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Délégation aux outre-mer

Mercredi 15 octobre 2014

Séance de 10 heures 30

Compte rendu n° 1

Présidence de M. Jean-Claude Fruteau, président de la Délégation aux outre-mer

– Rencontre-débat, ouverte à la presse, intitulée : « Ultramarins de l’hexagone : du stéréotype à la réalité », sous le haut patronnage de M. Claude Bartolone, Président de l’Assemblée nationale, et en présence de Mme George Pau-Langevin, ministre des Outre-mer, de Mme Sophie Elizéon, Déléguée interministérielle pour l’égalité des chances des Français d’Outre-mer, de M. Hugues Cazenave, Président fondateur de la société Opinion Way, de Mme Audrey Célestine, docteure en sciences politiques, et de M. Antoine Prudent, Président de l’Observatoire national des originaires d’Outre-mer (ONDOM)

La séance est ouverte à 10 heures 30.

Présidence de M. Jean-Claude Fruteau, président.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Madame la déléguée interministérielle, mesdames et messieurs, je suis très heureux de prononcer ces quelques mots devant vous ce matin, propos destinés à servir de courte introduction à cette réunion, dont le thème s’intitule : « Ultramarins de l’hexagone : du stéréotype à la réalité ».

Il est vrai que l’image des ultramarins, dans la France hexagonale et aux yeux des Français de l’hexagone, n’apparaît pas toujours de manière précise, alors pourtant qu’elle devrait être riche de déterminations – déterminations à la fois multiples, pertinentes et nuancées.

En fait, cette image paraît souvent contradictoire.

D’un côté, la plupart de nos concitoyens ont présents à l’esprit des noms qui incarnent une notoriété ou une réussite certaine dans les domaines les plus variés, que ces domaines soient politiques, culturels ou sociaux. Ainsi, qui ne connaît Victor Schoelcher, Aimé Césaire, Simone Schwarz-Bart, le groupe Kassav ou le judoka Teddy Riner ?

Mais d’un autre côté, nos concitoyens ne peuvent être que frappés par le nombre d’habitants des DOM ou des COM placés en situation de grande précarité. Dans l’hexagone on s’effraie avec un taux de chômage atteignant 10,3 % de la population active. Mais que dire des outre-mer, ou, dans certains endroits, celui-ci atteint près de 20 % de cette même population, et plus de 60 % chez les jeunes ?

De la sorte, les habitants de l’hexagone ont souvent l’impression que la réalité ultramarine se résume à deux situations extrêmes. Et, entre ces deux extrêmes, l’observateur – surtout s’il est lui-même ultramarin – a fréquemment le sentiment que toutes les autres situations restent méconnues. Au fond, que sait-on vraiment, dans l’hexagone, de la vérité des habitants des outre-mer, de leur culture, de leur mode de vie, de leurs passions, de leurs attentes ?

C’est ainsi que cette réunion a pour objet de contribuer à l’amélioration de la connaissance que l’on peut avoir de la culture et des déterminations de pensée des Français originaires des outre-mer. Elle a aussi pour objet de lutter contre les stéréotypes.

Dans ce contexte, deux types d’analyses statistiques vont être présentés : d’une part, le tableau de bord de la Délégation interministérielle, qui est un outil d’évaluation et de suivi, commandé par Mme Sophie Elizéon, déléguée interministérielle pour l’égalité des chances des Français d’outre-mer, à l’ONDOM – l’Observatoire national des originaires d’outre-mer ; d’autre part, le second baromètre de l’état d’esprit des ultramarins de l’hexagone, une étude d’opinion réalisée, à partir de panels représentatifs, dans le courant des mois de mai et juin de cette année, par la société privée Opinion Way – le premier baromètre ayant été réalisé, par cette même société, au cours des mois de mai et juin 2013.

Les conclusions auxquelles nous pourrons aboutir, au regard de ces statistiques, nous seront suggérées par nos trois intervenants : M. Hugues Cazenave, président fondateur de la société Opinion Way ; Mme Audrey Célestine, docteure en sciences politiques, et M. Antoine Prudent, président de l’ONDOM. Elles nous seront suggérées aussi, bien entendu, par Mme Elizéon elle-même.

La constitution d’une base de données à partir de laquelle il est possible de raisonner de manière objective est une excellente chose car nous manquons trop souvent, outre-mer, d’outils d’évaluation statistique. La Délégation aux outre-mer de l’Assemblée nationale, que j’ai l’honneur de présider, le constate chaque fois qu’elle doit réaliser un rapport. Et de même, des instances éminentes de notre pays le font remarquer. C’est ainsi que la Cour des comptes, par exemple, dans un rapport de novembre 2013 consacré à la fiscalité outre-mer, observe que les collectivités territoriales ultramarines ne disposent pas de statistiques suffisantes pour bien définir leur programme d’action.

Nous avions reçu Mme Sophie Elizéon à la Délégation aux outre-mer de l’Assemblée nationale le 18 décembre 2012 et elle nous avait dit à cette occasion que, consciente de ces lacunes économétriques, elle travaillait à la réalisation de modèles d’analyse permettant de mieux appréhender la situation des ultramarins.

Aujourd’hui, je ne peux donc que me réjouir de constater qu’elle a pu aboutir dans cette démarche, et qu’elle a pu constituer des bases de données qui lui permettront de lutter efficacement contre les discriminations.

Croyez que, de notre côté aussi, nous nous battons, corps et âme, pour l’intégration.

En effet, actuellement, nous essayons, à l’occasion du débat sur la loi de finances initiale pour 2015, de faire adopter un maximum de mesures : l’accroissement du taux du CICE (crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi) avec un taux sur-majoré pour le tourisme, qui était l’une des propositions d’un rapport de la Délégation récemment adopté, l’accroissement de l’aide à l’investissement locatif intermédiaire ou l’accroissement du taux du crédit d’impôt recherche dans les Outre-mer. Or, que sont ces dispositifs, sinon des moyens de créer de l’emploi et donc de l’intégration ? Clairement, nous sommes bien tous unis dans une même démarche.

Je passe la parole à Mme Sophie Elizéon, en lui faisant part de tout mon intérêt pour le travail qu’elle effectue.

Mme Sophie Elizéon, déléguée interministérielle pour l’égalité des chances des Français d’outre-mer. Monsieur le président de la Délégation aux outre-mer, comme vous l’avez dit, lors de mon audition en décembre 2012, nous avions abordé la question d’une meilleure connaissance des ultramarins de l’hexagone, de leurs problématiques et de leurs atouts. Je m’étais engagée à revenir vers vous afin de rendre compte des travaux menés par la Délégation interministérielle en ce sens, et je vous remercie de me permettre aujourd’hui de répondre aux questions qui avaient été alors soulevées.

J’ai fait le choix d’articuler les missions que m’a confiées le Premier ministre autour d’un slogan « les ultramarins ont de l’audace », de trois axes, à savoir « prévenir, corriger, diffuser », et d’un outil de pilotage prenant la forme d’un tableau de bord.

J’ai demandé à l’ONDOM d’élaborer le tableau de bord que son président, M. Prudent, vous présentera dans un instant. Mais auparavant, permettez-moi d’en rappeler l’intérêt.

Plus qu’un outil d’observation – même si cette étape est primordiale pour qualifier la cible de toute politique publique – ce tableau de bord est un outil d’évaluation. En effet, l’action publique n’a de sens que si elle est efficace. Je souhaite chaque année évaluer l’impact des actions menées par la délégation que je conduis, et porter en toute transparence cette évaluation à la connaissance des parlementaires, des ultramarins et du grand public.

Aujourd’hui, c’est donc la situation de départ, « l’instant zéro », qui vous est présentée.

Le tableau de bord s’articule autour des axes de travail de la Délégation et suit neuf indicateurs, quantitatifs et qualitatifs, dont l’évolution annuelle nous permettra d’une part, de mesurer l’efficacité de notre action et d’autre part, de redéfinir nos axes de travail si nécessaire. C’est donc aussi un outil de pilotage.

L’outil intègre des données qualitatives, dont certaines sont extraites du baromètre de l’état d’esprit des ultramarins de l’hexagone, qui vous sera présenté par M. Cazenave, président fondateur d’Opinion Way, à qui j’ai confié ce travail. Cette deuxième édition est riche d’enseignements qui battent en brèche les stéréotypes, et viennent conforter le choix que j’ai fait de promouvoir l’audace ultramarine.

Enfin, Mme Célestine, politiste et chercheur au laboratoire CECILLE, réagira à ces deux présentations, non sans que nous ayons pu répondre à l’ensemble de vos questions, les intervenants et moi-même.

M. Antoine Prudent, président de l’Observatoire national des originaires de l’outre-mer. Monsieur le président, avant de vous présenter notre tableau de bord avec les indicateurs de suivi, je vous précise que l’ONDOM a pour mission d’étudier, d’analyser, de préconiser et d’accompagner toutes les démarches aussi bien économiques, sociales que culturelles des ultramarins.

Pour construire ce tableau, nous sommes partis d’extractions de données très simples, de l’INSEE et de l’INED. Nous avons utilisé des travaux d’Opinion Way et du DD, ainsi que de certaines données prospectives.

Concernant la présence des ultramarins dans l’hexagone, nous constatons que 48 % d’entre eux sont Antillais (70 % dans la région parisienne)  et 20 % Réunionnais (28 % dans la région parisienne et 72 % en province), que les Mahorais vivent essentiellement en province, et surtout dans le Sud, tandis que les Guyanais vivent pour moitié en région parisienne et pour moitié en province. 60 % des jeunes domiens ont 18 à 29 ans, ce qui représente 2 % de la population générale. Un ultramarin sur deux est un descendant des domiens natifs des DOM.

Nous sommes partis de la base INSEE pour dire qu’aujourd’hui on peut identifier 377 500 personnes nées dans les outre-mer. Ajoutons qu’en termes de logement, 48 % des Réunionnais sont propriétaires, contre 30 % des Antillais.

J’observe que nous parlons surtout des domiens, et un peu moins des ultramarins en général. En effet, aujourd’hui, nous avons un déficit de chiffres et de données statistiques sur l’ensemble des autres COM. Voilà pourquoi nous raisonnons essentiellement sur une base domienne. Mais à l’avenir, il faudra combler cette lacune.

Concernant l’accès aux soins, nous constatons que l’état de santé des ultramarins installés dans l’hexagone est quasiment identique à celui de la population majoritaire et que seulement 10 % d’entre eux ont la CMU, contre 30 % de ceux qui vivent outre-mer – ce qui révèle une très grande précarité. Les ultramarins de l’hexagone possèdent un niveau de vie plus confortable, qui leur permet d’avoir un rapport à la santé plus axé sur le curatif que sur le préventif.

