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Délégation aux outre-mer

Mardi 10 mai 2016

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 9

Présidence de M. Jean-Claude Fruteau, Président

– Audition de M. Jean-Jacques Vlody sur sa mission relative à l'insertion des DOM dans leur environnement régional

La séance est ouverte à 17 heures 10.

Présidence de M. Jean-Claude Fruteau, président.

La Délégation procède à l’audition de M. Jean-Jacques Vlody sur sa mission relative à l'insertion des DOM dans leur environnement régional.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Notre délégation est aujourd’hui réunie pour entendre notre collègue Jean Jacques Vlody, parlementaire missionné par le Premier ministre afin de formuler des propositions de solutions pour favoriser le développement économique, social et éducatif des outre-mer.

Vous savez par ailleurs, mes chers collègues, que nous sommes le 10 mai, jour qui revêt une signification particulière pour les outre-mer puisque, depuis dix ans, il est consacré à la mémoire de la traite des esclaves et de son abolition. C’est ainsi que, chaque année, la Nation tout entière est amenée à se souvenir, à comprendre et à réagir devant un long cortège d’oppression, d’aliénation et de servitude.

Je ne pense pas me tromper en disant qu’ici nous sommes tous conscients que la mémoire de tant de vies perdues et écrasées en violation de la dignité qui, de manière inaliénable, est celle de tout homme, doit être conservée. Toutefois, ce devoir de mémoire ne saurait se borner à regarder le passé : il permet, par le débat qu’il suscite, de maintenir les consciences éveillées devant le risque de voir revenir le mépris de l’homme, hélas susceptible de prendre bien d’autres formes que la traite et l’esclavage.

Il incite aussi à se souvenir de l’élan qui, sur le fondement des principes de liberté, d’égalité et de fraternité, a conduit à l’abolition de l’esclavage en 1848, et à se demander comment donner aujourd’hui à ces principes une consistance effective dans les outre-mer.

Dans le cadre des travaux du Parlement, la réflexion sur la mise en œuvre concrète de ces valeurs dans les outre-mer constitue l’une des missions primordiales de notre délégation, qui, réunion après réunion, en décline toutes les conséquences. Elle doit encore être au cœur de la mission confiée par le Premier ministre à Jean-Jacques Vlody afin de réfléchir aux moyens de favoriser le développement des outre-mer, dans les dimensions que j’ai évoquées, via leur meilleure inclusion dans leur environnement régional. Aussi m’a-t-il semblé important que les membres de la délégation puissent entendre notre collègue faire le point sur l’état d’avancement de ses travaux, qu’ils puissent l’interroger et lui faire part de leurs réflexions.

M. Jean-Jacques Vlody. Je vous remercie, monsieur le président, pour ces propos célébrant la date commémorative de l’abolition de l’esclavage dans notre pays. J’ai une pensée particulière pour le premier Vlody identifié : il s’agit d’un esclave affranchi à Sainte-Suzanne en 1848 et qui se trouve être mon arrière-arrière-grand-père. Je compte parmi mes ancêtres des Malgaches et des esclaves indiens ; par ailleurs, tous les Payet de La Réunion proviennent de la commune de Saint-Priest-la-Roche, située dans la région de Lyon. Cela constitue un bel exemple de la mixité de nos territoires.

Les champs d’intervention de ma mission sont très vastes et revêtent une dimension multipolaire. À l’origine de bien des problèmes rencontrés se trouve la réalité de nos territoires français de l’océan Indien – La Réunion et Mayotte –, et des Caraïbes – la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane. Nous ne parlons donc pas des territoires d’outre-mer (TOM), ni de l’ensemble de l’outre-mer français, mais des régions et départements français d’outre-mer.

La question posée est la suivante : comment réussir une meilleure insertion de ces territoires dans leur espace géographique ? Comment mieux insérer La Réunion et Mayotte dans l’océan Indien, et comment mieux insérer la Guadeloupe et la Martinique dans l’espace caraïbe et sud-américain ? Les divers thèmes portent sur l’économie, l’exportation, la problématique de la connectivité, aérienne, maritime et numérique, sur la circulation des personnes, particulièrement dans le domaine des visas pour la Guyane et Mayotte, ainsi que sur les échanges, qu’ils soient sanitaires, culturels ou universitaires.

Une des données de la problématique est que ces régions sont ultrapériphériques de l’Europe ; ce sont les territoires les plus éloignés d’un centre. À ce titre, nous bénéficions de dispositions particulières, que ce soit le document unique de programmation (DOCUP) pour l’Europe ou les dispositifs nationaux : tous ont pour objet d’organiser de meilleures conditions de développement économique et social. Toutefois, nous demeurons des espaces périphériques de la France et de l’Europe : comment faire pour que ces régions deviennent des centres dans l’espace qui est le leur ?

Comment la France doit-elle s’appuyer sur ces territoires pour s’insérer dans ces espaces géographiques ? C’est là le cœur de ma mission ; pour l’heure, je laisse en friche la question du vocabulaire qui, toutefois, est importante, car il ne s’agit pas d’intégrer ni de rayonner, mais d’insérer nos territoires pour que la politique de notre pays puisse être conduite à partir d’eux. Cela doit être réalisé en cohérence et en complémentarité ; cependant, nous avons parfois l’impression que les politiques nationales sont menées à l’envers, voire contre nos régions. Lorsque l’on est réunionnais, mahorais, guadeloupéen, martiniquais ou guyanais, on a souvent le sentiment que la France mène une politique de relations avec les États allant à l’encontre de nos intérêts.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Et l’Europe !

