques dans la publicité, les vidéos ou à la télévision. Certes, mais il se trouve que le texte examiné portait sur les jeux vidéo, sur lesquels nous aurons, d’ailleurs, l’occasion de revenir.
Pour l’heure, nous allons ouvrir cette première table ronde avec Sylvie Pierre-Brossolette, membre du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), au sein duquel elle préside le groupe de travail « Droits des femmes ».
Chère Sylvie, vous agissez contre le sexisme, en vertu notamment de la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, qui renforce les pouvoirs de contrôle du CSA en matière de respect des droits des femmes et suite à laquelle vous avez adopté, le 4 février 2015, une délibération relative au respect des droits des femmes par les sociétés de télévision et de radio.
Le CSA a également publié plusieurs études sur la question, ainsi que des décisions qui, malheureusement, semblent se multiplier, preuve que les dérapages et les atteintes à l’image et aux droits des femmes sont toujours monnaie courante dans les médias. Vous avez notamment rappelé à l’ordre plusieurs journalistes sportifs ayant tenu des propos déplacés lors des derniers Jeux olympiques. C’était votre seconde mise en garde après le Jeux olympiques de Sotchi : que peut-on faire contre ces récidivistes ?
Nous attendons évidemment beaucoup de vous, car les médias génèrent un grand nombre d’abus, y compris dans les réactions des téléspectateurs – je pense en particulier à cette émission où l’on a vu un animateur embrasser une jeune femme sur la poitrine alors qu’elle avait dit non : certains n’ont pas hésité à dire qu’elle n’avait pas à s’en plaindre compte tenu de la façon dont elle était habillée… Mais quand une femme dit non, c’est non ! Notre société doit le comprendre, comme elle doit comprendre que ce n’est pas une question de vêtements.
Dans le même ordre d’idées, j’ai été extrêmement choquée par une vidéo dans laquelle l’animateur d’une radio très écoutée des jeunes montrait comment il s’y prenait pour embrasser une fille malgré elle. La scène se déroulait dans des toilettes – comment se peut-il déjà qu’il se soit trouvé dans les toilettes des femmes ? –, où l’animateur insistait de façon pressante pour embrasser la jeune fille qui se lavait les mains à côtés de lui. Sans doute pour se débarrasser de lui, elle finissait par lui tendre la joue ; c’est alors qu’il l’a saisie par les cheveux et l’a embrassée à deux reprises sur la bouche. Cette vidéo est d’autant plus scandaleuse et révulsante que les jeunes qui vont la visionner y verront un exemple à suivre, et je ne peux qu’être très en colère quand je vois ainsi mis à mal tous les efforts que nous faisons pour transmettre aux filles et aux garçons le sens de l’égalité et du respect de l’autre.
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Première table ronde :
« L’image des femmes dans l’audiovisuel et la publicité :
quelles actions mises en œuvre et quelles voies de progrès ? »
Mme Sylvie Pierre-Brossollette, membre du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), présidente du groupe de travail « Droits des femmes ». Voilà trois ans et demi que je mène au CSA mon combat au service des droits des femmes, au sein du groupe de travail « Droits des femmes », dont j’ai été chargée de la mise en place.
Aujourd’hui est un grand jour, puisque c’est la première fois que nous prononçons une mise en demeure pour sexisme, ce qui constitue la première étape d’une éventuelle procédure de sanction, en cas de récidive. Le dossier sera alors transmis à un rapporteur indépendant qui en fera l’instruction, et le CSA, réuni en formation de jugement, pourra alors prononcer une sanction qui peut aller jusqu’à l’interdiction d’antenne. Cela semble en l’occurrence un peu démesuré, mais des sanctions financières sont parfaitement possibles.
C’est un grand jour dans le combat pour l’égalité entre les femmes et les hommes, car c’est la première fois que le CSA fait une application directe de la loi promulguée le 4 août 2014. En effet, si nous sommes tenus de faire appliquer la loi, celle-ci nous impose de le faire en concertation avec les chaînes, et il nous aura fallu dix-huit réunions avec ces dernières et un véritable combat de titans, pour parvenir à un accord.
Nous avons néanmoins abouti à la délibération de février 2015, qui nous autorise à faire pression sur les chaînes pour que, chaque année, elles nous rendent leur copie sur le sujet du sexisme et de la parité. Il s’agit d’un document déclaratif appuyé sur une grille d’évaluation, par lequel les chaînes doivent, d’une part, nous communiquer le nombre de femmes qui apparaissent à l’antenne, en pourcentage et en nombre absolu, et proposer une autoévaluation du degré de stéréotypes contenus dans leurs programmes. Elles doivent également mentionner ce qu’elles jugent positif dans leur programmation et établir pour chaque fiction diffusée, le nombre de rôles féminins et leur importance, ainsi que les caractéristiques du rôle, selon le test de Bechdel : les femmes incarnées parlent-elles d’autres choses que d’hommes ou de chiffons ?
2015 a été une année de rodage de dispositif, et la copie que les chaînes ont rendue en 2016 était encore imparfaite ; cette année, je serai implacable, et nous disposerons pour le 8 mars 2017 d’un rapport complet contenant une analyse fine de la présence des femmes par émission et des points de déficit. Il ne suffit pas en effet de proposer 50 % de présentatrices à l’antenne, encore faut-il qu’elles ne soient pas cantonnées à un seul type d’émissions ou de sujets : quand les femmes ne seront plus cantonnées aux talk shows sur la santé, l’éducation des enfants ou l’école et qu’elles présenteront les émissions de politique étrangère, d’économie ou de sciences, nous aurons vraiment atteint la parité. Le sexisme en effet n’est pas uniquement une affaire de quantité mais également de qualité.
Quoi qu’il en soit, nous avons parcouru un long chemin depuis le vote de la loi, malgré la réticence des chaînes, excédées par les demandes du CSA qui se multiplient, sur le pluralisme, la diversité, les quotas de chansons ou de fictions. Il est vrai que nous leur en demandons beaucoup, mais elles ont des fréquences gratuites, et donc des devoirs par rapport aux téléspectateurs et à la société, en tout cas pour ce qui concerne les chaînes de la télévision numérique terrestre (TNT). Elles ont fini par le comprendre, ce qui a sans doute été grandement facilité par la présence des trois femmes que vous avez citées à des postes-clés du service public. Quant aux chaînes privées, c’est une litote de dire qu’elles sont moins souvent dirigées par des femmes, et le dialogue est parfois plus difficile. J’essaye néanmoins de me montrer persuasive, et celles et ceux qui me connaissent savent que je peux être assez insistante…
Globalement, donc, on constate un léger progrès, et je ne peux qu’applaudir aux engagements de France Télévisions d’arriver à 50 % d’expertes en 2020. Chapeau ! Radio France en revanche n’a pas pris d’engagement. J’espère qu’elle se rattrapera vite, car, tout autant que la télévision, la radio publique doit donner l’exemple. Pour ce qui est des chaînes privées, elles font quelques efforts. TF1 organise un colloque, le 5 décembre prochain, sur les femmes expertes.
Reste que le paysage audiovisuel est encore très plombé. La télé-réalité, souvent nauséabonde, gagne du terrain. J’ai pourtant procédé aux premières mises en garde contre ces émissions, ce dont je suis d’autant plus fière que, de l’avis de beaucoup, le CSA n’avait pas à se prononcer ainsi sur ce genre de divertissement.
Avec l’émission de Cyril Hanouna, nous sommes passés au stade de la mise en demeure, ce que nous avions déjà fait pour l’émission de Sébastien Cauet sur NRJ. Le problème est que nos tentatives de pression se heurtent à la tentation de l’audience et du buzz : souvent, malheureusement, et vous me pardonnerez l’expression, plus c’est « beauf », plus ça marche, et il existe un public pour cela, alors que l’on peut parfaitement faire du divertissement de qualité qui ne soit ni vulgaire ni avilissant pour les femmes : c’est ce que fait tous les jours Yann Barthès.
Aujourd’hui est donc important car l’affaire du « baiser volé » dans l’émission d’Hanouna concentrait tout ce que la loi nous demande de combattre : la promotion de stéréotypes sexuels, la diffusion d’images dégradantes et la violence faites aux femmes, autant de faits qui justifiaient que l’on prononce cette mise en demeure qui, en cas de récidive, sera suivie d’une procédure de sanction.
Pour ce qui concerne la récidive des journalistes aux Jeux olympiques, aucune procédure de sanction n’a pu être engagée, car les faits survenus lors des jeux de Sotchi sont antérieurs à la loi de 2014. J’avais malgré tout convaincu le collège d’adresser une lettre d’avertissement à M. Pfimlin, à l’époque à la tête de France Télévisions, ce contre quoi le service des sports avait violemment protesté, fustigeant mon manque d’humour et refusant de faire la moindre excuse. Si la loi avait été en vigueur, le CSA aurait immédiatement procédé à une mise en demeure, ce qui aurait peut-être évité la récidive. Cette loi est donc très utile, et je remercie le Gouvernement et les parlementaires, qui, d’ailleurs, nous ont associés à son élaboration puis à son application.
En matière de fictions, les stéréotypes ont la vie dure. Dans ce domaine, je suis soutenue par la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) et l’Union syndicale de la production audiovisuelle (USPA), qui travaillent auprès des auteurs et des producteurs pour attirer leur vigilance sur ces stéréotypes : on constate souvent en effet que, même quand les femmes sont les héroïnes des fictions, elles le paient souvent d’une vie personnelle désastreuse.
Il reste donc beaucoup à faire, sachant que combattre les stéréotypes passe essentiellement, selon moi, par la prise de conscience de ce qu’ils sont. À cet égard, les déclarations que doivent nous fournir les chaînes sont importantes car elles les obligent à examiner ce qu’elles diffusent et à procéder à leur examen de conscience. À partir de notre rapport, s’établit une forme d’émulation compétitive entre les chaînes pour celle qui aura les meilleurs chiffres ; en l’occurrence, cette forme d’incitation me paraît plus efficace que les sanctions, même si, au coup par coup, le CSA ne se prive pas d’en faire usage si nécessaire.
Parallèlement à cela, la loi ne conférant pas pour le moment au CSA les mêmes pouvoirs en matière de publicité qu’en matière de programmes, nous avons entrepris un travail de conviction auprès de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) afin qu’elle modifie ses recommandations en matière de représentations de la personne humaine. Nous lui avons fait plusieurs propositions d’amendements visant notamment à mieux tenir compte des stéréotypes féminins de manière à pouvoir procéder à un contrôle plus intransigeant des publicités qu’elle autorise.
Je ne cache pas que, malgré tout, certains spots publicitaires passent à travers les mailles du filet. Il est donc très important que la loi signale que nous devons aussi veiller à l’image des femmes dans la publicité. Cela me facilitera les choses pour continuer de faire pression sur l’ARPP, avec laquelle nous menons une collaboration fructueuse : nous leur devons notamment d’avoir, au cours de la semaine de rentrée, passé au crible d’un questionnaire que nous avions élaboré ensemble plus d’un milliers de spots publicitaires, ce qui nous a permis de constater qu’il n’y avait pas trop de problèmes.
