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Délégation aux outre-mer

Mardi 10 février 2015

Séance de 10 heures 30

Compte rendu n° 7

Présidence de M. Jean-Claude Fruteau, président

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales, de la santé et des droits des femmes et de Mme Georges Paul-Langevin, ministre des Outre-mer sur le projet de loi relatif à la santé (n°2302).

La séance est ouverte à 10 heures 30.

Présidence de M. Jean-Claude Fruteau, président.

La Délégation procède à l’audition de Mme Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales, de la santé et des droits des femmes et de Mme Georges Paul-Langevin, ministre des Outre-mer sur le projet de loi relatif à la santé (n° 2302).

M. le président Jean-Claude Fruteau. Mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour entendre Mme Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, et Mme George Pau-Langevin, ministre des Outre-mer, sur le projet de loi relatif à la santé. Je vous remercie, Mesdames les ministres, de votre présence parmi nous.

Je rappelle que ce projet de loi a été déposé le 15 octobre 2014 à l’Assemblée nationale par Mme Marisol Touraine. Notre collègue, Mme Monique Orphé, a été désignée rapporteure sur ce texte par la Délégation le 4 novembre suivant. Le projet de loi devrait être discuté en première lecture au cours du mois d’avril 2015, mais la rapporteure devra bien évidemment rendre son rapport avant cette date, afin que les amendements qu’elle préconisera puissent être examinés par la commission saisie au fond, c’est-à-dire la commission des Affaires sociales. En l’occurrence, la Délégation se réunira demain à 16 heures 30 pour examiner le projet de rapport de Mme Orphé.

Notre sentiment à la Délégation est que la santé dans les Outre-mer est une question relativement spécifique.

Le système de santé dans les Outre-mer, comme l’a indiqué le rapport de la Cour des comptes consacré à cette question et paru en juin 2014, est une organisation qui, en dépit d’un certain nombre d’aléas et de particularités, fonctionne à peu près correctement ou du moins aussi bien que possible.

Mais, à côté de cela, cette organisation présente des difficultés récurrentes qui nécessitent des solutions particulières.

On notera, notamment, que les populations des Outre-mer sont moins bien desservies en termes de professionnels de santé que dans l’hexagone ; que le nombre de lits pour 100 000 habitants dans les établissements de santé y est également moins important que dans l’hexagone.

On notera également une propension à certains types de dépendances à un âge souvent moins élevé que dans l’hexagone – en fait à partir de cinquante ans – ce qui fait que les personnes dépendantes sont proportionnellement plus nombreuses outre-mer qu’en métropole.

On distingue, outre-mer, des maladies infectieuses mal éradiquées, comme la tuberculose ou la typhoïde, et d’autres, relativement nouvelles, qui sont tout aussi difficiles à combattre, comme la dengue ou le chikungunya ; il existe également des maladies chroniques, comme le diabète ; enfin, on constate la présence de conduites addictives qui frappent certaines catégories de la population – par exemple l’addiction à l’alcool.

Compte tenu de l’ensemble de ces phénomènes, il nous a paru dommage que le projet de loi ne comporte pas de volet outre-mer.

Nous avons bien compris que bon nombre des mesures contenues dans le projet de loi « santé » avaient vocation à s’appliquer directement dans les Outre-mer, du moins dans les DOM, sans qu’il soit nécessaire de prévoir des aménagements distincts.

Néanmoins, nous pensons que tous les problèmes sanitaires qui se posent au sein des Outre-mer ne sont pas totalement traités dans le projet de loi et, à défaut de « volet outre-mer », nous voudrions réinsérer dans le texte des mesures de nature à apporter quelques remèdes aux dysfonctionnements les plus sensibles. Mme Orphé vous en parlera tout à l’heure dans son intervention.

À présent, Mesdames les ministres, je vous propose de procéder de la manière suivante : Mme Touraine pourrait nous faire une présentation du texte, et plus particulièrement des articles dont la Délégation s’est saisie, c’est-à-dire les articles 1, 3, 4, 5, 7, 12, 18, 26, 37, 38 et 56 ; la présentation se ferait en insistant, naturellement, sur l’incidence des dispositifs prévus par ces articles dans les Outre-mer ; ensuite, Mme Pau-Langevin pourrait nous apporter l’éclairage du ministère des Outre-mer sur ce texte ; puis, je donnerai la parole à Mme Orphé qui posera la première série de questions ; enfin, je passerai la parole aux autres membres de la Délégation qui pourront également vous interroger.

Mme Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Madame la ministre, Monsieur le président, Madame la rapporteure, Mesdames et Messieurs les députés, c’est effectivement un texte important que cette loi de santé qui doit permettre de s’attaquer à la racine des inégalités de santé en favorisant la prévention, l’accès aux soins et l’innovation. Le projet de loi fait du renforcement de la place de la médecine de proximité un nouveau cadre de prise en charge, et c’est dans ce cadre que nous devons définir notre stratégie dans les Outre-mer.

J’ai parfaitement conscience des difficultés que rencontrent les territoires ultramarins en matière de santé, même si ces difficultés sont différentes suivant les territoires, comme j’ai pu m’en rendre compte en me rendant sur place à différentes reprises.

Il existe un décalage manifeste avec la métropole, avec des contrastes selon que l’on parle des territoires du Pacifique, de l’océan Indien ou des Antilles. Or ceux-ci sont des territoires à part entière de la République et à ce titre, l’égalité d’accès aux soins doit y être assurée autant qu’en métropole. Cette égalité d’accès aux soins est pour moi l’un des fils conducteurs de mon action, et nous devons être attentifs aux facteurs de décalage existant entre les territoires ultramarins et les territoires hexagonaux.

Nous connaissons ces facteurs. D’abord, la faiblesse des indicateurs socio-économiques se traduit de façon directe sur la santé des habitants, s’agissant en particulier des maladies transmissibles et vectorielles, des maladies chroniques comme le diabète et l’obésité, et des risques environnementaux. Ensuite, le système de soins y est moins structuré qu’en métropole et, en tout cas, de façon plus récente ; la prévention reste insuffisante, les soins ambulatoires sont inégalement accessibles, parfois inexistants et les hôpitaux connaissent des difficultés réelles. Enfin, l’éloignement et l’isolement géographique, en particulier dans certains territoires insulaires, compliquent encore la donne.

Depuis bientôt trois ans, un certain nombre d’actions résolues ont été prises en faveur de la santé dans les territoires d’outre-mer. Je tiens à rappeler les choix que j’ai faits.

J’ai voulu en premier lieu accompagner les hôpitaux, qui connaissent de réelles difficultés, en leur allouant des aides exceptionnelles et en les confortant dans leurs investissements. J’ai eu l’occasion d’inaugurer un nouvel hôpital à La Réunion. En Guyane, nous accompagnons la reconstruction du centre hospitalier de l’Ouest guyanais, à Saint-Laurent du Maroni ; un autre projet est actuellement en cours d’expertise pour l’hôpital de Cayenne. En Martinique, nous finançons le projet de mise aux normes parasismiques du CHU. Enfin, en Guadeloupe, nous finalisons l’étude du projet de reconstruction du CHU. Celui-ci doit passer en COPERMO, le Comité interministériel de la performance et de la modernisation de l’offre de soins, qui permet de lancer les investissements, un premier signal ayant déjà été adressé il y a quelques semaines.

Au total, c’est un investissement de l’ordre d’un milliard d’euros que nous consacrons aux Outre-mer. C’est donc un engagement fort et décisif.

Je me suis également mobilisée dans la lutte contre les maladies vectorielles, ces maladies transmissibles liées aux moustiques, comme la dengue ou le chikungunya. Je me suis rendue sur place pour soutenir les services de l’État et les services locaux, notamment régionaux, et mesurer les difficultés éprouvées par les populations qui luttent, notamment, contre le chikungunya – même si cette maladie est à l’origine de rumeurs et d’idées fausses, qu’il convient de combattre. À la suite de ces déplacements, j’ai autorisé le remboursement des tests diagnostiques, facilité l’accès aux traitements symptomatiques, renforcé la couverture des arrêts maladie par l’assurance maladie et mis en place un suivi spécialisé des syndromes post-chikungunya.

Les attentes en matière de santé sont fortes en outre-mer et requièrent la définition d’une stratégie spécifique permettant la mise en place de solutions particulières.

Monsieur le président, vous avez regretté que le texte ne comporte pas des mesures plus identifiées en direction des Outre-mer. Je vous répondrai que les dispositions prévues sont destinées à s’appliquer dans les Outre-mer comme partout sur le territoire, que dans la mesure où la loi cible tout particulièrement les situations de difficultés d’accès aux soins ou vise à amener les populations, notamment les plus fragiles, à adopter des comportements leur permettant de bénéficier d’un meilleur état de santé, elle s’applique tout particulièrement aux territoires ultramarins. Au-delà, je vous rappelle qu’un article d’habilitation permettra d’adopter, par voie d’ordonnance, des mesures spécifiques aux DOM et aux COM. C’est pour cela que, dès à présent, avec Mme George Pau-Langevin, nous mettons en place une stratégie de santé pour les Outre-mer. Et pour en marquer l’importance, j’en confierai le pilotage au secrétaire général de mon ministère qui travaillera ainsi étroitement avec la Direction générale des Outre-mer.