M. Jean-Jacques Vlody. Et l’Europe. Comment inverser cette situation et faire comprendre que nous sommes dans une autre dimension ?

De récentes évolutions législatives redonnent un cadre à ce que l’on appelle de façon quelque peu simpliste la coopération régionale, consistant à travailler avec les pays de la zone, mais je ne souhaite pas limiter mes travaux à la simple question de la coopération régionale. C’est tout un état d’esprit, une mentalité de l’organisation administrative qu’il convient de faire évoluer, et cela ne s’arrête pas à la question d’une coopération entre une collectivité et un État ou entre deux États.

À l’occasion de l’examen de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite NOTRe, j’ai fait adopter un amendement modifiant les relations entre l’État et les collectivités locales dans leurs politiques de coopération régionale. Jusque-là, selon son bon vouloir, l’État pouvait associer les régions et départements à des politiques ou à des concertations avec les pays de la zone en matière de relations bilatérales : désormais, cette simple faculté est devenue une obligation.

Une autre évolution résultera des propositions faites par Serge Letchimy dans son rapport déposé le 16 mars dernier sur la proposition de loi relative à l’action extérieure des collectivités territoriales et à la coopération de l’outre-mer dans son environnement régional, dont l’examen est en cours. Il s’agit de conférer aux collectivités la possibilité, par délégation de l’État, de passer des accords-cadres avec les pays voisins indépendants : c’est une révolution. Cela montre une évolution de la position de l’État au sujet de ses relations avec les pays voisins des territoires d’outre-mer. L’ancien ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, avait été pionnier en introduisant une nouveauté sémantique avec la notion de « diplomatie territoriale ». Cette notion, qu’il faut désormais faire vivre, consisterait à ce que la France organise ses relations diplomatiques à partir des territoires situés dans la zone, et non plus uniquement à partir d’un État centralisé décidant de son seul point de vue.

Afin d’illustrer mon propos, je souhaiterais narrer une anecdote trouvée sous la plume de Wilfrid Bertile : la France, dans ses relations avec les pays de la zone au cours des années 2000, s’interrogeait sur l’inquiétude de La Réunion concernant la production d’ananas Victoria. Le représentant de l’État s’insurgeait de constater que l’on n’autorisait pas l’île Maurice à développer ces ananas, alors qu’il s’agit d’une production concurrente des ananas français cultivés à 200 kilomètres à peine. À l’époque, la mentalité de l’État français le conduisait à considérer qu’accompagner un pays en développement l’emportait sur le développement de son propre territoire situé dans la même zone.

Cet état d’esprit, frustrant pour les intéressés, n’est plus de mise aujourd’hui. Beaucoup de chemin n’en reste pas moins à parcourir, pour passer de ce statut d’espace périphérique à celui de centre sur lequel viendrait s’appuyer l’État en matière de diplomatie territoriale, que ce soit dans le fonctionnement même de l’État ou l’organisation administrative, telle qu’elle résulte de la loi ou du règlement. Cette coopération entre nos territoires – c’est-à-dire la France – et divers pays de la zone se révèle positive lorsque le bon sens s’impose ; cela est flagrant dans le domaine de la santé et de la sécurité sanitaire, dans celui de la sécurité maritime ainsi que dans celui de l’aide aux populations vulnérables en cas de catastrophe naturelle.

Ainsi, lorsqu’un problème de sécurité se présente dans l’océan Indien, particulièrement dans le domaine de la piraterie, la France est capable, grâce à la Commission de l’océan Indien (COI), de mobiliser ses moyens maritimes et militaires et d’organiser avec les autres pays de la zone la surveillance du territoire. Un partenariat a été établi et des accords ont été passés. Madagascar et les Seychelles sont d’ailleurs les bases maritimes de ce dispositif de lutte contre la piraterie.

Dans le domaine sanitaire, à l’occasion des épisodes d’émergence des maladies tropicales, tels le Zika, le chikungunya et autres fièvres épidémiques, a été constitué le réseau de surveillance des épidémies et gestion des alertes (SEGA), fruit d’une coopération entre La Réunion, Maurice, Madagascar, Mayotte et les Seychelles. Des partenariats portant notamment sur la formation entre médecins ont été établis, car chacun a compris qu’un manquement à la sécurité sanitaire à un endroit donné pouvait rapidement concerner l’ensemble de la zone.

La coopération porte aussi sur la météo, et les échanges d’informations en cas de cyclone se font naturellement entre La Réunion, Maurice, Madagascar et les Seychelles, chacun surveillant la trajectoire des cyclones.

Dans le cadre des catastrophes naturelles, le dispositif PIROI, qui relève de la Croix-Rouge, est basé dans les divers pays concernés, et, grâce à l’aide militaire et à la mobilisation de nos moyens logistiques, permet des interventions rapides pour la potabilisation de l’eau ou la construction de camps, par exemple.

Ainsi, lorsque les problématiques de diplomatie territoriale, susceptibles d’opposer La Réunion à Madagascar ou La Réunion à Maurice pour des questions de territoires, ou la France au Suriname au sujet de la légitimité du pouvoir en place, ne la limitent pas – ce qui est rarement le cas –, la coopération fonctionne bien, car elle commande l’intérêt supérieur des nations.