Reste que, là encore, il faut s’intéresser aux publicités dans lesquelles les femmes ont vraiment le beau rôle : c’est plus souvent pour vendre des voitures ou des parfums que pour de la bureautique. Sans parler de la publicité pour Calgon, où c’est évidemment la femme qui est à quatre pattes devant son évier et l’homme qui arrive en sauveur ; le jour où ce sera l’inverse, nous aurons gagné.
Beaucoup reste donc encore à faire en matière de programmes, de présence des femmes à l’antenne, de publicités et, plus généralement, pour faire évoluer l’état d’esprit des responsables. Je m’y consacrerai corps et âme, au cours des deux ans et demi qu’il me reste à accomplir au CSA.
Pour l’heure, je remercie les associations, auxquelles je fais souvent appel. Il est essentiel qu’elles m’aident en n’hésitant pas à saisir le CSA car, plus nombreuses seront les saisines, plus on comprendra que la lutte contre le sexisme n’est pas une lubie du Conseil, du Gouvernement ou du Parlement mais correspond à une revendication de la société française. (Applaudissements.)
Mme la présidente Catherine Coutelle. Merci, Sylvie Pierre-Brossolette, pour votre intervention. Lorsque l’on constate le nombre de réactions outrées qu’a suscitées l’émission que vous venez de rappeler à l’ordre, on comprend en effet qu’il est essentiel que la société puisse s’exprimer sur ces sujets.
Je vais à présent donner la parole à Romain Sabathier, qui représente le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh), que nous venons d’inscrire dans le projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté. Cela permettra de pérenniser une institution qui, tout au long de cette législature, nous aura rendu de grands services, grâce à la qualité de son travail et de ses recommandations, et qui nous a aidés à faire passer nombre d’amendements dans les lois que nous avons votées. Le Haut Conseil a notamment traité de la question des stéréotypes dans un rapport du 20 octobre 2014, afin d’aider à mieux outiller les acteurs et pour fixer des obligations de résultats dans le champ des médias, de la communication et de l’éducation.
M. Romain Sabathier, secrétaire général du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh). Madame la ministre, madame la présidente, je tiens en préambule à excuser notre présidente, Danielle Bousquet, qui ne pouvait être présente parmi nous.
Je remercie ensuite très vivement la Délégation aux droits des femmes pour cette initiative et cette invitation, et salue à mon tour son travail. Les actions menées en synergie parfaite avec le Haut Conseil à l’égalité, depuis la création de ce dernier en 2013 et, plus globalement, avec l’ensemble des institutions chargées des droits des femmes, comptent pour beaucoup dans les avancées législatives qui ont permis la mise en place d’outils nouveaux et une mobilisation permanente contre les images et violences sexistes.
Cette mobilisation permanente est d’autant plus nécessaire qu’au fur et à mesure que les droits des femmes sont affirmés et que les inégalités sont combattues, on voit le sexisme redoubler d’intensité et se manifester des crispations et des formes de repli identitaire. C’est pourquoi il est indispensable de mener de front la lutte contre les inégalités entre les femmes et les hommes et, au plan culturel, la lutte contre le sexisme.
De très nombreux rapports et normes internationales ont, depuis la conférence mondiale de Pékin sur les femmes en 1995, souligné que pour maintenir l’équilibre entre liberté et respect des droits des femmes, la lutte contre le sexisme passe par l’encadrement des médias et de la publicité.
À sa création en 2013, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh) a repris les missions de la Commission nationale sur l’image des femmes dans les médias. En 2014, notre commission « Stéréotypes » a produit, sur commande du Gouvernement et à partir de l’expertise de nos membres – notamment Isabelle Germain, Brigitte Grésy ou Marlène Coulomb-Gully – un rapport sur les stéréotypes de sexe, qui comporte des analyses et des recommandations dans trois champs : la communication institutionnelle, l’éducation et les médias.
Dans ce rapport, nous rappelons d’abord qu’historiquement la lutte contre le sexisme a souffert d’un retard patent par rapport à la lutte contre le racisme. Ainsi, lorsqu’en 1983 la ministre des Droits des femmes, Mme Yvette Roudy, a voulu faire adopter une loi antisexiste sur le modèle de la loi antiraciste, dite loi Pleven, de 1972, elle s’est heurtée à l’ire des publicitaires et des médias, au point que le projet de loi a finalement dû être retiré. Cela montre bien la puissance des lobbies en la matière, dans des domaines où les enjeux financiers sont considérables.
C’est seulement depuis 2004 que les injures, diffamations ou provocations à la haine à raison du sexe peuvent être réprimées, et depuis 2014 avec les mêmes peines et délais de prescription que le racisme.
Désormais, Catherine Coutelle l’a rappelé, la France dispose de l’arsenal juridique nécessaire pour avancer, que ce soit sur le champ des médias, des publicités ou d’internet. Nous pouvons nous en féliciter. Progressivement, la loi de 1881 sur la liberté de la presse et la loi de 1986 relative à la liberté de communication ont été modifiées pour lutter contre le sexisme. Que préconise le Haut Conseil à l’égalité pour une meilleure traduction, dans les faits, de la volonté du législateur ?
Je commencerai par évoquer les discours de haine à raison du sexe, voire les violences sexistes.
Compte tenu de nos travaux sur le harcèlement sexiste et les violences sexuelles dans les transports ou plus largement sur le continuum des violences faites aux femmes, il nous semble capital que les pouvoirs publics martèlent avec fermeté qu’une insulte du type – excusez-moi du terme – « sale pute » relève du champ pénal et constitue une injure à raison du sexe, et qu’un appel au viol relève du champ pénal et constitue une provocation à la violence à raison du sexe.
Pourtant, les insultes ou les appels au viol sont monnaie courante, en particulier sur les réseaux sociaux, contre les militantes féministes ou toute autre femme, qu’elle soit actrice ou journaliste, par exemple, c’est-à-dire toute femme qui exerce un pouvoir dans la société.
On peut aussi citer le cas d’un chroniqueur qui, par surprise, et malgré le refus explicite d’une comédienne, l’embrasse sur le sein en direct sur le plateau de la chaîne D8, devient ainsi l’auteur d’une agression sexuelle punie de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. Il est capital de rappeler qu’il ne s’agit pas d’une blague potache, mais d’une agression sexuelle, car on sait l’impact que cela a, notamment sur les jeunes, au moment même où nous appelons à plus d’éducation à l’égalité, où nous prônons un plan interministériel de lutte contre les violences faites aux femmes et où nous lançons des campagnes contre le harcèlement à l’école.
Je rappelle l’article 40 du code de procédure pénale, qui dispose que « Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit, est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs ».
Nous ne sommes plus aujourd’hui sur le terrain de la mise en demeure. Le temps est venu de rappeler le droit, de saisir la justice et d’aboutir à des condamnations exemplaires.
Concernant les atteintes à la dignité de la personne humaine, en l’occurrence les femmes, je m’appuie sur l’exemple de la publicité, où prévaut le régime d’autorégulation, avec l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP), créée en 1935. Magali Jalade, avec qui nous travaillons depuis près de trois ans, détaillera la manière dont on peut saisir l’ARPP, qui passe au crible les publicités pour évaluer leur conformité ou non à sa recommandation « Publicité et image de la personne humaine ».
On constate qu’il y a peu de plaintes et que le jury de déontologie publicitaire (JDP) est encore trop méconnu au regard du nombre de publicités dénoncées comme sexistes sur les réseaux sociaux. L’ARPP nous a indiqué par courrier n’avoir pas les moyens de faire davantage de publicité sur les outils existants pour les saisir.
Nous constatons aussi que la non-conformité d’une publicité n’implique pas son retrait ni de sanctions financières puisque les décisions du JDP n’ont aucun effet normatif ou coercitif, mais seulement prescriptif, entre professionnels de la publicité.
L’ARPP, qui fait preuve de bonne volonté pour réguler son propre secteur, s’expose par ailleurs à un risque juridique. En 2013, suite à la diffusion d’une publicité de la SMEREP jugée sexiste, le JDP, saisi par la ministre des droits des femmes de l’époque, avait rendu un avis critique sur son site, entraînant un refus des diffuseurs de poursuivre la diffusion de la publicité visée. Suite à une plainte de la SMEREP, l’ARPP a été condamnée pour diffamation à verser 14 000 euros. On voit donc bien les limites d’une association, sans pouvoir coercitif, exposée à des risques juridiques lorsqu’elle dénonce des publicités sexistes.
Nous accueillons donc favorablement l’avancée en germe dans le projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté venant confirmer que le CSA est compétent en matière de sexisme dans les publicités. Si cela concerne seulement l’audiovisuel et non le champ de la presse écrite ou de l’affichage public, c’est néanmoins un réel progrès.
Concernant les représentations stéréotypées des femmes et des hommes, notre rapport propose une démarche en deux étapes, la première consistant à se doter d’outils pour compter et analyser la présence des stéréotypes de sexe, la seconde – à laquelle les membres du HCEfh croient beaucoup – visant à conditionner les financements publics à l’égalité femmes-hommes et à la lutte contre les stéréotypes de sexe, grâce au mécanisme d’ « éga-conditionnalité ».
Un important travail a été engagé, sous la houlette de Sylvie Pierre-Brossolette, que je tiens à saluer, à partir de la grille d’analyse élaborée par Brigitte Grésy, dans le cadre du Haut Conseil à l’égalité (HCEfh). Ce travail va progressivement conduire à la constitution de véritables feuilles de route annuelles pour l’égalité femmes-hommes, média par média, avec des objectifs chiffrés.
Le levier suivant à actionner est celui de l’argent public puisque la contribution à l’audiovisuel public s’élève à 3 milliards d’euros par an. Quant aux chaînes privées, la puissance publique leur attribue gratuitement l’autorisation d’utiliser les fréquences hertziennes en échange d’obligations d’intérêt général, visant à garantir le pluralisme, la protection du public et le dynamisme de la création culturelle. J’ose croire que les émissions sexistes de téléréalité ou autres ne garantissent ni le pluralisme, ni la qualité des émissions proposées, encore moins la protection de la jeunesse.
Enfin, et bien que cela ne soit pas aujourd’hui dans notre viseur, les aides à la presse écrites sont estimées à près de 700 millions d’euros par an.
Je terminerai par quelques pistes d’amélioration.
J’invite le CSA et l’ARPP à adopter le guide pratique, intitulé Pour une communication publique sans stéréotype de sexe, pour proscrire l’usage d’expressions telles que « la journée de la femme » ou « femmes battues ».
Il convient également de mobiliser l’expertise existante sur le genre et les médias. Elle est à votre disposition pour éclairer les décisions des instances de contrôle et affiner leurs outils. Les associations féministes ont aussi développé une expertise significative.
Enfin, il faut renforcer le soutien financier aux associations féministes susceptibles de mobiliser le droit, car cela a un coût. Je m’appuie sur l’exemple d’ « Osez le féminisme ! » (OLF), qui nous a récemment fait part de freins financiers pour mobiliser le droit.
