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Délégation aux Outre-mer

Mardi 8 octobre 2013

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 2

Présidence de Mme Chantal Berthelot, vice-présidente

– Table ronde, ouverte à la presse, avec les acteurs de la filière agricole de la banane : M. Louis-Daniel Bertome, président de la Chambre d’agriculture de la Martinique ; M. Laurent Laviolette, secrétaire général de l’Union des Groupements de Producteurs de Bananes de Guadeloupe et de Martinique (UGPBAN) ; M. Pierre Monteux, directeur général de la société Banamart ; M. Philippe Ruelle, directeur général de la société Fruidor ; M. Denis Loeillet, responsable de l’Observatoire des marchés du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) ; M. Tino Dambas, président de l’Institut Technique Tropical (IT2) ; M. Franck Gonsse, secrétaire général de la Coordination nationale des travailleurs portuaires et assimilés (port de Dunkerque) et de la Chambre syndicale des ouvriers du port mensualisés et intermittents (CNTPA/CSOPMI) ; M. Xavier Eiglier, directeur de la ligne Antilles de la Compagnie maritime d’affrètement-Compagnie générale maritime (CMA-CGM) ; M. Jean-François Tallec, chargé des relations institutionnelles de CMA-CGM ; M. Xavier Freyermuth, directeur de la cartonnerie International Paper de Basse-Terre en Guadeloupe ; M. Franck Lliso, président de la société Fructifrui (réseau de mûrisseurs indépendants de Rungis) ; M. Jean Simonnet, responsable de la société Antilles Vitro Plants (entreprise de reproduction de plantes) ; M. Juvénal Rémir, représentant du syndicat « Coordination rurale » en Martinique ; Mme Laetitia de La Maisonneuve, chargée des relations avec le Parlement de l’association Eurodom (association de promotion des territoires ultramarins).

La séance est ouverte à 17 heures 10.

Présidence de Mme Chantal Berthelot, vice-présidente.

Table ronde, ouverte à la presse, avec les acteurs de la filière agricole de la banane : M. Louis-Daniel Bertome, président de la Chambre d’agriculture de la Martinique ; M. Laurent Laviolette, secrétaire général de l’Union des Groupements de Producteurs de Bananes de Guadeloupe et de Martinique (UGPBAN) ; M. Pierre Monteux, directeur général de la société Banamart ; M. Philippe Ruelle, directeur général de la société Fruidor ; M. Denis Loeillet, responsable de l’Observatoire des marchés du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) ; M. Tino Dambas, président de l’Institut Technique Tropical (IT2) ; M. Franck Gonsse, secrétaire général de la Coordination nationale des travailleurs portuaires et assimilés (port de Dunkerque) et de la Chambre syndicale des ouvriers du port mensualisés et intermittents (CNTPA/CSOPMI) ; M. Xavier Eiglier, directeur de la ligne Antilles de la Compagnie maritime d’affrètement-Compagnie générale maritime (CMA-CGM) ; M. Jean-François Tallec, chargé des relations institutionnelles de CMA-CGM ; M. Xavier Freyermuth, directeur de la cartonnerie International Paper de Basse-Terre en Guadeloupe ; M. Franck Lliso, président de la société Fructifrui (réseau de mûrisseurs indépendants de Rungis) ; M. Jean Simonnet, responsable de la société Antilles Vitro Plants (entreprise de reproduction de plantes) ; M. Juvénal Rémir, représentant du syndicat « Coordination rurale » en Martinique ; Mme Laetitia de La Maisonneuve, chargée des relations avec le Parlement de l’association Eurodom (association de promotion des territoires ultramarins).

Mme Chantal Berthelot, présidente. Je vous remercie, Madame, Messieurs, d’avoir accepté notre invitation.

Le président de la Délégation, M. Jean-Claude Fruteau, retenu dans sa circonscription, vous prie de bien vouloir l’excuser et m’a demandé d’assurer la présidence de cette table ronde. Celle-ci s’inscrit dans le cadre des travaux que nous menons actuellement sur l’agriculture ultramarine, sujet sur lequel la Délégation a nommé deux rapporteurs, M. Hervé Gaymard et moi-même. Nous sommes sur le point de terminer notre rapport, que nous présenterons à la Délégation dans les premiers jours de novembre.

Depuis le mois de juin, nous auditionnons un certain nombre d’acteurs de l’agriculture ultramarine, dont les représentants de la filière « canne », les présidents des chambres d’agriculture et les responsables de différents syndicats, et nous recevrons la semaine prochaine les responsables de l’Agence de services et de paiement (ASP).

Nous avons souhaité organiser une table ronde réunissant les acteurs de la filière agricole de la banane, et c’est à ce titre que nous accueillons aujourd’hui :

M. Louis-Daniel Bertome, président de la chambre d’agriculture de la Martinique ;

M. Laurent Laviolette, secrétaire général de l’Union des groupements de producteurs de bananes de Guadeloupe et de Martinique (UGPBAN) ;

M. Pierre Monteux, directeur général de la société Banamart, groupement des producteurs de la Martinique ;

M. Philippe Ruelle, directeur général de l’UGPBAN et de sa filiale, la mûrisserie Fruidor ;

M. Denis Loeillet, responsable de l’Observatoire des marchés du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) ;

M. Tino Dambas, président de l’Institut technique tropical (IT2), deuxième vice-président du groupement Les producteurs de Guadeloupe (LPG) ;

M. Franck Gonsse, secrétaire général de la Coordination nationale des travailleurs portuaires et assimilés (port de Dunkerque) et de la Chambre syndicale des ouvriers du port mensualisés et intermittents (CNTPA/CSOPMI) ;

M. Xavier Eiglier, directeur central de la ligne Antilles-Guyane de la Compagnie maritime d’affrètement - Compagnie générale maritime (CMA-CGM) ;

M. Jean-François Tallec, chargé des relations institutionnelles de CMA-CGM ;

M. Xavier Freyermuth, directeur général de la cartonnerie International Paper de Basse-Terre en Guadeloupe ;

M. Franck Lliso, président du groupement d’intérêt économique Fructifrui (réseau de mûrisseurs indépendants de Rungis) ;

M. Jean Simonnet, responsable de la société Antilles Vitro Plants (entreprise de reproduction de plantes) ;

M. Juvénal Rémir, représentant du syndicat « Coordination rurale » en Martinique ;

Mme Laetitia de la Maisonneuve, chargée des relations avec le Parlement de l’association Eurodom (association de promotion des territoires ultramarins).

Je me réjouis de voir que vous êtes venus nombreux et vous invite à nous faire des propositions concrètes propres à consolider une filière si importante pour l’agriculture ultramarine.

Vous nous avez proposé d’aborder au cours de cette réunion les points suivants relatifs à la filière « banane » : son fort impact économique local, son rôle social, sa structuration autour de partenariats forts, son rôle de colonne vertébrale du développement agricole, son caractère innovant, et enfin ses perspectives.

Mais avant de vous donner la parole, Messieurs, je vais laisser ceux de mes collègues qui le souhaitent s’exprimer.

M. Bruno Nestor Azerot. Je vous remercie, Messieurs, d’être venus devant nous pour présenter vos professions et les problèmes auxquels elles sont confrontées.

Cette table ronde est un moment fort pour nous, parlementaires, car elle va nous permettre de mieux connaître votre secteur et son importance économique. Vous nous indiquerez quels sont les éléments qui, selon vous, devraient apparaître dans les conclusions du rapport de la Délégation, puis dans la loi d’avenir pour l’agriculture.

Je me réjouis d’autant plus de l’organisation de cette table ronde que je l’avais souhaitée, et je remercie le président de la Délégation d’avoir donné suite à ma demande. Cette réunion me tenait en effet à cœur : issu moi-même d’une famille d’agriculteurs, je suis maire d’une commune très bananière et élu d’une circonscription de Martinique essentiellement bananière. Pour moi, les questions liées à la filière sont donc vitales car, derrière les chiffres, je vois des emplois et donc des femmes et des hommes.