Cette coopération reste toutefois à construire dans le domaine de l’économie, et, à travers elle, de la circulation des personnes. La question est celle des visas exigés pour circuler au sein de la zone : la vision parisienne de cette problématique est en complet décalage avec la réalité de certains territoires. Ma mission m’a conduit à réaliser une cinquantaine d’auditions et de nombreuses visites de terrain. J’ai ainsi eu l’occasion d’aller au Suriname en passant par Saint-Laurent-du-Maroni : vu d’ici, on nous explique que la France va être envahie par l’ensemble des pays sud-américains à cause de problèmes de visas ; la circulation des personnes est conçue comme un danger majeur pour la sécurité du territoire, que cela soit en matière d’immigration économique ou de surveillance sanitaire.

Ainsi ai-je entendu, à Cayenne, le directeur de l’Agence régionale de santé (ARS) qui m’a mis en garde contre le risque sanitaire majeur que représenterait la libre circulation des personnes entre Saint-Laurent-du-Maroni et le Suriname, susceptible de déclencher une pandémie mondiale. J’ai alors considéré que la France, à elle seule, ne pourrait pas faire face à une telle crise et qu’il fallait faire appel à l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et à l’Organisation des Nations Unies (ONU).

Je me suis ensuite rendu à l’hôpital de Saint-Laurent-du-Maroni, et j’ai rapporté les propos qui m’avaient été tenus : ils ont déclenché l’hilarité de mes interlocuteurs ; l’adjoint du directeur de l’ARS qui était présent m’a indiqué que la circulation des personnes constituait d’ores et déjà une donnée de fait, et qu’elle n’avait pas vocation à diminuer. Il a considéré qu’il s’agissait d’une vision parfaitement erronée de la réalité constatée sur le terrain ; le regard porté par la Métropole sur ces territoires est déformé.

Le sous-préfet de Saint-Laurent-du-Maroni m’a conduit au petit poste-frontière, qui est réputé surveiller les 500 kilomètres de longueur du fleuve Maroni : cela prête à rire ! Ce poste est évidemment contourné par les personnes désireuses de se rendre au Suriname.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Ou alors, c’est qu’elles n’ont pas bien compris !

M. Jean-Jacques Vlody. Mille bateaux passent ainsi chaque jour. Le sous-préfet m’a indiqué que, son administration de tutelle lui demandant de « faire du chiffre », il faisait procéder chaque jour à une dizaine de raccompagnements à la frontière, et que les intéressés revenaient le lendemain. On constate à quel point notre conception de ce territoire est inadaptée.

Le sous-préfet m’a ensuite fait visiter un village peuplé par des Amérindiens, qui, curieusement, ne sont français que depuis 1967, alors qu’ils existent depuis 3 000 ans et n’ont rien demandé. Le ministère de la culture met en place des programmes d’art et d’histoire afin de mettre en valeur la richesse patrimoniale des peuples amérindiens. Or les familles sont réparties sur les deux rives opposées du fleuve, et le maire de la commune d’Awala Yalimapo, représentant l’autorité française, m’a expliqué qu’il souhaitait organiser un partenariat avec la partie de sa famille située sur l’autre rive du fleuve afin de célébrer l’intronisation du nouveau chef. Il m’a indiqué que, à cette fin, il devait se procurer un visa à Saint-Laurent-du-Maroni, situé à 100 kilomètres de son village, qu’il lui fallait une autorisation administrative, des pirogues homologuées aux normes françaises ainsi qu’un permis de naviguer, et que le fleuve devait être navigable. Le sous-préfet m’a confirmé ces faits. Or il se trouve que les intéressés ne sont pas titulaires du permis, que les pirogues ne sont pas homologuées et que le fleuve n’est pas navigable. Il est heureux que nous puissions faire confiance à l’intelligence des hommes, car il serait ridicule de vouloir empêcher ces gens, qui sont des ressortissants français, de perpétuer leurs traditions. Une fois encore, la vision de la Métropole est sans commune mesure avec cette réalité observée sur le terrain.

Les accords de sécurité conclus entre les États posent, eux aussi, de sérieux problèmes dans le domaine de la circulation des personnes, singulièrement à Mayotte où je dois me rendre prochainement. Pour que les territoires s’ouvrent les uns aux autres et communiquent, il faut d’abord que les hommes et les femmes qui y vivent puissent se rencontrer ; or il est plus facile pour un Brésilien, un Malgache ou un Mauricien de se rendre à Paris que, pour un Brésilien, de gagner Cayenne ou, pour un Malgache, de gagner La Réunion. De fait, aucun visa n’est exigé pour se rendre à Paris, alors que ce document est exigé pour aller à La Réunion.

Les craintes de notre administration au regard de la sécurité sanitaire conduisent à des incohérences ; le risque existe, en effet, mais il est largement surévalué.

Quelques préconisations du rapport, dont je pense achever la rédaction à la fin du mois de juin prochain, prennent déjà forme, et il reste quelques auditions et déplacements à effectuer ; je tenais beaucoup à échanger avec les membres de la délégation afin de m’enrichir de leurs interrogations comme de leurs propositions.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Avant de donner la parole à nos collègues, je souhaite saluer la présence de Mme Julie Bouaziz, conseillère chargée de l’intérieur et des outre-mer au sein du cabinet du président de l’Assemblée nationale, M. Claude Bartolone, qui a demandé à assister à nos travaux. En notre nom à tous, je lui ai dit que sa présence ès qualités était bienvenue : madame, vous êtes ici chez vous.