En effet, pour ne pas laisser passer un flot d’insultes, par exemple, il faut payer des honoraires d’avocat. Pour faire constater des insultes sur les réseaux sociaux, une capture d’écran ne suffit pas, il faut payer un huissier. Si l’huissier doit se déplacer sur le terrain, comme pour le cas de l’entreprise Bagelstein, cela coûte encore plus cher. Se porter partie civile a également un coût, 3 000 euros dans le cas présent pour une association comme « Osez le féminisme ! ». Cette somme peut être bloquée plusieurs années, le temps de la procédure. Cela demande une vraie trésorerie et entraîne des arbitrages entre les affaires dans lesquelles on s’engage.
Enfin, et c’est loin d’être négligeable pour les associations féministes, qui reposent très majoritairement sur le bénévolat, porter ce type d’affaire en justice prend beaucoup de temps, au détriment d’autres actions. Je pense, par exemple, aux Chiennes de garde et à l’affaire Orelsan, qui a duré six ans.
Je voudrais interroger Mme Sylvie Pierre-Brossolette sur les moyens dédiés par le CSA aux droits des femmes et à la lutte contre le sexisme. Le groupe de travail « Droits des femmes », créé en 2013, marque un réel progrès. De notre côté, nous avons publié un rapport intitulé Où est l’argent pour les droits des femmes ? Avec 300 équivalents temps plein (ETP) et 30 millions d’euros annuels de budget, les moyens du CSA ne sont pas si limités. J’aimerais donc savoir quels sont les moyens consacrés aux droits des femmes et à la lutte contre le sexisme.
Mme Sylvie Pierre-Brossolette. Nous manquons de bras. Deux personnes seulement travaillent sur les droits des femmes : un chef de département et une collaboratrice. À elles deux, elles font la chasse aux statistiques et aux rapports. La charge de travail est énorme et, comme elles sont occupées pendant la journée, elles ne regardent pas plus que nous la télévision ! C’est pourquoi je compte tant sur les associations pour nous aider.
Il faudrait absolument renforcer nos moyens, mais c’est malheureusement impossible, car il s’agit d’une tâche en plus. On n’arrête pas d’imposer des tâches supplémentaires au CSA, mais, en cette période de disette budgétaire, les moyens ne suivent pas. Nous faisons ce que nous pouvons, nous faisons appel à des étudiants pour venir renforcer nos effectifs, pour faire des études, pour observer les degrés de stéréotypes ou de présence à l’antenne. Avec dix fois plus de moyens, nous pourrions nous autosaisir beaucoup plus souvent. Nous regarderions tous les programmes et nous vous inonderions de rapports ! Malheureusement, nous avons de petits moyens et il faut, du coup, mettre d’autant plus d’énergie à la tâche. Si vous aviez des moyens à nous déléguer, nous en serions ravies !
M. Romain Sabathier. De notre côté, nous sommes trois ETP, pour cinq commissions, avec deux personnes en plus mises à disposition. Comme vous le voyez, nous avons le même problème que vous !
Il en est de même, me semble-t-il, pour la plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements (PHAROS), qui compte une vingtaine de policiers et gendarmes, dont une unité dédiée à la lutte contre le racisme, mais aucune dédiée à la lutte contre le sexisme. J’ai moi-même découvert, il y a quelques semaines, la plateforme PHAROS en préparant une intervention sur le sexisme pour le Conseil de l’Europe. Je m’étonne de la méconnaissance de cet outil dans le champ de la lutte contre le sexisme. C’est sans doute le manque de moyens qui explique qu’on ne fasse pas plus de publicité à cet outil permettant de saisir des policiers et gendarmes qui peuvent ensuite saisir directement les parquets.
En ce qui concerne les avertissements et sanctions, taper au porte-monnaie nous apparaît comme le plus efficace. Interdire une émission ou menacer de l’interdire la pose immédiatement en martyre – on l’a vu avec l’émission « Touche pas à mon poste » – et renforce son côté subversif, comme les émissions de Fun Radio, Skyrock etc., qui se jouent des avertissements du CSA. Je souhaiterais savoir s’il y a déjà eu des sanctions financières, que ce soit sur le terrain du sexisme ou autre. Peut-on envisager des sanctions financières pour montrer qu’être sexiste coûte cher ? Cela contribuerait sans doute à faire changer les choses.
Mme Sylvie Pierre-Brossolette. Vous pouvez compter sur moi.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Il faudra passer, un jour, à des budgets genrés, accordés en fonction du critère de l’égalité femmes-hommes ou de la lutte contre le sexisme, comme c’est le cas dans certaines collectivités locales, et envisager une baisse du budget en cas de dérapage.
Je vais maintenant donner la parole à Mme Marie-Noëlle Bas, présidente de l’association « Les Chiennes de garde » depuis 2012, qui remet chaque année un prix « Macho » et intervient sur les publicités sexistes en France, avec d’autres associations à l’international, en Italie ou en Grande-Bretagne.
Mme Marie-Noëlle Bas, présidente de l’association « Les Chiennes de garde ». Je vous remercie tout d’abord d’avoir invité à ce colloque l’association que j’ai l’honneur de présider. Je voudrais saluer le CSA en la personne de Sylvie Pierre-Brossolette, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh) représenté par Romain Sabathier, ainsi que Danielle Bousquet et Brigitte Grésy, avec lesquelles je travaille depuis des années, sans oublier l’ARPP, avec laquelle nous sommes, malheureusement, souvent en relation…
J’ai préparé un diaporama sur l’image des femmes dans la publicité puisque c’est le sujet qui occupe principalement Les Chiennes de garde. Nous travaillons, en effet, sur les violences symboliques faites aux femmes dans l’espace public en images et en mots.
Je commencerai par faire un état des lieux du sexisme dans la publicité. Objectivement, il n’y a pas moins de sexisme, mais il est différent. Il n'y a plus de nudité simple pour vendre n’importe quoi, sans rapport avec le produit, mais il y a une hypersexualisation, suggérée ou non, une hypersexualisation qui suit, d’ailleurs, l’hypersexualisation de la société. Sylvie Pierre-Brossolette l’a rappelé en évoquant les animateurs, et même les animatrices d’émissions qui veulent faire le buzz. Nous en avons eu récemment un exemple malheureux avec Karine Le Marchand, qui a fait une blague assez déplacée à Alain Juppé.
Cette hypersexualisation de la société, qui est très dommageable pour les femmes et qui se situe dans le continuum des violences faites aux femmes, est extrêmement prégnante dans les publicités.
Aujourd’hui, je vais vous montrer rapidement sur écran quelques publicités sur le sport, des pubs dans le métro, des publicités très sexualisées, qui vont jusqu’à montrer le point G, l’évocation de viols ou de prostitution. Il y a aussi une affiche pour un cuisiniste, qui a fait beaucoup parler d’elle. Mme la ministre des Droits des femmes a d’ailleurs réagi sur les réseaux sociaux à propos de cette publicité.
Il y a aussi, dans les rues de nos villes de province, des boucheries locales, qui montrent en quelque sorte de la « viande », en quatre par trois, pour vendre…
J’ai vu également, dans le métro, cette publicité, extrêmement suggestive, avec le slogan « Le point le plus chaud de Paris ». J’en passe et des meilleures.
Vous pouvez voir maintenant une publicité pour le bricolage. Bien évidemment, nous faisons toujours du bricolage dans cette tenue…S’agissant de cette autre publicité, le conseil départemental de la Moselle, avec lequel j’ai beaucoup discuté, a compris pourquoi elle était extrêmement sexiste, s’agissant d’un corps de femme dans un sac poubelle…
La plupart d’entre vous connaissez ces publicités. J’imagine que vous avez eu la même réaction que moi en les voyant.
Nous sommes, nous aussi, très peu nombreuses. Notre militantisme nous porte, mais nous n’avons pas le temps de regarder toutes les chaînes de télévision, d’écouter toutes les stations de radio, de regarder tous les magazines et toutes les affiches, partout en France.
Comme l’a rappelé Romain Sabathier, nous agissons en déposant « plainte » auprès du jury de déontologie publicitaire, qui émane de l’ARPP. C’est un organisme privé, qui fait ce qu’il peut. Et nous signalons au CSA les publicités et surtout les émissions sexistes, car nous travaillons aussi sur tout ce qui a trait aux stéréotypes et violences par les mots.
Mais aujourd’hui, nous nous heurtons à plusieurs difficultés.
Pour les publicités tant audiovisuelles qu’imprimées ou sur internet, l’audition par le jury de déontologie publicitaire (JDP) n’intervient presque toujours qu’une fois la campagne terminée. L’avis est donc avant tout symbolique puisque les publicités sont passées et que la campagne a poursuivi son chemin.
Autre difficulté, cette régulation est organisée au sein de la profession elle-même : les publicitaires nomment les membres du jury de déontologie et les avis ne peuvent être contestés devant un juge. Je précise, pour la représentante de l’ARPP, que j’apprécie le travail du jury de déontologie. Ses membres sont indépendants et font le maximum, mais la pression marchande de la profession publicitaire est extrêmement forte.
Pour les publicités sur internet, c’est encore plus compliqué. Bien que nous allions, de temps en temps, nous plaindre auprès du Jury de déontologie publicitaire, il y a une absence d’encadrement total pour les publicités sur internet. En définitive, notre seule vraie force de frappe, ce sont nos réseaux sociaux, qui constituent des relais d’information et d’alerte. Les réseaux sociaux peuvent véhiculer le pire comme le meilleur. Les droits des femmes ont aussi évolué avec les réseaux sociaux. Par ce biais, on peut toucher beaucoup plus de gens.
Que souhaitons-nous aujourd’hui ? Il y a, à l’évidence des réformes à mener. J’en profite pour remercier la Fondation des femmes, qui m’aide, depuis quelque temps, à travailler sur ce sujet.
Le CSA est parfait pour tout ce qui concerne la publicité audiovisuelle. Les publicités audiovisuelles sont toutes vérifiées par l’ARPP avant diffusion. Il y a donc de moins en moins de publicités audiovisuelles réellement sexistes.
Cela étant, nous demandons que soit créé un autre organisme public pour les publicités imprimées et sur internet. Un contrôle d’urgence est en effet nécessaire. Certes, le CSA réagit très vite, mais il faut un certain temps pour que l’information parvienne au jury de déontologie publicitaire, qu’il se réunisse et qu’il rende son avis. Nous souhaiterions donc un système d’alerte et de saisine efficace.
Le seul pays européen à s’être doté de ce type d’organisme est l’Espagne, qui est aussi le seul pays européen à s’être doté d’une loi antisexiste, malheureusement en sommeil depuis le changement de gouvernement.
Ce système d’alerte et de saisine doit être assorti, d’une part, d’une capacité de décision très rapide – quarante-huit heures, par exemple – pour arrêter immédiatement la campagne, et d’autre part, de la possibilité de contestation devant un juge administratif. Il faut renforcer le caractère contraignant. Romain Sabathier l’a rappelé tout à l’heure, il est difficile, pour une association, de déposer plainte, notamment pour des raisons financières. Si nous avons pu déposer plainte contre les textes sexistes d’un rappeur, c’est parce que nous étions cinq associations emmenées par Les Chiennes de garde.