J’en viens au niveau de formation et à l’emploi des ultramarins :

De 1960 à nos jours, un bond phénoménal a été fait en matière de formation. En 1960, une majorité des ultramarins avaient un niveau CEP et CAP. En 2007, 42,7% d’entre eux ont une formation supérieure. 80 % de nos jeunes ont un niveau « bac plus 3 ». Cela veut dire que les ultramarins de France représentent un fort potentiel social et économique.

Si les domiens de la première génération connaissaient pratiquement le plein emploi, leurs descendants connaissent un taux de chômage équivalent à celui de l’ensemble de la population française – 8,3 % en 2007, et aujourd’hui, plutôt 10,3 %.

58 % sont encore fonctionnaires, même si le schéma parental n’a pas été forcément reconduit par la nouvelle génération – il y a eu jusqu’à plus de 78 % de fonctionnaires parmi les ultramarins ! 10 % sont cadres, contre 17 % au niveau national ; 12 % exercent des professions intellectuelles. Enfin, le niveau augmente tous les deux ans.

Autre élément : le sentiment de discrimination des ultramarins de l’hexagone.

Un chercheur que j’ai rencontré dernièrement à l’ONDOM m’a fait remarquer que la discrimination n’était pas seulement ressentie aux périodes charnières de la vie, mais tout au long de la vie. Cela commence dès l’école ; cela devient compliqué pour ceux qui souhaitent aller dans une filière d’excellence ; et ça l’est encore plus dans le monde du travail, où il est difficile de progresser. 58 % des ultramarins de l’hexagone affirment ressentir cette discrimination, ce qui est énorme. 59 % seulement des ultramarins se sentent français avant tout. Mais quid des 41 % qui restent ?

Pour lutter contre ces discriminations, un certain nombre d’outils ont été mis en place : élaboration d’un plan d’action interministériel ; formation de 12 associations antillaises par les équipes du Défenseur des droits ; présence d’associations ultramarines dans les COPEC (commissions pour la promotion de l’égalité des chances et de la citoyenneté) ou dans les instances de pilotage.

Le dernier élément de ce tableau de bord concerne la veille médiatique, destinée à vérifier la visibilité ultramarine.

Nous avons mobilisé quatre chercheurs de l’ONDOM, qui ont travaillé pendant une semaine à relever un certain nombre d’informations, dans les journaux, la presse écrite, audiovisuelle et télévisuelle. Cette semaine-là, le judoka Teddy Riner avait encore gagné, mais on s’intéressait surtout à ses parents guadeloupéens, qui étaient venus le supporter. Ensuite, on nous informait que le rhum x avait été primé. Enfin, à l’occasion d’un article sur les immigrés de la France métropolitaine, on apprenait que les Antillais s’identifiaient aux immigrés parce qu’ils subissaient le même type de discriminations. Ainsi, sur toute une semaine, on n’a trouvé que trois références liées aux ultramarins : hors des médias communautaires, point de salut !

En conclusion, cette étude de 43 pages nous a montré là où des progrès avaient été faits, là où il fallait vraiment travailler, et tout ce qu’il restait à faire. La Délégation tirera ses propres conclusions. Mais je pense que si nous sommes là aujourd’hui, c’est parce que nous sommes tous concernés. L’ONDOM reste mobilisé et continuera à agir avec l’aide de tous ceux qui le voudront bien.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Cette première étude est riche d’enseignements. Pour autant, nous ne sommes pas surpris, en particulier par le pourcentage de 58 % d’ultramarins qui se sentent victimes de discriminations. Nous avons tous eu connaissance d’un certain nombre d’évènements dans lesquels nos compatriotes ultramarins de l’hexagone ont pu avoir ce sentiment. C’est précisément contre cela qu’il faut lutter.

Avant de passer la parole dans la salle, je tenais à saluer nos collègues députés, parmi lesquels je ferai une mention particulière pour M. Victorin Lurel, ancien ministre des Outre-mer.

M. Philippe Gosselin. Je déplore moi aussi que nous ayons des problèmes de statistiques, liés à des lacunes économétriques. Nous en avons parlé hier avec Mme George Pau-Langevin, la ministre des Outre-mer, et avec Mme Chantal Berthelot au titre de la présidence de la CNEPEOM, la Commission nationale d’évaluation des politiques de l’État en outre-mer. Cela confirme que nous devons mieux prendre en compte les outre-mer en termes d’adaptation de normes, d’études d’impact, et que nous devons être plus précis.

Je constate avec infiniment de plaisir que les formations des ultramarins de l’hexagone sont de plus en plus proches de celles du reste de nos compatriotes. Petit à petit, un lissage se fait, qui va dans le bon sens. Mais je suis interpellé par ce pourcentage de 58 % d’ultramarins qui se sentent victimes de discriminations. C’est évidemment beaucoup trop.

Je regrette au plus haut point que les médias ne fassent pas une part plus grande à l’outre-mer. Pour entendre parler de l’outre-mer, il faut écouter la revue de presse de France Inter. Mais celle-ci a lieu à 5 heures 45, ce qui est tout de même un peu tôt. En la matière, la marge de progression est énorme et il ne faudrait pas cantonner cette information à quelques médias spécialisés, fussent-ils de qualité.

En dernier lieu, je voudrais en savoir plus sur la formulation de la question qui a permis à 59 % seulement des ultramarins de dire qu’ils se sentaient avant tout français. Moi-même, je me sens à la fois normand et français et je comprendrais donc très bien que l’on se sente à la fois antillais et français, et pas avant tout français. Ce pourcentage de 59 % n’est donc pas forcément inquiétant. Pourquoi ne pas mettre en avant d’autres racines qui sont celles d’autres citoyens d’autres régions de métropole ou du territoire national ?

Mme Sophie Alizéon. C’est une question que nous avions posée dans le premier baromètre, et que nous n’avons pas reposée cette année. On demandait aux personnes interviewées si elles se sentaient « avant tout » françaises, guadeloupéennes, réunionnaises, mahoraises, etc.

M. le président de l’ONDOM a retenu de cet indicateur de suivi les « 59 % seulement ». Mais ce qui nous avait surtout frappés, c’était l’effet que le sentiment de discrimination pouvait avoir sur ce sentiment d’appartenance. Ce pourcentage de 59 % est une moyenne, et il se trouve que 64 % des ultramarins qui n’avaient pas déclaré être victimes de discrimination se sentaient français avant tout. C’est donc bien le sentiment de discrimination qui fait que l’on se sent appartenir, ou pas, à la Nation. C’est sur cet aspect-là que nous avions insisté l’an dernier et que nous orientons nos travaux.

M. David Auerbach-Chiffrin. Je voudrais vous remercier de votre hospitalité, remercier Mme la déléguée interministérielle ainsi que l’ONDOM pour la deuxième édition de cette présentation qui s’avère d’ores et déjà extrêmement intéressante.

Je suis responsable de l’association « Tjenbé Red » qui lutte contre les homophobies aux côtés des populations ultramarines. À ce propos, je ferai une parenthèse : des personnes, qui alimentent furieusement certaines discriminations à l’encontre de certaines populations, viennent aujourd’hui nous dire qu’ils luttent contre d’autres discriminations. Tant mieux. Reste que c’est assez contradictoire.

J’aurai deux questions à poser à nos intervenants.

Premièrement, j’ai entendu que les associations marines s’investissaient dans les COPEC. Or il me semble, d’après le retour que nous pouvons avoir de certains collègues associatifs, notamment dans les régions françaises de l’hexagone, que ces commissions ne sont plus vraiment actives. Je crois même que nous en avions fait l’observation avec Mme la déléguée interministérielle la dernière fois qu’elle a bien voulu nous recevoir. La situation serait en suspens, en attendant l’installation du successeur de l’organisme chargé de lutter contre les discriminations. Qu’en est-il ?

Deuxièmement, je voudrais adresser une question plus pressante aux parlementaires ici présents.

En 2009, au terme des états généraux de l’outre-mer, auxquels nous avions participé, l’État s’était engagé (c’était la mesure numéro 60) à réaliser une vaste enquête publique sur les conditions de vie et de santé des Français ultramarins, vivant aussi bien dans les Outre-mer que dans l’hexagone. Pour nous, c’était important. Nous espérions disposer ainsi d’un support pour la construction d’un espace commun, d’un socle d’observation entre l’État et la société civile, et d’une source d’alimentation pour le plaidoyer de notre association. Or cette enquête n’a toujours pas été réalisée. Pourriez relancer les services de l’État ? C’est une demande que nous avons déjà présentée à Mme la ministre des Outre-mer et à Mme la déléguée interministérielle, et que nous avons l’occasion de vous présenter aujourd’hui.

M. le président Jean-Claude Fruteau. À ma connaissance, en effet, cette étude n’a pas été réalisée. Je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas tenter de la relancer.

Mme Sophie Elizéon. Comme je l’ai dit tout à l’heure, on part bien d’un « instant zéro » du tableau de bord, dont c’est la première édition. Il y en en aura une deuxième l’an prochain, et ainsi de suite au fil des ans.

L’indicateur qui vous a été présenté, parmi tant d’autres, par l’ONDOM, est bien l’indicateur de la présence, ou pas, des associations ultramarines dans les COPEC ou dans ce qui va sans doute les remplacer dans chaque région, à savoir les instances de coordination des plans régionaux de lutte contre les discriminations. S’il n’y a pas d’associations ultramarines dans ces instances, nous mettrons en place un partenariat pour qu’il y en ait. C’est bien ce chiffre-là que nous prendrons en compte au fil du temps pour mesurer l’impact de nos actions.

Dès que la donnée sera connue et dès que l’évolution territoriale aura été actée, nous allons renseigner cet indicateur et, l’an prochain, nous reviendrons vers vous pour vous dire s’il a progressé ou pas.

M. Pierre Lézeau. Je ne suis pas ultramarin, mais natif de La Désirade (Guadeloupe). Je voudrais revenir sur ce qui a été dit précédemment sur notre connaissance des personnalités antillaises, mahoraises, guyanaises, etc. Marseille est peut-être le bout du monde, reste que l’analyse statistique qui vient d’être faite ne correspond pas à la réalité du terrain de la région PACA. La raison en est simple : deux tiers des ultramarins sont installés en Île-de-France. De ce fait, la situation de la population ultramarine dans les autres régions est beaucoup plus difficile à appréhender.

Je tiens moi aussi à saluer le président Victorin Lurel. Grâce à lui nous avons pu, lorsqu’il était au ministère de l’outre-mer, mettre en place une rue Aimé Césaire à Marseille. Cela nous a demandé quatre ans de travail. Pour l’anecdote, lorsque nous avons présenté le dossier en mairie de Marseille, il a été envoyé à la commission « Autres communautés et affaires religieuses de Marseille ». Voilà la réalité ! Par la suite, l’évènement n’a pas attiré la presse. Nous n’avons eu droit qu’à une petite émission de quelques minutes sur France Ô.

