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Délégation aux Outre-mer

Mardi 5 novembre 2013

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 4

Présidence de M. Jean-Claude Fruteau, Président

– Examen du rapport d’information sur les agricultures des Outre-mer, présenté par Mme Chantal Berthelot et par M. Hervé Gaymard.

– Examen du rapport d’information sur les agricultures des Outre-mer, présenté par Mme Chantal Berthelot et par M. Hervé Gaymard

Monsieur le président Jean-Claude Fruteau. Notre ordre du jour appelle aujourd’hui l’examen du rapport sur l’agriculture ultramarine, rapport intitulé « les agricultures des Outre-mer : des réformes ambitieuses pour un secteur d’avenir », rapport pour lequel la Délégation a nommé comme rapporteurs Mme Chantal Berthelot et M. Hervé Gaymard.

Ce rapport s’inscrit dans le cadre de nos travaux pour la préparation de l’examen du projet de loi d’avenir sur l’agriculture, l’agroalimentaire et la forêt, projet de loi qui sera présenté en Conseil des ministres le 13 novembre prochain.

Il représente un gros travail de la part des rapporteurs qui ont procédé à de très nombreuses auditions pour asseoir leur réflexion et je les en remercie vivement.

Je vous propose de procéder de la manière suivante : tout d’abord, je donnerai la parole à chacun des deux rapporteurs pour la présentation du rapport que vous avez tous reçu jeudi dernier par voie électronique ; je ferai ensuite un tour de table pour recueillir le sentiment des membres de la Délégation et éventuellement leurs questions ; les rapporteurs répondront s’il y a lieu ; enfin, nous procéderons aux votes, d’abord des propositions du rapport, puis du rapport lui-même.

Monsieur Hervé Gaymard, corapporteur. La Délégation aux outre-mer de l’Assemblée nationale a eu la volonté de se saisir de la question de l’agriculture ultramarine le 26 février 2013.

La réflexion s’est orientée autour de quatre grands thèmes : les structures agricoles, l’installation des jeunes agriculteurs, le statut social des agriculteurs et enfin, le fonctionnement des filières agricoles.

Au terme de ce vaste examen de toutes les composantes de l’agriculture ultramarine, le rapport a conclu avec trente-neuf propositions qui doivent, selon les rapporteurs, constituer comme autant d’éléments pour une réforme ambitieuse dans ce secteur d’avenir.

Je vais d’abord présenter à grands traits les caractéristiques principales de l’agriculture outre-mer ; ensuite, je m’attacherai à décrire les problèmes liés aux structures foncières, ainsi que les solutions que préconise le rapport pour faire face à ces problèmes.

Mme Chantal Berthelot fera de même pour les trois thématiques concernant l’installation des jeunes, le statut des agriculteurs et le fonctionnement des filières agricoles.

Quelques mots donc sur les caractéristiques principales de l’agriculture outre-mer. En effet, les agricultures des départements et des collectivités d’outre-mer sont diverses mais on peut distinguer un certain nombre de points communs :

– dans les DOM, l’agriculture représente, en terme de poids économique et d’emplois, le double de ce que représente ce secteur en métropole ;

– les agricultures ultramarines sont des agricultures de type tropical ; elles nécessitent donc l’utilisation de produits phytosanitaires ;

– elles ont appris à se tourner néanmoins, et de manière tout à fait résolue, vers l’agro-écologie ; un exemple remarquable, en ce sens, est la culture de la banane qui n’utilise presque plus de pesticides ; mais on peut citer aussi la canne à sucre qui – avec son dérivé : la bagasse – alimente la biomasse ;

– au niveau des structures agricoles, il convient de noter la prééminence des petites exploitations gérées en faire-valoir direct (de 2 à 5 hectares en fonction des territoires) ;

– ces petites exploitations coexistent avec de grands domaines dédiés aux cultures traditionnelles : la canne à sucre et la banane ;

– les grands domaines, via des organisations professionnelles, exportent leurs productions vers le marché européen et même, au-delà, vers des marchés mondiaux sectorisés ;

– l’ensemble des produits agricoles ultramarins subit une forte concurrence, tant sur les marchés locaux que sur les marchés mondiaux ; cette concurrence émane notamment des pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique) et également, dans une large mesure, des États-Unis ;

– enfin, on assiste actuellement à l’essor de filières agricoles de diversification, animale et végétale, en vue d’améliorer l’autosuffisance dans les approvisionnements des consommateurs locaux ;

– cette diversification n’assure pas, cependant, l’autonomie alimentaire complète des territoires et tous, globalement, sont encore importateurs nets de produits agricoles, malgré quelques belles réussites, notamment à La Réunion ;

– À noter, bien entendu, que, sur ce problème de l’autonomie alimentaire, il n’est pas question seulement d’équilibre entre les filières ; les structures de consommation entrent aussi en ligne de compte, si bien que l’on ne peut pas tout imputer à l’économique.

À partir de ce panorama, le rapport s’est attaché à analyser tout particulièrement la question des structures foncières outre-mer.

En fait, les structures foncières outre-mer sont en butte à quatre grands problèmes, problèmes qui déterminent beaucoup d’autres difficultés auxquelles l’agriculture ultramarine se trouve confrontée.