La filière « banane » représente 6 000 emplois aux Antilles, soit l’équivalent pour la métropole de 450 000 emplois. Élément essentiel de notre économie, elle structure notre société et notre environnement. On ne saurait par conséquent traiter de l’agriculture antillaise sans faire à votre secteur la part qui lui revient et le rapport de la Délégation ne pouvait pas l’ignorer.

Sans anticiper sur les conclusions de cette réunion, je voudrais insister sur deux ou trois points importants qui devront nécessairement figurer dans le projet de loi d’avenir pour l’agriculture.

L’État doit impérativement prendre conscience du rôle capital que joue la filière « banane », en termes d’emplois et de création de richesses, et de son importance pour notre avenir.

La filière a mis dix ans pour se restructurer et se reconstruire, mais elle demeure fragile. Il est donc indispensable de sanctuariser le dispositif des aides mises en place et de penser toujours celles-ci en fonction de la filière, comme le permet l’ODEADOM. Et puisque nous tenons à développer la diversification, faisons-le par le haut, c’est-à-dire en nous inspirant des actions entreprises pour la filière « banane », et non par le bas, c’est-à-dire par un saupoudrage d’aides individuelles. Le nivellement ne favorise pas le développement et l’organisation structurée d’une activité agricole qui a impérativement besoin d’être modernisée. Et cette modernisation est tout l’enjeu de notre travail et de celui du Gouvernement dans les prochains mois. Si nous ne la réussissons pas, nous nous exposons à de cuisants échecs, qui auraient toute chance d’être irréparables.

Je ne serai pas le député à l’origine de l’effondrement de la culture bananière, car les communes qui en vivent n’ont rien d’autre à proposer à la jeunesse, sinon condamnée au vide, au désœuvrement et parfois à la délinquance.

Il faut donc travailler à la diversification. J’attends toujours la table ronde promise par le ministre de l’Agriculture sur ce thème. Je suis inquiet, car l’agriculture martiniquaise fait fausse route. Oui, la diversification est une nécessité, encore faut-il l’organiser de façon réfléchie. Elle ne doit pas être une fin en soi et le prétexte à quelques prébendes qui ne constituent pas une politique agricole moderne et risquent de conduire à l’anarchie. Le clientélisme et la surproduction, qui multiplient les organisations de producteurs (OP), les présidences et les financements stériles, ne pourraient que nuire au développement de l’agriculture raisonnée et équilibrée que nous souhaitons, ruiner de nombreux producteurs et menacer les emplois au profit de la spéculation.

Nous devons inciter fermement les producteurs à se regrouper en filières structurées, quitte à conditionner les aides aux besoins dûment identifiés. Tous les acteurs agricoles doivent se rencontrer sans délai en vue de créer une organisation unique d’ici à la fin de 2013, car le temps court et demain il sera trop tard – il est d’ailleurs déjà trop tard. Il appartient aux acteurs de l’économie agricole que vous êtes, Messieurs, de relever ce défi.

Mme Hélène Vainqueur-Christophe. Je remercie à mon tour les professionnels ici présents. Je suis députée de la Guadeloupe, où la banane est le socle de l’économie. Je me réjouis de vous rencontrer car cela nous permettra de préparer un certain nombre d’amendements que nous déposerons sur le projet de loi d’avenir pour l’agriculture.

Mme Brigitte Allain. Députée de Dordogne, j’ai à l’occasion de plusieurs questions au Gouvernement dénoncé les épandages aériens, dangereux pour la santé humaine. Pour l’agriculture, la voie de la modernisation est celle de l’agro-écologie et il semble que le ministre de l’Agriculture souhaite orienter en ce sens le projet de loi d’avenir pour l’agriculture.

Sans connaître très bien les départements d’outre-mer, je sais que les produits alimentaires importés de la métropole ou d’ailleurs y sont vendus à un prix très élevé alors qu’existent sur place d’énormes potentiels, dont l’exploitation créerait des emplois.

Pour que tous ces problèmes soient débattus, il est important que les départements d’outre-mer s’impliquent dans la préparation du projet de loi d’avenir agricole et tel est le sens du travail de la Délégation.

Mme Chantal Berthelot, présidente. Messieurs, vous avez souhaité nous décrire pour commencer la place importante qu’occupe la filière dans l’économie locale.

M. Pierre Monteux, directeur général de la société Banamart, groupement des producteurs de bananes de la Martinique. La filière française de la banane est totalement intégrée et unifiée. Avec une production comprise entre 250 000 et 270 000 tonnes de bananes par an – 60 000 à 70 000 tonnes en Guadeloupe et 190 000 à 200 000 tonnes à la Martinique – et étalée du 1er janvier au 31 décembre, elle est en quelque sorte la colonne vertébrale de l’agriculture de nos îles. Chaque semaine, cette production est embarquée pour alimenter l’hexagone, qui est notre marché domestique, et cette régularité, singulière en agriculture, assure aux producteurs un revenu lui-même régulier.

La production bananière est assurée par 650 exploitations familiales et artisanales – 250 en Guadeloupe et 400 en Martinique – et génère 6 000 emplois directs, essentiellement des emplois à temps complet et des CDI, soit 80 % de l’emploi agricole en Martinique.

Elle occupe 10 000 hectares sur les deux îles – 7 500 en Martinique et 2 500 en Guadeloupe. On parle souvent, à son propos, de monoculture : le terme est inadapté car, en Martinique, ces 7 500 hectares ne représentent qu’un peu plus de 25 % de la surface agricole utile.

La filière « banane » est un acteur important du développement économique local, avec 20 000 emplois induits sur nos deux îles. Elle est en outre à l’origine d’un apport financier important pour nos territoires. En effet, hors aides communautaires, elle génère un chiffre d’affaires de plus de 200 millions d’euros – 150 millions d’euros pour la Martinique, 50 millions pour la Guadeloupe – qui servent au développement de nos départements et irriguent l’activité économique.

Dans le domaine de la transformation, beaucoup de projets industriels ont vu le jour ou sont en cours. Je citerai le recyclage de l’écorce des bananiers pour produire un plaquage destiné à l’industrie du bâtiment, la fabrication d’une gamme de produits cosmétiques sous la marque Kadalys, ou encore la production en Guadeloupe, en collaboration avec l’INRA, de farines destinées à l’alimentation du bétail, sans parler de la production de jus et de pétillant de banane.

Notre filière joue enfin un rôle très important en matière d’aménagement du territoire, en contribuant au maintien d’activités économiques, et donc au maintien de la population, dans un grand nombre de communes – sur les 34 de Martinique, 21 produisent de la banane.

La filière « banane » contribue enfin au dynamisme du tourisme rural en structurant nos paysages.

M. Laurent Laviolette, secrétaire général de l’Union des groupements de producteurs de bananes de Guadeloupe et de Martinique (UGPBAN). La filière « banane » est organisée en deux groupements : le groupement Les Producteurs de Guadeloupe (LPG) et le groupement Banamart, eux-mêmes regroupés, depuis bientôt dix ans, au sein de l’UGPBAN, qui coordonne leur action et s’assure que les producteurs perçoivent un revenu.

L’efficacité de cette organisation a permis de nouer un partenariat avec le premier réseau de mûrisseurs de France, Fruidor, qui emploie 300 personnes et traite chaque année 160 000 tonnes de bananes.

Mme Chantal Berthelot, présidente. Nous en venons au rôle social de la filière.

M. Juvénal Rémir, représentant du syndicat « Coordination rurale » en Martinique. Je me réjouis de la présence de deux députés de Martinique, car nous nous sentions orphelins depuis le décès du député Camille Darsières. Les hommes politiques parlent si rarement de notre filière que, parfois, je me demande s’ils ne veulent pas la voir disparaître...