La réalité de l’outre-mer, en tout cas à Marseille, en PACA n’est donc pas connue, ni repérée par les institutions. De la même façon, lorsque Maryse Condé, qui n’est pas non plus n’importe qui, est venue travailler avec nous pendant trois ans, pas un journaliste ne s’est déplacé.

Certes, nous sommes à « l’instant zéro » de l’étude statistique des ultramarins de métropole. Mais il faudra sans doute affiner l’outil de mesure et de statistique et d’appréhension de la réalité française. Car il y a d’un côté Paris, l’Île-de-France … et nous, qui sommes dans le désert français.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Merci de votre témoignage, qui confirme le manque d’intérêt des médias pour les ultramarins et leur réalité plurielle.

M. Guy Barret. Je suis le président de la Fédération ultramarine de Lorraine. Dans cette région, la situation est un peu différente, dans la mesure où les ultramarins y sont très éparpillés. Mais là aussi, nous essayons de faire comprendre que l’outre-mer ne se résume pas à son folklore, à ses danses et à son ti’punch. Malheureusement, nous sommes bien seuls. Les autorités locales, politiques ou autres, ne prennent pas en considération notre culture et notre histoire. Bien souvent, les animations que l’on nous propose le sont dans un cadre festif et très rarement dans un cadre culturel.

Je pense que l’on pourrait faire diminuer ces chiffres, qui me semblent assez alarmants, en mettant davantage l’accent sur la culture, la poésie, voire sur la philosophie. Cela permettrait que l’on reconnaisse l’outre-mer, non pas par ses couleurs, mais par sa pensée et son intelligence.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Merci de votre intervention, qui va dans le sens de ce qui a été dit précédemment.

M. Hugues Cazenave, président fondateur de la société Opinion Way. Il me revient de vous présenter les principaux enseignements de la deuxième édition de ce baromètre, dont l’objectif est d’analyser les représentations aussi bien des ultramarins vivant dans l’hexagone que de l’ensemble des hexagonaux. Cet outil permet en effet de mesurer et de comparer les deux populations sur des indicateurs identiques et sur des sujets comparables.

Nous avons interrogé deux échantillons : un échantillon représentatif de l’ensemble de la population hexagonale, et un échantillon de personnes originaires d’outre-mer vivant dans l’hexagone – dont certains avaient des parents, voire des grands-parents vivant également dans l’hexagone. Le terrain d’enquête – c’est-à-dire les dates entre lesquelles les deux échantillons ont été interrogés – est relativement récent, puisqu’il va du 11 au 25 juin 2014.

Nous avons cherché à caractériser les profils des originaires d’outre-mer vivant dans l’hexagone. Je ne détaillerai pas les chiffres, mais je vais essayer de vous donner le sens de ces résultats.

Nous avons à faire à une population un peu plus masculine (54%) que l’ensemble des hexagonaux (48%), plus jeune aussi puisque les 18-24 ans et les 25-34 ans représentent un peu plus de la moitié de cette population, et un peu plus francilienne. On l’a dit, la plus grande partie des personnes originaires d’outre-mer vit dans la région Île-de-France. Enfin, en matière de CSP (catégories socioprofessionnelles) il n’y a pas de différences significatives, si ce n’est qu’il y a beaucoup moins de retraités dans la population d’origine ultramarine que dans l’ensemble de la population hexagonale.

Nous nous sommes ensuite intéressés à différents sujets : l’état d’esprit des originaires d’outre-mer, leurs représentations, les discriminations et la représentation de l’outre-mer et des outre-mer dans les médias – déjà abordée en première partie.

Pour caractériser l’état d’esprit des originaires d’outre-mer, nous avons utilisé un outil qu’Opinion Way avait mis en place pour le CEVIPOF (Centre d’études de la vie politique française).

Dans l’ensemble, une majorité absolue d’ultramarins exprime un état d’esprit plutôt négatif : méfiance, lassitude, morosité, peur – qualificatifs cités par une proportion non négligeable d’ultramarins. Il convient cependant de signaler que cet état d’esprit négatif est moins souvent présent que dans l’ensemble de la population hexagonale. Je prendrais l’exemple de la morosité : 20% des originaires d’outre-mer citent ce qualificatif, contre 34 % pour l’ensemble de la population hexagonale. Nous avons là un premier élément de caractérisation de l’état d’esprit des ultramarins vivant dans l’hexagone : celui-ci est moins souvent négatif que celui de l’ensemble de la population hexagonale.

On remarque par ailleurs que la méfiance est citée par presque un tiers de la population des originaires d’outre-mer et que cette méfiance a progressé de 6 points par rapport à l’an dernier. Je crois qu’il faut y voir là une corrélation avec ce que l’on a dit – et que l’on va dire – sur les discriminations.

On peut également se réjouir que l’état d’esprit négatif des originaires d’outre-mer, bien qu’important, ait régressé de 9 points par rapport à l’an dernier. Comme vous pouvez le constater, nous avons un une double clé de lecture : diachronique, dans le temps, qui nous permet de comparer 2013 et 2014, et synchronique, qui nous permet de faire des comparaisons avec l’ensemble de la population hexagonale.

Maintenant, si l’on s’intéresse aux qualificatifs positifs, on a un double motif de satisfaction. Le bon état d’esprit concerne 58 % des originaires d’outre-mer et surtout, il est en progression de 11 points par rapport à l’an dernier : c’est le bien-être qui l’emporte (30%, soit une progression de 8 points) ; l’enthousiasme progresse de 7 points et la sérénité de 10.

Au final, l’état d’esprit des ultramarins est meilleur que dans l’ensemble de la population hexagonale, et il progresse également – même si la méfiance progresse elle aussi.

Après l’état d’esprit, j’en viens à l’image des ultramarins, sujet déjà abordé en introduction. Quelques résultats permettent de mieux appréhender les représentations associées aux territoires d’outre-mer.

Bien sûr, dans ces représentations, il y a des stéréotypes, des caractéristiques qui sont associées à l’outre-mer et qui sont partagées de façon largement consensuelle, aussi bien par les ultramarins vivants dans l’hexagone que par l’ensemble de la population hexagonale. Ce sont : les paysages uniques et attirants, cités par la quasi-totalité de nos deux échantillons ; le potentiel touristique, qui vient en corollaire ; l’importance de la biodiversité naturelle et des populations enrichissantes par leur diversité, deux éléments largement cités par les uns et par les autres.

D’autres dimensions sont un peu moins partagées et parfois un peu plus clivées : la capacité à ouvrir la France sur le monde est citée par 90 % des originaires d’outre-mer, contre 69 % par la population hexagonale. S’il y a une certaine convergence s’agissant de l’importance des ressources naturelles, des différences apparaissent dès lors que l’on cite les atouts de l’outre-mer dans le cadre de la mondialisation et le goût de l’innovation des populations ultramarines. Sur ce dernier point, il y a un vrai fossé entre les deux populations : 58 % des originaires de l’outre-mer, contre 38 % seulement pour la population hexagonale.

Le résultat peut-être le plus spectaculaire de ce baromètre concerne l’attirance ou la propension à l’entrepreneuriat.

La question est la suivante : « Vous, personnellement, seriez-vous tenté(e) ou avez-vous été tenté(e) de devenir un entrepreneur ? » Chez les hexagonaux, le oui est minoritaire, avec 36 % ; chez les originaires, il atteint 64 %, soit près des deux tiers.

Mais le fait que, dans l’hexagone, les personnes originaires de l’outre-mer sont plus souvent des entrepreneurs que le reste de la population – réalité mesurée par ailleurs – est une surprise aussi bien pour les hexagonaux (80%) que pour les originaires d’outre-mer (79%). Les uns et les autres, et plus particulièrement les originaires d’outre-mer, considèrent que c’est une bonne chose et qu’une telle information n’est pas suffisamment mise en valeur (76 % des hexagonaux et 87 % des originaires d’outre-mer). Sans doute, là encore, y a-t-il une responsabilité des médias. Une action en ce sens devrait être menée pour mieux diffuser cette information, très intéressante et très valorisante.

Nous avions déjà évoqué la question de la représentation, dans les médias, de la diversité des origines. Nous avons cherché ici à distinguer plusieurs sphères : la sphère médiatique, politique ou celle de la fonction publique.

À la question « Est-ce que la diversité des origines est bien ou mal représentée dans les médias ? », nos deux populations ont répondu à peu près de la même façon. Elles considèrent que cette diversité des origines est bien représentée : 63 % pour les hexagonaux, et 55% pour les originaires d’outre-mer. Cette petite différence est probablement due à un niveau d’exigence plus élevé – et bien légitime – de la part des originaires d’outre-mer.

S’agissant des autres sphères, les résultats sont beaucoup moins favorables. Dans la sphère politique, 44% des hexagonaux – donc moins d’un sur deux – considèrent que cette diversité est bien représentée, contre 34 % des originaires d’outre-mer. Dans la haute fonction publique, la proportion tombe à 40 % des hexagonaux et 30 % des originaires d’outre-mer. Dans les entreprises cotées et les grandes entreprises, elle n’est que de 37 % pour les hexagonaux et 42 % pour les originaires d’outre-mer. Il y a sans doute des efforts à faire pour améliorer la représentation des origines.

J’en viens à un sujet central, que nous avons également déjà eu l’occasion d’aborder, à savoir les discriminations et avec elles, la colonisation et l’esclavage. En parle-t on suffisamment en France ?

Une petite moitié des hexagonaux et une majorité absolue des originaires considèrent que l’on ne parle pas suffisamment des discriminations. Les résultats sont à peu près les mêmes pour ce qui concerne la colonisation et l’esclavage.

Nous avons posé la question suivante : « Diriez-vous qu’en ce moment les discriminations en France sont une chose très répandue, plutôt répondue, plutôt rare, très rare ? » Or, aussi bien pour les hexagonaux qu’a fortiori pour les originaires, ces discriminations sont considérées comme répandues : 74 % pour les premiers et 81 % pour les seconds. On est donc conscient, en France, du caractère fréquent de ces discriminations. J’observe que cette conscience varie selon l’ancienneté dans l’hexagone. Pour ceux dont les parents sont originaires d’outre-mer, ces discriminations sont encore plus fréquentes.

J’en viens à la question : « Avez-vous personnellement déjà été victime de discriminations ? » Un quart (25%) de l’échantillon hexagonal répond oui, contre 58 % de l’échantillon des personnes originaires de l’outre-mer – soit 33 points d’écart entre les deux.