Il ne s’agit pas de concevoir un nouveau plan santé outre-mer, mais de définir une nouvelle approche de l’action de l’État dans ces territoires en matière de santé. Elle s’appuiera notamment sur les constats établis par la Cour des comptes dans son rapport sur la santé dans les Outre-mer. En particulier, il faudra éviter les écueils du plan de santé outre-mer de 2009 qui a pâti d’une faible impulsion stratégique, d’un manque de financements associés, d’un défaut d’objectifs chiffrés, ou encore de l’absence de dispositifs d’évaluation. Et selon moi, sans impulsion stratégique ni dispositifs d’évaluation, on est absolument certain, sinon d’aller à la catastrophe, du moins d’être réduit à l’inaction et à l’immobilisme.

Nous avons une exigence : celle de veiller au rattrapage des Outre-mer en matière de santé, de lutter résolument contre les inégalités, de renforcer la prévention et de mieux organiser les prises en charge : autant d’objectifs que je porte dans la loi de santé et qui doivent pouvoir trouver une déclinaison particulière.

Cette loi sera le moteur de la stratégie de santé des Outre-mer. Comme je vous le disais à l’instant, elle s’adresse tout particulièrement aux Outre-mer, indépendamment même de l’article d’habilitation.

Les priorités que nous avons identifiées pour les Outre-mer, et qui ont été rappelées par la Cour, sont les priorités de la loi de santé.

Je citerai d’abord le combat contre l’obésité et le diabète, qui sont des enjeux très identifiés outre-mer. L’amélioration de l’information sur la qualité nutritionnelle permettra à chacun, et notamment aux plus défavorisés, d’avoir accès sous une forme simple à l’information utile pour bien se nourrir. Cela vient compléter le travail déjà effectué avec la loi visant à garantir la qualité de l’offre alimentaire en outre-mer, votée en juin 2013. Son arrêté d'application est en cours de validation interministérielle et nécessitera une notification à la Commission européenne. Il devrait pouvoir être publié avant la fin de l’année 2015.

Je citerai ensuite la priorité donnée aux enfants et aux jeunes. Pour agir dès le plus jeune âge, le projet de loi crée un statut de médecin traitant de l’enfant. Il permettra de mieux mobiliser les pédiatres et les généralistes investis au quotidien auprès des enfants pour généraliser les comportements de prévention dès la petite enfance.

Nous avons par ailleurs la volonté de combattre les grossesses précoces, enjeu majeur qui préoccupe beaucoup d’entre vous. Une mesure facilite l’accès à la contraception d’urgence pour les mineures auprès des infirmières scolaires, en levant les conditions restrictives existantes, en particulier la condition de détresse caractérisée. Cette mesure est cohérente avec la gratuité de la contraception pour les mineures, que j’ai introduite en mars 2013. Une autre mesure du projet de loi permettra aux sages-femmes de pratiquer des IVG médicamenteuses. Là encore, il s’agit d’un pas supplémentaire en faveur de l’accès à l’IVG, désormais remboursée à 100 % et dont l’acte a été revalorisé afin de soutenir les établissements de santé. Ceux-ci n’auront donc aucune raison de ne pas s’engager dans cette activité.

Une autre priorité, le combat contre les infections sexuellement transmissibles – et notamment le VIH, qui sévit toujours de façon massive en outre-mer – est explicitement identifiée dans la loi. En matière de dépistage, trop souvent tardif, en particulier en outre-mer, il faut désormais aller de façon volontariste vers les populations les plus éloignées du soin. La généralisation de l’accès aux tests rapides d’orientation diagnostique et la mise à disposition des autotests seront des atouts pour ces territoires.

Le combat contre le renoncement aux soins pour des raisons financières est lui aussi un enjeu outre-mer. Une mesure du projet de loi instaure un tarif social en matière optique, dentaire et audio-prothétique pour les bénéficiaires de l’Aide à la complémentaire santé. Enfin, le tiers payant doit simplifier l’accès des assurés aux consultations de ville.

Sur chacun de ces sujets, nous veillerons, avec l’article 56, à adapter les dispositions proposées aux spécificités ultramarines. Je veillerai à ce que l’ensemble des textes d’application des mesures que j’ai pu évoquer aujourd’hui – ce qui vaut bien sûr pour toutes les autres mesures – prennent systématiquement en compte les particularités de vos territoires.

Cette politique suppose que nous favorisions l’installation des professionnels. C’est tout l’enjeu du Pacte Territoire Santé en outre-mer – et l’objet de mon déplacement, en particulier à La Réunion.

L’offre de soins ambulatoires est encore trop hétérogène outre-mer, inégalement accessible et déséquilibrée par rapport à l’offre hospitalière. À ce constat s’ajoute un double effet démographique : une population, et donc une demande de soins, qui augmente d’une part, et une pénurie de médecins induite par le mouvement des départs à la retraite d’autre part.

La lutte contre les déserts médicaux est l’une des priorités de mon action depuis mon arrivée à la tête de ce ministère. Pour améliorer l’accessibilité géographique de l’offre de soins, j’ai donc lancé le Pacte Territoire Santé dès décembre 2012.

Dans le cadre de ce pacte, j’ai voulu développer le nombre de stages en médecine générale pour donner envie aux jeunes de s’installer en ville. Ainsi, en Guadeloupe, 50 maîtres de stages sont désormais formés. De même, grâce à des bourses versées à des étudiants qui s’engagent à s’installer dans des territoires qui manquent de professionnels, je garantis le maintien de la présence médicale. Un effectif de 3 étudiants en a bénéficié à La Réunion et de 32 en Guadeloupe.

Nous avons mis en place un cursus complet d’études médicales aux Antilles-Guyane et dans l’océan Indien. Ce renforcement de la formation pourra, à terme, favoriser l’installation de jeunes médecins formés aux pathologies rencontrées outre-mer. En outre, les CHU ultramarins ont récemment bénéficié de 7 nouveaux postes d’enseignants hospitalo-universitaires – 5 aux Antilles-Guyane et 2 à La Réunion. J’ai pu constater, lors de mes déplacements, l’intérêt pour ces créations de postes. De fait, celles-ci constituent à la fois une garantie de formation dans la durée et un signal, pour les jeunes étudiants, qu’ils peuvent envisager une carrière sur place.

J’ai également encouragé la création de maisons de santé pluridisciplinaires, qui apportent une solution aux problèmes de démographie médicale en attirant, notamment, les jeunes professionnels et en développant une prise en charge coordonnée autour du patient. À La Réunion, depuis 2012, 10 nouvelles maisons et pôles de santé se sont structurés et regroupent aujourd’hui plus de 64 professionnels dont 20 médecins.

Par ailleurs, le développement de la télémédecine, initié depuis plus de dix ans en Guyane, permet à tous les patients ultramarins de bénéficier de soins répondant à leur état de santé sans subir d’évacuation sanitaire. De nouveaux projets sont en cours de déploiement, comme par exemple un projet de télé-AVC, qui permet un diagnostic rapide à distance pour pallier l’éloignement de certains territoires.

Le projet de loi de santé devrait permettre d’adopter prochainement des mesures innovantes pour améliorer la densité médicale libérale outre-mer.

La stratégie de santé pour les Outre-mer devra également prendre en compte les spécificités ultramarines et permettre d’agir sur les déterminants de santé.

La prise en compte de la diversité des territoires et de leurs problématiques est une nécessité. Il s’agit, d’une part, de s’appuyer sur l’ensemble des plans de santé publique ou des programmes d’action existants, en nous assurant, à chaque fois, que les particularités des Outre-mer ont été identifiées et prises en compte ; d’autre part, de s’appuyer au niveau local sur les projets régionaux de santé et sur les études conduites dans les territoires.

Permettez-moi d’illustrer mon propos par quelques exemples.

À Mayotte et en Guyane – mais cela vaut également, bien sûr, pour d’autres territoires – l’hôpital est un acteur clé de la santé de proximité de ces territoires, compte tenu de la difficulté qui existe à structurer une médecine libérale de proximité. Le renforcement de l’attractivité des affectations à Mayotte et en Guyane pour les professionnels de santé est donc une exigence qui requiert des mesures spécifiques.

À Wallis-et-Futuna, l’état de santé de la population est particulièrement dégradé. La dépense de santé par habitant est l’une des plus faibles de France. L’exigence d’un soutien plus important s’impose à nous. C’est pourquoi des propositions ont été faites pour apurer les dettes accumulées par l’Agence de santé de Wallis-et-Futuna depuis de nombreuses années et augmenter son budget.