Vous avez, monsieur Vlody, abondamment évoqué les questions de sécurité sanitaire, liées à celle de la circulation des personnes, mais qu’en est-il des coopérations susceptibles de favoriser le développement économique et social de ce que vous avez défini comme les départements d’outre-mer, auxquels, il y a cinq ans, Mayotte s’est ajoutée, avant d’acquérir, il y a deux ans, le statut de région ultrapériphérique de l’Union européenne ?

Les sujets de la santé, de la circulation des personnes, de la culture et de l’éducation font l’objet de débats depuis des années, sans que l’on puisse constater de réelles évolutions. Selon vous, que faudrait-il faire pour que nos départements franchissent une étape supplémentaire vers un meilleur développement économique ?

M. Ibrahim Aboubacar. Il est vrai que le champ de la mission est large. Il reprend une partie des thèmes abordés par la proposition de loi de Serge Letchimy. Les questions évoquées sont surtout d’ordre institutionnel et concernent les progrès souhaités par l’ancien ministre des affaires étrangères dans le domaine de la fusion des outils d’intervention économique, tel l’adossement de l’Agence française de développement (AFD) à la Caisse des dépôts, et en tout état de cause, l’augmentation des taux d’intervention dans ces régions.

Je connais peu l’Atlantique, mais souhaiterais évoquer la situation dans l’océan Indien : monsieur Vlody, avez-vous entendu les opérateurs économiques des zones concernées ? Je ne songe pas à la COI, mais aux organisations économiques qui font de l’économie, pas à celles qui font de la politique sur le dos de l’économie…

M. Jean-Jacques Vlody. J’ai bien compris !

M. Ibrahim Aboubacar. Un plan de connectivité de l’océan Indien a été lancé à partir de projets de réseaux de câbles circulant dans la zone : j’ai constaté que, en définitive, la connexion s’établissait de façon extrêmement désordonnée et n’était toujours pas achevée. De fait, les schémas que les opérateurs percevaient comme les plus pertinents sur le plan économique n’ont pas été retenus. Des raccordements partiels ont été effectués avec les câbles LION 1 et 2 – acronyme de Lower Indian Ocean –, il m’est même revenu que les Comores ont été câblées par un opérateur chinois. À l’époque, c’était l’opérateur national France Télécom qui était censé servir les intérêts de la France dans la zone et être membre des consortiums qui se sont constitués ; or cela n’a pas été possible. M. Daniel Golberg, président du groupe d’amitié France-Comores, s’est rendu à Mayotte il y a quelques années : il avait été scandalisé par l’échec de ce qui aurait dû constituer une avancée économique significative.

Autre exemple concret, car le monde économique veut des choses concrètes : le projet des îles Vanille, destiné à développer le tourisme. Dans un passé récent, j’ai été directeur de la chambre de commerce de Mayotte ; à ce titre je connaissais bien ce projet : le plus gros obstacle qu’il a rencontré a été celui des visas de circulation des touristes, ainsi que la desserte aérienne. On peut concevoir que les liaisons aériennes soient coûteuses ; mais les Mauriciens et les Chinois ne sont pas limités par la question des visas, ce qui est loin d’être le cas à La Réunion, par exemple, pour laquelle il a fallu délivrer une dérogation afin de pouvoir accueillir des touristes, avec une procédure simplifiée de délivrance de visas.

Dans le domaine de la connectivité maritime, aucun progrès n’est constaté, alors qu’il existait des projets ; il est toutefois vrai que la COI intervient parfois avec des logiques politiques. Je n’en constate pas moins que, même en l’absence de ces obstacles, les projets échouent.

Dans le domaine du développement des échanges et de l’insertion intervient souvent ce qui est pudiquement dénommé la « question des normes » portant sur les produits agricoles ; à Mayotte, on parle ainsi couramment de la viande malgache. Il ne s’agit pas de contourner les normes déterminées par les autorités de l’Union européenne, mais de rechercher comment s’y adapter dans les filières au sein desquelles nous avons des intérêts, afin de ne pas faire obstacle à la circulation des marchandises.

Ces questions très concrètes reviennent sans cesse dans les forums, et il conviendrait de les régler avant de multiplier les nouveaux sujets de réflexion. Lorsque les acteurs identifient un problème à résoudre, certains pays agissent avec célérité, ce que la France ne sait pas faire. Ainsi, la question des réseaux a été résolue en trois mois à Maurice, en neuf mois aux Seychelles, alors que, cinq ans plus tard, la France n’a toujours pas trouvé de solution satisfaisante. Je n’évoque pas les États déliquescents comme Madagascar ou les Comores qui ne disposent pas des structures administratives nécessaires, mais de nos partenaires économiques qui sont souvent exaspérés par notre façon d’aborder les choses dans ces zones. Dans bien des domaines, nos approches administratives leur paraissent pour le moins curieuses.

Sur ces sujets, il conviendrait de lancer quelques grands chantiers avec la vision qui est celle du monde de l’économie, et de nous interroger sur la manière dont nous pouvons faire évoluer nos pratiques et, parfois, nos réglementations. Cela favoriserait notre insertion ; car nous sommes souvent perçus comme des donneurs de leçons dans le domaine de l’efficacité administrative.