Aujourd’hui on ne peut pas porter plainte pour cause d’images sexistes. Il est donc nécessaire de mettre en place un contrôle d’urgence et de renforcer le caractère contraignant du dispositif : mes amies de la Fondation des femmes m’ont confirmé que l’on pourrait ainsi déposer plainte contre des personnes qui créent ou diffusent une publicité sexiste au titre de la responsabilité civile, sur le fondement de l’article 1240 du code civil, et au titre de la responsabilité pénale, chaque publicité dont le caractère sexiste serait constaté devant engager la responsabilité pénale de la marque et de l’agence publicitaire, par exemple une amende de cinquième classe. Comme cela a été rappelé, taper au porte-monnaie est toujours très efficace.
Le fait d’avoir donné plus de responsabilités au CSA et inscrit le HCE dans la loi montre, depuis 2012, une forte volonté politique en la matière. Grâce au CSA et au HCE, les choses avancent. Il n’empêche que les publicités imprimées sont de plus en plus nombreuses, aujourd’hui, à véhiculer des stéréotypes sur les femmes et à les enfermer dans un double rôle : celui de femme au foyer et d’objet sexuel.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Je salue le travail du CSA qui, dès le début, s’est emparé de cette question, en lien avec le Haut Conseil à l’égalité et les associations. Je souligne l'importance des associations pour mener ce combat, car nous n’y arriverons pas seules. Il ne suffit pas de faire des textes de loi pour que les mentalités et les intérêts économiques changent.
Je vais maintenant donner la parole à Mme Magali Jalade. Nous avons fait plusieurs fois allusion à l’ARPP, qui doit visionner les publicités. Pouvez-vous, madame, nous présenter vos missions, l’objet de votre travail et nous indiquer quelques pistes ? Pouvez-vous aussi nous donner des précisions sur la façon dont vous collaborez avec le CSA et les associations ?
Mme Magali Jalade, directrice des affaires publiques et réglementaires de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP). L’autorégulation publicitaire en France bénéficie d’une expertise et d’une expérience de plus de quatre-vingts ans. L’ARPP est une association loi 1901, qui regroupe tous les acteurs d’un même métier, celui de la publicité, c’est-à-dire les annonceurs, les agences et les médias. Cet organisme, créé en 1935, ne reçoit ni dotations ni subventions publiques. Il est financé par les cotisations annuelles de ses membres et il a pour mission statutaire de mener une action en faveur d’une publicité loyale, véridique et saine dans l'intérêt des professionnels, des consommateurs, du public en général et du citoyen. Il est présidé par une personnalité indépendante. M. François d’Aubert est président de l’ARPP depuis 2011.
L’ARRP, dans le cadre de sa mission, est chargée d’aider l’interprofession – annonceurs, agences et médias – à élaborer des règles déontologiques, que nous appelons « recommandations ». Ces recommandations sont élaborées, dans une démarche volontariste et responsable, par les professionnels, qui confient à l’ARPP le soin de les faire appliquer.
La recommandation « Image de la personne humaine », qui a fait récemment l’objet d’une réactualisation, en prenant en considération les modifications proposées par les parties prenantes, dans le cadre du dispositif de régulation professionnelle concertée avec la société civile, s’intitule désormais « Image et respect de la personne » et concerne tout particulièrement le sujet qui nous occupe aujourd’hui.
L’ARPP a un rôle préventif. Elle doit délivrer des conseils avant la diffusion des publicités, quel que soit le média utilisé et à tous les stades de la réalisation d’une publicité, depuis sa création jusqu’à sa finalisation. En ce qui concerne le média télé, l’ARPP doit également émettre avant diffusion un avis systématique et obligatoire pour toutes les publicités télévisées diffusées dans les écrans publicitaires. Ce système existe depuis 1992, avec une délégation de compétence du CSA auprès de l’interprofession, c’est-à-dire les représentants des annonceurs, des agences et des régies publicitaires, et a été étendu depuis 2011 aux services des médias audiovisuels à la demande (SMAD).
L’ARPP, dans le cadre de son rôle préventif, qu’il s’agisse de conseils ou d’avis rendus avant la diffusion des publicités, apprécie la conformité des publicités au regard de la recommandation désormais intitulée « Image et respect de la personne » et, pour ce qui est de la télévision, au regard des textes de droit positif applicables, s’agissant notamment du décret du 27 mars 1992, qui prévoit des règles sur la décence et la dignité dans son article 3 et sur les discriminations dans son article 4.
Le travail de l’ARPP au quotidien s’inscrit dans le cadre du dispositif de régulation professionnelle concertée de la publicité, avec ses trois instances associées : le Jury de déontologie publicitaire (JDP), le Conseil paritaire de la publicité (CPP) et le Conseil de l’éthique publicitaire (CEP), présidé par Dominique Wolton, qui délivre des avis à l’attention des administrateurs de l’ARPP sur l’évolution de la déontologie et de la régulation. Il s’est intéressé au sujet dont nous débattons aujourd’hui, en rendant notamment un avis sur l’image de la personne humaine et un autre sur la nudité. Le Conseil de l’éthique publicitaire existe depuis 2005.
Le Conseil paritaire de la publicité (CPP), créé en 2008, est toujours présidé par une association. Il est composé de représentants des associations – associations de consommateurs, associations environnementales et sociétales –, à parité avec des représentants de l’interprofession publicitaire – annonceurs, agences et médias. Sa mission principale consiste à délivrer un avis avant l’élaboration d’une nouvelle recommandation par les professionnels ou la mise à jour d’une recommandation existante.
Cet avis doit tenir compte des attentes et des préoccupations des parties prenantes, qui peuvent être des associations non membres du CPP, mais aussi des ministères, des autorités publiques. Le CPP a rendu, en 2016, un avis sur la recommandation « Image de la personne humaine », désormais intitulée « Image et respect de la personne », en tenant compte de toutes les propositions de modifications formulées par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh). Cette recommandation a ensuite été rédigée par les professionnels, qui ont eux-mêmes tenu compte de l’avis rendu par le CPP.
Vous l’aurez compris, l’image de la femme, et plus généralement de la personne humaine dans la publicité, est un sujet auquel l’interprofession et l’ARPP, avec ses instances associées, sont particulièrement attentives.
La première recommandation, élaborée par l’interprofession en 1975 sur l’image de la femme dans la publicité, a fait l’objet de modifications en 2001, suite à la participation de l’ARPP au groupe de travail présidé par Brigitte Grésy, chargé de remettre un rapport sur l’image de la femme dans la publicité à Nicole Péry, alors secrétaire d’État aux droits des femmes. Je représentais l’ARPP, qui s’appelait à l’époque le Bureau de vérification de la publicité (BVP).
Ce rapport demandait à l’interprofession d’élargir le champ d’application de la recommandation à l’image des hommes et des enfants. Ce qui fut fait dans la recommandation de 2001, laquelle intégra également les préoccupations du début des années 2000, avec la tendance porno-chic, la violence, la soumission et la dépendance. Une partie de la recommandation y est consacrée et figure encore dans le texte qui est applicable aujourd’hui. Enfin, un paragraphe est entièrement dédié aux stéréotypes sexuels.
En 2016, cette recommandation a fait l’objet d’une modification, dans le cadre de la revue de direction de la mise à jour de toutes les recommandations de l’ARPP, et elle a pris en compte l’ensemble des propositions de modifications des parties prenantes.
C’est sur la base de ces recommandations que des engagements ont été pris avec les pouvoirs publics. Une déclaration commune a été signée en 2003 entre la ministre de l’égalité professionnelle et de la parité, Mme Nicole Ameline, et l’ARPP, pour l’interprofession, concernant la reconnaissance du système d’autorégulation publicitaire tel qu’il fonctionne en France depuis plus de quatre-vingts ans.
En 2012, une charte a été signée entre la ministre des solidarités et de la cohésion sociale, l’ARPP et les représentants de l’interprofession, pour renforcer, dans le cadre du nouveau dispositif, les engagements pris en 2003.
Depuis treize ans, des bilans d’application de la recommandation « Image de la personne humaine » – désormais intitulée « Image et respect de la personne » et applicable depuis le 1er septembre 2016 – sont réalisés par l’ARPP. Ces bilans, qui portent sur les médias autres que la télévision, permettent d’intervenir auprès des auteurs de manquements et servent d’outils pédagogiques à travers des exemples concrets.
Un travail de pédagogie est également réalisé grâce à des conseils et des avis délivrés par l’ARPP, avant la diffusion des publicités, ainsi que par le jury de déontologie publicitaire (JDP), notre instance de l’après-diffusion, qui traite les plaintes des personnes physiques ou morales – particuliers, associations, ministères, autorités publiques, organisations professionnelles – déposées sur la base d’une règle déontologique, notre recommandation « Image et respect de la personne ». Cette instance associée est composée de personnes impartiales et indépendantes, à la fois des professionnels et des associations.
Dans le cadre de ce dispositif de régulation professionnelle concertée de la publicité, l’interprofession mène une démarche d’amélioration continue pour une publicité plus responsable et respectueuse des personnes représentées. C’est ce que l’on appelle le droit souple, largement soutenu par la Commission européenne, avec la charte de 2014 sur l’autodiscipline publicitaire, et reconnu par le Conseil d’État qui a mené une étude en 2013 sur le dispositif de droit souple mis en place dans le cadre de l’autorégulation professionnelle de la publicité concertée avec la société civile.
Mme Édith Gueugneau. Je souhaite aborder la question des représentations véhiculées par certaines émissions, dites « de divertissement », qui sont en réalité à la lisière de la téléréalité et d’une télévision qui cherche à faire le buzz.
À la suite d’une émission où un chroniqueur a embrassé le sein d’une jeune femme qui a refusé à plusieurs reprises de lui faire la bise, sous les rires de l’audience et de l’animateur, une procédure est en cours. Cette agression sexuelle est intervenue dans le cadre d’une émission marathon de 35 heures diffusées en direct ; or ce format pousse à ces dérapages sexistes. J’aimerais savoir si le CSA a l’intention d’agir pour interdire ces formats qui recherchent une forme de performance dont, il faut bien le dire, il est difficile de comprendre l’intérêt.
Mme Sophie Deschamps, auteure chargée des questions de parité pour le conseil d’administration de la SACD. Malgré une prise de conscience, les chiffres montrent que tous les voyants sont au rouge pour les femmes. Or le macho des machos, c’est l’État puisque 75 % à 80 % de ses subventions vont aux hommes – aux orchestres dirigés par des hommes, aux théâtres dirigés par des hommes, etc. ! Tant qu’il n’y aura pas une progression des femmes de 5 % par an et par secteur pendant trois ans, on n’y arrivera pas. Je vous en supplie, mesdames les députées, battez-vous pour que les voyants repassent au vert ! Une progression obligatoire de 15 % pour les femmes ne serait pas grand-chose : nous serions très loin de la Suède qui a obtenu 50 %… La vision du monde doit se féminiser !
Mme la présidente Catherine Coutelle. On ne peut pas dire que les choses n’avancent pas, car la loi a permis des avancées ! Pour ma part, je plaide pour des budgets genrés. Par ailleurs, il me semble que les chefs d’orchestre ne sont pas embauchés par l’État.
Mme Sophie Deschamps. Il n’y a pas d’orchestre privé.