Sur l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon où le nombre des évacuations sanitaires reste élevé, les coopérations hospitalières doivent être renforcées.

À La Réunion, la prévalence du diabète impose de mobiliser de nombreux leviers.

La stratégie de santé pour les Outre-mer doit donc nous conduire à intégrer dans l’ensemble de nos plans de santé publique – qui existent par ailleurs – et dans l’ensemble de nos actions une déclinaison ou une adaptation aux réalités ultramarines pour répondre aux défis qui leur sont propres.

Elle doit également reposer sur une intervention coordonnée des pouvoirs publics pour agir sur les déterminants de santé.

Plusieurs ministères élaborent ou ont élaboré des réformes qui ont un impact sur la santé ou sur les déterminants de santé des territoires ultramarins : le Plan logement outre-mer ; la convention avec les Centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active (CEMEA) pour renforcer l’éducation dans les territoires ultramarins ; la loi sur la transition énergétique qui doit s’adapter aux spécificités de chaque territoire ; la déclinaison spécifique du Programme national nutrition santé 2011-2015 pour les départements ultramarins – surtout pour l’obésité et le diabète.

Dans le cadre de ces différentes programmations, la question de la santé dans les Outre-mer doit être posée autour d’objectifs parfaitement identifiés : réduction des inégalités de santé, accès aux soins, structuration de l'offre de soins, mise en place de politiques de prévention. Autant d’enjeux, Mesdames et Messieurs les députés, que je souhaite porter pour l’ensemble de nos concitoyens, de métropole comme d’outre-mer.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Merci, Madame la ministre, pour ce tour d’horizon très complet, qui illustre bien la nécessité de porter un regard particulier sur l’outre-mer. Sachez en tout cas que notre Délégation veillera à ce que jamais l’outre-mer ne soit ni oubliée, ni ignorée, ni sous-estimée.

Mme George Pau-Langevin, ministre des Outre-mer. Madame la ministre Monsieur le président, Madame la rapporteure, Mesdames et Messieurs les députés, je tiens tout d’abord à remercier la Délégation pour cette invitation à venir m’exprimer, conjointement avec ma collègue, sur le projet de loi relatif à la santé, tant le sujet est important en outre-mer.

Dans un premier temps, je souhaite vous dire toute mon inquiétude quant aux différentes épidémies de dengue et de chikungunya, phénomènes nouveaux sur nos territoires, qui deviennent un enjeu de santé publique majeur sur le plan de la prévention tant en matière de lutte anti-vectorielle – et vous le rappeliez, chère collègue, lorsque vous évoquiez votre mobilisation et celle de vos services – qu’en matière de vaccination. Je crois que la France est pionnière en ce domaine et qu’un vaccin contre la dengue a été développé et sera bientôt produit par Sanofi-Pasteur ; il serait bien sûr très important pour les Outre-mer de pouvoir en disposer.

Mais vous le rappeliez, Madame la ministre, votre projet de loi a pour principal objectif de s’attaquer à la racine des inégalités de santé, véritable injustice dont les premières victimes sont les plus modestes. Je m’y associe pleinement, tant les départements et les collectivités d'outre-mer sont touchés par ces inégalités, et je partage votre constat concernant les décalages qui existent avec la métropole en matière de santé. Malgré d’importants rattrapages au cours de ces dernières années, il y a encore beaucoup à faire.

À ce titre, je tenais à vous remercier des efforts budgétaires que vous avez consentis, soit près d’un milliard d’euros, en cette période contrainte, pour accompagner les hôpitaux : à La Réunion, où vous avez inauguré le nouveau CHU ; en Guyane, avec les centres hospitaliers de l’Ouest guyanais et de Saint-Laurent du Maroni – dont j’ai eu l’occasion de poser la première pierre ; à Cayenne, où l’hôpital a été rénové ; en Martinique, où le CHU sera bientôt mis aux normes parasismiques ; en Guadeloupe, où le projet de reconstruction du CHU devrait voir le jour prochainement ; à Mayotte, où j’ai visité une nouvelle maternité tout à fait performante et où la mise à niveau des équipements du bloc opératoire du centre hospitalier a été annoncée par le Président de la République lors de sa dernière visite sur le territoire. Il faut reconnaître qu’en raison de la situation de la médecine libérale à Mayotte, les services hospitaliers jouent un rôle essentiel. Autant d’investissements qui permettront un rattrapage immobilier nécessaire pour un accueil et un accès aux soins de qualité.

Je voulais également vous remercier pour le rattrapage effectué dernièrement en matière de ressources hospitalo-universitaires avec la création de 5 postes de PU-PH (professeurs des universités-praticiens hospitaliers), 3 aux Antilles et 2 à La Réunion, afin de renforcer les capacités d’encadrement et de recherche dans les CHU ultramarins.

Vous avez souligné notre décision commune de mettre en place une stratégie de santé pour les Outre-mer, pilotée par nos deux administrations. C’est bien une nouvelle approche de l’action de l’État dans ces territoires en matière de santé qu’il faut redéfinir.

En tant que ministre des Outre-mer, j’ai la charge de veiller à la coordination de l’ensemble des politiques publiques dans les départements et les collectivités ultramarines et, à ce titre, je suivrai la bonne mise en application de nos actions et de nos décisions communes pour atteindre l’objectif fixé par ce projet de loi.

Certains souhaitaient que ce projet comporte un titre spécifique à l’outre-mer. Cela n’a pas été possible. Peut-être pourra-t-on introduire un certain nombre de mesures par amendement. Quoi qu’il en soit, l’article 56 permettra de prendre par ordonnance toutes mesures d’extension et d’adaptation aux Outre-mer.

Madame la ministre, les priorités que vous avez énoncées sont celles du ministère des Outre-mer.

C’est le cas du combat contre l’obésité et le diabète. En effet, tous les territoires ultramarins sont touchés par ce fléau et mon prédécesseur, M. Victorin Lurel, avait fait voter une loi qui, bien qu’en grande partie applicable, nécessitait la publication d’un arrêté qualifiant les taux de sucre dans les denrées, laitages et sodas de fabrication locale. Je sais que les ministères de la Santé et de l’Agriculture travaillent conjointement à la levée d’une contrainte technique par le ministère de l’Économie pour que cet arrêté soit publié dans les meilleurs délais. Ce texte permettra, avec les actions spécifiques d’éducation et de promotion de la santé mises en place dans les écoles, et l’information sur la qualité nutritionnelle des produits, de lutter efficacement contre l’obésité et le diabète. J’ajoute que la liste des produits prévue par la loi relative à la régulation économique dans les Outre-mer devrait être de nature à faciliter l’accès à une alimentation de qualité.

Nous saluons bien évidemment la priorité donnée par ce projet de loi aux enfants et aux jeunes puisque, dans les Outre-mer, les populations sont souvent extrêmement jeunes. La création d’un statut de médecin traitant de l’enfant permettra de mieux mobiliser les pédiatres et les généralistes investis au quotidien auprès des enfants, et de généraliser les comportements de prévention dès le plus jeune âge.

Par ailleurs, le combat contre les grossesses précoces est un enjeu de santé que nous suivons nous-mêmes très attentivement, et une cause de décrochage scolaire contre laquelle nous luttons.

Le ministère des Outre-mer apporte chaque année un soutien financier aux associations menant des actions visant à la santé sexuelle et affective dans les collectivités ultramarines, en concertation avec les déléguées régionales aux droits des femmes. Depuis plusieurs années, par exemple, il vient en appui au Planning familial qui mène, dans les cinq départements d’outre-mer, des actions en lien avec les associations locales. Il est également intervenu dans le financement des enquêtes KABP conduites aux Antilles-Guyane et à La Réunion.

Le combat contre les infections sexuellement transmissibles, et notamment le VIH-SIDA, encore présent de manière importante en outre-mer et plus particulièrement aux Antilles-Guyane, est également une de mes priorités.

Outre-mer, la lutte contre ce phénomène passe par une libération de la parole. En effet, dans ces sociétés assez prudes, les personnes atteintes par le VIH ne se font pas dépister et souvent n’en parlent pas. Craignant de faire l’objet de discriminations dans le travail, dans la famille, elles se retrouvent souvent seules dans leur combat au jour le jour avec cette maladie. Voilà pourquoi nous essayons de mobiliser les associations, nationales et locales, de lutte contre le SIDA et les acteurs de la recherche. Le simple fait que le ministère s’implique permet de libérer la parole.

Nous travaillons ainsi à une exposition itinérante sur le VIH/SIDA en direction du grand public, et aussi à une politique plus ambitieuse d’éducation à la vie affective et sexuelle au sein du monde scolaire, politique qui permettrait de faire progresser le niveau d’information sur le VIH/SIDA et de lutter contre les discriminations et l’homophobie, dont le niveau est très élevé dans certains territoires.