Ces quatre problèmes sont les suivants :

– tout d’abord, à cause de la pression foncière et de la hausse des prix des terrains constructibles, les superficies agricoles diminuent chaque année (sauf en Guyane) et on note la présence, dans les DOM, de multiples jachères dont les propriétaires espèrent qu’après déclassement, elles pourront devenir des terrains destinés à l’habitat ; il est d’ailleurs difficile de prendre l’exacte mesure des jachères dans les DOM, car les statistiques du ministère de l’Agriculture présentent la superficie en jachère des exploitations existantes ; mais si la jachère concerne une exploitation qui a cessé de fonctionner depuis plusieurs années, elle n’est plus comptabilisée ; de même, si les jachères se sont boisées, leur recensement devient problématique ;

– les agriculteurs vendent aussi leurs terrains par lots pour s’assurer des liquidités en fin de carrière ; ces lots font l’objet de constructions multiples à usage d’habitation, de telle sorte que les parcelles cadastrales connaissent le phénomène du mitage, c'est-à-dire du zonage mixte agricole-urbain ; or, sur de telles parcelles mixtes, les SAFER ne peuvent pas exercer leur droit de préemption ;

– les SAFER n’ont d’ailleurs pas assez de ressources ; leurs ressources proviennent principalement de la différence entre le prix des préemptions et le prix des reventes de parcelles ; mais le propriétaire d’une parcelle préemptée peut toujours retirer le bien immobilier de la vente ; d’autre part, la différence entre les deux prix ne dégage pas des plus-values très conséquentes ;

– enfin, les jeunes agriculteurs, faute d’un patrimoine suffisant, et du fait également du manque d’exploitations disponibles – à cause de la multiplication des indivisions au décès des agriculteurs âgés qui paralysent la transmission des entreprises – n’arrivent pas à s’installer ; ils deviennent exploitants assez tard (en moyenne à 35 ans) et ils doivent souvent pratiquer des activités secondaires pour compléter le revenu tiré de leur activité agricole ;

Ce phénomène de la pluriactivité est d’ailleurs un phénomène ancien. Autrefois, j’ai été conduit à consacrer un rapport à cette question. Très exactement, le rapport portait sur les droits des pluriactifs.

Face à ces quatre problèmes, le rapport a suivi, lui-même, quatre pistes :

– En ce qui concerne la sauvegarde du foncier agricole, il est apparu, au cours des auditions, que les CDCEA (Commissions départementales de consommation des espaces agricoles) étaient des organismes très bien adaptés, quoique d’instauration récente.

Le rapport propose donc d’améliorer le fonctionnement de ces commissions en leur fournissant, bien avant leur saisine officielle, des études d’impact sur les incidences éventuelles, dans le domaine agricole, des projets élaborés au niveau départemental. Ce dispositif sera de nature à faciliter l’examen des dossiers par les CDCEA et il leur permettra même de participer, en amont, à l’élaboration des projets à incidence agricole.

– Il faut aussi améliorer l’environnement de ces commissions, c'est-à-dire le fonctionnement des instruments qui – en dehors de l’intervention des CDCEA sur des projets précis pour donner un avis conforme – empêchent le déclassement des terres agricoles au jour le jour et font que les espaces agricoles restent dédiés à leur fonction. Le rapport détaille plusieurs pistes en ce domaine. En particulier, il faut simplifier la procédure de définition des ZAP (Zones agricoles protégées).

– Il faut également donner des moyens financiers et techniques complémentaires aux SAFER. C’est ainsi que le rapport propose de donner la possibilité d’affecter aux SAFER une petite partie des recettes issues de la taxe spéciale d’équipement prélevée en faveur des établissements publics fonciers urbains et de leur donner également la possibilité de préempter sur les zones mixtes.

– Enfin, pour faciliter l’installation des jeunes agriculteurs, il est néces-saire de remettre le foncier en mouvement, c'est-à-dire, d’une part, d’accroître l’usage des modes de cession juridique existants qui, en permettant la transmission progressive des exploitations, sont susceptibles d’éviter les indivisions ( par exemple, le mandat à effet posthume) et, d’autre part, de réfléchir sur des moyens juridiques innovants, notamment des moyens sociétaux, permettant d’aboutir à des buts similaires (par exemple, la fiducie).

M. le président Jean-Claude Fruteau. Je donne à présent la parole à Mme Chantal Berthelot.

Mme Chantal Berthelot, corapporteure. Je vais intervenir, à mon tour, sur les problèmes que connaissent les jeunes agriculteurs pour leur installation, sur les questions qui ont trait à l’enseignement agricole, sur la question des droits sociaux des agriculteurs et sur le fonctionnement des filières.

En ce qui concerne l’installation des jeunes agriculteurs, comme M. Hervé Gaymard l’a indiqué, ces derniers n’arrivent pas à accéder au foncier. Cette difficulté dans l’accession est liée à plusieurs causes :

– il n’y a pas assez de terres disponibles sur le marché ; à cause de la faiblesse des retraites, les exploitants ne vendent pas ;

– les jeunes manquent de ressources propres ; à part la DJA, c’est-à-dire la Dotation aux jeunes agriculteurs, ils ne disposent souvent d’aucun apport personnel ;

– les prêts bancaires à taux bonifiés accordés aux jeunes exploitants (sauf à La Réunion) sont pour ainsi dire inexistants ; cela veut dire que, si le candidat à l’installation n’a pas la garantie de ses proches, le projet qu’il développe, même avec l’aide de la DJA, risque fort de connaître un échec dans les cinq ans qui suivent l’installation ;

Pour faire face à ces problèmes (indépendamment de la réponse aux indivisions sous la forme de société, proposition qui vient d’être mentionnée par M. Hervé Gaymard), le rapport a exploré trois grandes pistes :

– tout d’abord, il est possible d’améliorer l’accès au foncier en améliorant l’accès au crédit ; il faudrait que l’État fournisse des garanties réelles pour les prêts des candidats à l’installation ;

– dans le cadre du PIDIL (programme pour l’installation des jeunes en agriculture et de développement des initiatives locales), on peut aussi prévoir une garantie à l’agriculteur cédant s’il cède son bien immobilier à un jeune ;

– enfin, on peut faciliter le « passage de témoin » entre un agriculteur âgé et un plus jeune, en adaptant à l’agriculture, et spécialement à l’agriculture ultramarine, les contrats de génération : il conviendrait d’étendre l’âge d’accès à ces contrats à 35 ans dans l’agriculture ultramarine, ce qui est l’âge moyen d’installation outre-mer.