Ces 58 % correspondent à un sous-total : oui, une fois (18%); oui, plusieurs fois (40%). Ce dernier pourcentage est spectaculaire, puisqu’il signifie que quatre personnes originaires de l’outre-mer sur dix ont subi à plusieurs reprises des discriminations.

Pour analyser plus finement ces discriminations et savoir sur quoi elles étaient fondées, nous avons interrogé les personnes qui nous avaient déclaré avoir été victimes de discriminations : les 25 % de la population hexagonale, et les 58 % de la population originaire d’outre-mer. Nous nous sommes alors aperçus que les discriminations fondées sur l’origine, sur l’appartenance ou non à une race, sur l’appartenance ou non à une ethnie, sont fréquentes dans les deux cas, mais évidemment malheureusement beaucoup plus fréquentes à l’encontre de la population originaire d’outre-mer – par exemple, 43 % ont été victimes de discriminations fondées sur l’origine.

Ensuite, nous avons essayé de savoir dans quels domaines et dans quelles circonstances s’étaient exercées ces discriminations. Elles s’exercent le plus fréquemment dans le domaine de l’emploi, et les différences de situation sont spectaculaires entre la population hexagonale et la population originaire d’outre-mer : ainsi, 44 % des originaires d’outre-mer, contre 17 % de la population hexagonale, nous ont déclaré avoir été victimes de discriminations à l’occasion d’une recherche d’emploi. Mais bien d’autres situations et circonstances – les relations avec l’administration, l’accès aux services bancaires, l’accès aux établissements d’enseignement en dehors de la scolarité obligatoire, et la recherche de logement – font apparaître un différentiel important entre l’ensemble de la population hexagonale et les originaires d’outre-mer.

Je terminerai sur cette question, qui a été posée aux originaires d’outre-mer : « Pensez-vous que les élus de l’hexagone (maires, députés, sénateurs) prennent suffisamment en compte les problématiques des originaires d’outre-mer ? » Les résultats se passent de commentaires : un tiers seulement des originaires d’outre-mer considèrent que leurs intérêts sont suffisamment pris en compte ; les deux tiers d’entre eux sont donc d’un avis inverse. On pourrait même insister sur ces 20 % qui considèrent que cette prise en compte n’est pas du tout effective. Je précise que lorsque l’on essaie d’analyser ces résultats par proximité partisane, on s’aperçoit qu’il n’y a aucune différence entre les sympathisants de gauche et les sympathisants de droite.

Ma conclusion portera sur trois points.

Premièrement, l’outre-mer et les ultramarins ont une image plutôt positive auprès des hexagonaux, fondée sur les territoires eux-mêmes et les atouts qu’ils représentent pour la France, et le fait que la population ultramarine est plus entreprenante que l’ensemble de la population de l’hexagone.

Deuxièmement, l’état d’esprit des ultramarins de l’hexagone est meilleur que celui des hexagonaux. Malgré tout, les ultramarins ont le sentiment d’être davantage discriminés en raison de l’origine, de l’appartenance à une race ou à une ethnie, et dans des circonstances qui sont graves, notamment parce qu’elles sont souvent liées à un sujet majeur qui est l’emploi.

Troisièmement, le sentiment que les problématiques et les intérêts des ultramarins sont encore insuffisamment pris en compte par les élus prévaut parmi les originaires de l’outre-mer.

Mme Sophie Elizéon. Comme je le disais en propos introductif, ces données du baromètre vont nous servir à la fois à alimenter les tableaux de bords et à faire correspondre –ou pas, comme on l’a constaté – la réalité de ce qui est mesuré statistiquement au ressenti de l’ensemble des ultramarins de l’hexagone et, par voie de conséquence, à orienter notre action.

Par exemple, le très fort sentiment de discrimination a un effet concret sur le niveau d’exercice de la citoyenneté, ou du moins sur le sentiment d’appartenance à la nation française. Voilà pourquoi, dans un premier temps, nous avons signé un partenariat avec les services du Défenseur des droits pour améliorer la qualification des saisines. En effet, le Défenseur des droits a à connaître des questions de discrimination et dispose de tous les pouvoirs d’action en la matière. Mais il apparaît aujourd’hui qu’entre le sentiment de discrimination – que je ne remets absolument pas en cause ici – et le nombre des saisines adressées à l’institution et au Défenseur des droits, l’écart est relativement important. Je ne connais pas le nombre des saisines du Défenseur des droits de l’année 2014, mais je sais qu’en 2013, avec un sentiment de discrimination équivalent à celui de 2014, le nombre de ces saisines était très faible, et qu’en outre, ces actions portaient surtout des questions de logement. Il est donc important d’agir sur une meilleure qualification et sur l’augmentation du nombre de saisines du Défenseur des droits. Ce sera d’ailleurs l’un des indicateurs du tableau de bord que nous avons précédemment mentionné.

Ensuite, il y a une représentation relativement stéréotypée des ultramarins, y compris chez les ultramarins eux-mêmes. L’aspect « audace entrepreneuriale et esprit d’innovation » est très peu connu sur l’ensemble du territoire hexagonal et reste une surprise pour certains et certaines d’entre nous. C’est finalement la plus grande surprise du baromètre. À nous de faire connaître cet aspect de nos compétences et de nos aptitudes. C’est tout le propos du slogan que j’ai choisi : « Les ultramarins ont de l’audace ». Les chefs d’entreprise et des représentants de réseaux de chefs d’entreprise pourront éventuellement en témoigner, mais nous avons là un vrai sujet qui nous permettrait de donner une image différente de qui nous sommes et peut-être d’en finir, ou de progresser vers la fin de cette idée qui consiste à dire que les outre-mer coûtent cher.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Le sujet est brûlant. Vous avez l’art de mettre le feu aux poudres, madame la déléguée interministérielle !

Mme Brigitte Allain. Nous avons voté hier la loi sur la transition énergétique. À cette occasion, il est apparu que les territoires ultramarins, du fait de leur géographie, étaient dans une situation bien particulière.

Nous avons constaté que, sur ces territoires, les textes limitaient le développement des énergies renouvelables à 30 %. La loi a permis une certaine évolution. Reste que, du moins pour un certain nombre d’entre eux, il serait possible d’aller vers 100 % d’énergies renouvelables. La capacité d’innovation et à l’entrepreneuriat que l’on vient de mettre en avant ne pourrait-elle pas se traduire par une politique visant à l’autonomie énergétique ? Cela montrerait que ces territoires peuvent ne pas être à la charge du reste de la Nation.

Par ailleurs, lors d’une réunion, notre Délégation a abordé la question de la gestion des déchets, qui pourrait très certainement évoluer. Il devrait être possible, dans certains territoires, de transformer ces déchets en énergie, ou du moins de faire en sorte qu’ils ne soient pas coûteux. Ce sont des décisions politiques qui les rendent aujourd’hui coûteux.

Mme Maina Sage. Je voudrais souligner le fait que nous regrettons d’avoir si peu de statistiques sur la Polynésie française et les autres territoires du Pacifique. D’une certaine manière, nous sommes doublement discriminés. Mais nous allons rester optimistes et constructifs, comme le sont une grande majorité des ultramarins en hexagone – ce qui est une belle surprise de ce baromètre.

Je voudrais faire quelques remarques sur la perception que l’ensemble des Français de l’hexagone ont des atouts de l’outre-mer. En effet, certains clichés persistent : belles destinations, belles plages, et j’en passe… Même si l’environnement de l’outre-mer constitue une richesse naturelle, cela ne doit pas occulter la richesse humaine, les activités de ces territoires, leur économie propre, qui sont de réels atouts pour la France de par le monde.

J’insiste lourdement sur ce point parce que l’on a le sentiment, lorsque l’on vient à Paris, d’être dans une démarche de demande permanente. Et de l’autre côté, on perçoit des a priori à notre égard, et une méconnaissance, de la part des élus nationaux, de ce que l’on peut apporter en échange.

Une certaine solidarité existe, entre ce que nous demandons effectivement à l’État français en raison de nos handicaps structurels ou de nos retards en matière de développement économique et social, et ce que l’outre-mer peut faire pour soutenir la France, au niveau international, comme sur des enjeux économiques ou géostratégiques forts. Vous savez que la Polynésie s’est illustrée ces cinquante dernières années dans ce domaine, puisque nous avons accueilli la politique des essais nucléaires français, ce qui n’est pas rien ; et nous restons une terre d’accueil pour la recherche et l’innovation.

Ne pourrait-on pas réaliser un audit qui servirait de base pour un programme de promotion des outre-mer, allant au-delà des aspects touristiques de la carte postale ?

Dans la même façon, ne pourrait-on pas réaliser un audit sur les moyens mis en œuvre au niveau national pour « parler de nous autrement », et cela dès l’école maternelle ? Je ne sais pas très bien, concrètement, comment l’outre-mer est intégré dans les programmes nationaux, mais en Polynésie, nous travaillons à améliorer et à affiner nos programmes, pour que nos enfants connaissent, par exemple, leur propre histoire – qu’ils connaissent moins bien que l’histoire de France. Que fait-on, dans l’autre sens, au niveau national ?

M. David Auerbach-Chiffrin. Je remercie M. Cazenave pour la qualité de sa présentation des résultats de l’étude d’Opinion Way. Celle-ci appelle quelques remarques de ma part, cette fois-ci au titre de mon investissement associatif dans le CEGOM (Collectif des états généraux de l’outre-mer).

Nous faisons un audit, qui n’a pas tout à fait ni le même périmètre ni le même objet, mais qui, par certains points, pourrait lui être comparé. La dernière édition a été réalisée auprès de 423 Français d’outre-mer à la fois dans l’hexagone et outre-mer. Sans remettre du tout en cause vos propres conclusions, on ne retombe pas tout à fait sur les mêmes résultats, notamment en matière d’esprit positif. Nos indicateurs de mécontentement, que nous ne mesurons pas de la même manière, sont plus vifs et nos retours de terrain dénotent un état d’esprit bien moins positif que ne le fait votre enquête. Mais que je prends celle-ci telle quelle, et cela alimentera notre réflexion. Un point de détail tout de même : nous sommes aussi des hexagonaux. Il y aurait donc sans doute à revoir la terminologie que vous utilisez.

Par ailleurs, je suis un peu surpris par les résultats que vous avancez, en termes d’a priori. Je suis heureusement surpris, mais j’ai l’impression que cela ne correspond pas à nos retours de terrain, nos retours associatifs et à mes propres observations.