M. le président Jean-Claude Fruteau. C’est ce que l’on sait faire !

M. Jean Jacques Vlody. C’est ce que nous faisons le mieux…

M. Ibrahim Aboubacar. Nous avons parfois raison en ce qui concerne le domaine sanitaire, par exemple, mais nos concurrents ou partenaires économiques savent mettre à profit nos infrastructures.

Dans le cadre des derniers travaux de la Commission nationale d’évaluation des politiques de l’État outre-mer (CNEPEOM), présidée par Mme Chantal Berthelot, et dont je suis membre, M. Michel Magras, sénateur de Saint-Barthélemy, était rapporteur sur la desserte aérienne outre-mer. Nous avions alors entendu l’ensemble des acteurs du secteur, y compris la Direction générale de l’aviation civile (DGAC), qui ont considéré que certaines situations étaient encore incompréhensibles, et que le système paraissait totalement bloqué. Il ne semble pas exister de perspectives d’amélioration en termes de volume de trafic, et encore moins dans celui de la baisse des prix. Peut-être pourriez-vous, monsieur Vlody, dans le cadre de votre mission, dialoguer de façon directe avec les acteurs du transport aérien afin d’améliorer la situation.

Pouvez-vous, par ailleurs, nous informer sur l’état d’avancement des accords de partenariat économique (APE) passés entre l’Union européenne et les pays d’Afrique, Caraïbes et Pacifique (ACP) ? Seront-ils de nature à résoudre des problèmes ? Il m’est revenu qu’ils ne sont pas encore conclus dans l’océan Indien, les Mauriciens sont très inquiets et souhaitent voir le dossier avancer ; ils avaient même proposé des sous-accords entre Maurice, Madagascar, les Seychelles et la France, afin d’échapper à la lenteur des discussions au sein de l’Union européenne.

Dès lors que nos difficultés d’insertion sont, pour partie, liées à l’héritage des réglementations européennes, il faudrait savoir à quel moment les négociations relatives à l’outil commercial que constituent ces APE prendront fin.

M. Philippe Houillon. C’est une mission extrêmement importante que la vôtre. Le délai paraît presque trop court pour faire le tour de la question. Les régions ultrapériphériques françaises sont un vecteur de développement multidirectionnel, que ce soit sur le plan économique ou linguistique. Grâce à elles, notre pays est la seconde puissance maritime au monde. Or nous n’en sommes qu’aux balbutiements de la découverte des richesses de la mer, que ce soit dans l’océan Indien, dans les Caraïbes ou au large de l’Amérique. La perspective de conquérir de nouvelles ressources porte en elle des espoirs de développement économique.

Si vous avez posé le diagnostic avec talent, je reste cependant sur ma faim s’agissant des solutions. Dans le domaine du transport aérien, il est évident qu’il faut pouvoir se déplacer et communiquer avec l’Hexagone ! Sur place, les populations nous le disent. Il s’agit au demeurant moins d’un problème de temps de trajet que de coût ; quant à la question des visas, nous l’avons déjà abordée.

Mais il nous faut aborder aussi celle des normes. J’espère que vous saurez non seulement produire des exemples, mais aussi dégager un système, une organisation générale ou des principes adaptés à chaque territoire. En France, on a tendance à appliquer la norme européenne au maximum de sa portée, ce qui pénalise tant l’Hexagone que l’outremer. Il faudrait pouvoir adopter d’autres normes qui soient plus compatibles avec l’environnement immédiat où elles s’appliquent. Le raisonnement pourrait être modélisé sur la question de savoir sous quelles conditions des normes différentes peuvent s’appliquer et avec quelle rapidité. Au fond, quelle autre démarche imaginer tout en restant en cohérence avec les normes de l’État ? Il conviendrait de préserver l’unité nationale, mais en permettant aux échanges d’aller plus vite.

M. Jean Jacques Vlody. Cher collègue Ibrahim Aboubacar, il faut que vous sachiez que nous avons entendu tous les acteurs économiques : chambres consulaires – agriculture, métiers et artisanat, commerce et industrie –, entreprises, clubs d’exports, représentants de Business France ou secrétariat d’État au commerce extérieur. L’audition d’une représentante de la chambre de commerce et d’industrie de Mayotte, devenue présidente de l’Union des chambres de commerce et d’industrie de l’océan Indien, a particulièrement retenu notre attention.

Monsieur le président, vous vous demandez à quoi servent les outre-mer et quel intérêt ils présentent pour la France.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Je l’ai fait simplement parce que j’entends parler du sujet depuis plus de vingt ans, notamment lorsque je siégeais au Parlement européen, sans que cela ait beaucoup avancé.

M. Jean Jacques Vlody. Si nous ne savons pas les mettre à profit comme têtes de pont avancées, ils n’ont en effet aucun intérêt. L’outre-mer et l’Hexagone ne peuvent être gagnants qu’en jouant ensemble.

La situation des régions ultrapériphériques présente trois inconvénients : l’éloignement, l’insularité et l’étroitesse du marché. Sur les deux premiers facteurs, il n’est guère facile d’agir ; mais il n’en va pas de même du troisième. En elles-mêmes, La Réunion, la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane constituent des marchés trop contraints et trop restreints. Mais, si nous tournons le regard vers l’ensemble des petits États des Caraïbes, c’est un marché de 60 millions d’habitants qui s’ouvre à nous. Pour La Réunion et Madagascar, la Communauté de développement d’Afrique australe ou Southern African Development Community (SADC) et le territoire de la COI totalisent 400 millions d’habitants.