En second lieu, j’aborderai la question de l’enseignement technique agricole car M. Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, nous a incités à le faire, au cours de son audition devant la Délégation, le 14 mai 2013.

Le rapport préconise de retrouver une grande ambition pour les lycées professionnels agricoles (LPA). Ils doivent être des centres de référence et de structuration pour la ruralité.

Le rapport préconise aussi d’améliorer la « culture du terrain » dans les LPA, notamment avec l’accroissement des enseignements effectués au sein des fermes agricoles qui sont souvent associées à ces derniers.

Par ailleurs, il convient d’accroître les liens des lycées et des collèges avec le monde de la recherche et les réseaux RITA (Réseaux d’innovation et de transfert agricole).

Enfin, il est également nécessaire de créer des modules de formation sur les questions liées à l’installation dans les CFA et dans les centres de formation continue pour adultes (car ceux qui veulent accéder à l’installation ont souvent accompli d’autres cursus auparavant, de telle sorte qu’ils fréquentent les CFP).

En troisième lieu, le rapport s’est préoccupé de l’amélioration des droits sociaux des agriculteurs.

En ce domaine, il paraît nécessaire d’agir prioritairement sur les droits sociaux des salariés agricoles en prévoyant à leur intention un système obligatoire de retraite complémentaire.

À plus long terme, quand les finances publiques seront restaurées, on peut aussi envisager un alignement des retraites des exploitants agricoles – « retraites » s’entendant comme la somme des retraites de base et des retraites complémentaires, à carrière complète – sur le SMIC.

Enfin, en dernier lieu, le rapport a étudié les difficultés des filières agricoles. Globalement, celles-ci sont au nombre de trois :

– en dépit de leurs efforts pour promouvoir une agriculture fondée sur des pratiques écologiques, les filières manquent de produits phytosanitaires homologués ;

– les organisations professionnelles des filières de diversification et les coopératives manquent de trésorerie ;

– enfin, les filières exportatrices traditionnelles – compte tenu de la concurrence internationale et des surcoûts de production liés à la situation spécifique des régions ultrapériphériques – restent très dépendantes des crédits du POSEI (Programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité), c'est-à-dire, en fait, des crédits qui relèvent du « premier pilier » de la politique agricole commune (PAC).

Les réponses apportées par le rapport à ces trois types de difficultés sont les suivantes :

– s’agissant du fonctionnement des filières, il est tout à fait évident que l’aide du POSEI est incontournable ; il faut consolider ces crédits ; il faut bien veiller à éviter le « découplage » des crédits du POSEI avec ceux de la PAC ; et enfin, il faut compenser par des crédits nationaux les diminutions éventuelles concernant certaines filières ;

– il faut augmenter les autorisations de mise sur le marché des produits phytosanitaires utiles à l’agriculture ultramarine ;

– il faut aussi faire des efforts – efforts qui pourraient être éligibles au POSEI – en démarche qualité et en promotion des produits locaux.

Enfin, plus globalement, il convient d’améliorer la coordination en matière régionale.

On a vu précédemment que la CDCEA était un organisme qui apportait toute satisfaction. Il serait possible d’y adjoindre un comité départemental ou régional pour coordonner la politique locale en matière d’installation ; un comité régional qui exerce le suivi des crédits du FEADER (Fonds européen agricole pour le développement rural) – ces crédits devant être prochainement régionalisés – et un comité régional qui fédère les actions de communication et de promotion agricole.

Il ne s’agit pas de multiplier les comités à l’envie ; mais il paraît nécessaire d’assurer de la cohérence, à l’échelle des territoires, pour éviter les doublons et attribuer les aides de manière raisonnée, à un moment où les ressources financières sont rares et où leur allocation doit être effectuée de manière très fine.

En dernier lieu, M. Hervé Gaymard et moi-même tenons à souligner que, lors de l’institution de ces organismes régionaux, une attention très grande devra être apportée à la gouvernance. Il conviendra, en ce domaine, de favoriser les acteurs du monde agricole. Ils savent, en effet, ce qui est bon pour l’agriculture.

Nous tenons à réaffirmer également l’importance du poids de l’agriculture dans les économies locales. Ce poids doit être augmenté en maintenant les cultures traditionnelles et en renforçant le développement des filières de diversification et endogène. Cette ambition doit être partagée et portée par une volonté politique locale, nationale et communautaire.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Je remercie les rapporteurs qui ont su résumer succinctement un rapport fort dense.

M. Serge Letchimy. Je félicite les rapporteurs pour la qualité de leur travail et également le président de la Délégation pour avoir été à l’initiative de ce rapport qui permet de bien préparer en amont les discussions sur la future loi d’avenir pour l’agriculture. On ne peut que se féliciter de ce rôle, extrêmement sérieux, que joue la Délégation pour anticiper les discussions au Parlement et pour préparer les débats.