Pour illustrer mon propos, je vous livre cette anecdote. Il se trouve que je suis membre d’un parti politique, que Mme Allain connaît bien. Le week-end dernier, j’étais au Conseil général de ce parti, son parlement interne qui se réunit tous les deux mois. Et au sein de ce parti, nous avons une commission outre-mer. Samedi dernier, le président de cette commission outre-mer monte à la tribune au cours de la discussion d’une motion générale – qui portait sur l’avenir de la République Française – pour défendre un amendement disant qu’il fallait également respecter et promouvoir la connaissance des cultures et des populations ultramarines. Une élue lui succède à la tribune et déclare : « Et puis quoi encore, on ne va tout de même pas reconnaître la polygamie à Mayotte et le cannibalisme ! » Ce n’est pas tellement ce propos délirant qui nous a stupéfaits que l’absence de réaction dans la salle. Je ne sais pas, monsieur Cazenave, si les 200 participants étaient représentatifs de la population française, mais personne ne s’est levé, personne ne s’est indigné sauf « cinq nègres au fond de la salle » – pour reprendre le propos d’Aimé Césaire. J’en faisais partie, mais nous nous sommes sentis très isolés.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Merci de votre témoignage. Je crois que parfois, les gens peuvent rester bouche bée, parce qu’ils sont stupéfaits, parce qu’ils ne peuvent pas ou ne savent pas répondre. On entend partout des propos de ce genre, parce qu’il y a des imbéciles partout et dans tous les partis.

M David Auerbach-Chiffrin. Je suis tout à fait d’accord avec vous. J’observe tout de même que nous avons demandé une interruption de séance, mais celle-ci nous a été refusée au motif que nous avions un planning chargé et que nous n’allions tout de même pas nous attarder sur toutes les bêtises qui pouvaient être dites …

M. Daniel Hierso. Je voudrais réagir à la présentation très intéressante qui vient de nous être faite. Ce qui a été dit concernant le goût des ultramarins pour l’entrepreneuriat ne m’a pas du tout surpris. Nous avions eu l’occasion d’en parler lors de votre précédente présentation. Cela nous donne d’ailleurs du baume au cœur, et je parle au nom des réseaux d’entrepreneurs dont je vois des représentants dans cette salle.

Je suis en revanche assez surpris des conclusions de l’ONDOM sur l’incapacité qu’il y a à parler de l’innovation des ultramarins. En effet, il existe depuis 2009 une « spéciale outre-mer » sur BFM Business. On publie régulièrement des articles dans La Tribune sur les réseaux d’entrepreneurs et les entrepreneurs eux-mêmes. Le journal Le Monde a sorti un récent hors série sur ce thème, et les Echos Business publient mensuellement des portraits d’entrepreneurs.

Quoi qu’il en soit, il est absolument nécessaire de faire un travail de terrain et de diffuser l’information. Alors que tout le monde parle du chômage et des problèmes d’insertion des jeunes diplômés, personne, institutionnels compris, ne s’intéresse à un forum magnifique, le Forum pro-jeunesse, présidé par Loïc Iscayes, qui rassemble toutes les associations étudiantes, qui s’étend sur plusieurs villes en France, et auquel les départements d’outre-mer sont associés. Nous-mêmes, en tant qu’entrepreneurs ultramarins, avons un programme : 500 postes à pourvoir à l’année, avec de nombreux partenaires des cabinets de recrutement.

Aujourd’hui, il est plus facile, pour les ultramarins et les réseaux d’entrepreneurs de l’hexagone, de travailler avec des réseaux d’entrepreneurs qui ne sont pas du tout communautaires. Je ne veux pas pleurnicher, mais nous avons le sentiment qu’il n’y a pas de focus sur l’entrepreneuriat (de l’outre-mer), ni sur l’idée que « les ultramarins apportent ou créent de la valeur ajoutée ». Cela se ressent en matière de réseaux et, bien entendu, en matière de financements publics. On reste sur le spectacle, sur la culture et sur le mémoriel.

Je pense que votre enquête révèle qu’il y a effectivement un lobbying à faire en direction des fondations d’entreprises privées. Il faut engager une vraie politique pour améliorer l’attractivité de nos territoires.

Je lancerai un appel en faveur d’un grand forum qui se tiendra en décembre au Grand Palais. Tout le CAC 40 y sera, mais nous ne sommes que deux ou trois à y venir régulièrement. Nous avons pourtant, parmi nos adhérents, des personnes qui sont au cœur des projets énergétiques emblématiques de l’outre-mer, comme le projet ITM en Martinique ou le projet Greentech à La Réunion.

Oui, il faut le faire savoir, il faut aider les jeunes pousses à se monter et à survivre. Car si les créations d’entreprises sont nombreuses, le taux de mortalité est élevé, ce qui n’apparaît pas dans le baromètre. Nous devons donc soutenir cet effort de création et de développement d’entreprises, et aider par tous les moyens, y compris institutionnels, les réseaux d’entrepreneurs qui agissent concrètement sur le terrain.

Mme Sophie Elizéon. Je voudrais donner une précision concernant l’audace entrepreneuriale des ultramarins de l’hexagone. On s’aperçoit, compte tenu du profil de la population interviewée, qu’il ne s’agit pas du tout pour eux de pallier à une absence d’emploi salarié. Le taux d’activité des personnes interviewées n’a rien à envier à celui des autres hexagonaux. Il s’agit donc bien d’un choix, clairement déterminé, de s’engager vers l’entrepreneuriat.

Sur la veille médiatique, comme je l’ai déjà dit, nous en sommes à « l’instant zéro ». Nous n’avons évidemment pas épluché l’ensemble des médias, pour l’instant en tout cas, mais nous avons sciemment choisi des médias extrêmement généralistes, et pas des hors série qui titrent sur l’entrepreneuriat ou des émissions particulières. D’où ce résultat assez décevant. Mais l’intérêt ne réside pas dans ce que l’on en dit aujourd’hui. Il réside dans ce que l’on en dira l’année prochaine, l’année suivante. Cela permettra de voir si cet indicateur évolue et si tout ce que l’on dit depuis deux ans sur l’audace entrepreneuriale se confirme.

Notre objectif était de vous présenter ce tableau de bord, mais il sera beaucoup plus intéressant d’en discuter l’année prochaine. En revanche, nous pouvons tirer du baromètre certains enseignements, et en particulier qu’il est nécessaire de diffuser des informations sur nos atouts, nos compétences, nos aptitudes, y compris en dehors de nos propres réseaux. Il est agréable de se dire entre soi que l’on est excellent, mais cela ne change pas les mentalités. L’enjeu est d’aller le dire ailleurs.

M. Victorin Lurel. Je suis agréablement surpris par la qualité de ces deux enquêtes et par leurs conclusions. Je félicite la Délégation d’avoir pris l’initiative de dire, d’une certaine manière, ce que nous sommes. J’avoue que les pourcentages sur l’optimisme, l’enthousiasme et la sérénité des ultramarins m’étonne et, en même temps, m’interpelle.

Sur les échantillons qui ont servi aux enquêtes, j’aimerais savoir comment vous avez procédé. Notre collègue Gosselin a évoqué les difficultés que nous rencontrons en matière de statistiques, et l’on peut s’interroger à propos de l’échantillon, sur sa fiabilité et sur les conclusions que l’on peut en tirer, d’autant plus que la culture française ne permet pas de statistiques ethniques. Cette question est d’ailleurs récurrente. Il y a quelques années déjà, au sein de mon propre parti, le débat avait été assez « animé ». Dernièrement, Esther Duflo, une économiste française qui s’est prononcée en faveur de telles statistiques, a été pratiquement « vilipendée » dans notre pays.

Il est exact que nous rencontrons de vrais problèmes de connaissances, et qu’il y a de vraies béances statistiques sur ce que nous appelons « notre communauté », que j’aurais plutôt tendance, pour ma part, à qualifier d’ « agrégat statistique ». Je ne suis pas sûr en effet que la manière de voir les choses et d’envisager l’avenir soit la même pour nos compatriotes qui vivent dans le Sud, pour ceux qui vivent en Île-de-France ou ceux qui vivent dans les grandes métropoles. Il est d’ailleurs bien difficile de fédérer tout ce monde-là même si, depuis une vingtaine d’années, une sorte de convergence se crée, ce dont je suis très heureux. De plus en plus en effet, les Antillais et les Réunionnais se fréquentent davantage, se mobilisent ensemble, et trouvent des intérêts communs pour agir.

Il manque à mon sens à cette étude des éléments sur le statut matrimonial des ultramarins de l’hexagone. J’aimerais bien savoir comment nous vivons ici, d’autant plus qu’il subsiste en outre-mer des rémanences de la société coloniale et post-coloniale. Je veux parler de la « matri-focalité » ou, plutôt, d’une certaine prééminence des femmes au sein des familles. Je me demande si on la retrouve dans l’hexagone.

J’observe par ailleurs que le rôle des associations y est considérable. C’est peut-être une façon de mieux connaître le vécu de nos compatriotes.

S’agissant des discriminations, on parle de ce qui se passe dans l’hexagone. Mais il faut savoir que nos sociétés sont inégalitaires, qu’il y a des discriminations, qu’il peut-être lourd d’y vivre et d’y supporter le regard de l’autre. L’interconnaissance peut-être un enfer. Ce n’est pas que je condamne l’insularité, mais il y a sans doute encore un long cheminement à faire dans nos têtes en matière de tolérance. Il y a sans doute aussi à tenter de diagnostiquer ce que l’on appelle en créole « mès é labitid an nou » (« ce sont nos coutumes »). La régularité de cette étude devrait permettre d’avoir une vision diachronique de la question.

S’agissant de l’entrepreneuriat, je ne suis pas surpris. Ce n’est pas seulement une façon de se créer un travail. On ne le sait pas, mais la plupart des régions d’outre-mer sont parmi les plus créatives de France. À l’époque, la Guadeloupe, la Martinique et La Réunion étaient en concurrence avec la Seine-saint-Denis ; je serais d’ailleurs curieux de connaître la composition sociodémographique de ces départements, et leur créativité en termes d’entrepreneuriat. En outre, c’est dans ces régions que les entreprises vivent le plus longtemps, et que le taux de succès après cinq ans est le plus élevé.

On a beau vouloir le dire, ce n’est pas suffisamment reçu : les stéréotypes que l’on a contre les ultramarins perdurent. On pense, par exemple, que sont des gens qui vocifèrent ou qui se complaisent dans l’assistanat. Mais ce n’est pas le cas. Bien sûr, chez nous, il y a du chômage, mais on y crée beaucoup d’entreprises qui vivent plus longtemps que la moyenne de celles qui sont créées dans l’hexagone. D’ailleurs, dans nos communautés, il y a moins d’inactifs, et les gens sont parfois plus diplômés que la moyenne. Il y a des cadres, ce que l’on ne sait pas. Cette réalité mériterait d’être mieux explorée, mieux exploitée et mieux connue. Les élus devraient s’en emparer pour la faire connaître et mieux la diffuser.