Mme la présidente Catherine Coutelle. On m’a dit que, pour embaucher des femmes, il faudrait mener les auditions derrière un rideau – pour anonymiser la candidature… La culture devrait être à l’avant-garde, déconstruire les stéréotypes ; or, c’est un monde qui reproduit les stéréotypes ! Pour preuve, le tollé à chaque fois que des ministres veulent nommer des femmes à la tête de certaines structures !
Quand nous avions demandé la parité aux postes de direction dans la fonction publique, un député s’est exclamé en toute bonne foi : « Mais que vont devenir les hommes qui ont une carrière ? »… Les deux secteurs où l’on a rencontré le plus de réticences pour la parité sont la culture et le sport.
M. Romain Sabathier. En 2017, le Haut Conseil à l’égalité se saisira de la question dans le domaine de la culture, notamment au regard de la gouvernance. Nous serons très heureux de travailler avec la SACD à cette occasion.
Mme Laura Lallou. Je suis collaboratrice stagiaire d’un député. La dénonciation du sexisme envahit le débat. Ne craignez-vous pas une banalisation du sexisme ? Les femmes sont souvent perçues comme des victimes de la société au travers des publicités. Le travail sur les représentations dans l’audiovisuel ne devrait-il pas viser à montrer la femme comme une championne, et non comme une victime ?
Seconde table ronde :
« Violences, harcèlements, sexisme : comment faire progresser l’égalité sur Internet
et dans les jeux vidéos ? »
Mme Fanny Lignon, maîtresse de conférences à l’école supérieure du professorat et de l’éducation (ESPE) de l’Académie de Lyon-Université Lyon 1, coordonnatrice de l’ouvrage collectif Genre et jeux vidéo (2015). À partir notamment des années quatre-vingt, quand les ordinateurs ont été capables de représenter les corps de façon crédible, les jeux vidéo ont très vite proposé aux joueurs et aux joueuses d’incarner des avatars humains et sexués.
Pour mémoire, quelques figures phares. C’était il y a très longtemps… En 1980, naissait Pac-Man, rejoint un an après par Mme Pac-Man. Je note que l’homme est apparu en premier, la femme en second ; que pour créer une femme, on est parti d’un homme ; qu’une femme est une femme si elle arbore un nœud dans les cheveux et du rouge à lèvres.
Puis, il y eut Ruy et Chen Li, Mario et Peach, Lara Croft, Kratos, Altaïr, Bayonetta…
Et tout récemment, FIFA 16 : pour la première fois, il est possible de jouer avec des équipes féminines de football. Vous voyez à l’écran la jaquette américaine du jeu, représentant un homme et une femme, et la jaquette française du jeu, représentant deux hommes jouant au football…
Oui, il y a des personnages stéréotypés dans les jeux vidéo. Ce qui ne veut pas dire, bien évidemment, qu’il n’en existe pas aussi – même s’ils sont moins nombreux – qui ne le sont pas ou qui le sont moins. Je pense, par exemple, à Samus Aran de Metroïd, au protagoniste de Journey, à Jade de Beyond Good and Evil, à Max de Life is strange.
Quelques affaires récentes, maintenant.
Femmes et jeux vidéo, sexisme et jeux vidéo, genre et jeux vidéo : des questions qui, depuis quelques années, font couler beaucoup d’encre sur le net et qui sont loin d’être simples. Un petit tour d’horizon en quelques diapositives.
L’affaire Sarkeesian, tout d’abord.
Anita Sarkeesian est une jeune femme américano-canadienne, titulaire d’un master en sociologie et politique. En 2009, elle crée une chaîne YouTube et un site internet. Son but : « déconstruire la représentation des femmes dans les médias ». En 2012, elle entreprend de réaliser une série de vidéos qu’elle intitule Tropes vs women in video games. Elle commence alors à être harcelée sur les réseaux sociaux : détournement pornographique de photos ; création d’un jeu flash qui invite à la frapper et à la défigurer ; menaces ; insultes sexistes.
Cette campagne de harcèlement en ligne a des conséquences dans la vraie vie. En août 2014, un internaute menace Anita Sarkeesian et sa famille et donne son adresse sur Twitter. Elle doit alerter la police et déménager.
Mar_Lard, ensuite, et l’affaire Joystick.
Qui est Mar_Lard ? Elle est une gameuse, blogueuse, féministe, formée à Sciences-Po. Elle est l’auteure d’articles fleuves très documentés, très remarqués et très commentés.
Lorsqu’en 2012, paraît le dernier volet de la saga « Tomb raider », un journaliste de la revue Joystick se réjouit de voir Lara Croft subir une tentative de viol. Il écrit : « Et si j’osais, je dirais même que c’est assez excitant ». La réaction de Mar_Lard ne se fait pas attendre. La publication de son billet « Joystick : apologie du viol et culture du machisme » déclenche une avalanche de commentaires orduriers, d’insultes, de menaces. Sept mois plus tard, elle publie un nouvel article, où elle dénonce, en s’appuyant sur d’innombrables exemples, le machisme et la violence sexiste qui règnent dans la communauté geek et dans le milieu des jeux vidéo.
Une affaire toute récente, ensuite, d’octobre 2016, dévoilée par The Guardian et qui pose des questions éthiques et juridiques.
Une jeune femme est agressée sexuellement dans un jeu de réalité virtuelle, alors qu’elle est tranquillement en train de chasser le zombie à l’arc. Son agresseur s'en prend d’abord à sa poitrine, puis à son entrejambe (attouchements, pressions, frottements virtuels...) Certes, aucun corps n’a été touché. Mais le contenu émotionnel et le traumatisme sont bel et bien présents.
En réponse, les créateurs du jeu proposent de mettre en place un geste de défense qui permettrait au joueur d’activer, au sein même du jeu, en cas de besoin, une sorte de bulle de protection virtuelle.
Et enfin, le #Gamergate : un mouvement né aux États-Unis en 2014.
Zoe Quinn, une développeuse indépendante américaine, est violemment accusée, par un ex-compagnon et sur la toile, de coucher avec des journalistes spécialisés pour promouvoir son jeu. Des articles paraissent qui prennent sa défense et dénoncent la misogynie de l’industrie du jeu vidéo et du milieu des gamers.
C'est en réaction à ce "scandale journalistique" que naît le mot-clé (hashtag) #Gamergate. Ses chevaux de bataille : dénoncer les phénomènes de collusion supposés entre journalistes et développeurs ; dénoncer les stéréotypes stigmatisant les « gamers » ; s’opposer à ce qu’ils appellent le féminisme radical. Leur principal combat – je cite William Audureau du Monde : « Le caractère qu’ils estiment intrusif et moralisateur du discours féministe, auxquels ils veulent opposer une liberté de discours totale, inspirée de la conception américaine du free speech, et qui s’appliquerait aussi bien à la pratique du jeu vidéo qu'à la conduite de débats politiques. »
Le Gamergate est un mouvement complexe, qui regroupe des personnalités très variées, dont un certain nombre d'activistes virulents qui participent aux harcèlements dénoncés plus haut et diffusent quantité de propos misogynes. William Audureau écrit dans Le Monde : « Fondamentalement, le mouvement dit quelque chose de profondément ancré : le sentiment de dépossession de son objet par une communauté de joueurs (...) Mais il trahit aussi son incapacité à absorber le discours féministe sur les jeux vidéo, l’hétérogénéité des gens qui se revendiquent du mouvement, autant que l'extrême diversité de ses soutiens. »
Tous ces déferlements de violence et de haine montrent combien le sujet est sensible.
Les joueurs et les joueuses, maintenant.
J’aimerais vous présenter, plutôt que des chiffres globaux, les principaux résultats d’une enquête centrée sur la question qui nous occupe. Une enquête que j’ai conduite en 2011-2012 avec mon collègue Mehdi Derfoufi en région Rhône-Alpes, dans le cadre d’un projet soutenu par l’Agence nationale de la recherche (ANR) sur les violences de genre au collège et au lycée, poursuit deux objectifs principaux : fournir une photographie précise du vécu vidéo-ludique des adolescents filles et garçons, âgés de 13 à 19 ans ; permettre l’identification raisonnée des jeux qu’ils et elles fréquentent afin de savoir avec quelles images ils et elles sont en contact.
Voici quelques-uns des résultats de cette enquête.
Concernant la pratique du jeu vidéo, l’enquête confirme la popularité des loisirs vidéo-ludiques auprès des jeunes, mais fait apparaître un certain déséquilibre entre les pratiques des filles et des garçons. 99 % des garçons et 85,3 % des filles jouent ou ont joué aux jeux vidéo. Les filles jouent globalement moins que les garçons. Elles arrêtent de jouer plus tôt qu’eux. Les gros joueurs (plus de 3 heures par jour) se recrutent principalement dans les rangs des garçons.
D’autres nuances apparaissent qui concernent le choix des partenaires, l’équipement, les périodes de jeu. Le corpus de jeux utilisé par les filles est plus étendu que celui utilisé par les garçons.
Concernant les personnages jouables, les conclusions, pour cette rubrique, sont les suivantes. Premièrement, le déséquilibre entre l’offre de personnages féminins (minoritaires) et l’offre de personnages masculins (majoritaires) semble peser très fortement sur les choix d’incarnation ludique effectués par les filles comme par les garçons. Deuxièmement, les personnages féminins semblent perçus par les garçons comme des anti-modèles, tandis que les personnages masculins semblent perçus par les filles de façon moins radicale. Troisièmement, garçons et filles partagent des conceptions à peu près équivalentes en matière de plaisir ludique. Ils et elles semblent prêts à s’incarner dans un avatar quel que soit son sexe, pour peu qu’il soit performant.
Considérons maintenant les protagonistes plébiscités par les adolescents. Ils sont de deux types : protagonistes prêts à incarner ; protagonistes à co-créer. Dans les rangs des protagonistes prêts à incarner, on trouve des personnages résolument sexués, des hommes masculins, des femmes féminines. Dans les rangs des protagonistes à co-créer, on trouve des personnages qui ouvrent sur davantage de possibles, notamment du point de vue de l’apparence.
En conclusion, il y a, dans les jeux vidéo fréquentés par les adolescents, des protagonistes stéréotypés qui enferment les filles et les garçons, les hommes et les femmes, dans des rôles prédéterminés... Surtout du côté des garçons, qui plébiscitent les personnages prêts à incarner. Mais il n’y a pas que ça... Surtout du côté des filles, qui plébiscitent les personnages à co-créer.
S’il convient d’exercer une veille vis-à-vis de ces stéréotypes, chercher à les éradiquer est nécessaire, mais terriblement complexe. La meilleure solution pour les empêcher de nuire est – je crois – proposée par les adolescentes elles-mêmes : la dilution. De fait, plus les jeux auxquels joueront les jeunes seront variés, plus les protagonistes qu’ils et elles pourront incarner seront variés, et plus les stéréotypes seront dilués.
Alors que faire ? Quels leviers pourrait-on activer, en matière de jeu vidéo, pour déconstruire les inégalités et construire l’égalité entre les femmes et les hommes ? Les propositions qui suivent trouvent leur fondement dans l’étude que je vous ai présentée.
