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Délégation aux outre-mer

Mardi 20 mai 2014

Séance de 17 heures 30

Compte rendu n° 12

Présidence de M. Jean-Claude Fruteau, président de la Délégation aux outre-mer

– Échange de vues sur les mesures souhaitables en faveur des Outre-mer dans la perspective du futur pacte de responsabilité

– Informations relatives à la Délégation

Échange de vues sur les mesures souhaitables en faveur des Outre-mer
dans la perspective du futur pacte de responsabilité.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Mes chers collègues, notre ordre du jour appelle aujourd’hui un échange de vues sur la déclinaison outre-mer du pacte de responsabilité. Il prévoit aussi la nomination de deux rapporteurs d’information sur cette question.

Avant de vous laisser la parole, je voudrais dire quelques mots à titre de propos liminaires.

Comme vous le savez, en 2009, la loi pour le développement économique des Outre-mer (LODEOM) a institué un certain nombre de mesures destinées à favoriser la création d’emplois dans le secteur marchand. Parmi celles-ci, on distingue les exonérations de charges sociales. Ces exonérations ont été modifiées, au cours de la discussion de la loi de finances initiale pour 2014, pour être recentrées sur les plus bas salaires, c’est-à-dire les salaires qui sont les plus susceptibles d’être attribués en cas d’embauche.

Ainsi, actuellement, outre-mer, en dehors du système lié au crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, il existe trois dispositifs d’exonération de cotisations sociales :

– Le dispositif qui concerne les entreprises de moins de 11 salariés (exonération totale des charges sociales jusqu’à 1,4 SMIC ; entre 1,4 et 2,2 SMIC, le montant de l’exonération est calculé sur la base de 1,4 SMIC ; au-delà de 2,2 SMIC, l’exonération est dégressive et elle s’annule à 3,8 SMIC).

– Le dispositif qui concerne les entreprises de plus de 11 salariés (exonération totale jusqu’à 1,4 SMIC ; au-delà, l’exonération est dégressive et elle s’annule à 3,8 SMIC).

– Le dispositif renforcé pour certains secteurs comme l’hôtellerie, le tourisme ou l’agroalimentaire (exonération totale jusqu’à 1,6 SMIC ; entre 1,6 et 2,5 SMIC, l’exonération est limitée à 1,6 SMIC ; au-delà de 2,5 SMIC, l’exonération est dégressive et elle s’annule à 4,5 SMIC).

En dépit de cette règlementation, il convient d’observer que le niveau du chômage reste préoccupant dans les départements d’outre-mer.

En 2013, le taux de chômage est de 26,2 % en Guadeloupe, de 21,3 % en Guyane, de 22,8 % en Martinique et de 29 % à La Réunion, quand il est de 10,5 % dans l’hexagone.

Parallèlement au dispositif applicable aux Outre-mer, le Gouvernement, pour accroître la diminution structurelle du coût du travail au niveau national, a pris la décision, à la fin de l’année 2012, dans le cadre de la discussion de la loi de finances initiale pour 2013, de la création du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi ou CICE (article 244 quater C du CGI).

Le CICE s’adresse à toutes les entreprises et il leur permet de réaliser une économie d’impôt substantielle. Pour 2013, elle équivaut à 4 % de la masse salariale, hors salaires supérieurs à 2,5 fois le SMIC. Pour 2014, ce taux est porté à 6 %.

Le CICE est très intéressant outre-mer, car, lorsque les entreprises ont été déclarées éligibles à ce crédit d’impôt, il se cumule avec les exonérations fiscales prévues par la LODEOM, exonérations qui sont calculées – à nouveau – sur la base d’un triple dispositif :

– Le dispositif qui concerne les entreprises de moins de 11 salariés (exonération totale des charges sociales jusqu’à 1,4 SMIC ; entre1,4 SMIC et 1,8 SMIC, le montant des exonération est calculé sur la base de 1,4 SMIC ; ensuite, le montant des exonérations décroît de manière linéaire et il devient nul lorsque la rémunération est égale à 2,8 SMIC).

– Le dispositif qui concerne plus de 11 salariés (exonération totale jusqu’à 1,4 SMIC ; le taux d’exonération décroit ensuite de manière linéaire jusqu’à 2,6 SMIC).

– Le dispositif renforcé (exonération totale jusqu’à 1,6 SMIC ; de 1,6 SMIC à 2 SMIC, le montant des exonérations est calculé sur la base de 1,6 SMIC ; à partir de 2 SMIC, le montant des exonérations décroît de manière linéaire et devient nul lorsque la rémunération est égale à 3 SMIC).