Aujourd’hui, je suis très inquiet car, en tant que chef d’exploitation, je reçois des jeunes bacheliers qui viennent solliciter du travail ; or je n’ai rien à leur proposer. Récemment, j’ai même dû rebrousser chemin à l’approche d’un village pourtant d’habitude plutôt tranquille, sachant que j’allais y être assailli de demandes auxquelles je ne pouvais répondre ! Beaucoup de jeunes ne travaillent pas et leurs parents, afin de leur donner un peu d’argent, sont obligés de demander de l’aide à la mairie… Et ce chômage qui frappe aujourd’hui une génération en frappera bientôt deux !

La filière banane emploie 6 000 personnes, elle fait vivre aussi les dockers, les chauffeurs de taxi, les transporteurs, les salariés des grandes et moyennes surfaces (GMS). Je n’ose imaginer ce qui se passerait si, demain, il n’y avait plus un seul pied de banane à la Martinique. Comme dit le proverbe, « ventre affamé n’a point d’oreilles ». Si les bateaux chargés de bananes cessent de partir vers la métropole pour revenir chargés de marchandises, combien paierons-nous une bouteille d’huile ? L’heure est grave. Je suis très inquiet, mais j’espère que nos problèmes seront pris en compte.

Je suis parfois découragé quand je constate l’état dans lequel se trouvent les bananiers atteints de cercosporiose. Madame la députée, vous parlez de protection de l’environnement, vous avez raison, mais il n’existe pas de culture qui ne soit traitée. La cercosporiose noire est un fléau qui a déjà entraîné la ruine de beaucoup de petits producteurs. Il faut mettre fin à cette situation.

M. Tino Dambas, président de l’Institut technique tropical (IT2). En plus de mon rôle au sein d’IT2, je suis producteur de bananes et vice-président du groupement Les producteurs de Guadeloupe (LPG).

En tant que Guadeloupéen, j’ai très peur. Naguère, dans la commune de Capesterre, un enseignant pouvait se permettre de réprimander un élève pour une absence sans autorisation ou pour un comportement dissipé. Aujourd’hui, ce n’est plus possible car les enseignants ont peur, tout comme la population.

En 2004, la production bananière a chuté en Guadeloupe, tombant de 120 000 ou 135 000 à 40 000 tonnes. De nombreuses exploitations ont fermé, entraînant, avec l’aggravation du chômage, l’installation de la délinquance. Personne ne naît délinquant, mais un jeune dont la mère et le père ont perdu leur emploi et ne peuvent plus répondre à ses besoins n’a qu’une idée en tête : trouver les moyens d’acheter ce qu’ont ses camarades et que ses parents ne peuvent lui offrir. C’est alors que commence la délinquance.

On parle souvent de Marseille mais, j’ai honte de vous le dire, la situation est bien pire en Guadeloupe. Les jeunes n’y sont pas plus méchants qu’ailleurs, mais ils n’ont pas d’occupation.

Quelques hommes politiques et des intellectuels affirment qu’il faut arrêter de cultiver la banane et la canne. Par quoi proposent-ils de les remplacer ? La banane emploie 80 % du personnel agricole : que feront-ils de tous ces gens ?

Auparavant, ceux qui ne trouvaient pas d’emploi étaient des travailleurs étrangers ou des jeunes qui n’avaient pas réussi à l’école, mais ce n’est plus le cas : ce sont aujourd’hui des bacheliers et même des titulaires de BTS, voire des ingénieurs. Et lorsqu’ils sont embauchés, ce n’est pas pour faire partie de l’encadrement ; ils le sont comme simples ouvriers, voire en tant que stagiaires.

De grâce, Mesdames et Messieurs les parlementaires, faites en sorte de renforcer la production bananière en Guadeloupe et en Martinique, au lieu de la détruire.

M. Pierre Monteux. Il y a quelques mois ont été mis en place les « emplois d’avenir ». Nous sommes résolument favorables à ce dispositif et nous avons signé en mai dernier une convention avec la préfecture de Martinique pour faire bénéficier 50 jeunes de ces contrats avant la fin de 2014. En dépit de la tempête tropicale Chantal que nous avons subie en juillet, les exploitants ont déjà signé une vingtaine de contrats et, si notre activité retrouve son régime de croisière, l’objectif de 50 contrats sera atteint dès le premier semestre de 2014 ; nous escomptons donc signer une convention complémentaire avec les services de la préfecture. Cela permettra à la fois d’aider des jeunes en déshérence et de remédier aux problèmes de recrutement rencontrés par un certain nombre d’exploitations, petites et moyennes.

Les salariés agricoles de nos départements ne bénéficiaient pas de la retraite complémentaire. Pour corriger cela, nous avons, il y a plusieurs années, engagé des négociations qui ont abouti, ces jours derniers, à la signature d’un accord paritaire. Une fenêtre de tir nous a été consentie par l’ARRCO, ce qui permettra d’entrer progressivement dans le dispositif pour atteindre, par paliers, en six ans, le taux en vigueur de 9,5 %. Nous avons demandé au Gouvernement de couvrir le manque à gagner. La ministre, Mme Marisol Touraine, nous a invités à signer un accord de branche en attendant que ce point soit tranché.

M. Tino Dambas. Les salariés agricoles travaillent en général dans des conditions très dures, mais c’est encore plus vrai aux Antilles, en raison du relief. Je souhaite que la loi tienne compte de cette pénibilité pour le calcul de leur retraite.

M. Laurent Laviolette. Deux organismes réalisent un travail remarquable en faveur de l’insertion des jeunes, notamment dans la filière « banane » : il s’agit du Régiment du service militaire adapté (RSMA) et du Groupement d’employeurs pour l’insertion et la qualification, le GEIQ 971, qui aide les jeunes Guadeloupéens à s’insérer sur le marché du travail.

Mme Chantal Berthelot, présidente. Vous vous êtes proposé, en troisième lieu, d’insister sur la structuration de la filière autour de partenariats forts.

M. Franck Gonsse, secrétaire général de la Coordination nationale des travailleurs portuaires et assimilés (port de Dunkerque) et de la Chambre syndicale des ouvriers du port mensualisés et intermittents (CNTPA/CSOPMI). Après la réforme de 1992, nous avons pu créer au port de Dunkerque un terminal pour conteneurs. Nous le devons pour une bonne part à la filière « banane », qui génère des emplois dans la filière logistique, comme elle le fait également dans les mûrisseries, les marchés, les supermarchés et hypermarchés – sans oublier les marins embarqués sur les navires. En retour, la création de ce terminal permet de mieux prendre en compte ses besoins. En tant que représentants syndicaux, nous ne pouvons d’ailleurs que nous sentir concernés par son développement.

Le modèle social défini à Dunkerque a également été appliqué pour développer le port de Montoir, avant d’être exporté quelques mois après aux Antilles, en vue d’assurer la fiabilité du transport des bananes et de garantir jusqu’au bout la traçabilité de ce produit sensible.

Après avoir consulté, pendant deux ans, producteurs, logisticiens, armateurs, autorités portuaires, nous avons signé une charte de partenariat qui est venue confirmer un travail de vingt ans, au service de la fiabilité, des 450 dockers qui travaillent dans les deux ports de métropole et dans les deux ports des Antilles.

Les bananes antillaises sont stockées dans des entrepôts frigorifiques à température positive. Nous avons doublé la capacité de ceux-ci, pour porter leur surface à 120 000 m2, multipliant ainsi par deux le nombre d’emplois.

Notre coordination sera très attentive à ce que le projet de loi d’avenir pour l’agriculture tienne compte des emplois portuaires et de tous les maillons de la filière « banane ».

M. Xavier Eiglier, directeur des lignes Antilles, Guyane, Océan Indien et Océanie de la Compagnie maritime d’affrètement - Compagnie générale maritime (CMA-CGM). La CMA-CGM est le troisième armateur mondial pour les porte-conteneurs et le premier en France. Nous couvrons tous les océans et toutes les mers du monde, mettant au service des producteurs, industriels et importateurs de la planète un grand nombre de lignes maritimes, parmi lesquelles le service PCRF (porte-conteneurs rapides frigorifiques) qui relie quatre ports métropolitains, Dunkerque, Le Havre, Rouen et Montoir, aux deux ports des Antilles, Pointe-à-Pitre et Fort-de-France.