D’emblée, j’ai un problème avec le futur projet de loi. Le Président de la République s’était engagé à ce qu’il y ait un projet de loi spécifique concernant l’agriculture outre-mer. Je comprends que l’on a préféré introduire les dispositions de ce projet de loi spécifique dans un texte d’orientation portant sur l’agriculture en général ; mais ce que je comprends moins c’est la raison pour laquelle on n’a introduit dans le texte que deux ou trois articles très condensés, et même pas un véritable chapitre. Il faut agir auprès des différents ministres intéressés pour que, dans le projet de loi, il figure un véritable chapitre sur l’agriculture outre-mer.

D’autant que les dispositions qui pourraient être contenues dans ce futur chapitre apparaissent comme étant vitales pour la vie économique de nos territoires et notamment pour l’évolution de la production destinée à la consommation locale. Il existe en effet bon nombre de secteurs où l’on importe à peu près la totalité de ce que l’on consomme réellement. Dans les hôtels de Martinique, par exemple, j’ai pu relever que 82 % de ce qui était consommé était produit à l’extérieur. Il faut donc faire un effort sur le développement endogène de nos pays.

Le second problème que je distingue, cette fois à propos du rapport, est que ce dernier parle des filières, mais qu’il ne prend pas parti sur les produits. Le raisonnement sur les filières n’est intéressant que si l’on cible les produits. J’aurais ainsi aimé avoir des pistes pour le développement de certains produits comme le cacao, le café, etc.

En troisième lieu, je souhaite évoquer l’application de l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Je m’en réfère au rapport que j’ai rendu sur cette question à M. le Premier ministre et où j’ai montré qu’il y avait un refus de la Commission d’appliquer cet article avec allant, ce qui pénalise l’agriculture. C’est ainsi que, lorsqu’il est question de prévoir des aides pour des filières complètes de produits, il n’est pas rare que Bruxelles ne réponde que par quelques crédits dispersés. L’irritation des acteurs de la filière « banane » à l’égard du commissaire européen à l’agriculture, M. Dacian Ciolos, lorsque celui-ci s’est proposé de prélever sur les crédits de cette filière pour financer la diversification, prouve bien d’ailleurs qu’il y a un problème en ce domaine et que l’on ne peut pas se contenter de « saupoudrer » les crédits du POSEI.

Enfin, je rappelle qu’il figure, dans le cadre du traité européen, une clause de sauvegarde en cas de forte concurrence exercée sur tel ou tel produit. Pendant une durée de cinq ou six ans, cette clause permet une protection minimale des produits en danger. On devrait faire jouer cette clause plus souvent et même pratiquer des quotas renversés pour protéger les productions locales – c'est-à-dire que, de même qu’il existe, par exemple, un quota de banane à l’exportation pour préserver les marchés mondiaux, de même, on pratiquerait des quotas renversés à l’importation, le temps que les produits locaux se développent et prospèrent.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Je laisserai les rapporteurs répondre sur les autres sujets. Néanmoins, s’agissant de la possibilité de créer un chapitre spécifique dédié à l’agriculture ultramarine au sein du projet de loi, je n’imagine pas que le ministre de l’Agriculture puisse être totalement insensible à notre demande. C’est une bataille que nous aurons à mener, le moment venu, dans le cadre de la procédure législative.

M. Jean Jacques Vlody. Avec l’agriculture ultramarine, nous nous inscrivons incontestablement au cœur d’un sujet tout à fait fondamental pour nos territoires. Les rapporteurs ont souligné, en effet, et à bon droit, le poids de l’agriculture dans l’économie des départements et des collectivités d’outre-mer.

Par ailleurs, l’agriculture constitue aussi, bien souvent, un pan de notre histoire. Car les territoires ultramarins se sont construits, au fil du temps, en se fondant sur le développement de l’agriculture et c’est bien cette dernière qui, dans la plupart des cas, nous a fait devenir ce que nous sommes aujourd’hui.

Je voudrais poser deux questions. La première concerne l’adaptation aux territoires ultramarins des processus d’homologation des produits phytosanitaires et la seconde a trait à l’épandage des lisiers.

S’agissant de l’homologation des produits phytosanitaires, je suis tout à fait d’accord avec la proposition contenue dans le rapport et qui cherche à mieux faire coïncider les processus d’agrément avec les besoins des climats tropicaux. En effet, les produits phytosanitaires actuellement homologués sont généralement des produits prévus pour des climats tempérés. Par ailleurs, les firmes qui les produisent ne sont pas, le plus souvent, des sociétés spécialisées dans la mise sur le marché de molécules efficaces dans le cadre d’un usage tropical. Si bien que, parmi les produits qui franchissent les barrières de l’homologation, peu concernent véritablement les territoires ultramarins.

Quels sont les moyens que vous avez pu identifier pour booster la recherche en ce domaine et faire en sorte que ces processus d’homologation destinés aux produits phytosanitaires à usage tropical puissent être élaborés – la définition de ces règles devant avoir lieu sans que ces dernières puissent faire l’objet d’une contestation particulière ?

Dans la même idée d’une meilleure adaptation de la réglementation aux nécessités des climats tropicaux, je voudrais évoquer aussi la question des lisiers. Pour l’élevage, la capacité de production est établie par l’administration en relation avec la capacité de l’agriculteur à résoudre les questions de l’absorption de l’azote et de l’épandage du lisier. Or, ces capacités sont calculées sur la base d’un cycle végétatif non tropical. Il est indispensable d’adapter le cycle d’épandage des lisiers à la nécessité tropicale.