Nous souhaiterions la mise en place, dans chaque DOM, d’une structure fixe de prévention et d’information pour les 13-25 ans. Cette structure serait chargée d’organiser l’accueil des jeunes par des animateurs pour évoquer ces thématiques, en prenant comme modèle ce qui est fait par le Cybercrips, porté par la région Île-de-France.

L’émergence d’un collectif « Femmes et VIH » serait à favoriser, d’une part pour libérer la parole des femmes séropositives qui y verraient un lieu d’accueil confidentiel, et d’autre part pour faire émerger une vraie prévention au féminin. En effet, les femmes des Outre-mer paient un lourd tribut à cette maladie.

Il conviendrait également d’organiser, via des unités mobiles, des opérations ciblées de dépistage rapide, en direction des populations particulièrement exposées.

Je tiens à signaler qu’en Guyane, les populations de l’Ouest, qui sont éloignées des centres de santé, rencontrent davantage que les autres des problèmes pour se faire prendre en charge d’une manière raisonnable. Sans compter la difficulté, pour des populations qui n’ont pas de papiers, de se déplacer et d’arriver à Cayenne pour s’y faire soigner. Nous devons travailler sur ces questions, notamment avec le ministère de l’Intérieur, pour que les considérations de santé publique pèsent autant que la nécessité de lutter contre l’immigration clandestine.

Enfin, la généralisation du tiers payant qui est prévue par le texte nous semble tout à fait importante. En ce domaine, les DOM ont joué un rôle précurseur. En effet, le tiers payant est généralisé à La Réunion depuis déjà un certain temps. En tout cas, nous souhaitons, compte tenu de la situation précaire de nombreuses personnes très modestes outre-mer, que cette mesure y soit mise en œuvre le plus rapidement possible.

Dans le cadre d’une stratégie de santé pour les Outre-mer, nous aurons à examiner des situations un peu particulières. Par exemple, Mayotte, la Guyane, Wallis-et-Futuna sont les reflets les plus criants de la désertification médicale contre laquelle ce projet de loi essaie de lutter. Nous regarderons donc très attentivement tout ce qui, dans ce projet de loi, concerne la recherche et l’innovation, l’hôpital et les groupements hospitaliers territoriaux – qui ont un rôle à jouer en matière de formation, de recherche et d’innovation – et le développement des pôles d’excellence – qui sont susceptibles d’attirer les jeunes médecins et de valoriser les territoires ultramarins. On a annoncé l’installation de jeunes praticiens à Mayotte. Mais il faudra s’assurer que les conditions faites aux jeunes dans les territoires un peu éloignés des Outre-mer sont suffisamment attractives.

Je crois que si cette stratégie de santé pour les Outre-mer doit répondre à des enjeux et à des besoins sanitaires spécifiques pour lutter contre les inégalités sociales de santé, elle doit également tenir compte de ses richesses géographiques, sociales, culturelles, économiques et environnementales qui offrent des opportunités multiples et uniques de recherche dans le domaine de la santé publique.

Enfin, Madame la ministre a insisté sur l’intervention coordonnée des pouvoirs publics concernant leur action sur les déterminants de santé. Je m’inscris totalement dans cette démarche et vous rappelle que nous sommes à l’origine de plusieurs initiatives, dont la convention avec les CEMEA, qui pourront intervenir auprès des jeunes et former un certain nombre d’intervenants.

Mesdames et Messieurs les députés, le ministère des Outre-mer a la charge de coordonner les interventions de l’État en matière de politiques publiques. En matière de santé aussi, il fera preuve de la plus grande attention. Nous sommes persuadés que ce projet de loi sera une véritable avancée pour les Outre-mer. Nous y travaillerons avec vous durant les prochains mois. Nos territoires ont bien besoin, comme la Cour des comptes l’a rappelé, d’enregistrer des progrès sensibles en matière d’accès aux soins.

Mme Monique Orphé, rapporteure. Monsieur le président, Madame la ministre des Affaires sociales, madame la ministre des Outre-mer, mes chers collègues, la santé est un facteur d’épanouissement humain et concerne tout un chacun. Elle est d’ailleurs prise en compte pour mesurer l’indice de développement humain – IDH – d’un pays. En 2010, les IDH des territoires ultramarins montraient un retard variant entre douze et trente ans avec la France hexagonale. Ce retard prouve que, malgré des avancées considérables dans le domaine économique, social et environnemental, de graves inégalités persistent.

Vous l’avez dit, Madame la ministre, il y a un décalage entre les territoires ultramarins et la métropole. C’est ce que rappelle la Cour des comptes dans son rapport publié en juin 2014 sur la santé en outre-mer.

Je citerai six secteurs où la différence entre la situation sanitaire des collectivités ultramarines et celle de la métropole est patente.

D’abord, en matière de mortalité maternelle, néonatale, périnatale et infantile, les taux sont deux fois plus élevés dans les DOM qu’en métropole, alors que les moyens médicaux déployés sont sensiblement les mêmes. En particulier, les taux de mortalité infantile sont préoccupants. En 2012, pour quelque 50 000 naissances annuelles dans les DOM et en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et à Wallis-et-Futuna, alors que le nombre d’enfants nés vivants et décédés dans l’année en métropole est de 3, il est de 4 en Nouvelle-Calédonie, de 5 à Wallis-et-Futuna, de 7 en Polynésie française, de 8 en Martinique et à La Réunion, et de 9 en Guadeloupe et en Guyane.

Ensuite, les jeunes filles ultramarines sont surexposées aux risques de grossesse précoce.

Selon une enquête conduite en 2011-2012 par l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES) en Martinique, en Guadeloupe et en Guyane et qui vient de paraître à la Documentation française, sur un échantillon représentatif d’environ 700 femmes de 18 à 54 ans dans chacun de ces DOM, 21 femmes de 18 à 24 ans en Guadeloupe et 29 femmes de la même tranche d’âge en Martinique et en Guyane ont eu à affronter une grossesse imprévue sur les cinq dernières années.

Par ailleurs, toujours selon la même enquête, lorsque l’on demande aux femmes quelle a été l’issue de cette grossesse non prévue, 42 % des femmes de 18 à 24 ans répondent qu’elle a abouti à une interruption volontaire de grossesse. La situation est préoccupante quand on sait qu’en 2012, le taux d’IVG était de 14,5 pour 1 000 femmes entre 15 et 49 ans dans l’hexagone, contre 25,3 pour 1 000 femmes dans les Outre-mer, et de 14 pour 1 000 pour les jeunes filles entre 14 et 19 ans dans l’hexagone, contre 33 pour 1 000 dans les Outre-mer.

Le troisième secteur où l’on note des différences notables entre l’hexagone et les Outre-mer est celui des pathologies : certaines sont inconnues en métropole, d’autres présentent des prévalences différentes.

Parmi les pathologies inconnues en métropole, on peut citer la dengue qui touche les Antilles et la Guyane, et le chikungunya qui avait très violemment frappé La Réunion en 2004 et qui s’est propagé aujourd’hui en Martinique, en Guadeloupe et en Polynésie. Par ailleurs, le paludisme reste présent de manière endémique en Guyane.

Parmi les pathologies présentant une prévalence particulière, on peut citer l’infection au VIH qui est plus développée qu’en métropole, ainsi que le diabète et l’hypertension artérielle qui sont souvent des conséquences du surpoids et de l’obésité.

En outre, de nombreux phénomènes addictologiques (drogue, alcool, tabac) sont plus importants dans les DOM et doivent être considérés comme des priorités de santé publique. Je prendrai comme exemple l’alcool, qui est la deuxième cause de mortalité à La Réunion.

On observe également une plus faible densité médicale par rapport à la métropole. C’est valable pour les praticiens hospitaliers, mais aussi pour les médecins exerçant en médecine libérale. Ainsi, en 2012, alors que le nombre des médecins généralistes est en moyenne de 106 pour 100 000 habitants en métropole, il est de 80 en Guadeloupe, 81 en Martinique, 47 à la Guyane et 13 à Mayotte.

Seule La Réunion enregistre un chiffre plus élevé qu’en métropole : 117 médecins généralistes pour 100 000 habitants. Mais ce chiffre est à mettre en balance avec un plus faible taux de médecins spécialistes que dans l’hexagone : 94 pour 100 000 habitants en métropole, et seulement 63 à La Réunion.

La question de l’accès des patients aux soins prodigués par la médecine de ville est ainsi une question qui s’avère tout à fait préoccupante en Guyane et à Mayotte.

On peut ensuite mettre en exergue le manque de trésorerie dont souffrent les centres hospitaliers outre-mer qui, dans certains territoires comme Mayotte, sont les seuls lieux d’accès aux soins.

D’après les informations que j’ai pu recueillir, la majeure partie des centres hospitaliers des DOM – soit 19 sur 29 – ne disposent en fait que de quelques jours de fonds de roulement. Si leur situation comptable paraît parfois plus favorable, c’est à cause des aides exceptionnelles de trésorerie allouées par l’assurance maladie.