Cette règlementation doit être complétée, dans un avenir très proche, par l’adoption des mesures qui constituent le pacte de responsabilité.

Selon mes informations, ces mesures constitutives du pacte de responsabilité pourraient être inscrites, d’une part, dans le projet de loi de finances rectificative pour 2014 et d’autre part, éventuellement, dans un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale, également pour 2014. Le texte ou les textes pourraient être adoptés en Conseil des ministres le 18 juin prochain. Ils seraient ensuite examinés, quinze jours plus tard, par l’Assemblée nationale.

Les mesures du pacte de responsabilité pourraient être les suivantes :

– Diminution dégressive des cotisations des salariés pour s’arrêter à 1,3 SMIC ;

– Suppression des cotisations patronales au niveau du SMIC et allègement dégressif des charges sur les salaires inférieurs à 1,6 SMIC ;

– Diminution de 1,8 % des charges correspondant à la branche famille de la sécurité sociale pour les salaires compris entre 1,6 et 3,5 SMIC ;

– Baisse de 3 % des cotisations familiales des artisans et des commerçants ;

– Suppression progressive de la cotisation sociale de solidarité payée par les entreprises dont le chiffre d’affaires dépasse 760 000 euros, cette cotisation devant disparaître en 2017 ;

– Diminution progressive de l’impôt sur les sociétés, cet impôt devant passer de 33,33 % aujourd’hui à 28 % en 2020.

Il convient d’observer que le CICE peut avoir des effets significatifs sur l’emploi dans les départements d’outre-mer. Il s’ajoute en effet, comme je l’ai indiqué, en visant toutes les entreprises qui emploient des salariés dont les salaires ne dépassent pas 2,5 fois le SMIC, aux exonérations de charges liées aux dispositifs établis par la LODEOM. Or, c’est bien ce type de salariat – c’est-à-dire un salariat qui ne dépasse pas 2,5 fois le SMIC – qui est présent majoritairement au sein des entreprises ultramarines.

En revanche, le pacte de responsabilité risque de ne profiter que très partiellement aux DOM. En effet :

– La suppression des cotisations sociales patronales prévue par le pacte de responsabilité à hauteur du SMIC existe déjà outre-mer ;

– Le barème dégressif national jusqu’à 1,3 SMIC procure un gain qui est totalement neutralisé outre-mer où, jusqu’à 1,4 ou 1,6 SMIC selon les cas, l’exonération est totale et non dégressive ;

– La réduction des cotisations sociales des indépendants existe déjà dans les DOM (ces travailleurs sont exonérés pendant 24 mois de toutes cotisations de sécurité sociale puis ils disposent ensuite, de manière pérenne, d’une assiette de cotisation réduite de moitié pour la partie de leurs revenus qui est inférieure au plafond de la sécurité sociale) ;

– La suppression de la CSS ne va profiter qu’à environ 10 % des entreprises des DOM, c’est-à-dire à un nombre très restreint de redevables ;

– Enfin, un taux réduit d’impôt sur les sociétés existe déjà dans les Zones franches d’activité (ZFA).

Aussi, pour éviter que le pacte de responsabilité ne s’apparente à une coquille presque vide, conviendrait-il de lui donner une déclinaison particulière outre-mer.

Notamment, on pourrait très certainement améliorer le dispositif du CICE dans les DOM, puisqu’il s’agit d’un mécanisme prometteur.

On pourrait faire passer son taux de 6 à 9 % ; et même, dans le cas du secteur renforcé tel qu’il est prévu dans la LODEOM, on pourrait le faire passer de 6 à 12 %.

Telles sont les raisons pour lesquelles il me paraît souhaitable que la Délégation se saisisse de ce thème de réflexion et qu’elle désigne deux rapporteurs pour élaborer un rapport d’information.

M. Daniel Gibbes. Je ne veux pas reprendre en détail les mesures contenues dans le pacte de responsabilité, notre président les ayant parfaitement exposées. Je voudrais juste souligner que, selon moi, le pacte de responsabilité pour les Outre-mer doit être un pacte à part entière et non une simple déclinaison de celui que le Gouvernement veut instituer pour l’hexagone.