Enfin, je salue les demandes de simplifications administratives contenues dans le rapport. En effet, trop souvent, par exemple en matière d’installation, on subordonne des aides – parfois minimes – à la fourniture de documents multiples et complexes. Cet excès de contrôle a un effet paralysant.

M. Bernard Lesterlin. Je suis heureux de constater la grande complémentarité des rapporteurs dans leur approche de cette question essentielle qu’est l’agriculture outre-mer.

Je ne suis pas objectivement un spécialiste de cette question et c’est la raison pour laquelle je pense que l’intérêt de notre Délégation n’est pas nécessairement de s’attacher toujours à produire de la norme législative et de se poser toujours la question de savoir si les recommandations adoptées doivent entrer dans une ou dans plusieurs lois et y occuper un ou plusieurs paragraphes, voire un chapitre. Cela est certes important et détermine la conduite à tenir avec le Gouvernement, mais cela n’est pas toujours primordial si l’on songe que la Délégation constitue aussi un lieu de débat où, sans accomplir obligatoirement une activité normative, il est possible, pour chaque question, de retenir des éléments pour une stratégie à plus long terme.

M. Gaymard, vous avez dit tout à l’heure que l’agriculture dans les DOM était associée à une population active deux fois plus élevée que dans la métropole. Pouvez-vous mieux préciser ce point ?

M. Hervé Gaymard, corapporteur. L’agriculture dans les DOM, hors Mayotte, représente actuellement de 1,4 à 4,4 % du PIB en fonction des départements, contre 2,2 % en métropole ; elle représente de 2 à 7 % de l’emploi contre 3,3 % dans l’hexagone.

M. Bernard Lesterlin. Cette statistique ne tient pas compte de Mayotte malheureusement ; je dis malheureusement car je sais que peu de chiffres sont disponibles pour ce département et que nous devons désormais revendiquer les outils permettant d’agréger les chiffres de Mayotte à ceux des quatre autres DOM.

Par ailleurs, ce poids important de l’agriculture dans les DOM n’empêche pas de constater aussi des déséquilibres structurels. Si l’hexagone peut s’enorgueillir de rééquilibrer sa balance commerciale par l’agriculture, dans les départements d’outre-mer, compte tenu du poids des importations, la situation est toute autre.

Maintenant, quel axe stratégique tirer de ces observations ?

Pour être éclairé sur ce point, je souhaiterais poser trois questions : l’agriculture peut-elle contribuer, à l’heure actuelle, à la diminution du chômage des jeunes ? En termes de marchés, les filières doivent-elles se tourner résolument vers l’exportation ou bien doivent-elles favoriser plutôt l’autosuffisance alimentaire ? Enfin, s’agissant du développement des agricultures endogènes, la recherche, et notamment celle qui relève des grands établissements de recherche publique situés dans l’hexagone, peut-elle être un point d’appui ?

M. le président Jean-Claude Fruteau. La question montre que tout est lié. L’excellence française en matière de recherche existe aussi dans les DOM. Par exemple, à La Réunion, il existe un centre de recherche sur la canne à sucre qui fait autorité dans le monde entier. À partir de ce socle de recherche, la filière « canne-sucre-rhum-bagasse » se développe favorablement et elle enregistre un solde positif à l’exportation. Néanmoins, cette filière ne saurait évidemment pas répondre à tous les besoins et, comme l’a indiqué M. Serge Letchimy, se pose alors la question de la diversification. Mais tous les axes de la problématique sont liés et ils forment un tout.

M. Bruno Nestor Azerot. À mon tour de saluer le travail en profondeur effectué par les deux rapporteurs. J’ai lu le rapport avec beaucoup d’intérêt et j’y souscris pleinement, ainsi qu’à ses trente-neuf propositions qui me paraissent constituer des pistes de réflexion tout à fait fondamentales.

Dans ces propositions, il y a incontestablement des urgences.

Je suis d’accord avec notre collègue, M. Jean Jacques Vlody, pour placer au premier rang de ces urgences l’augmentation du nombre des produits phytosanitaires utilisables dans l’agriculture ultramarine. Les acteurs des filières « canne à sucre » et « banane » sont confrontés à ce problème de la raréfaction des produits homologués pour lutter contre les maladies des cultures et il faut le régler sans attendre.

La question de l’amélioration des retraites agricoles me paraît aussi être une priorité. Il faut que la retraite des exploitants, des conjoints et des salariés agricoles atteigne un minimum acceptable. Cela est d’autant plus important que, indépendamment du titulaire des droits, ces retraites font vivre des familles entières.

M. Daniel Gibbes. Mon intervention sera courte. Il est vrai que l’agriculture à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy ne revêt pas de caractère stratégique ; néanmoins, je tiens à exprimer ici toute ma solidarité avec ceux des élus pour lesquels ce secteur constitue un pan entier de l’activité économique de leur région – secteur qui peut être confronté parfois à des problèmes très préoccupants. Les propositions du rapport me paraissent tout à fait fondées et je voulais féliciter les rapporteurs pour la qualité de leur rapport qui, comme toujours au sein de la Délégation, est un travail sérieux et sans a priori lié à une appartenance politique.

Je voudrais ajouter quelques éléments pour compléter les informations contenues dans le rapport concernant les deux îles de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy.

Ces deux îles sont passées sous le régime de l’article 74 de la Constitution en 2007. Ce transfert n’est pas arrivé comme une coquille vide mais les deux îles ont reçu la compétence fiscale. L’arme fiscale est très intéressante car elle peut faciliter la stabilisation des espaces agricoles face à la pression foncière. Les deux territoires ont aussi reçu la compétence en matière d’urbanisme, ce qui permet à chaque île de conduire des actions en matière d’aménagement du territoire. Enfin, Saint-Barthélemy a la compétence dans le domaine de l’environnement. Saint- Martin ne l’a pas encore mais l’extension de cette compétence, qui suppose la modification de la loi organique régissant la collectivité territoriale, est à l’étude.