Par ailleurs, à des degrés divers, les capitaux propres cumulés des dix plus grands centres hospitaliers des DOM sont négatifs en 2012. C’est le cas du CHU de Martinique (-181 millions d’euros), du CHU de Guadeloupe (- 44 millions d’euros), du Centre hospitalier de Mayotte (- 3 millions d’euros) ou du Centre hospitalier de Cayenne (-1 million d’euros).

En outre, ces centres hospitaliers manquent de financements pour parachever la modernisation de leurs structures. La Fédération hospitalière de France-océan Indien, dans le cadre du pacte d’engagements 2014-2020, évaluait le coût de cette modernisation à 600 millions d’euros, soit 60 millions sur dix ans.

Enfin, le dernier secteur qui mérite un rattrapage est le secteur médicosocial. En effet, les infrastructures sanitaires, sociales et médicosociales accusent des retards considérables. Par exemple, selon l’UNIOPSS (Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux), au 1er janvier 2011, le taux d’équipement global pour enfants handicapés hors SESSAD (services d’éducation spéciale et de soins à domicile) était de 4,7 pour 1 000 jeunes de moins de 20 ans aux Antilles-Guyane, contre 6,6 dans l’hexagone ; pour les structures d’hébergement pour adultes handicapés, le taux est de 1,3 pour 1 000 adultes contre 3,9 dans l’hexagone.

Face à l’ensemble de ces fléaux, le projet de loi relatif à la santé comporte un certain nombre de réponses.

Je citerai notamment l’article 3 qui lève les restrictions existant en matière d’accès à la contraception d’urgence pour les élèves du second degré au sein de l’infirmerie scolaire ; l’article 4 qui renforce les dispositifs permettant de lutter contre l’alcoolisation des jeunes ; l’article 5 qui améliore l’information nutritionnelle des consommateurs ; l’article 7 qui conforte la pratique des tests rapides d’orientation diagnostique, ainsi que les autotests, pour le dépistage des maladies infectieuses transmissibles ; l’article 12 qui institue un service territorial de santé au public ; l’article 26 qui redéfinit la notion de service public hospitalier, ainsi que les obligations des établissements qui y sont associés ; l’article 37 qui a pour objet de développer la recherche et l’innovation en matière de médicaments dans le cadre des établissements de santé ; et enfin, l’article 38 qui favorise la territorialisation des Agences régionales de santé, en simplifiant la réglementation concernant les projets régionaux de santé.

Néanmoins, ces mesures peuvent paraître générales et insuffisamment ciblées sur les questions spécifiques posées par la santé dans les collectivités ultramarines. Voilà pourquoi, Mesdames les ministres, j’aimerais évoquer devant vous quelques propositions de mesures complémentaires.

Une première mesure serait la mise en place d’un plan de rattrapage décliné par territoire pour mettre fin aux dysfonctionnements les plus criants. J’ai cru comprendre, dans vos propos, que ce serait le cas. Ce plan pourrait être établi en recourant à une ordonnance prise sur le fondement de l’article 56 du projet de loi.

Une autre mesure serait la mise en œuvre obligatoire, par les ARS ultramarines, de programmes particuliers de prévention ou de promotion de la santé.

Conformément à une recommandation de la Cour des comptes, dans son rapport thématique de juin 2014, il serait intéressant que la pratique financière des ARS, au sein des DOM, soit rééquilibrée, afin que cette dernière soit orientée vers davantage de prévention. Ainsi, on pourrait prévoir que, dans les DOM, les ARS établissent obligatoirement des programmes spécifiques de prévention ou de promotion de la santé, et que l’évaluation de ces programmes comporte nécessairement une appréciation de leur volet financier.

Ensuite, pour accentuer la lutte contre l’alcoolisme, il faudrait limiter la taille des publicités pour l’alcool. Actuellement, dans les agglomérations, on constate la présence de très nombreux panneaux publicitaires qui vantent les mérites de l’alcool. Les articles du code de l’environnement imposent des formats pour les panneaux publicitaires en fonction du nombre d’habitants des agglomérations et des caractéristiques des dispositifs. Les panneaux publicitaires concernant l’alcool relèvent de la même réglementation que les autres panneaux, sous réserve de certaines mentions légales s’appliquant au contenu des affiches. Toutefois, pour mieux lutter contre la consommation excessive de boissons alcoolisées, il serait possible de réduire de moitié toutes les surfaces autorisées en matière d’affichage lorsque la publicité a trait à ces produits. De même, on pourrait interdire l’affichage en faveur des boissons alcoolisées à moins de 40 mètres des établissements scolaires.

Par ailleurs, en attendant la publication des derniers arrêtés de la loi Lurel sur le taux de sucre, je propose la création de logos pour les boissons alcoolisées et sucrées. De même que le projet de loi propose de créer des pictogrammes sur les emballages de produits alimentaires pour informer les consommateurs de la qualité nutritionnelle de ces produits, on pourrait créer des pictogrammes sur les bouteilles d’alcool et sur celles des boissons sucrées pour informer les acheteurs des risques encourus par la consommation excessive de telles boissons.

Il pourrait être intéressant que le Gouvernement favorise l’émergence de pôles d’excellence en matière de recherche et de médecine tropicale dans une ou deux zones géographiques concernant tout particulièrement les Outre-mer, par exemple l’océan Indien ou les Caraïbes. En effet, une fois mis en place, ces pôles pourraient contribuer puissamment, par le biais de la découverte de thérapies innovantes, au développement de l’offre de soins.

Pour favoriser la solidarité internationale et pour accroître l’offre de soins dans les DOM, les infrastructures destinées à la coopération internationale servant aussi aux ultramarins, il serait bon d’encourager la coopération régionale internationale dans le domaine de la santé.

Dans les DROM (départements et régions d’outre-mer), actuellement, de tels accords de coopération peuvent être conclus aussi bien par le Gouvernement que par les présidents des conseils généraux ou régionaux. Après les élections de décembre 2015, le pouvoir de négocier et de conclure des accords appartiendra conjointement au Gouvernement, aux présidents de département ou de région et, pour la Martinique et la Guyane qui ont opté pour le statut de collectivité unique, aux présidents des nouvelles assemblées délibérantes qui devront remplacer les conseils généraux et les conseils régionaux. Il serait souhaitable que le nombre de ces accords augmente sensiblement dans l’avenir.

Dans le domaine hospitalier, je propose la création de postes supplémentaires de chefs de clinique dans les CHU des départements d’outre-mer, pour améliorer les possibilités de formation, ainsi que de consultation ou d’offre de soins. La Délégation aux outre-mer a pris note avec intérêt de la déclaration interministérielle du 27 janvier dernier, selon laquelle 7 nouveaux postes de praticiens hospitaliers seraient créés prochainement dans les CHU des Antilles, de La Réunion et de la Guyane. Bien entendu, la création de ces 7 postes, si elle revêt une grande importance dans le cadre du renforcement de la qualité des soins, de la formation médicale et de la recherche outre-mer, ne saurait suffire pour répondre à tous les besoins. D’où la proposition de la Délégation, qui est complémentaire.

Il conviendrait aussi de favoriser la télémédecine à Wallis-et-Futuna. Compte tenu de l’éloignement du territoire et de sa faible densité médicale, il s’agirait là d’un moyen très opérant pour améliorer tant la prévention que l’offre de soins.

Je demande également un rapport pour généraliser à Mayotte la CMU-c.

En dernier lieu, je préconise que l’on incite les étudiants en médecine à venir faire leur stage de troisième cycle dans les DOM. Cela pourrait être réalisé par le biais de contrats tripartites entre les étudiants, les collectivités locales et les hôpitaux ou les cabinets médicaux. La mesure permettrait d’augmenter la densité médicale dans les DOM car les étudiants, pour avoir connu ces collectivités au moment de leur stage, seraient sans doute portés à revenir dans ces territoires une fois leur diplôme obtenu.

Mesdames les ministres, vous aurez bien compris que ces quelques propositions qui figurent dans mon rapport se résument à une question unique : seriez-vous disposées à nous aider, à l’occasion de l’examen du texte, à faire passer ces préconisations dans le droit positif ?

M. Serge Letchimy. Les orientations de ce texte sont extrêmement importantes sur le plan de l’accès aux soins et de la lutte contre les inégalités. Son application, dans l’hexagone et outre-mer, permettra de grandes améliorations en matière santé.

Reste que le rapport et les propos de Mme Orphé montrent bien qu’il y a un décalage important, voire très important, entre l’outre-mer et l’hexagone, comme la Cour des comptes l’a signalé. Le problème qui se pose aujourd’hui est de savoir comment on réussira à opérer un rattrapage tant sur la démographie médicale que sur les politiques de santé publique et d’accès aux soins.