Chaque semaine, 250 conteneurs chargés de bananes des Antilles rejoignent la métropole. Ce service exige une grande fiabilité, du 1er janvier au 31 décembre. Cette fiabilité est aussi importante pour les exportateurs que pour les mûrisseurs, mais les consommateurs antillais en bénéficient également puisque les navires déchargent à leur retour des produits importés.

Les volumes de biens de consommation importés par les Antilles et les volumes de bananes sont stables, mais ce service historique a aussi un avenir, qui passe par le développement du transbordement. Cette activité consiste à transférer le chargement d’un navire en provenance du Havre, par exemple, sur un navire à destination d’un pays de la zone Caraïbe ou d’Amérique du Sud, zones qui connaissent un important développement économique. Elle représente un potentiel pour les ports antillais, mais son développement exige des lignes maritimes et des services directs, ce qui suppose un marché local et un certain volume d’exportations. La stabilité des volumes de bananes nous permet de fiabiliser ces services et de développer cette activité de transbordement et, ce faisant, d’inscrire les Antilles dans un cadre de développement régional, plus particulièrement dans la région est de la Caraïbe.

M. Franck Gonsse. Les ouvriers dockers souhaitent bien sûr voir se développer les infrastructures portuaires.

Les ports des Antilles et de métropole ont récemment fait l’objet d’une nouvelle réforme qui comporte l’établissement d’une nouvelle autorité portuaire, les Grands ports maritimes (GPM), mais aussi l’obligation, pour chaque port, de définir un projet stratégique. Le développement de l’activité de transbordement s’inscrira dans le cadre de ce projet stratégique. Nous aimerions, en ce qui nous concerne, disposer de nouveaux linéaires de quais, par exemple pour le port de la Guadeloupe qui a l’avantage d’être en eau profonde. En tant que syndicalistes, nous ne sommes pas opposés aux réformes, mais nous souhaitons qu’elles incluent le développement des infrastructures portuaires, ce à quoi l’emploi ne peut que gagner.

M. Jean-François Tallec, chargé des relations institutionnelles de CMA-CGM. Les projets de développement des deux ports antillais résultent de la volonté politique des élus des deux départements et du ministre des Outre-mer, qui nous a priés de tout mettre en œuvre pour développer l’activité de transbordement, la seule qui puisse assurer l’avenir de ces ports en l’absence de croissance du trafic domestique.

Si le transbordement tardait à être mis en place et si le trafic de bananes était ralenti, les investissements très importants programmés par les ports de Fort-de-France et de Pointe-à-Pitre risqueraient de devenir inutiles.

M. Xavier Freyermuth, directeur général de la cartonnerie IP (International Paper) de Basse-Terre en Guadeloupe. Je remercie l’UGPBAN de me donner l’occasion de vous présenter un partenariat industriel réussi avec la filière « banane » en Guadeloupe.

La SGCO (Société guadeloupéenne de carton ondulé), plus communément appelée la Cartonnerie de Guadeloupe, a été créée à Basse-Terre en 1963. Depuis, elle accompagne la filière dans ses aléas comme dans ses succès. Aujourd’hui, elle emploie 40 personnes. Répondant à la volonté de plus en plus pressante des producteurs d’améliorer le quotidien des employés, nous avons transformé l’usine et le process et nous fournissons aujourd’hui aux producteurs de Guadeloupe et de Martinique les emballages carton qu’ils achetaient auparavant en métropole à des coûts prohibitifs.

Cette collaboration a inscrit la filière dans une logique de développement durable au profit de l’économie de la Guadeloupe. En liaison avec Banamart, nous nous apprêtons maintenant à implanter en Martinique une unité de transformation qui, à partir des plaques de carton fournies par l’usine « sœur » de Guadeloupe, approvisionnera en emballages les producteurs, mais aussi les industriels de l’île, réduisant ainsi leurs coûts. Ce projet permettra aussi de créer des emplois : dans l’immédiat, 10 à la Guadeloupe et 15 à la Martinique et, à terme, de 30 à 45 emplois à la Martinique.

La filière « banane » étant à l’origine de 72 % de nos ventes, il est inconcevable pour la société que je représente qu’elle puisse à l’avenir être moins dynamique : cela reviendrait à priver de cartonnages tous les autres acteurs de l’économie antillaise.

M. Franck Lliso, président de la société Fructifrui. Fructifrui est un groupement de mûrisseurs indépendants qui est, en quelque sorte, le pendant de l’UGPBAN à l’aval de la filière. Nous traitons 50 000 tonnes de bananes par an, à près de 90 % des bananes antillaises. Cette production nous est chère. En effet, notre réseau de sociétés indépendantes, très performantes, a fait le choix de la commercialiser pour sa qualité, constante au fil des années et supérieure à celle des bananes proposées par la concurrence. Cette concurrence est féroce : au cours des dernières années, la banane dollar a largement pénétré le marché hexagonal, mais, en dépit des Cassandre qui nous annonçaient la fin de la banane des Antilles, la part de marché de celle-ci s’est accrue.

Nous croyons, nous, en l’avenir de la filière, et c’est donc un message positif que je veux vous transmettre. Le carton orange vaut label de qualité et l’histoire de la filière est celle d’une réussite, le fruit d’un partenariat noué sur plusieurs générations entre des entreprises familiales qui croient en ce produit. J’espère, Mesdames et Messieurs les députés, que vous tiendrez compte de ce message d’espoir dans vos prochains débats.

Mme Chantal Berthelot, présidente. Nous en venons à votre quatrième thème : le rôle de la filière comme colonne vertébrale du développement agricole.

M. Louis-Daniel Bertome, président de la chambre d’agriculture de la Martinique. Je suis également producteur de bananes. Il y a un mois, alors que j’étais auditionné pour parler de l’agriculture ultramarine en général, j’ai indiqué que son développement passait par le maintien des filières d’exportation.

La banane représente 50 % de la production agricole à la Martinique. Son poids est donc considérable. Elle a également contribué à préserver un certain équilibre économique dans notre île lorsque, dans les années 1960, la production sucrière s’y est effondrée : les bananeraies se sont alors substituées aux plantations de canne.

Nous avons tenté différentes cultures de diversification – avocat, lime, aubergine – mais seule la banane, dans la mesure où elle exige une main-d’œuvre importante, a permis de maintenir la population sur le territoire, ce qui en fait effectivement la colonne vertébrale de notre agriculture.

Aujourd’hui, beaucoup de petits producteurs qui vivent de cultures de diversification – élevage, productions maraîchères et vivrières, arboriculture – craignent de voir les terres plantées en bananes converties en cultures maraîchères ou vivrières, ce qui déstabiliserait l’agriculture de la Martinique. Ils ne pourraient en effet résister, sur un marché de seulement 400 000 habitants, à la concurrence d’anciens planteurs de bananes qui disposeraient de moyens plus importants.

Or, en raison du retrait du marché de certains produits phytosanitaires, les producteurs de bananes n’ont plus les moyens de lutter contre les maladies et, malgré l’introduction de vitroplants et la mise au point de nouvelles variétés, la maladie gagne du terrain. La situation est d’ailleurs identique en ce qui concerne la canne ou encore l’ananas, dont la production est tombée en une quinzaine d’années de 15 000 tonnes à moins de 500 tonnes.

Sans colonne vertébrale, on est infirme. De la même manière, sans la banane, l’agriculture antillaise rencontrerait d’importantes difficultés.

Madame Allain, vous nous reprochez de recourir à l’épandage aérien, mais le traitement aérien de la banane que nous utilisons est le plus performant du monde. En Martinique, les terres sont mitées par de nombreuses constructions et les terrains sont petits et parfois traversés par des cours d’eau et des chemins. Ces particularités nous ont contraints à améliorer le dispositif et à utiliser des produits respectueux de l’environnement et de la santé. Ce n’est pas le cas à Saint-Domingue, ni dans les autres régions de la zone.