Sur la connaissance de la première, de la deuxième, de la troisième génération, il y a manifestement un problème. Où en est le rapport avec les cultures ultramarines ? Est-ce qu’un jeune réunionnais, guadeloupéen, martiniquais de la troisième génération parle encore le créole ? Quels sont les rapports avec les religions ? Chez nous, quoi qu’on en dise, les gens fréquentent encore les églises. Cela peut étonner dans l’hexagone, dans une république laïque. Ce qui constitue un contrôle social continue à s’exercer là-bas, alors qu’il est de plus en plus lâche ici.

Reste un sujet un peu délicat à évoquer : la conversion dans les grandes religions du Livre et parfois, pour certains, la radicalisation. Je ne prétends pas ici qu’il y aurait une propension des ultramarins à épouser d’autres confessions. Dans les statistiques un peu confidentielles que le ministère de l’Intérieur nous transmet, apparaît cette fragilité que certains ont pu qualifier d’anthropologique. On le vit ici : à la troisième génération, une rupture se créée : les jeunes ne connaissent plus les territoires, ne parlent plus la langue, ne vont plus à l’église. Face aux grandes religions, on sent parfois un manque d’adossement. Il nous faut peut-être exercer une meilleure vigilance, sans pour autant exercer un contrôle social.

Je tiens maintenant à revenir sur le propos de Daniel Hierso. Pendant près de trois ans, à l’antenne de la région, au 284 du boulevard Saint-Germain, j’ai fait venir régulièrement depuis la Guadeloupe un cadre pour créer des entreprises dans l’hexagone. Par exemple, je m’étonnais qu’à Paris, il n’y ait que deux ou trois restaurants réunionnais et très peu de restaurants guyanais et guadeloupéens – et je ne parle pas de la Polynésie – alors que notre gastronomie est formidable. J’aurais aimé la faire rayonner partout, en tout cas dans les grandes métropoles hexagonales, avec nos danses et notre culture. Or pendant trois ans, je n’ai pratiquement pas vu passer de vrai dossier de création d’entreprise. J’ai donc dû renoncer Pourtant, Bertrand Delanoë et Jean-Paul Huchon, que j’avais contactés à l’époque, auraient été prêts à financer des projets. Il est intéressant de constater que ce que j’ai vécu ne correspond pas aux résultats de l’enquête. Cela correspond à ce que nous vivons outre-mer, mais pas ici.

Nous allons malgré tout essayer de recommencer pour voir s’il est possible d’accompagner la création d’entreprises, en allant dans tous les salons, séminaires et colloques. Le potentiel est là. Simplement, il y a un écart entre ce que nous vivons, ce que nous savons en petit groupe et ce que l’opinion publique hexagonale sait. Il y a donc un effort de communication à faire pour mieux nous faire connaître et apprécier.

Mme Audrey Célestine, docteure en sciences politiques. C’est une lourde tâche que de donner sur cette question et en dix minutes un point de vue universitaire. Je ferai néanmoins quelques remarques, à la fois sur les données qui ont été présentées mais aussi sur les réactions de la salle. Cela permettra peut-être, en cette période de fête de la science et de mobilisation du monde scientifique, de montrer que la science n’est pas le fait de personnes isolées dans leur tour d’ivoire et déconnectées du réel.

Sur tous ces enjeux de migration, d’installation, d’incorporation des gens d’outre-mer dans l’hexagone, les chercheurs ont une approche à long terme, qui privilégie le temps long par rapport aux instantanés et aux « instants zéro ». Il convient ainsi de replacer ce qui a été dit dans un temps plus long, qui est celui de la recherche sur l’outre-mer et de l’histoire des personnes en provenance de l’outre-mer.

Je ferai une observation à propos de l’audace des gens d’outre-mer. Cette audace ne date pas d’aujourd’hui. Dans un premier temps, il fallait avoir l’audace de partir de chez soi et de fuir la misère. Mais aujourd’hui, cette audace perdure. Les nouvelles générations continuent de partir. Pourtant, on ne meurt plus de faim. Si l’on part, c’est parce que les évolutions de nos sociétés nous ont poussés à aspirer à autre chose, à plus grand (par exemple quand on vient d’une petite île comme la Martinique), à plus loin. Et c’est tout cela qui fait la réalité ultramarine – je ne suis pas sûre non plus d’aimer le terme – dans l’hexagone.

En tout cas, cette catégorie d’ « outre-mer » est clairement devenue une catégorie politique mobilisée, comme le faisait remarquer le ministre, M.Victorin Lurel. Il se passe quelque chose depuis une vingtaine d’années, qui est à replacer dans une tendance longue.

L’usage des termes d’outre-mer, d’ultramarin, est passé dans le langage commun. Et ces termes ne s’appliquent pas seulement à des territoires qui seraient outre-mer, mais également à des populations. On a parlé aujourd’hui de « populations ultramarines ». Cela ne plaît pas à tout le monde. L’un des intervenants ne s’est-il pas présenté comme venant de La Désirade, et non de l’outre-mer ? Pour autant, le terme est de plus en plus utilisé et tend à recouvrir suffisamment de choses pour que l’on organise aujourd’hui, à l’Assemblée nationale, une présentation d’enquête qui porte sur l’outre-mer. C’est révélateur de la mobilisation et de la construction de certains intérêts qui seraient communs.

Selon moi, l’image très positive dont semblent bénéficier aujourd’hui les personnes originaires d’outre-mer et l’outre-mer est à mettre en rapport avec un certain nombre d’actions menées depuis une ou deux décennies. Je pense à l’année des Outre-mer, en 2011, aux mouvements de 2009 qui ont contribué à mettre en avant la complexité des situations sociales et politiques en outre-mer, mais également aux actions d’un certain nombre d’acteurs associatifs qui émaillent la vie des personnes originaires d’outre-mer depuis le début de la migration massive – comme le CASODOM (Comité d’action sociale en faveur des originaires des départements d’outre-mer en métropole) dont certains représentants sont ici présents.

Mais cette image positive n’est-elle pas liée aussi au fait que, pour beaucoup de Français, les personnes d’outre-mer font partie de leur quotidien ? Ce sont des gens qui travaillent dans les administrations qu’ils fréquentent, dans les entreprises qu’ils peuvent solliciter, qui organisent des manifestations dans tous les coins de France. Même si ces manifestations ne sont pas forcément reliées par les médias, elles révèlent un ancrage local qui fait sens pour un certain nombre de personnes. Ce sont des gens qui envoient leurs enfants dans les écoles, certains d’entre eux y enseignent, etc. Ce quotidien fait que depuis une, deux ou trois générations, on se connaît, on se fréquente, des relations amicales se nouent, et des mariages ont lieu.

Cela justifie que l’on aille au-delà des enquêtes statistiques et que l’on essaie de mieux connaître ce qui se fait à un niveau qualitatif – recherches au long cours, recherches ethnographiques.

Avec un certain nombre de collègues, nous essayons de fédérer tout ce qui se fait en termes de recherches sur l’outre-mer et sur la migration des populations originaires des Outre-mer. Sur l’expérience des personnes originaires des Outre-mer dans l’hexagone, nous avons établi 50 pages de bibliographie, dont des travaux qui ne sont pas nécessairement connus ni même publiés. Certains ouvrages ont été écrits au début des années 60 et d’autres beaucoup plus récemment. Tout cela contribue à documenter, et peut-être à mieux comprendre et à mieux saisir une partie des chiffres, mais également les contradictions sur lesquelles certains intervenants ont insisté tout à l’heure. Car venir d’un territoire situé outre-mer et s’installer ici constitue une expérience complexe.

Ces enquêtes sont effectivement lisibles immédiatement –et nous avons mis en avant trois résultats importants. D’autres enquêtes, d’autres travaux, sur le long terme, donnent à voir une réalité parfois plus complexe. Mais je pense que si nous sommes là, c’est parce que nous sommes prêts à nous confronter à cette complexité qui n’est pas non plus exagérée.

Cela nous renvoie à la question de la visibilité qui, pour certaines personnes, constitue un enjeu important. Aujourd’hui, nous avons été nombreux à déplorer l’absence de visibilité de l’outre-mer, notamment dans les médias, etc. Pour autant, il faut envisager la visibilité uniquement comme un moyen, et pas seulement comme une fin. Que gagne-t-on à être plus visible ? En a-t-on terminé pour autant ? Pas nécessairement. Pourquoi faut-il être plus lisible ? À quoi sert, à terme, une meilleure visibilité ? Sans doute à mieux se connaître. Mais il me semble que l’action doit aller au-delà de cet enjeu de visibilité, si important soit-il.

Ensuite, le fait que l’état d’esprit des ultramarins de l’hexagone serait plus positif que celui de la population hexagonale a été évoqué par l’ensemble des intervenants. Mais à côté des représentations, il y a les pratiques et il serait important de se faire une idée de ces pratiques et des raisons pour lesquelles cet état d’esprit serait plus positif. On peut ainsi émettre un certain nombre d’hypothèses, comme l’existence d’une vie collective structurée qui permet d’avoir un état d’esprit positif en dépit du contexte national un peu morose. Reste que, pour étudier les pratiques, on se heurte là encore à l’insuffisance des outils statistiques, malgré des tentatives de construction statistique pour mieux connaître la réalité de l’outre-mer, notamment en hexagone. Je pense évidemment aux travaux de Claude-Valentin Marie, que vous êtes nombreux à connaître ici.

Sur la question de la discrimination, il y a énormément à dire. Les chiffres sont assez alarmants, dans la mesure où ils traduisent des sentiments de discrimination relativement importants. En outre, les enquêtes qualitatives, l’enquête ethnographique, les situations d’entretien, révèlent une tendance à minimiser les discriminations et le racisme – lequel n’est d’ailleurs pas directement évoqué. En effet, parce qu’ils n’ont pas les mots pour le dire, parce que certains clichés font d’eux des personnes susceptibles, toujours en train de se plaindre, les gens ont tendance à se limiter et à taire certaines situations. Voilà pourquoi il est nécessaire de disposer de véritables outils permettant de mesurer les pratiques.

Les résultats des enquêtes ethnographiques menées dans les offices d’HLM sont affolants, s’agissant des pratiques discriminatoires. Par exemple, on ne met pas dans tel immeuble tel type de population ; une personne noire qui travaille sera l’équivalent d’un blanc qui ne travaille pas. Pour saisir ce genre de pratiques, il faut faire de la recherche pendant deux, trois ou quatre ans dans un office d’HLM.