Ces marchés sont en construction, j’en suis conscient, mais la France devrait s’appuyer sur eux. La Martinique siège en tant que collectivité au sein de l’Association des États de la Caraïbe (AEC), le conseil général et la région de La Réunion demandent à être membres observateurs du Marché commun de l’Afrique orientale et australe, encore appelé Market for Eastern and Southern Africa (COMESA). Notons, au passage, que la Chine a obtenu le statut de membre observateur de la COI.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Elle l’a obtenu ; elle a été assez gentille pour ne pas l’exiger.

M. Jean-Jacques Vlody. La France pourrait ainsi, à travers la présence de ses territoires dans ces organismes, s’ouvrir à ces espaces économiques.

Cette démarche ne doit pas se faire au détriment de nos territoires. À La Réunion, le président de la chambre d’agriculture s’est montré très prudent, et même, par certains aspects, fermé à une ouverture accrue vers Madagascar, où le travail est beaucoup moins cher, ce qui risque d’inonder le marché réunionnais de denrées produites ailleurs et de casser le système de production sur place. Il faut donc raisonner par sujet et par secteur, en travaillant à une plus grande complémentarité avec les voisins.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Ce n’est pas simple.

M. Jean-Jacques Vlody. Il y a des territoires où l’ouverture ne pose pas de problème. Alors qu’il était difficile de s’approvisionner aux Seychelles en produits frais à destination des touristes qui s’ajoutent à la population locale de 90 000 habitants, notre ambassadeur a compris qu’il pouvait être possible d’en faire venir de La Réunion. La complémentarité doit donc être notre première préoccupation. Sinon, nous risquons de nous faire damer le pion.

Encore faut-il savoir quantifier certains services. Lorsque le Centre hospitalier universitaire de La Réunion envoie un chirurgien opérer pendant un mois à Maurice, il ne sait pas comment facturer cette prestation. L’université de La Réunion, qui détient des pépites, distribue gratuitement son savoir-faire au lieu de le vendre. Nous sommes incapables de faire fructifier ce que nous avons semé. Sans doute conviendrait-il de recenser l’ensemble de ces actions. Les pays de la zone peuvent s’appuyer sur notre ingénierie, nous pouvons les accompagner dans leur développement, pour le plus grand bien de tous.

La connectivité et le lien numérique constituent un autre aspect fondamental, car ils sont un vrai moyen de réduire les distances. C’est pourquoi nous nous battons en faveur d’une 4G qui soit abordable, car elle est un enjeu de développement économique.

Dans le cadre du conseil des ministres de la COI, la France et l’île Maurice ont adopté un programme de soutien aux agriculteurs, organisé par l’université de La Réunion : il s’agit là d’un bon moyen de vendre de la compétence et de la formation.

Quant à la question du câble marin, elle n’est pas réglée. Tout le monde s’accorde à dire qu’il faut en tirer un troisième, mais sans qu’il y ait consensus sur le consortium économique pour le porter. Avec le secrétariat d’État au numérique, nous avons vu que des projets sont déjà sur la table. L’un pourrait partir du Brésil pour la Guyane, l’autre de l’Espagne. Si nous ne voulons pas être dépassés, il nous faudrait régler la question dans les trois ans.

Le groupe CMA CGM, leader mondial du transport maritime, a fait de l’île de La Réunion un centre de correspondances (hub) en complémentarité avec Maurice…

M. le président Jean-Cl aude Fruteau. En complémentarité avec Maurice !

M. Jean-Jacques Vlody. …comme pôle d’éclatement. Mais, une fois organisés les différents pôles, il faudra aussi une compagnie maritime régionale : les collectivités ou l’État devront, avec des acteurs privés, s’engager dans la desserte de ce territoire. Pour l’heure, le marché n’est pas suffisamment attractif pour qu’un acteur privé vienne s’y installer. Il est donc nécessaire de créer une infrastructure pour créer un flux.

La situation est différente en ce qui concerne le domaine aérien. Il s’agit là moins d’économie que de réglementation. Tous nos territoires sont soumis aux règles de la DGAC, qui veulent que tout État qui obtient l’autorisation de se poser sur le sol français doit garantir la réciprocité. Ils sont donc confrontés à un problème dont la solution ne dépend pas d’eux. Etihad Airways, compagnie aérienne nationale des Émirats arabes unis, a ainsi exigé l’accès aux aéroports français en contrepartie des facilités offertes à Air France. Une compagnie norvégienne qui relie l’Amérique du Nord et le Brésil serait prête à aller jusqu’à la Guadeloupe et jusqu’à la Martinique, mais l’autorisation ne lui est pas donnée. Il serait nécessaire d’adapter la réglementation sur ce point : nos territoires ne doivent pas être soumis à ces règles de réciprocité.

M. le président Jean-Claude Fruteau. C’est cela, oui !

M. Jean-Jacques Vlody. Nous ne pouvons pas être systématiquement désavantagés par des enjeux qui sont liés aux relations entre compagnies ou États européens. Les volumes de nos dessertes ne sont pas décisifs pour ces compagnies : ce ne sont que quelques milliers de passagers en plus, mais, pour nous, ils sont importants. Je vais rencontrer les représentants de la DGAC pour parler avec eux de la possibilité d’une telle dérogation.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Cet exemple montre les limites de l’exercice qui consiste à laisser se nouer des relations directes entre les régions de la République française et des États indépendants. Peut-on vraiment concéder que, dans tel ou tel domaine, La Réunion puisse être exemptée de règles internationales dont je rappelle qu’elles n’ont pas connu d’exception jusqu’à présent ?