Si nous ne parvenons pas à lutter contre les maladies, nous verrons disparaître l’ensemble des productions agricoles martiniquaises. Autrefois, l’igname nourrissait la population mais, aujourd’hui, nous ne sommes plus en mesure d’en produire un seul kilo car toutes les molécules permettant de combattre les maladies qui affectent cette production nous ont été retirées, alors même que les producteurs des pays avoisinants en disposent encore.

Je souhaite que le projet de loi d’avenir pour l’agriculture soit l’occasion d’ouvrir le débat sur le type d’agriculture que nous souhaitons et sur les moyens qui nous sont donnés pour maintenir une agriculture en milieu tropical. Les réponses ne peuvent pas être les mêmes qu’en zone continentale tempérée !

Il nous faut veiller à la préservation des unités de production car il importe de conserver en activité le plus grand nombre d’agriculteurs, afin de sauvegarder les équilibres que nous avons su maintenir pendant plusieurs décennies.

M. Tino Dambas. L’exploitant agricole doit certes produire, mais il doit également dégager un revenu. Si demain la production bananière est fragilisée, les producteurs, qui disposent de matériel et de grandes surfaces, se lanceront dans des activités de diversification. Mais pour quels consommateurs ? Pour les 450 000 habitants de la Martinique et les 450 000 habitants de Guadeloupe ? Savez-vous qu’en 2001, un agriculteur qui produisait huit tonnes de tomates par jour a réussi à saturer le marché des deux îles ?

Ce n’est pas en fragilisant la production bananière que nous sauverons la diversification, bien au contraire ; d’ailleurs, trois producteurs de salades suffisent à surcharger le marché.

Madame la députée Brigitte Allain, vous souhaitez développer la consommation locale et encourager la diversification. Soit, mais les Antillais mangeront toujours des pommes de terre, des pommes, des fraises, du raisin, du riz, des pâtes. Nous ne changerons pas leurs habitudes alimentaires. Or, la grande majorité de ces produits, qui proviennent de la métropole, ne peuvent être remplacés par des productions locales.

Je prendrai l’exemple de la carotte. J’ai rencontré dans les Landes un producteur de carottes capable de livrer les commandes du jour au lendemain, le décalage horaire aidant. Croyez-vous sincèrement, Madame, que le petit paysan guadeloupéen, même s’il possède une cinquantaine d’hectares de terres, pourra le concurrencer un jour ? Non, car ses carottes voyageront par bateau, et celui-ci peut avoir du retard. Nous vivons à l’ère de la mondialisation et nous devons en prendre acte. Ce qui assure nos emplois en Guadeloupe, ce sont la canne et la banane.

Nous ne réduirons pas la délinquance en plaçant un policier au coin de chaque rue, mais en créant de l’activité, ce qui passe par le développement de l’agriculture et de ses deux piliers que sont la banane et la canne, et en incitant les jeunes à faire du sport. Chaque euro investi en ce sens sera un euro bien employé.

Il fut un temps où les jeunes envoyaient leur CV aux plantations pour décrocher un petit job d’été qui couvrait leurs besoins. Aujourd’hui, ils n’ont plus ce recours et ils jouent à cache-cache avec les policiers – voire les tabassent – ou assiègent les commissariats pour faire libérer ceux des leurs qui ont été arrêtés. De grâce, Mesdames et Messieurs les députés, faites en sorte que la Martinique et surtout la Guadeloupe retrouvent le niveau de production qu’elles ont connu autrefois ! Avec la chute des cours et l’ouverture du marché, nous sommes tombés de 150 000 tonnes à 40 000 ou 45 000 tonnes et, sur la base d’une moyenne pondérée, on nous a accordé un quota de 77 000 tonnes.

Il est temps de réfléchir à un système qui inciterait les jeunes à rejoindre la profession dans des conditions qui leur permettraient de dégager un revenu. Aujourd’hui, on produit des oranges partout. Même avec les aides de l’OCM (Organisation commune des marchés) et du POSEI (Programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité), le prix auquel sera vendu un kilo d’oranges en Guadeloupe ou en Martinique ne permettra pas de concurrencer celles qui viendront de l’extérieur. À quoi bon aussi planter des agrumes si nous ne disposons pas de la molécule permettant de lutter contre la maladie qui vient d’apparaître et si le prochain cyclone détruit toute notre production ?

Je le répète, les deux seules productions qui assurent un revenu aux exploitants et qui garantissent l’emploi sont la canne et la banane.

Mme Brigitte Allain. Je vous rassure, Messieurs, je ne souhaite ni réduire ni supprimer la production de bananes. Je suis moi-même agricultrice, plus précisément viticultrice, et je suis membre du groupe écologiste. Pourtant, je ne travaille pas en bio. Mais je recherche des solutions pour utiliser le moins possible de produits phytosanitaires et je suis attentive à ce que peuvent nous proposer en ce sens les agro-écologistes et des chercheurs en agrologie : c’est vrai que sans colonne vertébrale, on est infirme mais, si la colonne vertébrale est sous perfusion de produits phytosanitaires qui la détruisent petit à petit, on ne parviendra à rien de bon. Pendant vingt ans, j’ai traité chaque hiver les bois de vigne à l’arsenic pour lutter contre une maladie. C’était à l’époque obligatoire, c’est aujourd’hui interdit, mais, quand la décision a été prise, elle a fait du bruit dans la profession et nous n’avons toujours pas trouvé de remède contre cette maladie. Mais, en définitive, l’arsenic était pour la vigne ce que sont pour l’homme les traitements contre le cancer, dont nous savons qu’ils sauvent peu de gens.

Il serait salutaire de repenser l’agriculture dans vos îles comme en métropole. Si la banane n’occupe que 25 % de la surface agricole utile en Martinique, cela laisse de l’espace pour une diversification des productions : en plantant partout de la banane ou, dans nos régions, en multipliant les champs de maïs, on va dans le mur ! Le projet de loi d’avenir pour l’agriculture doit nous donner les moyens de sortir d’un système qui nous enterre tous !

M. Philippe Ruelle, directeur général de la société Fruidor et directeur de l’Union des groupements de producteurs de bananes de Guadeloupe et Martinique. Nous avons vécu la même expérience avec un insecticide pourtant homologué, le chlordécone, qui a pollué durablement une partie des terres de Guadeloupe et de Martinique et dont les producteurs de bananes ont été les premières victimes.

M. Jean-Philippe Nilor. Mais pas les seules !

M. Philippe Ruelle. Depuis 1996, nous avons réduit de 75 % la quantité de produits phytosanitaires utilisés dans les bananeraies, ce qui fait de cette filière la première filière agro-écologique française.

Ce secteur essentiel est donc viable, d’autant que le plan Banane durable mis en œuvre de 2005 à 2013 a encore permis de réduire de 50 % le recours à ces produits. Nous n’utilisons plus d’insecticides et presque plus de nématicides. Nous utilisons encore quelques herbicides en attendant que les plantes de couverture soient mises au point. Nous avons donc développé des méthodes alternatives. Reste que pour combattre efficacement la cercosporiose noire, maladie qui touche les feuilles du bananier, lesquelles se trouvent à cinq ou six mètres au-dessus du sol, on voit mal comment on pourrait se passer du traitement aérien, surtout dans des zones escarpées.

Nous avons beaucoup amélioré nos pratiques en ce domaine. Nous procédons à dix traitements par an, dont la moitié se limitent à répandre un fongicide, dilué dans de l’huile minérale utilisée en agriculture biologique. Comme vous le savez, l’épandage aérien est soumis à l’octroi de dérogations qui ont été suspendues par référé. Depuis, nous avons cessé tout traitement aérien aux Antilles et nous ne savons pas comment nous allons lutter contre la cercosporiose. Avec l’aide de l'Institut de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (IRSTEA, ex-CEMAGREF), nous développons depuis 2008 des méthodes alternatives, de traitement au sol, mais elles se heurtent à de nombreux problèmes.