Je terminerai sur l’intérêt ou les intérêts des populations d’outre-mer. On observe en effet depuis vingt ans des convergences : des mobilisations se font, des ponts se construisent entre ici et les là-bas. Mais qu’est-ce que c’est que l’intérêt ultramarin ? On évoquait tout à l’heure le fait que les élus ne prenaient pas suffisamment en compte les intérêts des personnes originaires de l’outre-mer ? Mais quels intérêts ? Nous sommes, là encore, renvoyés à la complexité de la situation de ces populations, de leurs enfants, et parfois de leurs petits-enfants dont on finit par ne plus savoir exactement d’où ils viennent.

On a mis en avant la plurivocité des Outre-mer, en parlant justement « des » outre-mer et non plus de l’outre-mer. Aujourd’hui, ce pluriel est important, non pas seulement parce que la diversité est bonne pour la France et la République, mais parce que, entre les différents territoires, mais également entre les différentes générations, entre Paris et la province, les intérêts des populations ne sont pas nécessairement les mêmes. On parlait tout à l’heure du monde entrepreneurial. J’ai eu le plaisir de mener, il y a quelques mois, une enquête sur les organisations patronales d’outre-mer avec une collègue du pôle universitaire de la Martinique : les intérêts du patronat de la Martinique ne sont pas non plus les mêmes, selon que l’on est importateur ou que l’on produit sur place.

En conclusion, se confronter à la complexité de nos territoires et de nos populations est essentiel si l’on veut mener à bien le travail qui consiste à mettre en avant, mais également à accompagner l’audace des personnes originaires de l’outre-mer, notamment ici, dans l’hexagone.

M. Bruno Lee. On parle beaucoup de discriminations. Mais pour changer le monde, nous devons aussi nous changer nous-mêmes. Il faudrait, notamment, que les jeunes ultramarins ; qui sont en effet diplômés, puissent revenir au pays et apporter leur contribution au développement économique de nos territoires.

Nos associations reçoivent beaucoup de business plans de projets vraiment innovants, ainsi que de nombreux CV. Il faudrait réfléchir concrètement à la façon de soutenir ces projets et de leur donner de la visibilité – label, validation régionale, etc. Il faudrait aussi mettre en place un dispositif pour accompagner le retour au pays de nos jeunes.

Je lance donc un appel, un cri du cœur aux élus présents dans la salle. Le président Lurel nous a dit qu’il avait essuyé un échec. Mais en tant qu’associatifs, nous sommes là pour faire ce travail. Servez-vous des associations, dans quelque domaine que ce soit. Utilisez la société civile. Il arrive très souvent que la puissance publique se trompe de cible ou de stratégie. Venez nous voir, nous sommes présents et nous voulons aider.

M. Jean-Louis Galou. Je profite de l’occasion pour faire passer un message : nous sommes une association ultramarine qui existe depuis 1989. Tous les ans, nous organisons une semaine, voire une quinzaine culturelle sur la ville de Savigny-le-Temple. Je m’étonne que nous n’ayons jamais obtenu aucune aide des collectivités locales pour nous assister dans cette tâche.

Nous essayons de faire la promotion d’auteurs, d’ouvrages, de films, de musiques, et même d’organiser des conférences sur l’économie, mais nous avons du mal à trouver du soutien auprès de certains services. Il est visiblement plus facile de soutenir une manifestation festive, un bal ou un concert, que de subventionner la culture que tout le monde glorifie pourtant. Je fais cette remarque en tant que président d’association.

En tant qu’individu, je suis originaire des Antilles, installé en métropole depuis 1978. Avec un accent territorial bien prononcé, il n’était pas facile de trouver un emploi. On m’a fait comprendre que je n’étais pas un Français originaire de la métropole. Mais il ne faut pas s’arrêter à cette discrimination, et il faut se battre pour aller de l’avant.

Aujourd’hui, malgré toutes ces barrières, j’ai pu me construire une vie relativement intéressante en tant que président d’association et en tant qu’individu. Mais pour revenir à des choses beaucoup plus concrètes, je voudrais vous donner cet exemple : ma compagne est professeure d’allemand, ce qui, pour une personne noire, peut paraître bizarre. Est-ce que le fait d’être ultramarin, d’enseigner une matière qui n’est pas conforme, fait déjà de nous une bête curieuse ?

J’aimerais maintenant revenir sur le problème suivant : en tant qu’ultramarins, nous ne sommes pas assez présents dans les institutions. Nous nous contentons souvent d’habiter une ville sans en être les partenaires. Mais une ville, c’est un endroit où l’on vit, où l’on va peut-être vieillir, où nos enfants vont grandir. Il y a très peu d’ultramarins dans les partis politiques ou au sein d’une municipalité. De ce fait, nous n’arrivons pas à faire passer nos idées. Il faut aller à la rencontre des autres, ne serait-ce que pour voir ce que font les autres communautés et s’en inspirer.

Malgré tout ce qui a été dit à propos des discriminations, je pense que nous avons pris conscience de notre valeur et de notre capacité à réussir. Mais il faut le faire savoir. Chaque année, à travers mon association, nous essayons justement de mettre en avant les Outre-mer en organisant différentes manifestations et en proposant différentes prestations. Si vous souhaitez nous aider, vous pouvez prendre contact avec moi.

Mme Catherine Jean-Joseph. Je voulais juste revenir sur le terme de « visibilité ». Je viens des médias, j’ai été responsable artistique à la fiction française à France 2 et à TF1, et j’ai créé, l’association « École miroir »  une école de formation d’acteurs pour les jeunes talents émergents des quartiers.

Les médias sont censés être le reflet de la société. Or ce n’est pas le cas. Et lorsque ce n’est pas le cas, c’est la porte ouverte à l’ignorance, à la discrimination et au racisme. En effet, les gens se forgent une image de l’autre par rapport à ce que disent les médias.

Aujourd’hui, dans mon école, nous avons réussi à interpeller beaucoup de personnes et dernièrement, celles de la Fondation Robert Kennedy. Nous avons organisé un spectacle au Sénat avec Kerry Kennedy sur les droits de l’homme, parce que nous défendons les mêmes valeurs. De fait, quand on est visible, on arrive à toucher beaucoup de monde. Depuis deux ans, les équipes de TF1 nous suivent. J’en profite pour dire que le 2 novembre prochain, un documentaire sur l’école, intitulé « Les enfants du miroir », passera dans le magazine « Reportages » après le 13 heures de Claire Chazal.

La visibilité nous aide énormément, ne serait-ce qu’à enfoncer les portes. Aujourd’hui où nous vivons à l’ère du numérique et de l’internet, tout le monde a besoin d’être représenté.

M. Segbedj Roussselin. J’aimerais connaître le devenir de cette enquête, qui me semble constituer un outil intéressant, notamment pour les associations. Où va-t-on la trouver ? Dans la pratique, comment pourra-t-on s’en servir ?

Mme Sophie Elizéon. Je l’ai dit en préambule : l’action de la Délégation s’articule autour de trois axes : prévenir, corriger et diffuser. Cette enquête-baromètre a donc toute sa place dans cette action : prévenir – plutôt le grand public – pour apporter une connaissance différente de celle dont on a l’habitude pour battre en brèche les stéréotypes ; corriger pour servir de point de départ à des actions concrètes en direction des ultramarins sur des sujets où l’on voit bien qu’il y a de la discrimination ; diffuser pour sensibiliser l’ensemble des services de l’État à cette situation particulière.

L’ensemble de nos travaux est régulièrement mis en ligne sur notre site, www.ultramarins.gouv.fr, que je vous invite à consulter. Nous publions une lettre d’information où sont repris un certain nombre d’éléments. Je peux donc vous assurer que ces éléments seront mis à votre disposition.

M. Pierre Lezeau. Je viens d’un secteur de la ville de Marseille où nous avons le seul élu Front national, d’une circonscription où nous avons un des deux seuls parlementaires Front national. Je viens d’un quartier de Marseille où il y a des Antillais, des Guyanais, des Mahorais. Je viens chercher un peu d’aide, qui nous permettrait de nous structurer.

On a parlé de visibilité et on a dit que les ultramarins devaient être représentés dans la plupart des instances. Je rejoins ce que disait l’un des intervenants à propos des COPEC. Il faut nous aider dans nos quartiers en difficulté, notamment à monter des conseils citoyens, prévus par la loi de février 2014. Nous devrions y avoir toute notre place. Nous en discuterons très prochainement avec Mme Elizéon.

M. David Auerbach-Chiffrin. L’association « Tjendbé Red » lutte depuis dix ans contre l’homophobie et contre le sida au sein et aux côtés des populations ultramarines. Il est en effet important dénoncer les discriminations. Encore faut-il être clair sur les discriminations en question.

Comme le disait très justement M. le ministre Victorin Lurel, les sociétés d’interconnaissance apportent beaucoup de chaleur, mais peuvent aussi faire vivre l’enfer. Je pense tout particulièrement aux personnes lesbiennes, gays et trans et aux personnes vivant avec le VIH au sein des populations ultramarines. Ce sont deux exemples, mais on pourrait en prendre d’autres. Il me paraît important d’avoir ce regard sur soi, et de ne pas se contenter de porter un regard sur les autres.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Je passe maintenant la parole à Mme George Pau-Langevin, à laquelle je souhaite la bienvenue au sein de la Délégation aux outre-mer de l’Assemblée nationale.

Madame la ministre, c’est la première fois que j’ai le plaisir de vous accueillir ici. Je pense que ce ne sera pas la dernière. En tout cas, je vous remercie d’être venue ce matin et vous donne la parole pour clore cette matinée.

Mme George Paul-Langevin, ministre des outre-mer. À mon tour de vous remercier de m’avoir conviée à clôturer cette rencontre. Je salue évidemment Mme la déléguée interministérielle. Je salue également les députés présents et les présidents d’association, que j’ai toujours plaisir à rencontrer. Nous nous connaissons parfois depuis des années et au fil du temps, nous avons suivi la façon dont notre population s’intégrait au sein de la société française.

Je pense que cette initiative est importante. Nous avons besoin de mieux connaître les réalités pour pouvoir proposer des politiques publiques. Malgré le grand nombre de rapports produits sur un certain nombre de sujets qui nous concernent, nous manquons parfois d’une vision actualisée.

Vous avez évoqué les travaux de Claude-Valentin Marie, qui sont d’une qualité remarquable. Mais nous savons bien que celui-ci a buté sur un obstacle méthodologique ou de principe, lié au fait que nous en sommes à la troisième ou quatrième génération d’ultramarins installés en métropole. Les uns et les autres se sont souvent perdus de vue. Aujourd’hui, il est difficile de faire des enquêtes statistiques complètes. On ne peut procéder que par des sondages, des photographies prises à un « instant t », et à partir d’échantillons.