Au niveau industriel, d’abord.
Les jeux à héroïnes ont la réputation de ne pas se vendre. Cet adage, notre enquête a permis de le reconsidérer en démontrant que si le sexe du héros est parfois difficilement occultable, c'est la « ludicité », principalement, qui est recherchée par les joueurs des deux sexes.
En conséquence, nous nous permettrons de formuler quelques pistes d’action qui nous paraissent susceptibles de conjuguer viabilité économique, égalité femmes-hommes, et créativité : encourager la création de jeux dont le héros est une femme ; encourager la création de jeux où il est possible de choisir le sexe de son protagoniste ; encourager la création de jeux permettant de créer librement son protagoniste ; encourager la création de jeux sans personnage ; encourager l'innovation dans la ludicité.
Dans un autre ordre d’idées, on pourrait aussi imaginer de repenser le visuel et les critères d'attribution de la vignette discrimination de la signalétique PEGI, actuellement sous-employée et utilisée principalement pour dénoncer le racisme.
On pourrait aussi créer un label spécifique qui distinguerait les jeux respectant l’égalité entre les femmes et les hommes.
Au niveau éducatif, ensuite.
Partant du principe que, sauf exception, la pratique vidéo-ludique des adolescents reste cantonnée aux productions grand public, il me semble qu’il faudrait éduquer aux jeux vidéo dans le cadre de l'éducation aux médias et à l'information. Comme les stéréotypes de sexes sont très marqués dans les jeux qu'ils fréquentent, cette question devrait aussi être abordée dans le cadre de l'éducation à l'égalité entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes. Cette double « éducation à » pourrait se pratiquer pendant le temps scolaire, mais aussi hors temps scolaire.
Nombreuses, en effet, sont les médiathèques qui disposent aujourd'hui d’un rayon jeux vidéo et sont en capacité de proposer des ateliers portant sur ces questions. Au collège, au lycée, toutes les disciplines, qu'elles relèvent des sciences humaines ou exactes, pourraient également se saisir de ces problématiques. Néanmoins, tout est encore à inventer, à explorer.
J’ai regroupé quelques pistes d’action en une liste ouverte composée de trois rubriques :
– les savoirs : faire découvrir aux jeunes toute la richesse de l'offre vidéo-ludique, et notamment les jeux indépendants ; faire découvrir aux jeunes l’histoire des jeux vidéo et des héros et héroïnes vidéo-ludiques ; montrer les liens entre les jeux vidéo et les jeux traditionnels, entre les jeux vidéo et les autres productions culturelles ;
– les savoir-faire : donner aux jeunes les moyens d'analyser les jeux vidéo, leur permettre d'identifier les stéréotypes de sexe, de s'interroger à leur sujet, de les déconstruire ; donner les moyens aux jeunes de créer des jeux vidéo non sexistes et égalitaires ;
– les savoir-être : inciter les filles et les garçons à jouer ensemble aux jeux vidéo ; inciter les filles et les garçons à débattre des jeux vidéo préférés des uns et des unes, à réfléchir aux personnages qu'ils et elles apprécient, ou non, d'incarner.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Merci de cette intervention très intéressante. Nous avions évoqué ces questions lors de l’examen du projet de loi pour une République numérique, dont la Délégation aux droits des femmes s’était saisie pour avis. J’avais lu à cette occasion l’article de la joueuse Mar_Lard évoquant le sexisme dans les jeux vidéo, et constaté le sort dramatique réservé à celles qui le dénoncent : il y a en effet une intolérance face à cette dénonciation.
Pour me rendre régulièrement à l’assemblée des gamers au Futuroscope, je constate qu’elle rassemble 90 % de garçons et 10 % de filles… Il y a beaucoup à faire en matière de jeux vidéo, car ils véhiculent des images très stéréotypées et peuvent donner lieu à des échanges d’une extrême violence.
M. Jean-Claude Ghinozzi, président du Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs (SELL). Le jeu vidéo est un secteur économique jeune qui, depuis vingt-cinq ans, est en perpétuelle croissance et en évolution constante. Plus de 55 % des Français jouent à des jeux vidéo de manière fréquente, 75 % de façon occasionnelle. Parmi les joueurs, plus de 44 % sont des femmes.
Les violences dans les jeux vidéo à l’encontre des femmes sont réelles. C’est pourquoi le syndicat que je représente s’attache depuis plusieurs années à combattre le sexisme à plusieurs niveaux.
L’industrie vidéoludique est un marché mondial : le sexisme et les violences faites aux femmes constituent un problème international, ce qui ajoute à la complexité pour lutter contre le phénomène. Le SELL est membre de l’Interactive Software Federation of Europe (IFSE), syndicat européen des éditeurs de jeu vidéo qui a doté l’industrie du jeu vidéo du système PEGI (Pan European Game Information). Le jeu vidéo est ainsi la seule industrie culturelle au monde qui a su mettre en place une régulation grâce à un groupe d’experts indépendants qui classifient les jeux vidéo en fonction de leur usage et de l’âge des joueurs, en indiquant la présence de violence, de contenu effrayant, de sexe, etc.
Aujourd’hui, tous les jeux vidéo sont concernés, qu'ils soient vendus sur support physique ou qu’ils soient dématérialisés : un éditeur qui lance un nouveau jeu sur le marché a l’obligation de déposer un dossier qui est traité par l’Institut néerlandais de classification des médias audiovisuels ou NICAM (Netherlands Institute for the Classification of Audiovisual Media), organisme indépendant qui gère la classification PEGI de plus de 33 pays.
Dans le cadre d’un conseil d’experts PEGI qui s’est réuni la semaine dernière à Varsovie, le SELL a fait part de la nécessité, avec le soutien de la secrétaire d’État chargée du Numérique, Mme Axelle Lemaire, de travailler sur la problématique du sexisme et de la représentation via la classification PEGI. Ainsi, le groupe d’experts du NICAM s’est déclaré favorable à la prévention des discriminations liées au genre et au sexisme dans les jeux vidéo en fonction des classes d’âge. C’est une victoire importante.
Depuis plusieurs années, le SELL prend position au travers de différents forums. Notre salon Paris Games Week rassemble un peu plus de 300 000 visiteurs : des familles, des femmes, des hommes – des communautés qui se côtoient, se respectent et arrivent à parler de leur passion commune pour le jeu vidéo. Nous sommes fiers de cette mixité très positive, tout en restant très vigilants au regard des débordements possibles.
Le SELL a participé à la création du collectif PédaGoJeux, qui réunit acteurs de l’industrie, associations familiales et institutions – Union nationale des associations familiales (UNAF), ministère chargé de la famille, etc. L'objectif, là encore multiple, vise accompagner les parents, les éducateurs ou les personnels associatifs confrontés aux jeux vidéo dans leur relation avec le jeune public Dans ce cadre, nous avons mené une campagne de communication durant tout le mois d’octobre. Nous continuerons ce travail d’éducation.
Parmi les éditeurs, le champion national Ubisoft intègre des personnages féminins, FIFA et Electronic Arts ont poursuivi leur développement avec l'intégration d’équipes féminines. Récemment, lors de la Paris Games Week, s’est déroulé un tournoi d’eSports dans le cadre duquel l’ESWC a organisé un tournoi spécifique pour les femmes : nous sommes très attachés à donner la possibilité à des équipes féminines de s’exprimer.
Les constructeurs de très grosses sociétés, comme Microsoft, Sony, Nintendo, ont mis en place un code de conduite, qui doit être validé par les joueurs en ligne. Par exemple, pour jouer sur PlayStation network ou Xbox live, qui réunissent plusieurs dizaines de millions de joueurs en ligne, un code de conduite doit être validé et, en cas de propos déplacés – violents, sexistes, racistes – ou d’attitudes répréhensibles, comme l’apologie du crime, des modérateurs permettent de suspendre des joueurs d’une session de jeu, voire de suspendre le compte d’un joueur, comme cela a été le cas chez Microsoft et Sony. Cette modération représente un investissement important de la part des éditeurs et des constructeurs : les équipes de modération, qui regroupent plusieurs centaines de personnes, gèrent des millions de joueurs à travers la planète. Les éditeurs et les constructeurs continuent à développer et à améliorer ces dispositifs. Notre champion national, Ubisoft a lui-même mis en place un code de conduite pour Rainbow Six où la violence, le harcèlement, le sexisme font partie des comportements inacceptables : cette modération permet d’exclure les joueurs qui auraient telle ou telle attitude dans le jeu. Ainsi, un travail de fond est réalisé, mais la route est longue.
Je termine par une autre note positive : dans notre secteur, plus de 14 % de femmes travaillent dans la production de jeux vidéo, mais l’édition affiche une quasi-parité.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Nous abordons la question des cyberviolences, un phénomène majeur en milieu scolaire et très connu des élèves – bien davantage que de leurs enseignants. L’éducation nationale accomplit pourtant un travail indispensable pour lutter contre le harcèlement et les cyberviolences qui sont d’une gravité telle qu’elles poussent même certaines victimes de vengeance pornographique, par exemple, au suicide. Les équipes éducatives doivent avoir ce sujet à l’esprit lorsqu’un élève décroche ou lorsqu’il manifeste un mal-être.
M. André Canvel, délégué ministériel chargé de la prévention et de la lutte contre les violences en milieu scolaire, inspecteur général de l’éducation nationale, et Mme Imanne Agha, membre de cette délégation et chargée du harcèlement, du ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et la Recherche, vont nous exposer l’action de leur ministère en la matière.
M. André Canvel, délégué ministériel chargé de la prévention et de la lutte contre les violences en milieu scolaire, inspecteur général de l’éducation nationale. Disons d’emblée que la culture scolaire est plus forte chez les filles que chez les garçons, mais que la réussite scolaire les sert beaucoup moins.
Mme Imanne Agha, membre de la délégation ministérielle pour la prévention et la lutte contre les violences en milieu scolaire, chargée du harcèlement. Le ministère de l’Éducation nationale a fait de la question du harcèlement une priorité depuis au moins cinq ans, d’abord pour répondre à la problématique du harcèlement hors ligne et entre pairs, qui touche près de 700 000 élèves, dont 380 000 de façon sévère. L’existence d’un lien fort avec les cybervictimations nous a conduits à associer ces deux formes de violence. Il s’agit d’un phénomène spécifique de grande ampleur.
L’avènement des nouvelles technologies ouvre de nouvelles possibilités d’apprentissage et joue un rôle essentiel dans le processus de socialisation ; il ne s’agit donc pas de faire leur procès. Il n’en demeure pas moins qu’elles favorisent les risques de cybervictimation en surexposant les filles. L’usage d’internet est de plus en plus précoce ; 70 % des jeunes reconnaissent la nécessité d’interactions en ligne avec leurs amis, ce dont on ne saurait faire fi. En moyenne, les élèves de l’enseignement primaire et secondaire sont connectés pendant 185 minutes par jour ; selon une enquête menée en 2015, 14 % des élèves de huit à dix ans rapportent des faits de cyberviolence répétés en raison d’une mauvaise maîtrise technique de ces outils et d’un manque de compétences sociales pour gérer les conflits. Au collège, dans une enquête menée en 2015, près d’un élève sur deux était victime de cyberviolences, et près de 6 % parlent de cyberharcèlement.