Pourquoi ? Parce qu’il est impossible de calquer des mesures conçues pour l’hexagone dans les Outre-mer, îlots de richesse dans un environnement régional pauvre et où les coûts de production sont très inférieurs. Un exemple parlant est celui de Saint-Martin, un territoire sans frontières matérialisées, avec un voisin immédiat qui bénéficie de toutes les infrastructures et où le salaire minimum est de 600 dollars par mois.

Viennent se greffer d’autres handicaps, comme l’éloignement, la double insularité ou l’étroitesse des marchés qui justifient que les Outre-mer ont besoin d’une réelle prise en compte des difficultés éprouvées par leurs entreprises.

Sur le plan national, les marges des sociétés sont insuffisantes et constituent un obstacle pour le développement de leurs investissements : ce constat est encore plus prégnant outre-mer où les marges sont en moyenne plus basses que dans l’hexagone.

Les mesures destinées à accroître la compétitivité doivent être adaptées aux Outre-mer, avec une prise en compte précise des différentiels de compétitivité par rapport à la métropole, sinon elles sont condamnées à n’avoir aucun effet dans nos territoires.

Il convient de souligner aussi que les COM, dotées de l’autonomie fiscale, sont très fréquemment exclues des dispositifs d’aide. Par exemple, le CICE n’est applicable ni à Saint-Barthélemy, ni à Saint-Martin.

S’il y avait une augmentation du CICE, il faudrait qu’elle soit conséquente, qu’elle soit égale pour tous sans distinction de secteurs d’activité et que le dispositif bénéficie également aux COM.

Par ailleurs, il faudrait favoriser le développement économique régional, avec des fonds de développement dédiés à la coopération, à la recherche de nouveaux marchés et à la mutualisation de moyens entre professionnels des départements et des collectivités d’outre-mer.

Il faudrait mettre sur pied un véritable schéma de développement touristique en favorisant la coopération inter-îles.

Enfin, il faudrait dédier des dispositifs de type « défiscalisation » à la rénovation hôtelière, au financement des démolitions d’ouvrages – le coût des constructions neuves se renchérissant de manière très significative compte tenu du coût des démolitions – et à l’amélioration des dessertes et des moyens de transport, qu’ils soient maritimes ou aériens.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Vous avez raison d’attirer l’attention sur le fait que les collectivités qui ont une fiscalité propre se trouvent souvent exclues d’un certain nombre de règlementations. En revanche, je n’irai peut-être pas jusqu’à dire, comme vous le faites, qu’il faut élaborer un pacte par territoire. Je pense plus opérant de faire en sorte que les DOM et les COM s’insèrent au mieux dans les différents dispositifs qui nous sont proposés, à mesure que le Gouvernement progresse dans sa réflexion, et que nos travaux soient calés sur le calendrier national.

M. Daniel Gibbes. Le problème, c’est qu’alors nos préoccupations sont toujours dominées par les mêmes thèmes ou par les mêmes sujets. Nous sommes conduits à définir nos dispositifs en fonction de ce qui existe dans l’hexagone et non en fonction de nos spécificités. Il en va de même pour notre relation avec l’Europe. Nous définissons nos priorités en fonction des enveloppes qui ont été arrêtées, par exemple le Fonds social européen, et en oubliant nos particularités locales. C’est pour lutter contre ce phénomène d’attractivité que nous avons voulu que l’île de Saint-Martin devienne autonome, notamment par rapport aux deux régions sœurs que sont la Martinique et la Guadeloupe.

M. Patrick Lebreton. Avec le pacte de responsabilité, le Gouvernement a résolument fait le choix d’une politique basée sur la compétitivité des entreprises. Je pense que c'est la bonne voie. Maintenant, il faut réfléchir avec attention aux instruments qui vont être préconisés pour combler les déficits de compétitivité.

S’agissant des exonérations fiscales, il faudrait évaluer les dispositifs existants. Ces outils sont-ils vraiment efficaces pour le développement de l’emploi ? Sont-ils vraiment garants d’une amélioration de l’activité des entreprises ?

La même évaluation devrait avoir lieu pour le CICE. Ce dispositif est-il efficace ? Est-il bien adapté aux comportements des entrepreneurs individuels, notamment outre-mer ?

Je note, en tout cas, qu’au moment des débats sur la défiscalisation des investissements outre-mer, le Gouvernement préconisait l’institution d’un crédit d’impôt pour remplacer, au moins partiellement, les déductions fiscales portant sur l’impôt sur le revenu ou sur l’impôt sur les sociétés. Á l’époque, les entreprises ne semblaient pas toutes très favorables à ce système. Maintenant, la réflexion a fait son chemin et ce mécanisme ne semble plus guère susciter de critiques.