La DGAC assure que la solidarité nationale joue en matière de transport aérien et de taxes d’aéroport. Celles-ci seraient deux fois plus élevées outre-mer si la DGAC ne se préoccupait pas de leur prise en charge.

M. Jean Jacques Vlody. Il y a en effet deux points de vue à confronter, celui de la compensation de la solidarité nationale et celui du développement du nombre de passagers. La vraie limite réside en ce que nos territoires n’ont d’intérêt pour ces compagnies que dans la mesure où, grâce au mécanisme de la réciprocité, ils leur offrent un point d’entrée en Europe et, plus particulièrement, en France.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Certaines compagnies développent en effet depuis quelques années une stratégie d’accès à l’Union européenne, et particulièrement à la France, qui n’a rien à voir avec les outre-mer.

M. Jean Jacques Vlody. Les régions ultrapériphériques et les DOM souffrent par ailleurs d’un manque de rapidité décisionnelle sur les sujets qui les concernent. Ce n’est pas que l’État ne s’intéresse pas à leur sort, mais une question qui est importante pour elle peut l’être moins au regard d’autres enjeux nationaux. J’en veux pour preuve notre récente participation à la relance de l’association des parlementaires des pays membres de la Commission de l’océan Indien. Il a fallu que les élus locaux s’en saisissent pour que notre Assemblée suive.

Il est nécessaire de coordonner les actions de l’État et des collectivités présentes sur nos territoires. Les États voisins sont souvent perdus. Maires, chefs d’établissements publics intercommunaux (EPCI), présidents d’EPCI, agence régionale de santé, préfet, président de région : telle est la diversité des interlocuteurs qu’ils ont en face d’eux selon les sujets.

M. le président Jean-Claude Fruteau. On constate une dilution…

M. Jean-Jacques Vlody. Une dilution des responsabilités. Le comité national de suivi et de gestion des fonds européens, qui fédère ces diverses autorités au service d’un but spécial, pourrait cependant servir de modèle si nous voulions créer, par analogie, un comité pour la coopération avec les États voisins.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Il fonctionne.

M. Jean-Jacques Vlody. Il fonctionne même bien !

J’en viens à la question des normes et à celle des accords ACP, qui nous renvoie à la problématique des limites de l’exercice de relations directes avec les États voisins dans certains cadres. Nous ne sommes pas prêts à avancer sur certains modèles : il ne s’agit pourtant pas de nous défaire de notre appartenance nationale ou de perdre notre statut de région ultrapériphérique. Nous nous demandons au contraire comment l’État et l’Europe peuvent s’appuyer sur nos territoires pour travailler avec les pays de la zone.

Les crédits du Fonds européen de développement (FED) alloués à la Guadeloupe y sont, à titre expérimental, gérés sur place par la région, et non directement par Bruxelles, comme auparavant. Il en va de même pour les crédits d’INTERREG, qui correspondent à un dispositif complémentaire. Nous travaillons d’ailleurs à leur meilleure coordination. Cet exemple montre que l’Union européenne est prête, elle aussi, à s’appuyer sur les régions ultrapériphériques pour rayonner dans la zone de l’océan Indien ou des Caraïbes.

Quant aux accords ACP ou APE, ou accords de Cotonou, ils devraient être révisés à l’échéance de 2020. La France doit être présente à cette révision des accords, alors qu’elle a peiné jusqu’à présent à se sentir directement concernée par eux. Pourtant, la production des pays ACP est en concurrence directe avec celle de nos territoires ultramarins. Il me semble donc que l’État doit se saisir de ces sujets et questions. Nous pouvons essayer d’avancer à travers la COI.

En ce qui concerne une desserte aérienne qui irait au-delà des possibilités de la réglementation actuelle, on note un projet de compagnie régionale, avec Air Austral, qui, avec sa filiale Ewa Air, opère sur Mayotte et l’Afrique. Nous en sommes aux balbutiements. Le marché des Antilles ne constitue pas quant à lui un enjeu commercial en soi. Il conviendrait de revoir la réglementation pour y permettre l’opération simplifiée de petites sociétés privées capables de transporter, par exemple, des hommes d’affaires.

J’en viens à la question des visas dans les îles Vanille. C’est la sécurité qu’il faut envisager d’abord. Cela fait, je formulerai deux séries de propositions. Premièrement, je crois que, sans aller jusqu’à supprimer l’obligation de visa, il faudra simplifier les conditions de circulation. Les visas de transit ont déjà été supprimés dans certains cas, ce qui permet de passer d’un pays à l’autre de la zone sans autre formalité. Un arrêté du 11 mars 2016 les a par exemple supprimés pour les Brésiliens qui passaient en Guyane pour aller en Martinique. On peut également imaginer de supprimer les visas pour de très courts séjours d’un ou deux jours.

Mais on peut également concevoir des visas de long séjour pour certains acteurs accrédités et identifiés : élus, diplomates, présidents d’assemblée locale, acteurs culturels se rendant à un festival, universitaires allant à un colloque, chefs d’entreprise allant à une réunion… Tous pourraient, sur une base régulière, se déplacer de manière impromptue. Je proposerai donc que les ministères des affaires étrangères des pays concernés établissent une liste de personnalités pour lesquelles la France s’engagerait à délivrer des visas d’une durée de deux ou trois ans.