La méthode que vous proposez, à savoir le recours aux ordonnances, me semble acceptable. L’article 56 vous permettra d’adapter les différents articles à la situation de l’outre-mer, sur le plan réglementaire et sur le plan législatif. Ces adaptations seront bienvenues. Mais je vous ferai observer, Mesdames les ministres, que cela ne suffira pas à régler la question du rattrapage. Comment aborder tous les points soulevés par Mme la rapporteure sans qu’un plan de rattrapage ait été auparavant clairement débattu et mis au point, afin de répondre à la pluralité des difficultés que nous rencontrons outre-mer, et qui varient selon les territoires ? Vous le savez, la question polynésienne n’est pas la question martiniquaise, la question guyanaise n’est pas celle de la Guadeloupe, etc.

Je propose que nous nous mettions à votre disposition et que, si le président l’accepte, nous travaillions ensemble sur un plan de rattrapage, qui « collerait » aux adaptations législatives et réglementaires rendues possibles par l’ordonnance.

Je terminerai sur deux points.

Premièrement, je n’ai pas vu dans ce texte de propositions très fortes sur la dynamique de coopération en santé qui permettrait de mutualiser les moyens – comme ce fut le cas avec le cyclotron. Personnellement, je défends l’idée qu’on ne peut pas faire des investissements extrêmement importants en Martinique, en Guadeloupe ou ailleurs sans tenir compte du bassin géographique de proximité, et je suppose que c'est la même chose pour les autres régions. C’est le moyen de créer une dynamique d’économies liée à la politique de santé.

Deuxièmement, comment peut-on régler, notamment pour nos différentes régions, la question du déficit abyssal des hôpitaux ? En Martinique, il avoisine les 200 millions et vient s’ajouter aux problèmes de trésorerie. Cela fait partie des enjeux liés au rattrapage.

Mme Chantal Berthelot. Monsieur le président, je partage bien évidemment les propos de notre rapporteure et ce qui a été dit auparavant.

Je dirai d’abord à Madame la ministre Marisol Touraine que j’aimerais qu’elle vienne à l’inauguration de l’hôpital de Saint-Laurent du Maroni, où Madame la ministre George Pau-Langevin est venue pour poser la première pierre. Madame la ministre, je précise qu’il ne s’agit pas d’une « reconstruction », mais de la construction d’un hôpital attendu depuis dix ans pour accompagner la démographie de Saint-Laurent du Maroni. J’apprécie d’ailleurs que notre Gouvernement ait débloqué les 7 millions nécessaires pour compléter le plan de financement.

Je dirai ensuite qu’il me semble important de bien prendre en compte la dimension territoriale, s’agissant en tout cas de la Guyane – immensité de son territoire, et coopération, notamment, entre Ouest guyanais et Suriname. Sinon, on ne pourra pas correctement répondre aux besoins en soins de proximité dont vous avez parlé.

J’ajoute que je ne suis pas d’accord avec vos services sur la répartition territoriale des centres de santé. Il faut avoir une vision pragmatique des choses, et ne pas imaginer que seul l’hôpital de Cayenne doit gérer les centres de santé. Historiquement et culturellement, la population va plus souvent vers l’ouest, vers Saint-Laurent du Maroni, que vers Cayenne.

Revenons au projet de loi. J’ai salué le fait que nous y ayons été associés en amont. Reste que je continue à défendre l’idée d’un titre « outre-mer », qui nous aurait facilité la tâche. Certes, toute la loi est applicable aux Outre-mer. Mais l’introduction d’un titre « outre-mer » aurait amené les parlementaires à « co-travailler » avec Madame la ministre, ce qui nous aurait permis de faire des propositions beaucoup plus simples et claires sur tous les aspects de la loi qui sont effectivement intéressants.

Je terminerai sur la prévention qui est en effet insuffisante outre-mer, en tout cas en Guyane. Je considère notamment que l’on ne parle pas suffisamment de l’addiction aux drogues. Celles-ci sont malheureusement bien trop accessibles, en particulier pour les jeunes.

Mme Ericka Bareigts. Merci, Mesdames les ministres, pour vos interventions et surtout pour votre action volontariste. Merci, Madame la rapporteure, pour votre excellent travail et vos propositions.

Je voudrais insister tout particulièrement sur la prévention. Si l’on veut construire une nouvelle société, il faut changer les pratiques et les comportements.

Si je prends l’exemple des grossesses précoces à La Réunion, depuis plusieurs années, les chiffres n’évoluent malheureusement pas dans le bon sens. Je pense donc qu’il faut aller au-delà des importantes mesures que vous avez prises en matière d’IVG et de contraception. Peut-être faudrait-il renforcer les actions menées avec les associations. Pour avoir discuté avec certaines, j’ai cru comprendre que les moyens manquaient pour envoyer des intervenants dans les collèges et dans les lycées.

Par ailleurs, selon l’ARS de La Réunion, 28 % des décès prématurés seraient dus à de mauvais comportements : tabagisme, alcoolisme et mauvaise alimentation. La consommation d’alcool, notamment, est bien particulière à ce département. Mesdames les ministres, la situation mériterait que l’on prenne, à titre expérimental, des mesures particulières. L’alcool ne doit plus être considéré comme un bien de consommation courante, et les approches marketing qui donnent aux jeunes une image flatteuse de la consommation d’alcool doivent cesser. Il faut faire preuve de davantage de volontarisme et faire en sorte que l’alcool ne soit plus valorisé comme il l’est aujourd’hui.

M. Ibrahim Aboubacar. Mesdames les ministres, le territoire de Mayotte rencontre de grandes difficultés en matière de santé : 80 médecins pour 100 000 habitants, 1,6 lit pour 1 000 habitants, une dépense de santé annuelle de 1 000 euros par habitant. La situation est telle que la notion même de parcours médical du patient n’a pas de sens, ou pas de réalité. D’où mes trois questions.

Premièrement, les problèmes liés au recrutement de personnel au Centre hospitalier de Mayotte sont graves et récurrents. Des mesures ont été prises, mais elles sont insuffisantes. Il faut aller plus loin. Comment ? Le personnel de santé est anormalement sollicité, au point que certains actes médicaux sont réalisés par des personnes qui ne sont pas qualifiées, ce qui peut entraîner des accidents.

Deuxièmement, la médecine libérale est déficitaire – d’environ 20 médecins et 20 officines de pharmacie – sur le territoire de Mayotte. Les professionnels réclament depuis un certain temps des mesures pour remédier à cette situation. J’en citerai trois, qui sont connues de tous : la CMU-c ou, à défaut, le décret prévu par l’article 20-11 de l’ordonnance de 1996 ; les mesures conventionnelles de l’UNCAM avec les médecins libéraux ; enfin, les dispositions fiscales. Sur ce dernier point, j’avais déjà alerté le ministre des Finances l’année dernière, mais il m’avait été répondu que nous en parlerions à l’occasion de l’actuel débat. Mesdames les ministres, il faut s’orienter vers de telles mesures si l’on veut favoriser l’installation de médecins libéraux à Mayotte.

Troisièmement, nous sommes régulièrement accusés, sur le territoire de Mayotte, de ne pas correctement soigner ou prendre en charge les personnes étrangères. À l’appui de cette accusation, qui n’est pas confirmée, il y a le fait que l’Aide médicale d’État n’est pas appliquée à Mayotte. A-t-on réfléchi à son extension ?

Pour conclure, je voudrais dire ici devant la Délégation et devant les ministres que la situation sanitaire de Mayotte est telle que des gens y meurent parce qu’ils ont été mal diagnostiqués, parce qu’ils n’ont pas été pris en charge comme il le fallait, ou parce qu’ils n’ont pas pu recevoir les soins appropriés – notamment lorsqu’il s’agit d’obtenir une évacuation sanitaire à La Réunion, ce qui n’est pas toujours facile. Il n’y a pas un seul Mahorais dont un membre de la famille ou de l’entourage ne se soit trouvé dans cette situation.

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Madame la ministre, il est exact que l’État a engagé un milliard d'euros pour les Outre-mer. Il est exact aussi que les territoires sont différents les uns des autres, chacun ayant ses spécificités. Et je reconnais que vous avez pris en compte la nécessité de reconstruire l’hôpital de Pointe-à-Pitre, ce dont je vous félicite ; nous serons avec vous pour gagner ce combat.

Vous avez dressé le tableau des actions de prévention qu’il conviendrait de décliner outre-mer. J’observe qu’en Guadeloupe, nous nous alimentons mal. Nous consommons trop de sucre, d’où des problèmes de diabète. Nous consommons aussi trop de sel, qui donne de l’hypertension artérielle. Nous consommons trop d’alcool, comme cela ressort du rapport de Mme Orphé. Mais surtout, nous sommes confrontés au fléau de la drogue, que l’on peut se procurer aux alentours des collèges et des lycées. La drogue fait des ravages. Elle est source de violence, au sein des familles et dans les écoles.

Madame la ministre, il faut poursuivre votre politique de prévention. Peut-être, pour lutter contre la drogue, devriez-vous mener, avec le ministre de l’Intérieur, des actions d’envergure autour des établissements scolaires ? Je ne sais pas ce qu’il faut faire, mais la drogue est un véritable fléau.