Enfin, je ferais volontiers une proposition audacieuse : pourquoi ne pas envisager qu’une large part des exonérations de cotisations sociales profite directement aux salariés ?

M. le président Jean-Claude Fruteau. Il me semble que le pacte de responsabilité, en prévoyant une mesure d’allègement des cotisations sociales pour les salariés, mesure, il est vrai, dégressive et limitée à 1,3 SMIC, va dans le sens que vous souhaitez. Je partage néanmoins votre sentiment sur l’intérêt qu’il y aurait à aller plus loin en ce domaine.

Pour les collectivités à autonomie fiscale, je pense qu’il faudrait pouvoir conduire, un jour, une réflexion qui permette de mieux connaitre les territoires et d’approfondir leurs différences économiques et sociales. Il s’agit là, cependant, d’un travail de longue haleine. Dans l’immédiat, il me paraît important que nous puissions prendre toute notre part dans le débat national sur le pacte de responsabilité – ce qui ne nous empêche pas de bâtir, par la suite, un projet plus global.

M. Philippe Houillon. Ce point de vue me convient assez, dans la mesure où nous sommes pris par le temps.

Il faut se saisir du texte sur le pacte de responsabilité pour l’infléchir et pour faire en sorte qu’il apporte des solutions spécifiques aux problèmes des Outre-mer. Ce faisant, il faudrait pouvoir trouver un dénominateur commun entre tous les DOM et tous les COM – comme le « plus petit commun dénominateur » en mathématiques – pour que les mesures que nous proposerons puissent convenir à tous les territoires, quelles que soient leurs particularités. La réflexion pourra ensuite être approfondie, le moment venu, pour passer à un stade plus vaste : le développement économique de toutes les collectivités ultramarines. Et, dans ce contexte, le rapport que nous aurons réalisé sur le pacte de responsabilité pourra constituer, en quelque sorte, un pré-rapport, permettant de mieux définir les orientations de nos futurs travaux.

Il faudrait aussi faire admettre au Gouvernement qu’il serait bon d’insérer des mesures spécifiques pour l’outre-mer dans le pacte de responsabilité.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Le Premier ministre, que j’ai rencontré ce matin en compagnie de l’ensemble des députés de La Réunion, m’a paru très ouvert sur cette question. C’est la raison pour laquelle il me semble important que nous puissions faire des propositions sur le pacte de responsabilité. En revanche, après l’adoption du texte instituant ce dispositif, il est à craindre qu’il ne s’écoule un certain temps avant que le Gouvernement ne dépose un projet de loi spécifique pour le développement économique des Outre-mer.

M. Daniel Gibbes. Je suis d’accord sur la nomination de deux rapporteurs pour un rapport d’information sur la déclinaison outre-mer du pacte de responsabilité. Néanmoins, je reste attaché, bien entendu, à l’émergence de véritables schémas stratégiques de développement dans les COM, par exemple dans le domaine de l’apprentissage ou de la formation professionnelle.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Il s’agit là, en vérité, de véritables contrats de développement globaux, déclinés par territoires, et concernant aussi bien les aspects économiques et sociaux que les aspects humains. Un tel travail est évidemment très complexe.

M. Jean Jacques Vlody. Dans ce débat, je partage le point de vue de notre président. Il faut se saisir, de manière immédiate, des opportunités offertes par le calendrier législatif. Ensuite, il nous sera certainement possible de conduire d’autres réflexions pour le développement économique des territoires.

Pour le pacte de responsabilité, à défaut de toutes les mesures, il faudrait essayer d’obtenir les financements correspondants.

Une fois ces crédits obtenus, on pourrait cibler les dépenses sur un certain nombre de domaines prioritaires. Je pense à trois secteurs : le pouvoir d’achat des salariés, le financement des conventions collectives – car, dans beaucoup de branches, les conventions collectives ne sont pas intégralement financées (par exemple, pour les projets de carrière) – et enfin, la prise en compte des coûts de la formation professionnelle.

M. le président Jean-Claude Fruteau. S’il n’y a plus de questions, je vous propose maintenant de passer à la désignation des deux rapporteurs.

Informations relatives à la Délégation

M. Daniel Gibbes et M. Jean-Claude Fruteau sont désignés, à l’unanimité, rapporteurs d’information.

La séance est levée à 18 heures 30.