Autrement dit, les nouvelles technologies sont une caisse de résonance du harcèlement classique, et les victimes sont souvent les mêmes : une fois sur deux, les victimes de harcèlement hors ligne sont aussi victimes sur internet. De plus, ces cyberviolences se diffusent entre pairs. L’idée selon laquelle les victimes subissent le harcèlement de personnes extérieures est une idée reçue : au contraire, la victimation est relayée par les pairs, à 26 % dans la classe même et à 36 % dans le collège. Il en résulte un impact sur le climat scolaire, la perception de ce climat qu’ont les élèves qui sont victimes ayant une incidence néfaste en termes d’absentéisme et de décrochage, en particulier, puisque selon une enquête, 17 % ne se sont pas rendus à l’école par peur de cette violence.
Plusieurs études confirment la tendance selon laquelle la victimation en ligne touche davantage les filles, lesquelles sont surexposées au risque de violences à caractère sexuel et sexiste. La sphère numérique augmente en effet le risque de banalisation des faits de sexisme ordinaire ; de ce point de vue, le Centre Hubertine Auclert a récemment publié une enquête très instructive. De plus, les filles sont deux fois plus souvent que les garçons victimes de rumeurs, d’insultes concernant l’apparence physique et de la diffusion de photographies intimes sur les réseaux sociaux.
M. André Canvel. Les politiques publiques se sont beaucoup développées depuis 2013. Nous déployons désormais des outils en présentiel et à disposition des équipes pédagogiques, qui permettent à cette problématique de percoler dans les établissements scolaires. D’autre part, nous allons déployer à l’échelon national les enquêtes locales sur le climat scolaire qui comprennent des questions sur le cybersexisme, le sexisme et les violences à caractère sexuel, ce qui n’était pas le cas à l’origine. Ces enquêtes permettront aux établissements scolaires de s’emparer de la question, de sorte qu’elle ne soit plus seulement une affaire de chercheurs et de spécialistes.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Merci beaucoup. S’agissant de la surexposition des filles au risque de harcèlement, je note en effet que les garçons sont censés projeter une image de virilité, tandis que les filles sont censées rester très sages ou, si elles font le choix d’adopter d’autres attitudes, sont immédiatement traitées de « putes » ou de « salopes ».
Nous allons à présent entendre le collectif « Féministes contre le cyberharcèlement » est à l’origine de la création de #TwitterAgainstWomen et sensibilise l’opinion, notamment sur les réseaux sociaux, à la question du cyberharcèlement.
Mme Manuela Moukoko, membre du collectif « Féministes contre le cyberharcèlement ». La séparation entre le monde réel et le monde numérique est inexistante : internet et le monde réel interagissent comme des vases communicants. La violence sexiste et misogyne qui se déchaîne sur internet ne provient pas de nulle part ; elle est en grande partie due à la réalité d’une société sexiste et inégalitaire. Le virtuel, c’est le réel, et les conséquences de la violence en ligne qui s’exerce à l’encontre des femmes sont concrètes et très graves. Hélas, ce problème est banalisé et jugé négligeable. Nous déplorons le fait que le cyberespace ne soit pas aussi protégé que l’espace réel. S’étant rendue au commissariat de police pour y signaler les actes de cyberharcèlement qu’elle subissait, une victime a ainsi reçu la réponse suivante : il ne s’agit pas de harcèlement, puisque c’est sur internet. Ce cas est malheureusement fréquent.
Le problème est grave et touche particulièrement les jeunes filles. Son ressort principal est le slut shaming, c’est-à-dire le fait d’attaquer, d’humilier, de stigmatiser, de culpabiliser une femme qui revendique sa sexualité et son droit à disposer librement de son corps. Une adolescente sur quatre est victime d’humiliations et de harcèlement en ligne concernant son attitude. Une jeune fille sur cinq rapporte avoir subi des insultes en ligne sur son apparence physique et une sur six a été confrontée à des cyberviolences à caractère sexuel. Ainsi, 90 % des victimes de revenge porn, ou vengeance pornographique, sont des jeunes filles. Tout cela s’inscrit dans le besoin des jeunes de « faire le buzz » sur les réseaux sociaux, qui enclenche un interminable cercle vicieux de partage de fichiers.
À ce grave problème, il manque des réponses appropriées. Ajoutons que la cyberviolence touche particulièrement les femmes « racisées », les ressorts étant différents selon que l’on est victime de racisme ou non. Ces femmes subissent en effet une double oppression : au harcèlement s’ajoute l’hypersexualisation, la misogynie noire ou encore l’orientalisme. De même, les cyberviolences touchent particulièrement les personnes LGBTQI qui courent un risque de harcèlement trois fois supérieur à celui que courent les adolescents hétérosexuels et « cisgenres ».
Les cyberviolences ont de lourdes conséquences sur la vie et la santé : plus d’un tiers des victimes de cyberharcèlement présentent des symptômes du syndrome de stress post-traumatique. De plus, sept femmes victimes de cyberviolences sur dix n’ont reçu aucun soutien, quel qu’il soit, de la part d’organismes ou d’une personne de leur réseau personnel.
Il existe un écart générationnel qui se manifeste lorsque les personnes chargées d’établir la réglementation sont les moins au fait des problèmes. Soyons clairs : les jeunes utilisent beaucoup plus internet puisqu’ils passent en moyenne sept heures par jour derrière un écran – c’est-à-dire plus de temps qu’avec leurs éducateurs ou leurs parents. Il ne s’agit naturellement pas de faire le procès d’internet, qui est un espace de créativité et d’apprentissage, mais qui expose à des risques graves dont celui de cyberharcèlement est la manifestation la plus saillante.
Pour répondre au problème, il est indispensable de nous doter d’intelligence numérique. Cela passe par une meilleure information concernant l’impact de la présence en ligne et les traces laissées, ainsi que les technologies permettant de sécuriser les données personnelles, mais aussi une information concernant le droit des personnes.
Nous proposons à cet effet la création d’un site d’information complet sur les dispositifs juridiques qui encadrent les cyberviolences et d’une plateforme d’aide et d’accompagnement en ligne, ainsi qu’une aide au décryptage des conditions générales d’utilisation des plateformes sociales, qui ne sont malheureusement pas efficaces en termes de modération. De ce point de vue, il convient d’exiger des médias sociaux une totale transparence quant à leur politique et à leurs dispositifs de modération.
D’autre part, nous recommandons le lancement de campagnes d’information et de prévention du grand public visant à démontrer que les normes culturelles et sociales favorisent l’existence de cyberviolences. Ces campagnes doivent cibler les personnes les plus touchées et les plus vulnérables : les femmes, les mineurs, les personnes discriminées et celles en situation de handicap.
Nous prônons également la responsabilisation et le développement de l’intelligence émotionnelle numérique, c’est-à-dire la capacité à faire preuve d’empathie, à construire de bonnes relations en ligne avec les autres et à venir en aide aux victimes de cyberviolences, et la promotion de bonnes pratiques en ligne dans cet objectif, qu’il s’agisse d’effectuer des signalements ou d’éviter de diffuser des contenus malveillants. Nous proposons par exemple une charte de cyberangels que les utilisateurs de Twitter et d’autres réseaux signeraient pour se déclarer comme personnes sûres et s’engager à répandre ce climat d’empathie.
Autre recommandation : former les professionnels, notamment le personnel éducatif, les policiers et gendarmes, les magistrats, le personnel médical et hospitalier. Nous avons en effet recueilli le témoignage de victimes qui ont été traumatisées après avoir été chercher de l’aide auprès de ces intervenants.
S’agissant de l’accompagnement des victimes de cyberviolences, qu’elles soient majeures ou mineures, nous recommandons de leur accorder la gratuité des soins et de mettre en place des permanences juridiques gratuites. Pour cela, il faut du temps et de l’argent, mais le problème est essentiel et doit être pris au sérieux.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Je vous remercie pour votre investissement sur ce sujet capital qui concerne en effet l’éducation et la formation – nous avons d’ailleurs intégré la formation à internet dans la loi.
Nous avons abordé ces sujets dans notre rapport sur la République numérique. Je comprends que l’on utilise dans ce domaine des termes anglais, mais il me semble que leur emploi revient à édulcorer la violence. Le happy slapping, par exemple, n’a rien de joyeux : il s’agit en réalité d’un vidéolynchage. Sans doute nos traductions ne sont-elles pas encore assez percutantes – de ce point de vue, nos amis québécois sont intraitables. N’est-il pas plus parlant, cependant, de dire « contre les salopes » que de parler de slut-shaming, ou de « vengeance pornographique » plutôt que de revenge porn ? Sans doute lutterions-nous mieux encore contre ces phénomènes en les nommant plus correctement.
J’ajoute que nous avons adopté dans la loi pour une République numérique une disposition relative au droit à l’oubli sur internet pour les mineurs, lesquels peinent à se rendre compte qu’en naviguant sur internet, ils ne sont pas dans un espace de dialogue privé avec leurs amis, mais que tout ce qui est écrit pourra un jour être utilisé contre eux, par exemple lors d’un entretien d’embauche.
La jeune génération a certainement un usage d’avance par rapport aux adultes : ce sont des sujets sur lesquels les enfants apprennent souvent à leurs parents. Cela étant, ils passent sept heures par jour devant un écran : sans doute appartient-il aux parents de se préoccuper davantage de ce qui se passe sur internet et d’encadrer davantage cette activité – il n’est pas défendu, par exemple, d’enlever un portable de la chambre d’un enfant.
Les attentes à l’égard de la puissance publique sont également très fortes, tant il est complexe de mettre de l’ordre sur internet. Mme Maldonado va justement nous présenter l’action du ministère de l’Intérieur en matière de lutte contre le harcèlement en ligne.
Mme Valérie Maldonado, adjointe à la sous-directrice de la lutte contre la cybercriminalité au ministère de l’Intérieur, commissaire divisionnaire. Permettez-moi d’aborder successivement trois points : les structures créées au sein du ministère de l’intérieur pour lutter contre la cybercriminalité, en particulier les contenus extrêmement violents ; nos domaines d’activité, la place de la puissance publique et les attentes qu’elle suscite parmi les internautes ; enfin, la complexité de notre action face à un volume colossal de fichiers à traiter, compte tenu de la nécessité de coopérer avec des partenaires, notamment étrangers, et les règles applicables au droit de retrait.
La direction centrale de la police judiciaire comporte depuis deux ans une sous-direction de la lutte contre la cybercriminalité, qui s’appuie sur un office central créé en 2001.
D’autre part, la plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements, PHAROS, créée en 2009, sert à traiter les contenus illicites en ligne ; elle est gérée par douze policiers et autant de gendarmes. Il fallait établir un modèle de gouvernance qui préserve un juste équilibre entre nos capacités d’intervention face aux infractions liées à la mise en ligne de certains contenus d’une part et, d’autre part, la préservation de l’espace de liberté qu’est internet et la définition, conformément à la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN), des responsabilités des différents acteurs – fournisseurs d’accès, hébergeurs, éditeurs – de cet écosystème.