M. Napole Polutélé. En étudiant ce projet de loi, je me suis dit, Madame la ministre, que Wallis-et-Futuna avaient dû inspirer votre texte. En effet, tous les problèmes que vous y avez abordés se concentrent sur notre territoire !

Je partage bien évidemment tout ce qui a été dit par Madame la rapporteure et par vous-même s’agissant de Wallis-et-Futuna. Je tiens toutefois à préciser que c’est l’un des territoires de la République où l’on dépense le moins pour la santé : environ 1 600 euros par habitant et par an, et que, parmi les pathologies les plus fréquentes, figure le diabète, mais aussi et surtout la leptospirose, maladie favorisée par la prolifération des rats, dont il n’est fait mention dans aucun rapport. Je vous rappelle tout de même que, d’après les statistiques produites dans la région Pacifique, l’île de Futuna a le triste privilège d’être le premier territoire du monde touché par cette maladie.

Mais je voudrais aborder un deuxième point qui concerne aussi Madame la ministre des Outre-mer : l’engagement très ferme du Président de la République, et de vous-même, madame la ministre, lors de votre déplacement en Nouvelle-Calédonie au mois d’octobre de l’année dernière, concernant le remboursement de la dette de l’Agence de santé. Je pense que c’est un préalable si l’on veut faire avancer les choses.

Aujourd’hui, les élus constatent une certaine réticence de la part de la Nouvelle-Calédonie à prendre en charge nos malades. De plus en plus souvent, celle-ci préfère les orienter vers la métropole ou vers l’Australie. Cela ne fait que déplacer le problème lorsqu’ils arrivent sur le territoire métropolitain, car il n’existe aucune convention, ni aucune procédure de prise en charge.

Auparavant, c’était la CAFAT, la caisse de protection sociale de la Nouvelle-Calédonie, qui prenait en charge nos malades et les envoyait en métropole, puis adressait la facture à l’Agence de santé. Aujourd’hui, à cause du non remboursement de cette dette, nous nous retrouvons dans une situation de délaissement de la part de l’État. Nos malades se trouvent dans une situation de précarité extrême, au point de devoir faire appel, soit aux élus, soit à la Délégation.

C’est une situation sur laquelle je vous interpelle, Madame la ministre. Les élus finissent par se demander si les habitants de Wallis-et-Futuna bénéficient de cette d’égalité d’accès aux soins que vous avez évoquée dans vos propos. J’en veux pour preuve que, sur le site du ministère de la Santé et plus précisément sur le site de la sécurité sociale, une circulaire associe Wallis-et-Futuna à un pays étranger ! Cela m’a choqué. Madame la ministre, je vous demande de vous expliquer sur cette circulaire et de nous dire ce qu’il en est de Wallis-et-Futuna.

Quoi qu’il en soit, Madame la ministre, je vous remercie de ce projet de loi. Celui-ci nous donne l’occasion de déposer un certain nombre d’amendements visant à faire évoluer favorablement la prise en charge de nos malades à Wallis-et-Futuna – programmes d’investissements, et surtout, développement de la télémédecine.

M. Boinali Said. Mesdames les ministres, on a dit tout à l’heure qu’il eût été utile de nous associer en amont à la rédaction de l’ordonnance, ou du moins à celle des mesures d’adaptation. Dans cette perspective, ne pourrait-on pas réfléchir à une coopération régionale en matière de santé et d’accès aux soins ? En particulier, comment stabiliser les populations des îles voisines pour désengorger nos hôpitaux ? En effet, la question de l’immigration est le pendant immédiat de la question de la santé et de l’accès aux soins.

D’un autre côté, ne pourrait-on pas intégrer dans nos hôpitaux des médecins venant des îles voisines ? Certains jeunes de Mayotte ne pourraient-il pas aller suivre des études à l’extérieur du territoire national, à l’étranger ? Nous devons prendre en compte le fait que l’on ne dispose pas, en quantité suffisante, de personnel médical et de personnel de soins.

M. Stéphane Claireaux. Monsieur le président, Mesdames les ministres, l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon subit des contraintes particulières en matière de santé, avec une organisation qui repose à la fois sur des missions ponctuelles de spécialistes dans divers domaines, et sur de nombreuses évacuations sanitaires vers le Canada voisin ou la métropole. S’y ajoutent des contraintes administratives, qui mériteraient d’être assouplies pour s’adapter aux spécificités de notre archipel :

Tout d’abord, le régime d’inscription à l’Ordre des médecins : les professionnels de santé sont soumis à des contraintes administratives de radiation et de réinscription à chaque fois qu’ils effectuent une mission, même courte, à Saint-Pierre-et-Miquelon. Serait-il envisageable de prévoir un assouplissement pour ces professionnels, afin qu’ils puissent être inscrits temporairement auprès de l’Ordre à Saint-Pierre-et-Miquelon sans devoir se soumettre aux mêmes contraintes que s’ils changeaient durablement d’affectation en métropole ?

Ensuite, le régime d’autorisation d’exercice des médecins étrangers : des professionnels de santé canadiens, dont le niveau de formation et de compétence est au moins équivalent au niveau français, seraient susceptibles d’intervenir dans l’archipel de façon ponctuelle dans certaines spécialités. Ils pourraient assurer un suivi dans des conditions intéressantes, du fait de leur proximité géographique. Or, à l’heure actuelle, le régime d’autorisation d’exercice des médecins étrangers s’y oppose. Comment pourrait-on l’adapter ?

Enfin, au-delà des questions administratives, il est prévu, à l’article 56 de ce projet de loi, d’habiliter le Gouvernement à procéder par ordonnance à l’alignement du régime de sécurité sociale dans l’archipel sur celui de la métropole. Le sujet est important et je souhaiterais que la population et les acteurs sociaux de l’archipel soient plus amplement informés des projets du Gouvernement, et qu’une réelle concertation puisse s’installer pour définir ensemble les équilibres à trouver.

M. Gabriel Serville. Monsieur le président, Mesdames les ministres, pour parler d’un sujet aussi grave que celui de la santé des hommes, peut-être aurait-il fallu s’accorder davantage de temps. Or, nous sommes obligés de traiter de questions importantes dans un temps limité, et je ne suis pas persuadé que cela facilitera la compréhension des choses.

Je voudrais dire à Mesdames les ministres que j’ai été attentif à leurs déclarations, qui renvoient parfois à des situations extrêmement compliquées mais reflètent tout à fait la réalité de nos territoires respectifs. J’aurais tendance à dire que le député de la Nation que je suis considère que c’est un bon projet. En revanche, si je me réfère à ce qui se passe en Guyane, ce texte me laisse un goût amer, et en tout cas un sentiment d’inachevé.

Nous avons évoqué un certain nombre d’indicateurs, comme l’indicateur de développement humain, le taux de grossesses précoces, la jeunesse de notre population, les taux d’addiction à la drogue et à l’alcool, ou les maladies vectorielles comme la dengue ou le chikungunya, voire le virus Ebola qui pourrait pénétrer en Guyane par le truchement des migrations africaines via le Brésil – les frontières sont très poreuses et difficiles à contrôler.

Nous avons parlé aussi de la faible attractivité du territoire, de la présence de personnes sans papiers qui doivent avoir accès à la santé comme tout habitant du territoire, du taux de suicide chez les jeunes des populations amérindiennes – que Madame la ministre des Outre-mer a récemment visitées – ainsi que de la mortalité infantile et de l’existence de déserts médicaux.

Autant de sujets passionnants, mais également très inquiétants. Une telle situation justifierait que l’on introduise dans la loi un titre spécifique à l’outre-mer ou, tout au moins, que l’on engage une vraie démarche interministérielle impliquant, notamment, tous les organismes de recherche installés sur le territoire de la Guyane. Nous avons en effet le sentiment que ces organismes ne contribuent pas à faire avancer les analyses sur les problématiques de santé que nous ne cessons de dénoncer depuis quelques années.

Dans le plan de santé de 2009, certaines dispositions particulières aux Outre-mer n’ont pas été suivies d’effets, sans doute par manque d’impulsion stratégique. Pour ma part, je pense qu’il eût été préférable de considérer que les spécificités des Outre-mer méritaient un regard particulier, en mettant effectivement en place cette impulsion stratégique qui nous aurait permis aujourd’hui de dresser un véritable bilan et de tirer les leçons de nos échecs pour pouvoir rebondir et repartir dans une autre direction.

Quoi qu’il en soit, dans les jours à venir, j’espère que vous nous prêterez une écoute attentive pour nous permettre d’introduire dans le texte un certain nombre d’éléments qui pourraient substantiellement favoriser l’accès à la santé de nos compatriotes des Outre-mer. Je vous en remercie d’avance.

Mme Maïna Sage. Je partage le diagnostic qui a été fait sur les spécificités de nos problématiques ultramarines, et je suis favorable à l’introduction d’un volet « outre-mer », notamment en matière de prévention. En effet, tous les territoires rencontrent à peu près les mêmes problèmes, qu’ils soient liés à la drogue, à l’alcool, aux grossesses précoces, etc.