Deuxièmement, il n’y a plus besoin de visa pour passer de l’île Maurice à La Réunion. Mais les Mauriciens qui se rendent à La Réunion doivent montrer qu’ils détiennent une certaine quantité d’espèces ou un moyen de paiement, tel qu’une carte de crédit. La problématique des « certificats d’hébergement » persiste également. Je connais ainsi l’exemple de deux sœurs habitant à l’île Maurice qui ont perdu une troisième sœur habitant à La Réunion. Pour assister à son enterrement, elles ont eu besoin de certificats d’hébergement à La Réunion, alors qu’il faut deux jours pour les établir et que la cérémonie ne peut être différée… Les conditions actuelles sont prohibitives et constituent en tout état de cause un frein à la circulation. Il ne me semble pas qu’elles méritent d’être conservées en l’état lorsqu’aucune menace particulière ne pèse sur la sécurité – trafic de drogue ou terrorisme – ou qu’un risque migratoire n’apparaît pas, sans aller jusqu’à permettre la circulation libre et totale de tout le monde. Cette révision pourrait porter sur la liaison entre les Seychelles et La Réunion, comme entre La Réunion et l’île Maurice. Pour ce qui est des Comores, c’est différent.

En Amérique du Sud, la révision faciliterait les échanges dans la zone du fleuve Maroni, qui délimite la frontière entre la Guyane française et le Suriname. Je proposerai la délivrance de visas transfrontaliers, car les habitants qui vivent le long du fleuve passent indifféremment de l’une à l’autre rive, pour bénéficier par exemple de l’offre de soins au gré de leurs besoins. Ces visas transfrontaliers permettraient aux habitants de circuler de chaque côté du fleuve.

Nous pourrions de même envisager des hôpitaux transfrontaliers au Suriname. Nous travaillons de même à Mayotte sur la question d’infrastructures transfrontalières. L’idée intéresse aussi l’ARS de la Guadeloupe, qui gère aussi Saint-Martin et Saint-Barthélemy, dans la zone caraïbe, où il s’agirait de regrouper en un seul deux projets de construction d’un hôpital.

Les entreprises qui disposent de la logistique, des ressources organisationnelles, juridiques ou humaines, n’ont pas besoin de nous pour s’internationaliser. Elles le faisaient avant nous et continueront après nous : elles savent s’adapter aux réglementations des divers pays pour y conquérir des parts de marché. Notre rôle est plutôt d’accompagner dans leur conquête de marchés extérieurs celles qui disposent d’un savoir-faire et de compétences, mais qui n’ont pas la pratique de l’export et ont des problèmes de débouchés ou de logistique. Une piste de réflexion s’ouvre à nous, avec l’harmonisation du cadre juridique : ne pourrait-on imaginer, sur le modèle de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA) et de l’Organisation pour l’harmonisation du droit des affaires dans la Caraïbe (OHADAC), une Organisation pour l’harmonisation du droit des affaires dans l’océan Indien ? Cette harmonisation offrirait aux entreprises un cadre juridique autre que le cadre juridique international. En matière d’export et de compétitivité économique, il faut parfois qu’interviennent une autorité de régulation et des instances de jugement en cas de litige.

La question de l’harmonisation de la fiscalité des entreprises se pose également. Pour que nos entreprises soient compétitives, je proposerai la réciprocité de l’imposition sur les sociétés et une fiscalité adaptée pour les entreprises exportatrices. Il s’agit d’une demande des acteurs économiques.

Dans tous ces domaines – aérien, réglementation, normes, fiscalité –, il nous faut définir un modèle français et européen qui tienne compte de toutes ces problématiques et soit adapté à nos territoires. Nos collectivités vont désormais pouvoir signer des accords-cadres. Nous devons, de notre côté, commencer à réfléchir à des modèles qui leur permettraient de relever tous leurs défis : leur meilleure insertion et celle de la France dans leur espace géographique.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Merci, cher collègue, de nous avoir livré en primeur quelques-unes des propositions qui figureront dans votre rapport. Le moment est venu, en effet, d’avancer sur ces questions, qu’il est bon de remettre à l’ordre du jour. Certaines sont anciennes : je les ai abordées déjà lorsque je siégeais au Parlement européen. Il y a quelques années, ici même, j’ai rédigé, en collaboration avec M. Hervé Gaymard, un rapport d’information sur les accords de partenariat économique entre l’Union européenne et les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique.

Je ne suis pas étonné de la profondeur et de la justesse de vos analyses. Votre rapport pèsera lourd et ne laissera pas le Gouvernement indifférent.

M. Jean Jacques Vlody. La tâche est immense, en effet. J’ai parfois l’impression de m’être aventuré dans la forêt amazonienne : plus j’avance, plus la végétation s’épaissit. Mais nous ferons en sorte de ne pas nous enliser.

Je voudrais rappeler, pour finir, que l’Assemblée nationale est désormais membre de l’association des parlementaires des pays membres de la Commission de l’océan Indien, qui a été relancée les 4 et 5 mai derniers à l’île Maurice. Le bureau exécutif a été mis en place, présidé par Madagascar. La France, à travers ma personne, et les Comores en sont vice-présidents, l’île Maurice et les Seychelles rapporteurs.

La séance est levée à 18 heures 45.

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