Chaque mois, 2,2 milliards de personnes utilisent les réseaux sociaux dans le monde. Face au développement considérable des contenus, le ministère de l’Intérieur a choisi de créer un point d’entrée unique des signalements effectués principalement par les internautes qui, au hasard de leur navigation, rencontrent des propos et des contenus publics qui dépassent le stade du simple jugement d’opinion et sont constitutifs d’infractions pénales. L’usage qui doit être fait de la plateforme de signalement est clairement précisé dès la page d’accueil.
J’ajoute que le domaine d’infraction n’est pas limité : chaque année, près de 190 000 signalements sont traités via cette plateforme, l’idée étant de recouper les informations souvent répétitives grâce à ce point d’entrée unique, pour éviter les doublons.
La plateforme permet de réunir les éléments d’investigation nécessaires pour qualifier les infractions pénales, de conserver dans l’urgence ces données par nature très volatiles et, le cas échéant, de les compléter avec l’autorisation du procureur de la République de Nanterre – la plateforme se trouvant sur le territoire relevant de sa compétence – par des réquisitions judiciaires visant à identifier les adresses IP des auteurs des infractions constatées. Une fois le critère de compétence territoriale obtenu, un accord interministériel nous permet de transmettre en urgence et de manière dématérialisée la procédure au service de police ou de gendarmerie compétent, à qui il appartient ensuite d’entrer en contact avec le parquet de son ressort pour poursuivre les investigations.
Plus de 56 % des signalements effectués chaque année portent sur des escroqueries en ligne et 9 % ont trait à des discriminations et à des violences, le reliquat portant sur d’autres catégories d’infractions.
Nos priorités d’action ont évolué face à la grande diversité des situations. Les urgences vitales – l’annonce d’un suicide diffusé en direct, par exemple – ne relèvent normalement pas de notre champ de compétences mais de celui de Police-secours. Cependant, nous en sommes saisis de jour comme de nuit, car l’attente des internautes est forte concernant ces situations de détresse : nous avons donc conclu un partenariat avec les fournisseurs d’accès afin d’identifier très rapidement les adresses IP pertinentes et de faire intervenir une patrouille de police ou de gendarmerie sur le lieu correspondant.
D’autre part, la loi de 2014 sur la lutte contre le terrorisme nous a dotés d’une nouvelle compétence : la gestion de la cellule de retrait, de blocage et de recensement des contenus constituant une apologie du terrorisme, une incitation aux actes de terrorisme ainsi que des contenus pédopornographiques – lesquels sont d’une gravité croissante et font des victimes de plus en plus jeunes, d’où des procédures de plus en plus importantes.
En matière de cyberharcèlement, je tiens à souligner la qualité des partenariats que nous avons conclus avec l’ensemble des institutions mobilisées, notamment l’Éducation nationale, et avec les associations. Ils permettent en effet d’identifier très en amont les auteurs des infractions – qui se trouvent souvent dans l’environnement proche de leurs victimes, par exemple à l’école.
Nous devons tout de même nous saisir de certains cas, par exemple de chantage à la diffusion de photographies intimes sur les réseaux sociaux et à l’ensemble des contacts de la victime dont la messagerie a souvent été piratée – un type d’infraction qui touche naturellement les jeunes, mais aussi toutes les autres tranches d’âge et l’ensemble des catégories socio-professionnelles. Or, le traitement de ces situations est d’autant plus délicat que les victimes peinent souvent à parler, à se convaincre qu’elles sont victimes et à savoir quel comportement adopter. La plateforme PHAROS et la plateforme téléphonique qui l’accompagne permettent précisément de tenir compte de la dimension psychologique très dure de ce phénomène.
J’ajoute qu’en pratique, le droit à l’oubli est très difficile à mettre en œuvre, ce qui constitue une sorte de double peine pour les victimes car même lorsqu’elles ne cèdent pas au chantage et que leur agresseur recule, les images demeurent en ligne.
Notre action repose également sur un partenariat avec les grandes sociétés – non seulement américaines mais aussi françaises – du secteur des jeux vidéo, dont la contribution est très utile car les modérateurs jouent pleinement leur rôle. Nous sommes toutefois contraints par les limites de cette coopération internationale et par le champ extrêmement ouvert du premier amendement de la Constitution des États-Unis, qui ne traite pas les discours publics de haine raciale comme nous les traitons en France.
Un dernier point : les signalements qui nous remontent des internautes portent en très grand nombre sur des discriminations raciales, mais ceux qui concernent des infractions sexistes sont très rares. L’appropriation de ces sujets est très difficile et les blogueuses qui ont le courage de parler pour faire valoir leurs opinions, par exemple, se font lyncher en ligne dans un environnement d’une violence extrême.
Mme la présidente Catherine Coutelle. La campagne présidentielle américaine a en effet livré des exemples d’actes de sexisme et de racisme commis en toute impunité.
Pour conclure nos travaux, je donne la parole à Mme Diariata N’Diaye, fondatrice en Loire-Atlantique de l’association Résonantes, à l’origine d’une application destinée aux femmes victimes de violences et qui dispense en outre des formations en milieu scolaire.
Mme Diariata N’Diaye, présidente de l’association Résonantes. Depuis une dizaine d’années, j’interviens dans les établissements scolaires pour sensibiliser les élèves aux violences faites aux femmes en organisant un spectacle de slam et des ateliers d’écriture. Au fil du temps et des témoignages de jeunes filles et de jeunes garçons qui étaient victimes ou témoins de violences, j’ai fait le constat suivant : la question des violences faites aux femmes est très peu abordée avec ce public jeune, dont les campagnes de sensibilisation ne parviennent pas à capter l’attention.
C’est pourquoi l’association Résonantes a entrepris de créer des outils adaptés pour sensibiliser les jeunes à ces questions et faciliter l’accès à l’information et la mise en relation des victimes et des témoins avec les professionnels susceptibles de les aider en recensant l’ensemble des dispositifs existants.
Créé en lien avec le docteur Muriel Salmona, le site resonantes.fr est destiné à vulgariser l’information sur les violences en donnant envie aux utilisateurs de poursuivre leur navigation, malgré la difficulté du sujet. Il comporte une rubrique d’information déclinant les différents types de violences, en les illustrant par des exemples clairs et simples, une autre sur les conséquences physiques et psychiques de ces violences et une troisième sur les intervenants vers qui se tourner – professionnels, bureaux d’aide aux victimes, associations et autres – grâce à une carte interactive qui permet de les localiser aisément et qui renvoie vers leurs sites internet.
Nous avons également créé l’application « App-Elles » : c’est une application solidaire, simple, gratuite et sans publicité qui permet de contacter facilement des proches, des amis, des voisins, des professionnels ou les secours, et qui comporte trois fonctions.
La première permet d’alerter trois proches. En cas de problème, en effet, de nombreuses personnes ne font pas le choix d’appeler la police ; c’est à ce public que s’adresse cette fonction qui permet d’envoyer à trois proches un message ou une photo préenregistrés et géolocalisés toutes les quatre-vingt-dix secondes ; en parallèle, il leur est proposé de contacter les secours – rappelons en effet que cette application ne se substitue nullement à l’appel de la police et des secours.
La deuxième fonction permet de se mettre en relation téléphonique avec les plateformes professionnelles, qu’il s’agisse du numéro d’écoute national destiné aux femmes victimes de violences, le 3919, du service national d’accueil téléphonique pour l’enfance en danger, le 119, ou des associations locales. L’application sera officiellement lancée demain dans le Var, où la déléguée départementale aux droits des femmes et à l’égalité, Chantal Molinès, a déterminé vers quels professionnels renvoyer le public concerné.
La troisième fonction renvoie vers un site internet de ressources permettant d’accéder rapidement et simplement à l’information et aux coordonnées des professionnels qui viennent en aide aux victimes. En Loire-Atlantique, par exemple, cette fonction renvoie vers le site resonantes.fr. L’objectif est que tous les départements participent à l’application afin que les utilisateurs soient redirigés vers les professionnels exerçant sur leurs territoires.
Il est urgent de sensibiliser les jeunes et de donner les moyens nécessaires aux associations qui œuvrent à ces fins, car il existe toute une génération de personnes engagées qui connaissent mieux la jeunesse que d’autres, moins présentes sur le terrain. Je suis convaincue que nous disposons de l’expertise qui nous permet d’atteindre ce public. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’association Résonantes s’apprête à travailler de concert avec le collectif « Féministes contre le cyberharcèlement » afin de créer des outils communs en faveur de la jeunesse.
Mme Monique Rabin. Je tiens à remercier l’ensemble des intervenants, très complémentaires. En tant qu’élue, je suis frappée par la méconnaissance du travail qui est fait aussi bien par les administrations, dans la recherche et sur le terrain.
Un mot enfin pour vous livrer cette expérience personnelle : il y a quelques semaines, j’ai diffusé une lettre sur l’accueil des migrants, en ligne sur mon site Internet, et j’ai ensuite été victime d’une cyberattaque d’une grande violence. Je comprends donc mieux maintenant ce que peut ressentir une adolescente dans le même cas. Je suis députée, femme déjà expérimentée, mais confrontée à certaines insultes en ligne, je ne savais pas que faire, comment réagir. L’intervention de Mme Maldonado, commissaire divisionnaire, était rassurante à cet égard, mais il y a encore, me semble-t-il, un travail important à faire en termes de communication.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Merci de ce témoignage.
Je vous remercie toutes et tous pour vos interventions et votre présence à ce colloque, dont je suis très heureuse qu’il ait pu être organisé en cette semaine de lutte contre les violences faites aux femmes, pour débattre de certaines thématiques que nous n’avions pas eu l’occasion d’évoquer jusqu’alors, en lien avec différentes formes de violences sexistes dans le monde culturel et les médias et dans le cyberespace.
Nous essayons d’améliorer la loi pour mieux protéger les femmes et, dans cette perspective, nous auditionnons régulièrement des associations, telles que le Centre Hubertine Auclert qui a travaillé sur les cyberviolences, mais aussi des avocates, des chercheurs et des chercheuses, pour réfléchir ensemble aux voies de progrès.
C’est un moment important, qui doit trouver des prolongements : il convient en effet de poursuivre la réflexion collective sur ces sujets, mieux faire connaître les moyens de se défendre et, comme l’a souligné à juste titre l’une des intervenantes, la bienveillance et l’empathie sont nécessaires sur Internet pour prêter attention aux appels à l’aide et aux signaux faibles. Nous pouvons tous être confrontés à ces questions, personnellement ou dans notre entourage.
Il ne s’agit pas pour autant de condamner les médias et Internet, mais de prendre acte de ce qu’ils sont devenus des outils quotidiens, qui présentent certains dangers face auxquels nous devons rester attentifs. Merci à nouveau à toutes et tous de nous avoir aidés à réfléchir à ces questions.
La séance est levée à 19 heures 35.
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Membres présents
Présentes. – Mme Catherine Coutelle, Mme Pascale Crozon, Mme Édith Gueugneau, Mme Maud Olivier, Mme Catherine Quéré.
Excusés. – Mme Laurence Arribagé, Mme Conchita Lacuey, M. Christophe Premat.
Assistait également à la réunion. – Mme Monique Rabin.