La Polynésie est un territoire autonome, qui s’assume sur le plan de la santé. Aujourd’hui le coût de notre protection sociale généralisée atteint environ un milliard d’euros, que nous finançons en grande partie nous-mêmes – par des cotisations patronales et salariales, et par des taxes. Mais nous bénéficions également du soutien de l’État, et je tiens à vous remercier pour l’avancée obtenue sur votre participation à notre régime de solidarité. Néanmoins, nous avons aussi des problématiques communes. Ne serait-ce qu’à ce titre, je souhaiterais que la Polynésie puisse être informée, et même associée, face aux politiques ou aux stratégies nationales qui peuvent être déployées en matière de prévention.

S’agissant du diagnostic outre-mer, je voudrais rappeler que nos territoires sont différents par leur climat et que certains, comme la Polynésie, peuvent être très isolés, voire fragmentés. Nous sommes d’ailleurs conscients que certains rattrapages ne pourront jamais avoir lieu, dans la mesure où nous devons faire face à des handicaps structurels liés à la fragmentation de notre territoire. J’aimerais que, dans ces analyses, vous preniez ces éléments en compte.

S’agissant de la coopération régionale, je suis moi aussi très intéressée. Vous savez que nous avons demandé à l’État de disposer de médecins militaires. En effet, notre isolement et l’éparpillement du territoire n’encouragent pas les médecins libéraux traditionnels à se déplacer. Nous avons beaucoup de mal à les attirer et, dans certains atolls, les conditions de vie s’apparentent à celles de commandos. Nous avons donc fait appel à la Défense et je voudrais savoir si vous auriez des éléments à nous apporter à ce sujet.

Mon dernier point concerne ce projet de loi et la question de la répression. J’ai constaté qu’il y avait quelques éléments concernant l’alcoolisme. En Polynésie, nous en venons à nous demander s’il ne faudrait pas mettre en place des bonus et des malus pour dissuader certaines pratiques et certains modes de consommation chez des malades de longue durée.

Mme la ministre des Affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Monsieur le président, mes réponses seront sans doute trop rapides pour pouvoir entrer dans le détail de chacune des questions qui m’ont été posées. Je propose donc que, sur un certain nombre de points très précis ou techniques, comme la question portant sur les médecins militaires, nous vous apportions des éléments de réponse par écrit.

J’ai bien entendu votre préoccupation autour de l’intégration, dans la loi, de dispositions mieux identifiées en direction des Outre-mer. C’est bien pour cela que nous mettons en place, avec Mme George Pau-Langevin, cette stratégie de santé pour les Outre-mer, qui a précisément pour ambition d’apporter des réponses spécifiques, en tenant compte des moyens mis à notre disposition, pour développer des politiques particulières à destination des territoires ultramarins.

S’agissant de rattrapage, je répondrai à M. Letchimy que la moitié des aides nationales destinées aux hôpitaux sont allouées aux Outre-mer, et précisément aux Antilles. On ne peut donc pas considérer qu’il n’y a pas, en faveur des hôpitaux des Outre-mer, de mesures fortes s’apparentant à un rattrapage. Cela représente même la moitié des sommes considérables affectées à l’ensemble des hôpitaux français.

Je veux insister sur l’importance de la stratégie qui va être mise en place. Mais cela ne veut pas dire qu’on ne pourra pas discuter d’amendements. Nous avons engagé un travail avec votre rapporteure à cette fin, et entamé des discussions sur le contenu de l’ordonnance prévue à l’article 56. Je sais que chacune et chacun d’entre vous souhaite mobiliser les acteurs locaux pour que nous puissions travailler ensemble sur la manière de porter certaines mesures dans l’ordonnance rendue possible par l’article 56. Pour ma part, je n’y vois que des avantages.

Par ailleurs, beaucoup des choses qui ont été dites à propos de la prévention renvoient à la stratégie qui a été prévue par la loi, et qui se mettra en place de manière plus spécifique. Mais les enjeux liés à l’alcool, comme ceux qui sont liés à la drogue, sont des enjeux nationaux, et ne se limitent pas aux Outre-mer.

Je précise que la taille, outre-mer, des panneaux d’affichage et des panneaux de publicité pour l’alcool est une dérogation – qui a été prévue – à la législation nationale. Nous pouvons travailler à la manière d’encadrer ces panneaux. Pour ma part, ma préoccupation principale, en ce domaine, est de faire en sorte qu’ils fassent bien mention des messages de santé publique, ce qui n’est pas toujours le cas.

Je rappelle, madame la députée, qu’il y a déjà sur les bouteilles d’alcool un pictogramme à destination des femmes enceintes, et que le logo nutritionnel qui est prévu par la loi a précisément pour objectif de pouvoir donner des indications sur la composition globale des produits qui seront vendus, y compris outre-mer. C’est donc dans cette perspective globale que nous devons nous inscrire.

Je répondrai à M. Polutélé que, sur le site du ministère, il n’est pas indiqué que Wallis-et-Futuna est un pays étranger, mais que la législation applicable n’est pas la même que celle qui s’applique ailleurs en matière de sécurité sociale. L’article 56, qui donnera lieu à l’habilitation, nous permettra de définir les règles de coordination entre la législation de sécurité sociale qui existe dans l’hexagone et les règles spécifiques en vigueur à Wallis-et-Futuna. D’ailleurs, les règles de sécurité sociale peuvent varier selon les territoires, comme cela vient d’être rappelé, par exemple, s’agissant de la Polynésie française.

Je suis d’accord avec M. Boinali Said pour dire que les enjeux de migration, même s’ils ne relèvent pas de mon ministère, sont essentiels et ont un impact sur les questions de santé.

Ensuite, à Mayotte, le 22 août dernier, le Président de République, s’est engagé à propos de la mise en place de la CMU-c. Son engagement sera évidemment tenu, et nous sommes en train de travailler sur la mise en place de ce dispositif qui prendra un certain temps. Nous sommes également en train de travailler, sur le plan technique, sur la façon d’apporter à la Polynésie française l’aide qui lui a été annoncée.

J’ai entendu la demande de M. Claireaux concernant Saint-Pierre-et-Miquelon. S’agissant de la question relative à l’Ordre des médecins, il faudra se rapprocher de ce dernier. S’agissant des médecins canadiens, je vais également demander si des règles spécifiques pourraient être appliquées dans l’archipel, en dérogation de celles qui s’appliquent sur le territoire national en matière d’exercice des médecins étrangers. Je vous tiendrai informé, car je n’ai pas, immédiatement, les réponses techniques aux questions que vous m’avez posées.

Madame Berthelot a parlé de la nécessité de prendre en compte la dimension territoriale des Outre-mer. C’est d’ailleurs l’un des enjeux de la loi que de considérer que l’on doit réfléchir « territorialement » – notamment avec des outils permettant d’apporter une vision territoriale de l’action hospitalière. Mais je souhaite qu’à travers des contrats territoriaux nous allions plus loin que ce qui est fait aujourd’hui, dans l’analyse des enjeux de santé, territoire par territoire, et dans la mise en place de réponses coordonnées. Ce sont des réponses qu’il appartiendra, en particulier aux ARS, mais aussi aux professionnels de santé eux-mêmes, de porter, pour pouvoir répondre aux besoins de la population.

Bien entendu, je suis tout à fait ouverte à ce que des travaux spécifiques soient menés. Je pense, notamment, aux amendements auxquels travaille votre rapporteure et sur lesquels nous avons commencé à discuter. Je souhaite que vous soyez étroitement associés à l’élaboration de cette stratégie avec le ministère des Outre-mer, et que vos préoccupations puissent être intégrées dans l’ordonnance. L’article 56 donne une habilitation, mais cette ordonnance doit nous permettre d’ouvrir le champ à certaines préoccupations plus particulières.

En tout cas, vous pouvez être assurés de mon attention très forte à la situation dans les Outre-mer, que ce soit celle des établissements hospitaliers ou de la médecine libérale. Nous devons aller aussi loin que possible dans la déclinaison des mesures d’attractivité à l’intention des professionnels de santé libéraux. Nous devons également prêter une attention très forte aux enjeux de prévention, compte tenu des situations particulières que nous rencontrons, territoire par territoire. Cela nous renvoie à l’enjeu territorial : dans chaque territoire, les situations ne sont pas exactement les mêmes, ce qui suppose une adaptation des moyens très précise et minutieuse.

Mesdames et Messieurs les députés, je vous remercie pour vos suggestions et pour votre engagement, auquel je suis évidemment très sensible.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Mesdames les ministres, chacun a pu s’exprimer et la diversité des situations est bien apparue. Il me semble que le travail que nous pouvons mener maintenant avec vos services et avec vous-mêmes permettra de prendre en compte cette diversité. Mesdames les ministres, je vous remercie.

La séance est levée à 12 heures 15.