En matière d’agriculture, Saint-Martin rencontre un problème avec l’immatriculation des bovins qui n’est pas effectuée actuellement. Il est envisagé que ce soit la Chambre d’agriculture de Guadeloupe qui s’en charge dans un proche avenir.

M. Jean-Philippe Nilor. Ce rapport était attendu compte tenu de l’importance stratégique de l’agriculture dans les territoires et compte tenu aussi –M. Jean Jacques Vlody l’a rappelé – du poids culturel de l’agriculture dans l’histoire des départements et des collectivités d’outre-mer.

Il s’agit d’un travail appréciable et je suis d’accord avec la plupart des recommandations dont beaucoup relèvent du bon sens. Par exemple, je suis tout à fait d’accord avec l’adaptation des programmes d’enseignement, l’optimisation des formations ou l’ouverture des BTS.

C’est également une excellente idée que de chercher à réduire les délais des procédures dans l’instruction des dossiers d’installation des jeunes agriculteurs. Toutefois, j’ai des doutes sur l’efficacité concrète d’une telle proposition. En effet, il faudrait changer aussi les mentalités de toutes les personnes qui travaillent dans les différents organismes qui sont partie prenante à l’instruction des dossiers. En effet, ces personnes pratiquent souvent l’excès de zèle en matière de documents, de telle sorte que les agriculteurs finissent par être découragés.

Je m’interroge sur le fait de confier au préfet une partie de la mise en œuvre des Zones agricoles protégées (ZAP).

Je suis d’accord avec tous les propos qui ont été tenus par notre collègue, M. Serge Letchimy.

Je pense que tous les moyens préconisés pour la mobilisation des terres en faveur des jeunes agriculteurs seront dépourvus d’effets si l’on ne s’attaque pas au problème fondamental qui est celui du niveau des retraites. Tant que les retraites seront trop basses, les exploitants resteront sur leurs terres, même à un âge très avancé.

Je trouve d’ailleurs que le système du calcul des retraites des exploitants outre-mer est fondé sur une réglementation inéquitable. Dans les DOM, la retraite n’est pas calculée en fonction du revenu déclaré, comme dans l’hexagone, mais en fonction de la surface réelle pondérée de l’exploitation. Est-ce que l’on estime que les agriculteurs ultramarins ne sont pas fiables dans leur déclaration ? Ce système de surface pondérée est très pénalisant et malgré tout, en dépit de nombreux efforts, il est impossible de le changer.

Je n’ai pas trouvé dans le rapport d’orientation claire vers une agriculture nourricière.

Je regrette également qu’il n’y ait pas d’orientation claire permettant de faire évoluer l’agriculture vers des pratiques durables. Ce serait pourtant une position politique audacieuse que de choisir d’aider prioritairement ceux qui s’engagent en faveur d’une agriculture respectueuse de l’environnement.

Mme Brigitte Allain. Je remercie les rapporteurs pour leur travail très approfondi qui, au-delà d’un constat, fait aussi de nombreuses préconisations, ce qui est très appréciable.

Néanmoins, il ne me semble pas, au fond, que ces préconisations soient tellement différentes de celles qui seront proposées par la loi d’avenir.

J’apprécie le gros travail qui a été fait, dans le rapport, sur l’accès au foncier, sur les successions et sur les installations. En outre, je me retrouve certainement dans l’idée qui est développée dans le troisième chapitre du rapport et qui consiste à dire que les propriétés de moins de deux hectares – propriétés très nombreuses outre-mer – méritent d’être reconnues.

Par contre, je note que le rapport ne dit rien sur les installations non aidées. Pourtant, l’étude de ces installations non aidées aurait été intéressante. Ces installations jouent certainement un rôle contre le chômage et elles connaissent très probablement des problèmes particuliers : difficulté pour atteindre un minimum d’autonomie, nourriture trop sucrée consommée par le chef d’exploitation et les membres de sa famille, etc.

C’est ainsi que j’en viens à ma critique qui concerne la logique du rapport : plutôt que des recommandations assez générales, j’aurais préféré des préconisations très ciblées et visant des objectifs répondant à des enjeux sur lesquels les populations auraient pu se mobiliser. Ces préconisations pourraient correspondre, au niveau local, à des projets territoriaux. Ainsi, pour les transmissions d’exploitations, on peut supposer que les exploitants accepteraient plus facilement de céder leurs biens fonds s’ils étaient motivés dans le cadre d’un projet territorial, par exemple s’ils comprenaient qu’il est vital de sauvegarder les terres agricoles pour l’alimentation.

M. Boinali Said. Je regrette que, dans le rapport, il n’y ait pas de tableaux statistiques concernant Mayotte. Néanmoins, les différentes problématiques foncières qui ont été analysées par les rapporteurs s’appliquent aussi à notre département et je me fais l’écho de tous les problèmes soulevés qui sont incontestablement des problèmes communs.

L’agriculture à Mayotte relève encore de l’ordre de l’informel dans le cadre d’un système familial, parfois encore clanique, et frappé par les indivisions. De ce dernier point de vue – c’est-à-dire les indivisions – il y a certainement des ressemblances avec d’autres situations que j’entends décrire, ici ou là, dans d’autres territoires d’outre-mer.