Quoi qu’il en soit, notre filière est exemplaire en ce qui concerne l’utilisation des produits phytosanitaires. Et, non, Madame Allain, nous ne plantons pas uniquement de la banane car nous avons l’obligation de laisser des terres en jachère. Après le passage du cyclone Dean, qui a ravagé 100 % de la bananeraie martiniquaise en 2007, nous n’avons pas tout replanté d’un coup : pour éviter que les fruits n’arrivent à maturité en même temps, nous avons replanté 50 % des terres la première année, un tiers l’année suivante, etc. Nous en avons donc laissé une partie en jachère pendant douze à dix-huit mois et c’est sur des sols sains que nous installons les vitroplants.

M. Jean Simonnet, responsable de la société Antilles Vitro Plants (entreprise de reproduction de plantes). Je suis à la fois producteur de bananes, passionné de diversification végétale et pépiniériste. Il y a vingt ans, j’ai introduit à la Martinique les premiers vitroplants de bananiers, qui ont largement contribué au succès du plan Banane durable.

Madame Allain, tous les cinq ans, nous détruisons le matériel végétal et nous semons de l’herbe, généralement de la brachiaria, que nous laissons pendant douze à dix-huit mois afin de provoquer un « vide sanitaire » avant de planter des vitroplants. On ne peut donc pas parler de monoculture.

Quant aux solutions alternatives, nous les connaissons, mais nous nous heurtons à deux problèmes.

Tout d’abord, bien que nos cultures se trouvent en zone tropicale, nous sommes soumis à des règles phytosanitaires définies pour un milieu continental. Il convient d’ouvrir un débat très sérieux sur l’utilisation des produits phytosanitaires et sur l’avenir de l’agriculture aux Antilles, sans s’en tenir à la banane, car les producteurs de canne, faute d’avoir accès aux désherbants, voient eux aussi leur production diminuer, de sorte que l’usine sucrière de Martinique n’est plus suffisamment approvisionnée.

D’autre part, nous avions recours au traitement aérien pour lutter contre une maladie qui menace de faire disparaître la filière « banane », en Martinique comme en Guadeloupe, mais la dérogation qui nous était accordée a été attaquée en justice et les hélicoptères sont cloués au sol. Nous luttons par voie terrestre, mais nous ignorons comment va évoluer la maladie. Nous travaillons activement avec le CIRAD à la recherche de nouvelles variétés résistantes, nous observons ce qui se pratique ailleurs, à Cuba ou à Saint-Domingue par exemple, et nous espérons trouver des solutions dans les deux ans qui viennent. Nous savons que les politiques sont très généralement hostiles aux OGM, mais il faudra bien se poser un jour la question de ce qui est possible ou non dans nos zones tropicales. Vous-même, Madame la députée, qui êtes écologiste, ne produisez pas totalement en bio. Nous aimerions le faire, mais nous ne le pouvons pas. Nous pratiquons donc une agriculture raisonnée. Les vitroplants nous ont déjà permis de pratiquement supprimer les nématicides, mais ils ne sont pas la panacée et il faut maintenant ouvrir le débat, en nous montrant les uns et les autres raisonnables. Il en va de l’avenir de notre agriculture, au-delà même des questions de crédits. Cela étant, je vous remercie, Monsieur Azerot, d’avoir demandé la sanctuarisation du POSEI ; cette enveloppe peut sembler importante, mais n’a rien d’excessif si l’on considère le nombre des emplois, directs et induits, qui sont en jeu.

Mme Chantal Berthelot, présidente. Je constate que le cinquième thème – une filière innovante, exportatrice de son savoir-faire – a été largement entamé…

M. Denis Loeillet, responsable de l’Observatoire des marchés du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD). Un producteur de bananes aux Antilles utilise 4 à 4,5 kg de matière active par hectare et par an, quand un producteur du Costa Rica, l’un des trois principaux pays exportateurs de bananes, en utilise 80 kg. Cela fait de la filière « banane » de Guadeloupe et de Martinique la filière la plus vertueuse au monde du point de vue environnemental, et cela, nous le devons à un partenariat public-privé réussi entre les autorités locales, les planteurs et notre centre de recherche.

Le CIRAD investit dans l’agro-écologie depuis plus de dix ans. Ce travail a été mis au service de la filière et des autorités locales pour développer un partenariat, lancé en 2008, que nous avons appelé le plan Banane durable et dont nous achevons la première tranche. Le résultat le plus marquant de ce plan a été la réduction de l’usage des pesticides, de 50 % venant après une première réduction de 70 %. Mais nous ne pourrons guère aller plus loin en milieu tropical humide.

Les équipes françaises ont été les premières à décrire le génome du bananier, mais en quoi cela intéresse-t-il les planteurs ? Le plan Banane durable a permis de développer l’innovation et de concevoir à partir des acquis de la recherche fondamentale des systèmes de culture innovants, intégrant toutes les composantes de l’agro-écologie : jachère, installation de la plante dans des conditions l’aidant à développer ses propres défenses, traitements raisonnés, fumure, utilisation de plantes de couverture ou de services et de vitroplants, suppression des labours…

Le plan Banane durable s’organise à partir de deux plateformes : la première s’intéresse à la définition et à l’expérimentation de ces systèmes de culture innovants à faible taux d’intrants – notre partenaire en ce domaine est l’Institut technique tropical –, la seconde à la création et à la sélection de variétés résistantes, notamment à la cercosporiose noire du bananier. Nous voyons poindre le succès puisque, depuis quelques années, nous testons une variété résistante.

Ce partenariat public-privé ne répond pas seulement aux besoins des planteurs : il crée une économie de la connaissance, porteuse d’une forte valeur ajoutée ; il fait de la Martinique et de la Guadeloupe un laboratoire qui permet à la France de rayonner à la fois dans la zone Caraïbe, grâce à des échanges de bonnes pratiques agricoles et à la distribution de matériel végétal innovant dans le cadre du programme Interreg, et dans le monde entier, par le biais de la FAO (Food and agriculture organization). Il illustre enfin la réussite du passage d’une économie industrielle à une économie raisonnée.

M. Tino Dambas. L’Institut technique tropical assure depuis dix ans la transmission de l’information entre la recherche et les producteurs. Récemment, de nombreuses variétés ont vu le jour, dont l’une résiste à la cercosporiose jaune et noire, mais elle ne correspond pas encore à la demande des consommateurs européens. Ces variétés sont toutefois mises à la disposition des planteurs dans la Caraïbe, pour la consommation locale, et nous envisageons d’en introduire dans les zones où la maladie résiste aux traitements et surtout dans les zones où le traitement aérien est interdit depuis longtemps, en vue de produire des farines pour le bétail.

Comme on l’a dit, nous ne plantons pas uniquement des bananes. Nous l’avons fait par le passé, mais les méthodes et les techniques ont évolué et depuis plus de vingt ans – soit bien avant la tenue du Grenelle de l’environnement –, nous pratiquons la rotation culturale et la jachère et nous nous attachons à réduire la consommation de produits phytosanitaires. Aujourd’hui, nous produisons une banane très propre– oserai-je dire la plus propre du monde ?

Mme Hélène Vainqueur-Christophe. La filière « banane » en Guadeloupe et en Martinique est la première filière qui a su rassembler l’ensemble de ses acteurs pour moderniser la production.

Je suis maire d’une commune située en zone bananière, mais où il ne reste plus une seule exploitation. Que ferons-nous des terrains, sachant que les cultures de diversification n’ont pas toujours leur place dans une agriculture de montagne ?

Connaissant l’importance pour nos sociétés de la filière « banane », en particulier en raison de sa contribution à l’emploi des jeunes, je n’ose imaginer ce qui se passerait si elle disparaissait.

Vous avez reçu l’interdiction de l’épandage aérien comme un coup de massue, mais on ne peut éviter que certains défenseurs de l’environnement fassent un amalgame entre vos traitements et la pollution au chlordécone, même si les deux choses n’ont aucun rapport. Nous souhaitons donc que la recherche apporte des solutions dans les plus brefs délais. Quoi qu’il en soit, aucun responsable politique, à ma connaissance, ne souhaite la disparition de la filière « banane ».