Ce que vous nous présentez aujourd’hui est tout à fait intéressant. En effet, nous-mêmes, qui vivons dans ce pays, avons intégré certains des stéréotypes affectant les originaires d’outre-mer en métropole. Ce travail nous aide à voir qu’ils ne sont pas exacts.

Claude-Valentin Marie avait déjà démontré que, contrairement à l’image de nonchalance qu’on lui accole, la population originaire d’outre-mer est la plus active. Toutes les femmes travaillent dans la communauté antillaise. Au moment de la retraite, les gens repartent souvent au pays. Statistiquement, c’est le groupe qui travaille le plus en France, ou du moins qui a le plus fort taux d’activité.

Un autre stéréotype est en train de tomber : les originaires d’outre-mer étaient vus comme « la nation des fonctionnaires ». Cela se comprend, puisque l’avantage du congé bonifié ne s’applique pas dans le secteur privé. Mais vous nous montrez que les originaires d’outre-mer s’impliquent dans l’entrepreneuriat. Peut-être que la jeune génération, dont les parents vivaient tranquillement comme fonctionnaires, s’est dit qu’il lui fallait passer à autre chose et s’est intéressée à l’entreprise ? Peut-être qu’elle s’est lancée dans l’entrepreneuriat pour se créer des emplois ? Il y a dix ans, le taux de chômage était très important dans la deuxième génération. Il serait bien de creuser un peu plus la question.

En tout cas, cela confirme ce que vous disiez, à savoir qu’on peut considérer que ces jeunes ultramarins ou descendants d’ultramarins ont de l’audace. Pour ma part, j’ai toujours pensé que les émigrants ont un esprit de pionniers. Cela demande du caractère et je ne suis pas étonnée que des jeunes, dont les parents ont su s’arracher à leurs habitudes pour chercher une vie meilleure, aient hérité de leur audace et puissent faire preuve d’esprit d’entreprise.

Vous avez dit que les ultramarins avaient une assez bonne image et vous vous êtes demandé si la manière de faire des ultramarins les avait fait connaître et apprécier. Je suis assez d’accord avec cette idée.

Dans ma génération, les associations étaient très actives, elles organisaient de nombreuses manifestations, des bals, des fêtes – dont on avait tendance à se moquer. J’ai toujours été convaincue que c’était un moyen d’intégration très important. Cela permettait aux gens de retrouver un peu du pays avant de se replonger dans la vie et dans le travail. Cela permettait aussi – même si cela n’attirait pas les grands médias – de tisser un lien avec la population d’accueil. Je crois que cela a contribué à améliorer l’image des migrants antillais.

À propos d’image, j’ai une observation à faire. Traditionnellement, le rapport de la Commission des droits de l’homme publie un petit sondage destiné à montrer comment sont perçus les différents groupes qui vivent en France. Cela m’a permis de constater à plusieurs reprises que les ultramarins ont plutôt une bonne image, ce que j’ai trouvé réconfortant. Cette image est d’ailleurs meilleure que celle des noirs, ce qui est un peu contradictoire. Or le dernier rapport ne prend plus en compte les ultramarins et s’intéresse seulement à la façon dont sont perçus les noirs. Cela m’a causé un choc : cela signifie que la catégorie juridique dans laquelle nous nous trouvons a disparu en France ! Je m’en suis entretenue avec la présidente de la Commission des droits de l’homme qui m’a répondu que la discrimination était une question de couleur de peau et que, par conséquent, il n’y avait pas de raison de prendre en compte l’origine. Pour moi, ce n’est pas satisfaisant car il y a tout de même, quoi qu’on en dise, une sorte de communauté d’esprit, d’histoire, de culture dans les différentes régions des Outre-mer. Je trouve donc dommage, y compris pour la conception que la France peut avoir de son peuple, de faire disparaître une catégorie qui contribue depuis longtemps à sa diversité.

Je pense que mon intervention a déconcertée la présidente de la Commission. Je vous incite néanmoins à veiller à ce genre de choses. En effet, il n’est jamais bon qu’un pays ne se rende plus compte de sa composition plurielle. C’est plutôt un facteur d’affaiblissement de faire disparaître les ultramarins dans l’ensemble français.

Je crois moi aussi qu’il faut lutter contre les discriminations. Seulement, je remarque qu’on a tendance à les sous-estimer. Or on n’arrive pas à traiter un problème que l’on ne nomme pas. Bien sûr, on n’a pas à crier au loup devant chaque difficulté de la vie quotidienne. Mais on doit faire en sorte de mettre en avant ce problème de discrimination pour pouvoir le résoudre et réussir l’intégration la plus harmonieuse possible.

Si l’on veut que les ultramarins, et notamment les jeunes générations, se sentent totalement partie prenante de ce pays, il faut que nous soyons présents dans tous les moments mémoriels – en particulier, au moment de la commémoration de la Première et de la Deuxième guerre mondiale. C’est une manière de rappeler que le gens ne sont pas là simplement par tolérance, mais parce qu’ils ont voulu défendre la France, adhérer aux valeurs de ce pays, parce que notre histoire commune dure depuis longtemps.

Il faut aussi, au jour le jour, mener une véritable action de lutte contre les discriminations. Voilà pourquoi ce que fait Sophie Elizéon est extrêmement important. Mais il faudrait que ce soit encore plus visible. Comme vous l’avez dit, il se passe souvent des choses intéressantes, mais les autres ne s’en rendent pas compte.

Monsieur Auerbach-Chiffrin, vous avez raison de dire que nous devons lutter contre toutes les discriminations, et qu’il n’y a aucune fraction du peuple qui en soit exempte. Il nous faut donc combattre les discriminations et les préjugés dont peuvent être victimes les originaires de l’outre-mer, que ces discriminations et préjugés viennent ou non de l’extérieur. Certains préjugés et stéréotypes peuvent affecter certaines fractions de nos populations. Dans les Outre-mer, nous avons un souci avec l’homophobie. C’est la raison pour laquelle la prévention et la lutte contre le sida ne sont pas menées avec autant d’efficacité qu’il le faudrait. Nous avons le projet, avec Mme Elizéon, d’intensifier le travail en ce domaine. Sachez qu’au 1er décembre, au ministère des Outre-mer, nous allons lancer une initiative visant à impliquer au maximum les élus et les associations dans la lutte contre l’homophobie et contre le sida – même si, dans les Outre-mer, le sida est surtout le fait d’hétérosexuels.

Évidemment, nous continuons à suivre de très près les initiatives des associations. Je suis notamment très contente de voir qu’aujourd’hui les jeunes prennent les choses en main et essaient d’avancer sur des questions comme leur insertion professionnelle, qui est très préoccupante. Comme on dit aux Antilles, il faut que chacun « lutte pour son âme ».

Mais s’il faut effectivement lutter contre les discriminations et faire en sorte que les jeunes et les moins jeunes arrivent aux plus hautes responsabilités dans ce pays, il faut aussi faire en sorte que les jeunes puissent trouver de l’emploi à tous les niveaux quand ils rentrent ou quand ils souhaitent rentrer. Or pour l’instant, nous ne sommes pas totalement satisfaits de ce qui se passe.

Dans le cadre du Pacte de responsabilité, nous nous efforçons d’aider les entreprises et d’alléger leurs charges afin de faciliter l’emploi dans les outre-mer. Par ailleurs, je veille attentivement à ce que la commande publique, qui est considérable dans les Outre-mer, prenne en compte l’emploi des ultramarins, et notamment des jeunes ultramarins. Avec la Délégation, nous contribuons à former beaucoup de jeunes, et je ne comprends pas que l’on n’arrive pas à les faire embaucher dans les Outre-mer à un niveau de salaire suffisant. Aujourd’hui, c’est pour nous une tâche prioritaire.

Lors de ma visite à La Réunion, l’été dernier, j’ai été interpellée assez vivement par des manifestants qui exprimaient leur volonté de pouvoir travailler au pays. L’expérience n’a rien d’agréable, mais je reconnais qu’ils posaient ainsi une vraie question : que faire et comment s’y prendre pour que l’argent public qui est versé, notamment par les régions, pour la formation des jeunes ultramarins et qui est versé sous forme de commande publique sur les outre-mer, puisse mieux profiter à l’emploi outre-mer ?

Je sais bien – pour y avoir beaucoup travaillé quand j’étais députée – qu’il y a un certain nombre de verrous juridiques. Mais je pense qu’aujourd’hui, compte tenu de la gravité de la situation de l’emploi et de l’emploi des jeunes dans les Outre-mer, nous devrions tout de même pouvoir faire évoluer la situation. Les associations sont à même de faire des choses assez simples comme, par exemple, créer des réseaux. Le problème est que souvent ceux qui offrent l’emploi ne sont pas en relation avec la personne qui a la compétence. Les réseaux sociaux peuvent toutefois y contribuer. Reste que l’emploi est indispensable si l’on veut que les jeunes d’outre-mer aient confiance dans le modèle républicain. On ne peut pas accepter des taux de chômage à de tels niveaux. En tout cas, je suis prête à soutenir les associations et les initiatives en faveur de l’emploi.

Ensuite, le président de l’association de Marseille a insisté sur le fait qu’il fallait que les originaires d’outre-mer se comportent comme des citoyens à part entière et que, par conséquent, dans la ville où ils sont présents, ils puissent continuer à défendre les valeurs de la République, ces valeurs qui nous protègent et qui sont à l’origine de l’abolition de l’esclavage. Je suis d’accord avec lui. C’est particulièrement important dans les régions où l’on a l’impression que le pacte républicain est en danger.

Il avait été question d’inaugurer un collège Aimé Césaire à Marseille. Je suis toujours d’accord pour le faire. En tant qu’originaires d’outre-mer, nous devons être partout, en tête de la lutte pour les valeurs de la République.

Nous sommes enfin conscients du fait que, nés dans des endroits assez éloignés de l’hexagone, nous participons au rayonnement de la France dans le monde. Et nous devons être également conscients – je pense plus particulièrement aux jeunes qui sont nés et qui ont grandi ici – que la présence des ultramarins n’est pas une charge pour la République, mais un atout et qu’en toute hypothèse, ils un rôle à jouer à l’avant-garde de la défense des valeurs de la République.

Quoi qu’il en soit, je vous remercie pour cette initiative, qui m’a donné l’occasion de m’adresser à vous.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Mesdames et Messieurs, il ne me reste plus qu’à vous remercier d’être venus ce matin à l’invitation conjointe de la Délégation aux outre-mer et de la déléguée interministérielle à l’égalité des chances des Français des outre-mer. Merci, madame Elizéon, d’avoir été la cheville ouvrière de cette matinée. Merci, madame la ministre des Outre-mer, pour vos propos.

La séance est levée à 13 heures.