Nous connaissons aussi le problème de l’installation des jeunes. Très peu de jeunes accèdent au foncier et ils ont le plus grand mal à obtenir du crédit.

De même, l’enseignement n’est pas toujours parfaitement adapté aux besoins du monde agricole. À Mayotte aussi, il faut créer cette interface, suggérée par le rapport, avec les lycées et les centres de recherche, afin de mettre l’agriculture en mouvement.

Nous manquons de transferts de technologie et nous espérons que le maintien du dispositif de la défiscalisation de certains investissements productifs outre-mer permettra de constituer un levier pour la modernisation et la professionnalisation de l’agriculture.

La question de l’avenir de l’exploitant non rémunéré – mais qui vit en pratiquant une agriculture de subsistance – est également préoccupante. De quelle retraite pourra-t-il disposer ?

Au total, face à toutes les difficultés que nous connaissons, il paraît urgent d’organiser le marché intérieur pour diriger et donner un sens à la production locale.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Merci mon cher collègue. Nous comprenons vos préoccupations et nous sommes sensibles au fait que vous veniez ici très régulièrement afin d’exposer les problèmes auxquels votre département se trouve confronté. Car tel est bien aussi le rôle de la Délégation que de relayer les difficultés rencontrées par chaque DOM et par chaque COM auprès des pouvoirs publics.

M. Hervé Gaymard, corapporteur. La faiblesse de l’outil statistique concernant les COM et concernant Mayotte a été signalée dans le rapport. Nous nous efforcerons, au moment de la publication de ce dernier, de mettre mieux en relief les chiffres les plus intéressants que nous avons pu rassembler sur la situation foncière à Mayotte.

Du point de vue des activités agricoles, la situation de Mayotte est incontestablement une situation spécifique.

Il n’existe pas de cadastre sur l’île. Les structures agricoles sont constituées par des micro-exploitations de moins d’un hectare qui pratiquent une agriculture essentiellement vivrière. Il n’y a aucune filière – même la récolte de l’ylang-ylang tend à décroître – et tout est donc à créer et à organiser en ce domaine. Le Gouvernement doit donc apporter des réponses spécifiques aux besoins du nouveau département.

S’agissant des remarques qui ont été formulées par certains collègues sur les deux questions de l’autosuffisance alimentaire et de la diversification des cultures, je voudrais apporter, à titre personnel, quelques éléments de réflexion pour alimenter un débat qui est maintenant très ancien.

Bien entendu, la diversification des cultures est utile et même nécessaire, et dans certains territoires beaucoup de progrès ont été réalisés en ce domaine.

Mais il existe aussi des obstacles structurels incontournables qui font que la diversification des cultures outre-mer trouvera toujours ses limites.

Il y a d’abord l’obstacle du climat. Il existe des spécificités climatiques outre-mer et il est quasi impossible d’aller à leur encontre. La plupart des experts le confirmeront.

Il y a aussi le facteur démographique. Pour reprendre l’exemple de Mayotte, ce territoire comptait, il y a une quinzaine d’années, environ 70 000 habitants. Il en compte aujourd’hui 260 000. Il est clair que l’on ne peut pas nourrir 70 000 personnes de la même manière que 260 000, surtout avec des cultures endogènes. La démographie constitue une limite évidente à l’autosuffisance.

Par ailleurs, les habitudes alimentaires doivent être également prises en considération. Elles varient dans tous les pays. Par exemple, en Europe, on ne connaîtrait pas le blé dur sans l’apport des Chinois. Au Sénégal, on ne connaîtrait pas le riz sans l’influence de l’Europe. Les habitudes alimentaires sont soumises à évolution et les territoires ne peuvent pas tout produire.

Il y a aussi la question de la transformation. Pour créer des filières de diversification, il ne faut pas seulement produire, il faut aussi que la production enregistre une valeur ajoutée et que celle-ci demeure sur le territoire. Or, les capacités industrielles des pays d’outre-mer sont souvent beaucoup trop faibles pour que la création d’une telle valeur ajoutée puisse être durablement inscrite dans le temps.

Par conséquent, la diversification n’est pas une panacée. Les collectivités d’outre-mer ne doivent pas se laisser enfermer dans un choix binaire : exportation ou diversification. Il est nécessaire d’encourager à la fois l’agriculture endogène et l’agriculture traditionnelle exportatrice, les deux activités étant susceptibles de dégager des excédents commerciaux pour couvrir les importations.

Pour répondre maintenant plus précisément à la question de M. Serge Letchimy sur l’utilisation de la clause de sauvegarde, je suis évidemment tout à fait d’accord avec l’idée qu’un État puisse utiliser, de temps à autre, ce dispositif juridique. La Commission européenne est toujours spécialement timorée sur ce sujet. Pourtant, beaucoup de pays extra-européens ne se privent pas d’utiliser une telle clause.

Pour répondre à M. Jean Jacques Vlody sur la recherche et sur les liens qu’elle peut entretenir avec les produits phytosanitaires et avec leurs spécificités tropicales, il paraît bien clair que, pour développer des programmes de recherche, il est nécessaire de disposer de marchés suffisamment vastes. Pour obtenir ces marchés, une solution intéressante pourrait consister en l’élaboration de programmes communs entre les grands organismes de recherche publique, tels que l’INRA (Institut national de la recherche agronomique) ou le CIRAD (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement), et leurs homologues étrangers. Les résultats de ces programmes pourraient être diffusés au même moment dans différentes parties du monde, ce qui pourrait sembler beaucoup plus attractif pour les financeurs.