Lorsque nous connaîtrons le contenu du projet de loi de modernisation agricole, j’espère que nous pourrons vous rencontrer à nouveau pour travailler ensemble à rendre ce texte le plus efficace possible.

M. Jean-Philippe Nilor. Je vous félicite, Messieurs, pour la qualité et pour la complémentarité de vos interventions.

Nous sommes là pour vous écouter, pour nous enrichir des informations et analyses que vous portez à notre connaissance, mais aussi pour adopter une position qui soit la plus objective possible.

Je fais miens un grand nombre de vos propos et surtout votre message essentiel, à savoir votre volonté de préserver une agriculture dans nos territoires.

Je préfère ne pas aborder les points sur lesquels je pourrais être en désaccord avec les uns ou les autres, mais il est heureux que le désaccord existe parce qu’il permet de fixer des objectifs plus élevés que ne le permettrait le discours consistant à nous comparer à ceux qui font pire !

J’ai entendu des professionnels conscients des difficultés, qui cherchent à améliorer la qualité de leur production et son image. Cette démarche est saine. Prenons acte des efforts qui ont déjà été faits et de ceux qui restent à faire, pour lesquels vous avez tous mes encouragements. À chaque fois qu’il faudra monter au créneau pour défendre la production agricole de la Martinique et des autres départements d’outre-mer, je serai là. Mais je serai là aussi pour mettre la pression sur les agriculteurs afin qu’ils produisent de façon plus propre, plus respectueuse de l’environnement, et se comportent véritablement en paysans nourriciers de leurs concitoyens.

Je ne comprends pas les rivalités qui s’expriment entre écologistes et paysans, car je considère qu’un paysan ne peut être qu’écologiste. Celui qui travaille la terre doit l’aimer. S’il ne l’aime pas, c’est qu’il a perdu son âme. Je suis de tout cœur avec vous dans cette démarche et je rappelle que, si la filière est exemplaire, en termes d’organisation, d’unification et d’efficience, elle a été bien accompagnée dans ce travail par quelques hommes politiques, comme Alfred Marie-Jeanne.

M. Bruno Nestor Azerot. J’apporte mon soutien à votre démarche parce que j’ai été élu par une population qui vit de l’agriculture. Étant un élu conscient et responsable, je n’entends pas déroger à la feuille de route qui m’a été remise par mes concitoyens.

La filière « banane » a fait de nombreux efforts, mais beaucoup reste à faire. Chaque fois qu’il le faudra, je combattrai à vos côtés, car votre combat est le mien et celui de ceux qui m’ont élu.

M. Tino Dambas. Le rôle du politicien n’est pas seulement de suivre la population, mais aussi de l’éduquer. Il est temps de dépasser l’épisode du chlordécone, d’autant que ce produit a été utilisé partout dans le monde, en particulier en métropole dans les cultures de pommes de terre. Mais cela n’est jamais dit et seuls les Guadeloupéens font la une des médias avec le chlordécone.

Nous avons été victimes de ce produit comme d’autres ont été victimes de produits pharmaceutiques. Mais après le scandale du Mediator, on n’a pas, que je sache, fermé les pharmacies ni arrêté de fabriquer des médicaments. Nous devons tourner la page et oublier les effets du chlordécone. Il est temps que les politiciens éduquent la population sur ce point.

Pour ce qui est de l’épandage aérien, la directive européenne donne aux États membres le droit d’accorder des dérogations tant qu’ils ne disposent pas d’une méthode alternative « mieux-disante ». Or, le traitement aérien est le seul moyen dont nous disposons aujourd’hui. Ne pas l’utiliser constitue un recul écologique.

M. Jean-Philippe Nilor. Il n’est pas sage, Monsieur Dambas, de vouloir ainsi enterrer le débat sur le chlordécone. Certes, nous devons passer à autre chose et nous tourner délibérément vers l’avenir, mais savez-vous que les marins pêcheurs se voient encore interdire des zones de pêche du fait de la présence de chlordécone dans la mer ? Les bassins versants et les rivières de nos régions sont pollués. Je n’ai pas voulu entrer dans une confrontation aujourd’hui, préférant m’appuyer sur ce que j’ai entendu de positif et de porteur d’espoir. Tout en gardant à l’esprit les erreurs commises pour ne pas les renouveler, construisons ensemble l’agriculture de demain : voilà la mission qui est la nôtre à cette heure, mais ne nous demandez pas d’oublier le passé !

Mme Chantal Berthelot, présidente. Nous en arrivons au sixième et dernier thème, les enjeux d’avenir pour la filière, qui vous donnera, Messieurs, l’occasion de nous soumettre vos propositions.

M. Philippe Ruelle. Nous produisons une banane conforme aux réglementations française et européenne en matière environnementale, sociale et sanitaire comme du point de vue de la sécurité alimentaire, et cela en zone tropicale humide : voilà le défi que nous devons continuer de relever avec succès.

Cette banane, la plus vertueuse du monde, nous la vendons sur un marché européen à deux vitesses dans la mesure où il laisse entrer, et de façon de plus en plus aisée puisque la baisse des tarifs douaniers doit se poursuivre jusqu’en 2020, les bananes de la zone dollar, celle des pays d’Amérique du sud et d’Amérique centrale – les bananes africaines étant exemptes de tarifs douaniers – sans que personne se soucie de savoir comment elles sont produites ni de l’âge des personnes qui les ont produites.

Nous attendons de la loi d’avenir pour l’agriculture qu’elle accorde un statut particulier aux fruits produits dans les départements d’outre-mer. Notre production va bénéficier de l’indication géographique protégée (IGP) et de quelques autres signes de différenciation, mais il faut faire en sorte que la banane de Guadeloupe et de Martinique apparaisse aux yeux des consommateurs comme une banane vraiment différente.

Le deuxième plan Banane durable, qui couvrira la période 2014-2020, portera notamment sur la lutte contre la cercosporiose noire. Lorsqu’il est venu aux Antilles, le Premier ministre a souhaité que l’épandage aérien soit interdit dans deux ans et que ce délai soit mis à profit pour trouver des solutions de remplacement. Nous utilisons actuellement des méthodes alternatives, mais nous connaissons mal leur efficacité biologique. Le problème est que nous sommes les seuls au monde, en zone tropicale humide, à lutter contre la cercosporiose sans aéronef !

La sélection variétale est un défi. La plateforme de Guadeloupe, qui est la première au monde, a mis au point une banane hybride – ce qui n’est pas facile s’agissant d’un fruit sans graines. Nous avons produit l’année dernière 1 500 hybrides, dont dix bananes pouvaient répondre à notre attente, tant pour leur forme et leur goût que pour la taille du bananier et son rendement. Sur ces dix variétés, nous en avons retenu une, mais, plus sensible au froid, elle ne peut être transportée à une température de 13 ° comme les autres bananes ; en outre, sa peau devient uniformément brune sans passer par l’aspect tigré que nous connaissons et mûrit plus rapidement que la pulpe, ce qui peut dérouter le consommateur. Nous poursuivons nos recherches génétiques depuis cinq ans et il nous faudra encore au minimum cinq ans pour parvenir à une variété parfaite.

Nous devons améliorer les matériels de traitement terrestre et mesurer leur efficacité, mais également surveiller le niveau d’exposition des opérateurs qui effectuent ces traitements.

Dans le cadre du deuxième volet du deuxième plan Banane durable, nous allons poursuivre la recherche de méthodes de culture innovantes.

Le troisième volet, plus social, aura pour objectif de maintenir le maximum d’exploitations, de toutes tailles et dans toutes les zones, en développant de nouvelles méthodes de travail, et d’adapter notre dispositif d’aides à ces différents modes de production.

Nous poursuivrons naturellement nos échanges avec les organismes de recherche des pays de la Caraïbe, tels que l’EMBRAPA (Empresa brasileira de pesquisa agropecuaria) au Brésil, l’INISAV (Instituto de investigaciones de sanitad vegetal) à Cuba, et avec la République dominicaine.

Nous accompagnerons les producteurs qui, n’ayant pu faire face à la maladie du bananier, seront tentés par les productions de diversification, animale ou végétale. Nous ne pouvons pas produire de pommes de terre, ni d’ailleurs de carottes, de poireaux, de pommes, de raisin, de fraises, de pêches ou de nectarines – autant de fruits et de légumes qui constituent pourtant près de la moitié de la consommation des Antillais. Nous ne pouvons pas non plus produire de tomates de plein champ, car nous n’avons pas accès aux produits phytosanitaires, fussent-ils biologiques. Nous devrons donc aider les différentes filières existantes à accueillir ces producteurs, car rien ne serait pire que de voir des planteurs reconvertis saturer et déstabiliser les marchés des productions maraîchères ou animales.

Nous poursuivons nos efforts pour obtenir l’homologation de produits phytosanitaires, en particulier de produits biophytosanitaires. Il en existe qui, autorisés, sont utilisés pour un traitement après récolte ou pour stimuler les autodéfenses de la plante contre la cercosporiose noire. Mais, alors que l’Europe a mis au point une liste positive des produits agréés pour l’agriculture biologique, produits qui sont utilisés dans tous les pays de la planète, il nous faut, pour en disposer, établir un dossier d’écotoxicité et de phytotoxicité, ce qui prend deux ans, alors qu’en République dominicaine, il suffit de deux jours pour en homologuer un ! Nous souhaitons que la loi d’avenir pour l’agriculture nous permette de disposer plus facilement de ces produits. Il est important que la réglementation soit adaptée aux spécificités de nos régions car l’Europe et la France ne traitent que de l’agriculture en zone tempérée et continentale, ignorant l’agriculture des zones tropicales humides.

Vous mettez en avant le maintien de l’enveloppe du POSEI, mais vous faites de Mayotte une région ultrapériphérique, ce qui lui assurera certaines aides ; nous nous en réjouissons mais, pour trouver les crédits nécessaires, vous envisagez d’en enlever aux filières traditionnelles que sont la canne et la banane. Or, affaiblir ces filières comporte un risque très important, compte tenu des nouveaux défis que nous avons à relever. Il faut sanctuariser les enveloppes destinées à la banane, mais aussi celles du deuxième pilier, celles du FEADER (Fonds européen agricole pour le développement rural). Le passage aux traitements terrestres va nous obliger à réorganiser les parcelles en aménageant des ensembles plus rapprochés, à abandonner les parcelles situées dans les zones pentues pour replanter ailleurs et à acheter de nouveaux matériels. Ce n’est donc pas le moment de demander des sacrifices à la filière « banane ». Donnons-lui les moyens de surmonter tous les obstacles qui s’accumulent devant elle !

Le problème principal réside dans l’expansion de la cercosporiose noire, contre laquelle il est très difficile de lutter, car, aux Antilles, la surface moyenne des exploitations est de 13 hectares. Le traitement aérien avait une seule vertu : il était généralisé et déclenché en fonction de l’état de chaque zone biologique, constaté par des techniciens – l’exploitant n’avait donc pas le choix du moment. Lorsque le traitement sera de la responsabilité de l’exploitant, chacun interviendra au moment où il le souhaitera et dans les conditions qu’il aura choisies. Cela présente un danger car la cercosporiose est une maladie très contagieuse dont il ne doit pas subsister le moindre foyer.

Ce défi, tous les producteurs sont prêts à le relever. Avec la chambre d’agriculture et la région, nous allons accompagner ceux qui voudront rejoindre les filières de diversification, mais en gardant à l’esprit qu’il suffit de 15 hectares de serres de légumes pour saturer les marchés de nos deux départements.

Ce défi exige la sanctuarisation des aides, qu’il s’agisse des aides directes aux producteurs ou des aides du FEADER. La banane doit être reconnue comme une production exemplaire au niveau européen et devenir une priorité dans les plans de développement de la Guadeloupe et de la Martinique, ce qui n’est pas le cas actuellement.

M. Tino Dambas. Je le répète, la pénibilité du travail des salariés agricoles des Antilles doit être prise en compte dans le calcul de leur retraite.

Si nous parvenons à maîtriser la cercosporiose noire, je souhaite que la profession puisse accueillir des jeunes, mais nous ne pouvons le faire à enveloppe constante. En particulier, il vaudrait la peine de réfléchir à un dispositif d’aide à l’installation.

M. Juvénal Rémir. Notre filière a évolué et les ouvriers sont maintenant formés à l’utilisation des produits phytosanitaires.

Je soumets quelques chiffres à votre méditation : cent hectares de bananeraies assurent un emploi à près de 80 ouvriers ; la même surface de céréales à deux seulement. D’autre part, au Costa Rica, le salaire mensuel est de 200 euros, contre 1 800 euros pour le salaire européen, que nous pratiquons.

Mme Brigitte Allain. Je vous remercie, Messieurs, pour les informations que vous nous avez données. Je suis paysanne et si j’ai voulu devenir membre de la Délégation aux outre-mer, ce n’est pas pour détruire des emplois paysans, bien au contraire. J’ai le souci de les préserver face à tous les nouveaux défis qui nous sont adressés. La pénibilité du travail des salariés agricoles a ainsi fait l’objet de l’un des amendements que j’ai déposés dans le cadre du projet de loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraites. J’espère, comme vous, qu’elle sera reconnue dans la loi.

Quant à la loi d’avenir pour l’agriculture, elle doit nous donner les moyens humains, outre-mer comme en métropole, d’accompagner les reconversions devenues inévitables. Il nous faut évoluer ensemble vers une autre forme d’agriculture.

M. Louis-Daniel Bertome. La Martinique et la Guadeloupe sont les départements où l’on a effectué le plus d’analyses de sol, ce qui nous donne l’avantage de connaître les substances qu’ils contiennent, contrairement à la métropole ou à beaucoup d’autres pays. Et les agriculteurs martiniquais, ainsi que les structures qui, comme la mienne, les soutiennent, font beaucoup d’efforts pour que le scandale du chlordécone ne se reproduise pas.

Je souhaite que la loi d’avenir pour l’agriculture pérennise le dispositif que nous avons mis en place et que les aides aux producteurs perdurent.

Mme Chantal Berthelot, présidente. Messieurs, je salue à mon tour la qualité des informations dont vous nous avez fait part, ainsi que celle des efforts consentis par la filière.

La Délégation présentera son rapport en prenant en compte vos propositions, mais il appartient au Gouvernement d’élaborer un projet et de nous le soumettre : le Parlement retrouvera alors l’initiative et, dès que nous serons en possession de ce texte, nous organiserons des réunions pour étudier les amendements que nos collègues auront bien voulu déposer.

Dans mon département de Guyane, nous ne cultivons pas de bananes, mais notre combat est le même. L’agriculture doit créer de l’activité, de l’emploi et de la valeur ajoutée, et rester un secteur important pour nos territoires. Aux Antilles, il convient de préserver la canne et la banane, tout en encourageant l’élevage et la diversification, afin d’éviter la monoculture. La filière « banane » apparaît bien structurée, mais sans doute les pouvoirs publics devraient-ils appuyer encore plus ses efforts, en veillant à la cohérence territoriale ; peut-être aussi doit-elle partager plus encore son expérience et son savoir-faire, au niveau international mais surtout au sein même de nos territoires.

Les élus sont très sensibles aux questions agricoles, à quelque niveau qu’ils se situent : ne désespérez pas d’eux, ils sont à vos côtés. Ils peuvent ne pas être d’accord avec vous sur tous les points, mais chacun au fond de son cœur souhaite aider le secteur agricole. Pour ma part, je soutiendrai tous vos combats, pourvu qu’ils soient dans l’intérêt des territoires en même temps que dans l’intérêt général.

Je vous remercie tous, au nom de la Délégation.

La table ronde s’achève à 19 heures 35.