Par ailleurs, bien évidemment, je partage le sentiment de M. Jean Jacques Vlody sur le fait que le cycle d’épandage n’est pas adapté. Le cycle tropical dure douze mois, tandis que le cycle tempéré dure trois mois. On ne peut pas calquer l’un sur l’autre.

M. Serge Letchimy. Je ne suis pas d’accord avec le début du raisonnement de M. Hervé Gaymard sur la diversification.

M. Jean-Philippe Nilor. Moi non plus. Du coup, je suis d’accord avec M. Serge Letchimy, ce qui n’est pas si fréquent.

M. Serge Letchimy. Si l’on prend la production de la pulpe de goyave dans les Antilles, par exemple, on a là le cas type d’une satisfaction des besoins locaux à 98 %.

M. Hervé Gaymard. Je ne dis pas que la diversification est impossible, je pense qu’elle doit aller de pair avec la consolidation des filières exportatrices.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Nous voyons bien ici qu’il peut y avoir différentes nuances dans les raisonnements, alors même que chacun partage le même souci de favoriser le développement des territoires ultramarins. Nos réflexions auront à se confronter en séance publique dans une enceinte plus vaste.

Mme Chantal Berthelot, corapporteure. Le rapport a souhaité procéder à une large écoute du monde de l’agriculture. Il a souhaité aussi être un constat et non un document empreint de subjectivité.

Toutes les formes possibles de diversification n’ont pas été étudiées. Mais on pourra en retrouver de nombreux exemples dans le rapport annuel de l’ODEADOM (Office de développement de l’économie agricole des départements d’outre-mer).

D’autre part, on doit bien observer que, malgré nos demandes, les filières de diversification ne nous ont pas suggéré beaucoup de propositions de réformes. Je pense qu’aujourd’hui encore, toutes n’ont pas su trouver leur dimension optimale et qu’il faut avant tout les aider à se structurer. Pour cela, en tout premier lieu, il faut faciliter leur trésorerie.

Ce besoin de trésorerie est aussi patent pour les SAFER et pour les Chambres d’agriculture.

S’agissant de la pression foncière, il existe des moyens juridiques permettant de réduire les effets désastreux de la spéculation sur les surfaces cultivables. Il faut néanmoins qu’on les fasse vivre et, le cas échéant, qu’on leur apporte des modifications pour les rendre plus opérationnels.

Ainsi, M. Jean-Philippe Nilor, le système des ZAP, même après la prise de décision initiale par les collectivités locales, demeure beaucoup trop complexe. Si bien qu’au total, les maires n’arrivent pas toujours à en créer, par exemple à La Réunion. Il faut donc simplifier le dispositif au niveau de sa mise en œuvre concrète, ce qui ne veut pas dire, bien entendu, que l’on revient sur des compétences territoriales.

Pour les installations non aidées, là encore nous butons sur des questions de statistiques. Cependant, le rôle des installations non aidées dans le maintien de l’emploi n’est pas douteux.

S’agissant des installations aidées, il paraît absolument indispensable d’accompagner les jeunes du point de vue bancaire. Il faut les aider à obtenir des garanties pour qu’ils puissent mobiliser des prêts bancaires auprès des établissements financiers.

La question de l’homologation de produits phytosanitaires adaptés aux particularités du climat tropical et celle de l’épandage doivent faire l’objet d’un réexamen approfondi par le Gouvernement.

Enfin, il faut voir comment les régions se saisiront demain de toutes ces questions.

Ce n’est pas à la loi de dire quelles cultures il faut développer et dans quels territoires. Il faut que les orientations de l’agriculture de demain soient définies, dans le cadre des régions, par les régions elles-mêmes. C’est sans doute là le sens fondamental de la future loi d’avenir.

M. Daniel Gibbes. Je me demande si, pour préserver le foncier, on ne pourrait pas créer un numerus clausus dans les parcelles, un peu comme pour les licences des chauffeurs de taxis. Ainsi, l’agriculteur serait porté à vendre son exploitation en fin de carrière, sachant qu’il dispose d’un capital garanti.

M. Jean-Philippe Nilor. Sur la question très pertinente de la garantie à apporter aux prêts des jeunes agriculteurs, ne pourrait-on imaginer une caution de la Banque publique d’investissement (BPI) ?

Mme Chantal Berthelot, corapporteure. Le rapport le propose.

M. Bernard Lesterlin. Le rapport aborde-t-il la question de la pêche ?

M. Hervé Gaymard, corapporteur. Non, il s’agit là d’un sujet en soi.

M. le président Jean-Claude Fruteau. La question de la pêche ne faisait pas partie des questions qui devaient être traitées par le rapport. En outre, nous sommes convenus avec le Sénat que les sujets sur la mer et sur la ressource halieutique relevaient plutôt de la Délégation sénatoriale à l’outre-mer.

M. Jean Jacques Vlody. Je suis très intéressé par le rapport de M. Hervé Gaymard sur les droits des pluriactifs. La pluriactivité pose en effet de multiples problèmes à La Réunion. En effet, dans le secteur du maraîchage par exemple, les exploitants cotisent de manière forfaitaire une fois par an et les cotisations, qui ne sont pas proratisées, sont souvent très élevées par rapport au revenu d’activité.

M. le président Jean-Claude Fruteau. À l’issue de ce débat très riche, je pense qu’il est temps de passer aux votes.

Je mets aux voix les trente-neuf propositions contenues dans le rapport.

Les propositions sont adoptées à l’unanimité.

Je mets aux voix le rapport lui-même.

Le rapport sur les agricultures des Outre-mer est adopté à l’unanimité.

La séance est levée à dix-neuf heures.